Le drame au passage à niveau était-il évitable

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Le drame au passage à niveau était-il évitable
OUEST-FRANCE, 02/06/2016
Le drame au passage à niveau était-il évitable ?
Par Delphine VAN HAUWAERT
La voiture littéralement disloquée après la collision avec le train. | archives Ouest-France
Depuis lundi, la SNCF comparaît à Brest pour un accident mortel à la Roche-Maurice (Finistère). Le parquet
requiert jusqu'à 100 000 € d'amende : il y aurait eu une défaillance technique.
De 70 000 à 100 000 € d'amende. C'est la peine requise hier par le procureur de la République de Brest, Eric
Mathais, à l'encontre de la SNCF, prévenue d'homicide involontaire.
Le 21 novembre 2006, à 16 h 54, Alla Caroff, qui fêtait ce jour-là ses 42 ans, est décédée au passage à niveau
291 de la Roche-Maurice, près de Landerneau (Finistère). Son véhicule a été happé par un TER reliant Morlaix
à Brest. Cette habitante de Ploudiry, village voisin, était en route pour aller chercher sa fille à la gare de
Landerneau
Selon le procureur et la partie civile, il y aurait eu un déshuntage, c'est-à-dire que la rupture de courant
électrique permettant l'abaissement des barrières et le déclenchement du signal sonore et lumineux ne s'est
pas faite. Ce dont attestent plusieurs témoins du drame.
« Omerta »
Eric Mathais pointe « une volonté de la SNCF de nier l'évidence de ce problème ». Depuis le début de
l'enquête, il y a près de dix ans, l'entreprise dément toute défaillance technique, plaidant plutôt un problème
avec la conductrice : suicide d'abord, puis contournement de la barrière.
Mais des experts assurent que ce n'est pas possible. Le conducteur du train n'a pas vu le véhicule, ce qui
implique qu'il n'était pas à l'arrêt sur la voie. Et, au vu du point d'impact, l'automobiliste conduisait forcément
en ligne droite.
« Le problème était-il connu ? Et évitable ? », s'interroge encore le procureur, répondant « oui » à ces deux
questions. C'est ce qui constitue à son sens « la faute pénale ».
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Dans la matinée, un agent de maintenance de la SNCF en retraite a, en effet, livré un témoignage accablant.
Représentant du personnel au CHSCT - comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail - il raconte
que « ce sérieux problème » y a été évoqué plusieurs fois avant le drame, citant des incidents, à ce passage
à niveau et d'autres de la région.
Une note technique interne a même été émise en 2005, invitant les directions régionales à installer un
dispositif de renfort sur les lignes où circule le modèle de TER en cause, le X73500. « Une double pédale dans
un boîtier électronique posé sur le rail, soit quelque chose de très simple à mettre en place. » La
recommandation, appliquée dans d'autres régions, n'a pas été suivie en Bretagne.
L'agent va plus loin : « Après l'accident, on a demandé en CHSCT à l'installer à la Roche-Maurice. Un
responsable m'a répondu que cela reviendrait à avouer qu'il y a eu un problème. » Il parle « d'omerta » sur
ce sujet, quand un autre retraité évoque « le tabou du déshuntage ».
Pour Me Appéré, avocat de la famille, « le tribunal doit apporter une réponse sans ambiguïté à tous ceux
qui empruntent le rail et la route ».
L'avocat de la SNCF leur répondra ce jeudi, au cours de sa plaidoirie.
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