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Groupe de travail « Risques et précaution »
Compte-rendu de la séance du 30 avril 2013
Audition de Jean-Pierre Clamadieu
Présents : Lydia Bassières (EPE), Thibaut Bidet-Mayer (rapporteur adjoint),
Emmanuelle Duez (The Boson project), Alain Grangé-Cabane (président),
Pierre-Henri Gourgeon, Etienne Hans (service du conseil général des mines),
Jean de Kervasdoué, Jacques Kheliff, Vincent Laflèche (INERIS), Brice Laurent
(rapporteur), Xavier Ploquin, (élève aux mines), Claire Tutenuit (EPE), Thierry
Weil.
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Intervention de Jean-Pierre Clamadieu
Jean-Pierre Clamadieu débute son intervention par un rappel de l’histoire de Solvay et Rhodia.
Ces deux groupes s’étaient séparés de leurs activités pharmaceutiques et ont fusionné en 2011
après le rachat de Rhodia par Solvay pour former un leader mondial de la chimie.
La question du risque et de la précaution est centrale pour l’industrie chimique, qui manipule
des produits et procédés potentiellement dangereux. La conscience forte du risque dans
l’industrie chimique fait que le dialogue avec les parties prenantes apparaît comme une
nécessité. Pour obtenir la « license to operate », il est nécessaire de convaincre que le risque
peut être évalué et contrôlé. Cette approche est à présent intégrée dans les logiques
industrielles de la chimie, et ce depuis 20 ou 30 ans.
L’initiative Responsible Care, mis en place à l’échelle internationale par les industriels de la
chimie est un exemple de cette démarche, fondée sur des engagements et des outils d’analyse
et de gestion des risques.
Dans ce paysage, le cas de Rhodia (puis de Solvay) est particulier, dans la mesure où la
responsabilité a été à la base de la fondation d’une culture commune. L’entreprise avait fait
face dans les années 2003-2004 à des critiques de certains actionnaires à propos de la gestion
du risque environnemental, alors que des démarches exemplaires avaient été engagées en
faveur de la sécurité au travail. Au cours de la période 2005-2006, la question de la
refondation d’une culture commune se pose, et la responsabilité est identifiée comme un
élément central. Jean-Pierre Clamadieu rappelle que l’importance donnée à ces valeurs dans
la culture d’entreprise est renforcée par le fait qu’environ 30% du capital de Solvay est
toujours contrôlé par la famille de son fondateur. Ces actionnaires sont ainsi fortement
attachés à défendre la réputation du groupe qui porte leur nom.
L’engagement pour la responsabilité se déploie à plusieurs niveaux :
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engagement très fort pour la sécurité au travail ;
gestion du risque procédé/risque industriel, à l’aide de démarches formalisées et
rigoureuses d’études de danger ;
impact de l’activité sur l’environnement (eau, air, CO2)
« product stewardship », c’est-à-dire suivi des risques liés aux produits pour
l’utilisateur ou en fin de vie. Ceci comprend des initiatives en faveur de la
minimisation de l’impact sur l’environnement et de la lutte contre le changement
climatique ;
responsabilité sociale de l’entreprise.
L’ensemble de ces engagements est suivi par des référentiels formalisés et appuyé par des
méthodes d’auto-évaluation. Les sites ayant de fortes particularités locales (en termes
d’implantation géographique, d’expérience de la sécurité au travail et des impacts
environnementaux, etc.), les priorités sont différentes d’un site à l’autre. Dans tous les cas,
l’objectif est d’associer les parties prenantes (salariés, clients, fournisseurs, acteurs locaux) à
la définition de ces priorités.
Le développement de cette culture propre au groupe repose sur un engagement très fort de la
direction générale :
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les événements problématiques sont discutés et considérés comme des opportunités de
progrès. Par exemple, chaque accident, même minime, en rapport avec la sécurité au
travail fait l’objet d’un arbre des causes et d’un signalement à Jean-Pierre Clamadieu.
La démarche de responsabilité sociale et environnementale est très liée avec la stratégie
économique de l’entreprise, au point que l’alignement entre la gestion du risque dans le
cadre de la démarche RSE et les performances économiques est très bon. La dégradation
de la performance d’un site en matière de sécurité est un indicateur avancé d’un problème
de performance à moyen terme.
Dans ce contexte, la culture de responsabilité au quotidien n’est pas, pour Jean-Pierre
Clamadieu, une source de « choix cornéliens » à répétition, qui obligeraient d’arbitrer sans
cesse entre la gestion du risque et le coût économique. Certains sujets donnent lieu à des
interrogations mais Jean-Pierre Clamadieu considère qu’ils peuvent être traités de façon
satisfaisante au moyen de l’ensemble des guidelines disponibles. À long terme, le risque de
réputation exige de toute façon une prise en compte efficace des risques potentiels de
l’activité industrielle. À cet égard, la fusion avec Solvay n’a pas modifié le choix stratégique
de la responsabilité, les actionnaires de l’entreprise étant très sensibles aux effets d’image.
Discussion
Une spécificité française ?
Construire un nouveau site en France dans les régions où l’industrie chimique n’est pas
implantée susciterait probablement des craintes des riverains. En revanche, de nouveaux
ateliers sont construits sur des sites existants. Dans la quasi-totalité des sites européens,
l’atmosphère est apaisée au niveau politique et l’exploitation industrielle est consensuelle.
Ce secteur étant très capitalistique, l’activité de l’industrie chimique est très peu
délocalisable1, et doit considérer, à long terme, la stabilité de l’environnement technique et
réglementaire. La France, à cet égard, bénéficie de la crédibilité des acteurs régaliens, qui
permet des échanges de qualité avec l’administration (même si le dialogue avec
l’administration de la santé peut parfois être plus difficile).
A l’heure actuelle, les niveaux des contraintes environnementales (élevés en France et en
Europe) convergent à l’échelle internationale. En Chine par exemple, les normes de rejet
peuvent parfois être plus strictes qu’en Europe, et si la sévérité de la mise en œuvre varie, elle
connaît une progression forte. L’ambition est cependant plus faible en ce qui concerne
l’impact des produits sur la santé.
L’objectif du product stewardship et ses difficultés
Lors de la mise en place du règlement européen REACH, Rhodia a été un des rares chimistes
à affirmer que la réglementation était nécessaire, et que sa réussite était cruciale. Cependant,
C’est au moment de créer des nouvelles unités ou de fermer des sites que se prennent les décisions qui
modifient la répartition internationale de la production.
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le product stewardship est un objectif complexe, qui impose de savoir mesurer des effets à
long terme sur la santé humaine et sur l’environnement.
La communication sur les incertitudes techniques se heurte aux attentes de réponses
définitives. L’absence d’une interface entre science et décision politique se fait plus
particulièrement ressentir.
De façon générale, l’objectif de product stewardship est facilité par le fait que très peu de
nouvelles molécules sont mises sur le marché. La grande majorité des produits
commercialisés utilise des substances en circulation. Le problème est alors celui des
expositions (par exemple l’usage du bisphénol dans les biberons).
Risques liés aux process et aux produits
À l’heure actuelle, le risque process (qui a trait aux activités de production en interne) est
mieux maîtrisé que le risque produit (qui mêle des aspects scientifiques et des aspects sociaux
et politiques).
Un nouvel aspect du risque est qu’alors que les vieux salariés savent ce qu’il y dans un
réacteur, les jeunes n’ont souvent vu que des containeurs fermés ou des synoptiques
informatiques. Ils ne réalisent pas par exemple qu’il peut s’écouler quelques minutes entre le
moment où l’on ordonne l’arrêt d’un agitateur et son arrêt effectif.
La culture du groupe et sa pratique
Alors que l’erreur humaine est bien souvent autant (voire plus) à l’origine des incidents que
des défaillances techniques, il importe d’être en mesure de faire remonter les informations sur
les incidents de façon efficace. L’ambition du groupe est de développer une culture de la
prévention, qui permettrait d’être attentifs aux « quasi-incidents », et qui à l’heure actuelle
n’existe que sur les sites les plus avancés. Des « campagnes » sont ainsi organisées afin
d’inciter les salariés à signaler ces « quasi-incidents », qui inspirent ensuite l’évolution des
procédures.
Des challenges externes
La crédibilité de l’entreprise se bâtit aujourd’hui à l’occasion de ses réponses à des
« interpellations » externes, émanant notamment de la notation environnementale et sociale,
des salariés, et des parties prenantes. Jean-Pierre Clamadieu considère que l’exigence des
parties prenantes pour le développement durable est une opportunité. Elle implique le
développement d’outils d’évaluation et de management des produits « du berceau à la
tombe » qui peuvent servir de base de dialogue. Le poids encore trop faible des agences de
notation extra-financières oblige néanmoins pour l’instant les industriels à construire euxmêmes leurs outils de reporting et référentiels.
La responsabilité comme avantage comparatif pour les clients ?
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Les clients ne sont sans doute pas prêts à payer plus cher en fonction des conditions de
production des produits. Néanmoins, ils attendent une clarté d’information sur les produits et
leurs risques. A ce niveau, l’approche responsable peut être un élément de différenciation.
Un effet anxiogène de ce rappel permanent du besoin de vigilance ?
Du point de vue de Jean-Pierre Clamadieu, le danger est inverse : ce serait l’oubli de la
présence du risque, dans une situation où les performances en matière de sûreté sont très
bonnes.
Solvay et les autres entreprises de la chimie
Du point de vue de Jean-Pierre Clamadieu (qui est en charge du développement durable au
Medef), le rôle de Solvay est aussi de porter un message montrant que le choix stratégique de
la responsabilité n’est pas opposé à la stratégie de développement économique de l’entreprise.
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