La mondialisation par le bas

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La mondialisation par le bas
Monsieur Alejandro Portes
La mondialisation par le bas
In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 129, septembre 1999. pp. 15-25.
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Portes Alejandro. La mondialisation par le bas . In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 129, septembre 1999. pp.
15-25.
doi : 10.3406/arss.1999.3300
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1999_num_129_1_3300
Resumen
La globalización hacia abajo
En este artículo se elabora el concepto de « comunidad transnacional». La investigación tradicional
desconoce esta forma original y potencialmente poderosa de adaptación hacia abajo a la globalización
del capital, también ignorada por los Estados. El surgimiento de comunidades sustentadas por las
migraciones que se trasladan a uno y otro lado de las fronteras políticas, desarrollando relaciones y
actividades sociales tanto en el país de origen como en el país receptor, tiene sus raíces en la propia
lógica de la expansión capitalista. Las empresas transnacionales, que obtienen ganancias con los
diferenciales de información y de precio entre países, alimentan el crecimiento acumulativo de redes y
firmas en las que se asientan las comunidades transfronterizas de larga distancia, cuyos miembros
viven una « doble vida » que se extiende entre dos sociedades nacionales. Este modo peculiar de
adaptación de los inmigrantes es la consecuencia, por un lado, de la escasez de empleos industriales
bien remunerados en los países avanzados y, por el otro, de la espectacular disminución de los costos
de comunicación y de transporte de larga distancia. A largo plazo, es posible que la
transnacionalización del trabajo, tal como se refleja en las comunidades transnacionales, frene el
aumento de la desigualdad internacional de riqueza y poder. No obstante, a corto plazo, puede causar
el efecto contrario, vale decir, profundizar las disparidades regionales y de clase en los países de
emigración.
Zusammenfassung
Globalisierung von unten
Der Artikel entwickelt das Konzept der « transnationalen Gemeinschaft » als einer originellen und
potentiell wirkungsvollen Anpassung an die Mondialisierung des Kapitals von der Basis her, die
bezeichnenderweise bisher von der herkömmlichen Forschung übersehen und von den betroffenen
Staaten verkannt worden ist. Das Aufkommen neuer Bevölkerungsgruppen im Zuge von
Wanderungsbewegungen über politische Grenzen hinweg, bei denen Beziehungen und soziale
Aktivitäten simultan im Herkunfts- und im Gastland entfaltet werden, ist der Logik der kapitalistischen
Ausweitung selbst inhärent. Die vom unterschiedlichen Informations- und Preisniveau in den
verschiedenen Ländern profitierende, transnationale Untemehmerschaft bildet die Grundlage fur die
kumulative Zunahme von Verbindungslinien und Firmen, in deren Umkreis grenzüberschreitende
Gemeinschaften entstehen, deren Miglieder ein zwischen zwei nationalen Gesellschaften über große
Entfernungen hinweg ausgespanntes Doppelleben führen. Dieser distinktive Anpassungsmodus durch
Wanderung wird auf der einen Seite begünstigt durch die Abnahme gutbezahlter industrieller
Arbeitsplätze in den fortgeschrittenen Ländern, andererseits durch die spektakuläre Kostenabnahme fur
Kommunikation und den Fernverkehr. Auf lange Sicht dürfte die durch die transnationalen
Bevölkerungen bekundete Transnationalisierung der Arbeit ein geeignetes Mittel sein, um das
Wachstum der internationalen Ungleichheit von Macht und Reichtum zu verlangsamen. Kurzfristig
dürfte sie jedoch die umgekehrte Wirkung hervorbringen und die regionalen und klassenrelevanten
Unterschiede in den Auswanderungsländern weiter vertiefen.
Abstract
Globalization from below
This article elaborates the concept of "transnational community" as an original and potentially potent
response from below to the globalization of capital that is typically overlooked by conventional research
on migration and misunderstood by governments. The emergence of migration-fed communities that sit
astride political borders and deploy their social relations and activities simultaneously in the sending and
receiving countries is rooted in the logic of capitalist expansion itself. Transnational entrepreneurship
that takes advantage of price and information differentials between countries feeds the cumulative
growth of networks and firms that anchor long-distance transborder communities whose members lead
dual lives stretched across two national societies. This distinctive pattern of immigrant adaptation is
fostered, first, by the drying up of well-paid jobs in industry in advanced societies and, second, by the
spectacular decrease in the costs of long-distance communication and transportation. In the long run,
the transnationalization of labor of which transnational communities are the expression has the potential
of countering the growing international inequality of wealth and power. In the short run, however, it can
have the opposite effect of aggravating social and regional disparities in the countries of emigration.
Résumé
La mondialisation par le bas
Cet article élabore le concept de « communauté transnationale » comme forme originale et
potentiellement puissante d'adaptation par le bas à la mondialisation du capital qui est typiquement
ignorée par la recherche conventionnelle et mécomprise par les États. L'émergence de communautés
nourries par les migrations qui se tiennent à cheval sur les frontières politiques et déploient leurs
relations et leurs activités sociales simultanément dans le pays de départ et le pays d'accueil trouve sa
racine dans la logique même de l'expansion capitaliste. L'entreprenariat transnational, qui tire profit des
différentiels d'information et de prix entre pays, nourrit la croissance cumulative de réseaux et de firmes
dans lesquels s'ancrent les communautés transfrontalières de longue distance dont les membres vivent
une « double vie » étirée à travers deux sociétés nationales. Ce mode distinctif d'adaptation immigrante
est favorisé, d'une part, par l'assèchement des emplois industriels bien payés dans les pays avancés et,
d'autre part, par la diminution spectaculaire des coûts de communication et de transport à longue
distance. À terme, la transnationalisation du travail dont les communautés transnationales sont la
manifestation est capable de freiner la croissance de l'inégalité internationale de richesse et de pouvoir.
Toutefois, dans le court terme, elle peut avoir l'effet inverse et creuser les disparités régionales et de
classes dans les pays d'émigration.
Alejandro Portes
LA MONDIALISATION
PAR LE
L'ÉMERGENCE
DES COMMUNAUTÉS
BAS
TRANSNATIONALES
) est sur l'aphorisme « le capital est global, le tra
vail est local » que repose l'édifice internatio
nal
érigé tout au long des cinquante dernières
années. Suivant les écoles théoriques, cet édifice a été
célébré comme le triomphe du libre-échange et de
la rationalité économique ou au contraire dénoncé
comme la mort de la conscience ouvrière et de l'ind
épendance
nationale.
Certes, la migration planétaire des capitaux en quête
de profits n'est nullement une nouveauté ; ce processus
est même à la base de nombreuses explications de
l'évolution du système capitaliste mondial. Ce qui est
nouveau aujourd'hui, ce sont ses modalités et son
intensité, entraînées par les progrès technologiques
dans les communications et les transports. De nos
jours, des décisions d'investissements et de désinvestissements prises sur de lointains marchés boursiers, en
Asie et en Amérique latine, par exemple, ont des réper
cussions
immédiates sur d'autres continents. Ainsi,
comme le souligne Castells (1980), le modèle d'un
vêtement dessiné à New York peut être transmis éle
ctroniquement
à une usine de Taïwan, et les premiers
lots du produit fini être reçus à San Francisco dans la
même semaine. Les avantages de ce système semblent
profiter entièrement à ceux qui sont en position de
s'approprier les nouvelles technologies, faisant ainsi de
la mondialisation l'apothéose finale du capitalisme
contre ses adversaires, qu'il s'agisse des élites d'État ou
des syndicats de travailleurs.
Cependant, il s'avère qu'un processus social de
cette envergure ne saurait être totalement unilatéral : en
raison de son ampleur même, il est susceptible de
déclencher des réactions variées faisant émerger des
structures de contrepoids. Et finalement, la révolution
technologique de cette fin de siècle n'inaugurera peutêtre pas l'ère d'un capitalisme mondial effréné, mais
sera une nouvelle étape de la lutte entre valeurs
d'échange et valeurs d'usage, entre la logique formelle
de la loi et la logique matérielle des intérêts privés.
J'essaierai de donner ici une base théorique au
concept de communauté transnationale en tant que réac
tion discrète mais potentiellement puissante à la mondiali
sation, par opposition à ses formes plus visibles décrites
dans la littérature récente. Je m'attelle à cette tâche non
sans hésitation, car le concept de transnationalité, comme
celui même de mondialisation, risque de connaître le sort
de ces notions à la mode qui ne retiennent qu'un temps
l'attention des sciences sociales. Mais il y a là suff
isamment
de matière pour valoir quelques efforts. Si le
concept fonctionnait, il pourrait jouer un double rôle,
d'une part en tant qu'élément de l'arsenal théorique avec
lequel nous appréhendons les macro-structures du sys
tème mondial, d'autre part en tant qu'instrument de l'ana
lyse encore sous-développée des réseaux et modèles
quotidiens des relations sociales qui émergent au sein et
aux marges de ces structures. Ce second objectif est pré
cisément
du domaine de la « théorie à moyenne portée »
de l'interaction sociale que j'essaierai d'esquisser ici.
16
Alejandro Portes
— Ensuite, ces communautés sont un phénomène
distinct qui s'écarte des schémas traditionnels d'adapta
des immigrés.
La classe ouvrière a répondu à la mondialisation de tion
- Enfin, puisqu'il est alimenté par la dynamique
la production capitaliste de manière plus subtile qu'en
créant des syndicats internationaux ou en essayant de même de la mondialisation, ce phénomène possède un
pousser les gouvernements nationaux à imposer des potentiel de croissance supérieur et offre aux initiatives
normes sociales minimales aux exportations des pays du populaires autonomes un champ d'action plus large
tiers monde. Ces deux stratégies se sont en effet révélées que les autres stratégies d'adaptation aux périgrinations
inefficaces, car les réalités de la concurrence internatio destructrices du capital à travers la planète.
Commençons par examiner l'origine de ces commun
nale
détruisent toute velléité de solidarité de classe
transnationale, et elles laissent le champ libre à la délo autés, composées essentiellement d'immigrés ainsi que
calisation
des investissements capitalistes. Les causes de d'amis et de parents d'immigrés. Dans les pays avancés,
l'impuissance de ces deux stratégies ont été analysées on pense communément que l'immigration actuelle est
en détail ailleurs (A. Portes, 1994). En revanche, en le fruit de la quête désespérée d'hommes et de femmes
réponse au processus de mondialisation, les individus du tiers monde cherchant à échapper à la misère dans
ont créé des communautés qui traversent les frontières leur pays. En fait, ce ne sont pas les plus pauvres d'entre
nationales et qui, dans un sens très concret, ne se situent les pauvres qui émigrent, et leur départ n'est pas guidé
véritablement « ni ici ni là » , mais ici et là en même en premier lieu par des calculs sur des avantages per
temps. Les activités économiques qui sous-tendent ces sonnels
à retirer1. Au contraire, l'émigration actuelle est
communautés reposent précisément sur les différences le fruit de deux forces liées entre elles qui puisent leur
de profits créées par les frontières. À cet égard, elles ne source dans la dynamique de l'expansion capitaliste
fonctionnent pas différemment des multinationales, à elle-même d'abord les besoins des pays riches en
ceci près qu'elles émergent « par le bas » et que leurs main-d'œuvre bon marché et facilement renouvelable,
ensuite la pénétration des pays périphériques par les
activités sont le plus souvent informelles.
Le groupe d'anthropologues qui le premier a ident investissements productifs, les modèles consuméristes et
ifié ce phénomène et amorcé son interprétation la culture populaire des sociétés avancées.
formule ainsi ses conclusions « Nous définissons le
Contrairement aux idées répandues, les immigrés
"transnationalisme" comme l'ensemble des processus viennent dans les nations les plus riches moins parce
par lesquels les immigrés tissent et entretiennent des qu'ils le souhaitent que parce qu'on y a besoin d'eux.
relations sociales de nature multiple reliant leurs socié Une conjonction de forces sociales et historiques a pro
tés
d'origine et d'accueil. Nous appelons ces processus voqué des pénuries aiguës de main-d'œuvre dans les
transnationalisme pour insister sur le fait que, de nos sociétés avancées. Dans certains cas, la pénurie est
jours, beaucoup d'immigrés construisent des espaces totale, comme pour les ouvriers de l'industrie au Japon
sociaux qui traversent les frontières géographiques, cul ou les personnels soignants et les ingénieurs aux Étatsturelles
et politiques... Un élément essentiel en est la Unis. Dans d'autres cas, la pénurie provient d'une rési
multiplicité des activités auxquelles s'adonnent les immi stance culturelle des travailleurs nationaux à accepter
grés à la fois dans leurs sociétés d'origine et d'accueil. les emplois dévalorisés et mal payés couramment occu
Nous sommes toujours à la recherche d'un terme adé pés par les immigrés des générations précédentes
quat pour décrire ces positions sociales » (L. Basch, (M. J. Piore, 1979 ; H. Gans, 1992 ; A. Portes et L. E. Guarnizo, 1991). La liste est longue de ces emplois déconsi
N. Glick Schiller et C. Blanc-Szanton, 1994, p. 6).
On comprend la perplexité de ces auteurs face à ce déréstravaux agricoles, services personnels et domest
nouveau phénomène lorsque l'on prend la mesure de iques, restauration, ou encore les postes surexploités
l'extraordinaire diversité des activités qu'il recouvre et des ateliers de confection (S. Sassen, 1989)Du fait de l'opposition des syndicats et de l'opinion
de son poids économique et social potentiel. Je tenterai
publique,
le flux migratoire de main-d'œuvre s'est soudonc de dégager ici trois idées majeures
— Tout d'abord, l'émergence des communautés
transnationales est liée à la logique même du capita
proposition ne saurait être pleinement développée ici sans ri
lisme elles voient le jour pour répondre aux intérêts et 1squer— Cette
de détourner l'attention du lecteur de l'objet de cet article. Elle a
aux besoins des investisseurs et des employeurs des été démontrée dans plusieurs travaux antérieurs voir Portes (1978) et
Portes et Börocz (1989).
pays avancés.
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L'offensive des réseaux transnationaux
La mondialisation par le bas
attendre de leur vie à l'étranger, et il exacerbe leur
désir de partir en creusant l'écart entre les réalités
locales et leurs nouvelles aspirations à consommer.
Paradoxalement, ce processus ne touche pas tant les
classes les plus pauvres des sociétés périphériques que
leurs classes moyenne et ouvrière, qui sont générale
ment
les plus exposées aux messages publicitaires et
aux symboles culturels projetés par les pays avancés 3
(S. Grasmuck et P. Pessar, 1991 ; A. Portes et R. L. Bach,
1985). L'idée fondamentale est qu'aujourd'hui l'immigra
tion
vers ces pays n'est pas un processus optionnel, mais
une nécessité structurale de l'accumulation capitaliste à
un stade avancé. La pérennité et l'accroissement du
nombre d'immigrés du tiers monde présents dans les
métropoles des pays développés sont donc ainsi assurés.
À leur tour, ces groupes fournissent la matière première
à partir de laquelle le phénomène des communautés
transnationales se développe.
L'ÉMERGENCE
DE L'ENTREPRISE TRANSNATIONALE
La poursuite de facto d'une politique d'ouverture
des frontières est encouragée par la demande en maind'œuvre bon marché des employeurs des pays avanc
és, tandis que la délocalisation de la production à
l'étranger répond à une demande similaire de certains
2 - Près de 2,5 millions d'immigrés clandestins ont été régularisés grâce
à l'IRCA. La législation ultérieure a prévu des dispositions généreuses
autorisant les immigrés fraîchement régularisés à faire venir leur famille.
Plus important encore, l'IRCA conserva un subterfuge législatif autori
santla continuation du flux de clandestins, en exigeant des employeurs
qu'ils vérifient les papiers de leurs candidats à un emploi, mais non
qu'ils en établissent la validité. De manière prévisible, une industrie de
masse de fabrication de faux papiers s'est développée, pour satisfaire
les besoins des nouveaux immigrés et de leurs employeurs (R. L. Bach
et H. Brill, 1991). Les efforts législatifs plus récents pour contrôler l'i
mmigration,
comme la proposition 187 en Californie (qui interdit aux
immigrés en situation irrégulière l'accès aux services publics éducat
ion,santé, aide sociale, etc.) et un nouveau décret du Congrès en 1996,
ne promettent pas de meilleurs résultats (A. Portes et R. G. Rumbaut,
1996, chap. 8).
3 - Sassen (1989) a développé une variante de cet argument selon
lequel les industries installées dans les zones périphériques d'exporta
tion
stimulent l'émigration en familiarisant leur main-d'œuvre avec les
pratiques culturelles du monde développé. Cette main-d'œuvre est
composée en majorité de jeunes qui sont généralement licenciés après
quelques années. La combinaison des qualifications et des aspirations,
qu'ils ont acquises quand ils travaillaient, avec le chômage écono
mique, fait d'eux un vivier prêt pour une future émigration. Sassen
fournit peu de preuves empiriques, cependant les recherches ulté
rieures dans bon nombre de pays d'Amérique latine étayent sa thèse.
Voir J. P. Pérez-Sainz, 1994; J. A. Itzigsohn, 1994.
:
vent poursuivi de manière détournée, par le biais de
divers subterfuges légaux. Aux États-Unis, le tollé sus
cité par l'ampleur de l'immigration illégale dans les
années 1980 a conduit à l'adoption de la loi sur la
réforme et le contrôle de l'immigration (Immigration
Reform and Control Act, ou IRCA), en 1986. Cette loi
traduit nettement le constant besoin de main-d'œuvre
immigrée et le pouvoir inébranlable des syndicats
patronaux, puisque au lieu de réduire le volume de
l'immigration, elle l'a en fait augmenté, par le biais de
quelques dérogations astucieuses2.
En 1990, aux États-Unis, la population née à l'étran
ger
atteignait presque 20 millions de personnes, le total
le plus important du siècle en valeur absolue (M. Fix et
J. S. Passel, 1991 ; R. G. Rumbaut, 1994). Outre l'échap
patoire législative de l'IRCA, les nouvelles dispositions
généreuses de l'Immigration Act de 1990 garantissent
pratiquement que ce chiffre, et avec lui la proportion
d'immigrés dans la population américaine, augmentera
significativement dans les années qui viennent. En All
emagne et en France, malgré l'arrêt officiel de la poli
tique d'accueil des travailleurs étrangers dans les
années 1970, les communautés immigrées ont continué
de s'accroître régulièrement par le biais de la réunifica
tion
familiale et des canaux clandestins (A. R. Zolberg,
1989; J. F. Hollifield, 1994). Aujourd'hui l'Allemagne
compte 7 millions d'étrangers, soit 9 % du total de sa
population, une proportion proche de celle des ÉtatsUnis (R. Münz et R. Ulrich, 1995; K. J. Bade, 1995).
Même dans un pays aussi homogène du point de vue
ethnique que le Japon, la pénurie de main-d'œuvre a
conduit à des arrangements juridiques, comme l'emploi
de « stagiaires » de sociétés étrangères ou de personnes
ayant dépassé le terme de leur visa, pour travailler à la
chaîne dans l'industrie. En 1990, le Japon comptait
1,1 million de personnes nées à l'étranger, soit une pro
portion
encore insignifiante de la population totale,
mais dont on s'attend à ce qu'elle double au cours de la
prochaine décennie (W. A. Cornelius, 1992 ; 1994).
L'autre élément de cette équation est l'impact de la
mondialisation sur l'offre potentielle d'immigrés. La
tendance du capital multinational à développer des
marchés dans les pays périphériques tout en tirant
sur leurs réserves de main-d'œuvre a eu une série
de conséquences sociales prévisibles. L'une d'elles est
le remodelage de la culture populaire d'après les
modèles étrangers et l'introduction de modèles consuméristes sans rapport avec le niveau des salaires
locaux (F. Alba, 1978). Ce processus donne aux futurs
émigrés une première idée de ce qu'ils peuvent
17
Alejandro Portes
.
secteurs industriels. Les travailleurs des pays périphé
riquesembauchés dans ces conditions ne sont pas
simplement des objets d'exploitation, mais peuvent
prendre conscience de la logique des processus
impératifs de mobilité personnelle qu'ils impliquent.
Itzigsohn (1993) a montré comment, en République
dominicaine, les travailleurs se reconvertissaient en
entrepreneurs informels afin d'éviter les travaux pénibles
et les salaires de misère du secteur industriel d'exportat
ion.
Dans le contexte dominicain, l'économie informelle
devient, paradoxalement, un instrument de résistance
populaire aux exigences du capital étranger 4
Beaucoup de travailleurs immigrés réalisent que
les conditions de travail et de rémunération que leur
réserve le monde développé sont loin de satisfaire
leurs aspirations économiques. Pour éviter les travaux
dévalorisés et sans avenir que leur société d'accueil
leur assigne, ils doivent faire jouer leurs réseaux de
relations sociales. Les réseaux sociaux d'immigrés pré
sentent
deux caractéristiques qui font généralement
défaut aux réseaux des travailleurs nationaux. En pre
mier lieu, ils sont à la fois denses et géographiquement très vastes. En second lieu, ils tendent à créer
une solidarité en vertu de l'incertitude généralisée qui
gouverne la condition immigrée. Les échanges dans
un contexte d'incertitude génèrent des liens plus forts
que ceux qui existent entre des partenaires pleine
ment informés et soumis à des lois équitablement
appliquées.
Ce principe sociologique, établi à la fois par les
études de terrain et par l'observation expérimentale,
s'applique particulièrement bien aux communautés
d'immigrés (P. Kollock, 1994). Ceux-ci sont en effet
amenés à effectuer des transactions économiques, aussi
bien à l'intérieur du groupe qu'avec des opérateurs
extérieurs, en disposant au départ de peu d'informa
tions
sur la loyauté de leurs partenaires d'échange et
sur la nature et la fiabilité des régulations étatiques. De
ce haut niveau d'incertitude découle le besoin de « res
ter soudé » avec les mêmes partenaires, une fois qu'on
a éprouvé leur loyauté, quelles que soient les occasions
tentantes qui peuvent venir du dehors.
Ces réseaux denses, géographiquement étendus et
solidaires, peuvent catalyser différents types d'initia
tiveséconomiques. Dans un cas, étudié par Sassen
(1994), ils conduisent à la création de marchés du tra
vail à longue distance, qui permettent de repérer et de
saisir des offres d'emploi dans des endroits très éloi
gnés. Dans un autre cas, décrit par Zhou (1992), ils
conduisent à la mise en commun des ressources afin
de réduire les dépenses et de générer une épargne suf
fisante
pour acquérir une affaire ou investir dans l'im
mobilier.
Un troisième exemple, étudié en détail par
Light (1984) et ses collaborateurs (I. Light et E. Bonacich, 1988), montre l'émergence d'associations de cré
dit informelles, où les sommes épargnées sont mises en
commun, puis allouées à chacun à tour de rôle. Une
quatrième initiative consiste à jouer sur les écarts de
prix et d'information entre les pays de départ et
d'accueil, par le biais de la création d'entreprises trans
nationales.
Cette dernière stratégie n'est pas incompatible avec
les autres, mais se distingue en ce qu'elle dépend de
transactions qui franchissent les frontières politiques.
Pour être réalisables, ces transactions doivent s'appuyer
sur des réseaux extrêmement solides afin de garantir
approvisionnements, livraisons et paiements dans les
délais, dans un contexte marqué par l'absence totale ou
partielle de régulations externes. L'entreprenariat trans
national
« d'en bas » bénéficie des mêmes innovations
techniques dans les communications et les transports à
l'origine des restructurations industrielles à grande
échelle. Une classe d'entrepreneurs transnationaux
issus de l'immigration, qui font la navette entre les pays
et maintiennent des contacts quotidiens avec l'étranger,
ne pourrait pas exister sans ces nouvelles technologies
et sans les possibilités et les réductions des coûts
qu'elles permettent. Plus généralement, cette forme de
réaction « par le bas » à la restructuration mondiale n'est
pas apparue par opposition aux forces économiques
dominantes, mais bien dans leur sillage. Grâce à cette
stratégie, le travail (au départ celui de la main-d'œuvre
immigrée) rejoint les flux du commerce mondial, en
imitant le nouveau cadre économique et en s'y adapt
ant, souvent de manière astucieuse.
Ce parallèle entre les stratégies des acteurs écono
miques dominants et des entreprises immigrées trans
nationales
est de toute façon partial. Toutes deux font
4 - Les analyses passées du secteur informel de l'économie des pays
périphériques ont montré que celui-ci constituait un outil efficace pour
faire baisser les coûts et accroître la flexibilité dans l'utilisation de la
main-d'œuvre par les grandes entreprises (A. Portes et Walton, 1981
Beneria, 1989). Ces analyses supposaient un cadre de régulation, mis
en œuvre par l'État, qui protégeait les salariés et contraignait les
employeurs. Ce cadre a largement disparu dans les nouvelles zones de
production pour l'exportation, où les salariés sont soumis à des condi
tions d'emploi et de travail beaucoup plus dures. C'est cet abandon par
l'État de ses pouvoirs régulateurs qui amène à redéfinir le caractère et la
signification de l'entreprenariat populaire informel dans de nombreuses
villes du tiers monde.
;
18
La mondialisation par le bas
un large usage des nouvelles technologies et dépen
dentdes différences de prix et d'informations transfront
alières.Cependant, alors que les grandes entreprises
comptent tout d'abord sur leur puissance financière, les
entrepreneurs immigrants dépendent entièrement de
leur capital social (L. E. Guarnizo, 1992 ; M. Zhou et
C. L. Bankston, 1994). Les réseaux sociaux qui soustendent ces initiatives à la base se sont constitués à tra
vers un long processus d'immigration et d'adaptation
souvent difficile, qui leur donne un caractère propre et
les amène à se renforcer à travers leurs offensives éco
nomiques.
Cette croissance cumulative de réseaux et
d'entreprises enracinés dans deux pays à la fois mène
à un phénomène qualitativement différent que l'on
peut décrire à travers quelques exemples tirés des
recherches récentes.
19
écouler leurs marchandises. Un accord verbal préa
lable avec les acheteurs étrangers est pratique cou
rante, même avec les petits magasins de vêtements.
Sur leur trajet de retour vers la République dominic
aine, les exportateurs informels remplissent leurs
valises de patrons de vêtements, tissus, aiguilles, etc.,
nécessaires à leur activité.
Pour un observateur non averti, ces voyageurs au
long cours surchargés de bagages ressemblent à
n'importe quel immigré rapportant des cadeaux à sa
famille restée au pays. En réalité, ils s'adonnent à une
forme de commerce transnational informel en plein
essor. Les informations nécessaires à ce trafic intense
sont invariablement transmises par les réseaux d'amis
et de parents, franchissant ainsi les distances entre pays
d'accueil et d'origine. Il est donc clair que les hommes
et femmes qui dirigent ces entreprises ne sont pas des
« immigrés rentrant au pays » au sens habituel du terme.
La construction
Bien plutôt, ils ont profité du temps passé à l'étranger
des communautés transnationales
pour se constituer un petit bagage - biens, comptes
bancaires et contacts professionnels - à partir duquel
II existe aujourd'hui, en République dominicaine, ils ont pu organiser leur retour chez eux. Le résultat est
des centaines de petites et moyennes entreprises créées que ces entrepreneurs transnationaux n'ont pas quitté
et dirigées par d'anciens émigrés aux États-Unis. Parmi définitivement les États-Unis, mais sont plutôt engagés
elles, des petites usines, des établissements commerc dans un mouvement cyclique d'allers-retours, qui leur
iaux
variés et des agences financières. Ces entreprises permet de tirer parti de l'écart entre les possibilités éco
sont transnationales non seulement parce qu'elles ont nomiques
des deux pays (A. Portes et L. E. Guarnizo,
été fondées par d'anciens émigrés, mais parce qu'elles 1990, p. 21-22).
dépendent pour leur survie de l'existence de liens
Il existe une remarquable disparité entre le dyna
continus avec les États-Unis. Une étude menée à la fin misme de l'entreprenariat transnational et l'incompré
des années 1980 sur cent treize de ces sociétés montrait hension
ou l'ignorance du phénomène par les gouvern
que l'investissement de départ moyen n'y était que de ants.Les officiels des gouvernements dominicain et
12 000 dollars, mais qu'environ la moitié d'entre elles américain s'intéressent surtout au volume et à l'ach
continuaient de recevoir périodiquement des capitaux eminement
des envois de fonds par les immigrés et
de l'étranger, 5 400 dollars en moyenne. L'argent était semblent ignorer l'activité entreprenariale intense que
envoyé par des parents et amis restés aux États-Unis, cela masque. Dans la capitale, Saint-Domingue, une
partenaires ou copropriétaires de l'entreprise. En plus recherche conduite en 1994-1996 a révélé combien les
des capitaux, de nombreuses entreprises recevaient des émigrés de retour au pays ont lancé d'affaires reposant
envois en nature, biens d'équipement ou marchandises sur des idées et des compétences acquises aux ÉtatsUnis - cela va de la livraison à domicile de repas
à vendre (A. Portes et L. E. Guarnizo, 1990, p. 16).
Dans le cadre de l'enquête de terrain réalisée pour rapides aux magasins de logiciels informatiques et
cette étude, les auteurs ont identifié un second méca vidéo, en passant par la location et la vente de tél
nisme de réapprovisionnement en capitaux, à savoir éphones
portables, la vente d'automobiles et beaucoup
les voyages périodiques des propriétaires à l'étranger d'autres choses. Parallèlement, les responsables de
pour encourager de nouveaux investisseurs émigrés l'industrie dominicaine du bâtiment reconnaissent que
potentiels. Ces voyages permettent aussi aux propriét bon nombre de leurs entreprises ne pourraient pas sur
aireset aux dirigeants d'usines de vendre à l'étranger vivre sans la demande en résidences secondaires et en
une partie de leur production. Les patrons de petits bâtiments d'entreprises générée par les Dominicains de
ateliers de confection, par exemple, se rendent régu l'étranger. Des pans entiers de la ville, en particulier
lièrement
à Porto Rico, Miami et New York afin d'y à l'ouest et près de l'aéroport international, ont été
Alejandro Portes
:
:
construits à l'intention des émigrés 5. La tradition popul
aire a donné un nom particulier à cette population
Dominicanos ausentes (les Dominicains absents) ou
Dominican Yorkers (en raison de leur forte concentrat
ion
à New York). Ils jouent un rôle très important dans
les secteurs du tourisme, de la confection, de l'électr
onique,du bâtiment et des loisirs au sein de l'économie
locale. Dans l'ensemble pourtant, l'État dominicain s'est
montré indifférent et a ignoré ces développements
(L. E. Guarnizo, 1994).
Une expérience similaire, mais culturellement
unique, a été rapportée par David Kyle (1994) dans son
étude sur la communauté indigène des Otavalos sur
les hauts plateaux équatoriens. Traditionnellement, la
région d'Otavalo s'est spécialisée dans la production
et le commerce des vêtements, en développant et en
adaptant, depuis la colonisation espagnole, de nou
veaux savoir-faire artisanaux. Depuis environ un quart
de siècle, les Otavalos ont pris l'habitude de voyager à
l'étranger pour vendre leurs marchandises colorées
dans les grandes villes d'Europe et d'Amérique du
Nord. Ils peuvent ainsi récupérer eux-mêmes la valeur
d'échange empochée ailleurs par les intermédiaires
entre producteurs du tiers monde et consommateurs du
premier monde. Après des années de périples à l'étran
ger,
ils ont aussi rapporté chez eux quantité de nou
veautés
des pays développés, et même amené des
nouveaux venus dans leur ville. Dans les rues d'Ota
valo, il n'est ainsi pas rare de croiser des Européennes
vêtues de costumes indigènes traditionnels ce sont les
femmes de ces commerçants transnationaux, rencont
rées
au cours de leurs voyages au long cours.
Pendant cette même période sont apparues à
l'étranger des enclaves Otavalos plus ou moins perman
entes. Leur caractéristique est que leurs membres ne
vivent pas du travail salarié, ni même d'un emploi indé
pendant
au sein de la communauté, mais de la comm
ercialisation
de produits venus d'Equateur. Ils entre
tiennent
une communication constante avec leur ville
natale pour s'approvisionner, gérer leurs telares
(« magasins de vêtements ») et acheter des terres. Les
allers et retours incessants nécessaires à ces échanges
ont fait des Otavalos des silhouettes familières, non
seulement à l'aéroport de Quito, mais aussi sur les mar
chés de New York, Paris, Amsterdam et d'autres
grandes villes. Selon Kyle, les Otavalos ont même pris
conscience de la valeur commerciale de leur folklore
et, ces dernières années, des groupes de musiciens sont
éclos un peu partout dans les rues des métropoles des
pays avancés.
La vente de ponchos colorés et de lainages au son
des notes plaintives de la flûte andine (la quenä) s'est
révélée tout à fait rentable. Le succès économique de ces
migrants indigènes apparaît clairement dans leur refus
quasi systématique d'accepter un travail salarié et dans
la prospérité évidente de leurs villes d'origine. Otavalo
est, à cet égard, radicalement différente des autres
régions des hauts plateaux andins. En effet, les Indiens,
entrepreneurs et migrants de retour, y composent une
bonne part de la haute société locale, renversant la
domination traditionnelle des élites blanches et mestizo.
À l'instar de la République dominicaine, le Salvador
est un pays profondément influencé par les activités
transnationales de ses communautés d'expatriés. Là,
c'est au départ une violente guerre civile qui a poussé
nombre de Salvadoriens à partir à l'étranger, au point
que le paysage économique et social en a été irrémé
diablement
bouleversé. En 1996, on estimait à environ
1,26 milliard de dollars les envois de fonds de l'étran
ger,soit un montant supérieur à la somme totale
des exportations du pays (P. Landolt, 1997). Mais
l'influence des entreprises transnationales salvadoriennes va bien au-delà de ce chiffre. De grandes entre
prises de voyages et de livraisons sont nées de petits
commerces informels pour répondre aux besoins variés
de la communauté émigrée et de ses partenaires au Sal
vador.
Les capitaux des émigrés ont financé une large
palette d'activités, depuis les nouvelles échoppes «texmex »> de San Salvador, la capitale, jusqu'aux magasins
d'informatique et de vidéo bien garnis, même dans les
grandes villes de province comme San Miguel 6.
À leur tour, les banques et les entreprises import
antes du Salvador ont fini par considérer les grandes
concentrations d'immigrés des villes d'accueil des pays
avancés comme un nouveau marché et un moyen
d'expansion rapide. Ainsi, la Constancia Bottling Com5 - Ces observations s'appuient sur une série d'entretiens conduits par
l'auteur et par une équipe de chercheurs dirigée par le professeur Car
los Dore de la Latin-American School of Social Sciences (FIASCO) dans
la République dominicaine à l'automne 1996.
6 - Ce bref résumé se base sur des entretiens menés avec des informa
teurs
des communautés salvadoriennes de Washington DC et de Los
Angeles et de deux villes d'émigration importantes au Salvador San
Salvador, la capitale, et San Miguel. Les entretiens ont été menés par
une équipe de terrain dirigée par Patricia Landolt de l'université John
Hopkins et Luis E. Guarnizo de l'université de Californie-Davis, en
coopération avec le FUNDE, une ONG salvadorienne de recherche.
L'équipe de recherche du Salvador était dirigée par Mario Lungo et
Sonia Baires. Ces entretiens font partie d'un projet d'étude comparative
dirigé par l'auteur. Pour une plus ample présentation de ces résultats,
voir Baires et Landolt (1997).
:
20
La mondialisation par le bas
21
:
:
pany (bières et limonades) a implanté une usine à Los auprès des banques les plus importantes. Pour
Angeles pour ravitailler la population immigrée. De répondre au boom de la demande de prêts immobiliers
même, la chambre de l'industrie et du bâtiment du traités dans leur propre langue, les entrepreneurs sont
Salvador (CASALCO) y a organisé de véritables salons allés à Taïwan et à Hong Kong réunir des capitaux pour
de l'immobilier, afin de développer la demande déjà fonder de nouvelles banques, et de nouveaux immigrés
respectable de nouveaux logements par les Salvado- sont arrivés aux États-Unis avec les ressources finan
riens émigrés. Comme en République dominicaine, les cières nécessaires. Le résultat est la prolifération, à Flu
expatriés se sont vu attribuer un nouveau nom dans la shing, de banques tenues par des Chinois. Même si elles
culture salvadorienne el hermano lejano (le frère loin demeurent de taille modeste au regard des normes
tain). En appeler à la solidarité et aux ressources de tels habituelles, elles servent à la fois les intérêts écono
« frères » est devenu un moyen essentiel de survie, non miques de la communauté immigrée et ceux de leurs
seulement pour les familles, mais pour des communaut lointains investisseurs.
és
entières.
À cinq mille kilomètres à l'ouest, la ville de Monter
Conséquence de leur fuite des horreurs de la guerre ey
Park, en Californie, s'est transformée en « première
civile, et peut-être aussi de leurs origines essentiell banlieue chinoise » en grande partie grâce à l'activité de
ement
rurales, les Salvadoriens à l'étranger conservent riches nouveaux arrivants (Fong, 1994). De nombreux
des liens extrêmement forts avec leurs villages natals. entrepreneurs de Taïwan et Hong Kong ont créé des
Des dizaines de comités de pueblo (comités villageois) entreprises dans cette région, moins en vue d'un profit
ont vu le jour à Los Angeles, Washington et Houston immédiat que pour se protéger de l'instabilité politique
pour soutenir ces communautés d'origine et faire avan et de la menace de la prise de pouvoir par la Chine
cerdes projets locaux de développement. Landolt communiste. L'ouverture d'une nouvelle société aux
(1997, p. 20) résume ainsi l'impact de ces efforts sur le États-Unis facilite l'obtention d'un visa de résident per
développement local « À l'instar du contraste entre les manent
et de nombreux propriétaires font ensuite venir
familles qui reçoivent des envois d'argent et celles qui leur famille et l'installent à Monterey Park, alors qu'euxn'en reçoivent pas, l'opposition entre les municipalités mêmes continuent de traverser régulièrement le Paci
qui bénéficient de cette "aide transnationale de base" et fique.
celles qui n'en bénéficient pas souligne l'intérêt écono
L'activité de ces «astronautes», selon le surnom qui
mique de ces stratégies collectives d'envoi d'argent. Les leur a été attribué, ajoute une nouvelle strate à une com
villages disposant d'une association villageoise à munauté
transnationale déjà complexe. Dans ce cas, en
l'étranger jouissent de routes pavées et de l'électricité. effet, les émigrés de retour au pays n'investissent pas le
Leurs équipes de foot ont de meilleurs équipements, capital qu'ils ont épargné aux États-Unis dans de nouv
des maillots plus à la mode et même un terrain bien elles entreprises locales, mais ce sont plutôt les immig
entretenu où elles s'entraînent. »
résqui apportent avec eux de nouveaux capitaux pour
Un dernier exemple porte sur les communautés investir dans des entreprises américaines. La naissance
d'immigrés beaucoup plus puissantes économiquem d'un enfant sur le sol américain garantit la citoyenneté
ent.
La croissance des communautés asiatiques, américaine et ancre définitivement la famille dans son
notamment chinoises, aux États-Unis, a offert aux riches nouveau pays. À la suite de la réussite du double proces
entrepreneurs de Taïwan et de Hong Kong des possibil sus
d'investissement productif et d'acquisition de la
ités
d'investissements à haute rentabilité aux États-Unis, citoyenneté, les immigrés chinois à Monterey Park sont
et, ce faisant, ils se sont eux-mêmes intégrés à la comainsi rapidement passés du statut de nouveaux arrivants
munauté
transnationale. Smith et Zhou (1995) expli marginalisés à celui de membre à part entière de la
quent comment la croissance rapide de l'accession à la classe des affaires de la ville (Fong, 1994).
propriété par les Chinois à Flushing, dans la banlieue de
J'ai longuement insisté sur ces exemples pour donner
New York, a été largement financée par de nouvelles une crédibilité à un phénomène qui, lorsqu'on l'évoque
banques chinoises fondées grâce à des capitaux de Ta pour la première fois, dépasse l'imagination. Une multi
ïwan et de Hong Kong. La population chinoise aug tude d'autres exemples auraient pu être évoqués, tels
mente très vite à Flushing et dans les cités adjacentes du ceux rassemblés par Basch et ses collaborateurs dans
Queens, et désire fortement devenir propriétaire, mais leur ouvrage collectif innovateur (L. Basch, N. Glick
elle ne maîtrise pas suffisamment l'anglais et ne pré Schiller et C. Blanc-Szanton, 1994). L'idée majeure qu'ils
sente pas assez de garanties pour obtenir un crédit illustrent est que, une fois lancé, le processus transnatio-
22
Alejandro Portes
:
:
nal acquiert un caractère cumulatif qui se traduit par miques innovantes en communautés transnationales,
l'expansion non seulement du volume de ses activités, caractérisées par des réseaux géographiquement denses
mais de leur variété. Par conséquent, alors que la pre et par un nombre croissant d'individus menant une vie
mière vague de ces activités semble peut-être plus écono double. Les membres sont au minimum bilingues, et
mique et ses initiateurs des entrepreneurs transnationaux passent facilement d'une culture à l'autre ; ils possèdent
au sens strict, les activités qui s'ensuivent embrassent souvent un domicile dans les deux pays et poursuivent
aussi les sphères politiques, sociales et culturelles.
des activités économiques, politiques et culturelles qui
Attentifs aux initiatives des entrepreneurs émigrés, nécessitent leur présence dans l'un et l'autre à la fois. Il
les partis politiques et même les gouvernements éta n'est pas inutile de répéter que l'émergence de ce pro
blissent
des bureaux à l'étranger, afin de solliciter le cessus
et son développement sont alimentés par les
soutien financier et électoral des communautés d'émi mêmes forces qui président à la mondialisation capital
grés. Pour ne pas être en reste, beaucoup de groupes isteà grande échelle. Marx décrivait le prolétariat
d'émigrés organisent des comités politiques pour comme créé et placé sur la scène de l'Histoire par ses
soutenir le gouvernement de leur pays d'origine, ou, futurs adversaires de classe ainsi le capitalisme mondial
comme c'est le cas de nombreuses initiatives d'immi a donné naissance à des conditions et des incitations qui
grés
du Salvador et de République dominicaine, pour favorisent la transnationalisation du travail.
influencer les municipalités locales sur des sujets
Il est toutefois important de noter que tous les immi
variés. À titre de nouvel exemple, les immigrés mexi grés ne sont pas impliqués dans des activités transna
cains de New York ont organisé de vigoureuses camtionales, et que tous leurs compatriotes ne sont pas tou
pagnes
pour encourager une politique de travaux chés par leurs incidences. La soudaine popularité du
publics dans leurs villes natales. Smith raconte la réac terme pourrait laisser croire que tout le monde aujour
tion du Comité pour l'eau potable de Ticuani (Puebla) d'huiest devenu «transnational», ce qui est loin d'être
à l'annonce de l'arrivée tant attendue des canalisations le cas. C'est en ce sens qu'il ne semble guère pertinent
et, avec elles, la résolution définitive des problèmes de rebaptiser les immigrés « transmigrants », puisque ce
d'eau de la ville. On prépara immédiatement la visite nouveau terme n'ajoute rien qui ne soit déjà connu. Il
de la nouvelle installation «À première vue, ce n'est est préférable de réserver l'appellation «transnatio
rien de plus qu'un projet civique comme un autre... nales
» aux activités de type économique, politique ou
Pourtant, à y regarder de plus près, la signification de culturel nécessitant que les protagonistes y consa
cette scène devient tout autre. Le Comité et moi ne crent la majeure partie de leur temps de manière
sommes pas réunis à Ticuani, mais bien au centre d'un régulière. En conséquence, le négociant salvadorien
carrefour encombré de Brooklyn... Les membres du qui rentre périodiquement se réapprovisionner au pays
Comité ne vont pas simplement à la périphérie de la ou l'industriel dominicain du bâtiment qui vient régu
ville vérifier les conduites d'eau, mais ils sont en route lièrement
à New York faire de la publicité auprès de
pour l'aéroport John Fitzgerald Kennedy où ils pren ses compatriotes, sont des entrepreneurs transnatio
dront un vol pour Mexico ce vendredi après-midi ; de naux.
En revanche, l'immigré qui achète une de ces
là, ils rouleront cinq heures jusqu'à leur pueblo, discu maisons ou qui rentre chez lui une fois par an, les bras
teront avec les autorités et les maîtres d'oeuvre, puis chargés de cadeaux pour ses parents et amis, n'en est
s'en retourneront lundi après-midi reprendre leurs pas un. Ce qui pose la question des causes de l'émer
occupations à New York. »
gence de ce phénomène original et de son impact sur
Les Églises et les organes caritatifs privés se sont les inégalités nationales et internationales.
joints au mouvement et ont lancé un nombre crois
sant d'initiatives impliquant à la fois les communautés
d'immigrés et leur pays natal. Et le phénomène va jus Structure et conséquences
qu'à se couvrir d'un vernis culturel grâce aux artistes et de la transnationalisation
interprètes locaux qui se servent des communautés
expatriées comme d'un tremplin pour acquérir une
Si la situation à laquelle sont confrontés les immig
notoriété dans les pays développés, et grâce aussi aux rés contemporains présente des similarités avec celle
artistes de retour au pays qui popularisent des formes qu'ont affrontée leurs prédécesseurs européens en
artistiques découvertes à l'étranger. Le résultat de ce pro route pour les États-Unis au début du siècle, il reste que
cessus cumulatif est la transformation d'initiatives
ces derniers n'auraient vraisemblablement pas opté en
La mondialisation par le bas
23
.
:
:
faveur de l'entreprise transnationale comme moyen de
survie ou de mobilité sociale. Deux traits majeurs di
stinguent
cette époque de la nôtre une abondance
d'emplois salariés relativement bien payés dans l'indust
rie,et des transports à longue distance coûteux et
lents. La première caractéristique n'encourageait pas
l'éclosion de nouvelles entreprises mais permit la
constitution, au fil des ans, de communautés ouvrières
ethniques stables. La plupart des Polonais et des Ita
liens devinrent ouvriers aux États-Unis et non entrepre
neurs
parce que, au moment de leur arrivée dans les
villes industrielles américaines, les possibilités offertes
par le marché du travail faisaient du salariat une option
attirante. Aujourd'hui, au contraire, les salaires très
faibles et la précarité des emplois du secteur tertiaire
incitent fortement les immigrés à rechercher d'autres
voies d'insertion économique.
En second lieu, l'état des moyens de communicat
ion
et de transport au début du siècle était dissuasif
pour tous les immigrés qui auraient voulu gagner leur
vie en jouant de l'écart entre leurs pays d'origine et
d'accueil, ou vivre deux vies simultanées de part et
d'autre de l'océan. Il n'était pas possible de traverser le
Pacifique dans les deux sens rapidement. Les paysans
polonais n'avaient aucun moyen de rentrer chez eux le
week-end pour vérifier que tout se passait bien, puis de
reprendre, le lundi, leur travail à New York. Même si
les anciens immigrés européens menaient certaines
activités qui auraient pu être qualifiées de « transnatio
nales
» au sens strict, le phénomène actuel s'en dis
tingue
par trois caractéristiques d'abord la quasi-ins
tantanéité des communications internationales ; puis le
volume des personnes et des biens engagés dans ces
activités; enfin le fait qu'une masse critique atteinte,
elles tendent à devenir « normatives »
L'avion, le téléphone, le fax, le courrier électronique
facilitent les contacts et les échanges entre les individus
de condition modeste à une échelle incomparable à ce
qui pouvait avoir lieu il y a un siècle. Pour cette raison,
et compte tenu des incitations économiques, politiques
et culturelles en ce sens, de plus en plus d'immigrés et
de plus en plus de partenaires locaux mènent des acti
vités transnationales. Une fois le processus lancé, il
prend un caractère cumulatif de telle sorte qu'à un
moment donné, il devient « la » solution, non seulement
pour les initiateurs du mouvement, mais même pour
ceux qui se montraient réticents au départ. Les commun
autésd'immigrés comme Monterey Park et les villes à
forte activité transnationale du Salvador ou de la Répu
blique dominicaine s'approchent de ce stade.
Soulignons pour conclure que les entreprises trans
nationales
ne reposent pas sur une opposition aux stra
tégies des grandes banques et des multinationales. Les
activités à l'échelle planétaire de ces acteurs majeurs ser
vent de modèles et incitent des individus ordinaires à
s'engager dans une stratégie alternative novatrice qu'il
était impossible de concevoir auparavant. En combinant
leur nouveau savoir-faire technologique à la mobilisat
ion
de leur capital social, d'anciens travailleurs immigrés
sont donc capables d'imiter les entreprises dominantes
en tirant avantage des possibilités économiques inégale
ment
réparties dans l'espace.
Les potentialités à long terme du travail transnational
s'opposent à l'accroissement des inégalités de richesses
et de pouvoir internationales et intranationales. Ce pro
cessus a en effet pour résultat d'affaiblir l'une des pré
mices de l'hégémonie des élites économiques et des
classes dominantes nationales, à savoir le postulat selon
lequel la force de travail et les classes dominées restent
« locales » alors que les classes dominantes rayonnent de
manière « globale ». Jusqu'à présent, le processus n'a pas
été jusqu'à mettre en péril les viviers de main-d'œuvre
du tiers monde pour les multinationales délocalisées,
ni l'abondance de travailleurs immigrés pour les
employeurs des pays avancés. Il a toutefois pris une
ampleur suffisante pour que les autorités de petits pays
comme le Salvador ou plus grands comme le Mexique
aient mis sur pied une politique de contrôle ou de coopt
ation de cet entreprenariat de base. Si, à long terme,
l'entreprise transnationale peut devenir une force d'égali
sation, elle peut à court terme avoir l'effet contraire.
Comme l'a déjà observé Patricia Landolt à propos des
disparités croissantes entre les localités d'émigration dont
les membres expatriés ont constitué un comité à l'étran
ger,
et celles où ce n'est pas le cas. Les entrepreneurs
transnationaux qui ont réussi en font profiter leur famille,
et parfois leur communauté, mais cherchent aussi à él
iminer la concurrence venue d'ailleurs. Les hommes poli
tiques au pouvoir grâce à la mobilisation et au soutien
des immigrés consolident localement leur propre parti,
ils essaient toutefois aussi d'empêcher les autres d'avoir
accès à la même manne. Par conséquent, tant que le pro
cessus
de transnationalisation est court-circuité par les
activités de régulation et de cooptation des élites établies,
il ne fait que permettre à une minorité d'entrepreneurs
qui ont réussi de rejoindre les rangs de ces élites, tout en
continuant à exclure les autres. Les inégalités entre les
familles et les communautés locales du tiers monde sont
exacerbées et non atténuées par les activités transnatio
nales
des émigrés.
24
Alejandro Portes
II y a malgré tout une bonne raison d'être optimiste
quant aux effets à long terme de ce phénomène. Mal
gré les récupérations et les contrôles, prévisibles et
même inévitables, par les gouvernements des pays de
départ et par les multinationales, le processus de mond
ialisation
capitaliste a une base si large et un tel essor
qu'il génère continûment de nouveaux mouvements
d'évasion et d'opposition. Chaque nouvel effort visant
à développer le marché des téléphones portables, de
l'accès à Internet ou des billets d'avion à meilleur mar
ché dans les pays en développement, chaque initiative
d'employeurs de New York ou de Los Angeles pour
réunir de nouveaux contingents de main-d'œuvre
immigrée docile, renforcent ce processus de rétroact
ion.
Les cibles de ces initiatives ne sont pas de simples
« clients » ou « travailleurs » , mais des individus capables
de réagir de manière créative aux nouvelles situations
auxquelles ils se trouvent confrontés. Les élites multi
nationales
et les gouvernements nationaux peuvent
croire que le processus transnational est encore trop
faible pour remettre en question de quelque manière
que ce soit le statu quo. En vérité, le tigre s'est peut-être
déjà échappé de sa cage, et il ne sera pas facile de la
refermer sur lui.
Traduit de l'anglais parAurélle Filippetti et Loïc Wacquant
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