Nouvelles réflexions sur l`écriture de romans policiers On assiste

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Nouvelles réflexions sur l`écriture de romans policiers On assiste
Nouvelles réflexions sur l’écriture de romans policiers
On assiste depuis une trentaine d’années, et principalement chez des auteurs anglophones, mais pas
uniquement, à l’apparition d’une page de remerciements dans des romans policiers, de suspense ou
de pure fiction. Parfois même des livres sont cités, en guise de bibliographie embryonnaire. Voici une
brève liste de quelques auteurs de romans policiers, et non des moindres, avec le nombre de
personnes ou d’entités remerciées dans l’un de leurs romans :
Ruth Rendell, Le journal d’Asta : 5 + 1 livre.
P. D. James, Un certain goût pour la mort : 2.
Robert Van Gulik, Trois affaires criminelles résolues par le juge Ti : 1
Mary Higgins Clark, Recherche jeune femme aimant danser : 5.
Tony Hillerman, Le dernier aigle : 8.
Dennis Lehane, Le dernier verre avant la guerre : 11.
Elizabeth George, Anatomie d’un crime : 9.
R. J. Ellory, Les Anges de New York : 3.
Michael Connelly, Los Angeles River : 21 + 2 livres.
Sue Grafton, R comme Ricochet : 24.
Henning Mankell, La muraille invisible : “Je remercie tous ceux qui m’ont aidé à écrire ce livre”
Martin Cruz Smith, Les loups mangent les chiens : 27
Pierre Christin, Petits crimes contre les humanités : 9
Jean Failler, Les fautes de Lammé Bouret : 4.
Petros Márkaris, Le Che s’est suicidé : 5.
Arturo Pérez-Reverte, Cadix ou la diagonale du fou : 16 (dont 2 directeurs de musée) + 2 livres + 1
journal.
On en trouve même chez des auteurs de fiction pure, par exemple :
Cinda Williams Chima, Les 7 royaumes : Le Roi Démon : 15.
George R. R. Martin, Le trône de fer : Un festin pour les corbeaux : 17.
On peut classer ces personnes ou entités remerciées selon trois catégories : ceux qui ont apporté un
support matériel ou moral à l’écrivain pendant l’écriture du roman (famille, amis…), ceux qui lui ont
apporté une aide rédactionnelle (correcteurs, éditeur…) et, enfin, ceux qui lui ont apporté la
connaissance de faits ou de procédures réels qui seront utilisés dans son roman (policiers, juristes,
médecins…). En effet, quelle meilleure façon de faire ressortir l’horreur des crimes, l’habilité et le
courage des détectives, que de les placer dans un environnement aussi crédible que possible. Les
auteurs cités ci-dessus – et bien d’autres - passent une partie de leur temps à se documenter, parfois
avec une minutie maniaque (c’est le cas de Pérez-Reverte dans son roman policier-historique), pour
rendre leurs inventions cohérentes avec un fond aussi réaliste que possible, fond qui rendra
l’ensemble crédible. En tout cas, par ces remerciements, ces auteurs manifestent que leurs œuvres
sont le fruit d’interactions et de gestations patientes, que pour eux, « fiction » n’est pas synonyme de
« n’importe quoi ».
Pour illustrer d’un exemple concret cette réflexion, et sans vouloir un instant me comparer à ces
illustres auteurs professionnels (professionnel = personne qui gagne sa vie en exerçant régulièrement
une activité rémunérée), je vais vous expliquer la genèse de mon récit Mary aux Landes, dans sa
première version, disponible sur ce forum.
Le point de départ fut la rencontre, dans les années 70, d’un certain monsieur de Poulpiquet,
Directeur de la Logistique chez Philips France S.A., alors que je travaillais chez une autre filiale du
groupe, Philips Data Systems. Monsieur de Poulpiquet exerçait des responsabilités considérables, il
gérait les deux entrepôts français de produits grand public du groupe (son, vidéo, électroménager), les
commandes des clients (Darty, FNAC, Boulanger… et les boutiques indépendantes), la facturation, le
réapprovisionnement, les transports… Il nous a supportés, mon collègue Freddy H. et moi, avec une
grande courtoisie.
Le mot est reparu au hasard d’une lecture, dix ans plus tard, où je suis tombé sur le mot « korrigan ».
J’ai consulté un bon dictionnaire, Le Petit Robert, et j’y ai trouvé pour illustrer le mot une citation
d’Anatole France : « korrigans, poulpiquets et nains noirs… » Ah, poulpiquet, qu’est-ce ? Nulle
mention dans le dictionnaire, ce qui était surprenant. J’ai donc écrit au Petit Robert, voici leur
réponse :
Je n’ai pas eu d’autres nouvelles du Robert, mais une dizaine d’années plus tard, dans une
e
bibliothèque municipale de Paris 20 , j’ai feuilleté un beau livre, La Grande encyclopédie des Lutins,
texte de Pierre Dubois, splendides illustrations de Claudine et Roland Sabatier, édité en 1992 à Paris
par les éditions Hoëbeke. J’y ai lu que : « le peuple des Korrigans….est divisé en quatre
peuplades…Ceux qui habitent les vaux s’appellent Poulpikans, Poulpicans ou Poulpiquets, c'est-àdire qu’ils ont leurs terriers dans les lieux bas et humides. » Enfin la terminologie légendaire bretonne
m’était dévoilée !
Le pas suivant fut de consulter les Pages Blanches de l’annuaire des téléphones de Paris et plus tard,
grâce à Internet, celui d’autres villes bretonnes (non, Paris n’est pas une ville bretonne). En ce
moment, y figurent onze de Poulpiquet à Paris, sept à Brest, onze encore à Rennes, un à proximité de
Vannes… D’où peut venir ce nom de famille ? D’être originaire d’un lieu réputé hanté par des
poulpiquets (comme les Dubois, Dupont, Dupin…) ou d’avoir eu un ancêtre appelé « poulpiquet » à
cause de son aspect (comme les Leblond, Lenoir, Petit…), j’imagine.
Tout ceci, resté en réserve dans ma mémoire et mes archives, est remonté à la surface, attiré par une
« réalité virtuelle », celle créée par Jean Failler dans ses romans « Mary Lester » et offerte sur le
premier forum de ses lecteurs fidèles. Certains éléments de cet environnement étaient les suivants :
Mary avait hérité d’une sorcière bretonne, une gwar’ch, une baguette magique, un chat hors du
commun et des pouvoirs magiques, dont ceux de guérir ou de rendre malade. Les lecteurs de Jean
Failler demandaient une autre aventure mettant en jeu ces éléments, j’ai donc sauté sur l’occasion.
Comment faire converger Mary Lester et les poulpiquets ? En appelant à la rescousse quelque chose
présumée connue par la majorité des lecteurs : la mythologie grecque, avec ses Zeus et ses Apollons
s’accouplant à des mortelles et leur faisant parfois des enfants, et la mythologie chrétienne, avec ses
incubes et succubes et ses sorcières faisant l’amour avec Satan. Que Mary, présentée par son
inventeur comme jeune et belle, puisse être désirée par un lutin anthropomorphe, ce n’était que la
transposition d’une ancienne croyance. D’où l’invention, purement imaginaire celle-là, d’une troisième
source pour le patronyme Poulpiquet.
Où mieux placer cette relation conflictuelle que dans un lieu conflictuel, breton ou dans son voisinage
immédiat ? Le projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes était tout indiqué. Nouvelle facette de
l’envie qu’on beaucoup d’hommes politiques de passer à la postérité en faisant édifier une œuvre
pharaonique : en France, le palais de Versailles de Louis XIV, le Centre de Georges Pompidou, la
Bibliothèque de François Mitterrand, le musée des Arts Premiers de Jacques Chirac, l’Ayraultport de
Jean-Marc Ayrault… D’où consultation de la carte Michelin de la région. Oui, un hameau dit La
Buchère. Je l’ai agrandi en village en remplaçant la bûche par quelque chose de plus volumineux, le
stère. Oui, un ruisseau, le Plongeon, qui me fournissait le « lieu bas et humide », propice aux
poulpiquets, dont l’assèchement serait fatal à mon personnage imaginaire. Et aussi un endroit parfait
pour une hôtellerie des Trois Grenouilles, dirigée par une Mme Frosch (Grenouille, en alsacien).
Enfin, pour un épisode qui sera supprimé si jamais cette histoire est éditée un jour, un réfugié
républicain espagnol. C’est que le 22 octobre 1937 est arrivé, en pleine tempête, dans le port de
Quiberon, le chalutier espagnol Mar del Medio en provenance de Gijón, avec, à son bord, serrés
comme des sardines, 158 hommes, 4 femmes et un petit garçon qui fuyaient les massacres perpétrés
par les troupes marocaines sous le commandement du colonel Yagüe. D’autres débarquements
eurent lieu plus tard en Bretagne, notamment en provenance de Santander. Certains de ces réfugiés
rentrèrent en Espagne, d’autres partirent au Mexique ou au Chili, d’autres restèrent en France dont
certains rejoignirent la Résistance de leur plein gré ; et d’autres, malgré eux, le camp de Dachau ou le
STO. Et j’ai bien lu que des travailleurs obligés de participer à la construction des blockhaus du Mur
de l’Atlantique ou de la base de sous-marins de Saint-Nazaire avaient, quand l’occasion se présentait,
jeté des arbres entiers dans le béton, dans l’espoir de le fragiliser. Hélas, cela n’a pas marché. J’ai
l’intention de supprimer cette partie, car elle est étrangère et inutile au reste du récit, elle ne servait
qu’à le rallonger un peu.
Voici donc les briques, solides et bien documentées, qui ont permis de bâtir le récit Mary aux Landes.
Le reste, c’est le mortier qui les relie et c’est là que l’imagination peut se donner libre cours tout en
conservant une vraisemblance relative au cadre choisi. J’avoue en toute immodestie que je suis assez
fier de deux de mes trouvailles. De comparer le sortilège lancé par le lutin à certains logiciels
d’ordinateur (numéros de version et de service pack du sortilège). Mais surtout d’avoir, au temps de la
Révolution française, fait expulser de leur domaine les nobles poulpiquets par des lutins sans-culottes,
transposition de ce qui est arrivé en de nombreux endroits de France : à Anet, par exemple. Les
logiciels en question existent, la Révolution française a bien eu lieu.
Le cadre des romans de Jean Failler est réaliste. Pour s’en convaincre, il suffit de penser aux
descriptions de lieux si justes et détaillées, aux noms de voies et d’établissements vrais, aux
organismes administratifs et policiers bien existants, aux grades de la police et de la gendarmerie, aux
difficultés que rencontrent ses personnages. Le seul aspect irréel, ce sont les qualités sorcières de
Mary Lester et du chat Mizdu, qui sont tout de même traitées dans le cadre du folklore breton et non
purement fantaisistes. Bien sûr, même dans un cadre réaliste, l’auteur est en général obligé – ne
serait-ce que pour des raisons légales que Jean Failler, hélas, ne connaît que trop bien – de donner à
des rues, à des établissements, à des personnages, des noms imaginés, et même de prendre
quelques libertés avec l’action. Mais en écrivant un « À la manière de… », il convient de se garder
d’épisodes dont la vraisemblance est trop faible, surtout quand le même résultat peut être obtenu de
façon plus simple et réaliste.