Le nouveau réalisme selon l`artiste Jeff Wall

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Le nouveau réalisme selon l`artiste Jeff Wall
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Le nouveau réalisme selon l'artiste Jeff Wall
Le Monde.fr : Imprimez un élément
19/03/2010
19.03.10 15:30
Le nouveau réalisme selon l'artiste Jeff Wall
LE MONDE | 18.03.10 | 18h07 • Mis à jour le 18.03.10 | 18h07
es photographies sont modestes par leur sujet, folles par leur prix. Jusqu'à 480 000 dollars pièce.
Le Canadien Jeff Wall, 63 ans, fait partie de la dizaine d'artistes les plus cotés au monde. Il est aussi
l'un des meilleurs. Ce que prouvent la dizaine de nouvelles images présentées à la galerie Marian
Goodman, à Paris, et un livre.
Depuis "six ou sept ans", Jeff Wall réalise des photos en couleur, parfois en noir et blanc, qu'il qualifie
de "presque documentaires". Elles ont l'apparence du reportage et n'en sont pas. Elles évoquent la vie
réelle, avec des personnages qui font des gestes simples, à eux. Et pourtant, le spectateur est comme
hypnotisé par ce qu'il voit. Le très grand format joue son rôle, dit l'artiste : il lui permet de distiller des
énigmes et indices mystérieux propres à déboussoler la lecture. "Je suis fasciné par la ressemblance et
la complexité que permet une photographie."
Partons d'une image colorée et blanche. Nous sommes dans une maison de Vancouver. Deux hommes,
aux gants noirs, s'affairent, à la recherche d'indices. Un troisième, menaçant, apparaît sur le côté. Des
policiers après un crime ? Peut-être. L'événement nous échappe.
Jeff Wall a travaillé deux mois avec des policiers qui lui ont offert leur temps libre. Il a caché un objet
dans la maison et leur a demandé de faire leur job. Il les a filmés pendant des heures. Jeff Wall a
ensuite visionné ses bandes, et a retenu une scène que les policiers ont "rejouée" devant l'objectif.
Un policier se penche sur une boîte en carton comme un petit garçon qui cherche son jouet. Il oublie la
présence de l'artiste, se prend au jeu. "Ce n'est plus un boulot de policier, c'est de la curiosité. Cette
photographie devient un poème sur l'intimité. Et sur ce que vous pouvez ressentir quand des
étrangers pénètrent chez vous. Dans un reportage classique, le spectateur verrait la police en arme
qui pénètre dans la maison, arrête un suspect...", dit-il.
Jean-Luc Godard a dit que, dans la photo de presse, la légende compte plus que l'image. "Une légende
dans le journal, explique Jeff Wall, donne des éléments d'ordre pratique. Une femme pleure, on dit
pourquoi. Parce que le lecteur n'est pas là pour contempler une femme en train de pleurer mais pour
prendre position. Cela transforme la photo en instrument. Rien de mal à cela mais ce n'est pas une
relation artistique."
Plutôt qu'une légende, Jeff Wall donne un titre : Search of Premises (perquisition). "Je coupe la
relation pratique à l'image afin que quelque chose de bon puisse en sortir. Elle est réelle et ne l'est
plus. Ce "nouveau réalisme" est un équilibre entre engagement et recul. Ecrire un titre est une forme
de poésie. Au spectateur de s'accrocher à ce qu'il voit. S'il prend le temps, des choses émergent, et il
n'a plus besoin de légende."
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n'a plus besoin de légende."
L'artiste accorde autant d'importance au décor, qu'il considère comme "un acteur", qu'aux personnages.
"L'émotion de l'espace doit être aussi forte que celle des visages." Sa première photographie, en 1978,
était un intérieur vide et dévasté, comme après un cataclysme. Cette fois, il a choisi le décor après avoir
visionné des photos de centaines de maisons que lui a fournies un policier. "J'aime les couleurs blanche
et beige, la découpe des murs, l'emboîtement des formes. On dirait une toile de Mondrian. C'est
comme faire une peinture avec trois couleurs seulement, on peut se concentrer sur la composition."
La préoccupation du décor s'oppose à celle des photojournalistes, obnubilés par les gens, dit Jeff Wall,
tout en notant qu'un artiste comme Luc Delahaye arrive à donner ce qu'il appelle "un traitement
pictural à l'information".
Les autres photos présentées à la galerie oscillent elles aussi entre le réalisme, le "déjà-vu" et l'artifice.
Un couple mange des frites dans un sac, mais la fille semble aveugle et l'on se demande pourquoi ils
sont assis dans un amphithéâtre sale en plein air. Un homme torse nu lance un couteau vers un mur de
bois aussi riche qu'une sculpture de Rauschenberg. Mais que signifie le spectaculaire tatouage qu'il a
sur le dos et comment l'artiste a-t-il arrêté le couteau en vol - un instantané parfait ? Et à quoi pense
un autre personnage qui fixe la scène ?
Jeff Wall dit qu'il "rend visibles" des gens qui possèdent peu, font des petites choses, forment une sousculture. Regard social ? "Sans doute. Ces personnes ont besoin de lutter pour exister. Ces images
forment le paysage d'une époque économique mauvaise. Le monde ne parle que des célébrités. Moi,
c'est l'invisibilité sociale qui m'intéresse."
Ses armes empruntent au cinéma de Godard. "Dans Pierrot le fou, Belmondo lit de la poésie de façon
très théâtrale, avant d'agir de façon réaliste. En photo, on peut passer de l'artifice au réalisme. Mais
chacun a une idée préconçue de ce qui est réaliste. Il y a plein de gestes qui ne semblent pas
plausibles, alors qu'ils sont réels."
Jeff Wall réalise la quasi-totalité de ses photos chez lui, à Vancouver, une ville qui a 100 ans à peine.
Aucune ou presque n'est inscrite dans un décor historique. Ainsi, il n'a jamais fait de photos à Paris.
Mais il y pense.
"Jeff Wall", Galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, Paris-3 e. Du mardi au samedi, de 11 heures
à 19 heures. Jusqu'au 24 avril. Tél. : 01-48-04-70-52.
Jeff Wall : Complete Edition, textes collectifs (anglais), éd. Phaidon, 280 p., 59,95 €. Edition française
en septembre.
Michel Guerrin et Claire Guillot
Des images "pour rendre les gens heureux"
Une des forces de Jeff Wall est de livrer des photos d'une grande beauté formelle : couleurs attractives,
compositions audacieuses, décors riches. "Mes images sont faites pour rendre les gens heureux, dit-il.
On ne peut pas avoir de connexion avec une image s'il n'y a pas d'émotion." Une préoccupation pas
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vraiment dominante dans l'art contemporain, qui l'a parfois taxé d'"artiste bourgeois". Cette force
plastique est renforcée par la façon dont il a présenté ses images de très grand format pendant près de
trente ans : encastrées dans des caissons lumineux, comme les publicités des Abribus. A la galerie
Marian Goodman, il n'y a plus de caissons lumineux, mais des images simplement protégées par des
vitres. "Je suis fatigué du caisson lumineux, et je pense que mon public aussi. J'y reviendrai. C'est
juste un procédé que j'ai utilisé. Je n'ai jamais voulu être limité à ça. Aujourd'hui, il n'y a pas une
seule façon de faire de la photographie artistique." Cette liberté nouvelle est visible dans une image :
sa femme de dos, les mains dans un cyprès. Un instantané familial et magique. "Elle m'évoque
Matisse."
Article paru dans l'édition du 19.03.10
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