La règle de St Benoît - Sciences Administratives

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La règle de St Benoît - Sciences Administratives
La règle de St Benoît, un outil pour le management1
Ce texte du VI eme siècle, qui édicte les modes de fonctionnement d'êtres humains devant
assurer leur vie matérielle et leur développement spirituel, tout en tenant compte des
bouleversements de l'époque, distille des concepts étonnamment modernes
Existe-t-il des règles pérennes en matière de management des hommes et des
équipes ?
Un texte du Vle siècle, la règle de saint Benoît, est une référence possible. Ecrit entre 537 et
547, il a pour fonction d'organiser la vie des moines vivant en communauté (cénobites) et
s'intéresse aussi bien à l'activité qu'aux individus. La situation du monde occidental à cette
époque est particulièrement complexe et trouble, marquée par des changements de fond
liés, notamment, à la première vague d'invasions barbares qui pulvérise l'univers
méditerranéen.
Les valeurs du vieil Empire romain sont chancelantes, les métissages se multiplient, les
cultures subissent des chocs qu'on peut qualifier de tectoniques, provoquant un chaos
social, intellectuel et moral. Ces changements ne se succèdent pas aussi rapidement que
ceux que nous vivons aujourd'hui, mais on peut cependant hasarder l'hypothèse que le
monde d'alors vit une répétition générale lointaine de notre actuelle mondialisation.
C'est sans doute pour cet ensemble de raisons que la règle de saint Benoît, qui édicte les
modes de fonctionnement d'êtres humains devant assurer à la fois leur vie matérielle et leur
développement spirituel, tout en tenant compte des bouleversements de l'époque, distille des
concepts étonnamment modernes et leur confère valeur de repères au-delà du temps.
La règle comporte soixante-treize chapitres. Certains sont évidemment périmés ou sans lien
avec l'entreprise, mais beaucoup représentent de subtils traités de management, riches de
vérités simples, concrètes, adaptées à notre époque bousculée. C'est que l'auteur, avant de
l'écrire, a " travaillé " sur lui-même, choisissant son objectif (en l'occurrence, accéder à la
sainteté) et acceptant les contraintes nées de son choix. Après trois ans de solitude et
quelques péripéties didactiques, Benoît fonde en 529 un monastère. Il y rédige la règle qui
devient celle de la majorité des moines et moniales d'Occident, sous laquelle vivent encore
quelques milliers d'hommes et de femmes.
Un monastère est en soi une petite entreprise qui assure sa production, et parfois la
commercialisation de celle-ci. Le travail quotidien y est clairement réparti : chacun sait ce
qu'il doit faire.
Une première leçon de choses se tient là : la répartition des tâches individuelles est claire,
tandis que celles d'intérêt général sont réalisées à tour de rôle. Les " équipes " du monastère
se limitent à dix personnes (décadies). Benoît a sans doute appris qu'il est difficile, voire
déraisonnable, de " manager " plus de dix individus à la fois. Lorsque le quota est atteint, on
essaime. Un nouvel abbé s'en va avec quelques moines vivre ailleurs, sous la même règle.
Mais celle-ci est suffisamment sage et souple pour laisser au nouveau " manager" une très
large autonomie, dans le cadre accepté. Il ne rendra de comptes à la maison mère que sur
l'essentiel: l'accomplissement de la mission.
Mais la clé de voûte de la règle reste le rôle de l'abbé du syriaque ( abba : père), comparable
sous beaucoup d'aspects à celui de " manager ". Benoît, qui sait de quoi il parle, n'aborde
l'autorité qu'en termes de responsabilité. " Une fois nommé, l'abbé considérera toujours
1
Brigitte de Saint Martin
directrice générale du cabinet Ephata Consultants. Expert de l'Association pour le progrès du management (APM), paru dans
Le Monde du 18 janvier 2 000.
quelle charge il a reçue. ( ... ) Il saura qu'il doit servir et non asservir [ch. 64, v. 71. " S'il
attribue à l'abbé une fonction majeure, il lui enjoint d'être sans cesse conscient de son rôle :
remplir sa mission et accompagner ceux qu'il dirige dans l'accomplissement de la leur. Le
management est bien un métier, il y faut une préparation, insuffisante aujourd'hui.
L'abbé est élu par l'ensemble de la communauté, sur des critères qui donnent à réfléchir : " Il
ne sera pas agité et anxieux ni jaloux ni soupçonneux, car il ne serait jamais en repos... [ch.
64, v. 16,171. " Un " manager " a besoin de disposer de temps de recul réels, lieux
d'expression éventuelle de son angoisse, de ses incertitudes. Une fois en fonction, " il doit
( ... ) savoir qu'on exige davantage de celui à qui on confie davantage. Qu'il sache aussi
combien est difficile et ardue la tâche qu'il assume ( ... ) et de se plier aux caractères
multiples. Il se conformera et s'adaptera à tous selon les dispositions et l'intelligence de
chacun [ch. 2, v. 30 et suivants] ". Cette dernière phrase souligne la donne incontournable
d'un management efficient : prendre chacun là où il est et l'accompagner plus loin.
En retour, le " managé " doit " donner et demander aux heures convenables ce qui doit être
donné et demandé [ch. 31, v. 181 ". S'il ne fait pas ce qu'il doit, " il sera admonesté une
première et une deuxième fois par ses anciens. "S'il ne s'amende pas, qu'il soit réprimandé
publiquement devant tous [ch. 23, v. 21 ". Et si, malgré tout, il s'obstine, " alors l'abbé usera
du fer pour amputer [ch. 28, v. 6 et 71 ". Nuls sévices corporels ici : ces mots signifient en
réalité que le moine sera exclu de la communauté. Il s'agit également d'éviter toute
humiliation vaine. Ne sont " licenciés " que ceux qui l'ont vraiment cherché, mais pour eux
finies les tergiversations. Pour autant, " l'abbé ne mettra pas le trouble ( ... ) en prenant des
dispositions injustes, comme s'il jouissait d'un pouvoir arbitraire... [ch. 63, v. 21 ".
Concernant la prise de décision, la position de Benoît mérite également réflexion. Elle
inverse ce qui se pratique généralement : " Chaque fois que des affaires importantes devront
être traitées au monastère, l'abbé convoquera toute la communauté et dira lui-même de quoi
il s'agit. Après avoir entendu l'avis des frères, il réfléchira et fera ce qu'il juge le plus utile [ch.
3 v. 1, 2]. " Chaque terme de cette phrase - qui ne ferait sûrement pas l'unanimité dans tous
les conseils d'administration - vaut qu'on le médite. Et, pour que l'esprit du verset ne soit pas
détourné, Benoît ajoute " Dans les affaires de moindre importance ( ... ), il prendra seulement
le conseil des anciens [ch. 3, v. 121. "
Prendre systématiquement le temps d'une réflexion personnelle sur le management avant de
devenir manager, permettre ainsi une compréhension réfléchie des mécanismes liés à ce
rôle, changerait probablement à terme le profil de nos entreprises. Entreprendre lecture
commune et réflexion sur la règle de saint Benoît avec des managers est d'ores et déjà un
exercice fructueux. Il y a quinze cents ans, des mots ont été pensés, écrits, puis ont traversé
le temps. Ils résonnent encore avec justesse.

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