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« Faire campagne au peuple » : quel impact sur l’électorat frontiste ?
Il a beaucoup été question depuis quelques semaines de la « droitisation » de la campagne de
Nicolas Sarkozy. En mettant l’accent sur certaines thématiques (immigration, construction
européenne, autorité, recours au référendum…), cette stratégie viserait à capter une frange
significative de l’électorat tenté par le Front National, soit dès le premier tour, en concurrençant
directement Marine Le Pen, soit au second tour, en améliorant le niveau des reports de cet électorat
sur Nicolas Sarkozy.
Certains thèmes mis en avant ces dernières semaines par le président sortant correspondent
clairement aux attentes profondes de l’électorat « mariniste ». C’est le cas, bien évidemment, de la
lutte contre l’immigration clandestine et de la lutte contre la délinquance, dont le caractère
prioritaire est principalement ressenti par cet électorat alors que l’importance de ces thèmes est
beaucoup plus relative dans l’ensemble de la population. En insistant fortement sur ces sujets,
Nicolas Sarkozy fait d’une pierre deux coups : il envoie un signal à l’électorat frontiste très focalisé
sur ces enjeux tout en répondant également aux attentes de son propre électorat, lui aussi assez
sensible à ces questions.
Le caractère prioritaire de certaines thématiques dans différents électorats
Lutte contre l’immigration clandestine
Hausse des salaires et du pouvoir
d’achat
Lutte contre le chômage
Lutte contre la délinquance
Santé
Education
Réduction de la dette publique
Electeurs
Le Pen
Electeurs
Sarkozy
46
33
Ecart Le
Pen /
Sarkozy
+29
+38
Ensemble
des
Français
36
54
Ecart Le Pen
/ensemble
des Français
+39
+17
75
71
67
65
52
48
46
68
49
43
44
72
-1
+16
+9
+4
-26
73
43
55
56
53
-6
+22
-3
-8
-7
Sondage Ifop pour Atlantico.fr réalisé par internet du 15 au 20 mars 2012 auprès d’un échantillon national représentatif de
1256 personnes
Les données présentées dans le tableau ci-dessus permettent aussi d’éclairer le choix du changement
de thématiques opéré par le candidat ces derniers mois. Alors que la réduction de la dette publique,
principale priorité de l’électorat UMP, mais préoccupation nettement plus secondaire aux yeux des
soutiens de Marine Le Pen, avait constitué avec le renforcement de la compétitivité de l’économie
française le cœur du discours de Nicolas Sarkozy jusqu’au début de cette année, elle a été remplacée
par les thématiques sécuritaires et migratoires lors de son entrée officielle en campagne.
1
Un impact non négligeable sur le premier tour
Quel a été l’effet de cette stratégie sur les rapports de force au premier tour ? L’évolution des scores
de Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy depuis le début de l’année indique clairement un creusement
des écarts entre ces deux candidats. Alors que la représentante du FN talonnait le Président sortant à
la fin du mois de janvier, la situation a sensiblement évolué depuis l’entrée en campagne de ce
dernier.
Evolution des intentions de vote en faveur de Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy
Meeting de
Villepinte
Meeting de N.
Sarkozy à
Bordeaux
Polémique sur le
halal
Interview dans
Le Figaro
Magazine
M. Le Pen à
Vienne et
interrogation sur
les 500
signatures
28,5
28,5
28
28 28
28 28
27,527,527,5
27 27 27
26,5
27 27
26,5 26,5
26,5
27
26,5
26 26 26
26
25,5 25,5
25,525,5
25
24,5
24
24,524,524,5
24,524,524,5
24
24 24
23,5
23,523,5
23 23
23,5
23 23
23,5
23
22
21,5
21 21
21,5
20
20
20
20 20
19,5
20,5 20,5
20
20,5
20
19,5
19
19,5
19,5
19
19
19
18,5
18,5
18
18
17,517,5
17,517,5
18,5
18
18 18 18
17,5
18,5
18
17,5
Nicolas Sarkozy
17,5
17
17 17 17
16,5 16,5 16,5
17 17
17 17
16
Marine Le Pen
Rolling poll Ifop / Fiducial pour Paris Match
La hausse dont a bénéficié Nicolas Sarkozy s’est en effet accompagnée d’un tassement concomitant
de Marine Le Pen. Et l’analyse des données du rolling poll de l’Ifop démontre que les deux
phénomènes sont bien liés. Durant cette période, le président sortant est parvenu à reconquérir une
bonne partie de ses électeurs de 2007 déçus, qui envisageaient de voter Marine Le Pen. Alors que
sur la période courant du 9 janvier au 11 février (date de parution de l’interview de Nicolas Sarkozy
dans Le Figaro Magazine qui allait donner le coup d’envoi et la tonalité de son entrée en campagne),
la candidate du FN obtenait en moyenne 15 % d’intentions de vote parmi les électeurs ayant voté
pour Nicolas Sarkozy au premier tour en 2007, cette proportion est tombée à 10 % en moyenne
depuis le 2 mars (date du meeting de Bordeaux et du lancement de la polémique sur le halal) et
atteint même 8 % actuellement (soit une baisse de 7 points dans cet électorat). Dans le même temps,
le président sortant est passé de 70 % d’intentions de vote dans son électorat de 2007 à 78 %
actuellement, soit une progression de 8 points dans ce segment stratégique, cette progression
représentant 2,5 points à l’échelle de l’ensemble du corps électoral.
2
Mais comme le montre le graphique ci-dessous, l’entrée en campagne tonitruante du candidat UMP
a également eu un impact dans un autre groupe, normalement acquis à Marine Le Pen : l’électorat
qui avait voté Jean-Marie Le Pen en 2007.
Evolution des intentions de vote en faveur de Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy parmi les électeurs
de Jean-Marie Le Pen de 2007
94
89
91
87
87
87
82
79
M. Le Pen
16
12
8
3
84
Meeting de
Villepinte
Meeting de
N. Sarkozy
à Bordeaux
Polémique
sur le halal
N. Sarkozy
5
81
Interview dans
Le Figaro
Magazine
M. Le Pen à
Vienne et
interrogation
sur les 500
signatures
7
84
3
13
10
9
3
Le 13/01/2012 Le 20/01/2012 Le 27/01/2012 Le 03/02/2012 Le 10/02/2012 Le 17/02/2012 Le 24/02/2012 Le 02/03/2012 Le 09/03/2012 Le 16/03/2012 Le 23/03/2012
Dans cet électorat, les intentions de vote en faveur de Nicolas Sarkozy sont passées d’une
moyenne de 5 % en début d’année à 11 % sur la dernière période (Marine Le Pen reculant
d’autant), soit un gain d’environ 0,6 point si l’on raisonne au niveau de l’ensemble du corps
électoral. Au total, sur cette séquence c’est donc pas moins de 3,1 points (2,5 + 0,6) que
Nicolas Sarkozy a repris à la représentante du FN.
Ce déplacement d’une partie de l’électorat ne s’explique pas pour autant uniquement par la stratégie
adoptée par Nicolas Sarkozy. Les difficultés rencontrées par Marine Le Pen durant cette période
(problème de la collecte des 500 signatures largement médiatisé et commenté pendant deux
semaines, polémique autour du bal de Vienne…) ont également freiné la dynamique frontiste et ont
pu favoriser le basculement d’une partie de son électorat potentiel vers Nicolas Sarkozy. Par ailleurs,
si cette stratégie de droitisation mais aussi plus globalement de « campagne au peuple », pour
reprendre l’expression du conseiller élyséen Patrick Buisson, a donné des résultats tangibles en
permettant à Nicolas Sarkozy de regagner une partie de l’électorat frontiste et de creuser
3
significativement l’écart avec Marine Le Pen1, la candidate du FN conserve toujours une bonne partie
de son électorat et au second tour ce dernier se reporte très imparfaitement sur le président sortant.
Des reports frontistes qui restent insuffisants au second tour
Comme le montre le graphique suivant, le niveau de reports des électeurs de Marine Le Pen sur
Nicolas Sarkozy au second tour s’est amélioré sur la dernière période puisqu’il est passé en moyenne
de 35 % durant la période comprise entre le 11 février et le 2 mars à 41 % en moyenne sur la
dernière séquence.
Reports des voix de Marine Le Pen (1er tour) pour le second tour
Meeting de
N. Sarkozy
à Bordeaux
Polémique
sur le halal
N. Sarkozy
43
41
38
39
37
36 36
36
40
38
35 35
26 25
22 21
19 19
39
22
25
24 24
34
35 35
39
36 36 36
35
43
43
42
39
32
42
42
39 38
38
34
34
34 33
33
43
42
26 27
26
16 23 22
23
21 22
20
38
36
41 41
17
M. Le Pen à Vienne
et interrogation sur
les 500 signatures
17
20 20
25
23
23
21
22
20 20 20
20
19
17
16 16
19 19
21
17
Meeting de
Villepinte
Interview dans
Le Figaro Magazine
20-23/03
19-22/03
17-21/03
17-20/03
15-19/03
13-16/03
12-15/03
11-14/03
11-13/03
09/03
11-12/03
03-07/03
03/08/03
03-06/03
01-05/03
28/02 - 02/03
24-29/02
27/02 - 01/03
24-28/02
23-26/02
21-24/02
20-23/02
18-22/02
18-21/02
16-20/02
14-17/02
13-16/02
11-15/02
11-14/02
09-13/02
07-10/02
06-09/02
04-08/02
04-07/02
02/02 - 06/02
31/01 - 03/02
30/01 - 02/02
29-31/01
29/01 - 01/02
26-30/01
24-27/01
23-26/01
F. Hollande
Pour autant, le niveau de ces reports est actuellement nettement insuffisant pour permettre à
Nicolas Sarkozy d’atteindre la barre des 50 % face à François Hollande. Il convient alors de
s’interroger sur les facteurs limitant ces reports et sur la façon dont se structurent les choix des
électeurs de Marine Le Pen concernant le second tour. L’analyse des priorités des différentes
composantes de l’électorat mariniste permet de fait ressortir un certain nombre de clivages.
1
et de revenir au niveau de François Hollande
4
Le caractère prioritaire de certaines thématiques dans les différentes composantes de l‘électorat de
Marine Le Pen
Ensemble des
électeurs Le
Pen
Lutte contre l’immigration clandestine
Hausse des salaires et du pouvoir d’achat
Lutte contre le chômage
Lutte contre la délinquance
Santé
Education
Réduction de la dette publique
75
71
67
65
52
48
46
Electeurs
Le Pen se
reportant
sur
Sarkozy
83
60
60
68
45
43
50
Electeurs
Le Pen se
reportant
sur
Hollande
71
82
73
56
61
46
43
Electeurs Le
Pen
s’abstenant
au second
tour
71
76
70
68
54
54
43
Sondage Ifop pour Atlantico.fr réalisé par internet du 15 au 20 mars 2012 auprès d’un échantillon national représentatif de
1256 personnes
Il apparaît ainsi que les attentes sur les questions sociales (pouvoir d’achat, emploi, santé) sont
nettement plus prononcées parmi les électeurs « marinistes » envisageant de se reporter sur
François Hollande ou de s’abstenir que parmi ceux déclarant vouloir voter pour Nicolas Sarkozy. Il y a
par exemple un écart de 22 points sur la hausse des salaires et du pouvoir d’achat et de 16 points sur
la santé entre les électeurs se reportant sur Hollande et ceux qui optent pour Sarkozy. A l’inverse, les
électeurs frontistes tentés par le président sortant citent davantage la lutte contre l’immigration
clandestine et la lutte contre la délinquance : 12 points d’écart par rapport à ceux qui lui préfèrent le
candidat socialiste.
Tout se passe comme si la ligne de partage des eaux dans l’électorat lepéniste correspondait au
niveau de sensibilité accordée aux questions sociales. Si la mise en avant de certaines propositions en
matière de lutte contre l’immigration clandestine et d’insécurité permettent bien à Nicolas Sarkozy
de se rallier les suffrages d’un large pan de l’électorat frontiste, il semblerait que les préoccupations
sociales (qui sont également très importantes pour cette population) soient, pour une frange non
négligeable de cet électorat, mieux prises en compte dans le projet du candidat socialiste. Le
message adressé aujourd’hui par Nicolas Sarkozy à l’électorat frontiste ne serait plus aussi équilibré
qu’en 2007. A l’époque, il était en effet parvenu à prendre en compte à la fois les aspirations
sécuritaires et identitaires de cet électorat (discours sur la droite décomplexée) mais également ses
attentes en matière économique et sociale (slogan « travailler plus pour gagner plus », valorisation
du travail). Cette réponse insuffisante aux demandes de ces électeurs en matière de pouvoir d’achat
notamment, associée à la lecture critique – très répandue dans cette population – du bilan du
quinquennat, contribuent au second tour à limiter les reports en faveur de Nicolas Sarkozy au profit
de son rival et de l’abstention.
A cette répartition de l’électorat frontiste en fonction des niveaux de priorités accordées à certaines
problématiques correspondent également des clivages sociologiques et géographiques. Ainsi, les
reports en direction de Nicolas Sarkozy sont nettement plus fréquents parmi la frange la plus aisée
de l’électorat lepéniste que dans sa composante ouvrière, actuellement majoritairement tentée par
l’abstention.
5
Les reports de voix de l’électorat frontiste selon la catégorie socioprofessionnelle
Ensemble des électeurs
de Marine Le Pen
38
18
45
CSP+
12
27
Ouvriers
44
43
21
N. Sarkozy
52
F. Hollande
Abstention
De fortes variations existent également selon les régions. Ces disparités régionales renvoient à la
composition sociologique de l’électorat frontiste, qui n’est pas la même sur tout le territoire, mais
aussi à des contextes locaux et des traditions politiques. Alors qu’une majorité des électeurs
frontistes de PACA se reporteraient sur Nicolas Sarkozy et qu’il bénéficierait également de bons
reports en Ile-de-France et en Languedoc-Roussillon / Midi-Pyrénées, les soutiens seraient nettement
moins nombreux dans les régions ouvrières du Nord-Pas-de-Calais, de Champagne-Ardenne /
Picardie ainsi que dans le Grand Ouest.
Les reports de voix de l’électorat frontiste selon les régions
38
Ensemble des électeurs de Marine Le Pen
44
18
51
PACA
Ile-de-France
43
16
Languedoc-Roussillon / Midi-Pyrénées
42
19
Rhône-Alpes
41
Auvergne / Centre / Limousin
40
16
Alsace / Lorraine
37
19
Bourgogne / Franche-Comté
37
Champagne-Ardenne / Picardie
31
Bretagne / Pays-de-Loire
30
Basse-Normandie / Haute-Normandie
30
N. Sarkozy
39
43
37
23
38
32
41
16
Aquitaine / Poitou-Charentes
Nord-Pas-de-Calais
41
8
46
44
41
22
48
20
51
18
47
23
50
20
F. Hollande
Abstention
6
C’est donc sur ces différents segments de l’électorat lepéniste que Nicolas Sarkozy et son équipe
devront travailler en priorité s’ils souhaitent que la stratégie de « campagne au peuple » voit ses
effets s’amplifier dans la dernière ligne de droite de la campagne au point d’accroître très
significativement les reports de voix dans l’entre-deux tours, reports qui demeurent aujourd’hui
insuffisants.
Jérôme Fourquet
Directeur du Département Opinion et Stratégie d’Entreprise
Mars 2012
7