avant propos

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avant propos
AVANT PROPOS
Chanel n°5 est le parfum emblématique de votre maison. Son
odeur puissante et reconnaissable entre mille a été portée par des
générations entières de femmes. Mais si ce parfum touche les femmes,
par ricochet, il touche également les hommes qui côtoient ces femmes.
Le choix de Brad Pitt pour devenir le prochain visage de la future
campagne prend donc tout son sens.
Si l’on se penche sur les dernières campagnes de N°5, une ligne
directrice se dessine. Dans une démarche bien plus proche du cinéma
que de la publicité, une actrice de renommée internationale est mise
en scène par son réalisateur fétiche dans un univers artistique très
proche de leurs précédentes collaborations. Jean-Pierre Jeunet filme
en sépia une Audrey Tautou qui joue à cache-cache avec un bel
inconnu. Nicole Kidman, quant à elle, incarne une star traquée
éprise d’un anonyme, sous la caméra d’un Baz Luhrmann dans son
élément.
En suivant cette logique, je suis partie du principe que David
Fincher serait le plus à même de diriger Brad Pitt. Le binôme a
travaillé ensemble à trois reprises et de ces collaborations,
« L’étrange histoire de Benjamin Button » apparaît comme la moins
masculine et la plus transposable à l’univers du N°5. Dans le
« court métrage » que j’ai imaginé, Brad Pitt incarnerait à nouveau
un personnage dont le corps rajeunit au lieu de vieillir. Pour
l’accompagner et crédibiliser son lien avec le parfum, il faut une
femme mais pas n’importe laquelle. Il est important de ne pas
marquer une rupture qui serait trop brutale et peu intelligible pour
le public. Il ne faut pas non plus tomber dans l’effet de mode mais
revenir aux fondamentaux en choisissant une figure emblématique,
intemporelle, un symbole de la féminité : un double du N°5 en somme.
Qui d’autre que l’ambassadrice la plus mythique de ce parfum?
Marylin Monroe qui fit, sans le savoir, une publicité inattendue
pour Chanel en déclarant dormir avec « quelques gouttes de Chanel
N°5 » fait donc une co-star de premier choix. En la faisant revivre,
on ressuscite plus qu’un mythe, on ravive des souvenirs tout comme
le fait le parfum. Enfin, et ce sera mon dernier point, prendre
Marilyn Monroe serait un pied de nez justifié à la dernière campagne
DIOR J’adore.
L’empreinte invisible
C’est l’histoire d’un parfum, d’une rencontre et d’un amour
éternel. Nous sommes en 1954, tout près de Lexington Avenue au petit
matin.
Une foule éparse est en train de se masser devant le n°164 de
la 61 rue. L’attraction du jour - et quelle attraction - s’appelle
Marilyn Monroe. La sublime actrice est en plein tournage de LA scène
la plus mythique de sa carrière, celle qui va la hisser au rang
d’icône.
e
Parmi les badauds qui s’agglutinent en jouant des coudes pour
espérer voir la star, l’un d’entre eux se demande encore pourquoi il
s’est laissé happer par la masse. Mr Pitt n’est pas un admirateur ni
même un curieux. Il connaît, comme tout le monde, Marilyn mais ses
minauderies le laissent de marbre. Il aime la discrétion, l’élégance
et la douceur. Tout ce qu’elle n’est pas. L’histoire aurait pu
s’arrêter là et rester une anecdote. Pourtant, c’est précisément sur
ce trottoir et sous les flashs mitraillant l’incroyable impudeur de
la blonde qu’elle va débuter.
Mr Pitt emporté par la foule se retrouva aux premières loges du
spectacle. Le subway sous la grille d’aération, souleva la robe
blanche en même temps qu’il emmena au vent le parfum de la belle. Du
vétiver, de l’ylang-ylang et une légère note de jasmin. Cette odeur,
Mr Pitt ne l’oubliera jamais plus.
Marilyn a remarqué cet homme qui la regarde différemment. Elle
a l’habitude d’être au centre de l’attention. Elle se sait objet de
convoitise, elle en a fait son fonds de commerce. Pourtant, ce jour
là, elle est troublée. Quoi de plus paradoxal, que le symbole ultime
de la beauté en son temps séduise ici par son odeur et non pas par
son physique ?
★★★
Cette même année 1954, lors d’une interview, un journaliste
demandera à Marilyn ce qu’elle porte pour dormir. L’actrice répondra
« quelques gouttes de N°5 » en adressant à un clin d’œil complice à
celui qui partage ses nuits depuis peu.
Inséparables depuis leur rencontre sur un bout de trottoir, Mr
Pitt et Marilyn formeront un couple aussi solide que discret. Il
sera de tous les tournages, de toutes les interviews. Toujours dans
l’ombre, il sera ses pieds sur terre. Elle sera sa lumière.
★★★
Mr Pitt et Marilyn, outre une attirance et un respect
réciproques, partagent un autre point commun. Leur physique ne
reflète pas ce qu’ils sont à l’intérieur.
Marilyn est un personnage. Devenue l’incarnation de la blonde
évaporée, elle est la victime expiatoire de l’usine à fantasmes.
Consciente de faire naitre chez les hommes le complexe du chevalier
blanc –alibi pour justifier leur désir- elle déteste cela autant
qu’elle s’en amuse. Elle veut redevenir Norma Jean mais adore être
Marilyn. Peut-être que c’est finalement Lorelei, son personnage dans
« Les hommes préfèrent les blondes », qui la décrit le mieux : "Je
peux faire preuve d'intelligence quand c'est important, mais la
plupart des hommes n'aiment pas ça".
Mr Pitt, lui aussi, doit se heurter aux méprises engendrées par
son physique. Né vieillard, il rajeunit au fil des années vivant sa
vie à l’envers avec une décroissance parfaitement régulière. En 1954
Mr Pitt a, pour la première et unique fois, l’âge de son corps.
★★★
Le 19 mai 1962, un prestigieux public est réuni au Madison
Square Garden pour célébrer les 45 ans de JFK. The Late Marilyn se
devait de faire sensation. Arriver en retard, porter une robe
couleur chair qui donnait une impression de nudité, susurrer une
chanson comme si elle avait un orgasme. Marilyn est unique, elle
chante une chanson banale comme personne ne le refera plus après
elle. Mais, si ce soir-là sa prestation alimentera et continue
aujourd’hui d’alimenter les commérages, il faut la replacer dans un
contexte qu’ils sont deux à connaître. Il y a ce que tout le monde
a vu ou a voulu voir et les faits tels qu’ils se sont passés. Le
numéro de Marilyn n’avait qu’un seul destinataire ce soir-là, Mr
Pitt qu’elle ne lâchera pas du regard de toute la chanson.
★★★
Mr Pitt est prisonnier d’un corps qui efface, malgré lui, tous
les stigmates d’une vie remplie de souvenirs et de cicatrices.
Dernier témoin d’une histoire d’amour qui défia les conventions
établies, il doit se résoudre à accepter que leur histoire n’existe
désormais plus que dans sa mémoire ainsi que sur quelques photos
dont lui seul comprend le sens. L’actrice principale est morte il y
a bien longtemps mais elle revit pour Mr Pitt dés qu’il sent son
parfum sur une inconnue. Une belle blonde portant le n°5 croisée
dans la rue, il la revoit danser et rire et, avec toute la
maladresse de son corps d’enfant, il danse et rit avec elle.
★★★
Cette histoire n’appartient qu’à eux mais des milliers de
personnes la comprennent et la vivent à leur façon en portant et en
sentant le N°5. Bien plus qu’un parfum, il est l’empreinte invisible
de toute une vie.
Postface
Mon côté minutieux me pousse à conclure cet exercice par un
lien vers les relations presse qui accompagnent et subliment toute
campagne.
Si je devais concevoir un coffret de presse pour mon
« scénario », il aurait pour thème le legs d’une vie. En
l’occurrence celle de Mr Pitt. Chaque journaliste se verrait
recevoir une petite boite qui renfermerait les choses auxquelles Mr
Pitt tenaient le plus. Du film ne subsisterait qu'un petit carnet de
photo, le but n’étant pas de faire du copier/coller mais de raconter
une histoire aux journalistes. Ceux-ci se verraient donc recevoir le
vieux portefeuille en cuir usé de Mr Pitt. À l’intérieur de celui-ci,
en plus de ses papiers d’identité, nous trouverions plusieurs photos
d’elle et d’eux jaunies par le temps et datées sur leur verso. Sur
l’une d’elle on apercevrait le N°5 posé sur la table de chevet d’une
Marilyn souriante et enroulée dans un drap blanc. On trouverait
également une petite pile de lettres qu’ils s’étaient échangées il y
a bien longtemps et nouée par un ruban. Les lettres seraient cornées
et tâchées à force d’avoir été lues. Quelques pages d’un scénario de
film, que Mr Pitt aurait lu et annoté pour elle, auraient aussi leur
place dans le coffret. Enfin, un carré de soie ayant appartenu à
Marilyn et sentant encore son parfum viendrait clore symboliquement
le tout.
CHANEL est ici partout tout en n’étant nulle part. La marque
se met en retrait pour raconter une histoire. On est plus dans la
suggestion
que
dans
le
matraquage.
Le
parfum
est
d’abord
entremetteur puis complice pour devenir la madeleine de Proust de
leur histoire.