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beachrock » de Méditerranée
Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2014 – Beauvais 8-10 juillet 2014
SUR LA VULNERABILITE DES PLAGES A BEACHROCK DE
MEDITERRANEE : L’EXEMPLE DU DETROIT DE MESSINE (ITALIE)
THE VULNERABILITY OF THE MEDITERRANEAN BEACHROCK: THE EXAMPLE
OF THE STRAIT OF MESSINA (ITALY)
Pascal BARRIER1
1 Institut Polytechnique LaSalle-Beauvais – département géosciences, 19 rue Pierre
Waguet BP 30313 60026 Beauvais cedex ; [email protected]
RÉSUMÉ — La côte calabraise du détroit de Messine connaît une forte érosion de
ses plages. Le sable, les graviers et les galets disparaissent du trait de côte suite à
un manque cruel d’alimentation des torrents. La cause est climatique avec des pluies
de printemps et d’automnes moins abondantes depuis 30 ans. La raréfaction des
matériaux terrigènes est aussi liée aux aménagements réalisés entre 1950 et 1980 à
l’amont, sur les bassins versants des « fiumare », avec les barrages de correction
torrentielle. A l’aval, la canalisation et la cimentation du lit des exutoires, et les
aménagements côtiers inconsidérés, ports industriels, épis rocheux, enrochements
sous-marins, accentuent la pénurie. En conséquence, c’est la roche de dessous de
plage, le beachrock des plages fossiles lithifiées, qui apparaît. Ce fait récent a permis
la réapparition d’un site d’extractions de meules de moulin daté de la fin du XIXème
siècle. L’architecture sédimentaire des affleurements de roches est également forte
intéressante car sa compréhension est indispensable aux réflexions sur
l’aménagement et la lutte contre l’érosion du littoral. Ainsi, trois beachrock de
génération successive ont été inventoriés sur cette plage. Le premier n’est connu
qu’à l’état de dalles remaniées dans le second attestant d’un démantèlement
complet. Le second est d’époque romaine, il est largement préservé et c’est lui qui a
surtout été exploité en carrière de pierre de moulin. Le dernier beachrock vient
épouser les reliefs du précédent. Les contacts en falaises entre ces deux
générations de roche indurée s’accompagnent d’encroûtements biogènes à balanes
et huitres jusqu’à 4 mètres au-dessus du niveau marin actuel. Ce troisième
beachrock englobe également des dalles remaniées du second attestant de
destructions ponctuelles. L’observation de cette succession de beachrock permet de
mieux comprendre les mécanismes qui permettent au même trait de côte de passer
alternativement d’une côte sableuse à une côte rocheuse et que cette dernière est
très facilement démantelée si l’ensablement est trop long à se remettre en place. Un
ordre de grandeur de vitesse d’inversion nous est donné par le recul de la dernière
côte sableuse, engagé il y a 30 ans, qui a conduit il y a 5 ans au dégagement total de
la roche. Cette séquence montre à quel point la côte est vulnérable lorsqu’apparait le
beachrock. Le recul du trait de côte est alors très rapide, mais il est toutefois
temporaire puisqu’il suffit que le sable revienne pour que se reforme une nouvelle
roche de plage, si les conditions hydrologiques sont favorables. Bien qu’éphémères,
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ces observations constituent aussi un apport essentiel à la compréhension des
mécanismes conduisant au recul du trait de côte. Cette région de Calabre est
pourtant soumise à une surrection naturelle d’au moins 4 mm par an qui devrait
largement compenser une possible montée du niveau de la mer.
Mots clefs — Beachrock, méditerranée, Holocène, érosion, eustatisme
ABSTRACT — The Calabrian coast of the Strait of Messina knows a strong erosion
of its beaches. Consequently, it is the beachrock from the fossil beaches which
appears. Thus, three successive generations of beachrocks were surveyed on the
Capo dell’Armi beach. These observations also constitute an essential contribution to
the understanding of the mechanisms leading to the retreat of the coastline.
Key words — Beachrock, Mediterranean, Holocene, erosion, eustatic change
1. Introduction
La côte calabraise du détroit de Messine située au Sud de Reggio de Calabre est
soumise, depuis 30 ans, à une érosion littorale spectaculaire. Les plages ont perdu la
totalité de leur couverture sableuse, en particulier de part et d’autre du Capo
dell’Armi (Fig.1) qui marque par son éperon rocheux de calcaire blanc (Leuco petra
des Anciens) l’entrée sud du détroit de Messine. C’est là maintenant un beachrock
fossile qui occupe le littoral devenu rocheux (Fig.2) Ce constat préoccupant pour les
collectivités locales les a amené à réagir en créant, de façon désorganisée et sans
concertation, des contre-mesures. Des épis rocheux ont d’abord été installés, suivi
par de l’enrochement sous-marin parallèle à la côte associé à du rechargement
côtier. Le sable provient à la fois de clapages sur la digue effondrée du port de
Saline et de carrières locales.
Une attention toute particulière est portée à ce trait de côte qui fait l’objet d’un suivi
continu depuis 1980 (Barrier, 1984 ; Barrier et al. 2011). A l’époque il était alors
possible de passer, à pieds secs, le Capo dell’Armi en longeant une plage de sable,
graviers et galets de plus de 30m de large. Aujourd’hui, la mer baigne le pied de la
falaise. La plage a complètement disparu, laissant la place à un conglomérat gris
affleurant qui s’est avéré être un beachrock fossile (Fig.2)
Le but de cet article est de présenter, à travers l’étude du beachrock du Capo
dell’Armi, la fréquence naturelle et la rapidité avec laquelle ce trait de côte calabrais
passe de l’érosion intense d’une côte rocheuse en recul à l’accrétion d’une plage de
sable et galets. Le constat montre à quel point il est difficile de généraliser sur la
vulnérabilité d’un littoral si l’on ne prend pas en compte son histoire récente, celle qui
n’est plus imprimée dans la mémoire collective. C’est pourquoi les travaux du
géologue, qui intègre les données fossiles, sont fort utiles aux réflexions sur
l’aménagement et la lutte contre l’érosion du littoral.
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2. Le cadre des travaux
La province de Reggio de Calabre a fait l’objet de nombreux travaux géologiques.
Les plus connus sont ceux Seguenza (1880), Cortese (1895), Ogniben (1973),
surtout consacrés à la stratigraphie. Dans les années 1980 ceux de Bousquet et al
(1980), Sauret (1980), Chabellard (1984), Barrier (1984), Barrier et al. (1986) ont
plutôt abordé les relations entre tectonique et sédimentation dans le Plio-quaternaire.
Depuis cette dernière thèse, la province de Reggio de Calabre et en particulier la
côte calabraise du Détroit de Messine font l’objet chaque année de plusieurs travaux
géologiques réalisés à l’occasion des « Mémoires d’Aptitude à la Géologie de l’Igal ».
Figure1. Localisation du Capo dell’Armi (Leuco petra) à l’extrémité de la Calabre
méridionale (fond cartographique du XIXème siècle s.n. coll. P. Barrier)
Ces travaux ont d’abord porté sur la cartographie géologique, la stratigraphie et la
tectonique syn-sédimentaire de cette zone tectonique active. Une synthèse des
premiers travaux d’exploration a été publiée sous la forme d’un ouvrage collectif
accompagné d’une carte géologique du Détroit de Messine (Barrier, Di Geronimo et
Montenat, 1987). Une carte géologique de synthèse de l’ensemble de la province de
Reggio de Calabre a ensuite été publiée (Rabert, 2003). La notice qui l’accompagne
recense tous les travaux géologiques réalisés par les élèves de l’Institut géologique
Albert-de-Lapparent. Passé cette phase exploratoire à base cartographique les
travaux géologiques effectués sont plus spécialisés. Ils concernent en particulier
l’évolution récente du trait de côte depuis le Pléistocène moyen-supérieur avec la
mise en place de la formation des conglomérats de Messine (Barrier et al ; 1989 ;
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Ampen, 1999 ), le Tyrrhénien et ses terrasses soulevées à 150 m d’altitude (Bellomo,
1998), les encroûtements biogènes rocheux du Pléistocène supérieurs également
porté à plus de 60 m d’altitude (Blin et Brévot, 2005). Enfin, les derniers travaux sont
ceux qui concernent l’évolution holocène ayant conduits à la découverte de paléorivages holocènes situés entre 2 et 4 m d’altitude au Capo dell’ Armi (Cnudde et
Vanel
2008).
La
quantification
et
la
modélisation
des
dispositifs
d’érosion/sédimentation des « fiumare » ont aussi fait l’objet de travaux. Ils ont
permis de mieux comprendre le lien existant entre les aménagements réalisés dans
ces torrents et le déficit en apports clastiques à la côte (Nauleau, 2008 ; Guidevaux
et Lallier, 2009). Durant la même période, un atelier d’extraction de meules de moulin
a été découvert sur plus d’un kilomètre de part et d’autre du Capo dell’Armi. Il a fait
l’objet d’un inventaire complet (Cnudde et Vanel 2008 ; Colleau et Glouahec, 2009 ;
Barrier et al. 2011).
Figure 2. La plage sud-est du Capo dell’Armi en 2008. Le sable et les galets ont
totalement disparu laissant apparaître la roche conglomératique de dessous de
plage, le beachrock. La mer baigne alors directement le pied de la falaise de calcaire
miocène.
3. L’évolution récente du trait de côte du capo dell’Armi
3.1.
Le contexte géomorphologique et tectonique
La situation géologique du Capo dell’Armi résulte d’une évolution tectonosédimentaire plio-quaternaire active connue pour la vigueur de ses mouvements
verticaux (Barrier, 1984). Depuis 400 000 ans ce secteur du détroit connait une
surrection d’au moins 4 mm par an (Barrier et al. 1987). L’ossature du Cap est
constituée d’une série sédimentaire monoclinale oligo-miocène dont un des derniers
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termes, la formation des « Calcarénites de Floresta » (Ogniben 1973), constitue la
falaise côtière du Cap. Il s’agit d’un calcaire blanc dur à stratifications obliques bien
marquées d’âge langhien. Il est recouverts en discordance par les dépôts
quaternaires dont la géométrie complexe est liée à un dispositif de failles synsédimentaires (Barrier et al 1986). Parmi ces dépôts les « conglomérats de
Messine » sont les plus visibles mais aussi les plus récents (Pléistocène supérieurs).
Ils ennoient totalement l’éperon rocheux du Cap contre lequel ils se sont plaqués.
Enfin, le long de la côte, les calcaires langhiens sont recouverts par des dépôts de
plages holocènes lithifiés de type beachrock (voir plus loin).
La falaise du Capo dell’Armi, d’orientation est-ouest correspond à un paléoescarpement de failles pléistocène dont les répliques de même direction se
poursuivent en mer formant un système en « marches d’escalier » jusqu’à plus de
1000 m de profondeur (Barrier et al. 1987). L’expression récente de ces failles est
visible dans les conglomérats holocènes qui montrent de nombreuses fractures de
direction N90-100 et de direction conjuguée N-S (Cnudde et Vanel, 2008).
3.2.
Un trait de côte soumis à l’érosion
Ce trait de côte est soumis à une érosion rapide qui a été quantifiée à l’aide de
photographies anciennes. En 1972 la plage était totalement couverte de sable,
graviers et galets. Aujourd’hui, la ligne de rivage se situe 30 m en retrait et la côte
est exclusivement rocheuse. Les premières roches sont apparues, de part et d’autre
du Cap sous la plage sableuse, il y a 30 ans. Le départ du sable a ensuite dégagé
quelques traces d’exploitation carrières bien visibles en 2005 (Fig.3) et depuis,
chaque année, de nouvelles traces d’excavations sont visibles ainsi que des meules
restées en place. En 2008, le sable a totalement disparu permettant un lever
cartographique intégral des ateliers de taille (Colleau et Glouahec, 2009) fort d'une
production de plus de 200 meules. Dès 2009 la plage se recharge en sable et en
2013 les anciennes exploitations sont presque totalement recouvertes de nouveau.
4. Sur ce que révèle l’étude des beachrock fossiles
Au Capo dell’Armi les roches de plage affleurent en deux couches distinctes
superposées. Bien que toutes les deux soient légèrement inclinées en direction de la
mer, elles ne présentent pas la même résistance à l’érosion. Celle du dessous, la
plus ancienne, est dure et résistante à l’érosion alors que celle du dessus, la plus
récente est plus tendre (fig.2). Malgré leur différence de texture les deux couches ont
été largement exploitées. Les deux couches correspondent à des poudingues à
blocs, galets et graviers à liant sableux grésifiés. Les galets montrent des
imbrications et des granoclassements qui dessinent la stratification. Au microscope,
l’étude des lames minces permet de préciser la nature du ciment qui est calcaire.
Au contact des grains il est fibroradié dessinant des ménisques caractéristiques des
dépôts de plage à lithification précoce. Une micrite bioclastique est localement
préservée dans la porosité résiduelle. Cette double phase de liaison, sparitique et
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micritique, confère à la roche une grande dureté au point qu’il est difficile de la casser
d’un coup de marteau.
Figure 3. Atelier d’extraction de pierres monolithiques de moulin. Traces de
préparation d’extractions de meules abandonnées.
4.1.
La couche inférieure
Il s’agit d’un poudingue en bancs stratifiés. La roche est dure et de couleur gris-clair.
Les éléments sont hétérométriques, de la taille du gravier (commun) à celle de blocs
de plusieurs m3 (rare). Ces derniers sont eux-mêmes des conglomérats de type
« beachrock » remaniés ou des blocs de calcaires blancs langhiens. Ce poudingue
est visible à partir du zéro de la mer et sur plus de 20m à l’intérieur de la plage.
Cette couche inférieure présente un grand intérêt par son contenu archéologique. La
matrice sableuse du conglomérat renferme des objets en bronze. Il s’agit surtout de
clous de bateau, de pointes de flèche, de morceau de fibules, de pièces de
monnaies usées et des fragments d’os. Il est important d’insister sur le fait que ce
matériel archéologique est bien contenu dans la masse du poudingue et non bloqué
dans les fractures qui l’affectent. Le toit de cette couche correspond à une surface
d’érosion. Elle est lisse, polie et présente des figures d’érosion en gouttière, marmite,
escalier et encoche qui caractérisent une paléo-morphologie côtière de milieu
infralittoral supérieur à supralittoral. Dans la partie infralittorale du paléo-rivage la
surface de la roche préserve, en plusieurs points abrités (surplombs, cavités), un
encroûtement biogène à balanes, vermets, serpules et Chama gryphoides préservés
en position de vie fixés sur la roche. La partie la plus haute du paléorivage est située
à 4m d’altitude au-dessus du niveau actuel de la mer.
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4.2.
La couche supérieure
Le conglomérat de la couche supérieure est plus récent. Il ennoie la surface du
paléorivage précédent et le conserve dans ses moindres détails en préservant de
l’érosion les délicats encroûtements biogènes. Ce conglomérat de couleur brunâtre
est moins grossier et mieux stratifié avec des alternances de passées grossières à
galets et de passées de sables grossiers à graviers. Il montre aussi en lame mince
les caractéristiques des ciments de beachrock et de plus de nombreuses traces
d’oxydes de fer. Il est pourtant moins induré et sa surface est rugueuse. La couche
supérieure n’est présente que dans la partie la plus basse de la plage et son contenu
archéologique semble limité à quelques fragments de clous en fer.
5. Une alternance érosion/sédimentation
La superposition des deux couches conglomératiques de beachrock résulte de la
succession de deux cycles sédimentaires comportant chacun une phase
d’accumulation de sédiment, une phase de cimentation de dessous de plage et une
phase d’érosion. Le cycle débute par l’apport sédimentaire des torrents dont les
crues provoquent en mer, à l’aplomb de l’exutoire, une accumulation temporaire de
sédiments que les violents courants de marées du détroit de Messine se chargent de
redistribuer sur la côte. Lors de cette première phase, la plage est en accrétion.
Plusieurs mètres d’épaisseur de sédiments peuvent alors s’accumuler et la plage
gagne plusieurs dizaines de mètres en largeur. La lithification carbonatée s'effectue
lorsque la plage est en pleine charge sédimentaire permettant à la nappe phréatique
d’eau douce d’entrer en contact avec la nappe phréatique marine. C’est dans la zone
de contact, à plusieurs mètres de profondeur en dessous de la plage qu'elle se
produit. Elle est très rapide (quelques dizaines d’années). La plage est alors formée
d’une couche meuble en surface et d’une couche rocheuse en profondeur. Enfin, la
partie supérieure non lithifiée de la plage est soumise à l’érosion, le conglomérat
sous-jacent apparait. La côte devient alors rocheuse et l’érosion peut faire disparaitre
totalement le beachrock. Il est alors réduit à l’état de blocs qui se retrouveront inclus
dans la plage successive. Ces cycles naturels de sédimentation-lithification-érosion
se succèdent dans le temps en fonction de l’intensité des précipitations et du couvert
végétal dans l’arrière-pays (périodes climatiques plus ou moins humides), de
l’intensité des tempêtes hivernales, de la violence des courants de marée (grands
cycles lunaires) et de la récurrence des raz-de-marées. Ils sont aussi perturbés par la
nature des pratiques agricoles (déforestation).
6. Les données chronologiques
Les deux couches superposées de beachrock du Capo dell’Armi étaient à l’air libre à
l’époque de l’activité carrière. Elles sont pourtant parfaitement préservées ainsi que
les encroutements biogènes qui les séparent. Ces couches n’ont donc pas été
démantelées avant l’activité carrière et elles ne l’ont pas été avant d’être recouvertes
par le sable de plage moderne. Pourtant, deux séismes destructeurs générateurs de
raz de marée ont frappé la côte à un peu plus d’un siècle d’intervalle, l’un en 1789 et
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l’autre en 1908. Ils n’ont occasionné aucun dégât aux beachrock. Ce fait laisse à
penser qu’en 1789 et en 1908 les beachrock en question étaient recouverts par le
sable et que le passage des vagues de tsunami les auraient ensevelis encore plus.
Dater cette activité de production de meules monolithique revient à dater une période
d’érosion à côte rocheuse. Le début de l’exploitation, pourrait bien coïncider avec
l’abolition des droits féodaux en Calabre, en 1806, permettant ainsi la construction
privée de moulins (25% de moulin en plus en 30 ans selon Medici, 2003) et
l’ouverture de carrières. En 1830, la fin de la piraterie qui régnait sur les côtes de la
Calabre, a pu également encourager l’exploitation littorale.
En Europe du Nord, selon Belmont (2006), le passage entre les meules
monolithiques et les meules à carreaux s’est fait entre 1770 et 1830. A partir de
1880, la production de meules décline au profit des cylindres. En Calabre, même si
l’arrivée des meules à carreaux de type « La Ferté » apparaît plus tardive (vers
1850?), la production des meules monolithiques semble avoir perdurée au moins
jusqu’au développement des moulins à vapeur à partir de 1870, en particulier à
Reggio de Calabre (Medici, 2003). L’activité XIXème de l’exploitation du Capo
dell’Armi est confirmée à la lecture des travaux de Melograni (1823) qui les a visité.
A partir de 1870 toutes les meules, mais surtout les monolithiques de qualité
moyenne, ne devaient pratiquement plus être requises. Cela pourrait coïncider avec
un arrêt plus ou moins brutal de l’exploitation. Si ces hypothèses sont vérifiées on
pourrait considérer que l’exploitation artisanale du Capo dell’Armi a au moins
fonctionné une vingtaine d’années entre 1810 et 1830, et peut-être un peu plus,
jusqu'à l'arrivée des meules à carreaux. Ensuite, les anciennes carrières ont été
recouvertes par le sable de plage sans que plus personne n’en connaisse
l’existence. Ainsi, pour conclure sur le bilan érosion/sédimentation il est possible que
la dernière période à côte rocheuse au Capo dell’Armi remonte à la fin de
l’exploitation carrière vers 1830. Elle aurait durée au moins 20 ans. La période de
côte sableuse qui a suivi serait-elle plus longue, au moins 150 ans, avant que le
cycle érosif ne reprenne dans les années 1980. Il semble que cette dernière période
de côte rocheuse soit déjà achevée. Dans ce cas elle aura duré à peine 25 ans. Ces
25 années de mise à l’air libre des anciennes exploitations aura suffi à les faire
presque totalement disparaitre par démantèlement lors des tempêtes hivernales.
7. Conclusions
Concernant les côtes à beachrock du détroit de Messine il semble que les conditions
pour fabriquer du beachrock ne soient plus réunies au moins depuis la fin du XIXème
siècle. Aucun beachrock n’a visiblement été construit depuis la période d’exploitation
des carrières de pierres meulières et ceci malgré une période d’ensablement continu
de plus d'un siècle. Seuls les sédiments coincés dans des fractures ouvertes sousmarines sont grésifiés. Ils renferment des monnaies modernes en lires, justes
antérieures à l’Euro !
Concernant l’érosion côtière, elle peut être très rapide sur les côtes à Beach rock une
fois le sable dégagé. La roche est alors démantelée en 20 ans. Le découpage a lieu
suivant la fracturation (dans le cas présent une fracturation acquise pendant le
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séisme de 1908) en portions de bancs de plusieurs m2. Ils sont remontés tels des
« châteaux de cartes » ou imbriqués à pente vers la mer en haut d’estran par les
tempêtes (Fig.3). Ils sont ensuite repris par les vagues et réduits en blocs métriques
qui retournent à la mer. Dans ce cas, le trait de côte à non seulement perdu son
épaisseur de sables et graviers sur une trentaine de mètres de large mais aussi une
bonne partie du beachrock fossile sous-jacent. Au total la perte en matière peut
dépasser 5 mètres d’épaisseur créant ainsi une impression de remontée du niveau
de la mer alors qu’il s’agit de perte de matière littorale. Les plages sableuses à galets
surmontant un beachrock fossile s’avèrent ainsi relativement vulnérables sur une
période courte à partir du moment où le beachrock est porté à l’air libre surtout si la
cohésion de ce dernier est affaiblie par de la fracturation d’origine séismique.
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