Des fleurs pour Algernon DANIEL KEYES

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Des fleurs pour Algernon DANIEL KEYES
Des fleurs pour Algernon
Niveau 3e / 2nde / 2nde générale et professionnelle
Des fleurs
pour Algernon
DANIEL
KEYES
ISBN 9782081247604 - 9 €
A
lgernon, une souris de laboratoire, et Charlie Gordon, un simple d’esprit, vont subir un traitement qui les rendra plus intelligents. Leurs progrès sont fulgurants. Charlie devient même un
génie. Dépassant ses maîtres, il trouve la faille dans le traitement avant tout le monde. Mais le pire
arrive : l’état d’Algernon décline et la souris finit par mourir. Le jeune homme comprend alors que
le même sort l’attend : la perte de ses capacités intellectuelles est irréversible. Bientôt Charlie ne
comprend plus ses propres écrits et en vient même à ne plus savoir lire ni écrire. Il se réfugie alors
dans un asile pour terminer sa vie, sans vraiment se souvenir de ce qui lui est arrivé.
La séquence que nous construisons autour de Des Fleurs pour Algernon répond à plusieurs objectifs
des programmes de 3e qui proposent notamment une ouverture à « la lecture d’œuvres étrangères »,
et une « appropriation de repères culturels ». Les instructions rappellent l’importance des pratiques
de lecture qui doivent « être nombreuses et diversifiées, incluant la littérature pour la jeunesse » ;
il est demandé de « multiplier et diversifier les textes, en recourant largement à la lecture cursive ».
Notre texte sera précisément abordé dans l’optique d’une consolidation de « l’autonomie des élèves
face à des textes divers ». La part de lecture analytique, qui sera importante dans la première partie
de la séquence visera à aplanir les difficultés de notre texte et à permettre une lecture cursive.
Comme l’indiquent les compléments de programme : « en classe de 3e, les élèves sont amenés à
découvrir des œuvres plus complexes (…) qui peuvent susciter quelques difficultés, voire quelques
découragements, lors de la lecture préalable. » Une première phase de lecture accompagnée, permettra justement de poser les enjeux, d’élucider certaines difficultés et une phase de lecture cursive,
mettra l’élève seul face au texte qui sera analysé dans la dernière séance comme un « tout de signification ».
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Séquence pédagogique
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Des fleurs pour Algernon
Niveau 3e / 2nde / 2nde générale et professionnelle
LA DÉCOUVERTE DE SOI
L’ÉTUDE D’UNE œUVRE DE FICTION
À DOMINANTE AUTOBIOGRAPHIQUE
Titres
Dominante
Évaluation
et prolongements
Découverte du titre et de la - Lecture
Séance préliminaire
couverture
- Lecture d’image
(1 heure ou moins)
Séance 1
(1 heure)
Séance 2
(1 heure ou 2)
Séance 3 et 3 bis
(2 h + 1 h
de correction)
Le monde de Charlie Gordon - Lecture cursive
- Lecture analytique
Naissance d’un autre Charlie : - Lecture cursive
à la découverte de soi
- Vocabulaire
- Lecture analytique
Le point de vue dans le récit
Expression écrite
Évaluation
Lecture cursive
- Préparation
- Oral
- Outil de la langue :
vocabulaire
- Oral
- Outils de la langue :
valeurs des temps
Questionnaire de lecture
Séance 7
(1 heure)
Une fin malheureuse ?
Lecture analytique
Oral
Séance 8
(1 heure)
Le sens d’un parcours
Oral
Mise en place d’une synthèse
Séance 4
(1 h ou 2 heures)
Séance 5
(1 heure)
Séance 6
(1 h + 1 h
de correction)
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L’évolution de Charlie : pro- Lecture cursive
gression ou régression
- Préparation
- Oral
- Orthographe
- Préparation
- Oral
- Exposés
- Outils de la langue : champ
lexical
Devoir sur table
Autobiographie et explora- Lecture analytique
tion de soi
Séquence pédagogique
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Des fleurs pour Algernon
Niveau 3e / 2nde / 2nde générale et professionnelle
SÉANCE PRÉLIMINAIRE
DÉCOUVERTE DU TITRE
ET DE LA COUVERTURE
Cette séance permettra de présenter la séquence et d’expliquer l’organisation du travail. Il s’agira
certainement, pour beaucoup, d’un ambitieux projet de lecture et il conviendrait d’insister sur cet
aspect du travail qui peut s’apparenter à une sorte de défi (lire un « gros » livre de plus de 400 pages).
On pourra stimuler les élèves en leur montrant qu’il s’agit là d’une étape importante dans leur parcours scolaire : les acquis du collège quant à la lecture cursive doivent effectivement être mobilisés
pour cette séquence, qui peut aussi être considérée comme une séquence de transition vers les
exigences du lycée (général ou professionnel).
Les premières séances seront donc présentées comme préparatoires à la lecture cursive qu’ils auront
à mener seuls et comme l’occasion de se familiariser avec le texte et ses enjeux.
Pour amorcer la lecture on peut réfléchir sur le titre, sur la quatrième de couverture et son rapport
avec l’illustration ; enfin, si le professeur l’estime pertinent pour sa classe, on peut tenter de lire
l’extrait de la République de Platon proposé en épigraphe. On pourra aussi bien ne pas le mentionner
et en proposer la lecture plus tard, à un moment où le récit y fait explicitement référence (à partir
de la page 404 et du rêve de Charlie).
Questionnaire
1. Quelles hypothèses de lecture peut-on faire en utilisant les indications données par le titre et les éléments de paratexte que sont l’illustration et la notice de la quatrième de couverture ?
2. La citation de Platon
En quoi une citation de philosophe oriente-t-elle notre lecture ? Quel est le thème de ce petit texte ?
Éléments de réponse
1. La notice de la quatrième de couverture donne l’élément fondateur de l’intrigue (le « pitch », pour
reprendre la terminologie des scénaristes) : un homme « attardé mental » devient intelligent. Il faut
évidemment repérer les tensions entre cet énoncé, le « mais » qui le suit, le titre et l’illustration. La
notion de Q.I sera élucidée rapidement si les élèves ne savent pas déjà de quoi il s’agit.
Le Quotient intellectuel. (Q.I) Il s’agit d’une notion élaborée au début du xxe siècle par William
Stern. On soumet le patient à une série de tests pour essayer de mesurer son intelligence. La note
100 correspond à la moyenne. Par la suite, les psychologues tentèrent de nuancer leur approche
en tenant compte du développement affectif, ou du groupe social d’origine.
Cette acquisition de l’intelligence ne semble pas se faire sans problème.
2. Cette citation de la République de Platon pourra être l’objet d’une simple lecture et on rappellera
alors que Platon est un philosophe qui a proposé une théorie de la connaissance : il y a le domaine
des « idées », lieu d’une connaissance parfaite et celui des choses d’ici-bas et de la connaissance
imparfaite que nous pouvons avoir si nous restons dans le domaine du sensible, sans nous élever
à celui des idées. Dans la République, Platon propose de traduire l’aspect dual de la connaissance et
les difficultés de ce double niveau par un mythe, celui de la caverne. Les hommes sont semblables
à des prisonniers dans une caverne, qui ne verraient jamais la lumière mais ne percevraient que
des reflets des choses sur la paroi. Si l’un d’eux pouvait regarder les objets et non leur reflet, puis
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la lumière elle-même qui les éclaire, enfin la lumière solaire, source de toute lumière, il accéderait
à une connaissance véritable, qui lui ferait perdre alors l’envie de redescendre parmi ses anciens
compagnons, redescente pourtant nécessaire. La connaissance est donc à la fois vue positivement
comme une ascension vers le monde des idées et vue négativement en tant qu’elle sépare du monde
sensible dans lequel nous vivons.
Placer ce livre sous l’autorité de Platon et de son mythe, c’est nous inviter à voir dans ce récit une
réflexion, à sa manière, sur le même thème, c’est à dire la connaissance. Cela oriente (ou paralyse)
notre lecture en supposant que le texte donnera, aussi, à penser.
Cette série de réflexions ne donnera pas lieu à une prise de note particulière.
Elle aura rempli son rôle si elle a piqué un tant soit peu la curiosité des élèves. On pourra alors
donner les consignes de lecture pour la séance 1.
SÉANCE 1
LE MONDE DE CHARLIE GORDON
La séance s’appuie sur les premiers comptes-rendus jusqu’au compte-rendu n° 7 inclus, c’est-à-dire
jusqu’à la page 33. Elle s’organise en deux parties : une première partie où on corrige à l’oral la préparation faite à la maison. Dans la deuxième partie, on lit le compte-rendu du 4 mars + Rorschach
et Q. I.
Première partie : travail à faire à la maison
Lire les sept premiers comptes-rendus et répondre aux questions suivantes :
1. Comment expliquer les variations orthographiques ?
2. La narration s’organise autour d’un procédé très particulier. Lequel ?
3. Quel point de vue est alors adopté ? Quelle conséquence cela a-t-il pour le lecteur ?
4. Quels sont les personnages principaux ? Qu’en savons-nous ? Notre connaissance de ces personnages est-elle
amenée à se modifier ?
Justifier la réponse.
Éléments de réponse
1. Les variations orthographiques s’expliquent par l’évolution de Charlie Gordon. Quand il commence à écrire les compte-rendus, il n’a pas encore subi l’opération et il est encore un « adulte
attardé ». Dès le compte-rendu du 11 mars, l’orthographe et la syntaxe se sont améliorées : « Le Dr
Strauss l’a faite pendant que j’étais endormi » avec accord du participe passé.
2. La narration est organisée comme un journal intime.
3. Le point de vue adopté est donc celui du narrateur. Il s’agit d’un point de vue particulièrement
restreint, d’autant plus que le narrateur est mentalement déficient et que la perception qu’il a du
monde qui l’entoure est incomplète. Le lecteur est donc à la fois privé de certains renseignements
(le sens exact du projet des docteurs, par exemple) et amené à déduire de certains propos rapportés
par Charlie un sens que lui-même ne soupçonne pas. Ce qui donne au lecteur une position particulière : il en sait moins que beaucoup de personnages mais il en sait plus que Charlie. C’est là ce qui
permet de s’amuser parfois de la formulation de Charlie, comme on le verra dans l’extrait étudié.
Enfin, il faut reconnaître que le fait d’être lecteur d’un journal intime entraîne des mécanismes
d’identification au narrateur. À force de lire, nous devenons un peu Charlie Gordon. Ce qui, à
rebours du processus de distanciation, permet une empathie avec le narrateur.
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Un des axes d’étude pourrait être par exemple, dans le travail sur le point de vue, de montrer à quel
moment le lecteur s’éloigne ou, à l’inverse, se rapproche de Charlie.
4. Les personnages principaux sont les suivants :
– Charlie Gordon, 32 ans, employé de la boulangerie Donner. C’est un « adulte attardé ». Nous
ne saurons pas exactement quelle est la nature de son handicap mental, s’il s’agit par exemple
d’autisme, ou d’autre chose. Nous comprenons simplement qu’il a beaucoup de mal à penser et à
se rappeler.
– M. Donner, patron de Charlie, dirige une boulangerie.
– Miss Kinnian (Alice) : professeur de Charlie, au cours pour adultes attardés du collège Beekman.
– le Docteur Strauss (psychiatre et neurologue, p. 74) et le professeur Nemur sont des médecins,
psychiatre et/ou neurochirurgiens et ils ont mis au point une opération permettant d’augmenter les
capacités mentales des patients. Cette opération a été accomplie sur des animaux et, sur la souris
Algernon, elle semble avoir des résultats probants, et définitifs. Ils vont utiliser Charlie comme
premier « cobaye » humain.
– Burt Selden (étudiant en psychologie) fait partie de l’équipe du professeur Nemur et fait passer
des tests à Charlie.
– l’oncle Herman s’occupait de Charlie mais il est mort. Il a procuré à Charlie son emploi à la boulangerie Donner (p. 12-13).
– Norma est la petite sœur de Charlie.
– Algernon, une souris de laboratoire (p. 14-15-16), très performante.
On pourra s’interroger sur le fait qu’elle est mentionnée dans le titre. Elle a subi la même opération
que Charlie : voir la page 53).
– Joe Carp : travaille à la boulangerie avec Charlie (p. 24).
– Gimpy : travaille également à la boulangerie comme chef boulanger (p. 15, p. 41).
Il ne restera que quelques personnages à découvrir :
– Frank Reilly (p. 39) et Fanny Birden travaillent également à la boulangerie mais cette dernière est
bienveillante pour Charlie (p. 46, par exemple).
– Miss Flynn est la propriétaire de Charlie (p. 69).
Plus tard, quand les souvenirs de Charlie se feront plus précis, on découvrira Rose, sa mère et Matt,
son père. Et Fay Lillman, une jeune fille que Charlie rencontrera (p. 250).
Notre connaissance des personnages est évidemment appelée à se modifier : nous découvrons
les personnages par le point de vue de Charlie qui ne comprend pas bien ce qui l’entoure. Notre
connaissance évoluera donc avec la perception de Charlie. La scène racontée dans le compte-rendu
n° 5 (p. 21-22) reste par exemple assez énigmatique. Quelles sont les réticences du Professeur
Nemur ? Quel sens exact donner à l’expression « me rende malade » (p. 21) ? De même nous ne
savons pas exactement quoi penser de l’absence des parents (p. 25-26 « peut-être que je pourrai
retrouver maman et papa et ma petite sœur »).
Deuxième partie. étude de texte : lecture analytique.
Le compte-rendu n° 2
L’hypothèse de lecture qui sera donnée est que le texte fait rire (ou sourire). On s’interrogera sur la
manière dont il le fait et sur la raison qui nous fait rire.
Question : est-ce que ce récit nous fait rire (ou sourire) ? La question permet de réfléchir à ce que nous
avons déjà remarqué sur le point de vue restreint qui nous est proposé. Notre sourire vient de la
perception que nous avons du décalage entre la situation et ce qu’en comprend Charlie. Nous nous
amusons (un peu comme dans le Petit Nicolas de Goscinny) de ce que nous imaginons du point de
vue des autres personnages, ici Burt, qui fait passer le test.
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Ainsi, page 11, quand Charlie se lève en pensant que le test est fini dès lors qu’il a dit qu’il s’agit
d’encre sur des cartes ou quand il cherche à voir quelque chose qui se trouverait dans les taches,
nous sourions du décalage entre la situation et ce qu’en comprennent Charlie et Burt. À la fin de
l’extrait, ce décalage est sensible : nous interprétons le crayon qui se casse comme une marque de
l’agacement ou du découragement de Burt, alors que Charlie ne donne aucun sens à ce détail.
La question du rire est particulièrement importante dans le livre. Charlie comprendra vite la différence qu’il y a entre rire avec quelqu’un et rire de quelqu’un. On peut donc se demander si le lecteur rit
ici de Charlie. La question est complexe et on aura simplement un échange oral rapide en évoquant
la possibilité que nous riions de Burt, dans la mesure ou celui-ci est, d’une certaine manière, mis en
infériorité par l’incroyable « naïveté » de Charlie.
Le passage sera également l’occasion d’une rapide mise au point sur ce qu’est un test de Rorschach.
On pourra demander aux élèves s’ils connaissent ou reconnaissent le test que Charlie est en train de
passer et qu’il nomme « Ro Choc » (p. 12). On fera, autant que de besoin, un apport de connaissance, et ce sera l’occasion de mettre en place la procédure qui sera suivie au long de la lecture du
livre pour l’apport des connaissances indispensables à la bonne compréhension du récit. Notre
texte demande en effet des éclaircissements qui peuvent être, selon la classe, fournis directement et
rapidement par le professeur, ou par les élèves au moyen de courts exposés.
On peut ainsi vérifier leur capacité à transmettre brièvement des connaissances. L’exposé oral
demande bien entendu une reformulation et une explicitation : il ne s’agit pas uniquement de lire
un article d’encyclopédie qu’on aura recopié, mais bien de faire passer un savoir qu’on aura au préalable maîtrisé. Les exposés devraient être assez brefs (environ 5 minutes), mais rien n’empêche,
selon la classe, d’imaginer d’autres modalités. Les sujets suivants pourraient ainsi être proposés : le
rêve, Freud, la psychanalyse…
Le test de Rorschach : Rorschach était un psychiatre suisse (1884-1922) qui mit au point un
test utilisé en psychologie. On demande aux patients de décrire ce que leur évoque une série de
planches représentant des taches d’encre et, selon les réponses fournies, on peut déterminer des
traits de la personnalité du sujet testé.
Synthèse
Le début du journal intime de Charlie Gordon nous fait découvrir, par ce point de vue très restreint, un personnage dont on se sent à la fois proche et éloigné. L’éloignement est créé par le fait
qu’il s’agit d’un adulte atteint d’un handicap mental dont la vision du monde est différente de celle
du lecteur, et la proximité est due au genre du journal intime qui entraîne le lecteur à s’identifier à
Charlie.
L’humour du texte naît des différentes interprétations possibles des situations, telles que nous pouvons les comprendre à partir du récit de Charlie. Il s’agit d’un comique de situation.
Prolongement
Travail orthographique, par exemple sur le son [e] à la fin des verbes, avec correction d’un passage
du journal de Charlie : page 11 de « je dit » jusqu’à « ces sales test ».
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SÉANCE 2
NAISSANCE D’UN AUTRE CHARLIE :
À LA DÉCOUVERTE DE SOI
Cette séance s’organise, comme la précédente, à partir d’un questionnaire à faire à la maison, et
d’une lecture analytique. Le questionnaire cherche à mettre en évidence l’évolution de Charlie. Il
faut prévoir deux heures si l’apport de connaissance sur Freud et la psychanalyse se fait par le biais
d’un exposé ou donne lieu à un échange important, ce qui est prévisible.
Première partie : travail à faire à la maison
Lire jusqu’au compte-rendu n° 9 inclus (p. 91) et répondre aux questions suivantes :
1. Relever, dans le texte, des verbes et expressions qui renvoient à la vie psychique de Charlie et permettent de mesurer
son évolution.
Classer ces verbes dans le champ lexical de la vie psychique : jugement, sentiment, mémoire…
2. Qu’est ce qui est modifié pour Charlie ?
Éléments de réponse
Le passage retenu abonde en verbes renvoyant au champ lexical de la vie psychique. Le relevé qu’on
peut proposer n’est pas exhaustif mais il doit être significatif. On verra, dans les prolongements
possibles, que l’on peut construire plus précisément ce champ lexical.
Le jugement
Les sentiments
La volonté
La mémoire
- « Je pense que (…) ces
tests sont idiots » (p. 34)
- « je ne comprends pas »
(p. 36)
- « Je ne savais pas »
- « je croyais » (p. 36)
- « je suppose » (p. 60)
- « ce que je suis bête » (p.
64) (…)
- « je hais cette souris » (p.
33)
- « cela m’est égal » (p. 36)
- « j’espère » (p. 36)
- « je n’avais jamais senti »
(p. 37)
- « je me sens mal à l’aise » /
« j’ai le cœur serré » (p. 65)
- « j’ai honte » (p. 68)
- « ce qui me tourmente »
(p. 75)
- « ma colère était une sensation enivrante » (p. 89)
(...)
- « je ne veux pas » (p. 34)
- « (…) contester l’autorité
» (p. 44)
- « je voulais savoir » (p. 60)
(…)
- « je me suis rappelé » (p.
39)
- « Cela me rappelle » (p.
61) (…)
L’analyse des quelques occurrences retenues permet de préciser ce qui se modifie dans la vie psychique de Charlie. C’est d’abord l’apparition du jugement : « je pense que (…) ces tests sont idiots ».
On notera la particulière abondance des formules de type « je pense » / « je ne savais pas ».
Il faudra bien sûr repérer l’apparition du souvenir. L’évolution de Charlie va se traduire en partie
par l’acquisition d’un passé et d’une mémoire, dont on verra qu’elle sera source de problèmes. Juste
après l’opération, Charlie est capable de ne pas dire ce qui lui est arrivé parce qu’il « se rappelle »
les consignes du professeur Nemur. Au fur et à mesure les souvenirs vont être plus importants et
plus lointains : on passera de l’apprentissage de la lecture au collège Beekman (p. 46) aux premiers
souvenirs d’enfance (p. 61).
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Dans le même temps, Charlie va devenir un être autonome dans ses désirs, d’où une perception
moins confiante de ce qui l’entoure. C’est l’idée de la contestation (p. 43-44), du besoin de comprendre (p. 49). Cette découverte des intentions des autres, du sens à donner à leurs gestes sera
évidemment cruelle et source d’émotions nouvelles : la honte ou la colère. Il serait bon, à ce stade
de l’analyse, de signaler le paradoxe qui organise en partie le livre : « plus tu deviendras intelligent,
plus tu auras de problèmes, Charlie » (p. 74). Un des axes de la lecture cursive que mèneront les
élèves sera de vérifier dans quelle mesure cet énoncé sera avéré…
On notera bien sûr l’éveil à la sexualité, par la danse avec Ellen, dont il rêvera ensuite. Il ne faudra
pas hésiter à insister sur cette question : elle est déterminante dans le livre. On pourra en profiter
pour rappeler ce qu’est la psychanalyse et le freudisme, et l’importance que cette théorie donne
au rêve, aux souvenirs d’enfance et à la sexualité. L’auteur s’inscrit dans un courant artistique,
assez important aux états-Unis dans l’après guerre, qui incorpore de façon plus ou moins élaborée
les données psychanalytiques aux œuvres (on peut songer aux films hollywoodiens d’Hitchcock,
comme La maison du Dr Edwards).
Pour terminer, il ne sera pas inutile de noter que l’évolution psychique culmine en une sorte de
dédoublement un peu schizophrénique, dans lequel le « je » disparaît au profit de « Charlie » (p. 71) :
« je crois que ce garçon, c’est moi ».
Deuxième partie : analyse de texte
Lecture analytique du texte de « Hier soir » (p. 65) jusqu’à « se moquaient de moi ».
Situation de l’extrait : il s’agit du récit d’un événement arrivé le 9 avril, un mois après l’opération.
Cet événement met en jeu les motifs récurrents du rire et de l’humiliation, et le récit s’inscrit dans
une série que notre lecture mettra en perspective. L’hypothèse que nous proposons est que ce récit
marque le début d’une prise de conscience de soi et d’une interprétation correcte des actes des
autres. Pourtant cette interprétation n’arrive pas encore à tenir compte de tous les éléments.
1. Une fois l’extrait situé dans la progression de ce journal intime, on demandera aux élèves de
préciser à quel événement précédent le récit fait référence.
Il s’agit de la soirée chez Halloran (p. 50), où Charlie a déjà été le sujet des plaisanteries de ses camarades de travail. On peut alors faire remarquer que le récit progresse de façon particulière, les scènes
se renvoient les unes aux autres, et leur signification se révèle au fur et à mesure de l’évolution de
Charlie. Cette scène d’humiliation va résonner avec une série de scènes, qui vont remonter de plus
en plus loin dans le temps.
2. Quelles sont les expressions qui renvoient à des événements que le lecteur comprend mieux que Charlie ?
« Il avait un drôle de goût, mais j’ai pensé que c’était parce que j’avais mauvaise bouche » : le lecteur
peut penser que le Coca a été coupé avec du whisky.
« comme s’il avait eu quelque chose dans l’œil » : Charlie ne comprend pas la connivence qui unit
les personnages, à ses dépens.
« c’est lui qui est chargé du pétrin mécanique » : voilà qui livre peut être la clef du comportement
de Joe. C’est l’occasion d’évoquer avec les élèves la notion d’implicite. À quoi sert cette information
dans le contexte ? Elle peut s’interpréter comme l’annonce de la promotion de Charlie et donc une
bonne raison de faire la fête, mais également comme un grief à son encontre. Il suffit de se reporter
à la page 60 : « je suppose qu’ils sont fâchés contre moi parce que j’ai fait marcher le pétrin ».
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3. Quel champ lexical domine, pages 66 et 67 ? En quoi est-il important dans l’évolution de Charlie ?
Il s’agit du champ lexical du rire (« rire » au moins 6 occurrences, « pouffer », « marrant », « drôle »).
C’est par le biais du rire que Charlie prend conscience de la réalité de sa relation avec les autres. Au
début, il rit avec eux « je riais aussi parce que c’était tellement drôle » puis il ne rit plus alors que les
autres continuent. Le rire est remplacé par une « sensation » que Charlie ne nommera qu’à la page
68, la « honte ».
Par ailleurs, cette scène enfin déchiffrée dans sa réalité (moment où Charlie a sur l’événement le
même point de vue que le lecteur) permet, par contrecoup de comprendre toutes les scènes similaires, celles où Charlie était laissé pour compte, que ce soit chez Halloran, ou dans sa petite enfance.
On pourra si on le souhaite, finir l’extrait et mettre l’accent sur la découverte du désir sensuel, et des
troubles (l’impression d’être nu) que cela entraîne. Cela peut être un jalon pour l’étude du thème du
paradis perdu. (Adam et ève, après avoir mangé la pomme de l’arbre de la connaissance du bien et
du mal, comprennent qu’ils sont nus et en ont honte.)
Synthèse
Cette partie du livre est marquée par l’apparition du rêve et du souvenir (d’abord proche, celui de
l’inscription à l’école Beekman [p. 47], puis plus lointain, comme l’incident à l’école primaire [p.
80-81]), par le début de la nouvelle vie intellectuelle de Charlie qui peut commencer à comprendre
et à apprendre. Il va notamment pouvoir déchiffrer les intentions de ceux qui l’entourent, ce qui va
effectivement bouleverser son univers émotionnel et affectif.
Prolongement
- Exposé sur Freud, l’opposition inconscient / conscient (cf. p. 49), l’interprétation des rêves et la
méthode psychanalytique (cf. p. 77-79).
- Vocabulaire : organiser un champ lexical.
éléments de réponse
Exposé sur Freud
Le texte faisant très explicitement référence à des éléments psychanalytiques, il est indispensable de
préciser un certain nombre de points.
Freud est un psychiatre viennois (1856-1939) qui s’est intéressé aux possibilités de traitement et
de guérison des maladies mentales. Il a d’abord pratiqué l’hypnose après avoir suivi les leçons
de Charcot à la Salpetrière à Paris. Il a ensuite eu l’intuition que le psychisme de l’homme ne se
résumait pas à sa seule activité consciente et qu’une activité inconsciente était perceptible dans les
phénomènes du rêve ou du lapsus.
Freud a commencé à appliquer une technique particulière en demandant à ses patients d’opérer des
associations d’idées, sans refuser ce qui pouvait paraître indécent ou grotesque, à partir du matériau
de leurs rêves. Cette technique donnera naissance à la cure psychanalytique.
L’interprétation des rêves paraît en 1899. Freud y montre que le rêve est à interpréter selon les événements de la journée, mais aussi selon des événements plus anciens, liés à des souvenirs marquants
de l’enfance.
Les mécanismes de la vie psychique sont donc à décrire en tenant compte de plusieurs « instances » : et notamment le conscient et l’inconscient. Daniel Keyes parle, lui, de subconscient, ce
qui est un terme de psychologie que Freud a voulu éviter, le trouvant trop ambigu.
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La théorie de Freud a beaucoup évolué et est extrêmement nuancée et complexe. On pourrait
simplifier, pour les élèves, en évoquant l’idée de désirs refoulés (désirs de mort, désirs sexuels), qui
subsisteraient dans l’inconscient et qui seraient en conflit avec le conscient. Les conflits seraient tels
qu’ils ne se résoudraient parfois que dans la maladie mentale : névrose obsessionnelle, par exemple.
L’idée de refoulement est importante pour l’étude de notre texte : ce mécanisme est au cœur
des comportements problématiques de Charlie face au sexe. Il faudrait également évoquer deux
notions chères à Freud : le complexe d’œdipe et la castration. On peut rappeler que, pour le savant
viennois, il existe une sexualité infantile et que le désir pour la mère et la rivalité avec le père sont
un moment important du développement du psychisme de l’enfant. Il reste que ce complexe et sa
résolution ont à voir avec une instance paternelle forte : un père capable de faire renoncer à l’objet
incestueux par « une menace de castration » (cf. Laplanche et Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse,
P.U.F, 1967, p. 82). Or, dans le cas de Charlie, le père est effacé et c’est la mère qui apparaît comme
castratrice. Cette angoisse de la castration ressentie par Charlie (cf. p. 126-127) est l’origine de son
inhibition face au sexe féminin.
Il resterait à dire un mot des troubles importants de la personnalité (ce qu’on nomme psychoses)
comme la paranoïa ou la schizophrénie. La paranoïa se caractérise par une vision délirante de la
réalité, notamment dans le cas du délire de persécution ; la schizophrénie s’organise autour d’une
fracture dans la personnalité, liée selon Freud, à un important processus de refoulement.
Le professeur jugera de ce qu’il peut attendre, dans sa classe, d’un exposé sur ce sujet. Si besoin est,
on se contentera d’un bref apport de connaissances, mais on peut penser que la question de l’inconscient, du refoulement, des rêves, la notion de complexe d’œdipe, de castration, par exemple,
peuvent stimuler des élèves de fin de collège.
La constitution d’un champ lexical. Travail sur les outils de la langue.
L’acquisition de vocabulaire est un objectif important du cours de Français, et notre texte nous
donne la possibilité d’explorer un peu le champ lexical de la vie psychique.
On essaiera donc de structurer le champ en réfléchissant aux grandes catégories qui peuvent le
structurer : vie affective, (émotions – joie, peur, étonnement, colère, plaisir, douleur – sentiments –
amour, haine, honte, pitié, admiration –, états – bonheur, malheur, calme, souci), vie intellectuelle
(activités de connaissance, de pensée, d’imagination, de mémoire, de jugement), la catégorie de
la volonté, par exemple. On pourra procéder par différenciation de mots que les élèves pourraient
confondre : sensation / sentiment / émotion ; on pourra chercher des intrus dans des listes (autonomie, affirmation de soi, épanouissement, névrose), chercher des mots génériques englobant une
série (joie, peur, colère, plaisir), etc.
On pourra donner, à la fin de cette séance, les consignes pour la séance 4, pour que les élèves aient
le temps de lire les soixante-dix pages qui les séparent du compte-rendu n° 12.
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SÉANCE 3
3 bis
LE POINT DE VUE DANS LE RÉCIT
On peut proposer, à ce stade du travail, un classique exercice de réécriture avec une modification
du point de vue.
Sujet : Fanny Birden raconte, dans son journal intime, la journée du 1er avril (p. 56-59), jusqu’à « il m’a emmené
avec lui dans le magasin». Votre texte s’attachera à faire sentir le point de vue de la narratrice sur les événements.
Les élèves devront bien entendu tenir compte de ce qu’ils savent et ont compris des relations entre
les personnages. Le point de vue de Fanny sera bienveillant pour Charlie, et son récit témoignera
d’une perception plus fine que celle de Charlie : une phrase comme « ils me regardaient drôlement »,
par exemple peut donner lieu à des interprétations intéressantes de la part de Fanny.
On rappellera également aux élèves la nécessité de bien organiser la narration. Les événements
racontés sont les mêmes, mais la narratrice étant différente, elle développe tel ou tel aspect, et peut
à l’inverse traiter en résumé ce que Charlie a raconté en détail. Le barème adopté tient compte de
cette réorganisation.
On peut suggérer un barème :
– structure (organisation de la narration selon les intentions de Fanny, choix pertinent de ce qui est
développé ou résumé, pas d’omission d’un événement important, comme l’arrivée de Gimpy ou de
M. Donner, par exemple, paragraphes) : 5 points.
– idées (point de vue perceptible, respect des données du texte et bonne réutilisation des connaissances acquises sur les personnages) : 7 points.
– expression : 8 points.
La séance 3 bis sera réservée à la correction.
Séances 4 et 5. Ces séances sont les dernières correspondant à une lecture accompagnée. Les
élèves, dans le déroulement que nous proposons, auront ensuite à terminer le livre par eux-mêmes.
Il va donc s’agir de les aider à lire les nombreux retours en arrière (flash-back) qui organisent la narration, à comprendre les enjeux de cette exploration psychanalytique de soi, à poser la question du
trajet de Charlie en terme de progression ou de régression. Au terme de ces séances, les difficultés
de lecture devront être suffisamment aplanies pour que les élèves puissent mener à bien leur lecture
personnelle.
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SÉANCE 4
L’ÉVOLUTION DE CHARLIE :
PROGRESSION OU RÉGRESSION
La préparation à la maison consistera à lire les comptes-rendus 10 et 11 et à répondre au questionnaire :
Questionnaire
1. Pensez-vous que la nouvelle condition de Charlie, celle d’un individu « intelligent », soit présentée comme positive ?
Justifiez votre réponse par un appui sur le texte. (Vous vous intéresserez notamment au point de vue développé par
Fanny sur l’évolution de Charlie.)
2. Repérez, dans l’organisation de la narration, les retours en arrière.
Éléments de réponse
1. La nouvelle intelligence de Charlie est présentée comme problématique. Cette hypothèse de
lecture devrait être facilement reconnue et posée par les élèves. Il reste ensuite à en démontrer le
bien-fondé par un appui sur le texte et à ordonner nos remarques.
Une citation, extraite du compte-rendu n° 9 peut nous servir de point de départ : le Dr Strauss
déclarait en effet à Charlie : « Ta croissance mentale va dépasser ta croissance émotionnelle » (p.
74). Autrement dit, les problèmes de Charlie vont surgir devant des situations nouvelles que son
intelligence lui aura découverte, mais qui vont l’amener à agir. Or l’action va mettre en jeu tout autre
chose qu’une intelligence purement rationnelle.
On peut évoquer la découverte que fait Charlie du comportement de Gimpy, qui vole M. Donner.
Comment se situer par rapport à cela ? L’intelligence ne donne pas de réponse quant au sens moral.
La solution que trouve Charlie l’isole de Gimpy, son ancien ami, dont le texte a rappelé qu’il était
capable de sympathie pour le Charlie d’avant (cf. l’épisode des petits pains, page 101).
Il est simple, bien entendu, de montrer que Charlie ne sait plus comment faire sur le plan relationnel avec Alice. Il ne sait pas comment faire pour lui déclarer son amour, et les scènes de flirt sont
placées sous le signe de la déception : « cela devient un tel supplice » (p. 115), « je me sens ridicule »
(p. 121), de la dérision : « un geste romantique un peu sot » (p. 135) ou de l’interrogation : « comment un homme apprend-il à se comporter à l’égard d’une femme ? » (p. 124).
On peut, à ce moment de l’échange avec les élèves, leur signaler que le texte propose, par le biais du
discours de Fanny, un éclairage particulier sur ce que vit Charlie. La jeune fille, comme l’infirmière
Hilda l’avait déjà fait (p. 31), compare la situation de Charlie à celle d’Adam et ève. Elle rappelle
le passage très célèbre de la Bible où la chute hors du paradis terrestre est provoquée par le fait
d’avoir voulu connaître : « Ce fut un péché lorsque Adam et ève mangèrent le fruit de l’arbre de la
science » (p. 158). Cette conception assimile la tentative des Dr Strauss et Nemur à quelque chose
de démoniaque. Il faudra se demander si le texte ne conserve pas un peu de ce point de vue. On
proposera alors aux élèves d’être attentifs au déroulement de l’histoire et de voir, quand ils réfléchiront à la situation finale si la perspective que nous venons d’ouvrir peut ou non être considérée
comme valable.
Il sera alors opportun de demander dans le cadre de cette comparaison, quel rôle joue la boulangerie. L’assimilation de ce lieu à un paradis devra être étayée : chaleur, tranquillité relative, rôle
protecteur de Gimpy et de M. Donner. Le départ de Charlie devra être comparé à une chute hors
du paradis.
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Après avoir vu que la situation de Charlie s’est compliquée sur le plan affectif, on peut se demander
s’il n’y a pas un progrès au point de vue de la connaissance. Sur ce plan également, il faut constater
que les nouvelles capacités de Charlie ne lui apportent qu’une vision décevante du monde de la
science. Très vite, il se rend compte que les étudiants, qu’il admire au début (« c’est passionnant de
les entendre parler de poésie, de science et de philosophie » p. 106), ne sont pas aussi intéressants
qu’il le pensait : « je n’ai plus aucun plaisir à débattre sur un plan aussi élémentaire » (p. 144). Les
professeurs le déçoivent également : « que j’avais été sot de penser que les professeurs étaient des
géants intellectuels ! ce sont des gens comme les autres » (p. 145) ; quant à Nemur et Strauss, il ne
sont que « deux hommes inquiets de ne pas tirer quelque chose de leur travail » (p. 105).
Synthèse : le nouveau Charlie se retrouve donc seul, isolé, à cause de ses nouvelles compétences
intellectuelles. Son intelligence lui permet de maintenant de découvrir des situations qui le laissent
désemparé, moralement et affectivement. Il apparaît comme trop différents de ses anciens camarades et il est chassé du paradis que pouvait représenter la boulangerie de M. Donner. Il est également isolé au point de vue de la connaissance, ne rencontrant autour de lui que des intelligences
limitées, spécialisées, et, par delà les apparences, des hommes simples en proie à la peur et au doute.
2. Les retours en arrière (flash-back)
La narration s’organise autour de nombreux retours en arrière, dans une quête de type autobiographique et psychanalytique. Comment rendre compte d’une personnalité, d’un type de comportement ? La psychanalyse, comme l’autobiographie à la manière de Rousseau, cherche dans le passé
une origine, qui pourrait être un élément de compréhension. Notre texte procède ainsi. Il est donc
important de s’attarder sur ce mode de narration, de bien le signaler et d’en proposer une analyse. On verra dans la séance 5 l’étude précise d’un passage de type autobiographique. Il importe,
d’abord, de bien repérer les moments de retour en arrière. Dans les comptes-rendus 10 et 11, les
flash-back sont les suivants :
– la scène des petits pains, de la page 92 à la page 101. C’est un souvenir assez positif, que Charlie
narrateur peut interpréter, dans une analyse rétrospective typique de l’autobiographie et de la distance entre les événements et leur narration : « je n’y avais jamais réfléchi auparavant, mais c’était
un geste très gentil de sa part » (p. 101).
– la scène de propreté, de la page 109 à la page 114. Cette scène fait suite à un rêve et renvoie à
un moment de la petite enfance de Charlie où il déçoit profondément sa mère qui s’obstine à le
considérer comme normal. C’est la mise en scène d’un enfant déconsidéré par sa mère, et que le
père ne peut protéger.
– la scène de la découverte de la culotte tachée de sang de sa sœur Norma, page 127. Cette scène
fait suite à un cauchemar et à un fantasme de castration. C’est l’occasion de rappeler aux élèves
l’importance de ce motif dans le livre. Pour Charlie, la femme est castratrice (la mère) ou castrée (la
sœur). Il y a association entre la castration et la culpabilité (« qu’avait-elle fait de mal ? »).
– la scène ou une femme se dénude devant lui, page 163-164. Cette scène est évoquée après les
tentatives maladroites de construire une relation physique avec Alice. Elle renvoie à l’idée que la
vision du sexe féminin est terrorisante (« sa terreur – son gémissement – dut l’effrayer »).
– la scène où sa mère le bat, pages 164 et 165. Ce souvenir, là encore, lie la sexualité à une énigme
et à une culpabilité (« si jamais tu touches à une fille, je te mettrai en cage, comme un animal »).
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SÉANCE 5
AUTOBIOGRAPHIE
ET EXPLORATION DE SOI
Cette séance sera consacrée à l’étude d’un passage important que nous pouvons étudier avec les
élèves en reprenant les divers éléments vus dans les séances précédentes et en essayant de leur
donner leur cohérence. Le passage concerne la journée du 3 mai, et va de « L’une des choses qui
m’embrouillent », page 124, jusqu’à « couteau », page 125. La fin de la séance s’organisera autour
de la lecture du reste de cet épisode, jusqu’à « aveugles », page 127.
Les questions suivantes pourront orienter notre étude. On pourra, au choix, proposer ce questionnaire en préparation à la maison, ou, si l’on estime que les élèves ont été déjà abondamment
sollicités, on en proposera la découverte en classe.
Questionnaire
1. Quel sens donnez-vous au mot « réminiscence » ? en quoi est-il différent du mot « souvenir » ?
2. À quoi voit-on que nous sommes ici dans une écriture autobiographique ?
3. En quoi le récit du rêve est-il porteur d’angoisse ?
4. À quels éléments des souvenirs d’enfance ce rêve doit-il être associé ?
Éléments de réponse
1. Une réminiscence est la perception par notre cerveau d’une image ou d’une sensation, perçues
déjà en tant que telles avant d’être identifiées, ensuite, comme souvenir. Le souvenir suppose, lui,
une activité plus maîtrisée liée à notre mémoire. On pourrait simplifier en disant que la réminiscence s’impose à nous, qu’elle est involontaire, alors que le souvenir est ce que nous allons chercher
dans notre mémoire. Il reste vrai que ces mots peuvent passer pour de quasi-synonymes et on
pourra faire à leur propos les remarques qu’on a déjà pu faire à propos de la constitution d’un
champ lexical : l’usage courant tient volontiers pour synonymes certains mots et un usage plus
spécifique cherche, à l’inverse, parfois de façon artificielle à les différencier.
2. Nous sommes ici dans une écriture autobiographique dans la mesure où il y a une distance perceptible entre le moment des événements (le passé) et le moment de la narration (le présent). Cette
distance autorise le doute, l’interprétation, la réinterprétation. C’est ce qui rend l’écriture autobiographique spécifique et la différencie, selon Lejeune, de l’écriture au jour le jour, celle du journal
intime. Ici, Charlie, narrateur adulte, se rend compte précisément de cette distance, et de la confusion qu’elle autorise. C’est « ce qui l’embrouille ». Il ne sait pas ce qu’il doit penser de ses souvenirs,
ni quel sens il faut leur donner. On a déjà remarqué, avec la scène des petits pains, qu’il interprète
après coup le geste de Gimpy qui lui donne la médaille (p. 101) comme une marque de gentillesse,
inaperçue à l’époque. L’autobiographie, dans le roman a partie liée avec la démarche psychanalytique qui cherche, elle aussi, à donner du sens à des souvenirs.
3. Le récit du rêve est effectivement marqué par l’angoisse : « j’ai peur », « cela m’effraie », « son
visage n’est qu’un masque vide », « j’essaie de hurler ». On repérera aussi le motif du labyrinthe, qui
renvoie à la démarche de Charlie essayant de se repérer dans sa propre histoire et à celle de son
double, Algernon la souris. Les élèves pourront facilement, suite aux remarques qu’on a pu faire
dans la séance 4, repérer les marques d’une peur de la castration (« masque vide », « un couteau sanglant entre ses mains », « je ne sais pas ce que j’ai perdu (…) je sais simplement que je ne l’ai plus ») ;
la relation sexuelle est présentée tout à la fois comme désirable et effrayante (« j’ai envie (…) mais
j’ai peur ») ; cette antithèse fondamentale est présente dans le rêve : « j’essaye de hurler mais pas un
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son ne sort ». On pourra faire repérer ces oppositions aux élèves et leur dire que le rêve juxtapose
parfois des désirs contradictoires, ce qui génère de l’angoisse (ainsi du motif bien connu de la
course sur place alors qu’un danger menace).
4. Ce rêve renvoie bien entendu aux souvenirs de la mère menaçante et castratrice, celle qui interdit
de penser à la sexualité et aux images de la petite sœur, perçue comme un petit garçon castré (cf. la
culotte tachée de sang, page 127).
Pour terminer, on pourra lire la fin de cet extrait, en montrant comment la démarche autobiographique se coule ici dans la démarche psychanalytique. La psychanalyse propose au patient, comme
règle de base, la libre association. C’est ce que fait Charlie qui part de son rêve pour arriver à un
souvenir, qui n’est pas présenté comme tel, d’une scène où Charlie découvre la nudité inquiétante
de sa sœur (« pourquoi est-elle différente ? Que lui est-il arrivé ? Du sang… » p. 126). La comptine,
qui reviendra ultérieurement, paraît comme une sorte de commentaire un peu moqueur sur cette
énigme qui n’en est pas une. (L’aveuglement étant une des modalités par lesquelles le motif de la
castration est présent dans les récits mythiques, dans les rêves, etc. cf. œdipe).
Synthèse
Charlie, dans sa démarche de type psychanalytique part à la découverte de son passé et l’écriture du
compte-rendu passe du journal intime à l’autobiographie. Il se perçoit alors comme un personnage
énigmatique, même si le lecteur identifie dans ses rêves, ses souvenirs et ses difficultés avec Alice, la
trace d’une vision angoissée de la relation sexuelle. Celle-ci est perçue comme une chose inquiétante
et la menace de la castration est déterminante. Elle transparaît dans les éléments de ces scènes :
« couteau », « sang », « couper ».
Prolongements
L’étude du texte peut être l’occasion de revenir sur l’emploi des temps dans l’écriture autobiographique. Notre texte étant une traduction, il ne s’agira pas de rendre compte de l’emploi du passé
composé, mais de repérer les différentes valeurs du présent : lié à l’énonciation ou à la narration
d’événements passés. Dans ce dernier cas on peut parler soit d’un présent de narration, soit si le
récit prend une tournure un peu hallucinatoire et fait en sorte que les événements soient non seulement racontés, mais littéralement revécus, d’un présent d’énonciation. On comparera, par exemple :
« je suis comme un homme » (page 124, présent d’énonciation) et « je cours dans un long corridor »
(p. 124-125, présent de narration, qui finit par se transformer, page 126 en présent d’énonciation :
« je cours dans le couloir… on me poursuit ». On ne sait plus s’il s’agit d’un souvenir ou d’une
sorte d’hallucination).
À ce stade de la lecture, les élèves auront en main les clefs nécessaires pour aborder la suite du texte.
Un rapide échange oral fera voir que le trajet de Charlie est semblable à une quête : quête de soi,
de son passé, et la réussite de cette quête conditionne, comme dans un conte, l’amour d’Alice. Il
reste que Charlie est menacé : la question de la permanence de sa transformation est posée depuis
le début et nul lecteur ne doute que cet aspect des choses n’a pas été évoqué pour rien !
Il reste environ 300 pages à lire. Il faudra probablement demander aux élèves de prendre quelques
notes pour avoir le texte présent à l’esprit lors des dernières séances. La séance 6 sera l’occasion
d’un questionnaire de vérification de leur lecture. On peut leur suggérer de profiter d’une structure
claire (les différents comptes-rendus) pour rédiger une courte fiche de lecture résumant les actions
principales, et les retours en arrière, qui se trouvent dans chaque compte-rendu.
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SÉANCE 6
ÉVALUATION
Cette séance s’organise autour d’un travail écrit. Les élèves ont terminé leur lecture. Le questionnaire que nous leur proposons mêle des questions simples qui permettront de vérifier leur aptitude
à se déplacer dans le texte et à organiser rapidement des réponses et des questions un peu plus
ambitieuses qui nécessitent un peu de réflexion. Le barème est, bien entendu, proposé à titre indicatif.
Questionnaire
1. À quelle occasion la sœur de Charlie a-t-elle demandé un chien ? (1 point)
2. Quelle action inattendue Charlie accomplit-il pendant le colloque de Chicago ? Pour quelle(s) raison(s) agit-il ainsi ?
Appuyez-vous sur le texte. (3 points)
3. Quel rôle joue Fay Lillman dans le récit ? (2 points)
4. Qui est Minnie ? (1 point)
5. « Charlie a cessé de nous observer. » Qui prononce cette phrase ? Expliquez-la. (3 points)
6. Expliquez le titre du livre. (2 points)
7. Qu’est-ce que « l’effet Algernon-Gordon » ? (1 point)
8. Dans quel lieu Charlie fait-il un compliment à quelqu’un qui a fait, de façon malhabile un pied de lampe ? (1
point)
9. Comment évolue la relation de Charlie et d’Alice ? (2 points)
10. Comment le texte nous présente-t-il les rencontres de Charlie avec ses parents ? (3 points)
11. Pour quelle raison Charlie n’ouvre-t-il plus la porte de son appartement ? (1 point)
Correction
1. Norma demande un chien après avoir obtenu un A à une composition d’Histoire (p. 172-173).
C’est l’occasion d’une scène violente entre le frère et la sœur. L’anormalité de Charlie y est mise en
parallèle avec la réussite de sa sœur.
2. Charlie, au lieu de prendre la parole à ce colloque, libère Algernon. L’un et l’autre s’enfuient. La
colère a motivé cette action : Charlie n’a pas supporté d’être considéré comme un animal d’expérience « sans aucune existence en dehors du laboratoire » (p. 232), comme un « article tout nouvellement fabriqué dans leur usine privée » (p. 234).
3. Fay Lillman libère Charlie de sa vision angoissée du sexe. Elle lui permet d’accéder à son corps
par le biais de la danse et de pouvoir avoir une relation sexuelle (p. 299 ssq).
4. Minnie est une souris, que Fay a apportée pour qu’Algernon ait une compagne (p. 272-273).
5. Cette phrase est prononcée par Charlie lui-même (p. 305). Elle renvoie à ce dédoublement de la
personnalité qui caractérise la vie psychique de Charlie. Tout en étant un adulte, devenu intelligent,
l’enfant qu’il était continue à vivre en lui, et à l’observer en lui transmettant ses angoisses, l’empêchant notamment d’avoir une relation amoureuse normale.
6. Le titre du livre renvoie à la mort de la souris Algernon ; au lieu de la laisser incinérer, Charlie l’a
enterrée et a fleuri sa tombe (p. 370-371).
7. L’effet Algernon-Gordon est la découverte de Charlie : l’intelligence obtenue artificiellement est
amenée à se détériorer ; plus elle a été augmentée, plus vite elle se détériorera (p. 365).
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8. C’est à l’asile Warren que Charlie complimente un arriéré mental pour son travail (p. 329).
9. Les relations entre Alice et Charlie sont complexes. Après l’échec de leurs premières tentatives
pour construire une relation amoureuse complète et satisfaisante (cf. page 296, la scène du mois de
juin), ils s’éloignent l’un de l’autre et c’est Fay Lillman qui devient importante dans la vie de Charlie.
Alice et lui se rapprochent à partir de la rencontre de Fay et d’Alice le 16 juillet. Ensuite, à partir du
mois d’octobre, au moment où la dégradation de l’intelligence de Charlie est commencée, il y aura
une sorte de lune de miel, de vraie relation amoureuse qui ne durera que quelques jours (commencée le 11 octobre, elle sera terminée le 21).
10. Les rencontres de Charlie avec ses parents sont présentées différemment. La visite qu’il fait à
son père est un non-événement : il ne se passe rien et son père ne le reconnaît pas. Avec sa mère
et sa sœur, c’est l’occasion de revivre le conflit entre sa mère et lui et de constater qu’il n’y a pas eu
de changement ou de révélation particulière dans cette confrontation avec le passé : en partant, il
entend la comptine qui le renvoie à son angoisse et il aperçoit « le visage d’un petit garçon qui (le)
regardait » (p. 398). On peut dire que ces visites sont décevantes et ne modifient rien aux questions
que le passé de Charlie lui posait.
11. Charlie n’ouvre pas la porte de son appartement parce qu’il ne veut pas qu’on rie de lui (cf. p.
438).
SÉANCE 7
UNE FIN MALHEUREUSE ?
Cette séance sera consacrée à l’étude d’un passage de la fin, la journée du 18 novembre (pages
439-441). Nous aborderons la question du pathétique dans ce récit. Ce sera l’occasion également de
mettre en relief la construction du texte, cette scène faisant écho à plusieurs.
Questionnaire
1. Quelles autres scènes du livre cet épisode rappelle-t-il ? quel sens prend-il en comparaison avec ces autres moments ?
2. Quel effet ce passage est-il destiné à faire sur le lecteur ? Comment y parvient-il ?
Éléments de réponse
1. Cette scène est bien évidemment à rapprocher de deux séries : la série des scènes se passant dans
la boulangerie et la série des scènes où Charlie est dans une position d’infériorité et d’humiliation
qui se manifeste en ce qu’il « fait » dans sa culotte. Par rapport aux scènes de la boulangerie, il y
a évidemment l’idée du retour au point de départ. Charlie revient dans son paradis perdu, sous
le regard de tous, ce qui est une façon de dramatiser, de rendre solennelle, cette arrivée. Il n’est
pourtant pas tout à fait le même : il a accepté l’idée qu’on pouvait à la fois rire de lui et rire avec
lui, autrement dit que les sentiments des autres n’étaient pas monovalents : « s’ils riaient de toi, cela
veut rien dire ».
L’humiliation que lui fait subir le nouveau, Meyer Klaus, renvoie, quant à elle, aux scènes où sa mère
cherche à le frapper, à le punir parce qu’il ne fait pas ce qu’elle attend de lui. On peut par exemple
évoquer la scène où il jouait avec un anneau au lieu de jouer avec ses cubes alphabétiques (p. 110114), scène qui se termine par une fessée donnée par la mère pendant que le père « s’est détourné et
est sorti de l’appartement » (p. 114). La différence est que, cette fois, il y a bien quelqu’un qui intervient pour le protéger : Joe Karp intervient : « Charlie est un bon garçon et personne le touchera
sans avoir affaire à moi ». Charlie est reconnu dans sa faiblesse et sa différence, et, pour la première
fois peut-être vraiment accepté.
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2. Il est évident que ce passage est destiné à accroître le pathétique de la fin. Le lecteur sait que
Charlie va finir à l’asile Warren et sa régression est scandée par des marques d’amour, qui la rendent
plus douloureuse à suivre. Il s’agit de montrer combien les autres personnages sont émus par le
destin de Charlie pour que le lecteur soit, à son tour ému.
Le passage que nous lisons met en scène cette émotion : M Donner « a eu l’air très triste ». Tout
le monde le regarde « descendre » dans le fournil, ce qui est une mise en espace de sa dégradation
mentale. Tout le monde ensuite prend sa défense, même son agresseur (« Mon Dieu, Charlie, je ne
voulais pas te faire de mal ») et cette unanimité vient de façon un peu hyperbolique exalter le lien
chaleureux qui les unit à Charlie « Nous voulons tous » (…) ne l’oublie « jamais ». Charlie lui-même
est devenu plein de compassion. Après avoir été méprisant pour l’intelligence « normale » des uns
et des autres, le voici devenu une sorte de simple d’esprit porteur de valeurs morales : tolérance
(« tu ne te fâcheras pas »), et pardon (« je leur ai dit que je croyais pas qu’il fallait le renvoyer »). La
dernière séance sera l’occasion de revenir sur cet aspect du trajet de Charlie. Il est significatif en
effet qu’au moment où il semble avoir trouvé un équilibre affectif, l’intelligence lui soit refusée.
La mise en scène de tous ses sentiments ne fait que mettre en valeur l’aspect douloureux de la fin
du récit, la disparition à l’Asile de Charlie, c’est à dire, pour le lecteur, la disparition du texte et de
la « voix » du narrateur.
On conclura en mettant cette scène en rapport avec les scènes du début où le rire dominait. Cette
fois plus personne ne rit…
Synthèse
Ce passage marque la fin du trajet de Charlie Gordon qui revient à son point de départ, avant de
rejoindre l’asile. Tout semble ici le lieu d’un apaisement. La violence se résout dans la compassion
et le pardon. Charlie est aimé et protégé, accepté pour lui-même. Les preuves d’affection qu’on lui
donne ne font cependant que renforcer le pathétique d’une scène qui fait écho aux scènes du début
du livre, mais où, cette fois le rire est banni.
SÉANCE 8
LE SENS D’UN PARCOURS
Cette séance sera consacrée à un échange oral et à une synthèse sur l’ensemble du récit. Comment
considérer le trajet de Charlie ? Quel sens donner à certains épisodes ?
On peut partir de l’idée que le livre n’est pas purement un récit d’aventure, dont la fonction serait
uniquement de nous distraire. Notre première question aux élèves pourrait être : Qu’est-ce qui nous
permet d’étayer cette remarque ?
L’épigraphe peut alors être évoquée : une citation de la République de Platon renvoie, comme nous
l’avons dit dans la séance préliminaire, à la philosophie, à une théorie de la connaissance. Nous ne
sommes pas dans le simple divertissement. Cette épigraphe trouve, dans le texte, un prolongement,
et on peut renvoyer les élèves à la séance de psychothérapie où Charlie fait une expérience quasimystique (p. 404 ssq). Il y aurait un monde lumineux, dans lequel l’esprit avec une sensation de
plénitude pourrait se mouvoir et un monde « de silence et de ténèbres », lié au corps. L’expérience
nous permet de poser l’idée du dédoublement : corps et esprit, expansion et rétractation, lumière
et ombre, qui renvoie à la vision un peu schizophrénique du double Charlie.
Notre lecture ici ne peut que conclure sur l’intention du texte, abstraction faite ici de son sens. Le
texte mêle philosophie, mythe, psychanalyse, religion. Nous sommes donc fondés à chercher, au
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terme de notre lecture un sens à ce qui nous a été proposé, et nous pouvons poser aux élèves la question suivante : étant entendu que le texte nous incite à réfléchir, que pouvons-nous penser du trajet de Charlie ? Quel
message pourrait être celui du livre ?
Si on compare la situation finale à la situation initiale, on ne peut que constater l’échec de l’opération voulue par les Docteurs Strauss et Nemur : Charlie finit à cet Asile Warren dont l’oncle
Herman voulait à tout prix le préserver. Doit-on considérer cela comme positif ou négatif ?
S’agit-il alors de revenir sur les propos de Fanny Birden et de l’infirmière : « l’homme n’a pas à
chercher à en connaître davantage que ce que Dieu, en le créant, lui a permis de connaître » (p.
157-158) ?
Dans ce cas, l’hypothèse que nous pourrions faire est que le livre, d’une certaine manière, condamne
l’intelligence, qui n’apporte au fond que des problèmes. On serait proche d’un message évangélique
« beati pauperes spiritu » « bienheureux les simples d’esprit ».
Il faut reconnaître qu’une partie du texte nous invite à valider cette hypothèse : l’intelligence de
Charlie le sépare de ses anciens amis, l’isole même d’Alice, et ne lui permet pas non plus de maîtriser ses troubles quant à la sexualité. C’est avec Fay (liée à la danse et la boisson) qu’il arrive d’abord
à coucher avec une femme. Et le discours que Charlie tient au cocktail de Mrs Nemur est sans équivoque : « l’intelligence et l’instruction qui ne sont pas tempérées par une chaleur humaine ne valent
pas cher » (p. 358) et « l’intelligence sans la capacité de donner et de recevoir une affection mène à
l’écroulement mental et moral » (p. 359).
Il est significatif à cet égard que la chaleur humaine n’intervient dans le récit qu’au moment où
l’intelligence s’en va, comme si les deux étaient de fait incompatibles. L’intelligence semble exclure
la bonté : « j’étais un salopard arrogant et égocentrique. À l’inverse de Charlie, j’étais incapable de
me faire des amis ou de penser aux autres » (p. 363).
On en vient donc à se demander si le texte ne nous montre pas qu’il est préférable pour Charlie d’être
un idiot, dans la mesure où cette idiotie était liée à des qualités morales. Fanny le dit (p. 157) : « tu
étais un bon garçon, à qui on pouvait se fier – ordinaire, pas trop malin peut-être mais honnête – ».
Alice le dit (p. 179) : « Avant, il y avait en toi quelque chose… je ne sais pas… une chaleur, une franchise, une bonté, qui faisait que tous t’aimaient bien et aimaient que tu sois avec eux. Maintenant,
avec toute ton intelligence et toute ta science, il y a des différences qui… ».
La façon dont le récit nous présente l’Asile Warren est révélatrice de ce point de vue. On pourra
demander aux élèves de montrer que cette présentation valide notre hypothèse. L’asile est le lieu où
les êtres se définissent par l’intérêt qu’ils portent aux autres : Charlie voit un grand garçon « bercer
dans ses bras un autre garçon de quatorze ou quinze ans » (p. 323), rencontre Thelma qui s’occupe
des pensionnaires : « j’aime beaucoup mes garçons » (p. 325), entend Winslow, le psychologue en
chef, déclarer : « tous les membres du personnel psychiatrique se dévouent à leur travail. (…) des
gens qui ne craignent pas de faire don d’une partie d’eux-mêmes à ces pauvres gens » (p. 331).
On pourra bien sûr nuancer ce point de vue. La perte de l’intelligence de Charlie est ressentie
par le lecteur comme douloureuse : Charlie se sépare de ceux qu’il aime et en se dirigeant vers
l’asile accomplit une sorte de mort au monde (à quoi renvoie, symboliquement, la pathétique mort
d’Algernon). Le texte nous propose-t-il donc uniquement un trajet négatif en nous montrant que
l’intelligence de Charlie ne lui a pas permis de conquérir le bonheur et en mettant en scène, au
moment où il pourrait s’en servir avec bonheur, la perte de cette intelligence ?
La vision d’un amour fusionnel avec Alice nous livre peut-être une clef (p. 420). Reprenant sa
vision du 4 octobre, Charlie voit à quel point les êtres sont arrachés « éternellement » l’un à l’autre.
Mais « l’acte d’amour était la compensation, ce qui liait et retenait ». Les élèves proposeront peutêtre de voir dans ce moment un peu romantique (cf. Lamartine : Dans la nuit éternelle…) la note
dominante de l’ensemble.
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Des fleurs pour Algernon
Niveau 3e / 2nde / 2nde générale et professionnelle
Il faudrait, pour être complet, évoquer l’autre trajet, celui de la quête de soi. On pourrait alors poser
aux élèves la question suivante : En quoi ce texte peut-il être envisagé comme une quête ?
Le parcours de Charlie à la recherche de la vérité de sa propre histoire est bien une quête : quête du
visage de ses parents, recherche des souvenirs et de leur signification, quête d’un équilibre psychologique permettant d’attribuer une place à cet enfant en lui, à ce Charlie mal-aimé qui l’empêche de
bâtir une relation avec les autres. À cet égard la quête est positive : il arrive à avoir une relation avec
Alice, il peut revoir ses parents et se libérer des souvenirs qui l’obsèdent. On a même l’impression,
à la fin du livre que Charlie entre à l’Asile (meurt ?) avec sérénité.
Synthèse
Des fleurs pour Algernon nous propose de suivre Charlie, engagé dans deux parcours. Tout d’abord, il
dépasse son handicap et voit son intelligence augmenter considérablement, jusqu’à faire de lui un
génie. Malheureusement cette évolution n’est pas liée à l’obtention du bonheur affectif. Il ne sera
heureux, finalement, qu’après la perte de cette intelligence.
Il est engagé, ensuite, dans une quête de sa propre identité qui l’amène à une exploration de son histoire, à laquelle il finit par donner du sens. Le texte nous le montre, à la fin, en paix avec lui-même,
prenant congé des autres dans un Adieu qui fait penser à une mort symbolique ; la dernière phrase
renvoie d’ailleurs à la mort de son alter ego, la souris Algernon. Charlie demande qu’on en fleurisse
la tombe, comme s’il demandait au lecteur de fleurir la sienne propre.
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