Conséquences d`une sous-location prohibée AirBnB

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Conséquences d`une sous-location prohibée AirBnB
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Conséquences d’une sous-location prohibée AirBnB
le 12 mai 2016
IMMOBILIER | Bail
Le préjudice subi par le bailleur d’une résidence principale pour sous-location indue et notoire sur
AirBnB pendant trois ans justifie l’allocation de 5 000 € de dommages et intérêts pour préjudice
moral, en l’absence de préjudice financier.
TI Paris, 5e, 6 avr. 2016, n° 11-15-000294
Il est intéressant d’observer comment se sanctionne au niveau inférieur de la pyramide judiciaire la
mise à disposition au profit d’une « clientèle touristique de passage » d’un logement loué à titre de
résidence principale à un couple qui a, pendant trois ans, et de façon indiscutable (la preuve en
étant apportée non seulement par des captures d’écrans sur Internet, mais aussi par un
procès-verbal de constat d’huissier), tiré profit financier de cette violation des obligations expresses
du bail et de la loi du 6 juillet 1989 qui le régit.
En effet, alors que le phénomène d’ubérisation de la société progresse inexorablement et tend à
balayer les traditions bien établies sur la base des relations contractuelles classiques, il se trouve
un juge d’instance pour allouer au bailleur, dans le cadre de l’action en validation de congé-reprise
qu’il a entrepris après 18 ans d’occupation, une somme non négligeable de 5 000 € de
dommages-intérêts au titre de son seul préjudice moral.
Certes la décision paraît d’une orthodoxie parfaite, et mériterait d’être encensée moralement tant
sa motivation semble frappée au coin du bon sens.
Mais le droit ne se satisfait ni de la morale ni de l’équité ni du sens commun, et toute allocation de
dommages-intérêts suppose réunies les conditions de la responsabilité civile qui la sous-tend, à
savoir une faute (contractuelle en l’espèce), un préjudice (à qualifier selon sa nature) et surtout un
lien de causalité entre les deux.
Et en l’occurrence la solution retenue peut d’autant plus se contester que la faute contractuelle des
preneurs (violation certaine de la prohibition par le bail et par la loi d’une sous-location non
autorisée) ne jouait aucun rôle dans la décision de déclarer sans droit ni titre les occupants depuis
18 ans et de prononcer leur expulsion. En effet, l’action principale était une validation de
congé-reprise pour habiter parfaitement régulier. N’ayant joué aucun rôle dans la rupture du bail,
plusieurs fois renouvelé, à sa dernière échéance, les conséquences de la sous-location prohibée,
qui relevaient d’une demande principale mais accessoire, ont été examinées de façon autonome et
doivent être étudiées telles quelles.
Or, s’il n’est pas en soi choquant que les preneurs sortants, qui n’habitaient manifestement plus
leur logement parisien du 5e arrondissement depuis trois ans, soient pénalisés de cette attitude, et
même à hauteur globale de 5 000 €, ce qui est sans doute inférieur au profit tiré de la violation de
la clause de destination sur une telle durée, on n’approuvera cependant pas cette décision dans sa
motivation incertaine.
La première objection tient à la qualification du préjudice subi par le bailleur : en quoi ce dernier
peut-il revendiquer un préjudice moral forfaitairement évalué en chiffres ronds ? La forfaitisation est
d’ailleurs régulièrement censurée par la Cour de cassation (Civ. 3e, 7 juill. 2015, n° 14-15.281, AJDI
2015. 842 , obs. F. de La Vaissière , sur l’indemnisation des réparations locatives). Mais dès lors
que le jugement retient comme motivation que « le locataire a profité du bien mis à sa disposition à
bail non pas pour l’habiter, mais également pour gagner de l’argent » le préjudice ne peut être que
financier alors qu’il est indiqué non sans contradiction « aucun préjudice matériel ou financier
n’étant démontré… ».
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Il existe donc une faute contractuelle et un préjudice de la victime, sauf à le requalifier autrement,
mais existe-t-il un lien de causalité, qui est la troisième condition ? On s’étonne que ce point n’ait
pas été abordé par les parties, car la réunion, comme ici, des deux premières conditions n’est pas
suffisante, et on peut discuter du lien entre une violation de la clause de destination, et un
préjudice financier hypothétique, n’étant pas discuté que le bailleur a reçu à temps le paiement de
son loyer contractuellement prévu.
Certes, on pourrait invoquer à cet égard l’idée que la sous-location est prohibée parce qu’il en
résulte un gain illicite pour le sous-bailleur, et c’est d’ailleurs ce qui fonde aussi bien pour les baux
commerciaux qu’en habitation l’action dite « en supplément de loyer » qui vise à transférer au
bailleur la fraction de gain (par rapport au loyer contractuel dû) engrangé par le locataire principal
au détriment de son propriétaire, qu’on a tenu dans l’ignorance de cette manœuvre supposée
cupide. Encore faudrait-il que la demande soit assise sur ce fondement-là, et donne lieu à un calcul
rigoureux du supplément de gain obtenu au détriment du bailleur, et non sur un préjudice moral
dont on a vu qu’il était un fondement bien faible en l’espèce.
Enfin, il est un aspect non examiné par la décision mais qui ne peut être occulté, c’est le régime de
l’affectation administrative du logement, question qui a fait couler ces temps-ci beaucoup
d’encre…la mairie de Paris ayant mené une offensive contre les sous-locations de type AirBnB, avec
des issues diverses (comme le prouve l’échec du Parquet de Paris en référé : TGI Paris, ord., 21
janv. 2016, AJDI 2016, obs. F. de La Vaissière, à paraître) afin de satisfaire les hôteliers qui se
plaignent, dans cette période post-attentats, de la concurrence illégale des maisons d’hôtes et des
locations touristiques de courte durée par des particuliers, qui s’affranchissent en passant des
contraintes de la loi ALUR, même si la sous-location n’est en principe pas concernée par cette
législation.
De ce point de vue, on pourrait critiquer le cumul des sanctions qui pèsent sur les particuliers
tentés de réaliser le gain que les locations touristiques leur permettent ; on a vu récemment la
polémique sur la double peine, le Conseil constitutionnel se trouvant saisi de questions prioritaires
de constitutionnalité (affaires Wildenstein et Cahuzac) arguant d’inconstitutionnel le cumul de la
sanction fiscale et pénale d’un comportement irrégulier unique. En matière de locations à une
clientèle de passage, outre la sanction civile allant de la résiliation du bail à des dommages-intérêts
(comme dans l’espèce commentée), l’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation
prévoit, au-delà du retour à l’habitation sous astreinte par m² concerné, une amende de 25 000 €,
et cela fait beaucoup de graves sanctions pour des particuliers qui ne font que se situer dans l’air
du temps, au vu des nouveaux besoins d’une clientèle friande de moyens alternatifs de se loger à
moindre frais.
Il est vrai cependant que la réglementation parisienne d’une redoutable complexité, et qui exige
l’impossible (compensation par rachat de la commercialité à hauteur du double de la surface en
cause dans les quartiers centraux de Paris) est de ce fait superbement ignorée ou contournée, et
que l’article L. 631-7-1, A, du code de la construction et de l’habitation dispense paradoxalement de
toute autorisation administrative dérogatoire le changement d’usage, pour de courtes locations à
une clientèle de passage, d’un local qui constitue la résidence principale du sous-bailleur.
En transposant dans le cas présentement commenté, le cumul de sanctions aurait été évité, sans
qu’on puisse généraliser cette issue car la qualification de « résidence principale » est difficilement
compatible avec le renouvellement fréquent de courtes locations supposant l’éviction de l’occupant
naturel, qui ne peut plus justifier de huit mois au moins d’occupation par an.
Enfin, que dire d’un statut (Partie législative du CCH, Livre VI, Titre III, Chapitre 1er, section 2) qui
comporte la stipulation que les arrangements contraires à l’ordre public de l’affectation
administrative dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants et en région parisienne sont
frappés d’une nullité absolue, et comment dès lors justifier d’un fondement contractuel de
l’allocation de dommages-intérêts au bailleur sur la base d’un acte juridique légalement inexistant ?
Pour le moins, la responsabilité civile contractuelle s’effacerait au profit de la responsabilité
quasi-délictuelle, qui est d’une autre nature, et qui comporte un autre régime indemnitaire…
On voit que les questions posées par cette pratique massive sont loin d’avoir trouvé toutes les
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réponses qu’elles suscitent !
par François de La Vaissière
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