Les enjeux de l`eau en Inde

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Les enjeux de l`eau en Inde
Les enjeux de l’eau en Inde
Fortement avantagée par sa zone himalayenne où trois fleuves majeurs prennent leur source,
l’Inde ne manque a priori pas d’eau. Cette ressource, qui au plan régional suscite des tensions
géopolitiques, fait cependant l’objet d’une exploitation domestique préoccupante en raison de la
défaillance des réseaux de distribution et des prélèvements incontrôlés du secteur agricole. S’il n’y
a pas de déficit aujourd’hui, à situation constante, une pénurie à l’horizon 2030 est envisagée par
les experts. Pour faire face à cette situation, le gouvernement indien a lancé plusieurs programmes
ambitieux et l’expertise française dans ce domaine pourrait, dans une certaine mesure, contribuer
à relever le défi indien.
1. Une ressource à l’origine de tensions géopolitiques régionales
L’Inde représente 16 % de la population mondiale et dispose de 4 % des réserves d’eau douce,
réparties très inégalement sur le territoire. Certaines régions sont très arides (Rajasthan, Gujarat), alors
que d’autres bénéficient de la proximité de l’Himalaya, considéré comme le véritable « château d’eau » de
cette partie du monde.
L’accès aux ressources aquifères de l’Himalaya est de longue date un enjeu politique, qui génère des
tensions entre l’Inde et ses voisins. La répartition des eaux du Gange, de l’Indus, du Brahmapoutre
est au centre des problématiques énergétiques (le Népal représente le deuxième potentiel
hydroélectrique dans le monde après le Brésil), de sécurité (protection contre les inondations, exodes de
population ou immigration à l’image de l’exode des Chakmas bouddhistes du Bangladesh vers l’Arunachal
Pradesh), d’alimentation (dans une région qui compte 276 millions de personnes en situation de
malnutrition, soit 1/3 du total mondial) et de souveraineté (ressources situées dans les zones disputées du
Tibet et du Cachemire). Trois conflits pour le contrôle des eaux himalayennes sont particulièrement
emblématiques : la rivalité entre l’Inde et le Pakistan sur le débit de l’Indus (un traité international a été signé
à ce sujet en 1960 sous l’égide de la Banque Mondiale), le projet de barrage chinois en amont du
Brahmapoutre et le canal de dérivation des eaux du Gange vers la rivière Hooghly, construit par l’Inde et
contesté par le Bangladesh.
Entre Etats indiens, les disputes relatives à la gestion des barrages et au partage des eaux de rivière
sont également nombreuses. Le Tamil Nadu et le Kerala s’opposent ainsi autour du barrage Mullaperiyar
sur la rivière Periyar (Kerala), ainsi que sur la répartition des eaux de la rivière Cauvery.
2. Une surexploitation par les usages domestiques
Les ressources en eau, qui proviennent des fleuves et rivières, des lacs mais surtout des nappes
phréatiques, sont exploitées de manière intensive et peu précautionneuse (rejet des eaux usées,
entreposage de déchets solides, urbanisation de certains plans d’eau, pompage inconsidéré). La
consommation d’eau annuelle est la première au monde et était estimée à 716km3 en 2010. En Inde,
l’eau est utilisée presqu’exclusivement par le secteur agricole et l’élevage (91%), tandis que
l’approvisionnement des municipalités et les usages industriels ne représentent respectivement que
7% et 2% (source AQUASTAT FAO 2012). Cette consommation est majoritairement le fait de prélèvements
dans les eaux souterraines, qui alimentent 60 % de l’irrigation et 85% de l’eau potable dans les
municipalités. Dans la mesure où les usages de l’eau ne sont pas régulés, le recours massif aux eaux
souterraines n’apparaît pas soutenable à long terme.
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Le secteur agricole est largement à l’origine de cette situation. Dans le cadre de la Révolution verte,
l’objectif de développer les rendements agricoles et de parer aux variations de la mousson, laquelle
contribue à 80% de apports pluviométriques, a entraîné un développement incontrôlé des points de
pompage des eaux souterraines (21 millions aujourd’hui), d’autant plus que l’énergie nécessaire aux
moteurs n’est pas facturée au prix réel (subventions à l’électricité et au diésel). A cette surexploitation,
s’ajoute un gaspillage important. Alors que l’irrigation couvre désormais près de 43% de la surface cultivée
du pays, les systèmes utilisés sont peu performants : en moyenne 50% de l’eau pompée n’est pas
distribuée. Le niveau des nappes phréatiques est critique dans de nombreux Etats, particulièrement le
Punjab où elles ne se rechargent plus depuis les années 1980. Au contraire, leur déclin s’accélère :
l’abaissement des nappes au Punjab était mesuré à 42 cm par an entre 1997 et 2002 et à 75 cm par an
entre 2002 et 2006.
En zone urbaine, où la pression démographique est très forte (le pays comptait 380 millions d'urbains
en 2011 et, à l'horizon 2030, la population urbaine devrait atteindre plus de 600 millions d'habitants), la
gestion des eaux est défaillante. Elle ne permet pas de maîtriser efficacement l’acheminement
quantitatif et qualitatif de l’eau aux ménages. Les infrastructures de gestion de l’eau sont insuffisantes à
tous les niveaux (approvisionnement, stockage, traitement) : seuls 21 % des effluents domestiques sont
traités et, comme plus de 60 % des stations d’épuration existantes fonctionnent mal, moins de 10% des
effluents urbains sont correctement traités. L'accès à l'eau potable est globalement déficient (dans le
Karnataka, seulement 34% de la population a accès à l'eau potable) et discontinu (en moyenne 2 à 3 heures
de distribution d'eau par jour avec des situations très variables selon les villes : 2h/jour à Ahmedabad,
4h/jour à Delhi et jusqu'à 10h/jour à Chandigarh). Pour pallier ces dysfonctionnements, une économie
parallèle des ‘tankers’ (pompage illégal puis acheminement de l’eau aux ménages et aux industriels par
camions en dehors du circuit public de distribution d’eau) s'est mise en place et constitue aujourd'hui un
lobby opposé à la modernisation des réseaux.
Les enjeux de l'eau dans l'Inde urbaine portent sur le renforcement des capacités des collectivités
locales (personnel peu formé et données pour gérer les ressources peu fiables) et l'augmentation des
investissements financiers. Selon les estimations d'une étude conduite par Mc Kinsey Global Institute, 80
Mds € seraient nécessaires pour la période 2010-2030 afin de réaliser les investissements requis pour
l’approvisionnement en eau potable et près de 45 Mds € pour l’assainissement. De plus, le système de
tarification est aujourd’hui très peu efficient (40% de l'eau utilisée en ville ne génère aujourd'hui aucun
revenu). Des pistes d’amélioration voient cependant le jour, notamment grâce au recours au secteur privé
qui se généralise (impulsion lancée à partir du fonds JNNURM - Jawaharlal Nehru National Urban Renewal
Mission) ainsi qu'une association plus active des habitants et usagers aux projets.
3. Le spectre d’une crise majeure
Ces usages agricoles, alimentaires, mais aussi industriels, sont soumis à très peu de contrôle et de
régulation aujourd'hui. Ils induisent des niveaux de pollution alarmants, tant pour les nappes
phréatiques que pour les fleuves et rivières. Sur 676 districts, qui sont l’équivalent indien des
départements, 385 connaissent des nappes phréatiques polluées aux nitrates et 267 enregistrent des
niveaux excessifs de fluorure. La contamination aux métaux lourds et à l’arsenic est constatée
respectivement dans 63 et 53 districts. Selon une étude du Water and Sanitation Programme (programme
mondial fondé par la Banque Mondiale et les Nations Unies), le déficit et la mauvaise performance des
installations sanitaires en Inde entraîneraient une perte économique équivalente à 6,4% du PIB.
D'après le Water Resources Group 2030 (entité placée sous l’égide de la Banque mondiale et du cabinet
McKinsey), sans la mise en place d’une politique de l’eau volontariste, l’Inde devrait faire face à une crise
sévère à l’horizon 2030, moment où la consommation dépassera largement les ressources renouvelables.
Cet écart pourrait être rendu plus critique encore par les effets du dérèglement climatique (fontes des
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glaciers et abaissement des stocks himalayens, sécheresse, dérèglement de la mousson, élévation du
niveau de la mer entraînant la salinisation des nappes à proximité du littoral).
Face à cette situation, l’Inde a partiellement recours aux bailleurs de fonds internationaux (la Banque
Mondiale, la BAsD ou encore les prêteurs bilatéraux, telle la JICA). Deux programmes dotés chacun
d’environ 800 M € ont été lancés par la Banque mondiale : le programme de dépollution du Gange dédié à
l’assainissement et à la gestion des déchets (approuvé en 2011, en « stand-by » depuis lors et désormais
considéré comme une priorité par le nouveau gouvernement), et un programme consacré à la mise en place
de la distribution de l’eau en continu. Le gouvernement Modi a récemment lancé différentes missions
dans le domaine de l’eau : une mission sur les smart cities dont la gestion de l’eau urbaine fait partie
intégrante, une mission « Clean India » d'ici 2019, et enfin un projet de liaison des cours d'eau en Inde
(National Rivers Interlinking Project).
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