Le syndrome de Diogène: le phénomène de l`accumulation des déchets

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Le syndrome de Diogène: un phénomène
d’accumulation des déchets
du point de vue psychiatrique
Le besoin obsessionnel et compulsif d’accumuler et de thésauriser,
comme trouble du comportement envahissant
Thomas Knecht
Psychiatrische Klinik, Münsterlingen
Quintessence
% Le syndrome de Diogène est une catégorie diagnostique hétérogène sur le
plan étiopathogénique; il concerne des patients négligés, en état d’incurie,
généralement âgés, dont la symptomatologie dominante consiste à amasser et
à entasser des objets inutiles, parfois même des déchets.
% Dans de nombreux cas, il existe à la base un trouble de la personnalité, une
évolution vers une démence, une psychose endogène, une névrose obsessionnelle-compulsive.
% Une expulsion du logement ainsi qu’une privation de liberté à des fins
d’assistance (PLFA), entraînant une admission en établissement psychiatrique,
n’est pratiquement possible que s’il existe un trouble psychiatrique ne pouvant
être traité d’une autre manière. L’incurie ne suffit pas per se à motiver habituellement un internement.
% Un traitement psychiatrique-psychothérapeutique s’oriente en fonction du
trouble de base et inclut aussi bien des méthodes somatiques que non somatiques. Seuls des symptômes de troubles obsessionnels compulsifs (TOC) extrêmement marqués doivent inciter à opter pour des mesures de thérapie du
comportement.
Summary
Diogenes syndrome:
rubbish hoarding from the psychiatric viewpoint
% Diogenes syndrome is the diagnostic label for a heterogeneous group of
usually elderly patients characterised by self-imposed neglect and whose main
symptoms are collectionism and hoarding.
% The underlying problem is in many cases a personality disorder, any form
of dementia, an endogenous psychosis, an obsessive-compulsive disorder or
a disorder of impulse control.
% Compulsory removal to a psychiatric hospital is not legally possible if
self-neglect is the only reason for the chaotic and squalid state of the patient’s
home. The grounds for committal must be a psychiatric disorder not treatable
otherwise.
% Psychiatric and psychotherapeutic management is based on the underlying
mental disorder and includes pharmacological and non-pharmocological
interventions. Only in the case of an obsessive-compulsive disorder may specific cognitive-behavioural techniques be applied.
Introduction
Il arrive assez souvent que des gens attirent l’attention des autorités et de leur environnement
social après avoir perdu tout contrôle de l’état
de leur logement. Le résultat de cette négligence
en rapport avec la tenue et de la propreté du
logement entraîne parfois un «entassement de
déchets» extrême, menaçant la santé, et rendant
parfois impossible de continuer à vivre dans
ce logement devenu insalubre. En allemand, la
presse évoque ce syndrome sous le nom de «Messie-Syndrom», du terme anglais «mess» signifiant
désordre, déchets ou saleté. Les spécialistes, notamment les anglo-saxons, lui préfèrent le terme
de «syndrome de Diogène». Cette description
vient du philosophe grec Diogène de Sinope (412
à 323 av. J.-C.). Le principal représentant du
«cynisme» aurait lui-même radicalement mis en
pratique son principe d’ascèse au point de vivre
dans une niche ou dans un tonneau.
On trouve d’autres descriptions de ce phénomène
et de ce type de comportement, dans les médias
spécialisés ou tout public:
– syndrome d’encombrement par des déchets;
– manie de l’amassage;
– entassement obsessionnel compulsif;
– compulsive hoarding behaviour, comportement d’entassement compulsif;
– (forced) collectionism, amassage compulsif;
– domestic squalor, incurie domestique;
– senile squalor syndrome, syndrome d’incurie
sénile;
– chronic saving behaviour, comportement
d’épargne chronique;
– litter cluttering syndrome, syndrome d’encombrement par des déchets;
– syndrome de Pluchkine.
Une brève description de ce trouble aux contours
vagues, même si elle n’est pas exhaustive, nous est
fournie par Peters [1]: «Une négligence extrême
chez des personnes âgées auparavant actives
et ayant réussi dans la vie. Ces gens cessent de
Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 829 ou sur internet sous www.smf-cme.ch.
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prendre soin d’eux-mêmes, négligent leur hygiène
et ne s’alimentent plus correctement. Ils emmagasinent dans leur appartement toute sorte de
fatras. Ils vivent seuls et refusent toute aide qui
leur est offerte. Ce sont en général des personnes
isolées, méfiantes, éloignées du réel et jadis
dépendantes des autres. Leur alimentation désordonnée les expose à des déficits en protéines
sériques, en vitamines, en fer et en liquides.»
Même s’il ne s’agit pas ici d’une définition étayée
par des critères, dans le style des manuels diagnostiques courants, il est déjà clair que le syndrome de Diogène est un trouble plutôt inhomogène et complexe, évoquant un trouble de la personnalité, une manifestation associée au vieillissement, le développement d’une négligence, d’une
clochardisation, d’une incurie, des perturbations
dans l’alimentation et autres troubles du comportement.
Il n’est donc pas étonnant que des concepts tels
que «syndrome de Diogène», «syndrome de
l’amassement, de l’entassement» n’apparaissent
pas dans l’index alphabétique des manuels diagnostiques tels que l’ICD-10 [2] ou le DSM-IV [3].
Aspects éthologiques
Les dénominations symptomatologiques utilisées
notamment dans l’espace anglo-saxon, telles que
«collectionism» et «hoarding», suggèrent bien
que le syndrome de Diogène représente le développement excessif, obsessionnel et compulsif de
modes de comportements circonscrits très significatifs sur le plan des sciences comportementales. Les syndromes-clés que sont l’amassement
et l’entassement sont par nature étroitement
associés aux objets extracorporels, c’est-à-dire
aux objets avant tout générés par la culture
humaine. Ainsi, intuitivement, on ne peut guère
imaginer que de tels phénomènes aient déjà été
décrits hors du domaine humain, c’est-à-dire
dans le règne animal; il s’ensuit logiquement que
le syndrome de Diogène est un trouble du comportement spécifique survenu avec la civilisation
humaine. Malgré tout, un petit tour d’horizon
dans le règne animal pourrait nous permettre
de rechercher d’éventuels modes de comportement homologues, tels que nous les connaissons
d’autres syndromes psychopathologiques (par ex.
pica, phobies, comportement de toxicomanie,
déviations sexuelles).
La question se pose donc de savoir s’il existe des
animaux qui entassent et engrangent certains
objets dans des buts précis et, si tel est le cas, dans
quels cercles fonctionnels (alimentation, accouplement, logis, soins donnés à la couvée, etc.)
les modes de comportements correspondants
s’imbriquent. Même si, dans ce genre de comparaisons – comme toujours dans les considérations éthologiques – on ne peut certainement pas
appliquer de conclusions directement de l’ani-
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mal à l’humain, de telles observations chez l’animal peuvent fournir de précieuses informations.
On connaît bien la propension à faire des réserves de nourriture chez l’écureuil (Sciurus vulgaris) et les espèces apparentées; et le comportement du hamster (Cricetus cricetus) est devenu
proverbial, qui peut entasser dans ses cavernes
jusqu’à 30 kg de graines de plantes (par ex.
graines de céréales, glands, faînes). Mais il peut
aussi récolter des objets inanimés dans le but
de fabriquer un logis (nid, hutte), selon un ordre
défini (cf. coquilles des larves de la mouche platyphylax, ou huttes primitives en feuilles et branchages chez les grands singes). La fabrication du
nid est un phénomène connu chez de nombreuses
espèces d’oiseaux; il n’y a pas que les pies qui
collectionnent des objets parfois très bizarres.
De même, dans le cadre de la parade nuptiale, le
mâle entasse divers objets; chez le rapace mâle,
qui désire impressionner sa partenaire sexuelle
en construisant un nid au moyen de feuillages
fabuleux et colorés, l’objectif associé à la reproduction est évident [4]. Par contre, ce but est moins
évident parmi les pingouins de Terre Adélie, qui
vivent sur l’île de Ross en Antarctique et y amoncellent des galets pour attirer l’objet de leur désir.
Dawkins [5] parle de «phénotype étendu» (extended phenotype), résumant en tant que phénomène global le mode de vie et les artéfacts qui,
selon lui, sont le fruit de l’instinct, nommément
la larve de la mouche platyphylax et tout son logis
fait de petits cailloux et de ciment, le castor et la
digue en bois qu’il construit – deux formations
dont les auteurs sont d’espèce fort différente
mais dont l’activité précise leur permet à tous
deux d’optimiser leur autoprotection.
On peut donc constater que l’acquisition et la
conservation d’objets extracorporels dans le règne
animal, peut viser des fonctions fort différentes,
allant de la protection du danger à l’élaboration
de réserves en passant par la recherche d’une
partenaire et les soins donnés à la couvée.
Contrairement à l’être humain, on ne connaît
toutefois aucune espèce animale utilisant des
objets extracorporels pour délimiter leur territoire: ils utilisent pour cela, sans exception, leurs
sécrétions corporelles (urines, selles, sécrétions
parfumées spécifiques).
L’entassement: histoire de ce concept
Malgré la caractérisation de l’Homo sapiens en
tant que «chasseur-cueilleur», la pathologie de
l’activité de collectionnisme humain a fait pendant longtemps l’objet d’un manque d’attention de la part des sciences. Par contre, les tribus humaines de l’Age de pierre construisaient
déjà des dépôts d’outils de silex grossièrement
taillés et d’accumulation d’os d’animaux [6]. La
«manie pathologique de la collection» peut toutefois, bien que partiellement, être attribuée à la
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recherche de nourriture, si l’on excepte l’entassement d’aliments qui peut parfois devenir un
sérieux problème de soin et d’hygiène. La majorité des cas de collectionnisme pathologique devrait ainsi être associée à d’autres cercles fonctionnels.
On a déjà observé chez Homo habilis une affinité
envers les objets faits par lui-même servant à son
propre équipement (vêtements, armes, appareils,
etc.), de sorte que pour la première fois dans
l’arbre de vie, des individus ont traîné des objets
inanimés sur de longues distances. C’est à cette
époque qu’a commencé l’accumulation de propriétés qui revêtent encore une importance extrême pour la culture moderne, d’autant plus que
la capacité à accumuler les ressources matérielles est bientôt devenue une marque de succès
et un avantage sélectif qui s’est ainsi développé
dans la lutte pour la survie et la recherche d’un/e
partenaire.
Un lien affectif intense envers certains objets
inanimés a été constaté, tôt déjà dans l’histoire
de la psychiatrie, chez les enfants autistes [7, 8].
Le fait que, pour la personne âgée, collectionner
et entasser puisse devenir un problème, a été
mis en évidence par Macmillan et al. [9] en 1966.
Ils ont étudié pendant quatre ans 72 personnes
présentant des symptômes marqués d’incurie et
ont trouvé les facteurs de risque suivants: isolement, alcoolisme, psychose (chez une bonne
moitié d’entre eux!), partageant en outre des
traits de personnalité spécifiques: pauvreté des
contacts, obstination, quérulence, souvent rénitence envers les offres d’assistance qui leur étaient
offerts. Ils ont appelé ce syndrome «senile breakdown in standards of personal and environmental cleanliness» (dépression du sujet âgé pour ce
qui concerne les normes de propreté personnelles et environnementales). Les auteurs ont trouvé
une incidence de 0,05‰ chez les plus de 65 ans.
Le travail qui a donné son nom au syndrome de
Diogène n’a cependant été rendu public qu’en
1975: Clark, Mankikar et Gray [10] ont publié
dans le Lancet leur article intitulé «Diogenes’
syndrome: a clinical study of gross neglect».
Cette étude a analysé 14 hommes et 16 femmes
dont 28 vivaient seuls. Ils souffraient souvent
de carences, par exemple en acide folique, en
vitamine B12, en vitamines D et E ainsi que de
calcium, de fer et de liquides. Toutefois, chez la
moitié d’entre eux environ, il était impossible
de poser un diagnostic psychiatrique; certains
avaient même une intelligence supérieure à la
moyenne. L’entassement de déchets (= syllogomanie) a été caractérisé par ces auteurs comme
une caractéristique facultative.
Clark et al. ont offert deux modèles d’explication
de ce phénomène: soit il s’agit de l’intensification, due à l’âge, d’un style de vie déjà existant,
l’ordre et la propreté revêtant dès le départ une
faible priorité, soit il s’agit d’une réaction de stress
spécifiques de personnes âgées ayant certaines
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caractéristiques psychiques particulières. Dans
tous les cas, il résulte de cette dynamique une
situation de démesure ayant un effet négatif sur
l’état psychique des personnes concernées.
Ce n’est qu’au milieu des années 1980 que sont
parus des travaux en langue allemande sur ce
thème: Klosterkötter et al. [11] utilisaient déjà
en 1985 le terme spécialisé de «syndrome de
Diogène», alors que Dettmering [12], à peu près
simultanément, utilisait l’expression de «syndrome de l’entassement». Tous les auteurs cités
ont vu l’activité d’entassement, le retrait social et
le refus d’aide comme des symptômes cardinaux,
et ont discuté en outre l’influence d’une réaction
de deuil dévoyée.
Une tentative visant à optimiser cette terminologie a été entreprise par Cybulska en 1998 [13]:
il proposa de délaisser le concept de «syndrome
de Diogène» en faveur de «syndrome de Pluchkine». Pluchkine, un personnage du roman de
Nikolaï Gogol «Les âmes mortes», était un veuf
russe aristocrate vivant dans une maison au désordre impressionnant, traversant la contrée à la
recherche de toute sorte de fatras, et accumulant
ses trouvailles dans son logement.
Phénomènes cliniques
Le syndrome de Diogène et ses variantes ne
constituent pas une unité monolithique du phénomène; on observe bien plutôt un spectre de
tableaux cliniques qui viennent aggraver ou mettre en danger la situation locative d’un patient.
De même, sur la base de l’état actuel des connaissances, il n’est pas possible de citer une seule
entité psychiatrique nosologique sur laquelle
serait basé ce trouble; il existe une quantité de
particularités psychopathologiques et de syndromes susceptibles d’être associés à une incurie de
cette ampleur.
Ceci s’applique notamment à l’entassement,
défini comme suit – et qui est pour ainsi dire
une composante passive du syndrome de Diogène – par Frost et al. [14]: le «hoarding» représente l’accumulation de marchandises inutiles
et sans valeurs, ou l’incapacité de s’en débarrasser soi-même.
Damecour et al. [15] citent quatre groupes diagnostiques principaux parmi lesquels on peut s’attendre à rencontrer à ce phénomène:
– troubles cognitifs: démence et retard intellectuel;
– troubles psychotiques;
– troubles alimentaires;
– troubles obsessionnels compulsifs (TOC).
Toutefois, il faut cependant indiquer qu’il existe
un vaste champ transitionnel entre l’état normal
et l’état pathologique: de nombreuses personnes
sans diagnostic psychiatrique entassent dans
leur cave, leur galetas, leur garage ou dans des
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réduits, des objets en tout genre dont la raison
humaine pourrait supposer avec raison qu’ils ne
seront plus jamais utilisés. Mais par nature, il est
difficile de se séparer irrémédiablement d’un bien
qui pourrait offrir une protection éventuelle dans
un avenir lointain, ce qui représente une capacité
spécifiquement humaine. Un tel tableau déformé
des efforts de prévoyance s’observe notamment
dans l’entassement de denrées alimentaires qui
manquent de loin leur but lorsque, en cas de putréfaction des denrées alimentaires, on risque de
mettre gravement en danger sa santé.
La composante active, le collectionnisme pathologique («collectionism»), est plutôt évaluée, sous
l’aspect pathognomonique, comme un symptômeclé utile du syndrome de Diogène [16]. Le fait
d’amasser peut, dans ce cadre, représenter un
trait de caractère prémorbide des personnes qui
développeront plus tard un syndrome de Diogène.
La nature des objets amassés est très variée, elle
a souvent une relation directe avec la personnalité et l’histoire de la personne concernée, quoiqu’il faille définir des différences entre les sexes:
ainsi, les femmes ont plutôt une préférence pour
les vêtements et autres textiles, chaussures, cosmétiques, journaux et revues [17]. Les hommes amassent des appareils techniques et leurs
composantes correspondantes, du matériel de
construction et d’emballage, etc. Dans certains
cas, une vague pensée est associée au fait que ces
objets pourraient être remis en marche et ainsi
constituer une source de gains en étant revendus.
Il est intéressant de constater que, souvent, les
objets et marchandises sont triés d’après certains critères, quoique le but de leur utilisation
n’en constitue aucunement un critère décisif.
Ce peut être bien plutôt la structure externe ou
le matériel qui sont décisifs. Ceci rappelle les
connaissances en psychologie du développement
de H. Werner [18], qui parle de «couche développementale de la mémoire». Avant tout, dans
l’ontogenèse, c’est la mémoire du matériel qui
mûrit, puis celle de la forme, et enfin celle de la
pensée logique. Lorsque la mémoire se dégrade,
il semble que l’on observe un renversement du
processus: Werner indique que les personnes
cérébro-lésées tendent à trier les objets, selon les
circonstances, selon leur forme ou leur matière,
mais pas selon leur fonction. Ainsi, dans un tel
comportement, on peut évoquer un trouble cérébral organique.
Tableau 1. Typologie de situations de logements «Messy-House».
Type 1 «dépôt de marchandise»
a) avec systématique
b) sans systématique
Type 2 «dépôt de déchets»
les déchets ne sont plus éliminés
(emballés ou non)
Type 3 «catastrophe hygiénique»
catastrophe sanitaire: canalisations bouchées,
inaccessibilité des appareils sanitaires,
présence de parasites
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Toutefois, le «collectionnisme» peut aussi survenir en relation avec d’autres entités psychiques
pathologiques: lors de troubles de la personnalité,
notamment lors de formes compulsives et paranoïdes, chez les schizophrènes de type résiduel,
lors de troubles obsessionnels (TOC) et névroses
d’impulsions ainsi que lors d’alcoolisme chronique.
Clark [19] suggère en outre que le collectionnisme/l’entassement sont d’habitude liés à d’autres problèmes concomitants qui sont de la responsabilité immédiate du médecin: mauvaise
hygiène corporelle, présence de parasites, vêtements sales et élimés, maladies associées (par ex.
infections de la peau et du tractus respiratoire),
problèmes et lésions podologiques (par ex. en
trébuchant sur les ordures). Il arrive souvent que
l’on observe une anémie due à une alimentation
carencée, un manque de fer, de vitamine B12 ou
d’acide folique, une ostéomalacie ainsi qu’une
albumine sérique basse. En outre, bien sûr, il
peut exister des troubles cardiaques ou des tumeurs, tous deux non traités.
Diagnostic
Etant donné la situation problématique décrite
plus haut, polymorphe et hétérogène, il n’est
guère aisé de poser un diagnostic adapté. Il est
recommandé d’adopter une approche multiaxiale
comme le prévoit le DSM-IV [3]. Le syndrome de
Diogène serait placé sur l’axe 1, mais – dans la
mesure du possible – toujours en relation avec la
maladie de base correspondante (par ex. syndrome de Diogène dans le cadre d’une démence
vasculaire par infarctus multiples).
Sur l’axe 2, on placerait alors un éventuel trouble de la personnalité préexistant et sur l’axe 3
des facteurs organiques éventuels (par ex. encéphalopathie hypertensive, anémie, etc.).
Sur l’axe 4, il serait possible de représenter les
facteurs de stress psychosociaux (isolement,
pauvreté, vécu de pertes), alors que l’axe 5 est
réservé à l’échelle EGF (évaluation globale du
fonctionnement ou GAF – Global Assessment of
Functioning). Dans ce cadre, il convient de représenter la valeur de points maximale de l’année
précédente.
Les maladies organiques sans lien avec les problèmes psychiatriques devraient alors être définies dans le sens d’un inventaire complet – à peu
près selon l’ICD-10 [20].
Il est en outre possible de décrire la situation du
logement extrêmement sale et encombré («MessyHouse»), et il s’en dégage à l’instar de Dettmering [21] la possibilité d’en graduer l’intensité
(tab. 1 p).
Grâce à cette méthode diagnostique systématique, qui repose en grande partie sur un plan descriptif et ne suggère aucune attribution de cause
à effet trop hâtive, il est possible de définir un ta-
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bleau complexe de cet état et de son environnement dans le sens d’une définition pragmatique
du problème.
Physiopathologie
Puisque le syndrome de Diogène représente un
phénomène étiologiquement non uniforme, les
recherches concernant sa pathogenèse sont par
nature une vraie gageure. Il ne faut pas s’étonner
que les analyses scientifiques correspondantes n’aient été effectuées que pour certaines
sous-catégories diagnostiques. Le comportement
d’entassement compulsif a été analysé le plus
intensivement dans le cadre des TOC (troubles obsessionnels compulsifs). Conformément à Saxena
et al. [22], l’entassement pathologique fait souvent partie intégrante d’un syndrome clinique
circonscrit incluant également les composantes
suivantes:
– faiblesse de décision;
– perfectionnisme;
– hésitation et tergiversation;
– comportement d’évitement.
Par expérience, ce complexe de symptômes répond très mal aux médicaments anti-obsessionnels (par ex. ISRS) tout comme à la thérapie cognitive comportementale.
Les études de tomographie par émission de positron (PET) montrent que les patients ayant un
comportement d’entassement et qui étaient, en
moyenne, âgés, présentent un hypométabolisme
du glucose au niveau de la circonvolution cingulée postérieure et du cunéus. Par contre, les patients OCD sans problématique d’emmagasinage
présentent un hypermétabolisme bilatéral du
thalamus ainsi que du caudé.
Si l’on compare le turnover du glucose dans la
région dorsale de la circonvolution cingulée antérieure, on constate chez les «emmagasineurs»
un métabolisme moins actif que chez les «nonemmagasineurs». En outre, la sévérité de l’emmagasinage présente une relation négative avec
le taux métabolique de glucose dans cette région.
Mataix et al. [23] ont utilisé la tomographie fonctionnelle cérébrale par résonance magnétique
pour comparer l’activité cérébrale chez 16 patients obsessionnels à celle de 17 témoins sains
sous provocation des symptômes. Dans ce but, ils
ont utilisé 50 photographies de couleur neutres
et 50 aversives ainsi que 50 autres montrant des
sujets provocants spécifiques pour les patients
avec maladie obsessionnelle, et ce, selon trois
types de phénomènes obsessionnels: en ce qui
concerne l’obsession du lavage, ces photos montraient des illustrations de toilettes publiques et
de cabines téléphoniques, etc. En ce qui concerne
l’obsession du contrôle, les photos montraient
des objets tels que cuisinières, des portes ouvertes, des porte-monnaies et en ce qui concerne
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l’entassement, de vieux journaux, des vêtements,
des jouets, des bouteilles et canettes vides, etc. Il
s’est alors avéré que pour visualiser le thème
«obsession de lavage», les régions cérébrales
suivantes des patients obsessionnels étaient suractivées: région ventromédiane préfrontale bilatérale ainsi que noyau caudé droit.
Pour le thème «obsession du contrôle», les régions
étaient: le putamen, le globus pallidus, le thalamus, les régions dorsales corticales.
Un autre type d’activation a été mis en évidence
pour le thème de l’entassement, il concerne la
circonvolution précentrale gauche et l’ortex orbitofrontal droit.
On peut en conclure que les différents symptômes
d’obsession sont transmis par des composants
bien différenciés du cercle de régulation frontostriato-thalamique, quoi que même en ce qui
concerne l’entassement compulsif, on puisse
dégager des structures cérébrales clairement
circonscrites.
Moll et al. [24] ont étudié le syndrome d’entassement en tant que type de comportement obsessionnel survenant de manière plus fréquente
chez les enfants avec troubles hyperactifs et
déficit de l’attention, qui ont développé en sus
un trouble obsessionnel. Ils ont constaté que
les symptômes obsessionnels, comme l’entassement, étaient au premier plan par rapport à
d’autres modes de comportement obsessifs compulsifs comme l’évitement de la saleté, l’obsession de répétition et l’excès de méticulosité. Ils
en ont déduit que l’entassement pouvait être un
comportement préférentiel chez les personnes
dont la souplesse comportementale est limitée,
ce qui est généralement contrôlé par le cerveau
frontal.
Le travail de Volle et al. [25] va dans le même
sens; il a analysé le phénomène de collectionnisme compulsif («forced collectionism») lors
de lésion cérébrale orbitofrontale bilatérale. Il a
trouvé que le comportement d’entassement compulsif était du moins initialement spécifique et
orienté vers un but; par exemple, un homme de
40 ans commença, après une double opération
pour méningiome olfactif, à chercher en ville et
à ramener chez lui différents appareils ménagers
tels que réfrigérateurs, machines à laver, télévisions. Il a d’abord récolté ses appareils dans son
salon, puis sa chambre à coucher, son corridor, sa
salle de bains, sa cave, et finalement les buses de
son ventilateur. S’y sont plus tard ajoutés du
vieux papier, des cabas à commissions, des bouteilles vides et des boîtes. Un examen au PET a
montré un hypométabolisme orbitofrontal. Dans
la partie «discussion», les auteurs détaillent les
différents aspects de ce comportement d’entassement dédifférencié dû à un problème organique: des tendances captatives désinhibées, une
tendance à adhérer aux objets physiques, un
comportement de persévération allant jusqu’aux
automatismes, le lobe frontal n’étant plus en
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mesure de contrôler les modes de comportement
dus à des structures subordonnées, par exemple
des lobes pariétaux.
Aspects thérapeutiques
Etant donné le fait que les patients atteints de
syndrome de Diogène représentent une catégorie diagnostique très inhomogène sur le plan
étiopathogénique, il est naturellement difficile de
formuler des directives thérapeutiques applicables à tous les patients. Par conséquent, un diagnostic sophistiqué est toujours indispensable,
afin de pouvoir, dans la mesure du possible, en
faire ressortir une catégorisation nosologique la
plus fiable possible.
Le premier problème important auquel sont
confrontés les professionnels, dans des cas de ce
genre, est la question de savoir si un individu
concerné peut être laissé dans cet état d’incurie
et d’entassement sévère. Les premiers auteurs
ayant décrit ce syndrome [10] ont mentionné
dans leur article original qu’il n’était pas admissible d’éloigner une personne contre son gré seulement en raison du désordre régnant dans son
logement, et de l’envoyer contre son gré dans une
institution psychiatrique. Cette conclusion pourrait être valable pour les interventions thérapeutiques ou des autorités; mais pour un propriétaire immobilier dont les possessions sont
exposées à une baisse continue de leur valeur, la
situation pourrait être tout autre. On peut s’attendre dans ce cas à une expulsion mais pas à
des conséquences thérapeutiques.
C’est pourquoi il est intéressant de savoir quels
sont les aspects prévalant en Suisse, et les circonstances de privation de liberté à des fins d’assistance (PLFA). Toujours est-il que le concept
juridique d’«état d’incurie grave» tombe sous les
critères d’entrée de l’article 397a CSS. Cependant, la jurisprudence de la Confédération empêche que l’on se focalise exclusivement sur ce
critère: d’après un arrêté du Tribunal fédéral
ATF 128 III 12s., il faut pour cela un état de
«misère qui n’est absolument plus compatible
avec la dignité humaine». Ce n’est que dans ces
circonstances que le concept d’incurie peut recouvrir les cas dans lesquels la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) admet
une assistance sans que la personne ne soit malade psychiquement, faible d’esprit ou toxicomane. Dans tous les autres cas, l’incurie (ou état
d’abandon selon le rédacteur de la loi) peut ne
représenter qu’un critère secondaire qui, le cas
échéant, souligne et renforce le principal motif
d’admission (c’est-à-dire le trouble psychiatrique) dans ses conséquences sociales.
Cela signifie donc que, dans de nombreuses situations d’accumulation de déchets, il convient
de fournir à la personne concernée l’aide nécessaire et une coopération sur place, pour qu’elle
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puisse rester dans son logement. D’après nos
propres expériences, c’est une entreprise difficile
dans de nombreux cas parce que ces patients
offrent souvent une résistance envers toute pénétration de leur territoire et ne se séparent qu’avec
répugnance de leurs objets entassés.
Dans les cas difficiles, nous devons vérifier, en
tant que médecins appelés, et avant toute chose,
si le comportement psychopathologique remplit
un autre critère d’entrée de l’article 397a CSS et
si l’assistance nécessaire peut être fournie d’une
autre façon, c’est-à-dire de manière ambulatoire.
Ce n’est que si l’on peut répondre à la première
question par un oui clair et à la seconde par un
non que l’on peut recourir aux moyens nécessaires à une admission dans une institution dans
le sens d’une PLFA, d’autant plus que les autres
critères secondaires de «surcharge pour l’environnement», dans le cas d’un syndrome de Diogène, ne doivent pas généralement recevoir de
pondération excessive.
Le traitement psychiatrique/psychothérapeutique repose sur la pathologie de base, qui doit être
définie par un diagnostic clinique, de laboratoire
et le cas échéant par des tests et ce le plus précisément possible. Comme toujours, il convient de
distinguer entre procédures thérapeutiques somatiques et non somatiques.
En ce qui concerne les méthodes somatiques,
citons avant tout la pharmacothérapie. Il existe
aujourd’hui déjà une sélection réjouissante de
psychotropes spécifiques: les médicaments contre
la démence lors de maladie d’Alzheimer ou de
démence d’autre origine, les neuroleptiques
atypiques chez les schizophrènes, avant tout
avec symptômes négatifs, les inhibiteurs sélectifs
du recaptage de la sérotonine (ISRS) chez les
obsessionnels, les antagonistes des opiacés chez
les kleptomanes et d’autres encore. Les neuroleptiques atypiques peuvent aussi exercer des
effets positifs chez les patients avec troubles de
la personnalité (par ex. paranoïdes ou borderline) mais il s’agit là d’une indication dite «offlabel», ce qui signifie qu’elle ne fait pas partie
des indications pour lesquelles le produit a reçu
une autorisation de mise sur le marché. Il en
va de même pour les ISRS, en l’absence de
TOC.
Il s’y ajoute, en conditions cliniques, différentes
thérapies «actives» permettant au patient de rétablir une structure quotidienne sensée permettant de l’éloigner des activités de fonctionnement
à vide que sont l’emmagasinage et le collectionnisme.
Enfin, sur le plan non somatique, faisons remarquer, concernant les possibilités d’intervention
non somatiques, des psychothérapies spécifiques:
en cas de collectionnisme compulsif dans le sens
strict, on peut appliquer des méthodes issues du
répertoire de la thérapie cognitive du comportement. D’après Frost et al. [14], ces techniques
sont efficaces sur quatre plans:
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– déficit de traitement des informations (incapacité à se décider, évaluation de la probabilité concernant les futurs besoins des objets
concernés);
– problèmes de résolution des liaisons affectives (les objets donnent confiance, aident à
diminuer le stress);
– comportement d’évitement (on évite de jeter
les objets par peur du changement et pour
éviter la douleur due à la séparation);
– représentations altérées sur la nature et la
valeur des possessions (parfois, représentation magique, notamment chez les schizophrènes qui craignent d’être influencés au cas où
leurs objets tomberaient en mains étrangères).
Références recommandées
Correspendance:
Dr Thomas Knecht
Leitender Arzt
Psychiatrische Klinik
Postfach 154
CH-8596 Münsterlingen
[email protected]
– Peters U.H, Lexikon Psychiatrie. Psychotherapie, Medizinische
Psychologie. 5. Aufl. München: Urban u. Fischer; 2000.
– Mac Millan D, Shaw P. Senile breakdown in standards of personal and environmental cleanliness. BMJ. 1966;2:1032–7.
– Clark ANG, Mankikar GD, Gray I. Diogenes Syndrome: a
clinical study of gross neglect in old age. Lancet. 1975:366–8.
– Klosterkötter J, Peters U.H. Das Diogenes Syndrom. Fortschritte der Neurologie. Psychiatrie. 1985;53:427–34.
– Dettmering P. Das «Vermüllungssyndrom» – ein bisher unbekanntes Krankheitsbild. Öff. Gesundheitswesen. 1985;47:
17–9.
– Greenberg D. Compulsive hoarding. Am J Psychother. 1987;
41:409–16.
– Werner H. Einführung in die Entwicklungspsychologie. München: J. A. Barth; 1970.
Forum Med Suisse 2007;7:839–845
Dans ce cadre, d’après Hartl et al. [26], on peut
recourir aux techniques spécifiques suivantes:
– decision-making training (entraînement aux
prises de décision);
– exposure (tentatives d’exposition: apprendre
à supporter les situations de crainte);
– response prevention (empêcher les réactions
pathologiques, introduire des alternatives);
– cognitive restructuring (correction de la distorsion des représentations fausses et pathologiques).
Il convient cependant de remarquer que ces possibilités d’intervention spécifiques des troubles
ne promettent le succès que si le syndrome de
Diogène repose sur un terrain de névrose obsessionnelle.
– Clark ANG. Diogenes Syndrome – How to assess severe, selfimposed neglect. Geriatr Med. 1980:65–67.
– Mataix-Cols D, Wooderson S, Lawrence N, Brammer MJ,
Speckens A., Philips ML. Distinct neural correlates of washing, checking and hoarding symptom dimensions in obsessive-compulsive disorder. Arch Gen Psychiatry. 2004;61:
564–74.
– Hartl TL, Frost RO. Cognitive-behavioral treatment of compulsive hoarding: a multiple baseline experimental case
study. Behav Res Ther. 1999:451–61.
Vous trouverez les références complètes [1–26] dans l’édition
en ligne de cet article, sous www.medicalforum.ch.