Position de thèse - Université Paris
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Position de thèse - Université Paris
UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE 4 Civilisations, cultures, littératures et sociétés Laboratoire de recherche Westpac THÈSE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline/ Spécialité : Anglais/civilisation américaine Présentée et soutenue par : Aurélie BLOT le 26 novembre 2011 La représentation de la famille dans les family sitcoms depuis les années 1950 Sous la direction de : Monsieur le professeur Pierre LAGAYETTE Université de la Sorbonne Paris IV JURY Monsieur le professeur François GALLIX Université de la Sorbonne Paris IV Monsieur le professeur André KAENEL Université de Nancy Madame le professeur Anne-Marie PAQUET-DEYRIS Université de Paris Ouest Nanterre La Défense Monsieur le professeur Jack SANTINO Université de Bowling Green, Ohio Proposition de thèse Dans son ouvrage Reading Television1, John Fiske qualifie l’évolution du genre de la sitcom familiale de la manière suivante : « Plus ça change et plus c’est la même chose2 » revendiquant l’idéologie de la famille patriarcale dans la sitcom familiale qui continue d’influencer le genre télévisuel et d’imposer sa structure comme norme suprême. Une domination thématique immuable qui semble correspondre à la structure circulaire de la sitcom où chaque épisode et chaque sitcom familiale défient le temps pour s’imposer comme un éternel recommencement. Cette expression illustre à merveille les tensions que soulève notre étude, à savoir d’une part la volonté du médium télévisuel en tant que vecteur de l’immédiateté de retranscrire à l’écran l’évolution sociopolitique de la société, et d’autre part la stagnation du support télévisuel engendrée par cette norme structurelle et thématique du genre de par l’hégémonie de la famille patriarcale traditionnelle couplée à la circularité de la structure qui en empêche l’évolution. Nous sommes donc face à une tension entre créativité et normativité qui s’exprime de façon tant structurelle que thématique. Avec cette thèse, nous nous proposons de mettre en lumière le lien qui unit le modèle de la famille traditionnelle au genre de la sitcom et d’en analyser les évolutions, soit de l’un en fonction de l’autre dans un contexte sociopolitique en pleine effervescence et en pleine mutation. Cette recherche constitue le prolongement de mon mémoire de master 2 intitulé « La représentation de la famille dans les sitcoms familiales des années 1950 ». Il s’agissait dans ce premier volet de poser les bases d’une analyse de la sitcom familiale en tant que genre télévisuel à part entière et d’en étudier l’idéologie dominante : la façon dont la famille nucléaire blanche de classe moyenne s’imposait comme la norme sur le petit écran. Le genre de la sitcom familiale rassemble des textes télévisuels qui obéissent aux mêmes règles structurelles et diégétiques proposant ainsi dans une forme circulaire la même thématique, à savoir la représentation de la vie quotidienne de la famille américaine. À cette « catégorie formelle » s’ajoute une composante commerciale particulière puisque le succès de la « formule3 » utilisée entraîne les studios télévisés à produire d’autres sitcoms sur le même modèle. Enfin, cette catégorisation de la sitcom 1 Fiske, John et Hartley, John. Reading Television, New York: Routledge, (1978) 2005, 176p. Une expression qui sera reprise par Richard Butsh dans son article “Five Decades and Three Hundred Sitcoms about Class and Gender” in Thinking Outside The Box, A Contemporary Television Genre Reader, Gary R. Edgerton et Brian G. Rose (dir.), Lexington, Kentucky: The University Press of Kentucky, 2005, pp. 111-135. 3 Terme utilisé par Jean-Pierre Esquenazi, « New-York District, un monument de la sérialité », in Gardies, R., Taranger Marie-Claude (sous la dir. De), Télévision : questions de formes 2. Rhétoriques télévisuelles, Paris : L’Harmattn, coll. « Champs Visuels », 2002, pp. 38-58. 2 familiale est reconnue comme telle grâce à une délimitation de l’« horizon d’attente4 » du téléspectateur qui s’attend à visionner un type de programme particulier, étant familier avec les contraintes et les conventions liées au genre. La sitcom familiale en tant que genre télévisuel s’impose donc comme un outil de communication mais également comme une « médiation culturelle, idéologique et sociale.5 » Notre recherche ne s’inscrit pas dans une volonté d’étude sociologique de la famille, aussi nous considérerons seulement le sens strict du terme, c’est-à-dire le groupe de personnes apparentées vivant sous un même toit. En effet, la famille biologique rassemblée dans le huis clos du domicile familial, l’une des particularités diégétiques de la sitcom familiale, sera privilégiée au cours de ce travail. Selon Pierre Bourdieu6, « la famille est valorisée dans les sociétés traditionnelles car elle représente l’unité de base de la société et donc le premier lieu de socialisation de l’individu7 ». Cette remarque du sociologue rappelle en effet l’imbrication de la famille au cœur de la société américaine comme l’un des piliers de la nation. C’est la raison pour laquelle la représentation de la famille dans un support médiatique vecteur d’immédiateté doit être prise en compte par rapport à l’évolution sociopolitique de la société américaine, la famille et la société étant interdépendantes. Aussi, le but de notre étude est de considérer cette interdépendance entre société et famille au cœur d’un support télévisuel régie par une norme structurelle et thématique. Pour ce faire, il nous faudra analyser la façon dont la mutation de la société américaine lors de ces cinquante dernières années est transcrite au travers de la famille télévisée dans un support, qui, par définition, est soumis à des contraintes génériques qui en rendent l’évolution délicate. Dans notre démarche, nous partons de l’idée que le genre de la sitcom familiale est à l’origine d’un discours médiatique qui plébiscite certaines caractéristiques et comportements familiaux. Il s’agira alors d’examiner l’évolution de ce discours tel qu’il est transcrit par le genre de la sitcom familiale ainsi que les représentations familiales qu’il propose. Ces dernières contribuent en effet à la construction et à la diffusion de la symbolique familiale dans la société américaine. Si l’on ne peut concéder à la télévision les pouvoirs de changer la société américaine, il est indéniable qu’elle participe de son évolution. En ce sens, la télévision représente la société plus qu’elle ne la reflète dans la mesure où elle contribue à sa transformation. Aussi, le genre de la sitcom familiale dans ce qu’il a de plus conventionnel, notamment en termes de distribution des rôles selon les sexes, impose la famille traditionnelle comme norme absolue, tout en étant influencé par l’évolution de la société américaine et des changements qu’elle a encourus lors de ces décennies. Il s’agit donc dans notre thèse de prendre en compte cette représentation dominante de la famille traditionnelle sur le petit écran et d’en analyser les composantes : les conventions génériques de 4 Concept défini par Hans Robert Jauss. Pour une esthétique de la réception (traduit de l’allemand par Claude Maillard), Paris : Gallimard, 1978, 305p. 5 Moine, Raphaëlle. Les Genres du cinéma, Paris : Nathan, 2002, p. 7 6 Bourdieu, Pierre et Boltanski, Luc. La production de l’idéologie dominante, Paris : Demopolis, collection Essai, 2008, 176p. 7 Ibid, p.27. la sitcom familiale tendent en effet à naturaliser, à force de répétition, la domination d’une identité familiale traditionnelle considérée comme la « norme attendue » en opposition à des identités « horsnormes » telles que la famille monoparentale, la famille ethnique ou encore la famille recomposée. Nous analyserons ainsi la façon dont l’hégémonie de la famille traditionnelle au cœur du support télévisuel est constamment réaffirmée par des stratégies diégétiques qui évoluent et diffèrent au cours des décennies. Cette recherche s’inscrit donc dans le courant des cultural studies anglo-saxonnes où les relations de pouvoir au cœur de la société y sont tout particulièrement développées. En effet, au cours de ce travail nous démontrerons comment la suprématie d’un groupe social (la famille blanche nucléaire de classe moyenne) est maintenue par des productions télévisuelles grâce à des représentations que nous assimilons à des discours porteurs d’idéologies. En ce sens, notre thèse est au cœur d’un courant hybride associant l’étude des médias et des cultural studies. Aussi, bien que notre objet d’étude principal est l’identité familiale en tant que construction sociale, nous nous intéresserons également aux rapports entre les sexes (gender), à l’ethnicité (race) et à la classe sociale tels qu’ils sont représentés dans la sitcom familiale. En cela, l’association d’un thème relevant des cultural studies à un support audiovisuel générateur d’immédiateté implique une approche ancrée dans l’histoire politique et sociale des ÉtatsUnis. En effet, notre étude des sitcoms familiales américaines sur une période définie de cinquante ans nous permet de les considérer comme les témoignages visuels des évolutions culturelles et sociales de la société américaine mais aussi comme les acteurs de l’Histoire. En ce sens, il existe un lien de réciprocité entre la télévision et la société : si la télévision et tout particulièrement la sitcom témoigne d’une certaine « réalité » historique (au travers des décors, des vêtements mais aussi des répliques prononcées par les acteurs qui peuvent évoquer des faits d’actualité), elle se veut également le colporteur de cette « réalité » historique qu’elle a transformée en la diffusant, influençant les comportements et les mentalités des téléspectateurs. Il nous semble alors que le genre de la sitcom familiale, du fait de sa diffusion hebdomadaire et de la répétition rituelle de ses conventions et de ses normes structurelles, joue un rôle prédominant dans la diffusion et la transformation de la réalité sociopolitique des États-Unis. Nous ajouterons que le contexte sociopolitique et historique détermine pour beaucoup la production des œuvres télévisuelles. C’est le cas des sitcoms subversives de Norman Lear qui sont apparues sur le petit écran en guise de témoignages visuels des mouvements sociaux agitant le pays. L’étude du contexte et de la réception des sitcoms nous paraît donc indispensable. Cependant nous ne pourrions proposer une analyse complète de ces représentations familiales sur un support audiovisuel sans en considérer l’étude sémiologique. Dans une perspective sémio-socioculturelle, nous examinerons donc la famille en tant qu’identité sociale dans un contexte donné, la société américaine de 1950 à 2004, mais également en tant que représentation textuelle télévisuelle, la construction de la famille au cœur de la sitcom étant avant tout une mise en scène. Ainsi, cette thèse est une contribution à la recherche sur les media studies et tout particulièrement sur le support de la sitcom américaine et ses propriétés sémantiques, un objet d’étude trop souvent délaissé et bien souvent considéré à tort comme un « sous-genre », au profit de nouvelles séries télévisées dotées d’un potentiel esthétique fort, proche de celui des genres filmiques. En cela, notre étude souhaite apporter plusieurs éléments à la recherche actuelle en offrant d’une part une analyse à la fois sémiologique et socioculturelle de la représentation de la famille dans les sitcoms familiales et d’autre part une étude de l’évolution de cette représentation de 1950 à 2004 témoignant d’une mutation réciproque de la société, de la représentation de la famille et du genre de la sitcom familiale. La première partie consistera en l’examen de la sitcom familiale en tant que genre à part entière et à l’établissement d’une norme structurelle et thématique qui lui est propre instituant le modèle patriarcal comme idéologie dominante du genre télévisuel. La deuxième partie analysera l’évolution progressive de la représentation de la famille au cœur des sitcoms familiales où la « norme » idéale télévisuelle fait place à un « hors-norme » plus réaliste. Au cours de cette partie nous nous intéresserons tout particulièrement aux magicoms ainsi qu’à la représentation des nouvelles familles télévisées avant de considérer le renversement de l’idéologie dominante de la famille patriarcale au travers de sitcoms normalisées aux thèmes non conventionnels. La troisième partie s’annoncera comme le prolongement de la deuxième où l’on considérera la sitcom familiale non plus comme la scène d’une représentation idyllique de la famille mais comme la représentation microcosmique de la société américaine, tenant compte des événements sociopolitiques du pays mais aussi des disparités économiques, culturelles, sociales et ethniques de ses habitants. Enfin, la quatrième partie se penchera sur l’évolution structurelle et diégétique de la sitcom familiale en proposant dans un premier temps une analyse détaillée de la série feuilletonante 7th Heaven qui s’inscrit comme une célébration de l’Amérique aux valeurs patriarcales puis un examen minutieux du feuilleton sérialisant Desperate Housewives. Ce chapitre de clôture considérera les possibilités de subversion de la représentation de la famille traditionnelle dans son modèle le plus strict à travers l’hybridité générique et la réflexivité. En effet, si le genre de la sitcom familiale tend à réaffirmer l’idéologie patriarcale, c’est aussi pour l’interroger et voir en cette subversion du genre les prémisses d’un genre de la subversion.