Où je vous parle d`orthographe depuis le bar de mon

Transcription

Où je vous parle d`orthographe depuis le bar de mon
Fluctuat nec (pas encore) mergitur, le blog d'une prof de lettres au
collège
Lucie Martin
Publié le 25/10/2016.
Où je vous parle d’orthographe depuis
le bar de mon hôtel aux Seychelles
Je voudrais répondre ici à un commentaire posté sur ce blog la
semaine dernière, et signé par Eric P.
Je souhaiterais déjà remercier Eric pour son intervention, que j’ai
trouvée fort intéressante, et pour le lien qu’il a fourni vers la video
d’une conférence. Comme ce sont les vacances de la Toussaint –
les premières de mes six mois de vacances de l’année, comme le
dit le petit Nicolas – j’ai pris le temps de visionner l’extrait suggéré.
Je suis hélas assez d’accord sur le fait que le libéralisme s’insinue
de plus en plus dans l’Education nationale. Je tiens à préciser cependant que je ne suis encartée
dans aucun parti politique, ni dans aucun syndicat. Ma réflexion, comme le suggérait Eric, manque
en effet peut-être d’un
(j’ai bien ri à la reprise du terme, merci !) ; en fait, ma réflexion se
basait sur un constat, et sur une anecdote.
Mon constat est qu’il y a déjà plusieurs années que l’Education nationale véhicule un message de
bienveillance et de rentabilité qui nous détourne, nous enseignants, d’aller
des
compétences de base et de l’efficacité à court terme. L’adaptabilité remplace peu à peu le savoir.
Des programmes denses mais très morcelés amènent un saupoudrage de connaissances diverses,
mais quasiment plus jamais approfondies. Ne plus rien savoir n’est pas important : chacun a son
smartphone dans sa poche, la connaissance y est stockée universellement. Ah bon.
Rétrospectivement, je trouve qu’avoir eu, quand j’étais élève, à chercher, à apprendre, à restituer de
façon pertinente ont aidé à la construction de ma culture, de la personne que je suis, et de mes
compétences. Il semble que non, les
sont différents, je ne peux pas
comprendre. Certes. Je reste assez sceptique, et inquiète. C’est mon ressenti d’enseignante qui a le
recul de deux décennies, je reconnais que cela ne va pas
.
L’anecdote qui motivait ma remarque sur l’orthographe dans le monde du travail, je vous la livre. Un
de mes proches amis est ingénieur, et dirige un bureau d’études. C’est une petite structure, une
vingtaine de personnes, qui suit son petit bonhomme de chemin. Ils ont souhaité embaucher un
ingénieur supplémentaire, et ont donc recruté un jeune diplômé d’une école d’ingénieur tout à fait
correcte. Le jeune homme était compétent dans son domaine technique, très motivé, sympathique…
Ils ne l’ont pas gardé. Ils n’ont pas renouvelé sa période d’essai. Pourquoi ? Parce qu’il avait une
syntaxe et une orthographe déplorables.
me dira-t-on peut-être. Oui, c’est tout. Mais son poste exigeait qu’il rédige des études,
des rapports, longs et complexes.
Non, ils ne sont
efficaces que pour les fautes de frappe. Ni pour la syntaxe, ni pour l’orthographe grammaticale. Cela
progressera peut-être, mais aujourd’hui c’est ainsi. On me dira :
C’est vrai. Mais je l’ai dit, le bureau d’études en question est une petite structure, chaque
ingénieur n’a pas un assistant personnel prêt à corriger chaque e-mail, chaque rapport. Il était
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matériellement impossible de mobiliser quelqu’un sur la seule réécriture du travail d’un seul chargé
d’études.
Mon ami était désolé de ne pas avoir pu l’embaucher, le jeune homme était dépité. Il tombait des
nues. Oui, il savait qu’il n’avait pas une bonne orthographe, mais personne ne lui avait jamais
présenté cela comme un critère potentiellement bloquant. Et puis, c’était un scientifique, alors
l’orthographe…
Me sachant enseignante de français, mon ami m’a raconté cela, pour m’alerter sur cette dérive, sur
le manque d’exigences formelles en simple rédaction. J’ai été incapable de le rassurer, de lui dire
que c’était un cas isolé. Cela aurait été mentir : il n’y a plus la moindre exigence en orthographe. Je
ne parle pas là des accords complexes du participe passé, de l’accord des adjectifs de couleur, ou
du pluriel des noms composés. Non, je parle de l’orthographe usuelle, celle d’un e-mail, d’un
compte rendu, d’un courrier. Les règles de la communication écrite. Cela ne devrait pas être une
compétence, ça, pourtant ? Savoir communiquer ?
Bon, je vous laisse, après tout ce sont mes vacances, et ma serviette de plage m’attend. Les
Seychelles c’est vraiment sympa, je vous le conseille.
Evidemment pas du tout. J’ai envoyé mes enfants chez leurs grands-parents, parce que mes deux
semaines de congé, je vais en très grande partie les passer à travailler, chez moi. Je suis fort
chanceuse : je n’ai pas besoin de payer la nourrice ou le centre de loisirs pour occuper ma
progéniture. Parce que oui, un certain nombre de collègues vont en plus devoir payer pour ne pas
profiter de leurs enfants. Je ne dis pas cela pour me plaindre, ou pour faire pleurer sur mon sort, pas
du tout. Juste pour remettre quelques petites choses au point, au regard des mensonges ignobles
proférés par ceux qui se battent pour nous diriger.
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