Les particules diesels sont-elles nocives pour l`appareil respiratoire ?

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Les particules diesels sont-elles nocives pour l`appareil respiratoire ?
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Les particules diesels sont-elles nocives
pour l’appareil respiratoire ?
● A. Chambellan*, B. Crestani*, P. Soler*, M. Aubier*
Résumé
La pollution particulaire en milieu urbain est issue, pour une part importante, des moteurs diesels. De nombreuses études
épidémiologiques ont mis en évidence des liens entre les pics de pollution particulaire, qui contiennent une fraction importante
de particules diesels, et certains effets sanitaires : mortalité anticipée de cause cardio-vasculaire et respiratoire chez l’adulte,
exacerbation d’asthme et augmentation de fréquentation des services d’urgence chez l’adulte et l’enfant pour cause
respiratoire. Ces effets ne semblent pas seuil-dépendants et concernent aussi bien le court que le long terme, au cours
desquels on observe même, sur les études les plus récentes, un lien avec la mortalité par cancer bronchique.
Le mécanisme d’action des particules diesels sur la muqueuse respiratoire a été précisé par des approches expérimentales
chez l’animal et chez l’homme. Ces différentes études mettent en exergue l’action immuno-adjuvante des particules diesels,
qui favorisent le développement d’une réponse inflammatoire de type Th2. Celle-ci s’observe à différents niveaux de la
muqueuse respiratoire, des cellules épithéliales aux cellules immunitaires, mécanisme faisant intervenir la sécrétion de
cytokines pro-inflammatoires de type Th2 et les dérivés actifs de l’oxygène.
es véhicules à moteur diesel représentent actuellement
environ 40 % du parc automobile français. Ce type de
moteur à combustion interne, qui porte le nom de son
concepteur, l’ingénieur allemand Rudolf Diesel (1858-1913),
consomme des huiles lourdes et fonctionne par autoallumage du
combustible injecté dans de l’air fortement comprimé. Cela
génère un grand nombre de particules fines appelées particules
diesels (PD). Les autorités de veille sanitaire ne disposent pas
d’un appareil de mesure directe des PD, qui sont actuellement
grossièrement évaluées à partir de plusieurs indices de particules
fines. Ces dernières constituent un ensemble hétérogène de composants caractérisés par leur petite taille. Les indices les plus couramment utilisés sont la mesure dite des “fumées noires” (FN)
(appelées “British smoke”, BS, dans la littérature anglo-saxonne),
et la mesure des particules de diamètre inférieur à 10 µm, voire
2,5 µm (PM 10, PM 2,5), qui rend compte de la fraction inhalable des particules qui vont ainsi pouvoir atteindre les territoires
aériens les plus distaux et y déclencher leurs effets biologiques.
Si la concentration atmosphérique des particules a diminué d’un
facteur 3 depuis 1950, leur composition s’est radicalement modifiée. Elle est passée d’une forte proportion de grosses particules
L
* Service de pneumologie, unité INSERM 408, CHU Bichat, Paris.
La Lettre du Pneumologue - Volume IV - no 3 - mai-juin 2001
issues de la combustion du charbon, qui restaient piégées au
niveau des voies aériennes supérieures, à de fines particules issues
majoritairement du trafic routier, telles que les PD. Les PD atteignent aisément les territoires aériens les plus distaux et représenteraient 40 % des particules fines actuelles.
Un intérêt particulier est actuellement porté aux relations existant entre les PD et la survenue de pathologies respiratoires, soit
à court terme, lors des pics de pollution, soit à long terme, par
exposition chronique à un niveau de pollution de fond (1).
L’approche expérimentale apporte des éléments de réflexion
indispensables quant aux mécanismes physiopathologiques mis
en jeu par l’inhalation de PD.
QU’EST-CE QU’UNE PARTICULE DIESEL ?
Les PD sont constituées de microsphères de carbone d’une taille
de 30-60 nm de diamètre, accolées entre elles et qui forment des
agrégats (figure 1). On considère que 95 % des PD ont un diamètre inférieur à 1 µm, avec un diamètre moyen de 100 nm (nanoparticules), ce qui leur permet d’atteindre le compartiment alvéolaire, où elles peuvent séjourner pendant plusieurs mois. Les PD
présentent une grande surface d’exposition sur laquelle de nombreuses autres molécules peuvent s’adsorber. Parmi ces molé107
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Noyau carboné :
0,01-0,08 µm de diamètre
Fraction organique soluble
Hydrocarbures particulaires
Sulfates
Hydrocarbures adsorbés
0,05-1 µm
Figure 1. Schéma des particules diesels.
APPROCHE ÉPIDÉMIOLOGIQUE
L’évaluation des risques sanitaires est faite lors des pics ou en
exposition chronique à la pollution particulaire. On distingue
ainsi :
– les études écologiques, dans lesquelles on analyse des risques
sanitaires sur l’ensemble de la population et les niveaux de pollution sur une même durée, à court terme ; on parle alors d’analyse de données agrégées (études ERPURS, APHEA) (3, 4) ;
– les études longitudinales de cohorte ou de panels, dans lesquelles l’individu est son propre témoin, les niveaux de pollution et leurs effets étant suivis sur une période donnée (étude
ASHMOG) (5, 6) ;
– les études transversales à plus ou moins long terme, dans lesquelles on compare les risques sanitaires d’une population d’une
zone polluée à ceux d’une population d’une zone non polluée
(étude SAPALDIA) (7, 8).
108
1,5
GM-CSF (pg/µg ADN)
cules, on retrouve notamment des hydrocarbures aromatiques
polycycliques (HAP) qui rendent compte en partie des effets biologiques des PD, des allergènes, des débris de paroi bactérienne,
des poussières métalliques ou des particules de caoutchouc issues
de l’usure des pneus. Cependant, les progrès réalisés sur la motorisation diesel, la qualité des gazoles ainsi que les procédés de
catalyse et de filtre à particules ont considérablement modifié la
composition des PD. La quantité de rejets particulaires et d’HAP
adsorbés à leur surface a ainsi nettement diminué. Pourtant, la
plupart des études expérimentales concernant les PD ont utilisé
des PD “certifiées” issues de moteurs diesels d’ancienne génération. De récentes études indiquent que la réponse inflammatoire des voies aériennes générée par les nouvelles PD est notablement plus faible qu’avec les PD des générations précédentes
(figure 2) (2). Le parc automobile diesel actuel est cependant
majoritairement constitué de moteurs d’ancienne génération non
équipés de ces systèmes de dépollution.
1
Contrôle
PD sans catalyse
PD avec catalyse
0,5
0
Figure 2. Production de granulocyte-monocyte colony stimulating
factor (GM-CSF) par les cellules épithéliales bronchiques exposées à
des PD issues de véhicules avec ou sans catalyse (2).
L’intérêt de ces études consiste en ce que les effets sanitaires sont
relevés dans les conditions réelles d’exposition. On mesure ainsi
les risques relatifs (RR), risques d’un effet enregistré ou estimé
d’un groupe comparé à l’effet d’un autre groupe choisi comme
ayant le niveau d’exposition de référence. L’interprétation de ces
études épidémiologiques doit être prudente. En effet, de nombreux biais et facteurs de confusion existent (météo, tabac, épidémie, etc.), d’autant plus que les expositions aux divers polluants et l’ampleur des risques sanitaires mis en évidence sont en
général faibles, avec des RR le plus souvent très inférieurs à 2.
Il faut en particulier se garder d’établir une relation de causalité
lorsqu’un lien statistique est observé entre un effet sanitaire et
l’exposition à un polluant (9).
Mortalité respiratoire
À court terme
Les données disponibles sont cohérentes et concordantes quant
au lien existant entre l’indice PM 10 et la mortalité respiratoire
La Lettre du Pneumologue - Volume IV - no 3 - mai-juin 2001
Tableau I. Mortalité respiratoire et pics de pollution particulaire à court terme.
Dockery 1994 (20)
APHEA 1987-1990 (dont ERPURS) (4)
Prescott 1998 (12)
Institut de veille sanitaire (dont ERPURS)
Samet 2000 (22)
Lieu
RR
Polluant
Méta-analyse (É.-U.)
6 villes européennes
Édimbourg (1981-1995)
9 villes françaises (1990-1995)
20 villes (É.-U.) (1987-1994)
1,034
1,17
1,039
1,11
1,0068
10 µg/m3 PM 10
100 µg/m3 PM 13
10 µg/m3 BS
50 µg/m3 FN
10 µg/m3 PM 10
(tableau I). Il existe actuellement plus de 60 études menées dans
plus de 35 villes dans le monde (10) qui mettent en évidence une
relation linéaire, dose-dépendante, sans effet seuil, entre la mortalité de cause respiratoire et PM 10. L’absence d’effet seuil
oblige à revoir régulièrement à la baisse les normes de qualité de
l’air (figure 3) (11). Par exemple, dans l’étude européenne
APHEA, les données pour Paris (ERPURS) montrent un RR de
mortalité journalière respiratoire de 1,04 pour une augmentation
RR de mortalité
1,04
1,03
1,02
1,01
1,00
0,99
0
50
100
150
µg/m
3
Figure 3. Risques relatifs de décès à Philadelphie par quintile des
particules totales en suspension, obtenus par régression contrôlant
l’année d’étude, la tendance temporelle et la météo (11).
de 50 µg/m3 de FN sur 24 heures, soit un excès de mortalité
d’environ 4 %. Ces décès concernent essentiellement des sujets
atteints d’affections cardio-respiratoires chroniques (8). La population des plus de 65 ans serait particulièrement affectée, avec
une surmortalité cardio-vasculaire et respiratoire de 3,9 % pour
une augmentation de 10 µg/m3 de FN les trois jours précédents (12). Il est difficile d’évaluer avec précision le nombre et
le degré de prématurité des décès liés aux pics de pollution.
L’ordre de grandeur serait de 500 décès/an en France, avec un
degré de prématurité qui serait de quelques mois (13, 14).
À long terme
Plusieurs études prospectives américaines ont établi un lien entre
mortalité et pollution particulaire (tableau II). Une étude tchèque
retrouve un accroissement de la mortalité infantile avec un RR
de 1,25 pour une exposition de 56,9 µg/m3 de PM 10 (notamment
par mort subite du nourrisson : RR de 1,91) (16). Le nombre de
décès de cause cardio-respiratoire attribuables à une augmentation de 10 µg/m3 (en moyenne annuelle) de PM 10 en France a
été récemment évalué à 340/million d’habitants (RR de 1,043).
La mortalité annuelle en France liée aux PM 10 a été estimée à
31 700 décès (19 200-44 400), dont 17 600 (10 700-24 700) attribuables au trafic automobile (17).
Les études réalisées sur des populations de travailleurs exposés
aux émissions diesels ont démontré une augmentation de l’incidence des cancers bronchiques primitifs après prise en compte
du tabagisme (RR : 1,33).
Pour les particules en général, l’effet semble d’autant plus important que la durée d’exposition est plus longue ; il serait de l’ordre
de grandeur du tabagisme passif (1 à 2 % des cancers) (18). Dans
l’étude des six villes menée par Dockery, le RR est évalué à 1,37
pour une différence de 18,6 µg/m3 de PM 10 entre les villes les
plus polluées et les moins polluées. La récente étude ASHMOG,
portant sur une cohorte de 6 338 adventistes californiens suivis
sur 15 ans, montre des chiffres plus inquiétants, avec un RR
de 3,36 chez les hommes pour une différence d’exposition chronique de 24,1 µg/m3 de PM 10 (19).
Morbidité respiratoire
Aiguë
Dans l’asthme, la plupart des études ont rapporté une association entre hospitalisation pour asthme et pics de pollution particulaire. La méta-analyse de Dockery précise que, pour une
augmentation de 10 µg/m3, on observe une hausse de 0,8 % des
hospitalisations pour asthme (20). Dans l’étude ERPURS, l’augmentation est de 4,1 % pour une élévation de 100 µg/m3 de FN.
Les appels et visites de SOS médecins pour asthme en Ile-deFrance augmentent lorsque l’indice des FN passe de 7 à 51 µg/m3
Tableau II. Mortalité cardio-respiratoire pour des expositions chroniques aux particules fines.
Dockery 1993 (7)
Pope 1995 (15)
Abbey 1999 (19)
Lieu
N/durée
6 villes (É.-U.)
151 villes (É.-U.)
Adventistes californiens
8 111/15 ans
552 138/7 ans
6 338/15 ans
La Lettre du Pneumologue - Volume IV - no 3 - mai-juin 2001
Pollué/non pollué
Pollué/non pollué
Hommes non fumeurs
RR
Polluant
1,37
1,31
1,28
PM 2,5
PM 2,5
Pour 43 j/an avec PM 10 > 100 µg/m3
109
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(niveau des 5 % de jours les moins pollués comparé à celui des
5 % de jours les plus pollués respectivement) (3) avec un RR qui
s’élève à 1,32 (IC 95 % : 1,17-1,47). Dans l’étude ERPURS,
l’augmentation de 10 µg/m3 des PM 10 s’accompagne d’une
augmentation de 3 % des symptômes respiratoires et des exacerbations d’asthme, et d’une augmentation de 3,4 % des visites
aux urgences pour asthme (3).
Pour les patients atteints de BPCO, on observe un RR de
1,064 (IC 95 % : 1,027-1,103) d’hospitalisation pour exacerbation en été lorsque les FN passent d’un faible niveau à un niveau
moyen de concentration atmosphérique avec une latence de
48 heures (ERPURS).
Il existe également un effet mesurable des pics de pollution particulaire sur les données fonctionnelles respiratoires. Dockery
rapporte une baisse de 0,15 % du VEMS et de 0,08 % du DEP
pour chaque augmentation de 10 µg/m3 de PM 10. Sachant que
les variations physiologiques de ces paramètres sont de l’ordre
de 5 à 8 %, la signification de telles variations reste à préciser.
poler trop rapidement les résultats obtenus dans ces conditions expérimentales à l’exposition humaine en milieu urbain.
Les PD pourraient être délétères par différents mécanismes.
Chronique
L’exposition chronique est associée à une augmentation de prévalence des symptômes respiratoires qui a été analysée dans
l’étude SAPALDIA, avec un suivi sur trois ans de 9 651 adultes
suisses non fumeurs. On observe des RR compris entre 1,3 et
1,5 pour la toux, l’expectoration chronique, la dyspnée d’effort
et l’oppression thoracique pour une augmentation de 10 µg/m3
de PM 10 (8). Dans l’étude de Künzli (17), l’incidence de la bronchite chronique, des épisodes de bronchite aiguë et des attaques
d’asthme chez l’adulte et l’enfant a des RR respectifs de 1,098,
1,306, 1,039 et 1,44 pour une augmentation de 10 µg/m3 de
PM 10. Ces résultats avaient déjà été suggérés par l’étude de la
cohorte ASHMOG, dans laquelle une forte association a été trouvée entre l’exposition aux particules en suspension (à des concentrations élevées, supérieures à 60 µg/m3) et l’apparition d’une
affection respiratoire obstructive ou d’une bronchite chronique,
ainsi que l’aggravation de ces deux types de pathologies. Cependant, l’étude de Peters ne confirme pas ces données (21).
Le suivi de la cohorte ASHMOG a permis d’observer une baisse
du VEMS/CVF et du VEMS (% théorique) de 1,5 % et 7,2 %
respectivement chez les sujets ayant passé un nombre élevé de
jours à une exposition supérieure à 100 µg/m3 de PM 10 (21).
Dans l’étude SAPALDIA, on retrouve une baisse du VEMS et
de la CVF de 1,1 % et 3,1 % respectivement pour une différence
d’exposition de 10 µg/m3.
Carcinogenèse
Dans certains modèles, les PD induisent in vitro des aberrations
chromosomiques. Cependant, l’analyse du potentiel mutagène
des PD in vivo n’est pas concluante. L’étude de la génotoxicité
a été menée principalement chez les rongeurs, chez lesquels on
observe la formation d’adduits sur l’ADN, principalement les
HAP, et l’apparition de tumeurs pulmonaires après exposition
longue et massive aux PD. Cet effet semble être en relation avec
la réaction inflammatoire induite par les particules carbonées plutôt qu’avec les HAP (25).
APPROCHE EXPÉRIMENTALE
L’approche expérimentale reste déterminante pour la compréhension et l’attribution de certains effets sanitaires aux PD.
On distingue les études in vivo, principalement conduites chez
l’animal (souris, rat, cobaye) et plus rarement chez l’homme,
des études in vitro, réalisées sur des cellules en culture primaire
ou sur des lignées cellulaires issues de muqueuse respiratoire
animale ou humaine. Ces études apportent des éléments de
réflexion indispensables, qui sont complémentaires des observations épidémiologiques. Ici encore, il faut se garder d’extra110
Toxicité
Les cellules épithéliales respiratoires sont capables d’“endocyter” les PD qu’on retrouve au sein de vacuoles intracytoplasmiques avant qu’elles ne soient “exocytées” à leur pôle basal (2).
In vitro, les PD réduisent la fréquence des battements ciliaires sur
des cultures primaires de cellules épithéliales humaines de sujets
asthmatiques ou non asthmatiques dès les premières heures d’exposition (23). Les PD augmentent la perméabilité de l’épithélium en
inhibant les liaisons de type gap-junction. Ces deux phénomènes
peuvent favoriser la pénétration de pneumallergènes au sein de la
muqueuse et favoriser la colonisation de l’arbre bronchique par
divers agents infectieux (24). Il existe probablement un effet cytotoxique direct, dont témoigne l’augmentation du relargage de LDH
dans les surnageants de cultures épithéliales exposées aux PD (2).
Les PD modulent la réaction immuno-allergique
In vivo
Les premières études expérimentales menées in vivo chez l’animal ont montré que l’exposition aux PD stimulait une réponse
immune de type Th2 au niveau des muqueuses et des relais ganglionnaires, quelle que soit la voie d’administration, intrapéritonéale, intranasale ou intratrachéale. Ainsi, l’instillation intratrachéale de PD et d’ovalbumine à la souris entraîne une prolifération
lymphocytaire au niveau des ganglions médiastinaux et la production d’IgE spécifiques, qui est maximale en présence des deux
composés (26). Une potentialisation des effets s’observe surtout
lorsque les souris sont sensibilisées au préalable par de l’ovalbumine ; l’inhalation de PD entraîne une augmentation des polynucléaires éosinophiles, neutrophiles et des macrophages dans le
lavage broncho-alvéolaire, ainsi qu’une augmentation d’expression de l’IL-5 dans le poumon (27). Ces effets ont été confirmés
chez l’homme par les travaux que Diaz-Sanchez a menés. L’instillation intranasale de PD chez des volontaires entraîne une élévation dose-dépendante des concentrations locales d’IgE totales,
d’IgG4 et des cellules sécrétant les IgE (28). Avec la même
approche méthodologique, mais sur des volontaires présentant une
hypersensibilité à l’antigène ragweed, on note :
– une augmentation des ARNm des cytokines de type Th2 (IL-4,
IL-5, IL-6, IL-10, IL-13) ;
– une baisse des ARNm des cytokines de type Th1 (IL-2, IFN␥),
uniquement chez les sujets exposés à l’antigène en présence
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des PD (29). L’afflux des différentes cellules composant l’infiltrat inflammatoire (polynucléaires neutrophiles, éosinophiles,
monocytes et lymphocytes) accompagne l’augmentation des
concentrations locales de différentes chémokines CC (RANTES,
MCP-3 et MIP-1␣) (29).
Des effets comparables sont observés dans l’arbre bronchique. En
effet, l’analyse de biopsies bronchiques de volontaires sains exposés aux PD montre une infiltration par des lymphocytes CD4+ et
CD8+, des polynucléaires neutrophiles et des mastocytes (30).
Action sur les cellules épithéliales
En réponse aux PD, les cellules épithéliales bronchiques humaines,
en culture primaire ou en lignée, sécrètent de nombreuses cytokines, principalement le GM-CSF, l’IL-8 et l’IL-1␤, cet effet étant
plus marqué chez l’asthmatique (23). Ce dernier est observé de
façon plus importante lorsque les PD sont appliquées au pôle apical des cellules plutôt qu’à leur pôle basolatéral (31). L’augmentation d’IL-8 est secondaire à l’augmentation de la synthèse de son
ARNm et modulée par l’activation de la voie NF-␬B (32).
Action sur les cellules présentant de l’antigène
La plupart des cellules présentant de l’antigène sont impliquées
dans la réponse aux PD. Ainsi, l’exposition de monocytes humains
provenant de sujets atopiques à l’allergène Der p1 (Dermatophagoides pteronyssinus) en présence d’HAP entraîne de façon synergique la sécrétion d’IL-8, de RANTES, de TNF␣ et de MCP-1
(monocyte chemotactic protein) sous l’effet des MAP-kinases
Erk1/2 et p38 (33). Différents médiateurs sont impliqués, notamment les radicaux libres de l’oxygène, comme l’atteste la diminution d’expression de l’ARNm de l’IL-8 et de la sécrétion du
GM-CSF en présence de divers anti-oxydants. Ce mécanisme fait
intervenir la voie des tyrosines-kinases et semble attribué aux
HAP (33, 34). Il y a peu de données dans la littérature concernant
les cellules de Langerhans, qui sont les principales cellules présentant de l’antigène dans l’organisme. Nous avons montré sur
des cellules dendritiques différenciées in vitro en cellules de Langerhans que l’exposition aux PD, seules ou associées à des allergènes, n’avait pas d’effet cytotoxique et ne modifiait pas l’expression de marqueurs membranaires de maturation (CD83) ou
d’activation (HLA-DR, CD86) (35). Il est possible que l’effet
des PD sur les cellules de Langerhans soit différent lorsque ces
cellules sont maintenues dans une atmosphère épithéliale, comme
c’est le cas in vivo.
Noyaux carbonés et HAP : des effets différents
Les divers constituants des PD n’ont pas les mêmes effets. Leurs
actions sont relativement spécifiques et synergiques entre elles.
Le noyau carboné des PD est capable d’entraîner une réponse
IgE-dépendante par lui-même, mais la nature des différents composés adsorbés à sa surface (essentiellement les HAP) est déterminante puisqu’elle module l’intensité de la réponse.
L’instillation intranasale de PD ou de microsphères de carbone
stimule la réponse IgE spécifique à un allergène chez la souris (36). Toutefois, la sécrétion de GM-CSF et d’IL-8 par les cellules épithéliales bronchiques est significativement plus élevée
en présence de PD qu’en présence de particules de carbone de
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même diamètre (2). La taille des particules de carbone est un élément important : plus elle est petite, plus la surface d’exposition
qu’elles présentent est grande et plus elles sont toxiques (37).
Les HAP potentialisent la réponse IgE systémique aux allergènes
inhalés. Ainsi, l’instillation intranasale d’HAP et d’antigène
JCPA (pollen de cèdre du Japon) chez la souris immunisée induit
une augmentation significative des concentrations d’IgE spécifiques par rapport à l’allergène seul (38). Plusieurs travaux indiquent que les HAP stimulent la réponse IgE en agissant sur les
différents acteurs de la réponse immuno-allergique : cellule épithéliale, cellule présentatrice d’antigène, lymphocyte B et éosinophile (39). Que ce soit sur des lignées cellulaires ou des cultures primaires de cellules épithéliales bronchiques, ou encore
des cellules mononucléées sanguines humaines, on observe, après
exposition à des HAP extraits de PD, une sécrétion significativement augmentée de différents médiateurs (GM-CSF, IL-8,
RANTES et ICAM-1) (23, 40), susceptibles d’exercer une action
chimioattractante pour différentes cellules inflammatoires.
Interactions PD et pneumallergènes
Les pollens en suspension dans l’air ont pour la plupart un diamètre supérieur à 10 µm et ne peuvent atteindre le compartiment
inférieur des voies aériennes. Cependant, certains d’entre eux
contiennent des centaines de petits granules porteurs de motifs
antigéniques qui sont libérés lors de leur éclatement, au décours
d’une averse par exemple. Ces allergènes peuvent être adsorbés
à la surface des PD. On retrouve ainsi différents allergènes adsorbés sur les PD, dont celui du chat (Fel d1) et ceux de pollens de
graminées (41). Les PD permettent à ces allergènes d’atteindre
en plus grande quantité les territoires aériens distaux. Il est par
ailleurs possible que les interactions entre PD et allergènes entraînent une modification de conformation et du nombre de motifs
antigéniques présentés par l’allergène, ce qui peut contribuer à
en augmenter l’immunogénicité (41).
CONCLUSION
Les différentes approches épidémiologiques et expérimentales
ont apporté des éléments tangibles qui confirment la réalité d’un
effet sanitaire à court et long terme des PD sur les voies respiratoires. Les particules diesels agissent comme agent immunoadjuvant sur la muqueuse des voies aériennes en modifiant et
favorisant la pénétration des allergènes, en initiant une réponse
immunitaire de type Th2. Elles sont cependant peu toxiques
pour l’épithélium aux concentrations rencontrées en secteur
urbain. On manque encore d’études évaluant le risque infectieux qu’elles génèrent, notamment par altération de certaines
protéines du surfactant, comme cela a été suggéré chez l’animal, à de fortes doses.
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La Lettre du Pneumologue - Volume IV - no 3 - mai-juin 2001