Intérêt de la mesure du CO dans l`air expiré dans les maladies

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Intérêt de la mesure du CO dans l`air expiré dans les maladies
Éditorial
Sang Thrombose Vaisseaux 2004 ;
16, n° 8 : 389-91
Intérêt de la mesure du CO
dans l’air expiré dans les maladies vasculaires
Gilbert Lagrue1, Catherine Diviné2, Murielle Dalle2, Solange Cormier, Alain Maurel
1
Centre de tabacologie
Service de pharmacie, hôpital Albert-Chenevier, 40, rue de Mesly, 94000 Créteil, France
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« Savoir, c’est mesurer »
Henri Poincaré
L
a présence d’un tabagisme est toujours un élément essentiel pour
l’évaluation et le traitement des maladies vasculaires ; il est donc
indispensable de noter sa présence, et surtout de le quantifier.
Or, jusqu’à maintenant, les médecins cardiologues, angiologues et autres spécialistes, avaient pour habitude de noter ce tabagisme soit par oui/non, soit en
nombre de cigarettes/jour, soit, pour une estimation globale sur le long terme, en
paquets/année1.
Cette notion est en fait imprécise, en particulier pour les accidents vasculaires
aigus, où le tabagisme actuel est le facteur dominant. Le nombre de cigarettes
est un très mauvais indice de la quantité réelle de toxiques absorbés : la nicotine,
le monoxyde de carbone, les substances oxydantes, les goudrons cancérigènes.
Ce qui est indiqué sur le paquet ne correspond pas à la quantité réelle de toxiques
présents dans la fumée de tabac et inhalés, puis absorbés par le fumeur. C’est un
rendement obtenu dans une machine à fumer standardisée, censée représenter le
fumeur moyen. En réalité, cette quantité varie considérablement suivant la
façon de fumer : profondeur et durée de l’inhalation, longueur du mégot... Pour
une consommation de 30 cigarettes par jour, la quantité de nicotine absorbée
peut varier de 10 à 100 mg/jour. Elle est en moyenne de 1 à 2 mg par cigarettes
[1, 2].
Il est donc indispensable d’utiliser un marqueur, pour mesurer de façon plus
précise le degré d’intoxication, comme on le fait pour les chiffres tensionnels,
les modifications lipidiques, la glycémie, etc. Pour le tabagisme, les deux
marqueurs les plus utilisés sont le monoxyde de carbone et la cotinine [3].
La cotinine, un des principaux métabolites de la nicotine, constitue un marqueur
spécifique de l’intoxication tabagique. Son taux peut être étudié dans les urines
(rapportées à la créatinine), dans le sérum ou la salive. Il reflète la quantité de
nicotine absorbée par le sujet, et devrait constituer un guide très précieux pour
1
Correspondance et tirés à part :
Gilbert Lagrue
<[email protected]>
La notion de paquets/année a été introduite par les pneumologues : le risque de cancer du poumon
est égale à nombre de cigarettes x durée en années4,5. Par simplification, le concept paquets/année a
été créé pour tenir compte à la fois, de la quantité fumée et de la durée : 1 paquet de cigarettes par
jour pendant 1 an = 1 paquet année, mais cela reste très imprécis.
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l’adaptation posologique du traitement de substitution nicotinique. Malheureusement, son dosage n’est pas encore à la
nomenclature des actes de biologie [3, 4].
Le monoxyde de carbone (CO) est le gaz produit lors de la
combustion incomplète de toute substance organique, et en
particulier, il est présent dans la fumée de tabac [5]. Il est
rapidement absorbé par les alvéoles pulmonaires, et se lie
de façon réversible à l’hémoglobine avec une affinité 200
fois supérieure à celle de l’oxygène, pour former la carboxyhémoglobine (HbCO). Celle-ci peut être dosée dans le
sang, et elle est bien corrélée avec les taux de CO dans l’air
expiré. Actuellement, la mesure du CO dans l’air expiré
devrait être effectuée systématiquement chez tout fumeur
ou ex-fumeur. Dans la pratique courante, il est très facile
d’utiliser un analyseur de CO : ces petits appareils portables, de prix abordable, mesurent le CO par méthode électrochimique, et expriment la valeur en ppm. Une standardisation des conditions de mesure du CO dans l’air expiré est
indispensable pour permettre une interprétation fiable des
résultats (tableau 1).
La demi-vie du CO est courte (2 à 5 heures), il s’agit donc
d’un marqueur de l’imprégnation tabagique des quelques
heures précédant la mesure : les valeurs se normalisent
entre 5 et 15 heures après la dernière cigarette, suivant le
degré d’intoxication. Le taux de CO dans l’air expiré reflète
l’importance de l’inhalation de la fumée de tabac, c’est-àdire, indirectement, la quantité absorbée de nicotine et
autres toxiques [6, 7].
Dans notre expérience, le seuil ayant la meilleure
spécificité-sensibilité est inférieur à 8 ppm pour l’absence
de tabagisme.
L’interprétation des résultats de ce dosage repose sur les
faits suivants :
Tableau 1. Standardisation de la mesure du CO
dans l’air expiré
• Réaliser la mesure au moins une demi-heure après la dernière
cigarette.
• Noter l’écart de temps entre la mesure du CO et la dernière
cigarette et le nombre de cigarettes depuis le réveil, et prendre en
compte ces chiffres dans l’interprétation du résultat.
• Vérifier le zéro de l’appareil : mesurer la valeur de l’air
ambiant, ou faire le zéro automatique.
• Faire faire une inspiration profonde, bloquer la respiration 15
secondes, puis expirer de façon lente et la plus prolongée
possible à travers l’embout de l’appareil.
• Attendre la stabilisation de l’appareil avant de noter la valeur
en retranchant la valeur du zéro à la mesure.
• En cas de mesures successives, attendre le retour à zéro de
l’appareil, ce qui nécessite environ 1 à 2 minutes.
N.B. Il est nécessaire d’être vigilant sur le respect des précautions
d’hygiène lors de la manipulation de l’embout buccal, et le
respect strict de l’utilisation de l’embout en usage unique.
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• La présence de CO dans l’air ambiant n’est pas spécifique
de la fumée de tabac puisqu’il est produit par des appareils
de chauffage défectueux ou à tirage insuffisant, lors des
fuites dans des chauffe-eau, dans les gaz d’échappement,
lors d’incendies. Il est présent dans les locaux pollués et les
pièces enfumées ; dans certaines observations, la constatation d’un chiffre élevé chez des sujets ayant arrêté de fumer
a pu conduire à découvrir une intoxication oxycarbonée
latente [8].
• Le tabagisme passif est une cause possible et non rare
d’élévation du CO, avec des chiffres pouvant atteindre
10-12 ppm [5].
• La quantité de CO éliminé dans l’air expiré est modifiée
par l’état du sujet. Ainsi, la valeur du CO dans l’air expiré
n’est pas interprétable chez l’insuffisant respiratoire chronique : les chiffres sont anormalement bas, en raison du
défaut d’échange entre le CO sanguin et le CO alvéolaire lié
à l’existence d’un volume résiduel important. Il en est de
même chez les patients atteints d’emphysème, chez qui un
résultat mesuré de CO dans l’air expiré est en réalité associé
à une valeur plus élevée de HbCO que chez le sujet sain, du
fait de la mauvaise diffusion du CO vers les alvéoles pulmonaires. L’hyperventilation due par exemple à l’exercice
physique entraîne une baisse des concentrations en CO
dans l’air alvéolaire. A l’inverse, l’hypoventilation présente
lors du sommeil réduit l’élimination respiratoire du CO [3].
Enfin, il peut exister des interférences analytiques :
• Faux-positifs liés à l’hydrogène présent dans l’air expiré,
notamment avec les appareils les plus anciens, chez les
sujets intolérants au lactose ou en cas de production de gaz
intestinaux liée au polyol et à l’isomalt contenu dans certains produits [3, 9].
• Faux-positifs liés à l’alcool présent dans l’air expiré, en
cas de saturation de la membrane de l’appareil, de moins en
moins sélective avec le temps [3]. Ces causes d’erreurs
devraient ne plus exister avec les nouveaux appareils.
Ces précautions étant prises, la mesure du CO peut apporter
des renseignements très importants pour préciser l’intensité
du tabagisme. Pour les fumeurs actuels, elle permet d’objectiver l’importance de l’inhalation, et de faire prendre
conscience au sujet de son degré d’intoxication. Inversement, dans le suivi de ces patients après l’arrêt, le retour très
rapide en 24 heures à la normale du taux de CO, constitue
toujours un encouragement et un renforcement pour la
motivation. Au cours du suivi et dans toutes les études de
recherche clinique, la mesure du CO est indispensable pour
la validation des arrêts, car en clinique, les arrêts allégués
ne sont pas rares. De même, en cas d’une tentative de
réduction du risque avec utilisation des substituts nicotiniques oraux, l’évaluation du CO dans l’air expiré, couplée au
dosage de cotinine, permet d’objectiver la réelle diminution
STV, n° 8, vol. 16, octobre 2004
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du risque, par la diminution du taux de CO. Au contraire,
chez les fumeurs dépendants en cas de diminution du nombre de cigarettes sans compensation nicotinique, le taux de
CO ne baisse pas, voire même peut augmenter, en raison de
l’inhalation plus profonde liée au phénomène de titration
nicotinique : le sujet tire plus intensément pour obtenir la
nicotine dont il ressent le besoin.
Toutes les structures s’occupant de maladies vasculaires
devraient donc être pourvues de cet appareil qui permet
d’objectiver le statut tabagique d’un sujet. Ceci est encore
loin d’être le cas. Les infirmières et les médecins devraient
inclure cette mesure dans l’examen général du sujet, et tout
particulièrement lors du suivi d’une tentative d’arrêt.
Dans les études épidémiologiques, et dans toutes les actions
d’éducation à la santé, pour confirmer ou détecter la présence du tabagisme, il serait nécessaire de pouvoir toujours
évaluer le CO dans l’air expiré, de façon à apporter un
élément objectif aux déclarations du sujet. En médecine du
travail et tout particulièrement pour le dépistage du tabagisme passif, la mesure du CO devrait apporter une aide
appréciable. Elle permet de démontrer qu’une exposition
de plusieurs heures à la fumée de tabac se traduit chez des
non-fumeurs, par des modifications du CO dans l’air expiré
[3, 5].
Ainsi, dans tous les domaines de la médecine, la mesure du
CO dans l’air expiré devrait devenir un geste de routine, au
même titre que la traditionnelle prise de tension artérielle.
Ceci est maintenant rendu possible par la mise à disposition
des professionnels de santé d’appareils fiables et de prix
très abordables. ■
Références
1. Benowitz NL, Jacob P. Matabolism of nicotine to cotinine studied by a
dual stable isotope method. Clin Pharmacol Ther 1994 ; 56(5) : 483-93.
2. Benowitz NL, Jacob P, Kozlowski LT, YU L. Influence of smoking
fewer cigarettes on exposure to tar, nicotine and carbon monoxide. N Engl
J Med 1986 ; 315(21) : 1310-3.
3. Larramendy C, Diviné C, Asnafi-Farhang S, Lagrue G. Intérêt des différents marqueurs biologiques dans l’évaluation du tabagisme. Path et Bio
2004 ; 52 : 164-72.
4. Lagrue G. Les médications du sevrage tabagique. Le Concours Médical
2003 ; 33 : 1903-8.
5. Jarvis MJ, Russell MA, Saloojee Y. Expired air carbon monoxide: a
simple breath test of tobacco smoke intake. BMJ 1980 ; 281(6238) :
484-5.
6. Berlin I, Radzius A, Henningfield JE, Moolchan ET. Correlates of expired air carbon monoxide: effect of ethnicity and relationship with saliva
cotinine and nicotine. Nicotine Tob Res 2001 ; 3(4) : 325-31.
7. SRNT Subcommittee on Biochemical Verification. Biochemical verification of tobacco use and cessation. Nicotine Tob Res 2002 ; 4(2) : 149-59.
8. Lagrue G, Cormier S, Vin-Datiche I, Mainguy M. Intoxication oxycarbonée chronique : du tabagisme à l’intoxication accidentelle. Presse Med
1997 ; 26 : 77.
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