en savoir plus - Musée du Louvre
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Le tableau du mois n° 109 : L'Assemblée dans un parc de Jean-Antoine Watteau Une fête galante par le maître de Valenciennes Ce petit tableau sur bois, entré au Louvre en 1869 grâce au legs du docteur Louis La Caze, comme sept autres œuvres du même maître, est parmi ceux qui ont servi, au milieu du XIXe siècle, en pleine réhabilitation du rococo, à construire le mythe d'un Watteau mélancolique et poétique. Nous le présentons aujourd'hui comme un écho à l'exposition Watteau et la fête galante organisée par la ville natale du peintre, Valenciennes, du 5 mars au 14 juin 2004. Peint sur un panneau de bois, le tableau était trop fragile pour voyager, mais, en accord avec les commissaires, il a fait partie du projet dès l'origine et a été inclus dans le catalogue publié à l'occasion de cette manifestation par le musée des Beaux-Arts de la ville. Une fête galante Plus évocateur que narratif, le tableau appartient à un genre défini sous le vocable de « fête galante », titre inscrit en 1717 sur un registre pour désigner le Pèlerinage à Cythère au moment de la réception de l'artiste au sein de l'Académie royale. Le paysage, avec sa haute futaie, l'étang où se reflète le ciel et la percée qui ménage une échappée sur l'horizon, est un élément essentiel de la « fête », qui prend ainsi une tournure élégiaque comparable à celle que les grands Vénitiens, Giorgione ou Titien, ont donnée à leurs œuvres deux siècles Watteau Pèlerinage à l'île de Cythère Morceau de réception à l'Académie royale, 1717 Paris, musée du Louvre auparavant. Les figures, dix-sept au total, sont disposées par petits groupes autour de la pièce d’eau. On parcourra le tableau comme Watteau nous incite à le faire, en suivant le cheminement des personnages, dont l'échelle et la définition décroissent au fur et à mesure qu'ils s'éloignent de nous. Un couple à gauche, vu de dos, vient de pénétrer sur la scène. Un chien – un épagneul nain - les précède. Une fillette debout tourne légèrement la tête vers la droite. Elle s'associe ainsi, sans le faire tout à fait, aux deux bambins jouant à ses côtés. Un groupe compact, composé de trois couples, est assis sur la berge, tandis qu'un musicien, à moitié caché dans un bosquet, joue de la flûte traversière. Chacune des femmes, un éventail à la main, est saisie dans une attitude différente : l'une écoute un compagnon, l'autre repousse un prétendant, une troisième, penchée en avant, observe la scène ou converse avec l'homme étendu à terre. Au fond, de l'autre côté de l'étang, on aperçoit sous un arbre deux couples isolés. Enfin une minuscule figure d'homme, qui a fait l'objet de divers commentaires (jusqu'à évoquer un autoportrait), ferme la perspective. Certains l'ont vue comme un solitaire tournant le dos à la scène et contemplant la nature ; il nous semble plutôt converser, tourné de trois quarts face, avec le couple assis au pied de l'arbre. Sociabilité, sensualité, féminité Les personnages ne sont pas vraiment individualisés, si ce n'est par la couleur d'un habit ou l'ébauche d'un geste. Les visages sont à peine visibles, aucune des figures n'est tournée vers le spectateur (on est à l'opposé de la frontalité du Pierrot/Gilles, autre don du docteur La Caze), mais chacune est absorbée dans un acte de sociabilité : conversation, jeu, badinage amoureux. La sensualité transparaît dans le geste de l'homme qui avance la main sur sa voisine et qu'elle repousse : un topos chez Watteau (fig. 2). La prépondérance des figures représentées de dos l'artiste est un maître en ce domaine (fig. 3) -, offre de merveilleuses silhouettes, des nuques graciles, des profils perdus, des formes sinueuses qui sont, dans l'esprit de l'époque, autant d'odes à la féminité. Watteau, Le Faux Pas Paris, musée du Louvre (fig. 2) Watteau , Les deux cousines Paris, musée du Louvre (fig. 3) Le costume joue un rôle majeur. Il est « moderne », aristocratique et festif. Les habits des hommes, avec fraises, pèlerines et larges bérets, qui se réfèrent au passé, appartiennent au répertoire du théâtre et des bals costumés. Les femmes portent des robes vagues (dites abusivement, car il n'en a pas été l'inventeur, robes « à la Watteau »), qui se caractérisent par un buste étroit, des plis formés à l'encolure du dos et s'évasant sur l'ampleur du jupon. Craquelures Le chatoiement des soieries, partout présentes, est rendu avec des « lumières », des zébrures claires formant des empâtements (sur la robe rose et la robe blanche). Le contraste de matière est fort avec le paysage plus fluide, dont on a depuis le XIXe siècle regretté l'usure et parfois contesté l'authenticité. Les figures sont intégrées dans la végétation, elle-même retravaillée comme semble l'indiquer, dans les zones périphériques, un réseau de « craquelures prématurées ». Dû à un défaut de séchage, il affecte des repeints, qui sont le fait soit d'un ancien restaurateur (on sait que La Caze avait confié l’œuvre à Roehn), soit, pourquoi pas, de Watteau lui-même, dont on connaît d'autres dégradations similaires. Le panneau est agrandi en haut et en bas par deux ajouts visibles à la face, fort anciens, dont on ignore la raison d'être, peut-être le désir de l'accorder à un pendant. Du dessin à la peinture Les figures se retrouvent pour la plupart dans le répertoire dessiné de Watteau qui y puisait, selon une pratique éprouvée chez les peintres de genre et les Nordiques en particulier, des modèles pour ses tableaux. Une pratique attestée par Watteau lui-même, conseillant à Lancret « d'aller dessiner aux environs de Paris quelques vües de paysages, de dessiner ensuite quelques figures, et d'en faire un tableau de son imagination et de son choix » (Ballot de Sovot). Certaines feuilles contiennent des études ayant servi à d'autres compositions, dont L'Île enchantée (collection particulière ; actuellement exposée à Valenciennes) que l'on date, comme L'Assemblée dans un parc, de l'année d'achèvement du Pèlerinage à Cythère (1717) ou autour. Nous ne citerons que quelques exemples, en renvoyant les lecteurs au catalogue de l'exposition Watteau tenue à Paris en 1984, ou au catalogue raisonné des dessins publié par Pierre Rosenberg et Louis-Antoine Prat en 1996. Ainsi la figure de l'homme à gauche se retrouve dans une feuille du Louvre (fig. 4) ; la femme en rose qui l'accompagne, dans une feuille du musée J. Paul Getty (fig. 5) ; l'homme allongé au centre, vu de dos, ainsi que le flûtiste, apparaissent dans un dessin non localisé (fig. 6) ; la femme qui repousse son prétendant correspond à un dessin gravé dans le recueil des Figures de différents caractères (fig. 7). Watteau Quatre études de figures masculines La figure de droite est reprise dans le tableau Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques (fig. 4) Watteau Trois études de femme La figure de droite est reprise dans le tableau Malibu, The J. Paul Getty Museum (fig. 5) Watteau Deux études d'homme L'homme allongé ainsi que le flûtiste sont repris dans le tableau Localisation inconnue (fig. 6) B. Audran d'après Watteau Femme assise Gravure pour les Figures de différents caractères d'après un dessin qui a été repris dans le tableau (fig. 7) Une poétique du vide La magie du petit panneau tient beaucoup à la mise en page, à l'ondulation des feuillages, à la distribution du clair-obscur, à l'accord des couleurs dans la tradition coloriste, aux résonances formelles que l'artiste introduit entre les figures et la nature. Le point focal du tableau, décentré, est le triangle formé par la femme en rose, par la brèche de ciel entre les arbres, qui est son négatif (éther contre matérialité du corps ; mystère de l'ailleurs contre mystère de la pensée), enfin par la fillette, son alter ego, son relais et son avenir. Chacune, vue de dos, tourne légèrement la tête, la femme à gauche, l'enfant à droite, d'une manière aussi imperceptible qu'essentielle. Au centre du triangle, il y a de l'eau, un reflet, une ligne de démarcation floue entre lumière et ombre. À la marge entre deux genres, entre deux siècles, entre deux mondes, Watteau, empruntant les chemins de traverse des grands créateurs, cultive une poétique du vide et du suspens, du « presque rien » des philosophes, qui a nourri trois siècles ou presque (il y a l'interruption davidienne) d'artistes et de poètes. Dans d'autres compositions, comme La Perspective qui lui est antérieure (fig. 8), Watteau utilise le même principe ; des suiveurs l'ont imité (fig. 9) ; d'autres l'ont dépassé, comme Fragonard qui, deux générations plus tard, se remémorant sans doute les inventions fulgurantes de son aîné, sature ses paysages de frondaisons massives où passe, déjà, le souffle du préromantisme (fig. 10). Louis Crépy d'après Watteau La Perspective Gravure d'après le tableau conservé à Boston, Museum of Fine Arts (fig. 8) Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) Paysage, dit La Fête à Saint-Cloud Paris, hôtel de la Banque de France (fig. 10) Haussard d'après Jean-Nicolas de La Hire (1685-1727) Fête galante Gravure (fig. 9) De Cotte puis La Caze La chance de connaître l'origine du tableau tient à la présence d'une étiquette ancienne collée au revers. Il aurait appartenu à Jules-Robert de Cotte (1683 1767), fils de l'architecte et lui-même intendant des Bâtiments du roi, qui fut élu comme Conseiller Amateur à l'Académie royale en 1710, deux années avant l'agrément de Watteau. Passé en héritage à une nièce, il aurait été acheté par le docteur Louis La Caze (1798-1869) au plus tard en 1861, mais on sait que celui-ci commença tôt à recueillir des œuvres du XVIIIe siècle, un art alors totalement déconsidéré. Le collectionneur accrocha ce « délicieux tableau » (c'est ainsi qu'il le qualifia), parmi une multitude de petits formats des trois écoles, dans un cabinet de la maison qu'il occupait au 18 de la rue du Cherche-Midi et que le philanthrope ouvrait tous les dimanches aux amateurs et aux curieux. On y voyait également L'Indifférent et La Finette qui, avec L'Assemblée dans un parc, trônent aujourd'hui dans la salle consacrée par le Louvre (salle 37) au plus grand donateur de son histoire. Texte de Marie-Catherine Sahut L'auteur remercie Giulia Cicali, Martin Eidelberg, Guillaume Faroult, Aline François-Colin