La douceur sombre d`Oscar Louise
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La douceur sombre d`Oscar Louise
La douceur sombre d’Oscar Louise Première séquence: la scène se passe dans la douceur ineffable d’un paysage italien. Rachel Hamel a passé son bac et, de Lausanne, elle s’est transportée à Pérouse, ville médiévale au charme parfait, dotée d’une Università per stranieri où elle s’est inscrite pour apprendre la langue. «Beaucoup de chanteurs d’opéra suivaient les cours parce qu’ils avaient besoin de l’italien pour travailler, raconte-t-elle. Je me suis retrouvée à passer mon temps dans les collines toscanes avec des camarades qui chantaient Là ci darem la mano en pleine nature... On était tous un peu désœuvrés, j’ai commencé à chanter avec eux. Ils avaient un cœur, je l’ai rejoint, je suivais à l’oreille, en me mettant au milieu.» Partie pour une langue, Rachel attrape une vocation. «C’était une plongée dans la musique, je ne m’y attendais pas. Ça Romandissima Cedric Widmer La chanteuse lausannoise Rachel Hamel a jeté ses amarres dans l’archipel pop après un long périple entre opéra, jazz et cabaret. Bel abordage. Par Nic Ulmi a bouleversé ma vie.» Le dernier résultat en date de ce chamboulement est l’album Empty House, merveille pop douce et sombre où Rachel s’affiche sous le nom d’Oscar Louise. En allant l’interroger chez elle, à Pully, on découvre que dans Oscar Louise, il n’y a pas d’Oscar et pas de Louise. Il y a en revanche une foule de personnages. Velours et revolvers Deuxième séquence: on est à la fin des années 2000. Depuis ses jours à Pérouse, Rachel a tout fait: de l’architecture, du graphisme, de la scénographie, de l’opéra, de la musique sacrée (avec l’Ensemble vocal de Michel Corboz), du cabaret (avec les Swinging Bikinis), du jazz (jusqu’à la scène du Casino de Paris). «A chaque fois que j’atteignais un point où j’aurais pu me reposer sur mes acquis, je me posais la question 36 de comment aller plus loin...» Où, cette fois? «J’avais envie de partir de textes plus contemporains. Même si je peux tout à fait me sentir proche d’une femme du XVIIIe siècle dans un opéra, car les sentiments restent les mêmes.» Le nouveau monde de Rachel sera donc pop. Mais pour cela, il lui faut un auteur. «C’est alors que j’ai entendu par hasard Hemlock Smith. Deux fois. D’abord en divaguant sur le web, puis à la radio. Je me suis dit: c’est ça.» Hemlock Smith, c’est le chanteur-auteur-compositeur Michael Frei. Comble du bonheur, il est basé à Lausanne, lui aussi: «Quand je m’en suis rendu compte, j’ai été le voir après un concert et je lui ai demandé: «Composeriez-vous pour d’autres?» Il était sous le choc, il n’avait jamais fait ça. Il fallait qu’il réfléchisse.» Et puis? «Un mois plus tard, il avait vingt chan- edelweiss sons. Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. Je pensais avoir pris une route qui mettrait dix ans à aboutir. Je ne m’attendais pas à ce qu’il me compose un album complet.» Sorti fin août, trois ans après cette rencontre fondatrice, le disque vous happe dès sa première phrase, lâchée entre un pizzicato de cordes et le frottement insondable d’une contrebasse: «Once I had a husband / I don’t have him anymore / I shot him with a bullet / Then I walked out the door.» («Autrefois j’avais un mari / Aujourd’hui je ne l’ai plus / Je l’ai tué d’une balle / Et puis je suis sortie...») Pour compléter une palette sonore toute en velours et nervosité retenue, Rachel a fait appel à des instrumentistes émérites, dont Julien Feltin (guitariste chez Yael Naim), le quatuor Barbouze de chez Fior ou Fabrizio di Donato, arrangeur de Hemlock Smith et pendulaire entre pop et classique. De l’opéra à la pop, Rachel a entretemps accompli sa mue en faisant descendre sa voix d’une octave. «La technique du classique consiste à utiliser son visage, sa boîte crânienne comme résonateur, pour atteindre un volume qui permet de se faire entendre par-dessus un orchestre. Il faut pour cela faire pression sur les cordes vocales: plus on monte dans les aigus, plus on en met.» Ah, voilà pourquoi... «Ça donne une couleur que les gens ne trouvent pas naturelle. Pour Oscar Louise, j’ai essayé de m’accrocher à une voix plus proche du parler.» Nouvelle Vague en Oklahoma Mais comment réalise-t-on un album personnel, qui colle à ce que vous voulez raconter, en le faisant écrire – paroles et musique – par quelqu’un d’autre? «J’ai donné des références musicales, Nick Cave, Tom Waits, Cat Power, PJ Harvey... Pour les thèmes, je n’avais pas envie de restituer ma vie, si ce n’est indirectement, à travers des personnages dont on raconte les histoires. Je suis partie de scènes de cinéma, en donnant à Michael des séquences tirées de films de la Nouvelle Vague tels que Le mépris ou Hiroshima mon amour.» Résultat? «Il n’en a fait qu’à sa tête. Il m’a dit: «Moi, la Nouvelle Vague, non.» Mais ça lui a donné des clés. Lorsque j’ai reçu la première chanson, j’avais l’impression qu’il avait fait une enquête sur ma vie.» L’imaginaire de Hemlock Smith puise, lui, dans les tréfonds mythiques de l’Amérique. C’est de là que surgit l’héroïne du morceau Oklahoma Betty, vraie bad girl devenue chanteuse de country, promotrice, animatrice vedette et présidente des Etats-Unis. Autant de carrières que Rachel Hamel... 37 Caméléon de Madagascar Troisième séquence: c’est un flash-back. Rachel retrouve la Suisse à 14 ans, après avoir grandi entre Madagascar et la Thaïlande, car son père travaille dans la diplomatie. «Le retour a été violent. Mon accent et mon habillement étaient différents de ceux de mes camarades, le sentiment d’être rejetée était très fort. Il y avait les clans, new wave, BCBG, il fallait que je choisisse pour être acceptée. L’obsession d’être un caméléon, de faire partie, mais jamais tout à fait: c’est ce qui m’a laissé la plus grande trace.» Poussée par un besoin de multiplicité, «toujours à cheval entre deux mondes, occupée jusqu’à la limite de mon temps», Rachel reste fidèle à elle-même en choisissant un nom à deux têtes. «Oscar, c’est pour Oscar Wilde ou Oscar Niemeyer (ndlr: architecte moderniste célèbre pour ses réalisations à Brasilia). Louise, c’est Louise Brooks. J’aime cette ambiguïté, masculin-féminin, et le fait que ça renvoie à un duo sousjacent.» Il fallait peut-être ça pour qu’elle trouve enfin la paix. «Je l’espère, parce que je suis fatiguée de toujours recommencer.» On le lui souhaite. La pop a tout à y gagner. Oscar Louise, Empty House (CD Phénix/Disques Office). www.oscarlouise.com.