Analyse approfondie : propriété intellectuelle et contrefaçon

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Analyse approfondie : propriété intellectuelle et contrefaçon
AM BASSADE DE FRANCE EN
THAÏLANDE
SERVICE ECONOM IQUE
Le Chef du Service Econom ique
Février 2015
ANALYSE APPROFONDIE : PROPRIETE INTELLECTUELLE ET CONTREFAÇON
I - Protection juridique des droits de propriété intellectuelle
Membre de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), la Thaïlande adhère aux
règles internationales de protection des droits de propriété intellectuelle contenues dans les accords
ADPIC. À ce titre, la Thaïlande a fourni au cours de ces dernières années des efforts significatifs afin
d’améliorer la protection des droits de propriété intellectuelle sur son territoire et dispose aujourd’hui
d’un cadre juridique très complet.
Ainsi, à titre d’exemple, depuis le 1er décembre 1997, a été mise en place la cour centrale de propriété
intellectuelle et du commerce international (CIPITC). Plus récemment, une chambre spécialisée (la
division de la propriété intellectuelle et du commerce international) a été créée au sein de la Cour
suprême de Thaïlande. La Thaïlande applique traditionnellement sa législation en matière de propriété
intellectuelle à trois grandes catégories d’actifs incorporels : les brevets, les marques et les droits
d’auteur. D’autres lois sont venues enrichir le dispositif : loi sur la protection des variétés végétales en
1999, loi sur la protection des topographies des circuits intégrés de 2000, loi sur la protection des secrets
liés au commerce et fin 2002, loi sur la protection des indications géographiques entrée en vigueur en
2004.
La Thaïlande est membre de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle depuis
le 2 août 2008, et a ratifié le traité de Washington (Patent Cooperation Treaty ou PCT) le 24 décembre
2009. Ce système bénéficie grandement aux déposants étrangers qui privilégient désormais cette voie
de protection. En revanche, seule une cinquantaine de demandes de brevets PCT sont déposées chaque
année par des ressortissants thaïlandais, et ce malgré les efforts entrepris par le Department of
Intellectual Property (DIP).
Le Parlement thaïlandais a approuvé l’adhésion au Système de Madrid en novembre 2012. Cependant,
les amendements législatifs pour se mettre en conformité avec les critères de Madrid, n’ont pas pu être
approuvés en 2014 du fait de l’actualité politique. La nouvelle Directrice Générale du DIP, Mme Malee
Choklumlert entrée en fonction le 1er octobre 2014, a récemment confirmé que la Thaïlande respecterait
l’engagement pris dans l’ASEAN Intellectual Property Rights Action Plan (2011-2015) en vue d’une
adhésion de la Thaïlande au Système de Madrid avant la fin 2015. Le DIP soutient également le projet
d’adhésion au système de La Haye (dessins et modèles).
Peu d’avancées législatives sont à remarquer en 2014, néanmoins le nouveau gouvernement mis en place
le 15 septembre 2014 affiche une volonté forte de débloquer le processus législatif.
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-
Droits d’auteur : La nouvelle Assemblée Législative Nationale (NLA) a notamment approuvé
en novembre 2014 deux amendements à la loi relative au droit d’auteur (Copyright Act). Le
premier amendement porte sur le exemptions et peines relatives aux personnes handicapées pour
infraction au droit d’auteur. Le deuxième amendement porte principalement sur l’interdiction
de filmer notamment dans les cinémas (anti-camcording).
-
Marques : Le cabinet considère également deux amendements relatifs à la loi sur les marques
(Trademark Act) qui seront prochainement soumis à la NLA. Le premier amendement vise à
permettre la protection des marques dites non-traditionnelles en Thaïlande (marques olfactives,
sonores etc.). Le deuxième amendement concerne les modifications nécessaires en vue de
l’adhésion de la Thaïlande au Système de Madrid.
Secrets de Commerce : un amendement à la loi sur les secrets de commerce (Trade Secret Act),
prévoyant diverses modifications procédurales, notamment concernant la composition et le rôle
du Bureau des Secrets de Commerce (Trade Secret Board), a été approuvé par la NLA en
novembre 2014.
-
Malgré les demandes persistantes du gouvernement américain et de l’industrie du droit d’auteur, la
Thaïlande n’envisage pas en revanche d’adhérer au Traité de l’Organisation Mondiale de la Propriété
Intellectuelle (OMPI) sur le Droit d’Auteur (1996 WIPO Copyright Treaty), ni au Traité de l’OMPI sur
les Interprétations et Exécutions et les Phonogrammes (1996 WIPO Performances and Phonograms
Treaty).
Suite au rejet en 2013 par le Parlement du principe d’une responsabilité du propriétaire des locaux
(landlord liability), le DIP ne semble pas favorable à réintroduire ce principe dans un avenir proche.
Une proposition d’amendement portant sur le délit de remplissage a par ailleurs été introduite en 2013
par le département chargé de la propriété intellectuelle. Cette proposition est actuellement devant le
Conseil d’Etat (Council of State).
Enfin, les autorités ont, sous la pression américaine, entériné le gel des procédures de licences
obligatoires pour les produits pharmaceutiques, même lorsque ceux-ci sont considérés comme
« vitaux ». Toutefois, aucun effet rétroactif n’est envisagé pour les licences déjà délivrées en matière de
lutte contre le sida, le cancer ou les maladies cardiaques, qui resteront donc en effet jusqu’à expiration
des brevets.
Indications géographiques :
Etat membre de l’OMPI et observateur du système de Lisbonne, la Thaïlande est fortement sensibilisée
aux enjeux liés aux indications géographiques. Elle s’est vivement engagée dans leur reconnaissance,
leur promotion et leur défense. La Thaïlande est le premier pays de la région à avoir réellement mis en
place un système de protection efficace de ses indications géographiques.
Avec la coopération active de la France, la Thaïlande a adopté en 2003 une législation, inspirée du
modèle européen, (Act on Protection of Geographical Indication BE 2546), qui est entrée en vigueur le
28 avril 2004. Les IG étrangères bénéficient des dispositions de cette loi.
La Thaïlande a par ailleurs été désignée comme chef de file des IG dans le plan stratégique de l’ASEAN
et a été, en mars 2013, l’hôte du Symposium mondial sur les IG organisé tous les deux ans par l’OMPI.
De 2005 à 2014, 67 indications géographiques ont été enregistrées, parmi lesquelles 14 étrangères dont
2 françaises (champagne et cognac). EN 2014, 21 IG, dont trois étrangères (Buon Ma Thout coffee,
Barbaresco wine et Barolo wine), ont été enregistrées.
L’indication géographique pour le riz « Hom Mali », produit au Nord-est de la Thaïlande, a été
enregistrée par l’Union Européenne le 12 février 2013. Trois produits sont en cours d’enregistrement:
le riz « Khao Sang Yod », et les deux variétés de café « Doi Tung » et « Doi Chaang ». L’appui de la
France a été officieusement sollicité.
La Thaïlande est favorable, sur le principe, à un processus de révision de l’Arrangement de Lisbonne et
partage la position de la France quant à la protection des IG. Elle étudie par ailleurs la pertinence de
solliciter son adhésion à l’Arrangement de Lisbonne
Brevets :
A l’exception notable de l’adhésion au PCT, déjà mentionnée supra, aucune avancée législative ou
réglementaire récente n’est à noter en matière de protection des brevets en Thaïlande. Le système actuel
est relativement proche de celui en vigueur en Europe. Il protège les inventions nouvelles et implique
une activité inventive et susceptible d’applications industrielles pour une période de 20 ans, sans
possibilité de prolongation pour les médicaments ou les produits phytosanitaires.
Dans les faits, la période d’enregistrement d’un brevet, entre son dépôt et sa délivrance, reste
imprédictible et dure en moyenne plus de 12 ans, principalement à cause d’un déficit d’examinateurs au
DIP.
Par ailleurs, si les critères de brevetabilité de la Thaïlande sont basés de plus en plus sur les pratiques
internationales, des inquiétudes demeurent sur l’emploi des termes « effet de surprise » comme critère
pour les brevets pharmaceutiques (en plus des trois autres critères).
Les délais observés pour la délivrance des dessins et modèles sont en revanche en très nette amélioration
depuis 2013. Le DIP a notamment lancé depuis 2013 un plan d’envergure pour réduire ces délais qui
combine des recrutements de nouveaux examinateurs et un nouveau système (logiciel) informatisé de
gestion. L’objectif du DIP est de réduire à un maximum de six mois l’examen des demandes de dessins
et modèles (Design Patent) à compter de mars 2015, afin notamment de remplir les critères requis pour
une adhésion au Système de La Haye.
Marques :
La loi applicable en matière de marques est le Trademark Act BE 2534 (1991), modifié par le Trademark
Act (n° 2) BE 2543 promulgué le 1er avril 2000 et entré en vigueur le 30 juin 2000. Ce texte offre une
protection pour les marques en couleurs d’une durée de 10 ans, renouvelables 10 ans, selon les mêmes
critères qu’en France et selon la classification de Nice. Chaque année, plus de 35 000 demandes de
marques sont déposées, dont 60% sont enregistrées. Le représentant d’Hermès a alerté récemment le
CSE sur les difficultés à protéger les marques en trois dimensions, sans pour autant solliciter l’appui du
CSE à ce stade.
La Thaïlande n’étant pas encore signataire de l’arrangement de la Hague, ni du protocole de Madrid, il
n’est pas possible d’utiliser la procédure d’enregistrement international de marque. Le pays a cependant
lancé le processus pour y adhérer avant fin 2015 (cf. supra).
II Mise en œuvre de ces dispositions
Malgré une législation locale complète et réprimant dans des délais courts la violation des droits de
propriété intellectuelle, la Thaïlande demeure un des pays où la violation des droits de la propriété
intellectuelle est encore visible (les lieux de ventes de produits contrefaits sont nombreux et notoires) et
déconcentrée (à Bangkok mais également dans de nombreuses villes de province : Chiang Mai, Pattaya,
Phuket). À ce titre la Thaïlande figure parmi les pays énumérés dans la Priority Watch List de l’United
States Trade Representative (USTR). Ce phénomène est encouragé par l’importance des activités
touristiques en Thaïlande. Un rapport de février 2013 de l’International Intellectual Property Alliance
(IIPA) recommande toutefois à l’USTR de faire sortir la Thaïlande de cette Watch List, en
reconnaissance d’un niveau accru de coopération et de volonté politique.
a. Le système judiciaire
Avec une cour spécialisée en propriété intellectuelle (CIPITC), le système judiciaire est performant.
Créée en 1997, elle a jugé plus de 5 340 dossiers de propriété intellectuelle en 2013 dont 5 244 au pénal,
soit autant que les deux années précédentes. De janvier à avril 2014, la cour a jugé 1 112 dossiers au
pénal et 25 au civil. La plupart des affaires traitées concernent des litiges mineurs afférents aux marques
et copyrights, et très subsidiairement les brevets.
Les tribunaux de province la consultent souvent avant de prononcer un jugement. La CIPITC prononce
des jugements dans des délais courts notamment au pénal (entre un et deux ans) dans les affaires de
contrefaçon. La majorité des affaires sont en effet traitées au pénal pour pallier la lenteur (plus de 6 ans)
et le coût des procès civils, notamment pour les dossiers concernant les atteintes aux droits de propriété
intellectuelle des logiciels. Les procès civils sont donc inappropriés pour lutter contre des « petits »
fabricants ou vendeurs des rues, d’où l’importance de la loi portant la responsabilité sur le propriétaire
mentionnée ci-dessus.
En revanche, les peines infligées sont bien inférieures aux maxima prévus dans les textes de lois de
propriété intellectuelle. Par ailleurs, les décisions de la CIPITC peuvent être contestées devant la Cour
suprême, opportunité qu’exploite la très grande majorité des opérateurs condamnés en première
instance.
La collaboration entre le secteur privé (titulaires de droits ou leurs avocats) et le secteur public (police,
notamment avec l’ECOTEC « The Economic and Technological Crime Suppression Division » et les
douanes) est essentielle. Elle est encouragée par les autorités thaïlandaises et institutionnalisée à travers
9 accords de coopération (Memorandum of Understanding) depuis 2002.
b. Les douanes et les services de police
Le bureau de la suppression des violations des droits de PI du DIP est très actif et jugé efficace par les
titulaires de droits. Il travaille en liaison étroite avec la police, avant et pendant les saisies. Toutefois, si
le DIP donne facilement son feu vert à la police pour opérer des saisies d’objets ou de marques
reproduites à l’identique, il ne l’accorde que très rarement quand il s’agit d’imitations, ce qui attise la
frustration du directeur de la PI d’Hermés qui a identifié des produits imités dans certaines des boutiques
de l’hôtel Peninsula.
Trois autorités sont compétentes pour saisir des produits contrefaits :
De janvier à septembre 2014, selon le Department of Intellectual Property du ministère thaïlandais du
Commerce, les Services de Police en Thaïlande ont relevé 8 433 infractions à la législation en matière
de propriété intellectuelle, concernant plus de 750 000 produits contrefaits, contre 9 710 infractions et
près de 1,8 millions de saisies en 2013. Si le nombre d’infractions est quasi-stable, le nombre de saisies
par infraction est cependant en nette diminution d’une année à l’autre, sans qu’il soit possible d’imputer
ce résultat à l’instabilité politique qu’a connu la Thaïlande au premier semestre 2014 et/ou à une
diminution très sensible du nombre de produits contrefaits en circulation.
Les Douanes thaïlandaises peuvent d’autre part saisir les contrefaçons tant à l’import, qu’à l’export.
Elles ne réalisent cependant qu’à peine plus de 5 % de l’ensemble des saisies et ont saisi, entre janvier
et septembre 2014, 207 635 produits contrefaits suite à 581 interventions.
De janvier à septembre 2014 également, le « Department of Investigation » du Ministère de la Justice,
a conduit 8 raids menant à la saisie de 142 590 contrefaçons, contre 85 raids en 2013 pour 582 059
produits saisis.
Enforcement Actions Statistics
Year 2013 and 2014 (January - September)
No.
1
2013
Agency
2014 (9 mois)
2014/2013
(9 mois)
Cases
Seizures
Cases
Seizures
Evolution
Evolution
Trademark Mark Act B.E. 2534 (1991)
5 054
763 427
5 218
427 251
37.66%
(25.38%)
Copyright Act B.E. 2537 (1994)
4 359
835 708
2 843
254 519
(13.04%)
(59.39%)
Patent Act B.E. 2522 (1979)
29
10 863
13
1 137
(40.23%)
(86.04%)
Other laws (Optical Disc Production Act
268
181 343
359
68 727
78.61%
(49.47%)
9 710
1 791 341
8 433
751 634
14.11%
(44.05%)
Trademark Mark Act B.E. 2534 (1991)
67
453 140
8
142 590
(84.08%)
(58.04%)
Copyright Act B.E. 2537 (1994)
18
128 919
0
0
(100%)
(100%)
Patent Act B.E. 2522 (1979)
0
0
0
0
0%
0%
85
582 059
8
142 590
(87.45%)
(67.34%)
720
608 027
581
207 635
7.59%
(54.47%)
10 515
2 981 427
9 022
1 101 859
14.40%
(50.72%)
The Royal Thai Police
Film and Video Act, Consumer Protection Act
Criminal Code, Customs Act, Excise Tariff Act,
Protection of Geographical Indication Act)
Total
2
The Department of Investigation
Total
3
The Customs Department
Total
Source : Department of Intellectuel Property - Ministry of Commerce
IV Accords de coopération en vigueur
L’Union Européenne et la France jouent un rôle important dans la coopération internationale en matière
de propriété intellectuelle et de lutte anti-contrefaçon en Thaïlande, qui se traduit en particulier par la
mise en place d’actions de formation à destination des policiers et des douaniers, d’actions de lobbying
en vue de renforcer le droit dans certains domaines (indications géographiques, marques
tridimensionnelles…), ou encore des actions personnalisées à la demande des entreprises. La France a
particulièrement coopéré avec la Thaïlande dans le cadre des IG.
Les deux offices de propriété intellectuelle – l’INPI pour la France et le DIP pour la Thaïlande – ont
signé un accord de coopération en 1996 et se réunissent régulièrement. A ce titre, la reprise du
programme ECAP III piloté par l’OHMI constitue une excellente nouvelle.
V Eléments de langage
La France et la Thaïlande entretiennent depuis plus de 10 ans une coopération institutionnelle très étroite
qui a fortement contribué à doter la Thaïlande d’un dispositif légal et judiciaire dans le domaine de la
protection des droits de propriété intellectuelle.
La mise en œuvre d’indications géographiques thaïlandaises et la reconnaissance en Thaïlande d’IG
françaises illustrent la densité et le caractère mutuellement bénéfique de cette coopération.
La France est très attachée à poursuivre cette coopération et suit avec beaucoup d’attention l’évolution
de l’environnement thaïlandais dans ce domaine, tant sur le volet préventif qu’offensif, dans un contexte
où de nombreuses contrefaçons continuent de circuler en Thaïlande et où les procédures judiciaires sont
parfois exagérément lourdes, et les peines infligées insuffisantes.
Compte tenu de la provenance de Chine de l’essentiel des contrefaçons transitant ou vendues en
Thaïlande, la France milite en faveur d’un dialogue bilatéral ou régional sur ce sujet entre les deux pays.
François PETIT