Une rémission dans la PR
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Une rémission dans la PR
ÉDITORIAL Une rémission dans la PR ? Oui, mais laquelle ? Remission in RA? Yes, of course… But which one? B. Fautrel*, B. Combe** I l y a encore quelques années, l’obtention d’une rémission durable et persistante était un objectif largement hypothétique et virtuel au cours de la polyarthrite rhumatoïde (PR), même s’il était mis en avant dans le cadre de la “Décennie des os et des articulations” (Bone and Joint Decade) élaborée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) à la fin des années 1990 (1). En moins de 10 ans, nous sommes passés du virtuel au réel, tant dans les essais thérapeutiques que dans la “vraie vie”, comme en témoigne l’étude QUEST-RA (2). Dans cette enquête transversale menée dans 24 pays sur plus de 5 800 patients souffrant de PR, le pourcentage de patients en rémission, selon la définition plutôt stricte de l’American College of Rheumatology (ACR), était en moyenne de 8,6 %. Ce taux de rémission est plus élevé lorsque l’on utilise une définition moins * Service de rhumatologie, GH PitiéSalpêtrière, Paris. ** Service de rhumatologie, CHU de Montpellier. Kosovo Serbie Lituanie Hongrie Pologne Lettonie Russie Estonie Argentine Allemagne Turquie Émirats arabes unis Canada Italie Royaume-Uni Suède France Danemark Finlande Irlande États-Unis Espagne Pays-Bas Grèce Rémission ACR Rémission DAS 28 0 5 10 15 20 25 30 Rémission (%) Figure. Prévalence des rémissions dans l’enquête QUEST-RA (2). 6 | La Lettre du Rhumatologue • N° 352 - mai 2009 35 40 45 50 stricte, telle qu’un indice DAS (Disease activity Score) 28 < 2,6. On peut noter que les taux de rémission étaient globalement plus élevés dans les pays dits riches, c’est-à-dire les pays d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord, que dans les pays d’Europe de l’Est (figure). Le fait qu’une rémission soit désormais accessible n’est pas dû aux seules biothérapies, mais plutôt à l’utilisation de stratégies thérapeutiques dynamiques dès le diagnostic de PR porté. Dans l’étude BeSt, les taux de rémission (DAS) approchent les 50 %, quelle que soit la stratégie employée (step-up ou biothérapie d’emblée) [3, 4]. Rémission ou rémissions L’étude QUEST-RA met parfaitement en exergue le manque de définition consensuelle de la rémission au cours de la PR. Cela traduit à la fois une réalité clinique complexe et un problème méthodologique. On aimerait pouvoir définir la rémission comme une absence de tout signe associé à la PR, mais on sait que dans les formes anciennes et évoluées, il peut persister des douleurs ou des gonflements séquellaires sans rapport avec une quelconque inflammation résiduelle. Différents outils objectifs ont été décrits et proposés ces dernières années pour définir la rémission dans la PR (tableau). ➤ ➤ La définition fondée sur le DAS (DAS 28 ou 44) : à partir de ces indices d’activité désormais largement utilisés, des seuils ont été déterminés pour définir la rémission clinico-biologique [5, 6]. L’un des grands avantages de cet outil réside dans la prise en compte de l’activité de la maladie comme une variable continue dont le stade minimal est la rémission. Cependant, les DAS sont critiqués, car ils reposent en grande partie sur une évaluation clinique ayant une reproductibilité et une sensibilité (défaut de détection d’une activité a minima) imparfaites (7, 8). De plus, le DAS 28 ne prend pas en compte les atteintes des pieds, des chevilles et des hanches. Deux autres index ont été développés plus récemment : le Simple Disease Activity Index (SDAI) et le Clinical Disease Activity Index (CDAI). Légèrement plus simples et plus spécifiques que les DAS, ils en partagent toutes les limites. ÉDITORIAL ➤ ➤ Les premiers critères de rémission pour la PR ont été proposés par R.S. Pinals et al. en 1981 (9) et adoptés par l’ACR [tableau]. Au moins 5 des 6 critères persistant à deux mois d’intervalle sont nécessaires, selon cette définition, pour considérer un patient en rémission (5). ➤ ➤ Les critères de la Food and Drug Administration (FDA) sont proches des critères de R.S. Pinals. Cependant, en plus de l’état clinique de rémission présenté ci-dessus, la FDA y associe la nécessité d’avoir arrêté le traitement pendant plus de 6 mois sans reprise des symptômes cliniques et sans progression radiologique. Cette vision de la FDA est critiquée par certains, car elle ne prend pas en compte le rôle des traitements de fond en termes de prévention des poussées et des rechutes (10). Si, aujourd’hui, atteindre la rémission est un objectif réaliste dans la PR, notamment dans les formes récentes, la notion de “rémission persistante” est encore plus importante pour le court comme pour le long terme : “Être en rémission, c’est bien, le rester, c’est mieux”. Rémission, inflammation résiduelle et progression structurale Avec le développement des moyens d’imagerie modernes, il a été possible de détecter une activité inflammatoire infraclinique. Plus de 50 % des patients en rémission clinique ont des synovites détectables en échographie mode B ; la présence d’une hypervascularisation synoviale est objectivée par doppler puissance dans 15 à 50 % des cas (11-14). L’IRM montre des résultats similaires avec la persistance de synovites chez 95 % des patients en rémission, et la présence d’un œdème osseux chez 15 à 52 % de ces patients (11, 12, 15). La persistance d’une telle inflammation soulève la question d’une éventuelle progression structurale a minima. Celle-ci est possible chez les patients en rémission. Dans une étude conduite chez 187 patients atteints de PR en rémission sur 2 ans, l’apparition d’une nouvelle érosion sur une articulation cliniquement indemne était notée chez 15 % d’entre eux (16). La probabilité Tableau. Les différents critères de rémission. Définition de la rémission DAS 44 < 1,6 N articulations douloureuses/44 N articulations gonflées/44 EVA appréciation globale par le patient VS DAS 28 < 2,6 N articulations douloureuses/28 N articulations gonflées/28 EVA appréciation globale par le patient VS SDAI < 3,3 N articulations douloureuses/28 N articulations gonflées/28 EVA appréciation globale par le patient EVA appréciation globale par le médecin CRP CDAI < 2,8 N articulations douloureuses/28 N articulations gonflées/28 EVA appréciation globale par le patient EVA appréciation globale par le médecin ACR (9) Au moins 5 des critères suivants, présents lors de 2 examens consécutifs réalisés à 2 mois d’intervalle : 1. durée de la raideur matinale < 15 mn 2. absence de fatigue 3. absence de douleur articulaire à l’anamnèse 4. absence de douleur lors de mouvement 5. absence de gonflement articulaire ou tendineux 6. VS < 30 mm/1h (femme) ou < 20 mm/1h (homme) FDA Critères ACR + absence de progression radiologique + arrêt de tout traitement de fond depuis 6 mois La Lettre du Rhumatologue • N° 352 - mai 2009 | 7 ÉDITORIAL d’apparition de nouveaux dégâts structuraux était plus importante chez les patients ayant présenté quelques signes inflammatoires durant le suivi : 24 % contre 7 % chez ceux étant restés en rémission clinique complète. Ces observations ont été corroborées par d’autres études plus récentes (11, 17). L’échographie et l’IRM paraissent très intéressantes pour détecter ces patients à risque de progression structurale malgré une situation clinique satisfaisante : la présence d’un signal doppler positif en échographie et celle d’une synovite ou d’un œdème osseux en IRM semblent prédictifs d’une progression structurale avec des odds-ratio allant de 2 à 12 (11). Rémission et interruption thérapeutique L’essai de stratégie BeSt a été le premier à démontrer de façon indiscutable que l’on pouvait réduire, voire arrêter les traitements de fond chez les patients en rémission clinique et biologique. Selon le bras de traitement, 10 à 19 % des patients maintenaient la rémission de façon prolongée à l’arrêt de tous les traitements de fond (18). La majorité des patients était stable sur le plan structural. Conclusion La rémission est accessible grâce aux stratégies thérapeutiques actuellement utilisées, et s’il s’agit d’une “cible” thérapeutique affichée par les recommandations internationales (et nationales) chez tout patient atteint de PR (19, 20). Cet objectif thérapeutique soulève néanmoins des questions à la fois scientifiques et pratiques. Quelle est la signification de l’activité inflammatoire résiduelle objectivable en échographie ou en IRM ? Une rémission durable peut-elle faire envisager une guérison de la PR ? Si la décroissance des thérapeutiques est possible chez certains patients, est-elle sans danger ou fait-elle courir à ces patients un risque soit de rechute grave, rebelle aux traitements antérieurs, soit de progression structurale en l’absence de tout signe clinique ? Autant de questions qui vont nourrir la recherche clinique en rhumatologie dans les années à venir. ■ Références bibliographiques 1. Emery P, Salmon M. Early rheumatoid arthritis: time to aim for remission? Ann Rheum Dis 1995; 54(12):944-7. 2. Sokka T, Hetland ML, Makinen H et al. Remission and rheumatoid arthritis: data on patients receiving usual care in twenty-four countries. Arthritis Rheum 2008;58(9):2642-51. 3. Allaart CF, Goekoop-Ruiterman YP, de VriesBouwstra JK et al. Aiming at low disease activity in rheumatoid arthritis with initial combination therapy or initial monotherapy strategies: the BeSt study. Clin Exp Rheumatol 2006;24(6 Suppl. 43):S-77-82. 4. 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