Altération cognitive post-opératoire chez le sujet âgé
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Altération cognitive post-opératoire chez le sujet âgé
MISE AU POINT Altération cognitive post-opératoire chez le sujet âgé P. Pfitzenmeyer, A. Musat, L. Lenfant, A. Turcu, A. Musat L ’ E S S E N T I E L ■ Deux catégories distinctes : Les troubles cognitifs post-opératoires sont représentés par le syndrome confusionnel et le dysfonctionnement cognitif post-opératoire, appelé parfois syndrome amnésie/démence. ■ Le syndrome confusionnel : Perturbation cognitive aiguë survenant habituellement dans les 24 à 48 heures post-opératoires, il correspond à une décompensation cérébrale aiguë favorisée essentiellement par la fragilité cérébrale antérieure du sujet à laquelle se rajoutent les effets délétères du stress opératoire ; des facteurs précipitants organiques doivent être systématiquement cherchés, mais ils semblent moins fréquents chez les patients chirurgicaux que chez les patients confus en milieu médical. Bien que peu d’études aient évalué l’impact d’une prévention sur le risque de syndrome confusionnel post-opératoire, il semble qu’une évaluation pré-anesthésique associant gériatre et anesthésiste permettrait, à travers une approche globale, de proposer une prise en charge post-opératoire individuelle efficace. es progrès des techniques anesthésiques L et opératoires permettent aujourd’hui de proposer à des patients de plus en plus âgés des interventions jusqu’alors récusées sur ces terrains fragiles. Ainsi, le nombre d'actes anesthésiques a presque doublé en 15 ans puisqu’il est passé de 3 600 000 en 1980 à 7 937 000 en 1996. Proportionnellement, le nombre d’anesthésies réalisées chez les sujets âgés s’est très nettement accru puisque les sujets de plus 55 ans représentaient plus de 38 % des anesthésies en 1996, contre seulement 26 % en 1980 [1]. C'est dans la catégorie des patients les plus âgés que l'augmentation d'actes a été la plus forte. Actuellement, les patients comme les médecins redoutent l’apparition d’une altération cognitive dans les suites opératoires. Il est cependant difficile de savoir si cette association est purement fortuite ou s’il existe une relation de cause à effet entre acte opératoire et dysfonctionnement cognitif. L’anesthésie générale perturbe de façon transitoire les fonctions de relation et la période opératoire est suivie d’une phase où les performances psychomotrices et les capacités d’attention sont perturbées de façon obligatoire. Cette phase correspond à 648 ➞ La Presse Médicale ■ Le dysfonctionnement cognitif post-opératoire : Il est cliniquement beaucoup moins systématisé que le syndrome confusionnel. Ses symptômes vont des pertes de mémoire transitoires avec difficultés d’apprentissage, à la démence avérée avec altérations sévères de la personnalité. L’étude ISPOCD1, réalisée récemment sur un grand nombre de sujets âgés, a montré qu’une altération cognitive était observée chez 25,8 % des patients opérés à 1 semaine et chez 9,9 % à 3 mois. Sur un suivi de l’ordre de 1 à 2 ans, la fréquence d’une altération cognitive était de 10,4 %, rejoignant les chiffres d’une population témoin non-opérée. Il est donc possible que de nombreux états démentiels mis sur le compte d’une intervention chirurgicale soient en fait des maladies démentielles révélées au moment du stress hospitalier tandis qu’elles évoluaient jusqu’alors progressivement sans avoir attiré l’attention de la famille ou des médecins. la période d’élimination des agents anesthésiques et ne doit pas excéder 24 heures. La survenue des troubles cognitifs après la 48e heure post-opératoire, doit être considérée comme pathologique [2-4]. La nosologie des troubles cognitifs postopératoires n’est pas parfaitement claire. Il est cependant possible de déterminer 2 catégories distinctes : le syndrome confusionnel post-opératoire [5] et le dysfonctionnement cognitif post-opératoire, appelé auparavant syndrome amnésie/démence [6]. VIEILLISSEMENT CÉRÉBRAL ET RISQUE PÉRI-OPÉRATOIRE Le vieillissement est caractérisé par une réduction progressive de certaines performances cérébrales [7]. La diminution des fonctions cognitives liée à l’âge est très variable d'un individu à l'autre, fonction de l'environnement, du milieu social et de l'éducation. La fragilité cérébrale est essentiellement consécutive aux syndromes démentiels surajoutés dont la prévalence est évaluée dans les pays européens à 9 % environ dans la population des plus de 70 ans [8], tandis Presse Med 2001 ; 30:648-52 © 2001, Masson, Paris qu’elle atteindrait 40 % dans certaines études chez les plus de 85 ans [9]. Ainsi, la baisse des réserves fonctionnelles cérébrales consécutives aux effets du vieillissement et à l’impact des maladies, notamment démentielles, exposent le sujet âgé, lors du stress opératoire, au risque de décompensation cérébrale représenté essentiellement par le syndrome confusionnel. Les lésions d’athérosclérose associées à une fragilité de l’autorégulation de la perfusion cérébrale participent au risque d’hypoperfusion cérébrale, notamment dans les régions sous-corticales, lors des variations hémodynamiques systémiques fréquentes en per et post-opératoire [10]. L’impact de l’hypoperfusion cérébrale serait particulièrement important dans la survenue du Service de Médecine gériatrique (PP, AM, LL, AT). Centre de Gérontologie de Champmaillot, CHU, Dijon. Département d’Anesthésie-Réanimation (AM), CHU Bocage, Dijon. Correspondance : P. Pfitzenmeyer, Service de Médecine gériatrique, Centre de Gérontologie de Champmaillot., CHU, 2, rue Jules Violle, F21034 Dijon. Tél. : 03 80 29 39 70. Fax : 03 80 29 36 21. Email : [email protected] Reçu le 20 octobre 2000 ; accepté le 12 mars 2001. 7 avril 2001 / 30 / n° 13 P. Pfitzenmeyer et al. dysfonctionnement cognitif post-opératoire [11]. Parallèlement à la fragilité cérébrale, les déficits sensoriels comme les troubles de la vision et de l'audition réduisent les capacités d’adaptation du sujet âgé et l’exposent au syndrome confusionnel notamment en post-opératoire. LE SYNDROME CONFUSIONNEL C’est une des complications post-opératoires les plus fréquentes du sujet âgé, son incidence étant évaluée en moyenne à 36,8 % [5]. Sa fréquence dépend du type de chirurgie, le risque le plus important étant trouvé en chirurgie cardiaque et en orthopédie (24 à 72 %) et du caractère programmé ou non de l’intervention (fréquence de 25 à 65 % pour des actes réalisés en urgence, contre 15 à 25 % dans des actes de chirurgie réglés) [12, 13]. Clinique Les critères de diagnostic du syndrome confusionnel post-opératoire sont définis par L’American Psychiatry Association dans le DSMIV (encadré 1) [14], mais les travaux récents concernant les états confusionnels post-opératoires utilisent volontiers une échelle dérivée du DSM IIIR appelée Confusion Assessment Method (CAM) [15]. Le syndrome confusionnel est une perturbation cognitive de début brutal, survenant habituellement dans les 24 à 48 heures post-opératoire [16]. La symptomatologie est fluctuante dans le temps, associant troubles de la vigilance et inversion du rythme veille-sommeil. L’altération cérébrale est globale, donnant lieu à des signes très variés, notamment déficit d’enregistrement mnésique, désorientation temporo-spatiale, troubles du comportement et anxiété majeure. Cette perturbation cérébrale organique est théoriquement totalement réversible lorsque la prise en charge est adaptée [17]. Physiopathologie L’hypothèse dominante fait appel à la responsabilité d’une réduction du métabolisme cérébral entraînant une baisse des neuromédiateurs, GABA, sérotonine, noradrénaline et surtout acéthylcoline [18]. Les hypothèses 7 avril 2001 / 30 / n° 13 1. Diminution de la capacité de maintien de l’attention aux stimuli externes 2. Désorganisation de la pensée relevée par des propos incohérents 3. Au moins 2 des paramètres suivants : _ Diminution du niveau de conscience (difficulté à rester éveillé pendant l’examen) _ Altération de la perception (illusions, hallucinations) _ Altération du cycle veille/sommeil _ Augmentation ou diminution de l’activité psychomotrice _ Désorientation temporo-spatiale _ Altération de la mémoire (difficulté d’apprentissage d’un nouveau matériel, ou de se remémorer des événements récents) 4. Délai court d’apparition de la symptomatologie (heures ou jours), avec tendance à la fluctuation au cours de la journée 5. Au moins 1 des caractéristiques suivantes : _ Mise en évidence dans les antécédents récents, au cours de l’examen physique ou dans les résultats biologiques d’un facteur étiologique organique _ Si aucun facteur étiologique organique évident n’est retrouvé, absence d’altération cognitive non organique qui pourrait être la cause des troubles actuels (épisode maniaque etc.) cipitants du syndrome confusionnel postopératoire soient différents de ceux observées chez les patients médicaux, les causes médicales semblant beaucoup moins fréquemment décelées dans le contexte chirurgical [18, 36]. Certaines chirurgies semblent particulièrement pourvoyeuses de syndrome confusionnel : cardiaque en raison des perturbations hémodynamiques cérébrales [37], orthopédique où le rôle des embolies graisseuses est discuté [19, 28], de la cataracte en raison des modifications sensorielles [38]. Par contre, le type d’anesthésie, qu’il soit général ou locorégional, n’a pas été identifié comme un facteur de risque de syndrome confusionnel post-opératoire [39, 40]. Cependant, le mécanisme physiopathologique du syndrome confusionnel reste le même, puisqu’il est à l’évidence la conséquence d’une rencontre entre facteurs de fragilité préexistante (altération cognitive, dépendance, âge) et d’un stress opératoire plus ou moins important en fonction du type de chirurgie et des différents facteurs organiques aigus qui se surajoutent [13]. physiopathologiques concernant la confusion post-opératoire sont très pauvres : le rôle de l’hypotension peri-opératoire, suspecté dans une étude [19], n’a pas été confirmé dans une autre [16] ; il en est de même pour l’impact éventuel de l’hypoxémie post-opératoire [20-22] ; le rôle de l’augmentation du cortisol durant le stress opératoire a été soulevé [23], de même qu’une réduction de la disponibilité du tryptophane au niveau cérébral dans la période per et post-opératoire [24]. Pronostic L’apparition d’un syndrome confusionnel est associée à un pronostic défavorable avec une augmentation de la morbidité, de la mortalité et de la durée d’hospitalisation [31, 32]. Le taux de mortalité semble être de l’ordre de 20 à 30 %. La persistance de troubles cognitifs 6 mois après la chirurgie est observée dans 6 à 42 % des cas de syndrome confusionnel [16, 32, 41], ces patients présentant en outre un état de dépendance important [41, 42]. ●●● Encadré 1 Critères diagnostiques du syndrome confusionnel (DSMIV). Facteurs étiologiques De nombreuses études réalisées sur la survenue d’une confusion chez les patients médicaux ont permis de mettre en évidence certains facteurs prédisposants (encadré 2) et un très grand nombre de facteurs précipitants (encadré 3) [12, 25-27]. Dans les études réalisées en milieu chirurgical, les facteurs prédisposants semblent identiques, tandis que les facteurs précipitants mis en évidence sont beaucoup moins nombreux (encadré 4) [5, 13, 16, 19, 28-36]. Ainsi, il est possible que les facteurs étiologiques pré- Encadré 2 Facteurs prédisposants au syndrome confusionnel chez les patients médicaux. • Age avancé • Affections organiques cérébrales chroniques _ Syndomes démentiels dégénératifs _ Accidents vasculaires cérébraux et démences vasculaires _ Maladie de Parkinson et affections apparentées • Dépression • Dépendance • Déficits neurosensoriels visuels et auditifs • Affections chroniques telles insuffisance rénale ou hépatique La Presse Médicale ➞ 649 MISE AU POINT Altération cognitive post-opératoire chez le sujet âgé Encadré 3 Facteurs précipitants du syndrome confusionnel chez les patients médicaux. • Infections (bronchopulmonaires et urinaires notamment) • Troubles métaboliques : _ troubles hydroélectrolytiques : hypo ou hypernatrémie, hypercalcémie, _ hypo ou hyperglycémie _ acidose ou alcalose _ insuffisance rénale, respiratoire ou hépatique _ dénutrition sévère et déficit vitaminique : B1, folates, B12 • Troubles cardio-vasculaires _ insuffisance cardiaque _ troubles du rythme paroxystique _ infarctus du myocarde et embolie pulmonaire • Douleur aiguë et syndromes rétentionnels (rétention aiguë d'urine et fécalome) • Affections neurologiques : _ lésions expansives : hématome sous-dural, tumeur, anévrisme _ accident vasculaire cérébral _ épilepsie : en particulier type petit mal absence • Dérèglements endocriniens : _ dysthyroïdies, _ hyperparathyroïdie • Facteurs iatrogènes _ psychotropes : benzodiazépines et apparentés, barbituriques, carbamazépine, antidépresseurs, neuroleptiques _ antiparkinsoniens _ antalgiques (majeurs ou non) _ corticoïdes, indométacine _ antibiotiques (quinolones) _ anti-ulcéreux dont cimétidine et oméprazole _ traitement à visée cardio-vasculaire : digitaliques, β-bloqueurs, antiarythmiques, diphénylhydantoine, antihypertenseurs centraux _ théophylline _ antihistaminiques _ syndrome de sevrage aux benzodiazépines et apparentés • Facteurs psychologiques _ deuils _ changement du cadre de vie : hospitalisation ou entrée en institution Le pronostic semble bien meilleur lorsqu’une cause médicale définie est retrouvée et traitée que lorsque la confusion survient sur un état simplement fragilisé par des conditions pathologiques chroniques [36]. L’évolution est d’autant plus défavorable que le syndrome confusionnel persiste 1 mois après l’acte opératoire [31]. Ce pronostic défavorable semble tout aussi bien dépendant de l’état de fragilité antérieure des patients (syndrome démentiel, état de dépendance et polymorbidité) qui favorise la survenue du syndrome confusionnel que du génie évolutif du syndrome confusionnel luimême [31, 43]. 650 ➞ La Presse Médicale Encadré 4 Facteurs précipitants du syndrome confusionnel mis en évidence chez des patients chirurgicaux. • Iatrogène _ Polymédicamentation préopératoire [14, 17] _ Prise de psychotropes avant l’intervention _ Neuroleptiques [34], anticholinergiques [30,35] • Infection [34] • Troubles électrolytiques [37] • Hypoxémie post-opératoire [20] • Douleur post-opératoire [36] Prise en charge préventive Quelques études ont évalué l’impact d’une prévention du syndrome confusionnel chez des patients généralement peu âgés bénéficiant d’une chirurgie cardiaque [44]. A notre connaissance, seule l’étude de Gustafson et al. a évalué l’intérêt d’une prise en charge à visée préventive sur le risque confusionnel chez des patients âgés chirurgicaux [19]. Le programme comprenait un délai d’intervention le plus court possible, une évaluation pré et post-opératoire par un gériatre, une oxygénothérapie systématique et une surveillance stricte de l’hématose en per et postopératoire immédiat, enfin, une prévention et un traitement des hypotensions observées en per-opératoire. L’incidence de la confusion était de 61,3 % dans le groupe contrôle et de 47,6 % dans le groupe étudié (différence significative). Une autre étude a montré qu’en cas de fracture du col fémoral, l’intervention la plus précoce possible permettait de réduire la fréquence du syndrome confusionnel [16]. Parallèlement, le nombre d’études concernant la prévention du syndrome confusionnel chez des patients médicaux est faible [44, 45]. Notre expérience gérontologique nous amène, cependant, à proposer quelques pistes concernant la prévention du syndrome confusionnel en milieu chirurgical (encadré 5). Il semble, en tout état de cause, qu’une évaluation pré-anesthésique associant gériatre et anesthésiste permettrait d’évaluer au mieux, à travers une approche globale, le risque de syndrome confusionnel post-opératoire et de proposer une prise en charge post-opératoire individuelle efficace. Traitement Le traitement du syndrome confusionnel requiert d’abord le diagnostic et le traitement des facteurs organiques précipitants [18]. Le diagnostic étiologique implique un examen physique approfondi, une évaluation neuro- logique et un bilan biologique complet. Tous les médicaments pris par le malade doivent être suspectés de principe comme une cause potentielle du syndrome confusionnel. La prise en charge nutritionnelle, la surveillance de l’état d’hydratation et la prévention des complications de grabatisation doivent être systématiques [17]. L’usage d’un traitement pharmacologique, qui reposerait aujourd’hui plutôt sur les neuroleptiques atypiques (rispéridone, tiapride), n’est indiqué que dans une minorité de cas, lorsqu’existent des troubles comportementaux difficilement tolérables pour le milieu hospitalier. Encadré 5 Proposition concernant quelques mesures préventives du syndrome confusionnel chez le patient chirurgical. Attitudes validées - Evaluation pré et post-opératoire par un gériatre, - Oxygénothérapie systématique et surveillance stricte de l’hématose en per et post-opératoire - Prévention et traitement des hypotensions observées en per-opératoire Attitudes non validées En pré-opératoire - Réduction des prises médicamenteuses notamment des anticholinergiques En post-opératoire - Surveillance et traitement de la déshydratation et des troubles hydroélectrolytiques - Compensation de l’anémie - Traitement précoce des complications infectieuses - Prise en charge active de la douleur post-opératoire - Prise en charge de la dénutrition protéinoénergétique - Mobilisation précoce - Lutte contre l’isolement sensoriel - Réduction de l’utilisation des contentions chimiques et physiques LE DYSFONCTIONNEMENT COGNITIF POST-OPÉRATOIRE ET/OU SYNDROME AMNÉSIE/DÉMENCE Apparaissant dans les jours ou les semaines post-opératoires, le syndrome amnésie /démence évolue de manière chronique et peut être définitif. La présentation clinique est beaucoup moins précise que celle du syndrome confusionnel. Ses symptômes vont des pertes de mémoires transitoires avec difficultés d’apprentissage (syndrome amnésique), à la démence avérée avec altérations sévères de la personnalité. 7 avril 2001 / 30 / n° 13 P. Pfitzenmeyer et al. Le syndrome amnésie/démence post-opératoire a été mentionné pour la première fois en 1955 par Bedford qui rapporte 18 cas de malades âgés ayant développé un syndrome de démence post-opératoire [46]. L’hypo xémie per et post-opératoire et l’hypoperfusion cérébrale consécutive à l’hypotension artérielle pourraient jouer un rôle dominant dans l’apparition du syndrome démentiel post-opératoire [22]. Cependant, les travaux ultérieurs n’ont pas mis en évidence de retentissement flagrant à long terme de l’anesthésie en chirurgie générale sur les aptitudes cognitives des patients, les cas de démence post-anesthésique restant très ponctuels [47]. Plus récemment, 2 études montraient un impact négatif de l’acte anesthésique sur les tests cognitifs réalisés à 1 semaine et 3 mois après un acte chirurgical orthopédique ou abdominal [48, 49]. Cependant, dans l’une et l’autre de ces études, les résultats à plus long terme (de 6 mois à 2 ans) ne trouvaient aucune différence concernant la fréquence d’une altération cognitive entre la population opérée et une population témoin de même âge [49, 50]. L’étude ISPOCD1 [48] a inclus 1218 patients issus de différents pays d’Europe et des USA pour réaliser une batterie de tests neuropsychologiques à 1 semaine puis à 3 mois après une geste chirurgical autre qu’une intervention cardio-thoracique. L’évolution cognitive de ces patients était comparée à celle de témoins du même âge. Une altération cognitive, portant essentiellement sur la rapidité des processus mentaux, était notée chez 25,8 % des patients opérés à 1 semaine et chez 9,9 % à 3 mois, les M A I N chiffres pour la population témoin étant de 3,4 % et 2,8 %, ce qui témoignait d’une différence significative. Les facteurs de risque d’une altération cognitive étaient un âge avancé, la durée de l’anesthésie, un niveau bas de scolarité, une deuxième intervention, une complication post-opératoire infectieuse ou respiratoire. Une partie de cette population (336 sujets) était réévaluée dans un délai de 1 à 2 ans après l’acte chirurgical [50]. Une altération cognitive était observée dans 10,4 % des cas chez les patients opérés, contre 10,6 % dans la population témoin. Parallèlement, dans l’étude de Dijkstra et al., n’ayant porté que sur 56 patients évalué à 1 semaine, 3 et 6 mois après un geste chirurgical qui n’était pas en rapport avec une intervention cardiaque, l’évaluation à 6 mois ne montrait aucune altération objective des tests cognitifs tandis que persistait une plainte subjective des patients peut-être en rapport avec une sémiologie dépressive [49]. A la vue de ces résultats, il nous semble possible d’envisager quelques hypothèses concernant le dysfonctionnement cognitif post-opératoire : dans quelques rares cas, l’acte anesthésique peut certainement, en raison d’une souffrance cérébrale due à une hypoperfusion ou une hypoxie, entraîner une altération cognitive définitive de nature démentielle; plus fréquemment, le syndrome confusionnel post-opératoire peut certainement se compliquer d’une altération démentielle chronique ; dans la majorité des cas, l’intervention chirurgicale agirait comme le révélateur d’une pathologie démentielle préexistante. Dans ce contexte, ce serait le syndrome confusionnel post-opératoire, extrême- ment inquiétant par sa brutalité et son intensité, qui amènerait les proches à prendre conscience de la détérioration cognitive de leur parent. En effet, l’interrogatoire précis retrouve la plupart du temps chez ces patients, des troubles cognitifs antérieurs à l’anesthésie, parfaitement occultés jusqu’alors en raison de leur évolution progressive et en l’absence de retentissement social important. CONCLUSION Le syndrome confusionnel est une décompensation cérébrale aiguë parfaitement réversible, résultante d’un état de fragilité préexistante due à l’âge et aux pathologies cérébrales chroniques, des éléments du stress opératoire et d’éventuels facteurs organiques aigus post-opératoires. La prévention et le traitement d’une telle décompensation passent certainement par un travail interdisciplinaire entre anesthésiste et gériatre. Le dysfonctionnement cognitif post-opératoire semble disparaître spontanément chez de nombreux patients dans les mois suivants l’intervention, puisque, dans un délai de 6 mois à 2 ans, la population opérée rejoint la courbe d’une population témoin en ce qui concerne le risque de détérioration cognitive. Il est donc possible que de nombreux états démentiels mis sur le compte d’une intervention chirurgicale soient en fait des maladies démentielles révélées au moment du stress hospitalier tandis qu’elles évoluaient jusqu’alors, progressivement, sans avoir attiré l’attention de la famille ou des médecins. ❏ P O I N T S Post-operative cognitive disorders in the elderly ■ Two distinct categories: Postoperative cognitive disorders include delirium and long-term cognitive dysfunction. Delerium: Delirium is an acute state occurring early during the postoperative period. It may be considered as an acute cerebral insufficiency which may be consecutive both to the negative effects of aging and chronic illness on cognitive function, and to the cerebral impact of operative stress. In addition, precipitating postoperative medical factors may facilitate cerebral failure. Only a few studies have been devoted to prevention programs aimed at reducing the risk of postoperative delirium. Nevertheless, we can hypothesize that a preoperative gerontology assessment would be effective in determining risk factors of delirium in old patients and thus enable proposing individual postoperative management. ■ 7 avril 2001 / 30 / n° 13 Long-term cognitive dysfunction: The definition of this clinical picture is less precise than delirium. Long-term cognitive dysfunction corresponds to a loss of cognitive performance in the weeks and months after anesthesia. The IPOCD1 study conducted in a large cohort of elderly patients has shown that postoperative cognitive dysfunction was present in 25.8% of patients 1 week after surgery and in 9.9% 3 months after surgery. One to two years after surgery, cognitive dysfunction was observed in 10.4% of patients compared with 10.6% in a control population of non-operated patients. We would suggest that in many cases, postoperative cognitive dysfunction may result from preoperative dementia unmasked by surgery. ■ P. Pfitzenmeyer, A. Musat, L. Lenfant et al. Presse Med 2001 ; 30:648-52 © 2001, Masson, Paris La Presse Médicale ➞ 651 MISE AU POINT Altération cognitive post-opératoire chez le sujet âgé [Références] 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. Auroy Y, Laxenaire MC, Clergue F, Péquignot F, Jougla E, Lienhart A. Anesthésies selon les caractéristiques des patients, des établissements et de la procédure associée. Ann Fr Anesth Reanim 1998 ; 17:1311-6. Mantz J. 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