Politique linguistique éducative, identités nationales et

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Politique linguistique éducative, identités nationales et
Afrique du Sud-TêteBêche 16/07/03 14:03 Page 1
COUNCIL
OF EUROPE
CONSEIL
DE L'EUROPE
Politiques linguistiques
Neville Alexander
ET IDENTITÉS NATIONALES
ET INFRANATIONALES
EN AFRIQUE DU SUD
LANGUAGE EDUCATION POLICY,
NATIONAL AND SUB-NATIONAL
IDENTITIES IN SOUTH AFRICA
Neville Alexander
POLITIQUE LINGUISTIQUE ÉDUCATIVE
Language Policies
COUNCIL
OF EUROPE
CONSEIL
DE L'EUROPE
POLITIQUE LINGUISTIQUE ÉDUCATIVE ET
IDENTITÉS NATIONALES ET INFRANATIONALES EN
AFRIQUE DU SUD
Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives
en Europe - De la diversité linguistique à l’éducation plurilingue
Etude de référence
Neville ALEXANDER
Université du Cap
Division des Politiques linguistiques
DG IV – Direction de l’éducation scolaire, extrascolaire
et de l’enseignement supérieur
Conseil de l’Europe, Strasbourg
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reflètent pas nécessairement celles du Conseil de l’Europe.
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reproduction ou de traduction de tout ou d’une partie du document doivent être
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condition que la source soit mentionnée.
© Conseil de l’Europe, juin 2003
SOMMAIRE
Préface .........................................................................................................................5
1.
Introduction ........................................................................................................7
2.
Eléments historiques ..........................................................................................8
3.
Observations concernant la politique linguistique éducative au temps de
l’apartheid ........................................................................................................13
4.
La politique linguistique éducative depuis 1994 ..............................................16
5.
La planification de la politique linguistique .....................................................17
6.
Conclusion .......................................................................................................19
Références bibliographiques......................................................................................21
Annexe 1....................................................................................................................23
Annexe 2....................................................................................................................25
3
Préface
Ce texte qui est publié dans une série, coordonnée par la Division des Politiques
linguistiques, présente à l'évidence sa pertinence propre, puisqu'il aborde certains
aspects déterminants de l'organisation des enseignements de langues, de leurs
fondements sociolinguistiques, des idéologies linguistiques à l'œuvre sur ces
problèmes relatifs aux langues en Europe. Il entre cependant dans un projet plus
large, en tant qu'il constitue un élément d'un ensemble éditorial centré sur le
Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe. De
la diversité linguistique à l'
éducation plurilingue.
Ce Guide est document descriptif et programmatique tout à la fois, qui a pour
objet de mettre en évidence la complexité des questions d'enseignement des
langues, souvent abordées de manière simpliste. Il se propose de décrire les
démarches et les outils conceptuels permettant d'analyser les contextes éducatifs
en ce qui concerne les langues et d'organiser l’apprentissage et l’enseignement
des langues en fonction des principes du Conseil de l'Europe.
Ce document existe en plusieurs versions, destinées à des publics différents.
Mais la Version intégrale elle-même aborde, dans un cadre limité, nombre de
questions complexes : il a semblé utile de l'illustrer par des études de cas, des
synthèses ou des études sectorielles, qui traitent, de manière plus
monographique, de questions à peine esquissées dans ce texte. Ces Etudes de
référence, originales, remettent le Guide en perspective, pour en rendre
perceptibles les ancrages théoriques, les sources d'information, les domaines de
recherche ou les thématiques qui le nourrissent.
La Division des langues vivantes devenue Division des Politiques linguistiques
manifeste par cet ensemble de documents cette nouvelle phase de son action.
Celle-ci s'inscrit dans le droit fil des précédentes : la Division a diffusé, à travers
les Niveaux-seuils des années 70, une méthodologie d'enseignement des langues
davantage tournée vers la communication et la mobilité intra européenne. Elle a
ensuite élaboré, sur fond de culture éducative partagée, Le Cadre européen
commun de référence pour les langues (version définitive, 2001), document
visant non plus à définir la forme des contenus d'enseignement pour les langues,
mais la forme même des programmes d'enseignement de celles-ci. Proposant des
niveaux de références explicites pour identifier des degrés de compétence en
langue, le Cadre autorise une gestion diversifiée des formations, de nature à
créer des espaces pour davantage de langues à l'Ecole et dans la formation tout
au long de la vie. Cette orientation vers une reconnaissance de la valeur
intrinsèque du plurilinguisme a conduit parallèlement à la mise au point d'un
instrument permettant à chacun de prendre conscience de son répertoire de
langues et de le décrire : le Portfolio européen des langues, dont les versions
élaborées par les Etats membres se multiplient et qui a été au centre de l'Année
européenne des langues (2001).
Identifié dans de nombreuses Recommandations du Conseil de l'Europe comme
principe et comme finalité des politiques linguistiques éducatives, le
5
plurilinguisme doit être valorisé au niveau de l'individu et pris en charge
collectivement par les Institutions éducatives. Articulant le didactique et
l'éducatif au politique, le Guide et les Etudes de référence qui le déclinent ont
pour fonction d'expliciter ce principe politique et d'en décrire les formes
concrètes de mise en place.
La relation entre le plurilinguisme et un sentiment d’identification avec d’autres
Européens, incluant une éventuelle identité européenne, qui viendrait se
surimposer à d’autres identités, - sociale, nationale, régionale, professionnelle,
familiale, entre autres, - que tous les individus possèdent, reste de l’ordre de
l’hypothèse et ne pourra être vérifiée qu’au cours des générations plurilingues
futures. Dans d’autres régions du monde pourtant, la politique linguistique
éducative est liée à la question de l’identité dans un espace multilingue. Dans la
présente étude, Neville Alexander analyse l’évolution de l’enseignement des
langues et de la notion d’identité en Afrique du Sud, avant et après l’apartheid.
La situation, fluctuante, ne cesse d’évoluer et l’on ne connaît pas encore avec
précision les effets concrets des politiques linguistiques éducatives mises en
place. Néanmoins, l’analyse d’une société complexe du point de vue
sociolinguistique, qui s’est donné explicitement comme objectif de forger un
sentiment d’unité et d’identité, devrait nous aider à approfondir notre propre
réflexion sur les liens entre les politiques linguistiques en Europe et le sentiment
d’identité européenne.
Cet aspect spécifique de la problématique des politiques linguistiques éducatives
en Europe invite à réexaminer la perspective d'ensemble déployée dans le Guide.
Il n'en reste pas moins que cette étude participe au projet fondateur de la Division
des Politiques linguistiques : créer par la réflexion et l'échange d'expériences et
d'expertises, les consensus nécessaires pour que les sociétés d'Europe, fortes de
leurs différences et irriguées par des courants transculturels modelant des nations
mondialisées ne s'enferment pas dans la recherche de la ou des langues
"parfaites" à valoriser (aux dépens d'autres). Elles devraient plutôt reconnaître la
pluralité des langues de l'Europe et le plurilinguisme, potentiel ou effectif, de
tous ceux qui vivent dans cet espace comme condition de la créativité collective
et du développement, composante de la citoyenneté démocratique à travers la
tolérance linguistique et, donc, comme valeur fondatrice de leur action dans le
domaine des langues et de leurs enseignements.
Jean-Claude Beacco et Michael Byram
6
1.
Introduction
Dans The Power of Identity (Le pouvoir de l’identité), le second volume de ses
travaux sur la société des réseaux, le célèbre sociologue urbain Manuel Castells,
fait plusieurs observations importantes, dont la suivante :
Bien que le projet identitaire de sovetskii narod ne fût pas
nécessairement et d’emblée voué à l’échec, il s’est désintégré avant de
pouvoir s’installer dans les esprits et dans la vie des peuples de l’Union
soviétique. Ainsi, l’expérience soviétique dément la théorie selon
laquelle l’Etat peut forger à lui seul une identité nationale. L’Etat le
plus puissant, armé de l’appareil idéologique le plus élaboré dans
l’histoire n’a pas réussi, en soixante-dix ans, à construire, à partir
d’éléments historiques et de constructions mythologiques, une nouvelle
identité. On peut imaginer des communautés mais personne n’est obligé
d’y croire (Castells, 1997, p. 39. C’est moi qui souligne).
C’est cette affirmation tranquille d’un indéniable état de faits, entre autres, qui a
conduit un groupe de chercheurs sud-africains, dont l’auteur du présent
document, à ouvrir un débat avec Castells sur les conséquences des positions
théoriques et stratégiques qu’il avance dans sa trilogie sur l’ère de l’information
et de la société des réseaux1. En ce qui me concerne, j’ai travaillé plus
particulièrement sur les identités nationales et infranationales. Nous avons très
vite été frappés de constater que la position de Castells impliquait notamment
que la notion, chère à nos yeux, d’une « Afrique du Sud non raciale » pourrait
n’être qu’une chimère. Car, après tout, si soixante-dix ans d’autoritarisme
n’avaient pas permis aux idéologues et aux stratèges de l’ex-Union soviétique de
faire naître un embryon d’identité soviétique, comment les dirigeants d’une
nouvelle communauté historique, telle que celle qui voit actuellement le jour en
Afrique du Sud après l’apartheid, pouvaient-ils espérer susciter un sentiment de
cohésion assez fort pour préserver l’intégrité territoriale et la cohérence politique
d’un nouvel Etat ? C’est ainsi que j’ai pu écrire, avec cette interrogation à
l’esprit,
Il est évident que l’expression importante dans cet extrait est « à lui
seul » car elle brouille le sens de la remarque en y introduisant une
nuance non explicitée. Il devrait être tout aussi clair pour chaque
« nouveau » Sud-Africain que ce sous-entendu entraîne des
répercussions considérables sur la promotion de l’unité nationale dans
l’Afrique du Sud après l’apartheid. S’il devait s’avérer exact, nous
pourrions bien nous retrouver en rade, avec l’arc-en-ciel rêvé mais sans
la réalité que constituerait la « nation » (non raciale) (Alexander, 2001,
p. 129).
Le débat avec Castells, qui s’est déroulé lors d’une série de séminaires et de
symposiums organisés aux mois de juin et juillet 2000 dans trois villes d’Afrique
du Sud, nous a permis, entre autres, de passer en revue les questions théoriques
1
Voir Muller et al., 2001.
7
et politiques inhérentes à ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler les
« politiques identitaires ». Tout le monde comprend, de façon plus ou moins
aiguë selon les cas, que cette question revêt une importance vitale pour les
citoyens sud-africains. Cependant, les chercheurs et les responsables politiques et
culturels non afrikaners sont très peu nombreux à se saisir de la question, et
notamment du problème de la relation entre langue, identité et éducation à la
citoyenneté. Ces derniers mois toutefois, le ministre national de l’éducation, le
Professeur Kader Asmal, a lancé une série de conférences et de symposiums où
il est question des « valeurs fondamentales » de la nouvelle Afrique du Sud.
L’une de ces valeurs, comme il a été dit et répété lors de chaque manifestation
officielle, est, précisément, le « multilinguisme ».
2.
Eléments historiques
Avant d’étudier la relation entre langue et identité en Afrique du Sud après
l’apartheid, il convient de faire un détour par l’histoire pour expliquer comment
est advenue la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Pour les
besoins de cette communication, il suffit de se reporter aux années qui ont suivi
la défaite des généraux Boers dans ce qui est généralement appelé la guerre des
Boers (1899-1902). Lord Milner, le Haut Commissaire britannique chargé
d’administrer les républiques boers vaincues, instaura, à l’intention tout d’abord
de la communauté blanche de langue afrikaans, une politique d’anglicisation
forcée sur l’ensemble du territoire qui allait devenir l’Union sud-africaine en
1910. A cet égard, la politique linguistique des vainqueurs n’était pas différente
de celles habituellement mises en place dans de telles circonstances. Dans le cas
de l’Afrique du Sud du début du XXe siècle, il faut toutefois souligner deux
aspects significatifs. Le premier est la réaction de la communauté afrikaner et le
deuxième les retombées de cette politique sur la population noire de langue
africaine vivant sur le même territoire.
Cette politique a entraîné, avec le temps, chez la population blanche de langue
afrikaans, un chauvinisme ethnique fanatique, raciste et borné, fondé
principalement sur la communauté de langue, de religion et de prétendue
ascendance (voir, entre autres études, Scholz 1965, Alexander 1989, DuPlessis et
DuPlessis 1987 et Mesthrie 1995). En résumé, le milnérisme, comme on a fini
par l’appeler, a contribué à renforcer la version raciste du nationalisme afrikaner
qui devait se traduire sur le plan politique par le système de l’apartheid. C’est
autour de la question de la langue que s’est cristallisée la conscience ethnique de
ce qui allait, de fait, devenir la « communauté afrikaner », c’est-à-dire les SudAfricains blancs, de langue afrikaans. Le fait que la lutte pour la reconnaissance
de leur langue comme langue officielle à part égale avec l’anglais dans le
nouveau dominion de l’Union sud-africaine était étroitement liée à la lutte pour
« leur » pays et pour l’indépendance des républiques perdues où l’on avait
trouvé, entre autres, des mines d’or et de diamants, a fini par engendrer une sorte
de particularisme dans lequel certaines variétés « blanches » de la langue
afrikaans faisaient partie des critères de définition d’un Afrikaner. Cette passion
pour la langue a eu des effets dévastateurs, comme on l’a vu par exemple, lors du
soulèvement de la jeunesse noire à Soweto en 1976 contre la mesure injuste
visant à imposer aux élèves noirs un enseignement en afrikaans (à parité avec
8
l’anglais) dans des établissements où régnait à l’époque un régime de ségrégation
raciale. En revanche, dans un retournement quasi pervers de la situation, cette
même passion transposée dans l’Afrique du Sud après l’apartheid, où la
population de langue afrikaans continue à revendiquer un statut d’égalité pour sa
langue maternelle, contribue cette fois à garantir le maintien, sinon le
développement dans un futur proche, d’un système démocratique
d’enseignement des langues.
La politique de Milner a également conforté la tendance, chez ceux qu’on
appelle dans l’histoire sud-africaine l’« élite des missions », à savoir la toute
petite classe d’enseignants, de prédicateurs, d’interprètes, d’employés et de
membres des professions libérales, de race noire, que le système colonial avait
nécessairement générée, à considérer la maîtrise de l’anglais comme un
passeport donnant accès à la promotion sociale et économique. Le fossé déjà
grand entre l’élite politique et culturelle potentielle d’un côté, et la masse de la
population noire oppressée de l’autre, s’élargit ainsi inexorablement au cours des
générations suivantes. On trouve un exemple typique de l’« esprit colonisé »
(Ngugi, 1981) qu’une telle situation engendra dans l’un des principaux chefs de
file de la « communauté métis », au tournant du XIXe siècle, à savoir le président
de l’African People’s Organisation (APO), le docteur Abdullah Abdurahman. En
sa qualité de président, M. Abdurahman fut appelé à convaincre les intellectuels
en vue parmi cette population d’origines variées, de prendre position sur l’avenir
de leur pays sachant que le statut de dominion allait incessamment être conféré à
l’Afrique du Sud après la défaite des Boers en 1902. On observe qu’à aucun
moment, ni pour lui, ni pour ses pairs parmi les « métis » ou dans les autres
communautés linguistiques, la question de la langue ne se posait. Pour un SudAfricain, ce qui est significatif dans la déclaration ci-dessous, c’est le fait qu’on
ne juge même pas utile de mentionner qu’il existait (et qu’il existe toujours), à
côté de l’afrikaans et de l’anglais, un grand nombre de langues africaines (le
bantou par exemple) parlées par plus de 75% de la population, dont elles
constituent le principal moyen de communication :
La question se pose naturellement de savoir quelle sera la langue
nationale. Est-ce que ce sera la forme dégénérée d’une langue littéraire,
un patois vulgaire, ou plutôt cette langue dont Macaulay dit qu’« en
force, en richesse et en possibilités d’expression, pour tous les besoins
les plus nobles du poète, du philosophe et de l’orateur, elle n’est
inférieure qu’à la langue grecque » ? Est-ce que ce sera la langue du
« Kombuis » (de la cuisine, NA) ou la langue de Tennyson ? Autrement
dit, sera-ce le taal (l’afrikaans, NA) ou l’anglais ? (Cité dans Alexander,
1989, p. 29).
Dans la lettre d’information officielle de l’APO, figure l’éditorial suivant, dont
l’auteur est vraisemblablement Abdurahman lui-même et dans lequel il enjoint
les « métis » de
se perfectionner en anglais, la langue qui inspire les pensées les plus
nobles de liberté, la langue qui a produit la meilleure littérature au
monde et celle qui est la plus utile entre toutes les langues. Que tout le
monde (…) s’efforce de perdre cette habitude de s’exprimer dans ce
9
parler barbare qu’est le néerlandais du Cap, que l’on entend encore trop
souvent (APO, le 13/08/1910, cité dans Adhikari, 1996, p. 8).
Cette position, je l’ai dit plus haut, a été reprise par la quasi-totalité des
dirigeants des organisations politiques, constituées essentiellement sur une base
ethnique et représentant la majorité de la population, privée du droit de suffrage
tout au long du XXe siècle. Elle explique le phénomène que j’ai appelé ailleurs
(Alexander, 2002) le « syndrome du maintien dans l’immobilisme », qui affaiblit
et paralyse la plupart des personnes de langue africaine. Cet état d’esprit est
présent partout sur le continent africain et se manifeste par un sentiment de
résignation devant l’impuissance, perçue ou prétendue, des langues africaines
locales ou indigènes. La plupart des personnes sont disposées à conserver leur
langue maternelle dans un contexte familial, communautaire ou religieux mais ne
croient pas que ces langues puissent devenir des langues de pouvoir. En
référence au paradigme de Bourdieu, on pourrait dire que la conscience de ces
personnes reflète la réalité du marché linguistique et qu’elles sont devenues les
victimes d’un monolinguisme de l’habitude, et cela en dépit du fait que la plupart
des Africains parlent deux ou trois langues. Paradoxalement, en Afrique du Sud,
l’anglais, la langue cible dominante et pratiquement universelle, ne fait
généralement pas partie de ces langues ! Parce que la question raciale a été la
plus importante pour les Noirs sous les régimes « suprémacistes » blancs qui se
sont succédé au cours du XXe siècle, il n’y a pas eu pour eux l’équivalent du
mouvement culturel et politique qui a caractérisé la lutte de la communauté
afrikaner (qui avait le droit de vote). Les organisations politiques noires,
constituées ou non sur une base raciale, avaient comme premier et unique
objectif de mettre un terme à l’oppression et à l’inégalité raciales. En
conséquence, les questions ethniques, culturelles et linguistiques sont passées au
second plan.
Aussi n’est-on pas étonné de constater qu’avant les années 90, les tentatives de
mobilisation culturelle, au travers, principalement, de projets d’alphabétisation
de la classe ouvrière noire passèrent inaperçues, alors que le niveau de répression
politique restait inchangé. L’un des résultats les plus affligeants de cette absence
de politique culturelle de la part des dirigeants de la population opprimée durant
tout le XXe siècle, est que, parmi les personnes de langue anglaise et afrikaans, la
génération d’adultes actuellement engagée dans la vie politique ne parle pas ou
peu de langues africaines. Les difficultés de communication qui en résultent
rendent le projet de « construction de la nation » de l’ancien président Mandela
et du congrès national africain, sinon impossible, du moins extrêmement difficile
à réaliser au cours de la prochaine génération. Une autre conséquence
probablement durable est l’indigence de la production littéraire ou de travaux
d’analyse et de recherche dans les langues africaines. Le désavantage est encore
plus flagrant lorsque l’on compare la situation des langues africaines (le bantou
et les langues khoi ou san) à celle de l’afrikaans, même abstraction faite de la
répartition inégale du pouvoir politique pendant la période en question.
Autrement dit, l’orientation anglophile des leaders noirs a empêché le
développement d’une culture de la lecture et, par voie de conséquence, d’une
littérature de fiction et de publications de chercheurs dans les langues africaines.
Les dirigeants politiques de la minorité blanche qui a gouverné le pays pendant
10
90 ans (de 1905 à 1994) ont adopté une politique de bilinguisme colonial aux
termes de laquelle tous les citoyens blancs devaient savoir parler l’anglais et
l’afrikaans, indépendamment de leur bagage linguistique ou culturel originel. En
même temps, la classe dirigeante blanche était disposée à tolérer les enfants de
l’« élite des missions » dans les cercles de la « société blanche » s’ils parlaient
l’anglais ou l’afrikaans, ou les deux. Quant aux langues africaines, c’est une
attitude de laisser-faire qui prévalait à leur égard, entraînant ainsi leur
marginalisation totale dans la vie politique, économique et même culturelle de
l’Afrique du Sud.
En ce qui concerne le monde de l’éducation plus particulièrement, une infime
minorité d’enfants africains ou noirs pouvaient se permettre d’étudier et s’ils le
pouvaient, ce n’était guère au-delà des premières années du cycle primaire.
Comme la majorité des femmes et des hommes noirs étaient préparés à la vie
dans ce que Sir Langham Dale, le directeur général de l’éducation à la colonie du
Cap en 1889, appelait une « société subordonnée », ils n’avaient pas besoin de
savoir lire ou écrire (voir Marais, 1962, p. 271-272). La place qui leur était
réservée dans la vie professionnelle était celle de travailleurs non qualifiés, au
mieux spécialisés, ou agricoles. Comme il a été indiqué plus haut, les quelques
personnes qui, grâce à leur bilinguisme (langue maternelle et anglais ou
afrikaans), suffisaient à assurer la pérennité du système, étaient formées et
habituées à la « dure discipline du labeur » (Fisher, 1949) dans les écoles des
missions jusqu’au début des années 50, époque à laquelle le régime de
l’apartheid a brutalement mis fin à cette institution afin de s’assurer une
meilleure mainmise sur les structures de la société.
Bien qu’il n’y eût jamais, avant 1948, de politique officielle basée sur des
critères ethniques visant à diviser pour régner, celle qui fut mise en œuvre de
facto par tous les gouvernements ségrégationnistes, consistait à isoler les
« tribus » dans des « réserves indigènes » et à contrôler les mouvements de
population pour éviter que les Noirs n’affluent vers les villes en développement.
Ces objectifs ont été atteints avec une brutalité et un cynisme consommés grâce
aux lois sur les laissez-passer de sinistre mémoire. L’opposition des Noirs à ces
lois, comme à d’autres mesures ségrégationnistes, a pris diverses formes. Dans le
domaine qui nous intéresse ici, l’enseignement des langues et la formation de
l’identité, les premières organisations politiques représentant les Noirs africains,
les « métis » et les Indiens, ont mobilisé leurs troupes respectives sur la base
d’une plateforme intégrationniste et anti-hégémonique, quoique essentiellement
ethnique. En d’autres termes, leur réaction instinctive aux injustices flagrantes
qui leur étaient faites était de se rassembler dans des organisations exigeant
l’intégration dans l’entité politique émergente sur la base d’une même
citoyenneté. L’organisation qui devint en 1912 le African National Congress
(ANC) avait pour objectif déclaré de réduire le fossé entre les « tribus »
(communautés linguistiques et ethniques) et de construire une seule nation pour
le peuple africain. Ainsi, le sixième « objectif » inscrit dans la Constitution du
Congrès national indigène d’Afrique du Sud (car tel était son nom jusqu’en
1923) est formulé comme suit :
Favoriser la compréhension mutuelle et fédérer autour d’une action
commune en tant que peuple unique, au sens politique, toutes les tribus
11
et tous les clans composant les tribus et les races pour défendre, dans un
effort commun et à travers une organisation politique unie, leur liberté,
leurs droits et leurs privilèges (voir Karis et Carter, 1987, p. 77).
En règle générale, les descendants des anciens esclaves et les personnes
d’ascendance mixte, également appelés « métis », considéraient, selon les cas,
qu’ils appartenaient à la race blanche ou noire. Cependant, comme le montrent
les extraits des discours et des écrits du Dr. Abdurahman, l’anglais et la culture
européenne exerçaient une force d’attraction irrésistible sur l’intelligentsia. Cette
situation devait perdurer jusqu’au milieu des années 60, quand le Mouvement de
la conscience noire, dirigé par Steve Biko et ses partisans, conduisit à
l’émergence d’une nouvelle identité, celle des « Noirs », c’est-à-dire tous les
« non-Blancs ». Les personnes d’origine indienne, principalement les
descendants des anciens travailleurs « engagés » (indentured labourers), dont les
premiers arrivèrent au Natal en 1860, étaient perçues, et avaient tendance ellesmêmes à se considérer, comme une minorité raciale et culturelle dans l’Union
Sud-Africaine. Comme les « métis », dont la plupart descendaient des esclaves et
de la population khoi (ex-Hottentots) des XVIIe et XVIIIe siècles, les enfants de
ces « esclaves temporaires » ont eu tendance à adopter la langue des maîtres.
Dans le premier cas, la langue en question était une variété créolisée de
néerlandais, aujourd’hui l’afrikaans, dans le second, il s’agit d’une variété de
l’anglais (voir Broeder et al. 2002, p. 64-68).
Durant la période précédant l’apartheid, les pratiques en matière d’enseignement
des langues, étaient essentiellement soustractives dans le sens où la première
langue était abandonnée ou supprimée. Les variétés indigènes des langues
africaines étaient utilisées dans la phase initiale d’alphabétisation en vue de hâter
et de faciliter la transition vers l’anglais, parfois vers l’afrikaans. Aucun effort
conséquent n’a été entrepris pour maintenir ou développer, à grande échelle, la
connaissance des langues africaines.
Un point positif mérite toutefois d’être signalé, surtout que l’initiative concernée
a eu un écho tardif dans les années 80 et 90. En 1944, Jacob Nhlapo, éducateur et
membre connu de l’ANC, proposa d’harmoniser les variétés mutuellement
intelligibles du groupe de langues nguni appartenant à la famille des langues
bantoues (il s’agissait principalement du zoulou et du xhosa) d’une part, et les
variétés mutuellement intelligibles du groupe sotho (principalement le sepedi, le
setswana et le sesotho) de l’autre, afin de créer deux langues normalisées écrites
à partir des diverses variétés parlées. La citation suivante reprend ses propres
paroles :
Que pensez-vous qu’il soit plus facile de réaliser ? Que tous les enfants
africains aillent à l’école pour y apprendre tous l’anglais ou de forger, à
partir des nombreuses langues bantoues d’Afrique du Sud, deux langues
maternelles au moins, le nguni et le sotho, et d’amener tous les
Africains à les aimer et à les utiliser à leur guise ? (Cité dans Alexander,
1989, p. 32-33).
Ce visionnaire avait une conscience aiguë des options identitaires qui se
présentaient au peuple noir opprimé ainsi que des conséquences que pouvaient
12
entraîner leurs choix linguistiques. Il suffit pour s’en convaincre de lire la suite
de l’extrait cité ci-dessus :
Il faudrait faire de l’anglais l’« espéranto » africain en attendant de
mettre un peu d’ordre dans la Tour de Babel des langues africaines.
Quand bien même nous aurions fait des langues nguni et sotho les deux
langues maternelles, dussions-nous y parvenir, l’anglais resterait
toujours l’« espéranto » africain. Même si nous ne réussissons pas à
forger une langue bantoue unique ou deux, l’anglais constituera la
réponse au problème des nombreuses langues de la famille bantoue,
comme il l’a été en Amérique, lorsque des nations venues de toutes les
régions d’Europe et d’Afrique ont été amenées à vivre ensemble. (Cité
dans Alexander, 1989, p. 33).
Cette position se démarque totalement de celle prise quelque quarante ans plus
tôt par le Dr. Abdurahman, telle qu’elle transparaît dans les extraits cités plus
haut. Il s’agit en fait d’un revirement total. Nhlapo, cependant, était en avance
sur son temps de quelques dizaines d’années et sa proposition avait été critiquée
vertement par ses pairs, à la fois au sein et en dehors de l’ANC. Toutefois, si
nous regardons aujourd’hui les positions auxquelles nous nous sommes ralliés
dans la nouvelle Afrique du Sud (voir ci-après), sa proposition d’harmoniser (ou
de re-normaliser) les langues africaines et celle, implicite, de mettre en place une
variante de l’enseignement bilingue, impliquant la langue maternelle et l’anglais,
témoignent de sa clairvoyance.
3.
Observations concernant la politique linguistique
éducative au temps de l’apartheid
Au fond, la politique linguistique éducative mise en place sous le régime de
l’apartheid était sous-tendue par la volonté, grotesque, des dirigeants
nationalistes blancs d’« afrikanériser » l’Afrique du Sud, c’est-à-dire de
substituer à la domination, peut-être à l’hégémonie, de l’anglais, celle de la
langue et de la culture afrikaans. La futilité de cette entreprise et son échec
programmé, étant donné le refus délibéré de ses partisans de prendre en compte
le rôle et le statut mondial et national de l’anglais, apparaissent aujourd’hui
comme une évidence. L’histoire moderne de l’Afrique du Sud a pris ainsi un
retard de quarante-cinq ans, car c’est bien ce que représente cette époque pour
ceux qui l’ont vécue, et, comme pour d’autres peuples ayant traversé des
vicissitudes semblables, cette expérience a laissé des traces, que nous peinons
aujourd’hui encore à effacer et qui continueront d’accaparer les esprits et de
guider l’action des femmes et des hommes pour des dizaines d’années à venir.
Si l’on considère la question du point de vue des politiques identitaires,
l’apartheid a été l’une des stratégies modernes les plus explicites et les plus
volontaristes de manipulation sociale. On s’appuyait, pour légitimer
l’enseignement dans la langue maternelle, sur la position alors novatrice des
experts de l’UNESCO, selon laquelle cette méthode était le mieux à même de
garantir un enseignement efficace et rationnel. Je cite pour mémoire le passage
suivant pour que l’on comprenne bien la façon exacte dont la question était
formulée par ces experts (voir UNESCO, 1953, p.11) :
13
La langue véhiculaire la plus appropriée à l’enseignement dans les
écoles est naturellement la langue maternelle de l’enfant. Du point de
vue psychologique, elle est le système de signes pertinents qui, dans son
esprit, fonctionne automatiquement aussi bien pour l’expression que
pour la compréhension. Du point de vue sociologique, elle représente un
moyen d’identification pour les membres de la communauté à laquelle il
appartient. Enfin, du point de vue éducatif, l’enfant apprend plus
rapidement dans sa langue maternelle que dans une langue qui ne lui
serait pas familière. Mais, … il n’est pas toujours possible d’utiliser sa
langue maternelle à l’école et, même si c’était possible, son utilisation
dépendrait d’un certain nombre de conditions, qui pourraient représenter
autant d’obstacles.
En apparence donc, la politique officielle en matière de langue véhiculaire était
dans le droit fil des travaux les plus récents dans le domaine de la recherche
pédagogique internationale. Ses initiateurs, les Drs. Eiselen et Verwoerd,
l’envisageaient comme une extension logique du projet parallèle de la « nation »
afrikaner à d’autres groupes sociaux sud-africains sur un territoire conçu alors
comme un Etat multinational. Bref, l’utilisation des variétés indigènes
« normalisées »2 des langues africaines n’était rien d’autre qu’une manœuvre
cynique, soutenue de façon nullement naïve par des travaux de « chercheurs »,
pour promouvoir la « retribalisation » ou l’ethnicisation du peuple africain.
Comme il a déjà été souligné plus haut, l’histoire de la résistance face à la
ségrégation, et, par extension, à l’apartheid, fut celle de la formation d’identités
sociales plus englobantes, loin de toute volonté de fragmentation ethnique. Les
architectes de l’apartheid se sont réclamés des traditions sacrées de la
philosophie romantique allemande et des pratiques appliquées par les
missionnaires européens en Afrique du Sud3 pour donner l’impression que leur
programme ne différait en rien de ceux mis en œuvre lors de la décolonisation
2
Très instables, ces formes normalisées sont souvent rejetées par de nombreux locuteurs.
Cette instabilité conjuguée à la nouveauté des normes constituent des arguments
supplémentaires pour ceux d’entre nous qui militent en faveur de la re-normalisation des
langues africaines. (Voir Ansre, 1974).
3
Le regretté Lery Vail (1991) a publié un ouvrage qui fait date, intitulé The Creation of
Tribalism in Southern Africa, dans lequel quelques-uns des meilleurs spécialistes de
l’Afrique du Sud présentent de nombreux exemples concrets montrant comment on a
« inventé » la tradition en Afrique du Sud. Shula Marks, (1986, p. 111-112), par exemple,
donne l’explication généralement admise de l’invention du paradigme de la tradition puis
décrit l’un des aspects de ce processus comme suit :
James Stuart, magistrat adjoint à Durban au début du siècle (XXe siècle, NA),
extrêmement préoccupé par ce qu’il considérait comme les dangers de la
« détribalisation » (c’est-à-dire la prolétarisation) et du relâchement de la
« discipline de la vie tribale », décida de recueillir systématiquement les
éléments de la « tradition zouloue », dont il devint le premier conservateur. Il a
également rédigé une série d’histoires vernaculaires du peuple zoulou et de ses
rois guerriers. Leur popularité comme manuels scolaires a peut-être contribué en
partie à légitimer le nationalisme ethnique de l’intelligentsia. Ainsi, l’histoire et
la monarchie zouloues, initialement perçues comme menaçant l’ordre social
colonial, sont-elles devenues des parties intégrantes de la stratégie de contrôle
social.
14
par les Britanniques, puis les Français et qui avaient le vent en poupe à partir de
1955 environ.
Les résultats effectivement obtenus par les écoles noires étaient catastrophiques à
maints égards. La majorité des membres de l’élite politique et culturelle
anglophile s’opposait à la politique d’enseignement en langue bantoue
précisément parce qu’ils avaient vu le curriculum caché (retribalisation, tactique
de la division pour régner) mais également parce qu’ils considéraient, comme il a
déjà été dit plus haut, que toute éducation digne de ce nom ne pouvait s’acquérir
qu’en langue anglaise. De surcroît, le programme d’études enseigné par le biais
des langues indigènes était d’évidence de qualité inférieure et pour tout dire
humiliant, ce qui n’a pas manqué de placer ceux dont la langue maternelle était
une langue bantoue devant un dilemme insurmontable. Il en allait presque de
même pour les nombreux Noirs parlant l’afrikaans, (« métis » pour la plupart),
dont la grande majorité n’avait pas ce rapport passionné à la langue qui était
celui de leurs homologues blancs. En effet, comme l’avaient déjà annoncé le Dr.
Abdurahman et les dirigeants de sa génération, l’anglais devenait également la
langue de l’ascension sociale pour la classe moyenne de langue afrikaans et pour
tous ceux qui ambitionnaient d’accéder à cette classe. La majorité des Noirs en
vinrent à nourrir une véritable haine de l’afrikaans, du moins de la forme
normalisée de la langue (connue comme le Algemeen Beskaafde Afrikaans –
l’afrikaans général civilisé !) devenue alors la « langue de l’oppresseur ». A leurs
yeux, le « verwoerdisme » revêtait les mêmes connotations ennemies que le
« milnérisme » pour les Afrikaners au début du XXe siècle. Enfin, la décision, en
1975-76, du ministère de l’éducation bantoue d’imposer l’afrikaans et l’anglais à
parité comme langues véhiculaires d’enseignement dans le cycle primaire et le
premier cycle du secondaire pour les élèves noirs fut la goutte d’eau qui a fait
déborder le vase. Le soulèvement de Soweto, qui débuta le 16 juin 1976, ne
marqua pas seulement la fin du système d’éducation bantoue. On peut dire,
rétrospectivement, qu’il a préfiguré la fin de l’apartheid comme expérience de
manipulation sociale. La séparation sur des critères ethniques et le séparatisme
ethnique furent rejetés de manière aussi décisive que massive par la population
noire. La suspicion s’attache depuis lors à toute proposition en matière politique
et éducative fondée sur une base ethnique et perdure dans la conscience de la
plupart des Sud-Africains à telle enseigne qu’aujourd’hui encore, l’un des
problèmes les plus difficiles que rencontrent les spécialistes de l’éducation
progressistes en Afrique du Sud est la réhabilitation de l’enseignement dans la
langue maternelle non seulement comme une stratégie éducative valable mais
aussi comme celle qui semble la plus apte à corriger les déséquilibres dus aux
erreurs passées. Paradoxalement, les seuls enfants susceptibles de profiter
pleinement des avantages de l’enseignement en langue maternelle du niveau
primaire à l’université, voire au-delà, sont en réalité ceux dont la première langue
est soit l’anglais, soit l’afrikaans.
Encore plus paradoxal est le fait que grâce aux six à huit années d’enseignement
en langue maternelle, les résultats à l’examen de « matriculation » (fin d’études)
des élèves noirs pendant la période que K. Heugh appelle (2000, p. 24-25) la
« première phase » de l’éducation bantoue, étaient incomparablement meilleurs à
ce qu’ils avaient jamais été avant ou après. Comme elle le dit elle-même :
15
Malgré l’incontestable appauvrissement du programme d’études sur le
plan cognitif, huit années d’enseignement en langue maternelle ont
permis aux élèves d’apprendre leur langue par le biais de cette langue
puis d’apprendre une seconde et une troisième langue suffisamment
bien pour changer de langue véhiculaire dans la neuvième année.
Pendant la première phase du système d’éducation bantoue (1953-76),
les résultats aux examens de matriculation ont progressé malgré la
qualité médiocre des programmes… (Heugh, 2000, p. 24).
Après le soulèvement des étudiants en 1976, les autorités en place à l’époque de
l’apartheid durent abandonner cette approche par étapes et limiter la durée de
l’enseignement en langue maternelle aux trois ou quatre premières années du
cycle primaire. D’un point de vue pratique, l’enseignement en langue afrikaans
disparut de toutes les écoles scolarisant des élèves noirs, même si, en raison de
son statut de langue officielle, qu’elle partageait avec l’anglais, de la république
de l’apartheid, celles-ci étaient tenues de maintenir la langue en tant que
discipline scolaire au programme de l’examen de matriculation. Heugh (2000, p.
24-25) met en évidence la chute vertigineuse de la moyenne obtenue par les
candidats noirs à cet examen au cours des vingt années suivantes. Cette tendance
ne s’est jamais inversée, malgré les tentatives répétées dans ce sens. Parce que le
taux d’échec à l’examen de fin d’études résulte, entre autres, de la politique
soustractive en matière de langue véhiculaire, qui elle-même s’explique par le
syndrome du maintien dans l’immobilisme, évoqué plus haut, ce problème
constitue l’une des séquelles les plus graves de l’époque de l’apartheid, dont
nous mettrons des décennies à nous remettre.
4.
La politique linguistique éducative depuis 1994
La politique linguistique éducative a connu des débuts chaotiques puisqu’il lui
aura fallu pas moins de sept ans après la proclamation de la nouvelle République
d’Afrique du Sud pour se trouver enfin sur une voie qui semble mener quelque
part. Bien que le fossé reste grand entre les dispositions constitutionnelles et
législatives d’un côté et les pratiques effectivement mises en oeuvre dans les
salles de classe et les amphithéâtres de l’autre, et qu’il semble même par
moments s’élargir, la simple existence de tels instruments constitue un grand pas
en avant. Ils constituent un espace démocratique favorisant la promotion, par des
moyens légaux et pacifiques, du multilinguisme et d’une éducation bilingue
basée sur la langue maternelle (voir annexes). De plus, certaines évolutions
récentes montrent bien qu’il existe, du côté de l’Etat, une indéniable volonté,
même si elle n’est pas sans poser problème, de faire appliquer les dispositions de
la Constitution en matière linguistique et d’enseignement des langues.
La politique linguistique au temps de l’apartheid avait intentionnellement
pérennisé d’anciennes et favorisé de nouvelles divisions sociales alors que celle
définie par la nouvelle Afrique du Sud est clairement conçue comme une
stratégie de réconciliation et de construction de la nation, voulue par le
gouvernement de l’ancien président Mandela, qui en avait fait sa devise. La
Constitution et les textes relatifs à la politique linguistique partent du principe
que les onze langues officielles du pays jouissent d’une égalité de statut et d’une
« parité de considération ». Toutes les langues sont d’emblée considérées comme
16
des atouts plutôt que comme des problèmes. Cela étant, il n’y a guère de doute
que dans la pratique, l’administration tout comme l’immense majorité des
responsables politiques, restent prisonniers de l’idée que la question linguistique
est synonyme de problèmes. Dans les services publics, on observe un net
glissement vers le monolinguisme, malgré la disposition constitutionnelle
stipulant qu’au moins deux langues doivent être utilisées, tant au niveau national
que provincial. Cette évolution a déstabilisé surtout les personnes de langue
afrikaans, et notamment la communauté blanche parlant cette langue, qui
craignent que l’égalité chèrement payée entre l’afrikaans et l’anglais ne
disparaisse sous peu en raison de la prédilection de la classe moyenne noire, en
plein essor, pour l’anglais. C’est ainsi que la situation de la communauté de
langue afrikaans, en tant que groupe linguistique le mieux organisé, pourrait bien
présager celle qui risque de se produire une fois que la ligne de faille raciale qui
continue de diviser profondément le pays, aura commencé à se combler. En
d’autres termes, une fois que les Sud-Africains ne feront plus de la question
raciale le problème central, comme cela reste le cas aujourd’hui, le marqueur
linguistique constituera vraisemblablement le grand thème mobilisateur. A cet
égard, les revendications actuelles de la communauté de langue afrikaans
relatives au maintien et à l’extension de leurs droits linguistiques, considérés
comme faisant partie intégrante des droits de l’homme, même si certains cercles
sont clairement motivés par des considérations ethniques, voire ouvertement
racistes, serviront de modèle à d’autres « communautés linguistiques ».
Il est d’ailleurs significatif que la classe politique, et notamment l’establishment
noir, affiche sa préférence pour l’anglais précisément parce que cette langue
pourrait contribuer à éliminer à la fois les risques de division ethnique que
comporte toute mobilisation fondée sur la langue et le schéma identitaire racial
légué par le régime de l’apartheid et du passé colonial. Les débats dans les
médias s’organisent autour de la croyance simple mais jamais avérée qu’il
suffirait que tous les habitants du pays acquièrent rapidement des compétences
suffisantes en anglais pour que tous les problèmes de communication et, par voie
de conséquence, toutes les tensions intercommunautaires disparaissent comme
par enchantement. Ceux qui, fidèles aux principes de la Constitution et à la
législation en matière linguistique encore en cours d’élaboration, plaident pour le
multilinguisme (ou le plurilinguisme), c’est-à-dire pour une solution qui inclurait
l’anglais en tant qu’élément incontournable de toute politique linguistique,
représentent encore une infime minorité dans les sphères proches du pouvoir
décisionnel. Pour la masse de la population, l’importance de la question
linguistique n’est que marginale. Les préoccupations immédiates des gens sont
bien plutôt d’ordre matériel dans la mesure où ils ont besoin prioritairement d’un
emploi stable, d’un logement, de services de santé et d’un accès à l’éducation
secondaire et universitaire pour leurs enfants.
5.
La planification de la politique linguistique
Après l’apartheid, l’Afrique du Sud a mis en place un ensemble impressionnant
d’agences de planification linguistique et d’autres institutions chargées de la
mise en œuvre de la politique linguistique. Parmi les plus importantes, figure le
Pan South African Language Board (PANSALB), un organe officiel
17
indépendant qui a pour mission de conseiller les autorités publiques aux niveaux
central et provincial en matière de politique linguistique et d’utilisation des
langues. Il faut mentionner également le National Language Service (NLS),
d’importance à peu près égale, qui constitue en quelque sorte le bras linguistique
de l’Etat et qui est placé sous la tutelle du ministère des arts, de la culture, de la
science et de la technologie. Quoique nombre de compétences attribuées à ces
deux super agences de planification linguistique tendent à se recouper, les
travaux du NLS sont axés plus précisément sur les questions pratiques touchant à
la traduction, à l’interprétation et à la technologie des langues. Le PANSALB
dispose d’une branche provinciale dans les neuf provinces et il existe, pour
chacune des onze langues officielles (du moins sur le papier) une unité
lexicographique, installée, en général, dans une ou plusieurs universités. On
dénombre en outre quatorze organes linguistiques nationaux dont la tâche
consiste à veiller au développement du corpus de chaque langue. Théoriquement
donc, l’infrastructure linguistique semble être en place. Cependant, il subsiste
des problèmes d’ordre pratique et on note une absence de volonté politique et de
vision stratégique concernant l’évolution de l’enseignement des langues. Il en
résulte un processus sans objectif clair, extrêmement frustrant pour ceux qui sont
conscients du fait que l’actuelle période de transition, qui porte les espoirs de
changement et d’évolution de tout un pays, constitue une occasion unique de
réaliser des progrès décisifs sur la voie d’une société multilingue et
multiculturelle véritablement démocratique. Laisser passer cette chance, qui sera
peut-être la seule, reviendrait à entraver le potentiel de développement de l’un
des pays les plus riches du continent.
Pour résumer les enjeux de manière plus simple : la politique linguistique
éducative doit favoriser la communication et la compréhension
intercommunautaires. La meilleure façon d’atteindre ce but est d’instaurer un
système d’éducation bilingue basé sur l’enseignement en langue maternelle et de
favoriser le multilinguisme (ou le plurilinguisme) individuel plutôt que de
recourir exclusivement à une lingua franca. C’est la démarche qui sous-tend la
politique linguistique officielle du « bilinguisme additif » (par lequel on entend
l’ajout d’une autre langue et la conservation de la première langue ou de la
langue maternelle). Cette formulation vient d’être modifiée au profit de
« l’éducation bilingue basée sur la langue maternelle », car on estime que celle-ci
sera plus facilement compréhensible pour les non-spécialistes. Elle présente
également l’avantage, dans un contexte où la qualité et la pertinence de
l’enseignement en langue maternelle sont toujours sujettes à caution, de signifier
clairement que l’objectif visé va au-delà de l’utilisation de la langue maternelle
comme langue d’apprentissage puisqu’elle laisse entière la possibilité
d’apprendre des langues supplémentaires et de les utiliser comme langues
d’enseignement. C’est la province du Cap-Ouest qui est en pointe sur ce
chapitre. Le nouveau ministre de l’éducation y a nommé une cellule d’action
chargée de rédiger un programme de mise en œuvre visant à instaurer un
enseignement en langue maternelle pendant sept ans et l’apprentissage d’une
troisième langue. Dans cette province, tous les élèves des écoles primaires sont
donc censés apprendre les trois langues officielles que sont l’afrikaans, l’anglais
et le xhosa. Sur le continent africain, une telle décision n’est rien moins que
révolutionnaire. En effet, nulle part au sud du Sahara il n’existe de politique
18
officielle d’enseignement en langue maternelle au-delà de la troisième ou
quatrième année du cycle primaire. Là où il est question d’un retour à un tel
enseignement, les engagements restent purement verbaux. En revanche, dans la
province du Cap-Ouest, toute l’énergie mise en œuvre consiste à doter de
moyens budgétaires une politique se traduisant par des mesures concrètes et dont
on comprend à présent l’opportunité.
6.
Conclusion
Après cette description à grands traits des rapports entre l’enseignement des
langues et la formation de l’identité en Afrique du Sud, et tout en gardant à
l’esprit le scepticisme de Manuel Castells quant à la capacité de l’Etat de créer et
de consolider les identités sociales, il faut maintenant poser la question suivante :
la planification linguistique explicite et implicite (qu’elle vienne d’en haut, c’està-dire du gouvernement, ou d’en bas, des ONG) est-elle de nature à contribuer à
cette unité non raciale promise par la nouvelle Constitution ?
Pour l’instant, - mais pour combien de temps encore ? - les questions d’identité
ethnique ne se profilent pas à l’horizon politique. Sauf pour les conservateurs
blancs de langue afrikaans et certains groupes de langue zouloue, la question
linguistique n’est pas mobilisatrice4. La question des classes sociales occupe le
devant de la scène en raison des ravages causés par la politique macroéconomique que le gouvernement actuel semble déterminé à mettre en œuvre et
qui s’est déjà traduite par des pertes d’emploi massives, une crise du logement et
une fracture sociale généralisée. De surcroît, la résurgence du concept d’identité
raciale, liée à la mise en œuvre d’une politique de discrimination positive et de
mesures d’accès aux droits pour les Noirs, aussi bien dans le secteur public que
privé, explique pourquoi la plupart des débats sur les identités individuelles et
collectives tournent autour de la « race » plutôt que de la langue. Mais la bataille
n’est pas gagnée pour autant. Répétons-le, une fois que la question raciale aura
été « réglée », ne serait-ce que provisoirement, nul doute que les divisions
linguistiques resurgiront pour servir de plateforme de mobilisation facile. Il n’est
que de voir certaines petites communautés, comme les ethnies khoi et san, ou les
communautés de langue ndebele dans le Nord, entre autres, où des activistes
n’hésitent pas à instrumentaliser leur fief « ethnique » pour se faire une place sur
la scène nationale.
Quoi qu’il en soit, face au risque de voir éclater, au cours de la prochaine
génération, un conflit d’origine linguistique, voilà une raison de plus pour faire
de la politique de promotion du multilinguisme et du plurilinguisme individuel
une priorité et un impératif absolus. Il n’est pas trop tard et l’Afrique du Sud
dispose des ressources humaines et matérielles nécessaires pour éviter le genre
de conflits raciaux qui ont réduit une bonne partie de l’Afrique subsaharienne à
un champ de ruines. Aussi est-il capital que la stratégie visant à « faire
4
Pour reprendre les termes de Stephen May, les langues africaines ne sont que des
« langues associées », même aux yeux des locuteurs natifs, ce qui signifie qu’elles sont
associées à des pratiques culturelles différentes en tant que marqueurs d’une identité
infranationale (Voir May, 2002, p. 135-136).
19
fonctionner le multilinguisme », mentionnée dans le Document de synthèse
relatif à la Déclaration sur le Curriculum national révisé, Classes R-9 (Ministère
de l’éducation, 2002, p. 7), commence à attirer l’attention sur l’importance du
combat à mener pour la clarification de ce concept dans l’environnement en
pleine mutation que constitue la société sud-africaine. Pour l’heure, on ne
distingue encore que quelques vagues contours d’un scénario possible, ce qui
n’empêche pas les protagonistes de tout bord d’afficher la plus grande assurance.
La réalisation ou non, à moyen ou long terme, d’une « Afrique du Sud unie et
démocratique, non raciale et non sexiste », dépendra probablement de la
possibilité ou non qu’il y aura de détourner vers le domaine linguistique les
risques d’explosion et d’implosion générés par les tensions raciales et l’inégalité
entre les races, risques qui semblent devoir persister du fait de la résurgence du
discours sur l’identité raciale qui va de pair avec tout programme de
discrimination positive. Pour dire les choses plus simplement : dans l’Afrique du
Sud après l’apartheid, nous devons nous efforcer d’instaurer un système
d’enseignement des langues susceptible de faire émerger une diversité de
communautés linguistiques et un réseau de communication sociale dans lesquels
les identités linguistiques infranationales continuent d’exister et d’évoluer sans
qu’à aucun moment elles ne menacent le sentiment d’unité nationale
actuellement mis en avant dans tous les domaines de la vie publique. Pour y
parvenir, il importe d’empêcher toute alliance objective entre les groupes
d’intérêt économique et les défenseurs d’une conscience ethnique. D’où,
également, la nécessité de former des citoyens plurilingues et de promouvoir le
respect pour toutes les langues parlées dans la cité. Le multilinguisme doit
devenir une façon d’être pour que les dangers d’une fragmentation de type
ethnique et d’un conflit civil généralisé fondé sur l’appartenance à une
communauté linguistique soient définitivement écartés.
Dans la nouvelle Afrique du Sud, un tel scénario est parfaitement envisageable.
Au moment où l’identité afrikaner, qui jadis paraissait inébranlable, se désintègre
devant la population du pays tout entier, l’actuelle remise en cause et redéfinition
des multiples identités individuelles et collectives nous permet d’espérer
l’avènement d’un système d’enseignement des langues plus cohésif et plus
unifié. Un tel système permettra de renforcer des traditions et des pratiques
démocratiques déjà nettement orientées vers l’interaction, et qui mettent
notamment en contact des groupes de personnes d’origines différentes, y compris
sur le plan linguistique. La conviction, partagée par la majorité des responsables
sud-africains, que les générations futures se définiront par leur degré de maîtrise
relative d’au moins trois langues sud-africaines, parmi lesquelles figurera
nécessairement l’anglais, explique que l’on puisse aujourd’hui être optimiste
quant à une possible contribution de la politique éducative linguistique à la
réalisation de l’unité nationale.
20
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21
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22
Annexe 1
LA CONSTITUTION de la République d’Afrique du Sud, 1996.
(Loi 108 de 1996)
Dispositions en matière de langues
Article 6 : Langues
(i) Les langues officielles de la république sont le sepedi, le sesotho, le setswana,
le siswati, le tshivenda, le xitsonga, l’afrikaans, l’anglais, le ndebele, le xhosa et
le zoulou.
(ii) Reconnaissant que les langues indigènes de notre peuple ont connu, par le
passé une utilisation et un statut amoindris, l’Etat doit, par des mesures concrètes
et positives, améliorer le statut et développer l’utilisation de ces langues.
(iii)
(a) Le gouvernement national et les gouvernements provinciaux peuvent
utiliser l’une des langues officielles - quelconque - aux fins de leur action, en
prenant en compte l’usage, la faisabilité, les coûts, la situation régionale et en
respectant l’équilibre entre les besoins et les préférences de la population, aux
niveaux national et provincial ; mais le gouvernement national et chaque
gouvernement régional doivent utiliser au moins deux langues officielles.
(b) les communes doivent tenir compte des usages et des préférences
linguistiques de leurs habitants.
(iv) Il incombe au gouvernement national et aux gouvernements provinciaux de
réglementer et de contrôler, à travers des dispositions légales ou autres, leur
utilisation des langues officielles. Sans préjudice des dispositions du paragraphe
(2) toutes les langues officielles doivent jouir d’une parité de considération et
faire l’objet d’un traitement équitable.
(v) Un Pan South African Language Board, instauré en vertu de la législation
nationale, est chargé de
(a) promouvoir et de créer les conditions favorables au développement
et à l’utilisation
(vi) de toutes les langues officielles ;
(vii) des langues khoi, nama et san ;
(viii) du langage des signes ; et
(b) de promouvoir et d’assurer le respect
(ix) de toutes les langues communément utilisées par les
communautés d’Afrique du Sud, dont l’allemand, le grec, le
gujarati, le hindi, le portugais, le tamoul, le telegu et l’ourdou ;
ainsi que
(x) l’arabe, l’hébreu, le sanscrit et les autres langues utilisées à
des fins religieuses en Afrique du Sud.
23
Article 29 : Education
(1) Chacun a droit :
(2) à une éducation de base, incluant une éducation de base pour
adultes ; et
(3) à une éducation continue, que l’Etat doit rendre progressivement
disponible et accessible grâce à des mesures raisonnables.
(2) Chacun a droit à l’enseignement dans la ou les langues officielles de son
choix, dans les établissements d’enseignement publics où cet enseignement peut
être raisonnablement pratiqué. Afin de permettre l’accès à ce droit, ainsi que sa
mise en œuvre, l’Etat doit examiner toutes les solutions alternatives raisonnables,
dont les établissements à langue d’enseignement unique, en prenant en compte
a. l’équité
b. les possibilités de mise en œuvre et
c. la nécessité de compenser les effets négatifs des lois et pratiques du
passé, marquées par la discrimination raciale.
Article 30 : Langues et culture
Chacun peut utiliser la langue et participer à la vie culturelle de son choix, mais
l’exercice de ces droits doit être compatible avec les dispositions de la
Déclaration des droits.
Article 31 : Communautés culturelles, religieuses et linguistiques
(xi) Il ne peut être dénié le droit aux personnes appartenant à une communauté
culturelle, religieuse ou linguistique, avec les autres membres de la communauté
(a) de célébrer leur culture, pratiquer leur religion et utiliser leur
langue ; et
(b) de former des associations culturelles, religieuses et linguistiques, et
d’autres organes de la société civile, d’y adhérer et de les faire vivre.
Article 35 : Personnes arrêtées, détenues et accusées
(3) Tout accusé a droit à un procès équitable, ce qui inclut le droit
(k) d’être jugé dans une langue qu’il comprend ou, si cela n’est pas
possible, de disposer d’une traduction des procédures dans cette langue.
(4) Les informations que le présent article prévoit de donner à une personne
doivent l’être dans une langue que celle-ci comprend.
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Annexe 2
POLITIQUE LINGUISTIQUE EDUCATIVE (14 juillet 1997)
1. Les textes relatifs à la politique linguistique éducative présentés ci-après ont
fait l’objet de discussions et de débats parmi les nombreuses personnes
concernées, à des titres divers, par la question de l’éducation. Ils ont également
été commentés publiquement après leur publication, le 9 mai 1997
(Communication du gouvernement n°383, Vol. 17997).
2. Deux politiques sont annoncées par la présente, à savoir la POLITIQUE
LINGUISTIQUE EDUCATIVE AUX TERMES DE L’ARTICLE 3(4)(m) DE
LA LOI SUR LA POLITIQUE NATIONALE DE L’EDUCATION, 1996 (LOI
27 de 1996) et les NORMES ET STANDARDS RELATIFS A LA POLITIQUE
LINGUISTIQUE PUBLIES AUX TERMES DE L’ARTICLE 6(1) DE LA LOI
SUR LES ECOLES SUD-AFRICAINES, 1996. Bien que ces deux politiques
aient des objectifs différents, elles se complètent et devraient toujours être
analysées ensemble plutôt que séparément.
3. L’article 4.4 de la politique linguistique éducative se rapporte à la situation
actuelle. L’application des nouveaux programmes scolaires, qui entreront en
vigueur à partir de 1998, nécessitera de nouvelles mesures, qui seront annoncées
en temps opportun.
4. LA POLITIQUE LINGUISTIQUE EDUCATIVE AUX TERMES DE
L’ARTICLE 3(4)(m) DE LA LOI SUR LA POLITIQUE NATIONALE DE
L’EDUCATION, 1996 (LOI 27 de 1996)
1. PREAMBULE
2. Ce document relatif à la politique linguistique éducative doit être considéré
comme faisant partie d’un processus continu contribuant à l’élaboration de la
politique linguistique dans le cadre d’un plan linguistique national englobant
toutes les catégories de personnes, y compris les sourds. En tant que tel, il opère
à l’intérieur du schéma suivant :
1. Aux termes de la nouvelle Constitution de la République d’Afrique du Sud, le
gouvernement, en l’occurrence le ministère de l’éducation, reconnaît que notre
diversité culturelle constitue un précieux atout pour le pays et se fixe par
conséquent entre autres tâches celle de promouvoir le multilinguisme, le
développement des langues officielles et le respect pour toutes les langues
utilisées dans le pays, dont le langage des signes sud-africain et les langues
mentionnées dans la Constitution sud-africaine.
2. L’Afrique du Sud a hérité d’une politique linguistique éducative lourde de
tensions, de contradictions et de rancœurs et marquée par la discrimination
raciale et linguistique. Nombre de ces politiques discriminatoires ont empêché
soit l’accès des apprenants au système éducatif, soit leur réussite en son sein.
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3. La nouvelle politique linguistique est conçue comme une composante
nécessaire de la stratégie de construction d’une nation non raciale, définie par le
nouveau gouvernement sud-africain, dont elle fait partie intégrante. Elle vise à
faciliter la communication par-delà les différences de couleur, de langue et de
région tout en créant un environnement favorisant le respect des langues autres
que sa propre langue.
4. Cette approche correspond à la situation actuelle à l’échelle mondiale et tout
particulièrement à celle que l’on observe sur le continent africain, à savoir le
multilinguisme de la société et de l’individu. En tant que telle, elle implique la
généralisation, en théorie et en pratique, de l’apprentissage de plus d’une langue
dans notre société. Autrement dit, le plurilinguisme individuel doit devenir l’un
des traits constitutifs d’un Sud-Africain. Elle est également définie de manière à
faire obstacle à tout chauvinisme ou particularisme ethnique et à tout séparatisme
en tant qu’elle favorise la compréhension mutuelle.
5. De nombreux avis coexistent aujourd’hui sur la question de savoir ce que
pourrait être une approche locale viable de l’éducation multilingue. Certains
soulignent les avantages cognitifs et la rentabilité économique d’un système où
l’enseignement serait dispensé dans une seule langue (langue maternelle) et qui
ferait des autres langues des disciplines à part entière, d’autres s’appuient sur des
expériences internationales comparatives en la matière qui montrent que, dans
des conditions appropriées, la plupart des apprenants tirent profit, à la fois sur le
plan cognitif et émotionnel, du type d’enseignement bilingue structuré où
l’enseignement se fait dans deux langues véhiculaires (programmes
d’immersion). Quelle que soit la voie finalement empruntée, le principe de base
est de conserver la ou les langue(s) maternelle(s) et de permettre l’accès à une ou
plusieurs langues supplémentaires et leur apprentissage. D’où la position du
ministère, qui préconise une approche additive du bilinguisme comme principe
directeur de notre politique linguistique éducative. S’agissant de la mise en
œuvre, le choix des mesures à prendre sera progressivement déterminé par les
résultats de la recherche comparative menée aussi bien au plan local
qu’international.
6. Chacun a le droit de choisir sa langue d’apprentissage et d’enseignement.
L’exercice de ce droit doit toutefois être compatible avec le cadre général fixant
comme obligation au système éducatif de promouvoir le multilinguisme.
3. Ce schéma présuppose également une relation plus fluide entre langues et
culture que celle qui est généralement inscrite dans le modèle eurocentrique dont
nous avons hérité en Afrique du Sud. Il admet qu’il n’y a pas, a priori, de
contradiction, dans une société multiculturelle, entre, d’un côté, un ensemble
commun de traits culturels, de croyances, de pratiques, etc… et des cultures
catégorielles ou communautaires particulières de l’autre. Les deux peuvent et
devraient même se renforcer mutuellement et, si le système fonctionne bien, il
devrait en résulter un respect sincère et durable pour la diversité des
communautés qui composent notre nation émergente.
4. OBJECTIFS
5. Les objectifs principaux de la politique linguistique éducative du ministère de
l’éducation sont :
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1. de promouvoir la participation de tous à la vie sociale et économique à travers
un accès équitable et satisfaisant à l’éducation ;
2. de mettre en œuvre la politique linguistique la plus apte à favoriser le
développement conceptuel chez les apprenants et donc, d’instaurer le
multilinguisme additif comme approche linguistique dans l’éducation ;
3. de promouvoir et de développer toutes les langues officielles ;
4. de soutenir l’enseignement et l’apprentissage de toute autre langue nécessaire
aux apprenants ou utilisée par les communautés en Afrique du Sud, notamment
celles qui sont employées à des fins religieuses ou qui sont importantes pour le
commerce et la communication internationale, le langage des signes sud-africain
et la communication alternative et augmentative ;
5. de remédier aux handicaps résultant des diverses formes d’inadéquation entre
les langues indigènes et les langues d’apprentissage et d’enseignement ;
6. d’élaborer des programmes de réhabilitation des langues jusque là
défavorisées….
8. PRINCIPE GENERAL : LA LANGUE D’APPRENTISSAGE ET
D’ENSEIGNEMENT
Dans un établissement d’enseignement public, la ou les langues d’apprentissage
et d’enseignement doivent être une ou des langues officielles.
6. NORMES ET STANDARDS EN MATIERE DE POLITIQUE
LINGUISTIQUE PUBLIES AUX TERMES DE L’ARTICLE 6(1) DE LA LOI
SUR LES ECOLES SUD-AFRICAINES, 1996
1. INTRODUCTION
1. FINALITE DE CES NORMES ET STANDARDS
1. Reconnaissant que la diversité est un atout précieux que l’Etat est tenu de
respecter, la finalité de ces normes et standards est la promotion, la réalisation et
le développement des objectifs généraux que l’Etat s’est fixés en matière
linguistique, conformément à la Constitution, à savoir :
1. la protection, la promotion, la réalisation et l’extension des droits linguistiques
et des moyens de communication de l’individu au sein du système éducatif ;
2. la facilitation de la communication nationale et internationale à travers la
promotion du bi- ou du multilinguisme, par le biais de mécanismes rentables et
efficaces et
3. la réhabilitation des langues historiquement défavorisées et négligées dans
l’éducation scolaire.
3. DEFINITIONS
4. Dans ces normes et standards, sauf indication contraire explicite, les mots et
expressions utilisés dans les définitions données dans la loi ont leur sens
habituel ; les mots et expressions énumérés ci-après ont les significations
suivantes :
1. « la loi » désigne la Loi sur les écoles sud-africaines, Loi 84 de 1996 ;
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2. « la Constitution » est la Constitution de la République d’Afrique du Sud, Loi
108 de 1996 ;
3. le « district scolaire », est l’unité géographique déterminée par la législation
provinciale applicable ou la pratique provinciale en vigueur ;
4. par « langue », il faut entendre toutes les langues officielles reconnues par la
Constitution, ainsi que le langage des signes sud-africain et la communication
alternative et augmentative.
3. PROTECTION DES DROITS INDIVIDUELS
1. Les parents exercent les droits linguistiques de l’apprenant mineur au nom de
l’apprenant mineur. Les apprenants ayant atteint l’âge de la majorité, sont ciaprès dénommés « l’apprenant », concept qui englobe également le parent dans
le cas d’apprenants mineurs.
2. L’apprenant doit choisir sa langue d’enseignement au moment de l’inscription
dans son établissement scolaire.
3. Lorsqu’un établissement utilise la langue d’apprentissage et d’enseignement
choisie par l’apprenant et qu’il dispose d’une place dans la classe qu’il doit
fréquenter, l’établissement doit scolariser l’apprenant.
4. Dans le cas où aucune école d’un district scolaire donné ne propose la langue
choisie par l’apprenant comme langue d’apprentissage et d’enseignement, celuici peut demander aux autorités éducatives provinciales de mettre en place un
enseignement dans cette langue en application de l’article 5.3.2. Les autorités
éducatives locales doivent adresser des copies de cette demande à toutes les
écoles situées dans le district en question.
5. DROITS ET OBLIGATIONS DE L’ECOLE
1. Sous réserve des dispositions de toute loi traitant de questions linguistiques
dans l’éducation et des droits des apprenants inscrits dans la Constitution,
l’organe directeur doit préciser, lors de la définition de la politique éducative de
l’école, la manière dont celle-ci assurera le multilinguisme, à travers l’utilisation
de plus d’une langue d’apprentissage et d’enseignement et/ou en proposant des
langues supplémentaires comme disciplines scolaires à part entière, et/ou à
travers la mise en œuvre de programmes spéciaux d’immersion ou de
conservation des langues, ou par tout autre moyen approuvé par les autorités
éducatives provinciales. (Cette disposition ne s’applique pas aux apprenants
souffrant de troubles d’acquisition du langage ou du développement intellectuel,
comme il en a été décidé par les autorités éducatives provinciales).
2. Lorsqu’il y a moins de 40 demandes dans les classes 1 à 6, ou moins de 35
demandes dans les classes 7 à 12 relatives à un enseignement, dans une classe
donnée, dans une langue qui ne soit pas déjà proposée par une école située dans
un district scolaire particulier, le chef des autorités éducatives provinciales
décide de la manière dont on répondra aux besoins des apprenants concernés, en
prenant en compte
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1. l’obligation de l’Etat et le droit des apprenants aux termes de la Constitution,
notamment
2. la nécessité de respecter le principe d’équité,
3. la nécessité de compenser les effets négatifs des lois et pratiques du passé,
marquées par la discrimination raciale
4. les possibilités de mise en oeuvre et
5. l’avis des organes directeurs et des chefs des établissements scolaires publics
concernés.
7. DROITS ET OBLIGATIONS DES AUTORITES
EDUCATIVES PROVINCIALES
1. Les autorités éducatives provinciales doivent tenir un registre des demandes
des apprenants portant sur une langue d’enseignement ne pouvant être proposée
par les écoles.
2. Lors de l’ouverture d’une nouvelle école, l’organe directeur de cette école
définit, en accord avec les autorités provinciales compétentes, la politique
linguistique de la nouvelle école conformément à la réglementation promulguée
aux termes de l’article 6(1) de la loi sur les écoles sud-africaines de 1996.
3. Il est raisonnablement praticable de dispenser un enseignement dans une
langue d’apprentissage et d’enseignement si au moins 40 apprenants d’une classe
dans les classes 1 à 6 ou au moins 35 dans les classes 7 à 12 formulent la même
demande dans une école.
4. Les autorités provinciales doivent trouver les moyens de répartir de façon
optimale des ressources humaines très limitées. Elles doivent également trouver
des solutions de rechange comportant la mise en place de programmes alternatifs
de conservation des langues dans les écoles et/ou les districts scolaires
confrontés à une pénurie et/ou proposer des langues d’enseignement
supplémentaires choisies parmi la ou les langues maternelles des apprenants.
9. AUTRES MESURES
1. Tout apprenant ou organe directeur motivé se trouvant en désaccord avec une
décision prise par le chef des autorités éducatives provinciales, peut former un
recours devant le MEC dans un délai de 60 jours.
2. Tout apprenant ou organe directeur motivé se trouvant en désaccord avec une
décision du MEC, peut demander au Pan South African Language Board de
donner son avis sur la constitutionnalité et/ou la légalité de la décision prise, ou
peut contester la décision du MEC devant l’Arbitration Foundation of South
Africa.
3. Tout litige renvoyé devant l’Arbitration Foundation of South Africa doit être
tranché en dernier ressort, conformément aux Règles de l’Arbitration
Foundation of South Africa, par un arbitre ou des arbitres nommé(s) par la
Foundation.
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