Dutronc9 roi fainéant - Le Nouvel Observateur
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Dutronc9 roi fainéant - Le Nouvel Observateur
ARTS-SPECTACLES :UT—, rapport avec le public. Et là, miracle, on découvre au Zénith que les fans du blues singer ont tous les âges, qu'ils connaissent la plupart de ses chansons par coeur. « Je veux être transparent, lumineux à mort, avait-il dit il y a dix ans. Je vais vers une certaine sérénité, un sens du sacré que j'aimerais communiquer sur scène aux spectateurs. » Cette profession de foi, aujourd'hui, est à peu près la même. Alors, Alors pourquoi raconter l'étonnante histoire de ce Swing de banlieue, né de parents juifs hongrois, amoureux fou de Piaf et d'Otis Redding, de Brassens et de James Brown, joueur de foot au stade Lénine de Vanves, fan d'Alain Giresse et de Raymond Kopa, amateur de pâte d'amande et de philosophie orientale ? Jonasz est un enfant de l'ère du pick-up Teppaz, des Mobylette Malaguti, des MJC, du mouvement hippy et des premiers terrains vagues. A l'époque les apaches s'appelaient les Blousons noirs. Ils fumaient des Royale en écoutant Vince Taylor. Jonasz, lui, faisait du théâtre, de la peinture. C'était un pied-tendre de la zone. Il faisait le clown devant les copains pour cacher son cœur « plus gros qu'une lune ». Alors, pendant dix ans, entre deux éclats de rire, il a chanté des chansons à faire chialer les garçons et les filles. Et puis, au début des années 80, le compositeur de « Guigui », des « Vacances au bord de la mer » veut changer d'air. Ces années de la performance, du cynisme, du fric il ne les sent. pas trop. Il décide de voyager. En Chine, en Inde. Il fait des retraites. Entre en réclusion volontaire. On l'oublie un peu.» Ce n'est pas moi qui irai vers le public, c'est le public qui viendra à moi », dit-il alors. Les médias commencent à se méfier de ce loufoque en mal d'absolu. Dans les studios branchés, on raconte comment Jonasz le mystique compose. Son besoin impératif de trouver des lieux pour écrire: une pierre, un torrent, un arbre, une colline... Les années 80 se gaussent des enfants de Rimbaud. Comment seulement oser dire cette phrase : « Je suis un poète », sans provoquer aussitôt une marée de rires? C'est sans doute une des raisons qui le pousse, en 1986, à tourner « le Testament d'un poète juif assassiné » de Frank Cassenti, tiré du livre d'Elie Wiesel. A propos du héros qu'il interprète, Paltiel Kossover, un juif roumain vivant au début du siècle, Jonasz dit : « Je vis ce rôle sans réfléchir. Je le comprends tellement bien, ce poète, sa difficulté de vivre dans le quotidien... » Et puis vint le reflux : le triomphe du « Cercle des poètes disparus », la grande houle de la génération morale. Jonasz peut refaire surface et parler à nouveau. Ou écrire par exemple : « Où est la source/C'est une étoile sous la mer/C'est la Grande Ourse/Un voilier blanc sous l'azur/Qui poursuit sa course/Où est l'eau pure/Où trouver l'air/Qui fera de l'homme obscur/Un homme lumière/De nos âmes divisées. » Ces mots-là, Jonasz les portait en lui depuis dix ans mais attendait le moment -propice. Le bon tempo. La fin d'un cycle. Elle est arrivée. Résultat : au Zénith, Jonasz est en état d'apesanteur, comme son public. Il est en phase avec l'air du temps. Au-delà du swing, de son immense talent, de la qualité de ses musiciens, Jean-Yves d'Angelo (claviers), Steve Gadd (batterie), Abraham Laboriel (basse), Luis Conte (percussion), des somptueux effets lumineux d'Alain Longchamp, ce cuistot du rêve nous exhorte au bonheur et. à l'exigence. Sans discours. Sans prêche. Ce petit homme a l'art de nous faire prendre de la hauteur. Ce messager des cimes qui aime les miss est en mission. Il part en tournée à travers la France (2) pour parler de source, manger de la pâte d'amande et conjuguer le verbe être. Où est donc l'avenir radieux ? Dans le swing, camarade. SERGE RAFFY (1) « Oui est la source ? », par Michel Jonasz, éditions WEA. (2)Rennes (10 décembre), Angers (11 déc.),Nantes (12 déc.), Bordeaux (14 et 15 déc.), Pau (16 déc.), Toulouse (17, 18, 19 déc.). Nouvelle tournée en mars et avril. WEA vient de sortir deux coffrets de Michel / jonasz comptant chacun 38 titres. UN ALBUM LIVE, UNE TOURNÉE Dutronc 9 roi fa i n éant / Entre je-m'en-foutisme et stakhanovisme, le chanteur s'apprête à enfumer la France, fort de son triomphe au Casino de Paris et de la réédition de ses oeuvres complètes Sur scène, il massacre « le Petit Jardin», de peur de sonner comme Renaud, cette régie écolohumanitaire. « Mon rôle n'est pas de dénoncer les promoteurs. Chacun son métier... » Jacques Dutronc répugne au militantisme. En guise de sermon il fumé un cigare. Son message ? La fumée. Tout est fumeux : la vie la mort les filles, les fausses factures. Après les maîtres à penser, les maîtres à fumer. Tel l'Ecclésiaste, Dutronc célèbre l'havanité. C'est la volute finale, semble susurrer ce crooner au goût de cendre cubaine. «Je démarre avec un cigare qui me fait en principe tout le concert. Double Corona : une heure quarante, une heure quarante-cinq. Des cigarillos sont prévus en cas de restriction du spectacle », nous confie l'ex-guitariste d'El Toro et les Cyclones. Les frimas n'en finissent plus de frimer L'automne en fait des tonnes. lDutronc lui, triomphe au Casino de Paris avec désinvolture. Ce presque quinquagénaire enjôle un parterre où fraternisent la génération de l'après-guerre et la génération de l'après-shampoing. Au printemps il partira en tournée dans toute la France, tels Jacques Chirac et Laurent Fabius. Il chantera de nouveau au Casino de Paris à partir du 11 mai. Sur scène, l'élégance de ce rejeton d'ingénieur des Mines longtemps promis à une carrière de dessinateur industriel chez EDF est sans pareille. Il porte des lunettes noires (« Public éblouissant... »), un blouson de cuir noir, un Levi's 501 noir et des bottines Church («parce que c'est des Anglaises à mes pieds... »). Sa voix est étonnamment vierge et vivace. Il chante ' 148/ LE NOUVEL OBSERVATEUR Dans le numéro hors-série du « Nouvel Observateur », «40 ans de 45-tours de France », la chanson de Dutronc Paris s'éveille » était classée n" I par la critique. Devant « Ne me quitte pas »... comme à contre-cœur, comme pour signifier que son retour à la scène est un non-événement, et finit presque par nous en convaincre. Il traite par-dessous la jambe les oracles inoxydables de Jacques Lanzmann. Sa noble indolence contraste comiquement avec la frénésie marchande de ses deux maisons de disques : Vogue sort une « Intégrale » du chanteur en cinq disques dont un concert inédit (1966-1976) dans une boîte de conserve, tandis que Columbia publie son récital au Casino de Paris et une autre « Intégrale » en deux CD (1980-1987), avant de commercialisdr un nouvel album en studio prévu pour février. Un Hercule sans emploi. La définition baudelairienne du dandysme va comme un gant à notre fumeur de havane. Une définition qu'on pourrait traduire ainsi : qui peut le plus fait le moins. Le dandy ne chante pas, il ne joue pas la comédie. Il est sa propre oeuvre d'art Le dandy est un fainéant, au sens étymologique du mot. Jacques Dutronc recherche l'impossible : être à la fois artiste et dandy. Ce que l'artiste crée, le dandy le détruit. Par la dérision, cette peste postmoderne. Par la coproculture (« Merde in France »). Tout doit disparaître. Sur scène, Ejac' Dutronc s'entoure d'exhibitionnistes, comme Gainsbourg affichait Gainsbarre. Il brandit un carton rouge comme un arbitre de football ou se vautre dans l'Almanach Vermot, en haine du sens et de la profondeur. Croone-til ? Un lilliputien vient aussitôt lui remettre un télégramme imaginaire de Frank Sinatra pour le supplier de renoncer à la chanson de charme. Chez Dutronc, le dandy enfume le chanteur qui asphyxie le comédien. Restes l'Aquoiboniste » — du nom d'une chanson sur Dutronc que Gainsbourg écrivit pour Françoise Hardy « C'est un aquoiboniste / Un faiseur de plaisantristes / Qui dit toujours à quoi bon / A quoi bon (...) / Un drôle de je-m'en-foutiste / Qui dit à tort à raison / A quoi bon...» Le genre de type à partir en fumée. Fabrice Pliskin « Dutronc au Casino », Columbia « Intégrale, 1966-1976», Vogue. « Intégrale, 1980-1987», Columbia