Forse, une réussite durable : analyses et témoignages

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Forse, une réussite durable : analyses et témoignages
LECTURE CRITIQUE
Forse, une réussite durable : analyses et témoignages
Jacques Wallet,
Le campus numérique Forse : analyses et témoignages
Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2007
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com
Mise en perspective d’analyses, Patrice Grevet1 livre son propre examen de
l’ouvrage édité par Jacques Wallet qu’il assortit de réflexions sur le processus qui
sous-tend l’élaboration même de ce livre.
L’ouvrage dont cette note rend compte porte sur le campus numérique Forse
(FORmation à distance en Sciences de l’Éducation), campus mis en œuvre par un
partenariat entre l’université de Rouen, l’université Lyon 2 et le CNED. Les textes
de l’ouvrage ont été écrits par des acteurs de Forse et rassemblés par Jacques Wallet
qui a été et demeure le premier responsable de ce campus. Comme l’indique le titre
de l’ouvrage, son objectif est de proposer à la fois des témoignages et des éléments
d’analyse.
Nous reviendrons sur une question que soulève la position « d’acteursanalystes ». Mais auparavant, soulignons que le campus en cause est une réussite
durable, puisque chaque année, près de 1 200 étudiants s’inscrivent à une des
composantes de ce cursus à distance en sciences de l’éducation (licence avec des
pré-requis de type Bac+2, master 1, master 2 professionnel, master 2 recherche). La
réussite de Forse appelle a priori l’intérêt sur une publication le concernant. A cet
égard, l’ouvrage cité se fixe des objectifs délimités concernant pour l’essentiel les
aspects pédagogiques et les identités professionnelles des enseignants et étudiants.
Dans ce champ, il apporte des éléments suggestifs qui s’appuient sur une
présentation des formations très différenciées que Forse assure. La licence relève de
la formation en grand nombre avec plus de 900 étudiants en 2005-2006, alors que
les diverses composantes des masters ont des effectifs qui se comptent en dizaines (à
Rouen, la même année 2005-2006, 78 pour le master 2 professionnel, 22 pour le
master recherche). Les responsables de Forse établissent un lien entre les niveaux
des effectifs et les modalités pédagogiques. J. Wallet indique ainsi : « … le modèle
pédagogique de la licence est globalement transmissif, ceux du master 1 et du
master recherche insistent sur le travail collaboratif et de ce fait imposent de limiter
le nombre d’inscrits. En master professionnel… la fréquence des regroupements
1. Ce compte-rendu a bénéficié d’une relecture et d’éléments écrits par Elisabeth Fichez.
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Distances et savoirs. Volume 5 – n° 4/2007
amène à définir le modèle pédagogique comme hybride » (p. 11). Il nous semble que
ces notations se comprennent par référence aux limites des capacités d’encadrement
pédagogique dont Forse dispose.
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Face à cette réalité diversifiée, l’ouvrage comporte onze textes. Les deux
premiers ont un caractère transversal. Il s’agit de la présentation éclairante de Forse
et de l’ouvrage par J. Wallet puis d’un chapitre très intéressant dû à M. Develay et
H. Godinet. Ce texte s’attache d’abord aux changements d’identité professionnelle
que la mise en ligne des cours implique pour les enseignants – auteurs. Il répertorie
des craintes à surmonter du côté des enseignants et juge de ce fait les changements
importants. A titre de commentaire, nous nous bornerons à poser une question
d’analyse comparative. Le phénomène noté a-t-il une portée générale ou tient-il
plutôt à la situation de telle ou telle discipline à un moment donné2 ?
Le chapitre cité s’attache aussi au « métier étudiant » avec des interrogations sur
la « présence distante » des étudiants, sur leur demande de réactivité immédiate des
enseignants, sur le caractère mythique ou non de la position de partenaires que les
étudiants pourraient assumer. Face aux attentes d’enseignants qui se positionnent en
« novateurs » (nous dirons « constructivistes »), une tonalité dubitative ressort du
chapitre, ainsi que l’indique la citation suivante : L’hétérogénéité et l’instabilité des
pratiques observées illustrent le fait que l’intégration sociale des technologies de
communication n’entraîne pas automatiquement les changements escomptés dans la
posture étudiante (p. 18). Au-delà du cas de Forse, ces réflexions contribuent au
débat sur l’efficacité des diverses formes d’apprentissage et sur les contraintes
auxquelles les étudiants ont à faire face.
Les autres textes composant l’ouvrage s’appuient souvent sur une seule des
composantes de Forse (soit la licence, soit un des masters), composantes très
différenciées ainsi qu’indiqué précédemment. Cela n’empêche pas d’en faire une
lecture transversale dont nous tirerons quelques points saillants.
Globalement s’exprime une approche très réaliste de l’enseignement à distance
indiquant que celui-ci répond à des besoins spécifiques, tout en ayant à affronter des
difficultés particulières de telle sorte qu’il ne représente en rien un raccourci facile ou
un substitut au présentiel. Ce réalisme dans les témoignages et les analyses doit
comporter quelque rapport avec la réussite de Forse. Le réalisme va en l’occurrence de
pair avec l’inventivité dont, par exemple, témoigne le chapitre sur le master recherche.
Ce master repose sur la mobilisation d’un réseau international d’enseignantschercheurs francophones en poste dans plus d’une douzaine d’institutions.
2. Nous formulons cette question en rappelant l’antériorité de polycopiés complets de cours
engageant la responsabilité des enseignants dans des formations habituelles. Par exemple, à
Paris dans les années 1950-60, s’était établie une norme dominante de polycopiés (payants) à
la Faculté de droit et sciences économiques, à l’IEP (Institut d’Études Politiques). Il en allait
de même pour divers cours de sciences sociales et humaines à la Sorbonne. Cela ne suscitait
pas de questions d'identité professionnelle. Alors… ?
Lecture critique
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Du point de vue strictement pédagogique, relevons les réflexions sur la primauté,
voire la « sacralisation », de l’imprimé (p. 24), et simultanément sur l’importance
décisive des interactions avec les enseignants. Des conceptions diverses du rôle de
ceux-ci s’expriment, par exemple dans un chapitre très intéressant qui présente trois
stratégies tutorales en licence, et qui conclut pour la catégorie d’intervenants
impliqués, non seulement à la possibilité, mais aussi à l’importance de styles
différenciés liés à des compétences elles-mêmes diversifiées, alors que souvent des
chartes sont écrites comme si elles devaient fixer des modes d’intervention préformatés (p. 63). Relevons aussi l’apport original et suggestif d’une approche
d’inspiration psychanalytique s’appliquant à la situation des étudiants en licence
(chapitre de Laurence Thouroude).
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En conclusion, revenons sur une question que soulève la position des auteurs de
l’ouvrage « acteurs-analystes ». Cette position a le mérite de nous apporter des
réflexions branchées directement sur les pratiques de dispositifs à distance. Mais,
sans avoir de réponse assurée, nous nous demandons si cette position, jointe aux
spécialités disciplinaires des auteurs en sciences de l’éducation, ne contribue pas à
limiter le champ d’analyse.
Nous plaiderons donc pour le développement de complémentarités entre les
approches qui nous sont proposées dans l’ouvrage dont il est rendu compte ici et la
démarche plus centrée sur les aspects institutionnels, organisationnels, économicofinanciers, qui avait été engagée à propos de Forse par Julien Deceuninck3. Le
développement de telles complémentarités pourrait nous apporter des éléments
indispensables pour comprendre comment Forse fonctionne et réussit. Nous pensons
notamment à une analyse précise qui nous manque beaucoup concernant les recettes,
les coûts, les transferts internes, et le rôle à cet égard des différents acteurs et
institutions (université de Rouen, université Lyon 2 et Cned) impliqués dans Forse. De
même, concernant le public, ses caractéristiques et la singularité de la demande sociale
dans ce champ, singularité qui constitue peut-être l’un des facteurs explicatifs de la
pérennisation du nombre d’inscrits, voire son augmentation au fil du temps.
Nous plaiderons aussi pour une mise en perspective plus ouverte avec les cursus
ne relevant pas de la formation à distance. Certes, on ne peut reprocher aux auteurs
d’être centrés sur leur objet d’étude empirique propre. Mais certaines comparaisons
avec le travail dirigé en présentiel (p. 124) paraissent forcées quand on considère
que celui-ci, dans des dispositifs hybrides, peut très bien intégrer aussi des scénarios
de travail collaboratif. Et certaines tendances d’évolution « générationnelles »,
qualifiées de « blog attitude » (p. 70) et dont le repérage est tout à fait intéressant,
gagneraient à être présentées comme transversales aux modes de formation. En effet,
de plus en plus de forums – entraînant aussi des espaces parallèles au site officiel de la
3. Deceuninck Julien, mars 2005, Campus Forse. Formation et ressources en sciences de
l'éducation, rapport accessible sur http://www.ifresi.univ-lille1.fr/SITE/2_Recherche/22_
Programmes/ERTe/ERTe.htm.
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formation – se développent sur les plates-formes des campus physiques sans que le
rôle des échanges dans les couloirs et les cafétérias ne disparaisse pour autant.
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Patrice GREVET
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