Domenico Losurdo Matérialisme historique et lutte de classe
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Domenico Losurdo Matérialisme historique et lutte de classe
v Domenico Losurdo ~<>~<>~<>~<>~<>~<>~<>~<>~<>~<>~<>~ Matérialisme historique et lutte de classe ~<>~<>~<>~ Rencontre de la Pensée Critique du 14 avril 2016 : Tout le monde croit connaître la théorie marxienne de la lutte des classes, pose d'entrée de jeu D. Losurdo, mais sa thèse est que cette théorie n'est pas bien connue, même dans les milieux académiques. Le Manifeste du parti communiste déclare, dès ses premières lignes, que l'histoire est l'histoire des luttes de classes, avec le mot classes au pluriel. Et ce pluriel, ajoute D. Losurdo, n'est pas la répétition de l'identique. Il est question, dans le Manifeste, de l'exploitation de la classe ouvrière, mais aussi de l'oppression et de l'exploitation d'une nation par une autre. Marx, dans une conférence qu'il fait à Bruxelles en janvier 1848, affirme même que ceux qui ne comprennent pas l'exploitation d'une nation par une autre ne sont pas en mesure de comprendre l'exploitation, au sein d'un même pays, d'une classe par une autre. Engels, parlant de la situation des femmes à son époque, dit même que les femmes sont opprimées et contraintes de subir quelque chose comme un esclavage domestique dans la famille patriarcale. Au sein de cette dernière, dit-il, les femmes représentent le prolétariat opprimé. Et il dit même que la première oppression de classe est l'oppression des femmes par le sexe masculin. D.losurdo pose donc, pour commencer, qu'il y a trois formes de lutte de classe, ancrées dans l'exploitation ouvrière, dans l'exploitation coloniale et, enfin, dans l'exploitation des femmes. <> Qu'en est-il de l'exploitation coloniale du temps de Marx et Engels ? Il y avait de grands empires coloniaux. Le monde était presqu'entièrement contrôlé par un petit nombre de grands pays capitalistes. Et, bien-sûr, la lutte des peuples coloniaux pour leur libération de l'esclavage colonial était une lutte de classe. Marx le déclare explicitement. Il a écrit un texte admirable où il dit que la barbarie de la société bourgeoise n'est pas observable seulement dans la métropole capitaliste, mais aussi - et surtout - dans les colonies. Il serait tout de même curieux, souligne D. Losurdo, de considérer comme lutte de classe la lutte contre la barbarie dans la métropole capitaliste et de refuser cette qualification à la lutte des peuples colonisés. Marx, prenant l'exemple de l'Irlande, colonie de la Grande Bretagne, explique que l'exploitation y prend surtout la forme de l'expropriation, de la déportation et même de la décimation du peuple irlandais par les colons anglais. La résistance du peuple irlandais contre ces processus est, pour Marx, une lutte de classe révolutionnaire ; en Irlande, dit-il, la question sociale s'exprime comme question nationale. En Irlande, -et, plus généralement, dans les colonies, -il y a, dit Marx, identité entre la question sociale et la question nationale. Les irlandais qui luttent contre leur expropriation luttent en même temps contre leur exploitation. Nul besoin, dit D. Losurdo, de convoquer des textes de Marx ou Engels pour répondre à quelques questions simples. On va parler de lutte de classe pour des ouvriers qui luttent pour une augmentation de leurs salaires, mais comment appellera-t-on la lutte des esclaves noirs de Saint Domingue contre l'esclavage ? Une lutte de classe, bien sûr ! Et même une grande lutte de classe ! Nous pouvons même dire, ajoute-t-il, que la révolution des esclaves noirs dirigée à la fin du XVIIIè siècle, après la révolution française, par ce jacobin noir qu'était Toussaint Louverture, et qui a abouti à l'abolition de l'esclavage à Saint Domingue et à la fondation de Haïti, est peut-être une des plus grandes luttes de classe de l'histoire universelle ; une lutte de classe pas seulement pour améliorer ce que Marx appelle l'esclavage salarié, mais une lutte de classe pour éliminer l'esclavage noir en tant que tel. S'agissant des femmes, lorsque, dans une usine, celles-ci font grève pour ne pas être confinées dans les travaux les moins qualifiés et les moins payés, nous disons, bien sûr, que c'est une lutte de classe ; mais la lutte que les femmes ont menée pour conquérir les droits politiques, avoir le droit de voter et d'être élues dans les organismes représentatifs, est-ce que c'était aussi une lutte de classe ? Oui, bien sûr ! Tout le monde connaît la lutte de classe du prolétariat industriel et des masses populaires contre la bourgeoisie ; c'est, bien sûr, une lutte de classe très importante. Mais la lutte des peuples coloniaux opprimés contre leur oppression et leur oppresseur est aussi une lutte de classe. Et, enfin, la lutte des femmes contre l'esclavage domestique et pour l'émancipation politique est une lutte de classe. Une théorie générale du conflit social - Si nous réfléchissons, nous voyons que nous avons affaire à une division du travail exploiteuse à plusieurs niveaux : au niveau international contre les peuples coloniaux, au sein d’une nation contre le prolétariat et même dans une famille contre la femme. C'est donc une théorie générale du conflit social que propose Marx, avec laquelle, pour la première fois, il explique beaucoup de choses. La science et la pensée politique de son temps étaient ainsi invitées à expliquer l'essor de l'Occident capitaliste qui conquérait le monde, mais aussi - surtout après la Révolution française - les premières luttes de travailleurs, et enfin les premiers mouvements d'émancipation des femmes. La science et la culture officielle du temps expliquaient la conquête du monde par l'Occident par la supériorité naturelle de la race européenne, voire de la race blanche (cf. Tocqueville). C'est la Providence elle-même qui a décidé de la conquête du monde entier par cette race supérieure. En ce qui concerne les premiers mouvements ouvriers, ils sont attribués par Bentham à des sauvages. Quant aux femmes, dans la culture du temps, il leur revient d'être séduisantes et douces, mais qu’elles ne s’occupent pas de politique, qu’elles sont incapables de comprendre. Pas d'explications historiques donc, mais renvoi soit à la nature supérieure de la race européenne, soit à la figure du sauvage, soit encore à l'incapacité foncière de la femme. Au lieu de cela, Marx et Engels expliquent qu'on a affaire à trois formes de division du travail, -aux niveaux international, national et familial ; à trois formes d'exploitation ; et à trois formes de lutte de classe. Et D. Losurdo d’insister : la théorie marxienne de la lutte de classe est une théorie générale du conflit social. Elle est également propre à Marx et Engels. Proudhon, à la même époque, comprenait très bien la lutte de classe des masses populaires dans la métropole capitaliste, et parlait de la propriété comme d'un vol, mais sur les premiers mouvements féministes il écrit un livre dont le titre exprime tout : La Pornocratie ou Les Femmes dans les temps modernes (1875). Proudhon y condamne totalement les premiers mouvements d'émancipation des femmes : leur pouvoir lui paraît obscène (porno) ; et lorsqu'il parle des premiers mouvements de libération nationale, il ironise (par exemple, contre le mouvement de libération nationale du peuple polonais contre la Russie tsariste). Fourier, quant à lui, s'il a très bien compris la question de l'émancipation des femmes, écrivant des pages admirables à ce propos, dans lesquelles il soutient que la condition des femmes, dans une société, est le critère de son niveau de civilisation ; s'il a bien compris aussi la lutte de classe du prolétariat dans la métropole ; il reste en deçà sur la question coloniale. C'est ainsi que ses disciples essayaient d'organiser en Algérie des sociétés socialistes sur des terres confisquées aux arabes, lesquels avaient ensuite été déportés. La conception marxienne de la lutte de classe n'est donc pas une conception binaire. Il n'y a pas seulement le prolétariat d'un côté et les capitalistes de l'autre. C'est bien plus compliqué. Par exemple, dans l'Angleterre de Marx, un ouvrier pouvait être exploité, mais participer dans le même temps à l'exploitation du peule irlandais à travers la nation anglaise dans son ensemble. Le même ouvrier exploité pouvait opprimer sa femme dans sa famille. La femme ouvrière pouvait, quant à elle, être exploitée deux fois, -par le capitaliste et par son mari, -tout en participant à l'exploitation du peuple irlandais. Le tableau que Marx trace de la lutte de classe est très compliqué, et cela d'autant plus que dans la pensée de Marx et Engels eux-mêmes on peut observer des oscillations, qui concernent notamment, justement, la conception binaire de la lutte de classe, qui n'est pas entièrement liquidée. Il est important d'ajouter, dit D. Losurdo, qu'avec cette théorie générale Marx et Engels ne veulent pas seulement expliquer la lutte de classe dans ses différentes formes, mais aussi les grandes crises historiques. C'est toute l'histoire que nous pouvons comprendre avec la théorie de la lutte de classe. Par exemple, le grand mouvement révolutionnaire de 1848-1849 dans toute l'Europe continentale est pour Marx une gigantesque lutte de classe : lutte de la bourgeoisie contre la féodalité dans certains pays, lutte des ouvriers contre la bourgeoisie dans d'autres pays et luttes d'émancipation des femmes. C'est à partir de cette façon d'envisager l'histoire, indique maintenant D. Losurdo, que nous pouvons expliquer le matérialisme historique. Et après avoir envisagé globalement les trois formes d'émancipation (du prolétariat, des peuples coloniaux, des femmes), il en vient à un autre problème que la science du temps avait à expliquer, relatif aux situations américaine et française. Les Etats-Unis, après la révolution américaine, n'ont pas connu de bouleversement et ont rapidement retrouvé l'ordre. Situation complètement différente en France, comme chacun le sait. Pourquoi cette différence ? La réponse de Tocqueville est que les américains ont un sens pratique et même un sens moral plus robustes tandis qu'en France il y a la maladie du socialisme. Explication extraordinaire quand on veut bien se souvenir que c'est la France révolutionnaire qui a aboli l'esclavage tandis qu'aux Etats-Unis l'esclavage continuait. Alors, sens pratique plus robuste, pour les propriétaires d'esclaves, peut-être, mais sens moral plus robuste, c'est difficile à entendre !... Les français, eux, dit Tocqueville, ont malheureusement la maladie du socialisme. « Peut-être ne l'ont-ils plus », fait observer malicieusement D. Losurdo, mais Tocqueville l'observait à son époque... Ces explications sont inspirées par un paradigme psychopathologique. Explications instables, au demeurant, qu'un rien peut transformer en explications anthropologiques, ethnologiques et même raciales. Les français sont malades et les autres non ? L'explication de Marx et Engels, -armés de la théorie générale de la lutte de classe, -est tout à fait différente. Ils insistent sur le fait que la lutte sociale aux Etats-Unis peut ne pas être si âpre qu'en France parce qu'il y a là-bas l'expropriation/déportation/décimation des Peaux rouges, qui permet aux prolétaires pauvres et au sous prolétariat de devenir propriétaires, ce qui rend la question sociale moins aiguë. Il faut ajouter à cela, évidemment, l'institution de l'esclavage. Lénine aussi considère qu'on ne peut pas comprendre la lutte de classe si l'on envisage seulement l'usine. Il faut regarder la totalité sociale, les différentes formes de conflit qui animent la société, et leur intrication. De quelles façons la lutte de classe s'est-elle manifestée au XXè siècle ? L'historien britannique Niall Ferguson dit que le siècle dernier a été la réfutation de la théorie marxienne de la lutte de classe parce que les luttes les plus farouches du XXè siècle ont été des luttes nationales et raciales. C'est oublier que la lutte des noirs de Saint Domingue contre l'esclavage a été une grande lutte de classe. Et, au XXè siècle, il faut regarder de près l’histoire du IIIè Reich. Heinrich Himmler, l'un des principaux chefs du parti nazi, dit dans un livre qui regroupe des discours secrets faits devant d'autres nazis, et dont le titre est... « Discours secrets » : nous avons besoin d'esclaves, et ce sont les indigènes d'Europe orientale. La guerre d'Hitler contre l'Europe orientale, Pologne d'abord et ensuite URSS, est donc une guerre esclavagiste et colonialiste. Beaucoup d'historiens de l'idéologie dominante disent même que la guerre d'Hitler en Europe orientale, qui visait à réduire en esclavage les slaves d'Europe de l'est, a été la plus grande guerre coloniale de l'histoire mondiale. Cette affirmation est juste à condition de ne pas oublier qu'il y a une autre grande guerre coloniale dans le XXè siècle, c'est celle que l'impérialisme japonais a faite en Asie contre la Chine, qu'il a essayé de réduire en esclavage, elle aussi. Ces grandes guerres coloniales de la fin de la première moitié du XXè siècle, qui ne visaient donc pas seulement à la domination coloniale mais aussi à la radicaliser en réduisant en esclavage, au sens propre du terme, des peuples considérés comme inférieurs, ont bien sûr été de gigantesques luttes de classe. Mao Zedong a compris cela mieux que personne. En 1938, alors que la Chine était envahie depuis longtemps par l'impérialisme japonais, et que Mao dirigeait la lutte contre cette domination coloniale, ce dernier dit : il y a identité entre lutte de classe et lutte nationale. Il rejoignait ainsi, sans les avoir lus, les écrits de Marx à propos de l'Irlande. Les défaites hitlérienne et japonaise vont marquer le début de la grande révolution anti coloniale mondiale qui s'est développée dans la deuxième moitié du XXè siècle. Impossible de comprendre cette grande révolution anti coloniale si on ne la relie pas aux défaites hitlérienne et japonaise. D. Losurdo en vient alors à cette question incontournable : que devient la lutte de classe après la conquête du pouvoir, en Russie, par un parti qui fait référence à Marx et Engels ? Il y a, bien sûr, un débat et un conflit dans la Russie soviétique. Pierre Pascal, un catholique français témoin de la Révolution d'octobre, est enthousiaste déjà par rapport au fait que la Révolution a mis fin à la guerre, et il ajoute que désormais la société est composée seulement de pauvres et de très pauvres, c'est-à-dire qu'elle réalise l'égalité. Ce n'était pas l'opinion de Lénine que préoccupait une autre inégalité, celle entre la Russie soviétique, très arriérée, et les pays capitalistes et impérialistes. Il voyait dans cette inégalité un danger terrible pour la jeune Russie soviétique. Il déclare : la lutte de classe continue, mais a changé de forme. La lutte pour le développement économique et social va être une lutte de classe. On peut dire, effectivement, que c'est grâce au fait que la Russie soviétique a connu un fort essor économique qu'elle a été en mesure de résister à l'agression hitlérienne. Si on considère comme une lutte de classe la lutte du peuple soviétique contre l'agression hitlérienne, le développement économique qui a permis cette lutte a été lui-même une lutte de classe. On peut dire que cette expérience a changé le marxisme. Qui avait le pouvoir dans la jeune Russie soviétique ? Avec Lénine, c'était, bien sûr, le prolétariat. Mais avec Staline ? D. Losurdo aborde ici une nouvelle question, celle du processus d'autonomisation des couches politiques. Pour Marx et Engels, la classe dominante sous la monarchie n'était ni la bourgeoisie ni l'aristocratie féodale mais, disent-ils, un pouvoir politique au-dessus de ces deux classes antagonistes, qui s'est autonomisé par rapport à elles. Ils reprennent le même type d'analyse pour le bonapartisme. Pour réprimer le mouvement ouvrier au cours des journées de juin 1848, la bourgeoisie a exercé le pouvoir avec l'épée, usant de la violence pure et directe. Mais ensuite, -une fois le souffle révolutionnaire retombé, réprimé, balayé, -c'est l'épée qui commande à toute la société, y compris, disent Marx et Engels, à la bourgeoisie. Les couches politiques et militaires ont connu un certain processus d'autonomisation et exercent le pouvoir sans avoir un rapport direct à une classe ou à une autre. On peut parler d'un processus d'autonomisation pour le prolétariat aussi. D. Losurdo cite ici, une fois encore, Mao Zedong, qui conquiert le pouvoir en 1949, et qui se pose cette question : que doit faire le nouveau pouvoir politique par rapport à la bourgeoisie ? Procéder à sa totale expropriation économique ? Non, dit Mao, parce que la bourgeoisie nationale a des compétences économiques, dans la direction des usines, dans l'organisation de la production, que le prolétariat n'a pas encore. Mao a cette formule : nous devons procéder à la totale expropriation politique de la bourgeoisie, mais pas à sa totale expropriation économique ; et il ajoute : la bourgeoisie n'exerce plus aucun rôle politique, mais peut continuer à jouir d'une certaine richesse si son expérience peut servir au nouveau pouvoir. Walter Benjamin, qui visite l'Union soviétique en 1927, au moment de la NEP, rédige « Moscou, 1927 ». Dans ce beau texte, il dit que la Russie soviétique offre un spectacle tout à fait nouveau, inédit dans l'histoire, avec une bourgeoisie qui est très riche mais qui est méprisée, qui n'exerce aucun pouvoir. Le parti communiste, dit encore W. Benjamin, a réservé à lui-même l'exercice du pouvoir mais il tolère la richesse d'une certaine couche en considérant qu'elle peut être utile pour le développement des forces productives. Gramsci, qui avait visité l'Union soviétique quelques années auparavant, avait déjà souligné cette situation extraordinaire qui voyait la classe politiquement dominante vivre dans des conditions économiques inférieures à la classe qui est dominée sur le plan politique. Complexité du processus de construction d'une société post capitaliste ! Venons-en au présent - Dans la seconde moitié du XXè siècle, dit D. Losurdo, nous avons eu la grande révolution anti coloniale mondiale. On est passé d'une poignée de pays indépendants contrôlant le reste du monde à la situation que nous connaissons aujourd'hui. Seule la Palestine se trouve encore dans une situation coloniale classique. La question sociale - aurait dit Marx - s'y présente comme une question nationale. Mao aurait dit, en 1938, qu'il y a identité entre lutte de classe et lutte nationale. Et pour les autres pays, ceux qui ont conquis l'indépendance politique, comment se présente la lutte de classe ? Cette lutte de classe des peuples opprimés a-t-elle disparu ou continue-t-elle sous une autre forme ? Après la conquête du pouvoir en Chine, en 1949, Mao déclare : nous avons conquis le pouvoir politique, mais les États-Unis, maintenant, désirent que nous vivions de la farine américaine ; dans ce cas, ajoutet-il, la Chine continuera d'être une colonie même si, sur le plan politique, elle est formellement indépendante. Déjà Lénine avait fait une distinction entre colonialisme et néocolonialisme ; le colonialisme, disait-il, est la domination politique des peuples opprimés tandis que le néocolonialisme est leur domination économique, et non politique. Mao, sans citer Lénine, dit que si la Chine ne se développe pas sur le plan économique, son indépendance politique sera purement formelle. D. Losurdo convoque maintenant Frantz Fanon, l'auteur de « Les damnés de la terre », grand théoricien de la révolution anti coloniale. Franz Fanon qui dit dans ce très beau livre que lorsque les puissances coloniales sont contraintes de reconnaître l'indépendance d'un peuple, elles parlent à peu près en ces termes au peuple qui s'apprête à conquérir son indépendance : vous voulez l'indépendance ?, eh bien prenez-la, et maintenant crevez ! C'est-à-dire que l'on trouve chez Fanon une analyse similaire à celle de Mao : la révolution coloniale n'est pas terminée avec la conquête de l'indépendance politique. Celle-ci doit se poursuivre avec le développement économique. On pourrait aussi citer Che Guevara, dit D. Losurdo, quand il parle de l'agression économique des États Unis contre Cuba. Pour conclure - La troisième forme de lutte de classe n'est donc pas terminée. La deuxième étape de la révolution anti coloniale n'est pas achevée. Et peut-être pouvons-nous comprendre beaucoup de conflits d'aujourd'hui si nous les considérons comme la continuation - au-delà de la phase militaire - de la révolution anti coloniale. C'est ainsi qu'à propos de la Libye même la presse bourgeoise a parlé d'une guerre néo coloniale. Regardons tous les pays agressés depuis la chute du mur de Berlin : Irak, Yougoslavie, Libye, Syrie. Ce sont tous des pays qui ont connu une révolution anti coloniale/anti féodale et qui, maintenant, sont détruits ou menacent de l'être. Ma thèse, dit D. Losurdo, est que la lutte de classe en tant que lutte nationale n'est pas terminée. Pour ce qui concerne les femmes, tout le monde sait que dans certains régimes du Moyen orient, -souvent alliés de l'Occident, -l'esclavage des femmes perdure. La lutte de classe du prolétariat, enfin, est devenue plus aiguë en raison du fait que l'État social de droit à tendance à se déliter. Trois luttes de classe qui continuent, donc. On peut y ajouter le danger de guerre. La théorie marxienne de la lutte de classe en tant que théorie générale du conflit social peut expliquer le monde d'aujourd'hui et nous aider à conduire les luttes qui sont nécessaires pour compenser ses tendances les plus dangereuses. Daniel Amédro (d’après un enregistrement audio)