text.....text.....text..... Madame el Safir Les juifs de Constantine

Transcription

text.....text.....text..... Madame el Safir Les juifs de Constantine
Livres
text.....text.....text.....
text....text.... text.....
Madame el Safir
Voyage au cœur d’une aventure diplomatique peu commune
Johanna Afriat
L
e titre est sobre, presque trompeur.
Pourtant, le voyage raconté dans La
maison du Pacha, souvenirs d’une
Israélienne au Caire n’est pas celui d’une
expatriée israélienne ordinaire : l’auteure,
Michèle Mazel, n’est autre que l’épouse de
l’ancien ambassadeur d’Israël en Egypte, Zvi
Mazel.
En 1979, Israël et l’Egypte, ennemis jurés
d’hier, signent un traité de paix historique.
Plus qu’un idéaliste, le président Sadate
est un pragmatique : il comprend que si
l’Egypte pays veut sortir de son marasme
économique et social, elle doit d’abord jouir
d’une certaine stabilité avec ses voisins, à
commencer par l’Etat juif. C’est pourquoi
Sadate prend le contre-pied de tout le
Moyen-Orient et décide d’enterrer la hache
de guerre avec Israël. Commence alors une
période d’euphorie dans les relations entre
les deux pays, on veut croire en cette paix,
qui pourrait même, à terme, ouvrir la voie
à une nouvelle donne géopolitique dans
toute la région.
C’est dans cet heureux contexte que Michèle
Mazel et son mari, nommé conseiller du
premier ambassadeur d’Israël en Egypte,
s’installent au Caire en 1980, inaugurant les
nouveaux liens diplomatiques entre les deux
pays. L’accueil est chaleureux, et Michèle
Mazel ne tarde pas à lier de franches amitiés
aussi bien parmi les autres expatriés que
parmi les Egyptiens de la bonne société. On
suit l’auteur dans sa découverte d’une Egypte
pittoresque et touchante. La maison du Pacha
et son magnifique jardin, lieu de résidence
du couple Mazel, devient vite un terrain de
rapprochement entre cultures israélienne et
égyptienne, en même temps que le fief de la
communauté juive quand il s’agit de se réunir
ou de célébrer une fête religieuse.
Si la description de la vie diplomatique est
le plus souvent conforme à l’idée que l’on
s’en fait, avec son ballet de cocktails et de
réceptions aux buffets bien garnis, la saveur
du récit tient à la personnalité de Michèle
Mazel : pas potiche pour un sou, la femme
de diplomate relèvera plus d’une fois les
manches pour apporter son soutien aux plus
miséreux. La langue de bois n’est pas non
plus son fort, et elle met un point d’honneur
à apprendre l’arabe et à lire la presse locale
pour mieux comprendre la réalité du pays
dans lequel elle vit…
En 1996, retour au Caire par la grande porte
pour le couple Mazel : Zvi est le nouvel
ambassadeur d’Israël. Si l’enthousiasme de
Michèle et de son mari dans cette nouvelle
mission est bien présent, la réalité ne
tarde pas à les rattraper : le pays qu’ils ont
connu n’est plus. Outre la modernisation
de l’Egypte, la montée de l’islamisme et
d’un antisionisme aux relents antisémites
est palpable à tous les échelons de la
société. Et la presse, comme souvent, joue
un rôle moteur dans cette diabolisation
d’Israël en se faisant le relais des rumeurs
les plus folles. Madame el Safir (« Madame
l’ambassadeur », en arabe) raconte par le
menu les difficultés de ce deuxième séjour
au Caire : les réflexions ahurissantes des
diplomates de haut rang ou au contraire
leur intolérable attentisme, les amies qui
vous tournent soudainement le dos, ou les
mesures draconiennes de sécurité entourant
l’ambassadeur, à la limite du supportable.
Ou comment une mission diplomatique
prend parfois des allures de sacerdoce.
En refermant le livre, on se dit
qu’effectivement, comme l’indique le titre
du livre, ces souvenirs-là sont avant tout
ceux d’une citoyenne israélienne fière et
engagée, qui raconte un espoir déçu : celui
d’une rencontre maintes fois programmée
qui n’aura finalement jamais vraiment eu
lieu entre Israël et l’Egypte. u
La maison du Pacha, Michèle Mazel,
éditions Elkana
Les juifs de Constantine, soldats oubliés
Chroniques de la vie d’une famille juive d’Algérie, entre héroïsme et nostalgie
Héloïse Fayet
L
e dernier roman de Valérie Zenatti
Jacob, Jacob, qui faisait partie de
la sélection finale de plusieurs prix
littéraires, nous plonge dans les racines
juives de l’auteure, et le destin, connu et
ignoré à la fois, des juifs d’Algérie. De l’appel
sous les drapeaux de Jacob, jeune prodige de
la famille, au départ de Constantine pendant
la guerre d’indépendance, en passant par
les tragédies quotidiennes, Valérie Zenatti
raconte la vie de la famille Melki dans ce
court roman souvent poétique.
L’histoire débute la veille de la mobilisation
de Jacob : à dix-neuf ans, il est passionné
par le pays colonisateur, la France, dont il
parle la langue à la perfection. Sa famille est
moins intégrée : les parents parlent arabe,
comme les autres habitants du quartier ;
l’hébreu est réservé à la pratique religieuse,
peu présente chez les Melki. Les difficultés
linguistiques sont renforcées par un procédé
d’écriture orignal, l’absence de dialogues :
toutes les paroles sont rapportées, et donc
plus ou moins déformées par celui qui
les a entendues. Ce sont les demandes
24
21 janvier 2015
hésitantes de Rachel, la mère, qui dans un
mauvais français, se heurte aux difficultés
administratives de l’armée ; ou bien les
ordres durs donnés par les militaires qui
entraînent Jacob et ses camarades, dans le
brûlant désert algérien.
A l’armée, le jeune homme trouve une
nouvelle famille, loin de l’appartement
surpeuplé qui l’a vu grandir et où s’entassent
trois générations, sans compter les non-dits
et la pauvreté. Certains soldats fuient dès
le départ pour la France, et leur absence
marque durablement le bataillon de Jacob,
la 3e division d’infanterie algérienne.
Au son de « c’est nous les Africains », ils
débarquent en Provence en août 1944
et, progressivement, libèrent la France en
partant du Sud. D’une plume métaphorique,
convoquant les odeurs et des goûts oubliés,
Valérie Zenatti n’épargne rien au lecteur
des difficultés de la marche : bien que ces
soldats soient souvent acclamés, ils ont faim
et froid dans les montagnes des Ardennes,
si différentes du Maghreb.
Le destin des juifs français est également
abordé, à demi-mot, toujours par des
souvenirs ou de discrètes allusions : c’est
l’étonnement d’une paysanne lorsque Jacob
lui explique qu’il est juif ; c’est la jeune
Louise, une lyonnaise qui se cache dans les
traboules, et qui finit par révéler au soldat
son vrai prénom, Léa. On découvre aussi
que Constantine n’était pas épargnée par les
persécutions, et que passer le baccalauréat
ne s’est pas fait sans difficultés pour Jacob
et ses camarades juifs.
De l’autre côté de la Méditerranée, la vie
continue, avec ses souffrances et ses petites
joies : l’auteure construit sans cesse des
parallèles entre la vie sur le front et celle
de la famille Melki, montrant les douleurs
qui frappent aussi les civils. Les tensions
règnent, les informations manquent, mais
jamais l’espoir : la mère et la belle-sœur
continuent leurs rites et leurs prières pour
protéger le fils au loin, tandis que les nièces
oublient, petit à petit, ce gentil oncle qui les
protégeait la nuit.
Loin des grandes épopées guerrières, Jacob,
Jacob est un roman subtil, intimiste, où
l’expérience de l’armée devient presque un
prétexte pour nous raconter l’histoire de la
famille Melki, simples juifs de Constantine
dont les fils sauvèrent la France. Parfois
peintre, parfois cuisinière, Valérie Zenatti
nous propose un voyage sensoriel, celui de
ses ancêtres. u
Jacob, Jacob, Valérie Zenatti, éditions de
l’Olivier