L`hypogonadisme d`apparition tardive
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L`hypogonadisme d`apparition tardive
L’hypogonadisme d’apparition tardive : diagnostiquer et intervenir Caroline Duranceau, M.D. Jean-Patrice Baillargeon, M.D., M.Sc. Le cas de Monsieur Papineau Article basé sur la conférence « L’hypogonadisme acquis (andropause) : diagnostiquer et intervenir » présentée dans le cadre du congrès : Mise à jour en thérapeutique, organisé par le Centre de formation continue de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. Monsieur Papineau, 71 ans, vous consulte pour une diminution de la concentration accompagnée d’une fatigue et d’un léger état dépressif. Lors de votre évaluation, vous mettez en évidence une faiblesse progressive depuis quelques années, une diminution de la libido ainsi qu’une ostéopénie découverte par l’ostéodensitométrie effectuée tout récemment. Les symptômes de votre patient pourraient-ils être attribuables à l’andropause? Un traitement de remplacement de testostérone pourrait-il l’aider? L es niveaux de testostérone diminuent progressivement avec l’âge. Ainsi, 20 % des hommes dans la soixantaine ont un niveau de testostérone sous la normale, ce qui augmente à 50 % chez les hommes de plus de 80 ans1. Par contre, la testostérone ne diminue pas chez tous les hommes et tous ne sont pas symptomant tiques. euve nnel p s e o rsaméricains Selon les recommandations consensuelles de plusieurs iséorganismes utor sage pe a s u ne et européens2,3, l’hypogonadisme d’apparition leur communément appelé rson outardive, r e p es andropause, est défini comme e pclinique et biochimique associé au ée. Lunesyndrome oupi b c i h o n upar des symptômes typiques et une diminution des vieillissement. sIltest prcaractérisé imer ee r é p s i m r i niveaux La prévalence de l’andropause, telle que définie ci-haut, auto delistestostérone. er et onvarie a n u n isde 3,1 % à 7 % chez les hommes de 30 à 69 ans et augmente à 18,4 % chez io er, v lisat L’uti er, affich les hommes de 70 à 79 ans4. t e e t Ven © t h g i le r a i y c r p Co n comme es t i d r inte io t u b i distr harg téléc Causes de l’hypogonadisme d’apparition tardive Dre Caroline Duranceau, résidente, et Dr Jean-Patrice Baillargeon pratiquent au service d’endocrinologie et au département de médecine de l’Université de Sherbrooke. 54 le clinicien juin 2011 Cette condition consiste en fait en un hypogonadisme mixte : une sénescence des cellules gonadotropes au niveau hypophysaire et des cellules de Leydig au niveau testiculaire. Également, avec l’âge, les niveaux de globuline se liant aux hormones sexuelles (SHBG) tendent à augmenter, ce qui entraîne une diminution de l’hormonne active, la fraction libre. L’homme « andropausé » présente donc un niveau de testostérone libre bas avec des niveaux d’hormone lutéinisante (LH) et d’hormone folliculostimulante (FSH) normaux. On ne sait pas ce qui cause cet hypogonadisme, mais les hommes obèses ou en moins bonne santé présentent un déclin plus important de leurs niveaux de testostérone5. L’hypogonadisme d’apparition tardive Tableau 1 Traitements de remplacement en testostérone disponibles Présentation Nom commercial Posologie de départ Gélule Andriol® (undécanoate de testostérone) 80 mg per os, 2 fois par 40 à 160 mg jour, durant 2 à 3 semaines, au total, par jour puis diminuer Efficacité après 3 semaines. Timbre Androderm® (testostérone) Timbre de 2,5 mg à appliquer au coucher 2,5 mg à 7,5 mg • Réactions cutanées fréquentes; • Appliquer au niveau de l’abdomen, des cuisses, du dos, des membres supérieurs (mais pas sur le scrotum, ni au niveau des points de pression). Gel-sachet AndroGel®1 % (testostérone) Sachet de 5 g à appliquer, le matin habituellement 2,5 g à 10 g par jour • Éviter tout contact avec la peau dans les 6 heures suivant l’application; • Efficacité après 6-12 semaines; • Appliquer sur région propre et sèche, surtout au niveau des membres supérieurs ou de l’abdomen. Gel-pompe AndroGel® 1 % (testostérone) 5 g à appliquer, le matin habituellement 2,5 g à 10 g par jour N’est pas remboursé par la Régie d’assurance médicaments du Québec. Gel-tube Testim® 1 % (testostérone) 5 g à appliquer, le matin habituellement 2,5 g à 10 g par jour Injection Délatestryl® (énanthate de testostérone) 50 mg à 100 mg intramusculaire, aux 2 semaines 50 mg à 200 mg intramusculaire, aux 2 semaines Symptômes d’une « andropause » Dose de maintien Les symptômes associés à l’hypogonadisme sont classés en quatre grandes classes : • Symptômes trophiques : diminution de la masse maigre et de la force musculaire, puis augmentation de la graisse abdominale; • Symptômes sexuels : diminution de la libido et diminution des érections; • Symptômes métaboliques : ostéoporose, bouffées de chaleur et anémie; • Symptômes cognitifs : fatigue, troubles du sommeil, diminution de la concentration, changement d’humeur et irritabilité. Ces symptômes doivent être évalués et sous-pesés par le clinicien, par contre les questionnaires autorapportés (tels qu’AMS et ADAMS) ne sont pas recommandés, car ils sont peu spécifiques2. Il est à noter que la diminution de la libido est un symptôme particulièrement typique de l’hypogonadisme que l’on ne retrouve pas dans les dysfonctions érectiles de cause vasculaire, par exemple. Par ailleurs, une importante étude récente a montré que l’association de faibles érections matinales, d’une baisse de la libido et de dysfonction érectile est significativement corrélée à des bas niveaux de testostérone totale ou libre6. Lorsqu’un hypogonadisme est suspecté sur la base de ces symptômes, un examen physique permet de vérifier si le sujet présente une certaine féminisation (petites ridules du visage, pattes d’oie au niveau des yeux, perte de pilosité, etc.), une obésité abdominale (augmentation du tour de taille) ou de petits testicules (< 20 mL). Particularités Plus grande variabilité des taux sériques (pic 3 jours après l’injection, puis diminution). Encadré 1 Contre-indications à un remplacement de testostérone • Antécédent de cancer de la prostate ou du sein; • Nodule prostatique ou antigène prostatique spécifique > 4 ng/mL (>3 ng/mL chez individus à haut risque de cancer de la prostate, tels que les Afro-Américains et les patients ayant des antécédents de cancer de la prostate chez un parent au 1er degré); • Symptômes urinaires bas graves associés à une hypertrophie bénigne de la prostate; • Insuffisance cardiaque mal contrôlée; • Hématocrite > 50 % (investiguer pour maladie pulmonaire obstructive chronique ou syndrome d’apnée/hypopnée du sommeil). le clinicien juin 2011 55 L’hypogonadisme d’apparition tardive Encadré 2 Suivi clinique à faire pour les patients sous traitement de remplacement en testostérone Il est suggéré de vérifier si la dose de remplacement est satisfaisante par un contrôle des niveaux de testostérone, après trois mois, puis annuellement lorsque la dose est stable. Il faut viser des niveaux de testostérone à la moitié inférieure de la normale du laboratoire. Il est important de noter que, chez un patient avec un hypogonadisme léger (testostérone totale entre 8 et 12 nmol/L ou libre entre 180 et 250 pmol/L), si aucune amélioration de la symptomatologie n’est notée après six mois, le traitement doit être interrompu et une autre cause doit être recherchée. La formule sanguine complète et l’antigène prostatique spécifique doivent être effectués avant d’initier le traitement, trois mois après le début du traitement, puis chaque année. Les bilans suivants doivent être faits initialement, après trois à six mois et annuellement : • Hématocrite; • Antigène prostatique spécifique (si > 40 ans); • Testostérone totale et/ou libre; • Ostéodensitométrie (aux deux ans seulement). Investigations recommandées lorsqu’une andropause est suspectée 1) Évaluation biochimique Il est recommandé de doser la testostérone le matin (avant 11 heures), car celle-ci diminue graduellement en cours de journée. Toute valeur anormale doit être contrôlée une deuxième fois pour confirmer le diagnostic. Également, il est déconseillé de mesurer la testostérone en cours d’hospitalisation, car les affections aiguës peuvent temporairement l’abaisser. Un niveau de testostérone totale de < 8 nmol/L, de façon persistante, est franchement anormal et confirme un diagnostic d’hypogonadisme. Lorsque les niveaux de testostérone totale sont entre 8 et 12 nmol/L, il est approprié de doser la testostérone libre, par méthode de calcul (voir Free & Bioavailable Testosterone calculator, http://www. issam.ch/freetesto.htm) ou de dialyse (qui est la pierre angulaire, mais très peu disponible). Chez les personnes âgées, les niveaux de SHBG sont plus élevés et le niveau de testostérone libre, par conséquent, peut être abaissé malgré un niveau de testostérone totale dans les limites basses de la normale. À l’opposé, la résistance à l’insuline, qui est présente chez les sujets obèses, diabétiques ou utilisant des corticostéroïdes, abaisse les niveaux de SHBG et résulte en des niveaux de testostérone faussement bas, alors que la fraction libre est normale. Si la testostérone est anormale, il faut doser la FSH et la LH, afin de déterminer l’origine testiculaire versus hypophysaire. Il faut aussi éliminer une hyperprolactinémie et une hypothyroïdie. 2) Évaluation par imagerie Une résonnance magnétique nucléaire (RMN) de l’hypophyse est indiquée lorsque la LH est normale ou basse, pour éliminer une tumeur hypophysaire, et en présence : • d’une atteinte d’un autre axe hypophysaire ou d’hyperprolactinémie; • d’une testostéronémie franchement abaissée (≤ 5 nmol/L) ou; • de signes neurologiques d’une masse sellaire (diplopie, perte du champ visuel, céphalées, etc.). Un patient plus jeune devrait aussi subir une imagerie hypophysaire : nous suggérons arbitrairement de faire une RMN hypophysaire chez les sujets âgés de moins de 60 ans. Par ailleurs, tout patient hypogonadique devrait subir une ostéodensitométrie initialement, puis aux deux ans. Bénéfices et risques d’un traitement de remplacement La plupart des études sur le sujet sont brèves, incluent peu de patients et ne sont pas contrôlées. Elles montrent que l’hormonothérapie de remplacement chez les hommes âgés ayant des niveaux de testostérone bas (8-14 nmol/L) améliore peu les symptômes généraux de l’hypogonadisme7,8, à l’exception peut-être de la fonction sexuelle7. Par ailleurs, les études9,10 montrent que la supplémentation 56 le clinicien juin 2011 L’hypogonadisme d’apparition tardive dans cette population augmente significativement la masse musculaire maigre et les performances musculaires, tout en diminuant significativement la masse adipeuse, mais qu’elle n’améliore pas les paramètres métaboliques (dont la tolérance au glucose)11. Certaines études montrent une augmentation de la densité minérale osseuse (DMO) et d’autres pas, alors que certaines études montrent une stabilisation de la DMO. Par contre, aucune étude n’a étudié l’effet de la supplémentation concernant les fractures. La dépression légère semble être améliorée par le remplacement12. Toutefois, il n’est pas clairement démontré que la qualité de vie s’en trouve améliorée de façon notable. D’un autre côté, la supplémentation en testostérone doit être sécuritaire pour être largement recommandée chez les hommes affectés par l’« andropause ». Une récente étude à répartition aléatoire et contrôlée a montré que le remplacement en testostérone, pendant six mois, chez des hommes âgés de 65 ans ou plus avec hypogonadisme (léger à grave) et plusieurs conditions chroniques, est associé à une augmentation des événements cardiovasculaires13. Paradoxalement, des études épidémiologiques montrent que l’hypogonadisme augmente le risque de maladies cardiaques. Par ailleurs, un remplacement en testostérone augmente l’hématocrite et diminue les niveaux de lipoprotéine de haute densité14. Il est donc possible que le traitement augmente les risques cardiovasculaires à court terme, en augmentant la viscosité et la coagulabilité sanguine, alors que les effets à long terme ne sont pas bien connus. Aucune étude à long terme n’a évalué le risque de cancer de la prostate dans cette population à la suite du remplacement, mais plusieurs études à court terme ne suggèrent pas d’augmentation du risque14. Toutefois, un remplacement de testostérone pourrait faire progresser plus rapidement un cancer déjà présent. Il est donc recommandé d’en faire le dépistage chez les hommes de plus de 40 ans, et de suspendre le traitement chez ceux dont le dosage de l’antigène prostatique spécifique augmente de plus de 1,4 ng/mL à la suite du traitement. Traitement de remplacement avec la testostérone La thérapie de remplacement en testostérone est disponible sous plusieurs formes, qui sont rapportées dans le Tableau 1. Toutes sont efficaces, sauf pour certains hommes chez qui l’absorption de la forme orale est trop erratique. Il est primordial de bien s’assurer que le patient ne présente aucune contre-indication (voir Encadré 1). Il faut ensuite entamer le traitement par une faible dose et l’augmenter progressivement. Les thérapies alternatives, telles que la dihydrotestostérone (DHEA), le sulfate de dihydrotestostérone (DHEA-S) et l’androstènedione ne sont pas recommandées, étant donnée l’absence de données scientifiques sur leurs bienfaits et leur qualité très variable. Notez que le remplacement à base de testostérone augmente la sensibilité aux anticoagulants. Une réduction concomitante de la dose de warfarine est donc de mise afin de demeurer dans les cibles. Finalement, l’Encadré 2 présente le suivi suggéré pour les patients sous traitement de remplacement. C Références : 1. Harman SM, Metter EJ, et coll. Longitudinal effects of aging on serum total and free testosterone levels in healthy men. 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