Désinformation, mensonges et compagnie: jusqu`où est

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Désinformation, mensonges et compagnie: jusqu`où est
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21.12.2007
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HigHligHts
Forum Med Suisse 2008;8:6–7
Désinformation, mensonges et compagnie:
jusqu’où est-il permis d’aller?
Antoine de Torrenté
Il y a comme ça des informations qui font bouillir le sang et qui donnent envie, même si c’est
complètement futile, de ne pas laisser passer sans
réagir.
Le numéro 2 de l’année 2007 du magazine américain Skeptic (www.skeptic.com), sous la plume de
Stephen Asma, professeur de philosophie à l’Université Columbia de Chicago, rapporte l’histoire
parfaitement surréaliste du «Creation Museum»
dans le Kentucky (fig. 1 x). Il faut se pincer bien
fort pour réaliser que 27 millions de dollars ont
été investis (par qui?) dans un superbe bâtiment
dont l’unique but est de raconter l’histoire de l’univers, du monde et de la vie au travers des lunettes
obscures de la lecture littérale de la Bible. Stupéfiant …
Figure 1
Creation Museum (à l’extérieur).
Asma rencontre le directeur du musée (prix d’entrée 20 dollars par adulte et 10 dollars pour les
enfants …), un certain Ken A. Ham, et, puisqu’on
navigue au premier degré, lui pose quelques
questions légitimes et fort simples que tout esprit
un tant soit peu éclairé et critique a le droit de se
poser: par exemple, comment emporter sur l’arche
de Noé suffisamment de moutons ou autre source
de viande pour nourrir les animaux carnivores
embarqués tels que Tyrannosaurus Rex, tigres et
lions pendant la longue durée du voyage de
l’arche. Réponse assurée et évidente de Ham:
avant le péché originel d’Adam tous les animaux
étaient herbivores … donc pas besoin de viande.
Mais bien sûr, comment n’y avait-on pas pensé!
Seuls les imbéciles doués un tant soit peu de raison peuvent poser des questions aussi stupides.
Le musée, dans un effort didactique visant la population qu’il faut «éduquer», n’hésite pas à exposer de superbes scènes de la vie sur terre (fig. 2 x):
une famille d’humains joyeusement occupée aux
travaux ménagers devant une caverne bien propre
sous l’œil attendri d’un dinosaure. Que 65 mil-
lions d’années séparent le reptile du mammifère ne gêne en rien Ham et ses adeptes puisque,
comme chacun le sait, la terre a été crée il y a
6000 ans. Rien n’y fait: les travaux des géologues,
paléontologues, physiciens, astronomes, les millions de preuves tangibles de l’évolution et surtout les observations de l’horrible Darwin d’où
vient tout le mal, ne sauraient ébranler les convictions des créationnistes: c’est écrit dans la Bible,
donc c’est vrai. Ce musée (des horreurs …) est en
fait une branche pernicieuse de l’organisation Answers in Genesis (AiG) qui inonde les Etats-Unis
de DVD, de magazines créationnistes publiés
sous la houlette du pernicieux Ham. Il est bien entendu plus facile de faire croire au «jardin enchanté» de Max Weber qu’au «bain froid» de
Stephen Jay Gould qui décrit la nature telle qu’elle
est et l’être humain là où il est: un éclat d’une
microseconde vite apparu et qui disparaîtra probablement tout aussi vite. Mais quelle libération
dans cette attitude dictée par la raison, plutôt que
dans celle de se complaire dans les absurdités de
Ham et de ses comparses.
Une question grave, essentielle, qui serre le cœur
et révolte la pensée, une fois le coup de sang
passé, reste posée: a-t-on le droit d’infliger comme
vérité absolue cette négation de la réalité (même
si celle-ci reste parfois sujette à changement et
c’est bien là sa grandeur) et des faits honnêtement
démontrés, aux enfants qui visitent ce musée, enfants mal armés pour refuser ce fatras de bondieuseries qui pourrait bien s’apparenter à ce que
le philosophe Baudrillard appelle «le meurtre du
réel». A-t-on le droit de sciemment instiller le mensonge et la désinformation, aidé par une machine
riche, puissante et organisée? Aux Etats-Unis, le
chiffre incroyable de 47% d’adeptes du création-
Figure 2
Creation Museum (à l’intérieur).
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HigHligHts
Correspondance:
Prof. Antoine de Torrenté
Ch. de Pouillerel 9d
CH-2300 La Chaux-de-Fonds
[email protected]
nisme est avancé! En Europe, l’idée gagne du
terrain partout: en Allemagne, en Hollande, en
Suisse alémanique où un parc de divertissement
appelé Genesis Land est en projet et vise à présenter l’histoire de l’humanité directement inspirée par la Bible. Comment lutter, comment réagir?
Il ne s’agit en rien de faire du prosélytisme antibiblique mais de reconnaître la réalité. L’Eglise
catholique ne s’y est pas trompée puisque, après
la réunion du Ratzinger Schulkreis de septembre
2006, elle proclame bien fort qu’il n’y a pas de
contradiction entre la théorie scientifique de
l’évolution et la création divine. Alors que faire?
Il faut montrer le vrai! Récemment, j’ai visité avec
mon petit-fils Jonas, sept ans et demi, le Laténium, musée tout récent sur les bords du lac de
Neuchâtel, qui expose superbement l’histoire des
civilisations qui se sont succédées sur les bords
de ce lac au cours des derniers millénaires: les
certitudes, les hésitations aussi quant aux connaissances de ces lointaines périodes sont honnêtement et magnifiquement exposées: l’émerveillement peut naître de la réalité et c’est elle en fait
qui, plus que tout autre montage idéologique dicté
par d’obscures desseins, est la vraie source d’étonnement: je l’ai vu dans les yeux fascinés de Jonas!
Forum Med Suisse 2008;8:6–7
Pourquoi alors falsifier, corrompre et tromper?
Quels tristes motifs poussent à ces manipulations
coupables? Le pouvoir, l’argent et l’influence.
N’a-t-on pas vu une armée entière envahir un
pays tiers au nom de faux arguments? Qui était
le «commander in chief» de cette «croisade»
comme il l’a lui-même appelé? Un ardent défenseur du créationnisme!
Et la médecine et la biologie dans tout cela, me
direz-vous? La tromperie, la falsification, la dissimulation de données financièrement dommageables y ont leur place bien sûr. Combien de
résultats falsifiés (l’affaire Hwang Woo Suk et
les cellules-souches en un sont un récent exemple) trouvent leur chemin dans les journaux
«sérieux»? Combien d’effets secondaires de médicaments passés sous silence par de grands
noms de l’industrie? Combien de traitements
dangereux et inutiles, basés sur des «croyances»
non étayées ni prouvées, dispensés dans certains
cabinets médicaux?
Seule l’honnêteté, la vérité, le doute créatif éviteront que ne prennent le pouvoir ceux dont les
«croyances» seraient prêtes à nous offrir un nouveau procès de Galilée!