Imaginaire du métier de danseur
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Imaginaire du métier de danseur
Le 10 juin 2011 Séminaire « Eléments pour une histoire du métier de danseur » Commentaire d’un document distribué lors du séminaire : Choix : Bulletin Officiel 170- novembre-décembre 2008. Ministère de la Culture Annexe de l’arrêté du 23 décembre 2008, relatif au diplôme national supérieur professionnel de danseur et fixant les conditions d’habilitation des établissements supérieur à délivrer ce diplôme. Métier « Danseur ». 1. Définition « La professionnalisation d’un art procède d’une autonomisation de l’esthétique ainsi que d’une spécialisation des activités contenues dans un domaine artistique : la théorisation, l’enseignement, la recherche esthétique. »1 Max WEBER Le métier est-il une légitimation, une émancipation, un partage, une vocation, une exclusion ? C’est ce qu’aujourd’hui nous essayons de soulever comme mystère en ce qui concerne le métier de danseur. Avant de pouvoir faire un commentaire pertinent sur ce bulletin officiel du Métier « Danseur », il m’a fallu résumer l’historique livré du métier de danseur lors des différentes rencontres avec les chercheurs au sein du séminaire. Chacun a contribué, par son travail, à éclairer divers pans de la problématique. Les pistes exposées, il s’est plus s’agit d’établir l’historicisation du métier de danseur depuis l’époque de Louis XIV jusqu’à nos jours. Il me revient aujourd’hui de tenter de comprendre le texte du Bulletin Officiel 170 – Métier « Danseur » au prisme de l’histoire de ce métier. 1 Max Weber, Sociologie de la musique. Les fondements rationnels et sociaux de la musique, Paris, Métailié, 1998. 1 Dans notre contexte spécifique, il semble préférable de rappeler, de manière succincte, quand apparaît le métier de danseur, de souligner la différence entre profession et métier pour ensuite clore cette introduction sur la signification du mot danseur. Suite à un débat ouvert, les participants convergent vers l’apparition du métier de danseur au XVIIème siècle, nommé comme « maître à danser » selon un dictionnaire Italien du XVIIème siècle. Ce n’est qu’au XIXème siècle que le métier de danseur est reconnu pour les danseurs. La danseuse, quant à elle, n’apparaît qu’au XIXème siècle. L’intervention de Vanina Olivesi, permet de clarifier la distinction entre métier et profession entre le XVIIème et le XVIIIème siècle. Le métier représente les « arts mécaniques », autrement dit le travail manuel. La profession appartient aux arts libéraux, inscrits dans l’activité intellectuelle et noble. Si l’on s’en remet à cette citation : « Celui qui danse. Celui qui fait métier de danser »2, la danse est un métier, soit un art mécanique et manuel. Quant à la définition du danseur, dans le TLFI de 2011, la définition de danseur est « Personne dont la profession est la danse (…) ». Du métier de danseur, nous passons à profession de nos jours dans les dictionnaires. Mais comment le Bulletin Officiel 170 – définit-il le « métier » de danseur ? : « Le danseur est un artiste interprète ». Les mots métier et profession présents dans les définitions des dictionnaires, sont rayés ; à la place on parle d’art « artiste », et de hiérarchie « interprète ». Il me revient à présent d’appréhender le texte du métier de danseur du Bulletin Officiel 170 à partir de la question générale : quel imaginaire du métier de danseur véhicule ce Bulletin Officiel dans la partie définition ? La définition du métier de danseur du Bulletin Officiel 170, développée en cinq paragraphes, présente un aspect beaucoup plus juridique et économique qu’artistique. En effet, même si le bulletin officiel est écrit pour légiférer le métier de danseur, certaines dimensions sont presque occultées dans la définition. Par exemple la dimension artistique qui pourrait être un critère de loi pour le métier de danseur, 2 Pierre Richelet, Dictionnaire Français, 1680, T.1. p208. 2 comme nous l’avons vu pour certains critères de maître à danser au XVIIème et XVIIIème, est développée au II. Référentiel d’activités professionnelles et référentiel de certification, du bulletin. Autrement dit, les critères de beauté, de technicité, de rigueur et de disciplines ne sont plus au cœur des qualités premières exigées pour le métier ou décrivant le métier de danseur. Hormis les termes « artiste interprète » et « travail de création » aucune valeur créatrice n’y est mentionnée. Quel terme est conservé entre profession et métier ? Dans le titre, nous l’avons vu, est stipulé le mot « métier ». Dans le corps de texte de la définition, il est cité une seule fois : « une des spécificités du métier de danseur ». Les mots les plus usités sont : « activité » (5 fois), « travail » (ou travailler) (3 fois), « exercer » (3 fois), « fonctions » (1 fois), « carrière » (2 fois). Cette diversité des termes met l’accent sur le profil caméléon du danseur. Il est clairement explicité que le danseur a deux carrières : « une des spécificités du métier de danseur est d’avoir à exercer le plus souvent une seconde carrière professionnelle après sa carrière d’interprète ». Il y va de la « reconversion » à la « réorientation professionnelle ». Autrement dit il est implicitement considéré que les institutions requièrent de jeunes talents pour exercer le métier de danseur. Au-delà d’un vocabulaire usité à bon escient, définir le métier de danseur, selon le Bulletin Officiel 170, revient à énumérer divers critères : l’espace, le public, le genre chorégraphique, l’économie et la politique. Reprenons ces points et développons les exemples du texte. La dimension spatiale, dégagée dans ce bulletin, n’est autrement présente que pour souligner les nombreux espaces où le danseur a le droit d’évoluer. Deux grands groupes d’espaces : sur une scène, d’abord, mais aussi en dehors du plateau « milieux scolaires, hospitalier, carcéral ». Le danseur s’adapte par rapport à l’espace qu’il appréhende corporellement ainsi qu’au « public ». A deux moments, dans le premier paragraphe, le mot « public » est cité : « devant un public » et « configurations variées par rapport au public ». Le métier de danseur dépend d’un espace, d’un public, et se construit à partir d’un genre chorégraphique. Les catégories sont mentionnées de la sorte : « Les danseurs permanents recrutés dans les ballets sont pour les 2/3 d’entre eux des danseurs classiques. La moitié des danseurs non permanents se produisent principalement en 3 danse contemporaine. Plus d’un quart des danseurs vont pratiquer le jazz, le cabaret ou la revue. » Imperceptiblement un discours est construit autour de ce métier de danseur. Le danseur est « recruté » pour la danse classique (2/3), le danseur « se produit » en danse contemporaine, et enfin le danseur « pratique » le jazz, le cabaret ou la revue. Autrement dit une hiérarchie est perceptible lorsque l’on s’attarde un peu sur les termes et le jargon utilisé. En effet, « recruter » implique un emploi et salaire, « se produire » renvoie à une activité occasionnelle rémunérée, et enfin « pratiquer » évoque le loisir. Au sein même de ces catégories, d’autres interagissent, non plus au niveau du genre chorégraphique, mais du statut économique : danseurs permanents / non permanents. Les danseurs classiques sont quelque peu protégés de la précarité, car les 2/3 d’entre eux sont permanents. Le danseur contemporain représente la moitié des danseurs non permanents. Enfin, pour les danseurs « d’autres esthétiques », leur statut n’est pas précisé. Ces divisions rejoignent clairement celles du genre chorégraphique. Pour les danseurs classiques on occulte le statut non permanent contrairement aux danseurs contemporains pour lesquels on ne présente que les non permanents. Le métier de danseur se construit implicitement plus, selon la définition, à partir du danseur classique que de tout autre danseur. C’est à dire, sans le danseur classique, la danse n’aurait peut-être pas de métier à proprement parlée. Que nous révèle cette analyse pointilleuse sur les termes et leur utilisation ? Elle permet de peser une hiérarchie latente entre les esthétiques, entre les reconnaissances salariales ou statutaires et étrangement ne mentionne à aucun moment le statut d’intermittent, aide gouvernementale tant enviée de nos pays voisins. A travers les différents points énoncés au début de la réflexion, et suite à notre analyse de la définition : le métier de danseur est-il une légitimation, une émancipation, un partage, une vocation, une exclusion ? Nous allons reprendre les différentes idées de la définition et les mettre au regard de ces mots et concepts. Le métier de danseur, est aujourd’hui, comme il l’a été dans les lettres patentes, ou dans d’autres écrits royaux, considéré et légitimé par le pouvoir en vigueur. Cela permet alors aux danseurs eux-mêmes de pouvoir passer de la légitimation de danser et d’être danseur par vocation, à la reconnaissance du métier de danseur. La danse, souvent légitimée pour vocation, est reconnue comme métier, et donc évite aux danseurs une exclusion. Cette dernière est évitée au niveau sociale, mais non 4 économique. Comme nous l’avons vu, un trop grand nombre de danseurs dépendent du statut non permanent qui rend leur existence précaire. Cela complète la difficulté du danseur à être émancipé « La professionnalisation d’un art procède d’une autonomisation de l’esthétique ainsi que d’une spécialisation des activités contenues dans un domaine artistique : la théorisation, l’enseignement, la recherche esthétique. »3 Le métier de danseur, pourrait être considéré comme une professionnalisation de l’art de la danse, car il pousse à son autonomisation esthétique et à sa spécialisation des activités. Cette professionnalisation n’est qu’historiquement récente, début du XXème siècle, qui est allée crescendo grâce à la légitimation du métier de danseur. Le métier de danseur apparaît teinté de liberté au niveau de la création, de l’espace de création. L’imaginaire de ce métier qui se dégage à travers ce texte juridique, n’est autre que le reflet de conflits et de problématiques perpétuels auxquels sont confrontés les danseurs, de quelques genres chorégraphiques qu’il soit. Ils sont face à des difficultés réelles au niveau : de la « vocation » qui devient une double carrière, des statuts qui deviennent précaires au sein même de leur milieu de travail et de la faible reconnaissance dû au peu d’ouverture donnée à leur « reconversion » et/ou « réorientation ». L’Histoire et le temps ont tout de même apporté une évolution dans le genre et la sexualisation de la danse, la distinction de l’exécutant, qu’il soit homme ou femme n’est pas un critère de reconnaissance dans le métier. 3 Max Weber, Sociologie de la musique. Les fondements rationnels et sociaux de la musique, Paris, Métailié, 1998. 5