Télécharger le discours - Fondation pour le droit continental

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Discours Congrès CNB 9 octobre 2015
Madame le ministre,
J’avais une seule chose à vous dire. Qui tient en deux mots : aide juridictionnelle.
Encore. Toujours.
Notre journée est consacrée à la sécurité juridique.
Mais l’aide juridictionnelle s’est invitée à ce débat.
1) Vous soutenez que vous êtes le premier ministre de la justice depuis longtemps à
vouloir réformer l’aide juridictionnelle. Vous avez déclaré récemment que « si l’on
n’arrive pas à faire cette réforme, les avocats auront raté le seul garde des Sceaux qui
aura voulu consolider l’AJ en concertation avec eux ».
Et vous prétendez que la mesure indispensable consiste à prélever une taxe sur la
profession elle-même. Vous demandez par conséquent aux avocats de payer un tribut
pour exercer leur profession. Cette situation est inédite. C’est comme si on demandait
aux médecins de participer au comblement du trou de la sécurité sociale pour pouvoir
continuer à exercer.
L’Etat est-il capable d’expliquer, dans un instant de raison, pourquoi il décide de faire
peser sur les avocats le financement d’une solidarité qui lui incombe à lui seul ?
Je sais que vous répondez à cela que les médecins concourent à l’internat.
Mais cet argument est inexact. En effet, l’Etat finance la formation des médecins dans
son intégralité. Et l’Etat ne participe plus en rien au financement de la formation des
avocats.
En revanche, des milliers de confrères, chaque jour, soutiennent les justiciables les plus
démunis pour les défendre et les assister devant toutes les juridictions et dans toutes les
circonstances.
La profession participe largement au financement de ces missions.
Vos propres services ont d’ailleurs évalué cette participation à 17 millions d’euros par
an.
Pour ce faire, les bâtonniers organisent les permanences d’avocats. Ils les désignent.
Les ordres d’avocats se mettent au service des tribunaux, avec leurs cabinets, leurs
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secrétariats, qu’ils rémunèrent. Ce sont nos personnels, Madame la ministre, et non pas
les vôtres, qui assurent le service public pour l’aide juridictionnelle.
Tous les confrères, les cabinets, gros ou petits, quel que soit leur domaine d’activité,
qu’ils exécutent ou non des missions d’aide juridictionnelle, concourent au financement
de ces missions.
C’est l’honneur des avocats d’aider nos concitoyens à accéder au droit et à la justice. Ils
le font dignement et humainement, avec compétence et conscience.
2) J’en profite pour tordre le cou à un EDL comme on dit aujourd’hui, un élément de
langage que vous utilisez Madame la ministre. Il s’agit d’un chiffre que vous avancez,
sans que l’on connaisse la source ou la date de cette donnée, selon lequel « 7% des
avocats réalisent 57% des missions (d’aide juridictionnelle), ce qui démontre une
disparité encore importante dans la prise en charge des missions de la l’AJ entre les
cabinets ».
7% des avocats cela veut dire 4340 avocats, Madame la ministre.
Or les données de la profession issues de l’UNCA (Union nationale des caisses de
règlement des avocats) montrent que, en 2014, 26.174 avocats ont réalisé au moins
une mission d’AJ, soit 41,5% des avocats. Où sont les 7% avancés Madame la
ministre ?
3) Maintenant, j’entends dire que nous aurions de l’argent dans des caisses. Ces
caisses s’appellent des CARPA.
On nous dit que ces Caisses, qui recueillent les fonds destinés à nos clients, feraient
des profits anormaux et excessifs qui permettraient largement de financer l’aide
juridictionnelle.
Quelle est la réalité ?
Vous ne pouvez ignorer que nos Caisses de règlement, les CARPA, gèrent, à votre
demande, les fonds d’indemnisation.
Vous ne pouvez ignorer que la Cour des comptes a commis un rapport favorable aux
CARPA et révélant que cette gestion représente un coût pour nous.
Vous ne pouvez ignorer que les CARPA assurent la représentation des fonds qui
reviennent aux clients, la sécurité des transmissions de ces fonds et de l’exécution des
décisions de justice. (Les produits financiers des CARPA servent à financer la gestion
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de l’aide juridictionnelle). Aucun de nous ne peut accepter que, directement ou
indirectement, il nous soit fait le reproche de cette gestion.
Mais qu’est-ce qu’on nous demande ?
Je lis sur le site du ministère de la justice qu’en 2016 nous serons à 405 millions d’euros
pour l’AJ, soit une augmentation de 8%. En outre, vous avez déclaré que l’équilibre de
la réforme sera atteint car « l’Etat mettra au pot 40 millions d’euros pour 2016-2017 ».
Et vous nous demandez 15 millions d’euros sur deux ans pour contribuer au
financement de l’aide juridictionnelle.
Pourquoi nous les demander si le budget augmente ?
Donc vous nous faites payer pour exercer notre profession.
Nous ne l’acceptons pas.
4) Plus encore. Vous ajoutez que « la profession doit prendre conscience que l’AJ
constitue aussi pour elle une dépense d’intérêt collectif et que (les avocats) sont tenus
par la loi et par leur propre serment de participer efficacement à l’exercice de ce service
public ».
Je n’ai pas trouvé de textes qui nous contraignent à cela. Sans doute faites-vous
référence à notre vocation. Nous la connaissons. Et il n’était pas nécessaire de vous y
référer de cette manière.
5) En tout cas, l'Etat se décharge sur notre profession de la prise en charge financière
de ses missions qui relèvent du service public.
Ce transfert combiné à la réforme de la postulation et de l'implantation des juridictions
constitue un cocktail explosif.
Mettons les choses au clair :
- Qu’on ne vienne pas aujourd’hui nous parler de solidarité à l’heure où,
paradoxalement, votre gouvernement porte atteinte aux valeurs sociales qui sont
censées être au fondement de sa doctrine. Sur quel ton faut-il rappeler à ce
gouvernement que l’accès au droit et à la justice est essentiel dans une société
démocratique et qu’une économie sociale et solidaire ne peut laisser les plus fragiles de
ses citoyens aux portes des juridictions ?
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- Stigmatiser les avocats sur les flux financiers des CARPA n’est pas acceptable. Vous
devez faire preuve d’honnêteté et vous intéresser aussi aux fonds détenus ou maniés
par les autres professions juridiques (notaires, huissiers) pour leurs clients.
- Les avocats assurent un maillage territorial qui permet à chaque personne, où qu’elle
se trouve, d’être conseillée, assistée et défendue par un avocat.
A cet égard, l’Etat a des obligations pour assurer à tous les citoyens un égal accès au
droit. Nous disons clairement à l’Etat qu’il doit assumer ses responsabilités, cesser de
se désengager, et rechercher des sources de financement pour l’aide juridictionnelle,
même si cela pèse sur les finances publiques. C’est son obligation constitutionnelle et
l’Europe l’y contraindra bientôt.
- Nous refusons la révision du barème qui se traduit par une diminution du nombre d’UV
dans les missions civiles et pénales les plus courantes déjà sous-évaluées.
- Nous refusons que le budget de l’aide juridictionnelle prenne en charge la rétribution
des médiateurs non avocats et des associations.
- Nous ne comprenons pas l’annonce du relèvement du plafond d’admission à l’aide
juridictionnelle totale sans traduction budgétaire correspondante.
- Nous refusons toute contribution financière directe de la profession au budget de l’aide
juridictionnelle.
L’accès au droit et la réforme de l’aide juridictionnelle doivent être appréhendés comme
une politique nationale prioritaire.
6) Je vous rappelle, une fois de plus, que nous proposons une réforme globale de l’aide
juridictionnelle et de l’accès au droit.
Elle peut être financée notamment par la taxation des actes juridiques alimentant un
fonds d’aide juridique, et une extension de l’assurance de protection juridique.
Ces dispositifs de financement proposés par la profession n’ont toujours pas été étudiés
de bonne foi par les pouvoirs publics. Le veto gouvernemental sur le financement par le
budget de l’Etat ou par des taxes parafiscales prive de tout intérêt les discussions sur
une réforme d’envergure.
7) Vous avez déclaré qu’il « n’y aura pas de brutalité et que si les avocats ne veulent
pas qu’on réforme, on ne réformera pas. »
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Je le dis calmement, mais fermement :
Oui, Madame la ministre, dans les conditions que vous présentez, nous ne voulons pas
de cette « réforme ».
Nous allons vous rendre la gestion de l’aide juridictionnelle et l’Etat va devoir se
débrouiller et y affecter les agents en nombre suffisant. A lui de prendre en charge les
demandes des justiciables, toutes leurs demandes.
Mes Chers Confrères,
Cette crise qui nous est imposée
Le combat qui nous est infligé
Ne peuvent nous empêcher d’aborder notre avenir et de rechercher ensemble une
vision commune de notre exercice.
La profession d’avocat ne peut pas être identifiée à un sujet de conflit tandis qu’elle
déploie ses compétences en tous domaines,
Et qu’elle apporte aux individus, aux prestataires économiques de toutes tailles, en
France, en Europe et dans le monde, son expertise.
Tel est le sens de notre congrès : la sécurité juridique.
Constamment identifiés à nos robes, nous pouvons rappeler ici que l’avocat est un
défenseur, un représentant, un conseil.
Nous rappelons aussi que présents partout sur les territoires notre lien avec nos clients
procède de notre compétence et d’elle seule.
Les incertitudes liées aux évolutions des réformes territoriales nous ont conduits à
développer les modes modernes et innovantes qui résultent des nouvelles technologies.
La concurrence exigée notamment des conceptions communautaires des prestations
juridiques nous impose de dominer chaque jour le marché du droit.
Elle nous impose de lutter en présence de nouveaux concurrents.
Tous les jours nous lisons que l’économie domine, que le marché « s’ubérise » et que
l’adaptation de l’offre est indispensable aux demandes de marché.
Ces pratiques et exigences nouvelles nous ont contrariés.
Nous avons su dominer nos craintes.
Nous allons poursuivre ce mouvement d’adaptation.
Nous allons entrer dans le millénaire du big data.
Nous y sommes entrés.
Tous nos projets et toutes nos pratiques se réunissent autour de nos valeurs communes
et de notre déontologie.
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Elles sont l’exemple que la profession d’avocat offre à tous ses concurrents et à tous
ses partenaires.
J’aime la profession d’avocat
. Lorsqu’elle se lève pour soutenir des millions de réfugiés actuels et à venir.
. Lorsqu’elle poursuit avec tous ses partenaires de tous les continents, son combat
contre la peine de mort et les abominations que la nature humaine entretient depuis
toujours et dont il relève de la naïveté ou de l’inconscience d’imaginer qu’elle les réduira.
. Lorsqu’elle soutient que la société consensuelle est probablement la meilleure, qu’elle
doit s’investir dans la médiation, la conciliation et la procédure participative.
Mais je prétends qu’elle doit exiger la présence de juges nombreux et compétents dont
la mission n’est pas celle d’une assistante sociale mais celle d’un régulateur social
respecté qui dit quels sont les droits et quelles sont les obligations de chacun des
acteurs sociaux et économiques.
J’aime aussi la profession d’avocat lorsqu’elle accompagne les entrepreneurs dans la
création de leurs structures partout en France et dans le monde.
Ils sont tous confrères ceux qui combattent devant les tribunaux et ceux qui luttent sur
les fronts économiques.
J’aime ma profession lorsqu’elle créé le lien entre la nature humaine et le monde qui
change.
Je veux encore partager avec vous une magnifique nouvelle qui honore nos confrères
tunisiens et la profession d’avocat.
Le Prix Nobel de la Paix a été attribué ce matin au quartet qui mène le dialogue national
en Tunisie pour y construire une démocratie pluraliste après la révolution du jasmin de
2011.
L’Ordre national des avocats de Tunisie est l’un des membres de ce quartet.
Je tiens à exprimer notre fierté de voir que le rôle des avocats en tant qu’artisans de la
paix est reconnu.
Je porterai ce message auprès de nos confrères tunisiens.
Mes Chers Confrères,
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Un ministre peut venir ou bien s’en abstenir.
Un gouvernement peut agir ou même y renoncer.
Un parlement peut obéir et même résister.
Mais chacun d’eux, chacun de ses membres sait que le pouvoir qu’il croit détenir est
éphémère.
Chacun sait que le temps politique est compté.
Chacun sait que chaque soir la lumière faiblit.
Les avocats savent en revanche
-
Qu’en ne détenant aucun pouvoir,
Qu’en se comportant en êtres libres
Qu’en luttant chaque jour pour leur indépendance
Ils assurent à la démocratie ce que nos valeurs intransigeantes lui réservent : l’éternité.
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