Andalousie 8

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Andalousie 8
Al-Andalus et le tourisme en Andalousie
par Sébastien Patacq
L'Alhambra depuis l'Albaícin à Grenade (cliché de l'auteur)
Rares sont les touristes entrant pour la première fois dans la ville de Grenade sans ressentir
une soudaine excitation en apercevant l'austère silhouette de l'Alhambra et en imaginant ses
trésors cachés. A tort ou à raison, l'Alhambra reste le symbole d'un paradis perdu. L'Espagne
musulmane occupe une place spécifique dans l'histoire espagnole et suscite autant
l'admiration que le rejet dans l'imaginaire national. L'Andalousie contemporaine a hérité de
cette tension schizophrène qui prend une forme nouvelle dans la promotion touristique dans
laquelle œuvrent divers acteurs et institutions, souvent concurrents.
L'identité andalouse ne se laisse pas saisir facilement. Plusieurs civilisations se sont succédées
et combattues sur le territoire andalou, de la mythique Tartessos à la colonisation castillane
substituant les cadres chrétiens à l'islam dans le royaume de Grenade. Entre temps,
l'Andalousie est colonisée par les Ibères, les Phéniciens, les Grecs, les Romains, les
Carthaginois, les Byzantins, les Wisigoths et les musulmans Arabes et Berbères. Pour
diversifier leur offre touristique, les territoires andalous essaient de déterrer ces anciennes
civilisations par différents moyens et ressusciter leurs patrimoines. La période andalusí tient
une place de première importance. En témoigne le nom même de la région et le distinguo
lexical effectué en espagnol entre l'andalou et l'andalusí : l'andalou est relatif à l'Andalousie
en général tandis que l'andalusí relève spécifiquement de la partie musulmane de l'Espagne
médiévale, qui ne se limitait pas à l'Andalousie actuelle.
Dans quelles contextes politique, social et économique les acteurs du tourisme andalou
instituent-ils leurs stratégies patrimoniales et touristiques ? Comment les acteurs parviennent-
ils à sensibiliser et intéresser les touristes au passé spécifiquement andalusí ? Ces questions
relèvent d'une problématique de fond qui vise à comprendre les dynamiques de transformation
du secteur touristique dans les territoires andalous contemporains et surtout à saisir les
composantes de la patrimonialisation à l'œuvre. L'enjeu sous-jacent est de savoir si la
patrimonialisation est le résultat de l'ouverture touristique de l'Espagne ou si elle procède
d'une politique reflétant la conscience andalouse de l'histoire, si elle est le résultat d'une
logique strictement touristique ou de stratégies d'acteurs territoriaux et professionnels
concurrents, voire antagonistes. Cet article d'approche, qui inaugure un travail de thèse, essaie
de problématiser la patrimonialisation en Andalousie en fonction du contexte touristique et
d'une histoire déjà longue de la construction sociopolitique de l'identité andalouse. C'est
pourquoi, après avoir présenté les liens historiques de cette identité avec le patrimoine
andalusí, nous étudierons la rupture instaurée par les politiques de tourisme de masse et,
enfin, les nouvelles formes de patrimonialisation du passé andalusí dans un contexte de
mutation du secteur du tourisme.
L'identité de l'Andalousie
L'identité andalouse est plurielle et composite. Elle ne peut se laisser résumer facilement.
Pourtant, le tourisme la réduit souvent à une imagerie codifiée et à un imaginaire empreint de
mystère et de sensualité. La question qui se pose est donc celle de l'exploitation de cette
identité, voire de sa solubilité dans le tourisme, pour ainsi dire.
Le romantisme européen, avec sa fascination pour l'Orient et le Moyen Âge, se passionna
pour Grenade et l'Andalousie. Les récits de voyage des écrivains et peintres français, anglais
et allemands, au XIXème siècle, foisonnent de détails pittoresques et essaient constamment de
percevoir les héritages arabes et maures derrière la réalité andalouse du XIXème siècle. Le
patrimoine islamique est valorisé par les descriptions mêlant la légende et le fait historique.
Les Français Chateaubriand, Théophile Gautier, Girault de Prangey, l'Anglais Owen Jones et
l'Américain Washington Irving, pour ne citer que quelques noms, contribuèrent à faire de
l'Andalousie le principal marqueur identitaire de l'Espagne et à révéler l'empreinte de l'Orient
sur la culture andalouse. Tourisme et patrimoine culturel naquirent conjointement dans le cas
de l'Espagne. On peut dire que le fantasme d'al-Andalus a contribué à la naissance du
tourisme en Andalousie.
Les Andalous se réapproprièrent ensuite leur propre identité, en grande partie à travers la
lecture des ouvrages romantiques, souvent à l'étranger, et la brandirent contre l'oppression
centrale de la Castille. La promotion de l'identité andalouse fit son grand retour durant la
Transition espagnole, après la mort de Franco (1975), et permit à l'Andalousie d'obtenir
finalement un Statut d'autonomie importante au début des années 1980. Or " le Père de la
Patrie Andalouse ", Blas Infante, reconnut l'importance de l'héritage d'al-Andalus dans
l'identité andalouse. Il insista sur la place cardinale de l'islam médiéval dans la formation
territoriale et culturelle de l'Andalousie. De même, les historiens espagnols reconnaissent
tous, non seulement l'importance de l'histoire médiévale pour la formation de l'Espagne, mais
également celle de la présence de l'islam qui lui confère sa spécificité radicale par rapport au
reste de l'Europe. Ce double constat est partagé par les deux grands historiens espagnols du
XXème siècle, Claudio Sánchez-Albornoz et Américo Castro, malgré leur opposition frontale
sur le statut de l'islam (1).
Il semble donc que, même expulsée du territoire espagnol, la civilisation de l'islam reste
présente et nourrit la matrice identitaire andalouse, tout en étant refoulée. L'anthropologie de
la culture andalouse naquit à travers les études du folklore local. Plus récemment, José
Antonio González Alcantud mit en évidence la permanence, depuis la Reconquête castillane,
de l'altérité refoulée, représentée par la figure du Maure, dans la conscience tronquée des
Espagnols. Si bien que la civilisation de l'islam andalou fascine et continue de faire peur dans
la conscience andalouse contemporaine. Le spectre andalusí n'est toléré que dans l'imaginaire
et continue souvent à être rejeté comme étranger à l'identité espagnole. D'où l'ambiguïté, voire
la schizophrénie de l'identité andalouse qui promeut l'héritage islamique tout en le modelant
selon ses besoins identitaires. L'imaginaire andalusí se développe sous la forme d'un
fantasme. Mais la civilisation andalusí est rarement mise en valeur, dans le secteur
touristique, pour elle-même et reste réservée à des initiés.
Cependant, cet héritage s'avère fécond dans le contexte contemporain. Il servit la cause
autonomiste à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Certains territoires étaient
également sensibles au message de partis politiques nationalistes andalous qui exaltaient la
filiation musulmane de l'Andalousie. Mais surtout, cet imaginaire intéresse les rapports
diplomatiques avec l'Afrique du Nord, le Maroc surtout, et d'autres pays du pourtour
méditerranéen, comme la Syrie. L'Espagne constitue une porte sur l'Orient pour l'Europe ;
l'Andalousie représente le paradis perdu de la grande époque andalusí pour la conscience
arabo-musulmane au sud de la Méditerranée. Ce que le tourisme essaie d'exploiter.
Le tourisme en Andalousie
Lorsqu'on parle du tourisme espagnol, on ne pense pas forcément au riche patrimoine
espagnol. Le tourisme de masse a bouleversé les équilibres sociaux et écologiques de
nombreux territoires et essuie des critiques toujours plus acerbes. A l'origine, le tourisme de
masse en Espagne fut lancé par le régime franquiste dans les années 1950, lorsque l'Espagne
était à la recherche de devises pour financer son économie. En 1962, la campagne España es
diferente marque le lancement de la promotion touristique de l'Espagne à l'étranger.
L'Espagne insiste sur sa différence par rapport aux autres pays européens. Les îles Baléares et
Canaries, la Catalogne et le littoral valencien concentrent la majorité des flux touristiques
étrangers. Les résultats de l'Andalousie restent modestes mais permettent à certains territoires
de rentrer dans une dynamique de croissance : dans la province d'Almeria, par exemple, le
revenu par tête est multiplié par 7,41 dans les années 1960 et 1970 (2). La Costa del Sol, dans
la province de Málaga, est aménagée en grande partie par les entreprises de l'homme d'affaires
catalan José Banús. Les entreprises Constructora de Andalucía la Nueva, Banús Spada, El
Rodeo, Playas Españolas, Puerto Banús de Andalucía la Nueva… commencent à transformer
le littoral autour de Marbella à partir de 1960. Le tourisme change la physionomie paysagère
et sociale de territoires entiers, principalement sur les littoraux. La Costa del Sol est
emblématique de ce processus. Entre 1960 et 1972, la fréquentation passe de 233 000
visiteurs à deux millions et demi (3). L'urbanisation touristique, vilipendée aujourd'hui pour sa
laideur et la dégradation écologique des littoraux, empiète considérablement sur les terres
agricoles. La côte entre Torremolinos et Fuengirola est entièrement urbanisée. Le processus
affecte également les équilibres sociaux. A Mijas, dans la province de Málaga, on compte
75% d'actifs dans l'agriculture en 1960 ; en 1970, ils ne représentent plus que 8%, tandis que
47% travaillent dans le secteur secondaire et 44,2% dans le tertiaire (4). Le littoral de Málaga
polarise une bonne partie des migrations des Andalous, non seulement de la province mais
aussi des provinces limitrophes. Des colonies étrangères se forment également sur le littoral.
Les Anglais, Allemands et Néerlandais vivent entre eux dans des lotissements de standing et
des services sont créés spécifiquement pour leurs communautés sédentarisées. Le journal Sur
in English en est un exemple. Les universités anglophones de Marbella en sont d'autres.
L'anglais est devenu la deuxième langue de la côte et bien des anglophones n'essaient jamais
de se mettre à l'espagnol.
L'Espagne entreprend son ouverture européenne par le tourisme sous le ministère de Manuel
Fraga Iribarne (1962-1969). La tendance se renforce après la mort de Franco, au moment où
se dessine la nouvelle carte politique et administrative du pays. L'Autonomie andalouse
acquiert de nouvelles compétences en matière fiscale, de politiques touristiques et culturelles.
Pour autant, les nuisances engendrées par les investissements dans le tourisme de masse sont
immenses. Les côtes de Málaga et Almeria sont défigurées. La spéculation et la corruption se
sont durablement installées dans les territoires touristiques. Les constructions littorales ne
respectent pas toujours la législation et plusieurs affaires de constructions illégales ont été
dénoncées. Ainsi, là où le tourisme de masse a transformé les territoires et les équilibres
sociaux de manière durable, le secteur a durablement affecté les externalités qu'il exploite.
Les grands ensembles touristiques de l'Andalousie sont concentrés sur les littoraux des
provinces de Málaga, de Grenade et d'Almeria, dans la vallée du Guadalquivir et à Grenade
même. L'Autonomie totalisait plus de 17 millions de visiteurs en 2009 (janvier-août). Les
villes comme Séville, Málaga, Cordoue et Grenade disposent d'un parc hôtelier important,
surtout à Séville. Les villes concentrent un patrimoine matériel et immatériel considérable.
Dans le mouvement de dénonciation du tourisme de masse, les campagnes essaient de
proposer une offre variée, mais les visiteurs dans l'arrière-pays de Malaga ou de Grenade,
voire de Séville et Cordoue sont des excursionnistes centrant leurs séjours sur Séville ou
Grenade. Pour prendre le cas de Ronda, dans la province de Málaga, ancien bastion maure
repris en 1485, peu avant la prise de Grenade, ou les autres villages blancs des provinces
adjacentes, les touristes logeant sur place sont moins nombreux que les excursionnistes. La
plupart des visiteurs proviennent de Séville et de la Costa del Sol. Les localités andalouses
comptent beaucoup sur les certifications et les classements patrimoniaux pour attirer les
touristes ou, au moins, de nombreux excursionnistes. On y retrouve alors l'imaginaire
patrimonial andalou exprimant de manière paradoxale l'identité espagnole, la différence
andalouse et la filiation plus ou moins directe avec l'héritage médiéval. La candidature au
classement de l'UNESCO qualifie ainsi la ville de Ronda d' " âme de l'Andalousie ". La ville
possède les plus vieilles arènes d'Espagne (1785) et présente un charme typique reposant sur
un patrimoine d'origine maure : une vieille-ville assise sur un rocher, des palais de la
Renaissance (mudéjars) construits sur d'anciens palais maures, une porte almohade et des
habitations troglodytes en contrebas. Par ailleurs, la ville de Ronda est également symbolique
pour la construction du nationalisme andalou du début du XXème siècle, sous l'égide de Blas
Infante.
Patio du jardin du Palais de Mondragón, Ronda (cliché de l'auteur)
Les collectivités locales essaient de créer des offres d'écotourisme susceptibles d'attirer des
touristes en quête d'expériences nouvelles. Des syndicats et associations naissent dans les
campagnes, notamment dans les zones montagneuses présentant des particularismes
géographiques et culturels. L'exemple le plus intéressant est celui des Alpujarras, à cheval sur
les provinces de Grenade et d'Almeria. Il s'agit de l'espace situé entre la côte et la Sierra
Nevada. Les initiatives d'écotourisme espèrent dynamiser ces territoires passablement
enclavés en promouvant des activités sportives et de découverte du patrimoine. Ce territoire,
de même que l'est de la province de Málaga (la Axarquía), essaie de valoriser son
particularisme revendiqué depuis la guerre des Alpujarras de 1568. Les Morisques (anciens
musulmans convertis au catholicisme et crypto-musulmans) se révoltèrent contre la
colonisation castillane et leur défaite entraîna leur expulsion tragique vers d'autres régions
d'Espagne. La mémoire des Morisques y est soigneusement entretenue, voire inventée, que ce
soit par l'architecture des villages, leur patrimoine agricole ou les manifestations culturelles en
rapport avec le passé morisque. Mais, bien que lié à al-Andalus, le passé morisque n'en fait
pas partie au sens strict.
Le potentiel patrimonial du passé andalusí
Cordoue et Grenade, Séville et Málaga dans une moindre mesure, sont spontanément
associées à l'époque andalusí. L'ancienne Grande Mosquée de Cordoue et l'Alhambra de
Grenade, le monument le plus visité d'Espagne, attirent chaque année des milliers voire des
millions de visiteurs qui estiment que ce patrimoine vaut le déplacement. Le Laboratoire de la
" Soutenabilité " du Monument de l'Alhambra signale que le site patrimonial a accueilli 1 129
436 visiteurs durant le premier semestre de 2011, ce qui représente une augmentation de
9,07% par rapport à 2010, alors que le tourisme espagnol subit un léger recul à cause de la
crise économique mondiale. 90 000 visiteurs ont été enregistrés durant la seule Semaine
Sainte. 3 345 311 visiteurs ont été comptabilisés pour l'année 2010. L'Alhambra continue de
fasciner et de représenter un îlot imaginaire du paradis perdu que cherchent de nombreux
touristes. Pourtant, le complexe monumental est surchargé de touristes et la Cour des Lions, le
joyau de l'Alhambra, est en travaux depuis des années.
Ainsi donc, le passé et l'imaginaire d'al-Andalus représentent clairement une alternative
crédible pour renouveler l'offre et les pratiques du tourisme en Andalousie. Différents acteurs
andalous tentent d'exploiter l'identité de leur territoire, ce qui ne va pas sans problèmes. La
question que cette matrice stratégique pose en filigrane est celle de la marge de manœuvre des
institutions andalouses dans le contexte de l'ouverture économique par le tourisme et de la
crise actuelle. Comme les institutions de l'Autonomie, des provinces et des comarcas
(équivalent des cantons français, mais de tailles variables) se partagent les compétences
territoriales et culturelles, la cohérence des politiques n'est pas facile à trouver. Parmi les
instruments d'action de valorisation du patrimoine, le classement (ou la labellisation) confère
une valeur ajoutée que les territoires concernés essaient d'instituer en argument de vente. Le
problème est que la logique et l'échelle des institutions varient d'un territoire à l'autre et, en
fonction des territoires en question, la patrimonialisation est autant le résultat de l'action
institutionnelle que leur raison d'être. Les instruments d'action relèvent de cadres et de
stratégies d'acteurs différents. A l'échelle de l'Autonomie andalouse par exemple, les
institutions de la culture et du tourisme sont séparées (5), tandis que, au niveau local, ces
compétences relèvent souvent de la même institution. Des enjeux de pouvoir territorial et
financiers se greffent sur la question du cadre légal de la patrimonialisation. Le 26 novembre
2007, le Parlement andalou a promulgué une nouvelle Loi du Patrimoine Historique
d'Andalousie qui fournit un nouveau catalogue du patrimoine andalou et classe comme
patrimoine historique andalou 126 municipes sur 771. Dans son préambule, cette Loi conçoit
le patrimoine historique comme " l'expression pertinente de l'identité du peuple andalou " (6).
La récupération par l'autorité parlementaire de l'Andalousie révèle une convergence de plus en
plus forte entre le tourisme et la culture avec le patrimoine, quelle que soit la manière de le
comprendre, comme dénominateur commun.
Les initiatives de valorisation du patrimoine sont nombreuses en Andalousie et marquent une
tendance de substitution partielle d'une offre de tourisme culturel au tourisme de masse.
Au niveau de l'Autonomie andalouse, la principale initiative institutionnelle remarquable est
la fondation El Legado Andalusí, créée au moment de la préparation du championnat du
monde de ski de la Sierra Nevada en 1995. Chargée dans un premier temps de valoriser le
patrimoine andalusí de la province de Grenade pendant l'événement, elle s'institutionnalisa en
1998 et devint vite une institution très active, basée à Grenade, qui essaie d'allier la promotion
touristique avec une certaine rigueur historiographique. Il est certain que les études sur alAndalus profitent de l'existence de cette structure mais elle est souvent critiquée pour laisser
la logique du tourisme primer sur son activité scientifique. Elle permit cependant de créer un
certain nombre d'Itinéraires culturels reconnus comme Grands Itinéraires Culturels du Conseil
de l'Europe. Les Routes du Califat (Cordoue-Grenade), Washington Irving (Séville-Grenade),
Nazari/Nasride (Las Navas de Tolosa-Grenade) ou Almoravides et Almohades (AlgésirasCadix-Grenade) proposent aux touristes de découvrir les différentes facettes du patrimoine
andalusí ou directement lié à la présence de l'islam avec l'objectif avoué de redonner une
cohésion territoriale en Andalousie et au-delà, avec le Maroc. En 2005, une association est
née à Lucena pour promouvoir le tourisme culturel dans les villes de moyenne importance de
l'Andalousie centrale (Alcalá la Real, Antequera, Ecija, Estepa, Loja et Lucena) (7). Les
projets touristiques et culturels proposent des thèmes et des menus interactifs (sur internet)
afin de construire une signification imaginaire, non seulement du voyage en Andalousie, mais
également des territoires.
Au niveau local et provincial, des associations et les Patronatos du tourisme provincial
essaient de valoriser et promouvoir des territoires et itinéraires secondaires qui s'appuient sur
l'authenticité et le particularisme des lieux. Le Patronato de la province de Grenade
(Turgranada) fait, à cet égard, un travail de marketing particulièrement efficace. L'Alpujarra
grenadine bénéficie ainsi d'une publicité mettant en relief tous les patrimoines que recèle cette
circonscription enclavée : architecture typique, biodiversité (zone classée Réserve de la
Biosphère par l'UNESCO), société historiquement agro-écologique et artisanats traditionnels
(secteur du textile)… Mais d'autres structures promeuvent et revendiquent également ce
patrimoine, par exemple une association (8) créée à Láujar de Andarax dans la province
d'Almeria. Dans les Alpujarras comme dans l'arrière-pays de la province de Málaga (dans la
comarca de la Axarquía principalement), des festivals thématiques axés sur la mémoire d'alAndalus connaissent un certain succès et permettent d'animer des sites manquant d'attractivité
touristique. La musique, l'artisanat et l'architecture sont les vecteurs majeurs de la
patrimonialisation andalusí. Une grande initiative de Grenade mobilise également de
nombreux acteurs territoriaux d'Andalousie orientale en vue de commémorer le millénaire de
la création du royaume de Grenade en 2013 (9).
Enfin, au niveau local, des communautés cultivent la mémoire andalusí, parfois pour redonner
un sens à leur présence sur le sol andalou, souvent pour légitimer leur place dans la société
espagnole. Tel est le cas de la communauté juive, notamment à Cordoue. Dans les années
2000, la Casa de Sefarad fut créée dans l'ancien quartier juif, à proximité immédiate de
l'unique synagogue (du XIVème siècle) conservée à Cordoue. Cette Maison abrite un musée,
une synagogue et un centre culturel proposant des activités culturelles liées au monde séfarade
et à la mémoire andalusí. A Grenade, l'ambiance est complètement différente. Mais
l'imaginaire andalusí y trouve une terre d'élection avec l'Alhambra et le quartier réhabilité de
l'Albaícin. Une communauté musulmane s'y est reconstituée et a trouvé dans l'histoire de la
ville une légitimité sur laquelle elle s'appuie, bien que la plupart des fidèles soient des
Espagnols plus ou moins fraîchement convertis. Il n'en reste pas moins que les minorités
religieuses et culturelles contribuent à la patrimonialisation dans des lieux symboliques qui lui
sont attachés et exploitent habilement l'imaginaire créé pour le tourisme. Le tourisme
communautaire reste encore le principal vecteur de formation d'un tourisme centré sur le
patrimoine spécifiquement andalusí.
Pour conclure, la patrimonialisation du passé andalusí mobilise plusieurs catégories d'acteurs
ayant différentes stratégies d'action mais qui se rejoignent toutes sur l'enjeu touristique
qu'implique la valorisation patrimoniale. Cette tendance est significative de la volonté de
diversifier l'offre touristique après des décennies de tourisme de masse sur les côtes. Elle
révèle aussi l'intérêt des différents territoires pour retrouver un certain dynamisme
économique. Mais il paraît encore difficile de trouver une cohérence dans les politiques
touristiques et culturelles aux différents échelons et donc d'assurer une gouvernance efficace.
Les villes andalouses attirent toujours davantage de touristes aux logiques consuméristes bien
ancrées. Le patrimoine andalusí, malgré sa grande richesse et un imaginaire qui le valorise
considérablement, peine à se positionner comme catégorie spécifique en dépit des nombreuses
initiatives créées depuis de nombreuses années.
Vestige almohade, Ronda (cliché de l'auteur)
Notes
1. Les deux historiens espagnols défendent deux thèses opposées sur l' " essence " de l'Espagne : Sánchez
Albornoz défend la thèse de l'hispanité originelle tandis que Castro la trouve dans le contact des trois religions au
Moyen Âge.
2. Bartolomé Bennassar, Histoire des Espagnols, tome 2, Paris, Armand Colin, 1985, p. 452.
3. Ibid., p. 455.
4. Ibid., p. 458.
5. D'une part la Consejería de la Cultura, de l'autre la Consejería de Turismo, Comercio y Deporte (Tourisme,
Commerce et Sport).
6. Ley de Patrimonio Histórico de Andalucía, p. 7.
7. Fundación Ciudades Medias del Centro de Andalucía. Programme " Tu Historia ".
8. Asociación para la Promoción Económica y el Desarrollo Rural de la Alpujarra-Sierra Nevada.
9. El Milenio del Reino de Granada 2013-1013.
Remarque
Sébastien Patacq est titulaire d'un master en Histoire (Paris, EHESS). Il entame en ce
moment, toujours à l'EHESS, un doctorat en Anthropologie autour de l'imaginaire d'alAndalus dans l'Andalousie contemporaine.

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