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Martin Julie, architecte, maître assistante associée TPCAU à l’ENSAG ENSAG/ master Aedifications Territoires Villes [email protected] Biovallée© : Le projet comme hypothèse pluriscalaire pour un territoire rural de référence > Le projet comme hypothèse Comment un territoire rural multipolaire peut-il offrir un modèle de développement humain alternatif et complémentaire au fonctionnement concentrique des entités urbaines ? Telle est la question posée par les acteurs du Grand Projet Biovallée© aux étudiants de 1ère année de la filière de master « Aedification-Grands territoires-Villes » de l’ENSAG. La vallée de la rivière Drôme est une entité géographique riche de potentiels (des paysages beaux et diversifiés, une biodiversité remarquable, une vie sociale intense, une forte solidarité…), tout en présentant de grandes fragilités économiques. Il s’agit donc de s’intéresser potentiellement à toutes les composantes de ce territoire pour s’opposer à son indifférenciation. Nous avons au travers de nos diverses expériences tant théoriques que pratiques requestionné le statut du projet d’architecture en le formulant comme hypothèse et non comme résolution de problèmes. Cette position est à double égard fondatrice de notre pensée du projet : pour l’ancrage au territoire qu’elle induit (formulation d’une hypothèse à partir de « ce qui est déjà là » (Haag, 1998)) et l’attitude qui en découle mais aussi dans son changement de statut. Le projet n’est plus un acte qui produit une forme figée, conçue en prenant en compte le temps des transformations rapides. Cette approche du projet nous permet de travailler à la fois sur le temps long de l’histoire et le temps très court des transformations contemporaines. Elle met l’accent sur la pertinence des réponses apportées plutôt que sur la forme, même si elle ouvre un champ d’applications formelles extrêmement large. Le chargé de mission Biovallée a sollicité l’ENSAG pour intégrer le Comité scientifique du projet Biovallée. Nous avons accepté et fait rapidement le constat que l’enjeu était désormais, de notre point de vue, de faire basculer le territoire de Biovallée des études stratégiques à une représentation formelle du projet. Une convention a donc été signée entre l’ENSAG et Biovallée nous donnant un cadre à l’intérieur duquel nous pouvions transformer une partie de cette demande d’expertise en questions reformulées de manière pédagogique pour être soumises aux étudiants de la thématique de master « Aedification-Grands territoires-Villes ». 1 1/ BIOVALLEE@ : UN TERRITOIRE GEOGRAPHIQUE ET POLITIQUE (fig .1) La constitution de Biovallée en territoire Biovallée est située dans la vallée de la Drôme avec au nord le Vercors, à l’ouest la vallée du Rhône, à l’est la route Napoléon, au sud les Barronies. Ces limites donnent des tonalités fortes à son paysage de la Provence au Vercors, des berges du Rhône aux Alpes de Haute-Provence. Ce territoire s’est constitué à partir de : > Le caractère « naturel » et « pur » de la rivière Drôme • La Drôme est la dernière rivière de 100 km au cours libre en Europe • 90% de son linéaire est propre pour la baignade. Ce qui, dans le cadre de notre travail pédagogique, interroge la capacité d’une unité géographie à structurer un territoire hétérogène. (fig .2) > L’agriculture bio véritable pilier de l’économie locale • 1er territoire français en agriculture bio (28% d’agriculteurs bio en 2011) • Leader mondial en production et transformation de plantes à parfums, aromatiques et médicinales. Filière en pleine expansion qui génère 250 emplois sur le territoire. Ce qui interroge la capacité de l’agriculture à créer un paysage habité. (fig .3) > Une qualité environnementale remarquable • Une biodiversité remarquable due à sa situation au carrefour de 4 climats • 1/3 du territoire reconnu d’intérêt écologique Ce qui interroge la manière d’aménager le territoire à partir de ses écosystèmes. (fig .4) > Un territoire solidaire • Forte solidarité : 1er territoire de Rhône-Alpes en économie sociale et solidaire, des innovations majeures en matière d’habitat coopératif, de coopératives de consommateurs… • Un développement économique fragile et fortement dépendant de la vallée du Rhône, avec pour conséquences des inégalités sociales fortes entre l’est et l’ouest. Ce qui interroge la possibilité d’existence d’un territoire rural multipolaire, complémentaire de la métropolisation. (fig .5) 2 La visibilité de Biovallée (fig .6) Le projet Biovallée© est porté par quatre communautés de communes : communautés de communes du Crestois, du Diois, du Pays de Saillans, du Val de Drôme, soit 102 communes. Il a été labellisé pôle d’excellence rural en 2006 par l’Etat et retenu par le Conseil Régional de Rhône-Alpes comme l’un des 7 Grands Projets Rhône-Alpes pour le quinquennat 2009-2014. A ce titre, le projet Biovallée© a reçu un financement de 10 millions d’euros. Il est également soutenu par le département de la Drôme. La gouvernance du projet Biovallée© est assurée par trois comités : le comité de pilotage, le comité technique, le comité scientifique. Aujourd’hui Biovallée© se présente notamment sur le site web www.biovallée.fr sous la forme : > D’une chartre qui regroupe des objectifs principalement environnementaux > D’une marque Biovallée© à laquelle l’adhésion est payante > De l’Ecosite d’Eurre qui accueille des entreprises, des logements d’artistes, une compagnie de théâtre et un équipement pour les rencontres et conférences appelé «Campus de Biovallée». La volonté des acteurs de ce territoire est de démontrer la viabilité d’un territoire rural peu dense et sa possibilité de durabilité. Leurs principaux objectifs affichés sont : • La diminution des consommations énergétiques du territoire • La couverture de ces consommations par une production locale renouvelable • 50% d’agriculteurs et de surface en agriculture biologique • La division par 2 des déchets acheminés vers des centres de traitement • L’inscription dans les documents d’urbanisme la préservation des sols agricoles • Le développement de formations de haut niveau dans le domaine du développement durable • La création de 2.500 emplois dans les éco-filières Ainsi les comités (pilotage, technique, scientifique) souhaite-t-ils faire du territoire un exemple de réussite en matière de gestion et de valorisation des ressources, en se donnant des objectifs chiffrés à atteindre d’ici 2020 ou 2040. Le bureau d’étude Indigo accompagné de Junior Idées Territoire a été choisi pour dresser un état des lieux et mener une étude prospective sur le développement du territoire Biovallée. Le scénario « rupture durable » a été validé par les acteurs de Biovallée© en mars 2012. Ils font le pari audacieux de faire de Biovallée© un éco-territoire rural et multipolaire de référence. Autrement dit, ils veulent maintenir les services et renforcer des activités complémentaires au sein de plusieurs pôles urbains et bourgs-centres répartis sur tout le territoire ; en ayant le développement durable pour moteur économique et social. De fait, le territoire de la Vallée de la Drôme existait en tant qu’entité reconnue pour ses caractéristiques géographiques, un savoir-faire traditionnel en agriculture raisonnée et la vivacité de son tissu associatif, avant d’être appelé Biovallée© et de devenir un projet prospectif. Forte de ces initiatives et de ces caractéristiques, la constitution de Biovallée© en projet a permis de mettre en place un jeu d’acteurs animé par des agents territoriaux. Elle a 3 permis aux acteurs politiques des différentes Communautés de Communes qui le composent de se constituer dans un premier temps une connaissance fine et partagée de ce territoire, et dans un second temps, de lui donner une orientation prospective commune qui prend en compte l’ensemble de son étendue, de la vallée du Rhône au Diois. 2/ CHANGER LE MODE D’ACTIONS : DE L’ENTITE LABELLISE AU PROJET DE TERRITOIRE Au delà de Biovallée© comme marque et de son projet à temps + 30 ans, le territoire a une réalité en termes de démographie, d’économie, d’agriculture, d’habitat, d’urbanisme, de cadre de vie, de culture qui confirme la nécessité de mettre en place un véritable projet de territoire. > La difficulté de construire un projet prospectif Si la vallée de la Drôme, en tant qu’entité géographique, a de réels potentiels, elle souffre de fragilités économiques et sociales tangibles. Biovallée© en tant qu’entité labellisée et tenue par une charte, elle développe de nombreuses actions visant à répondre de manière quantitative aux ambitions du territoire. Nous citerons notamment DOREMI (Dispositif Opérationnel de Rénovation Energétique des Maisons Individuelles) et dans un autre domaine les PIAF (Pépinières d’Installations Agricoles et Fermières). Ainsi le territoire Biovallée se construit-il au travers d’une juxtaposition d’actions. Toutes ces actions vont dans le sens d’UN et non de CE territoire envisagé durablement. Cette accumulation d’actions conduit à un déficit de stratégie et d’identité. En s’ajoutant, elles tendent à construire une Biovallée générique et « désincarnée ». Ce manque de spécificité et d’ancrage territorial rend difficile la construction d’un réel projet de territoire. De plus, l’énonciation des objectifs en termes quantitatifs1 plutôt que qualitatifs se fait au détriment de leur hiérarchisation. Cette absence apparente de direction autre que chiffrée contribue également à minimiser la transformation de l’entité labellisée en territoire physique et mental. Notre méthode de travail propose une pensée globale dans laquelle le territoire articule toutes les échelles et toutes les données. C’est ce qui nous permet non plus d’additionner des actions mais de « vectoriser » des données spécifiques au territoire de manière à ce qu’elles puissent faire sens dans une vision prospective et partagée. Nous sommes convaincus que territoire, entendu comme système de transformation en acte, comme organisme vivant, doit devenir la source du projet d’architecture pour pouvoir penser de nouveau un dedans et un dehors aux bourgs et inventer de nouvelles « natures », au pluriel. Tout au long de l’année universitaire, l’articulation des échelles temporelles et spatiales, des données physiques et vécues du territoire, l’initiation aux outils du géographe et du paysagiste permet aux futurs architectes de commencer à penser le projet comme la mise en route d’un 1 - cf les quantitatifs associés aux objectifs de Biovallée sur www.biovallée.fr ainsi que les protocoles liés a DOREMI. 4 processus et non comme une fin en soi. En effet, notre équipe pédagogique (architectes, paysagiste, historienne, plasticienne) 2 considère que la notion de projet ne doit pas se concentrer uniquement sur la forme comme aboutissement. Nous attirons l’attention des étudiants sur le nombre et la pertinence des liens que le projet d’architecture est capable de générer à toutes les échelles, en questionnant le territoire. Les territoires ruraux en inversant le rapport traditionnel entre le construit et le « non construit », nous obligent en tant qu’architecte à affiner notre regard. Il s’agit d’apprendre à regarder sans a priori et à reconnaître les qualités des terres agricoles, à relever les multiples dimensions y compris celles cachées qui constituent la spécificité et la richesse d’un territoire rural pour comprendre le mieux possible comment elles font système et pouvoir les transformer en « matière » pour le projet. Ce n’est que comme cela que cette transformation pourra être faite de manière respectueuse et en préservant leur intégrité. Une pensée multiscalaire et itérative (fig .7) La notion de projet nécessite à la fois une observation fine de la réalité et un décollement de cette réalité pour faire émerger l’espace nécessaire au projet. Notre pédagogie forme les étudiants à la mise en place d’un processus de projet à partir du territoire (Martin, Paviol, Prungnaud, 2013). Sa particularité est d’initier une pensée architecturale qui ne fonctionne pas successivement par des effets de zoom, mais qui travaille en même temps à des échelles très différentes, du 25000° à l’échelle grandeur. Ce projet est formulé du point de vue architectural. Son statut n’est pas d’être une hypothèse de planification du territoire ou un projet d’urbanisme, même si un projet d’urbanisme peut ensuite découler de ces hypothèses. Il ne s’agira pas davantage de développer un processus de projet linéaire allant de la pensée du territoire à celle du détail constructif, mais d’apprendre à travailler ces différentes échelles de manière itérative. Le projet est entendu, dans un premier temps, non pas comme construction mais comme hypothèse. C’est ce qui lui permet de devenir le lieu de la discussion. Si nous insistons dans notre filière de master sur le rôle du projet comme hypothèse3, c’est parce que ce statut d’hypothèse permet de mettre en jeu le croisement des différents acteurs pour avancer de façon partagée au fur et à mesure de son élaboration. Mais pour opérer un certain décollement de la réalité, il faut convoquer des échelles autres que métriques. Le statut multiscalaire du projet tel que nous l’entendons tient aussi à sa capacité à mettre au travail des dimensions de natures différentes. André Corboz, pour qui le territoire est « une entité physique et mentale » résultant de la condensation d’une topographie, d’aménagements et de vécus, nous rappelle que « il n’y a pas de territoire sans imaginaire du 2 - équipe pédagogique : PAVIOL S, MARTIN J, PRUNGNAUD F, TARDIVON A, KAROLAK A le projet comme question au territoire et dans son statut d’hypothèse a été formulé plus particulièrement au sein de notre pas master par Cankat A 3 5 territoire » (Corboz A p 214). Le recueil de cette subjectivité et sa capacité à devenir (petit à petit grâce à la « vectorisation » opérée par le processus de projet) une histoire collective est stratégique pour que le projet puisse être porté par les acteurs et les habitants du territoire. Les allers retours entre des échelles très différentes d’une part, la recherche des traces historiques et des valeurs symboliques de l’espace d’autre part, nous obligent à inventer des outils de représentations et de mise en projet qui tiennent ensemble les dimensions matérielles et immatérielles, les mythes et la réalité du territoire. > Le projet comme acte éthique et politique (fig .8) Lors d’un séminaire de notre master, Marco Assennato , philosophe italien, nous rappelait comment de Vittorio Gregotti à Vittorio Ugo, ainsi que pour Manfredo Tafuri, « l’architecture est la transformation culturellement déterminée de l’environnement et du paysage aux différentes échelles de la maison, de la ville et du territoire », et de rajouter « C’est en tant que travail de transformation de l’environnement, que le point de vue de l’architecture devrait être central pour l’éthique environnementale ». Ainsi le « durable » ne doit-il pas être réduit à une question technique, sinon c’est un pur problème de « marché ». Cet enseignement souhaite initier des méthodes de projet amenant à réfléchir aux conditions de possibilité de territoires véritablement « durables ». Les enjeux soulevés en termes d’énergie, de production, d’économie et de nouveaux modes de vie, confrontés aux réalités des territoires ruraux contemporains nous obligent à tisser des liens à chaque fois différents et réinventés entre des données hétérogènes. Ces mises en relations complexes, minutieuses et patientes de données matérielles et immatérielles sont stratégiques pour mettre en place une écologie, qui telle que le propose Félix Guattari, noue les trois registres de l’environnent, des rapports sociaux et de la subjectivité humaine : « seule une articulation éthico-politique (que je nomme écosophie) entre les trois registres écologiques : celui de l’environnement, celui des rapports sociaux et celui de la subjectivité humaine, serait susceptible d’éclairer convenablement ces questions » (Guattari F, 1989, p12). L'élaboration d'un projet a besoin d'un « moteur », d'objectifs précisés. C'est en cela que la « critique de l'idéologie » peut devenir opératoire, non pas pour guider les processus méthodologiques du projet, mais pour énoncer le cadre de la pensée architecturale qui le meut. Françoise Very qui a mis en place puis dirigé cette thématique de master, explique que « Ce qui importe pour nous par le projet, c’est de questionner le territoire avec des objectifs environnementaux et humains précis. Nous considérons l’architecture selon les différentes modalités des édifices, des villes, des territoires et de leurs articulations. Ce sont ces objectifs qui déterminent la « morale » du projet. Morale qui ne trouve ses formes que dans le projet et que le projet remet en cause incessamment. Cette morale est provisoire. Tout comme le projet est une hypothèse. » Elle précise que cette « morale provisoire » (au sens où l’entend le philosophe Denis Moreau) est la condition de possibilité d’un champ commun, d’une couche conceptuelle commune, le croisement d’ensembles nécessaire pour que le projet puisse être formulé et propose d’appeler « morale provisoire », les conditions de faisabilité du projet. 6 3/ FAIRE EMERGER UN PROJET EN PARTAGE > Pédagogie Chaque année, les étudiants sont invités à travailler sur de grands territoires à partir desquels ils doivent construire une vision stratégique dont l’architecture (en tant qu’édifice) est une partie. Ces grands territoires sont des entités géographiques (vallée de la Drôme Biovallée©, Vallée du Rhone/ PNRdu Pilat …) identifiées par la Région Rhône-Alpes comme riches de potentiels, tout en présentant de grandes fragilités environnementales ou économiques. Pour penser le projet d’architecture d’abord dans son rapport au territoire, il s’agit d’armer les futurs architectes de « méthodes » et d’outils de projet qui leur permettront notamment de faire des allers retours entre des échelles très différentes. Le sujet des projets est toujours une « commande » par une institution ou plusieurs institutions réunies. Les étudiants sont reçus sur le territoire de projet avec leurs enseignants pour plusieurs jours afin de prendre connaissance du terrain et des projets en cours. Des représentants des institutions commanditaires sont présents aux « rendus » importants. Si la consigne en deuxième année de master est d’avoir toujours devant les yeux « la représentation de plusieurs échelles », en première année de master les « cadrages » nécessaires à la pensée du projet sont introduits dans l’organisation du travail de l’année et dans les outils de pensée et de représentation expérimentés en séminaire. Le travail d'atelier fonctionne, pour chaque semestre autour d'une double approche entre le séminaire portant sur l'analyse territoriale et l’atelier de projet dans lequel les étudiants développent leurs projets. Le séminaire est le temps où les étudiants se constituent une culture scientifique et sensible du territoire. Avec le projet, des hypothèses sont émises pour infirmer ou confirmer les données du séminaire. A chaque temporalité, nous associons une forme spatiale, matérialisée par des actions spécifiques et concrètes qui font sens. La matière du projet se travaille dans le temps. SEMESTRE 1 : Le passage de l’analyse territoriale thématisée à l’édifice dans sa pensée située et constructive permet de projeter d’amblée l’impact environnemental. Séminaire : Expérimenter et s’approprier, en tant qu’architecte, les outils du géographe Le séminaire se propose d’explorer tour à tour les outils de représentation du géographe (semestre 1) et ceux du paysagiste (semestre 2) : une approche qui tend à mettre la réalité à distance pour l’objectiver et l’autre qui favorise la proximité et une « pensée relative » du site. Les étudiants sont invités à développer des analyses thématisées et complémentaires du territoire pour repérer ses ressources et pouvoir énoncer clairement ses enjeux. Pour le territoire de Biovallée©, les grands thèmes à préciser et à cartographier étaient : Agriculture biologique et production de paysage / Biodiversité et habitats (animaliers) / Espaces naturels et gestion de l’eau / Matière locale, transformation locale et export à l’international / Intensification des bourgs et villages (densification et services) / Eco-construction : capacité 7 des architectures vernaculaire et architecture contemporaine à « exploiter » intelligemment leur site / Mobilité, déplacements et valorisation du territoire / Cultures dans sa capacité à donner du sens et créer du lien social. Après une prise de connaissance documentaire, nous séjournons plusieurs jours sur le territoire, puis de retour devant leurs écrans, les étudiants expérimentent en particulier trois outils d’analyse territoriale : les cartes dynamiques, les « chorèmes » et les maquettesconcepts du territoire. (fig .9) L’élaboration de cartes dynamiques permet de comprendre les transformations spatiales et/ou temporelles du territoire (variation du fleuve et zones inondables, transformations saisonnières liées à l’agriculture, mobilités quotidiennes de la population…). Les modélisations spatiales à partir des principes des « chorèmes » du géographe Roger Brunet permettent quant à elles de décrire schématiquement des organisations spatiales et des usages sociaux, économiques et culturels du territoire (Brunet, 2000). Elles présentent la complexité des relations entre des facteurs physiques et l’homme. Ce passage de la figuration à l’abstraction aide à identifier les phénomènes d’attractions et à déterminer des aires de pertinence à l’échelle du territoire. Les maquettes-concepts, tout en radicalisant la morphologie du territoire, lui apportent une matérialité qui ne demandera qu’à être réactivée pour déterminer les paramètres d’implantation des projets dans le site. Ce travail cartographique oblige les étudiants à interroger la finalité de chaque carte pour en définir le contenu et la manière dont l’information est présentée. Dans l’histoire de la cartographie, la carte militaire répondait à des objectifs précis. Conçue pour aider le roi, ses ministres et ses généraux à prendre des décisions, elle était d’abord un support stratégique. La carte permettait de suivre le mouvement des troupes, de « mettre sous les yeux du roi les opérations des armées d’une façon claire et intelligible. ». Par ailleurs, les albums de campagnes permettaient de mémoriser les opérations militaires en témoignant de la bravoure du roi et de ses généraux. En demandant aux étudiants de construire des cartes du territoire dont la visée est architecturale, nous les forçons à inventer des modes de représentations originaux. D’une certaine manière et tout en mixant les cartes IGN, les vues satellitaires et les SIG, ce travail renoue avec le savoir des ingénieurs-géographes militaires au 17e siècle qui savaient lever avec la même précision les plans, les coupes, les profils des fortifications et les cartes topographiques. Ces cartes territoriales contemporaines, pour servir d’embrayeur au projet, doivent pouvoir mettre en rapport des formes et des espaces de nature différente. Elles doivent tenir la différenciation, ne pas tout rapporter à un système de valeur métrique qui privilégie le quantitatif au détriment du qualitatif. 4 4 Propos sur la cartographie de Sophie Paviol , architecte, historienne, enseigante chercheuse Laboratoire des Métiers de l’histoire 8 Atelier de projet : le projet d’architecture dans sa dimension territoriale (fig .10) Les architectures produites puisent leur sens et leurs programmes dans l'analyse préalable et tentent de les matérialiser dans une démarche cohérente et prospective, allant du positionnement critique du citoyen, à la proposition de véritables démarches sociales et environnementales. Elles devront « exprimer » leurs fondamentaux et montrer leurs effets sur le territoire, comme un « juste retour », un processus d'échange, de symbiose. En cela les propositions sont profondément intégrées dans leur contexte (au sens le plus large) et en lien direct avec les préoccupations de la société. Elles participent, à leur niveau, à la mise en place de l'espace et de la société de demain. Le passage de la cartographie en 2 dimensions à la spatialisation en 3 dimensions se fait essentiellement par l’élaboration d’une série de maquettes-recherches dont les objectifs sont différents : la maquette concept, la maquette séquence et la maquette synthèse. L’entrée dans la pensée de l’édifice et la recherche de son comportement dans le site sont initiées par le schéma icône, puis alimentées dans l’avancement du projet par les coupes actives. Dans ce premier semestre, le projet questionne plus particulièrement les nouvelles manières d’habiter un territoire rural en proposant des formes d’habitats innovants Outil de conception (en plus des outils traditionnels de conception de l’architecte) (fig .11) • Scénarios de vie (concevoir pour un usager, dans un contexte particulier • Organigrammes spatialisés des usages aux différentes échelles (cf. échelles de pertinence) • Maquette d’interprétation paysage-architecture : découvrir et valoriser le sens d’un lieu en terme de paysage et d’architecture Outil de formalisation spatiale des édifices (pensée simultanée de plusieurs échelles) • Coupes actives démontrant l’intelligence de l’édifice en rapport à l’environnement et ses usages (insertion à la pente, lumière, vent… éléments naturels) • Détails techniques • Schéma et diagrammes : isoler, identifier clairement les idées SEMESTRE 2 : Revenir à l’échelle du territoire pour en proposer une nouvelle vision Au deuxième semestre, il s’agit tout à la fois de proposer une vision prospective du territoire (quelle identité et quels modes de vie dans la vallée de la rivière Drôme en 2040 ?) et de concevoir un édifice déterminant pour la mise en place de cette dynamique territoriale. (fig .12) 9 Notre travail est un travail d’articulation, de vectorisation puis de représentation d’idées afin de mettre sur la table des documents sur lesquels les acteurs puissent se positionner. La stratégie territoriale donne une vision prospective et ambitieuse du territoire formalisée dans le temps. Elle figure des hypothèses, dresse un portrait possible pour ce territoire et de ses modes de vie dans 30 ans en programmant les temporalités de leur mise en place. Les changements d’échelle force à changer de regard, tour à tour le projet est regardé par un œil stratège, sensible, communiquant. Outil de spatialisation de la stratégie territoriale5 • Cartes du territoire révélant ses potentiels architecturaux et paysagers. Outils de synthèse et de prospection. Il s’agit de s’appuyer sur les diagnostiques élaborés au premier semestre pour fixer les orientations stratégiques du territoire et imaginer les destinations des sols à long terme. Le plan de stratégie territoriale n’est pas un outil réglementaire, mais il doit pouvoir coordonner les programmes locaux d’urbanisme avec la politique d’aménagement du territoire. Le plan de stratégie territoriale est un détournement de l’outil de planification dit schéma de cohérence. Sa représentation utilise les codes de la cartographie classique comme ceux des chorèmes ou de la cartographie dynamique. • Phasages Cette formalisation s’accompagne d’un diagramme hiérarchisant les enjeux, les objectifs et les leviers d’actions du projet dans le temps Simultanément à cette élaboration d’une stratégie à l’échelle du territoire, le projet est aussi abordé par la micro-échelle : formalisation architecture/paysage/territoire C’est en introduisant la dimension du paysage que l’attention, le regard se focalise à nouveau sur le site. L’intérêt est de porter sur ces lieux un regard radical : différent, plus sensible, plus expressif qu’une lecture objective. Cette lecture sensible s’exerce aussi dans la manière de définir la matérialité de l’intervention. Aussi considérons-nous l’analyse paysagère comme méthode pour apprendre à porter la plus grande attention aux temporalités du vivant, à la porosité des échelles, à la présence du nonconstruit et à l’impact du construit. Outil de Formalisation spatiale des édifices (pensée simultanée de plusieurs échelles) • Coupe paysagère. Démontre l’intelligence de l’édifice en rapport à un site, un environnement plus large. • Plan-masse comme processus montre comment le projet s’installe dans le temps6 avec la notion du « paysage en préalable » (Desvignes, 2011) 5 Cet outil à été initié par le travail CAMPOS DE BATALLA mené avec Inaki Abalos dans le cadre de son ‘laboratorio de tecnicas y paisajes contemporaneos, ETSAM, 2004 6 Référence au travail de Michel Desvigne sur la Chartre du paysage de la ville de Bordeaux et en 2004 et le Plan guide Bodreaux-Rive droite ou «Le territoire ades composants multiples qui n’évoluent pas toujours 10 • Détails techniques : donne des règles du jeu dans la composition de l’intervention / montre comment la mise en œuvre d’une matérialité induit un rapport au site Le projet est également abordé par la communication : Le travail s’effectue en collaboration avec un graphiste qui demande aux étudiants de repenser leur projet sous le prisme de ses valeurs communicantes ; autrement dit les force à faire un travail de hiérarchisation et de simplification des données Outil de communication du projet à la maîtrise d’ouvrage • dépliants de communication du projet et de ses différentes échelles de pertinences destinés aux acteurs du territoire (une feuille au format A4). Conclusion De ce croisement d’outils nait une nouvelle manière d’envisager le projet. La représentation n’est pas ici qu’un outil de communication ou de transmission. C’est un outil de formalisation qui permet de mettre ensemble une multitude d'informations de registres différents et de les faire varier d'une infinité de manières. S’agissant d’un projet de territoire, cette formalisation est forcément dynamique. L’espace d’intervention est à la fois espace, temps et sens. Les projets qui s’y développent vont du « presque rien » aux mondes infinis. Ils contribuent à l’élaboration d’un nouvel imaginaire collectif. Cet imaginaire, une fois partagé, transforme le territoire en paysage habité. La pertinence de cette démarche nous est amenée chaque année, par la manière dont les acteurs du territoire s’emparent des hypothèses des étudiants pour faire émerger des projets. 4/ BIOVALLEE UN POLE D’EXECELLENCE RURAL _ travaux des master 1 2012 2013 Extrait du travail Biovallée© - M1 Aedification-Grands territoires-Villes, 2012_2013 Comment faire de Biovallée un territoire rural de référence ? « Biovallée un territoire laboratoire » : un chaix laboratoire sur le plateau de compétence viticole , Vercheny le Haut. Alaoui K, Ferlay AL, Khales M « Agri-Culture » : un pôle de recherche et de diffusion. Ecosite d’Eurre. Cabe D, Cedelle H, Nestarez M Les Ramières : du calcaire à la biodiversité culturelle. Lequatre A, Demirtel G, Bozkale D Biovallée une « manière de faire »: faire de la production agricole une qualité de vie. Aoustesur-Sye Rodriguez A, Souche M, Wang D (fig .13) The Village : une mise en signe du territoire. Bourdeau. Defrance E, Gandry E, Arai Y (fig .14) simultanément. Un plan-masse comme outils de conception, fait l’hypothèse de leur improblable évolution simultanée… » (2011, p25) 11 Des jardins dasn un jardin (agricole): au fil des lignes des points m’attirent. Châtillon en Diois. Benhassaine H, Chenu M, Clauzel N (fig .15) « Pignons sur rue au Poet-Célard » : quel habitat pour les ruraux de 2040 ? » Defrance E, Gandry E, Wang D Bibliographie Haag, Richard, 1998, Bloedel Reserve and Gas Works Park. Corboz, André, 2001, Le territoire comme palimpseste et autres essais, Paris, L’imprimeur, et pour une mise en perspective de la pensée d’André Corboz, consulter Pour une poétique du détour. Rencontre autour d’André Corboz, sous la direction de Catherine Maumi, 2010, Paris éditions de La Villette. Very, Françoise, 2013, « Forcément théorique, l’architecture », Les Cahiers de la recherche architecturale et urbaine, n°26/27 « Trajectoires doctorales », pp. 168-171. Assennato, Marco, 2011, Linea di fuga. Architettura, teoria, politica, Palerme, éditeur Due Punti. Guattari, Félix, 1989, Les Trois Écologies, Paris, Éditions Galilée, p.12 Brunet, Roger, 2000, « Des modèles en géographie ? Sens d’une recherche » ; conférence prononcée le 24 novembre 1999 et publiée dans le Bulletin de la Société de Géographie de Liège, n°2, p. 21-30 Martin J, Paviol S, Prungnaud F, Very F, 2013, « The Architectural Project as Permanent Revolution », Landscape Imagination , conference, Paris 2-4 mai, Italie, Bandecchi et Vivaldi, p. 433. Abalos, Inaki, 2004, Campos de batalla, Barcelona, Col-legi d’Arquitectes de Catalunya Desvignes, Michel, 2011, Le paysage en préalable, sous la direction d’Ariella Masboungi, collection Grand Prix de l’Urbanisme, Marseille, édition Parenthèses. Equipe pédagogique de la 1ère année de master : Paviol Sophie (architecte historienne), Julie Martin (architecte), Frank Prungnaud (architecte), Tardivon Annie (paysagiste), Karolak Agnieska (plasticienne ), Buisson Pierre Jean (Graphiste). Représentant Biovallée : Mejean Philippe (chef de projet Biovallée) Vincent Isabelle (habitat Urbanisme CCVD) 12