Les stratégies thérapeutiques du diabète de type 2

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Les stratégies thérapeutiques du diabète de type 2
THÉRAPEUTIQUE
DIABÉTOLOGIE
Les stratégies thérapeutiques
du diabète de type 2
Type 2 diabetes treatment main options
B. Charbonnel*
L
* Service d’endocrinologie, CHU de
Nantes.
e diabète de type 2 est une maladie fréquente
et grave. Sa prévalence en France est de l’ordre
de 4 % de la population et de 13 % chez les
personnes âgées de plus de 60 ans : en 2010, on
dénombre plus de 2,5 millions de diabétiques, et
cette prévalence ne cesse de croître, de l’ordre de
6 % par an. Les raisons de cette augmentation sont,
d’une part, l’allongement de la durée de vie et le
vieillissement de la population, et, d’autre part, le
mode de vie dit occidental (alimentation inadaptée
et manque d’exercice physique), qui favorise l’obésité
et, du fait de l’insulinorésistance en rapport avec
l’obésité viscérale, qui favorise le diabète.
Il s’agit d’une maladie grave, qui a de nombreuses
complications potentielles lorsque les patients
sont mal contrôlés : rétinopathie et malvoyance
(le diabète est la principale cause de cécité avant
l’âge de 60 ans), insuffisance rénale débouchant
sur la dialyse ou la greffe de rein (le diabète est
pourvoyeur d’environ la moitié des patients qui
commencent une dialyse), neuropathie et artérite
des membres inférieurs entraînant de nombreuses
amputations distales (le diabète est la deuxième
cause d’amputations des membres inférieurs, après
les accidents), risque cardiovasculaire (la moitié des
diabétiques meurent de maladies cardiovasculaires,
les deux tiers des patients en unité de soins intensifs
de cardiologie présentent une anomalie du glucose,
les accidents vasculaires cérébraux sont particulièrement fréquents chez les diabétiques, etc.), et enfin,
risque de cancer, sans doute plus lié à l’obésité qui
accompagne le diabète qu’au diabète lui-même.
On comprend que le coût du diabète soit particulièrement lourd pour les finances de l’Assurancemaladie : avec près de 13 milliards d’euros en 2010,
il compte pour environ 10 % de ses dépenses ! Ce qui
coûte particulièrement cher dans le diabète, ce sont
les complications qui induisent des hospitalisations à
répétition… Dix pour cent des patients représentent
80 % des dépenses !
D’où l’importance, à la fois médicale et économique,
pour chacun des individus comme pour la santé
78 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010
publique, de prévenir les complications du diabète
par un traitement adapté. C’est dire si la question
des stratégies optimales de traitement du diabète
de type 2 est importante, d’autant qu’elle s’est
singulièrement complexifiée ces dernières années,
du fait des résultats décevants de grandes études
d’événements et du fait de la mise à disposition de
nombreuses classes thérapeutiques nouvelles.
Nous n’aborderons ici en détail, faute de pouvoir
tout traiter, que la stratégie du traitement hypo­
glycémiant : quel est le niveau glycémique optimal à
obtenir, quelles sont les médications à utiliser pour
cela, dans quel ordre les prescrire, etc.
Ce qui, évidemment, ne doit pas faire oublier que
la stratégie de traitement du diabète de type 2 est
une stratégie globale, le contrôle de la pression artérielle étant essentiel pour prévenir les complications
à la fois micro- et cardiovasculaires et le contrôle
des lipides étant primordial dans la prévention des
complications cardiovasculaires. Mais, à vrai dire,
il n’y a pas de réelle spécificité du diabète pour les
stratégies de contrôle de la pression artérielle ou
des lipides, sauf à dire que les valeurs cibles sont
généralement plus exigeantes parce que le niveau
de risque des diabétiques est plus élevé.
L’objectif du traitement :
quelles valeurs cibles ? (1-4)
Le but du traitement du diabète de type 2 est de
prévenir la survenue ou l’aggravation des complications micro- ou macrovasculaires de la maladie.
Il s’est ajouté ces dernières années un autre objectif
potentiel au traitement du diabète de type 2 : ralentir
l’aggravation progressive de la maladie. La stratégie
générale peut se résumer en quelques mots : une
stratégie multiparamétrique tous azimuts.
En matière de contrôle glycémique, le paramètre
retenu dans toutes les études et les recommandations est l’HbA1c, qui représente une mesure intégrée
des valeurs glycémiques des 3 derniers mois. Il y a
Résumé
Le diabète de type 2 est une maladie fréquente et grave. Pour prévenir les complications microvasculaires
(rétinopathie, néphropathie, neuropathie, etc.), il est essentiel de contrôler l’HbA1c et la pression artérielle.
Pour prévenir les complications cardiovasculaires, l’intérêt exact du contrôle glycémique est discuté depuis
le résultat négatif des grandes études récentes : il est sans doute important d’intervenir très tôt dans
l’histoire de la maladie, il est en tout cas essentiel de contrôler la pression artérielle et le LDL-cholestérol.
La stratégie du contrôle glycémique associe les règles de régime et d’exercice physique à un traitement
pharmacologique, la metformine en première intention. On peut ajouter à la metformine de nombreuses
classes thérapeutiques pour intensifier le traitement si besoin, chacune ayant son intérêt et ses limites.
L’insuline reste le gold standard quand les autres traitements sont insuffisants. La classe récente des
médicaments “incrétine”, inhibiteurs de la DPP4 ou analogues du GLP1, est d’un intérêt particulier.
un débat récurrent depuis de nombreuses années
sur l’intérêt de contrôler spécifiquement la glycémie
postprandiale, au-delà de l’HbA1c, mais ce débat
n’avance guère. Certains résultats récents (l’étude
NAVIGATOR avec un glinide qui contrôle spécifiquement les pics glycémiques postprandiaux a été
complètement négative) ne sont pas en faveur de
la prise en compte de ce paramètre, et il ne figure
donc pas dans les objectifs thérapeutiques validés.
En matière de contrôle de la pression artérielle, il
n’y a pas de spécificité du diabète ; on considère à
la fois la pression artérielle systolique, plus souvent
élevée chez les diabétiques, et la pression artérielle
diastolique. La valeur cible habituellement recommandée est 130/80 mmHg, mais le niveau de preuve
du bénéfice d’une baisse de la pression artérielle en
dessous de 140/80 mmHg est assez faible.
En matière de contrôle lipidique, il serait logique
de prendre en compte les triglycérides et le HDLcholestérol (HDL-c), car la dyslipidémie diabétique
affecte pour l’essentiel ces deux paramètres, mais,
dans l’état actuel des études, c’est finalement le
LDL–cholestérol (LDL-c), comme pour les recommandations chez les non-diabétiques, qui est pris
en compte en priorité.
La valeur cible habituellement recommandée dépend
du niveau de risque : moins de 0,7 g/l en prévention
cardiovasculaire secondaire, moins de 1,3 g/l lorsqu’il
n’y a aucun facteur de risque associé, ce qui est bien
rare ; le chiffre moyen à retenir est de moins de 1 g/l.
La normalisation du LDL-c par une statine est très
bénéfique du point de vue cardiovasculaire mais
laisse, chez le diabétique, “un risque cardiovasculaire résiduel” important, qui est généralement
attribué au couple HDL-c bas/triglycérides élevés,
sans cependant que des valeurs cibles précises aient
été validées pour ces deux paramètres. On associe
donc souvent à une statine des médicaments du
HDL-c, du moins en prévention cardiovasculaire
secondaire. Mais cette pratique n’a été validée par
aucune grande étude. L’étude ACCORD-Lipides,
dont les résultats ont été communiqués très
récemment, n’a d’ailleurs pas montré de bénéfice
de l’ajout du fénofibrate à une statine chez les
diabétiques, hormis peut-être, précisément, dans
un sous-groupe de patients avec une dyslipidémie
diabétique marquée.
Prévenir les complications
microvasculaires (rétinopathie,
néphropathie, etc.) : un strict contrôle
de la glycémie et de la pression
artérielle est bénéfique
Les différentes études disponibles portent sur la
prévention de la rétinopathie et de la néphropathie. Il n’y a pas de données factuelles convaincantes
concernant la neuropathie, faute sans doute de
critère diagnostique simple à utiliser.
L’United Kingdom Prospective Diabetes Study
(UKPDS) demeure l’étude de référence en matière
de prise en charge glycémique et tensionnelle du
diabète de type 2, malgré son ancienneté (elle a
débuté en 1977, avant les statines…) et malgré
un certain nombre de limites méthodologiques.
Rappelons brièvement son dessin : 4 209 patients
diabétiques de type 2 de découverte récente, âgés
en moyenne de 53 ans, ont été randomisés entre
différents bras thérapeutiques.Le traitement dit
conventionnel était au départ le régime seul, le
traitement dit intensif était au départ une monothérapie orale par sulfamides ou metformine (dans
un sous-groupe de patients obèses), ou encore l’insuline en 1 injection. De nombreuses modifications
thérapeutiques ont eu lieu en cours d’étude, ce
qui limite l’interprétation des résultats des sousgroupes de traitement. Il y a eu une différence
de 0,9 % sur les taux d’HbA1c entre les groupes
conventionnel et intensif tout au long de l’étude, ce
qui permet d’évaluer ce qui revient dans la survenue
des différentes complications à un meilleur contrôle
glycémique. Parmi ces diabétiques, 1 148 étaient
hypertendus et ont été randomisés entre un traitement dit agressif par IEC ou bêtabloquant avec
une valeur cible de moins de 150/85 mmHg, ou
bien un traitement moins agressif. Une différence
de 10/5 mmHg (144/82 versus 154/87 mmHg) a
été observée sur la pression artérielle, ce qui permet
d’évaluer ce qui revient dans la survenue des différentes complications à un meilleur contrôle de la
pression artérielle.
Les résultats de l’UKPDS en matière de rétinopathie
et de néphropathie sont parfaitement clairs et rejoignent ceux du Diabetes Control and Complications
Trial (DCCT) pour le diabète de type 1 :
Mots-clés
Diabète de type 2
Traitements
Summary
Type 2 diabetes is a common
and serious disease. To prevent
microvascular complications
(retinopathy, nephropathy,
neuropathy…), controlling
HbA1c and blood pressure are
critical. To prevent cardiovascular complications, the exact
interest of glycemic control is
discussed since the negative
results of the recent outcome
studies, it is probably important
to intervene early in the history
of the disease, it is in any case
critical to control blood pressure and LDL cholesterol. The
strategy of glycemic control
combines lifestyle changesand
pharmacological treatments,
metformin as a 1st line. It may
be added to metformin many
therapeutic classes to intensify
treatment if needed, each with
its relevance and its limitations.
Insulin remains the gold standard when other treatments are
inadequate. The recent class of
drugs “incretin”, DPP4 inhibitors or analogs of GLP1is of
special interest.
Keywords
Type 2 Diabetes
Treatments
La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 | 79
THÉRAPEUTIQUE
DIABÉTOLOGIE
➤➤ dans l’analyse épidémiologique de la cohorte
des patients de l’UKPDS, toutes thérapeutiques
confondues, il y a une forte corrélation entre le taux
d’HbA1c et la survenue des complications, ou entre
la pression artérielle systolique et la survenue des
complications. Cette corrélation est plus importante pour le niveau glycémique que pour le niveau
tensionnel ;
➤➤ dans l’étude d’intervention, le bon contrôle
glycémique réduit de 25 % le risque microvasculaire rétinien ou rénal, tandis que le strict contrôle
tensionnel le réduit de 37 %.
Il est donc bien établi par l’UKPDS que le risque
de rétinopathie ou de néphropathie du diabète de
type 2 est diminué dans des proportions considérables, par un contrôle strict à la fois de l’HbA1c et
de la pression artérielle. L’UKPDS sert d’ailleurs de
base aux valeurs cibles qui apparaissent dans les
recommandations.
En 2008, l’étude ADVANCE a donné des résultats
ambigus. Cette étude a comparé, en plan factoriel,
un contrôle strict, d’une part, de la glycémie et,
d’autre part, de la pression artérielle à un contrôle
dit conventionnel chez plus de 10 000 patients.
Dans l’étude ADVANCE Glucose, l’HbA1c a été
maintenue à 6,5 % dans le bras intensif par l’intensification du traitement (en commençant par
un sulfamide hypoglycémiant, le gliclazide), alors
qu’elle était de 7,3 % dans le bras conventionnel.
L’étude a confirmé l’intérêt d’un strict contrôle
glycémique sur l’albuminurie mais n’a rien montré
sur la fonction rénale, et les résultats ont été négatifs
pour la rétinopathie.
L’étude ADVANCE Pression artérielle a également
donné des résultats ambigus : 11 140 diabétiques
de type 2 ont été randomisés entre placebo et
la combinaison périndopril-indapamide (IEC +
diurétique) en plus des traitements antihypertenseurs habituels menés au mieux, et ont été suivis
pendant 4,3 ans. La pression artérielle a été de
136/73 mmHg dans le bras actif et de 142/75 mmHg
dans le bras placebo (à comparer aux 145/82 mmHg
dans le bras dit intensif de l’UKPDS). Malgré cette
différence de pression artérielle, il n’y a eu aucune
différence sur la rétinopathie, ni sur la fonction
rénale, mais une réduction de 20 % du risque de
développer une microalbuminurie a été notée.
Toutes les recommandations considèrent qu’une
HbA1c inférieure ou égale à 6,5 % est optimale pour
prévenir la rétinopathie et la néphropathie. C’est
en grande partie la prévention rénale qui justifie la
valeur cible recommandée de 130/80 mmHg pour
la pression artérielle.
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Prévenir les complications
cardiovasculaires : contrôler
les différents facteurs de risque :
l’HbA1c certes, mais, en priorité,
la pression artérielle et le LDL-c
Le risque cardiovasculaire est la grande affaire du
traitement du diabète de type 2, car les complications cardiovasculaires sont de loin les plus
fréquentes dans cette maladie.
S’il y a un relatif consensus sur la valeur cible optimale de la pression artérielle (130/80 mmHg) et du
LDL-c (< 1 g/l), il n’y a, en revanche, pas de consensus
sur la valeur cible optimale des triglycérides, du
HDL–c ni de l’HbA1c.
Pour les raisons indiquées en introduction, nous
n’aborderons que le contrôle glycémique : quelle
valeur cible d’HbA1c pour prévenir le risque cardiovasculaire ?
La maladie diabétique est certes une situation à
risque vasculaire, mais il est clair que d’autres paramètres que l’hyperglycémie (hypertension artérielle,
dyslipidémie, inflammation de bas grade, obésité
viscérale, etc.) en sont responsables, et la participation exacte de l’anomalie du glucose au risque
cardiovasculaire de la maladie demeure discutée.
De nombreuses études d’observation montrent
qu’il y a une forte relation entre le risque coronarien et la durée et/ou le degré de l’hyperglycémie :
en moyenne, chaque point d’HbA1c correspond à
une majoration du risque cardiovasculaire de 18 %.
L’analyse épidémiologique de la cohorte des patients
de l’UKPDS montre une corrélation linéaire hautement significative entre le niveau d’HbA1c actualisé
en cours d’étude (dans une fourchette allant de 5,5
à 12 %) et le risque de survenue d’un infarctus du
myocarde, sans effet seuil en dessous duquel cette
corrélation ne s’observait plus. Chaque point d’HbA1c
correspond à une majoration du risque de 14 %.
Ce chiffre est également celui qu’on observe dans
l’étude d’intervention : pour une différence modérée
de 0,9 % d’HbA1c entre le bras thérapeutique dit
intensif et le bras dit conventionnel, une réduction
du risque de survenue d’un infarctus du myocarde
de 16 % a été observée dans le groupe intensif, mais
à la limite négative de la significativité (p = 0,052).
Il est enfin utile de noter que, dans l’étude observationnelle de la cohorte de l’UKPDS, le risque cardiovasculaire lié à l’hyperglycémie et celui lié à l’HTA
étaient synergiques.
Le diabète de type 1 est un modèle indirect mais
démonstratif du rôle de l’hyperglycémie, sans insulinorésistance associée, sur le développement de la
THÉRAPEUTIQUE
macroangiopathie diabétique. Certes, la prévalence
des atteintes coronariennes du diabète de type 1 est
faible chez des sujets jeunes, dès lors qu’il n’y a pas
de microalbuminurie, mais le rôle athérogène du
diabète de type 1 se démasque nettement lorsque
les patients dépassent la cinquantaine ; et l’étude
EDIC vient apporter une démonstration forte du
rôle athérogène de l’hyperglycémie chronique chez
le diabétique de type 1. Cette étude a suivi pendant
20 ans 1 440 patients diabétiques de type 1 inclus,
entre 1983 et 1989, dans le DCCT. Celui-ci avait
démontré, chez de jeunes patients diabétiques de
type 1, qu’une insulinothérapie intensive réduisait le
risque de rétinopathie et de néphropathie au prorata
de la baisse d’HbA1c. À la fin du DCCT, les patients
inclus dans le bras insulinothérapie intensive ont vu
remonter leur HbA1c de 7,4 à 7,9 %, tandis que les
patients inclus dans le bras insulinothérapie conventionnelle du DCCT ont vu logiquement leurs schémas
d’insuline être intensifiés et leur HbA1c baisser de 9,1
à 7,8 %. En parallèle, comme les patients vieillissaient,
le pourcentage de sujets hypertendus ou dyslipidémiques, comme le nombre des accidents cardiovasculaires, a progressivement augmenté. L’incidence
cumulée des événements cardiovasculaires, selon que
les patients avaient été ou non à un schéma d’insulinothérapie intensif dans les années du DCCT, a été
très différente dans les deux groupes. Dans le diabète
de type 1, maladie de la sécrétion d’insuline et sans les
facteurs de risque confondants de l’insulinorésistance,
une différence de 2 % de l’HbA1c pendant quelques
années entraîne une réduction considérable du risque
cardiovasculaire à 20 ans, de l’ordre de 50 %.
Quatre grandes études d’événements cardiovasculaires ont été publiées en 2008 pour le diabète de
type 2 : si le suivi de l’UKPDS à 10 ans a été positif,
les trois autres grandes études (ACCORD, ADVANCE
et VADT) ont en revanche été négatives.
➤➤ L’UKPDS à 10 ans. Après la publication de l’UKPDS
en 1997, la cohorte des patients a continué d’être
suivie et le résultat de ce suivi, 10 ans après l’étude
elle-même, a été publié. La réduction de 16 %, non
significative en fin d’étude, du risque d’infarctus du
myocarde sous un meilleur contrôle glycémique a
été maintenue, 10 ans plus tard, et a été significative.
Alors que, à la fin de l’étude, il n’y avait pas de réduction de la mortalité, une diminution significative de
13 % de la mortalité a été observée, 10 ans plus tard,
chez les patients qui, 10 ans plus tôt, avaient été
mieux contrôlés. Ce résultat rappelle celui de l’étude
EDIC post-DCCT, chez les diabétiques de type 1, et
suggère l’existence de ce qu’il est convenu d’appeler une “mémoire glycémique” : un bon contrôle
glycémique, par un traitement intensifié, au début
de la maladie, n’a sans doute pas d’effets bénéfiques
cardiovasculaires à court ou à moyen terme, mais
a des effets bénéfiques importants à long terme,
indépendamment du contrôle glycémique ultérieur
(a priori, cet effet positif sera néanmoins d’autant
meilleur que le contrôle glycémique ultérieur sera
bon…). En d’autres termes, l’effet de prévention du
risque cardiovasculaire par un bon contrôle glycémique demande du temps… mais est également
durable… C’est un argument important, bien que le
niveau de preuve soit fragile, pour avoir une valeur
cible stricte inférieure ou égale à 6,5 % au début de
la maladie, au moment du diagnostic, et vers 50 ans.
➤➤ ACCORD, ADVANCE et VADT. Ces trois études se
ressemblent dans leurs dessins et dans les caractéristiques des patients inclus. Il s’agit de très grandes
études, du moins pour ACCORD et ADVANCE : plus
de 10 000 patients pour chacune d’entre elles.
Il s’agissait, pour les trois études, de comparer un
traitement intensifié, permettant d’obtenir une
HbA1c aux alentours de 6,5 %, à un traitement moins
intensifié ayant obtenu une HbA1c aux alentours de
7,5 %. La durée moyenne des études a été de l’ordre
de 5 ans, un peu plus courte pour ACCORD qui a été
interrompue prématurément du fait d’une surmortalité dans le bras intensif. Les patients inclus étaient
différents de ceux de l’UKPDS (qui étaient inclus au
moment du diagnostic et âgés d’une cinquantaine
d’années) : il s’agissait en moyenne de patients âgés
de plus de 60 ans, ayant un diabète depuis plus de
10 ans et présentant déjà des complications.
En tout cas, les trois études ont été négatives : pas
de différence entre le bras intensif et le bras conventionnel sur le risque cardiovasculaire évalué par un
critère composite classique (mort cardiovasculaire,
infarctus du myocarde non mortel et accident vasculaire cérébral non mortel). La conclusion est donc
claire : il n’y a pas de bénéfice cardiovasculaire lié à
une normalisation glycémique, du moins pendant
les 5 premières années d’intensification et chez des
patients diabétiques depuis plus de 10 ans et dont la
pression artérielle et les lipides ont été bien contrôlés
(sauf dans ADVANCE).
Bien plus, dans ACCORD et, à un moindre degré,
dans VADT, il y a eu une surmortalité cardiovasculaire dans le bras intensif (+ 22 % dans ACCORD),
vraisemblablement liée aux effets indésirables des
traitements. Pour obtenir une valeur d’HbA1c à
6,5 %, il a fallu accumuler les médications, donner
de l’insuline à près de 80 % des patients, et intensifier l’insuline, en plus des combinaisons d’hypoglycémiants oraux. C’était moins vrai de l’étude
La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 | 81
THÉRAPEUTIQUE
DIABÉTOLOGIE
Traitement intensif/
traitement standard
UKPDS
PROactive
ADVANCE
VADT
ACCORD
Total
Poids relatif
Odds-ratio
de l’étude en
nombre de sujets
(IC95)
Odds-ratio
(IC95)
Patients
Événements
3071/1549
2605/2633
5571/5569
892/899
5128/5123
221/141
119/144
153/156
64/78
186/235
21,8 %
18,0 %
21,9 %
9,4 %
28,9 %
0,78 (0,62-0,98)
0,83 (0,64-1,06)
0,98 (0,78-1,23)
0,81 (0,58-1,15)
0,78 (0,64-0,95)
17267/15773
743/754
100 %
0,83 (0,75-1,93)
0,4
0,6
0,8 1,0 1,2 1,4 1,6 1,8 2,0
Traitement intensif meilleur
Traitement standard meilleur
Figure 1. Le risque d’infarctus du myocarde non mortel dans une méta-analyse des
grandes études d’événements comparant un équilibre glycémique strict à un équilibre
glycémique moins strict. D’après (1).
Poids relatif
Traitement intensif/ de l’étude en
traitement standard nombre de sujets
UKPDS
PROactive
ADVANCE
VADT
ACCORD
Total
Odds-ratio
(IC95)
Odds-ratio
(IC95)
Patients
Événements
3071/1549
2605/2633
5571/5569
892/899
5128/5123
539/302
177/186
498/533
102/95
257/203
10,1 %
21,5 %
29,4 %
15,5 %
23,6 %
0,79 (0,53-1,20)
0,96 (0,77-1,19)
0,93 (0,82-1,05)
1,09 (0,81-1,47)
1,28 (1,06-1,54)
17267/15773 1573/1319
100 %
1,02 (0,87-1,19)
0,4
0,6
0,8 1,0 1,2 1,4 1,6 1,8 2,0
Traitement intensif meilleur
Traitement standard meilleur
Figure 2. Le risque de mortalité dans une méta-analyse des grandes études d’événements comparant un équilibre glycémique strict à un équilibre glycémique moins strict.
D’après (1).
Maladies cardiovasculaires
• Contrôle lipidique et de l’HTA
• Individualisation du traitement en fonction du rapport
bénéfice-risque
• HbA1c 7 %
Traitement
Traitement
Risque relatif
• Glycémie normale, à jeun et en postprandial
• HbA1c < 6,5 %
• Prévention des complications microvasculaires et,
éventuellement, des complications cardiovasculaires
Risque
d’hypoglycémie
Complications microvasculaires
1,0
Diabète récent
Diabète ± avancé
HbA1c
Figure 3. La hiérarchie des valeurs cibles après les grandes études d’événements comparant
un équilibre glycémique strict à un équilibre glycémique moins strict, adapté du consensus
ADA/AHA (Société américaine de diabète/Société américaine de cardiologie). D’après (4).
82 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010
ADVANCE, qui n’a pas montré de surmortalité. Il
est généralement suggéré que la surmortalité pourrait être en rapport avec des hypoglycémies (très
nombreuses dans ACCORD et VADT), mais le lien
entre les hypoglycémies et la surmortalité n’est pas
clairement établi.
➤➤ Des méta-analyses de ces différentes études d’événements ont été publiées en 2009 ; les conclusions
principales sont les suivantes : un strict contrôle glycémique prévient le risque d’infarctus du myocarde non
mortel d’environ 15 % (figure 1), mais ne prévient pas
le risque d’accident vasculaire cérébral, n’a pas d’effet
sur la mortalité (figure 2) et s’accompagne d’un risque
accru d’hypoglycémies sévères. Le bénéfice est plus
important chez les patients sans complications cardiovasculaires, ayant un diabète depuis moins de 5 ans
et dont l’HbA1c initiale est inférieure à 8,5 % (ce qui
correspond au message de l’UKPDS à 10 ans, à savoir
qu’il convient d’avoir une valeur stricte de l’HbA1c au
début de la maladie). Le bénéfice cardiovasculaire
d’une normalisation glycémique stricte, pour autant
qu’il existe, est moindre que celui d’une normalisation
de la pression artérielle ou du LDL-c.
Une grande étude de cohorte a été publiée en 2010,
à partir d’une base de données de médecine primaire
en Grande-Bretagne : deux cohortes ont été identifiées et suivies une dizaine d’années, regroupant
27 965 patients sous traitement antidiabétique oral
et 20 000 patients diabétiques de type 2 traités par
insuline, les deux types de traitement ayant dû être
intensifiés. Le risque de mortalité était plus important dans la cohorte des patients traités par insuline,
vraisemblablement parce que les sujets avaient été
inclus à un stade plus tardif de la maladie, avec davantage de complications. Dans les deux cohortes, le
risque de mortalité était le moindre aux alentours de
7,5 % d’HbA1c. Il augmentait pour les valeurs d’HbA1c
supérieures à 8 % (surrisque de mortalité de 80 % pour
une HbA1c de 10,5 %, comparée à 7,5 %), mais aussi
pour les valeurs d’HbA1c inférieures à 7 % (surrisque
de mortalité de 52 % pour une HbA1c de 6,4 %,
comparée à 7,5 %), le tout révélant une courbe en U.
Il est suggéré que la surmortalité des valeurs hautes
d’HbA1c pourrait être en rapport avec le lien entre
hyperglycémie et complications, tandis que la surmortalité des valeurs basses pourrait être en rapport avec
le risque hypoglycémique des traitements.
En conclusion, il ressort de ces données que la valeur
cible d’HbA1c pourrait être différente suivant le stade
de la maladie. Très schématiquement (figure 3) :
➤➤ chez des patients âgés de moins de 60 ans, au
moment du diagnostic ou avec un diabète récent de
moins de 5 ans, sans complications, la valeur cible
THÉRAPEUTIQUE
d’HbA1c pourrait être de 6,5 à 7 %, dès lors qu’on
emploie pour l’obtenir des médicaments sans risque
hypoglycémique. Le bénéfice pour la prévention de
la rétinopathie et de la néphropathie est validé, et
vraisemblable pour la prévention des complications
cardiovasculaires, du moins à long terme ;
➤➤ chez les autres patients, âgés de plus de 60 ans,
ayant un diabète depuis au moins 10 ans et des
complications cardiovasculaires, le mot-clé est
l’individualisation du traitement : il faut peser, pour
chaque individu, le bénéfice micro- et cardiovasculaire
d’une valeur stricte d’HbA1c par rapport aux risques
éventuels d’une intensification thérapeutique. En tout
état de cause, le contrôle des lipides et de la pression artérielle est prioritaire. Si l’on veut donner une
moyenne, une valeur cible d’HbA1c comprise entre 7
et 7,5 % paraît raisonnable pour ce type de patients
dès lors qu’on emploie des médications présentant
un risque hypoglycémique (sulfamides, insuline, etc.) ;
➤➤ rappelons les recommandations actuelles : HbA1c
≤ 6,5 % pour les recommandations françaises ou
britanniques, HbA1c ≤ 7 % pour les recommandations américaines.
Quels sont les moyens
disponibles pour atteindre
la valeur cible d’HbA1c ?
Très schématiquement (pour plus de détails, nous
vous renvoyons aux revues pharmacologiques
spécialisées), les moyens thérapeutiques disponibles en 2010 pour faire baisser la glycémie sont
les suivants : le régime et l’activité physique , la
metformine, les sulfamides hypoglycémiants et les
glinides, les inhibiteurs des alphaglucosidases, les
thiazolidinediones, les médications dites “incrétines”
et les insulines (7).
Le régime et l’activité physique
Ces mesures non pharmacologiques sont très efficaces sur le niveau glycémique, mais souffrent d’un
faible niveau de preuve concernant leur bénéfice sur
les événements cliniques, vu la difficulté de modifier
les habitudes de vie. Néanmoins, des études récentes
conduites dans la population générale illustrent leur
efficacité potentielle, en particulier l’effet bénéfique
d’une activité physique régulière. Dans une large
cohorte d’infirmières américaines par exemple, celles
qui respectaient le mieux les recommandations
dites hygiéno-diététiques avaient une incidence de
complications cardiovasculaires réduite de 78 % sur
un suivi de 11 ans. Chez des sujets à risque de devenir
diabétiques (intolérants au glucose), plusieurs études
randomisées ont démontré qu’on réduisait le risque
de diabète de plus de 60 % par un régime approprié
et, plus encore, par une activité physique régulière,
avec un effet cardiovasculaire bénéfique à long
terme. De nombreuses données indiquent, d’autre
part, que le régime et l’exercice physique permettent
d’améliorer les niveaux glycémiques, lipidiques et
tensionnels. Ces mesures (régime hypocalorique
pour perdre du poids et activité physique régulière)
réduisent l’obésité viscérale et donc l’insulinorésistance, et sont donc évidemment indiquées à toutes
les étapes de la prise en charge du diabète de type 2.
La metformine
Son mécanisme d’action, qui implique l’AMP kinase,
est mal connu. On dit que la metformine réduit l’insulinorésistance, ce qui est approximatif, car son réel
mécanisme d’action est de diminuer la production
hépatique de glucose. Il s’agit d’un hypoglycémiant
relativement puissant, qui fait baisser l’HbA1c en
moyenne de 1 à 1,5 % et qui a de nombreux avantages : la metformine est anorexigène et fait perdre
un peu de poids, elle n’a pas d’effets secondaires
sérieux, même si elle est souvent mal tolérée du
point de vue digestif (10 à 15 % des patients ne
peuvent pas atteindre la dose maximale efficace).
Il semble qu’elle ait eu un effet cardiovasculaire
bénéfique dans un petit sous-groupe de patients
obèses de l’UKPDS, et différentes méta-analyses
suggèrent qu’elle a été associée à une diminution
du surrisque de cancer observé chez les diabétiques.
Enfin, elle est très bon marché.
Les sulfamides hypoglycémiants
et les glinides
Ils stimulent la sécrétion résiduelle d’insuline par un
mécanisme bien identifié en se liant à un récepteur
des sulfamides sur la cellule β. Il s’agit d’hypoglycémiants relativement puissants, qui agissent vite
et font baisser l’HbA1c en moyenne de 1 à 1,5 %. Ils
sont bien tolérés, mais il existe un risque hypoglycémique et il y a souvent une prise de poids. Une
limite des sulfamides est leur médiocre durabilité
d’action. Dans toutes les études – et elles sont
nombreuses (la principale est l’étude ADOPT) –,
après une baisse initiale rapide de l’HbA1c, il y a
une remontée progressive de l’HbA1c au fil du
temps, et on observe de nombreux échecs secondaires du traitement, plus qu’avec la metformine
La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 | 83
THÉRAPEUTIQUE
DIABÉTOLOGIE
ou les glitazones. Tout se passe comme si les sulfamides accéléraient le processus de défaillance de
la cellule β qui caractérise la maladie diabétique ;
quelques arguments expérimentaux vont en ce
sens. Il y a un avantage théorique et pratique aux
sulfamides en une prise par jour (glimépiride et
gliclazide à libération prolongée), dits sulfamides
de deuxième génération, à la fois pour des raisons
d’observance et pour des raisons – à vrai dire un
peu théoriques, car non validées dans les études
cliniques –, de protection contre l’ischémie myocardique du fait que ces sulfamides de deuxième génération sont spécifiques du récepteur des sulfamides
de la cellule β et ne se fixent pas sur le récepteur
vasculaire des sulfamides. Il n’y a pas de réelle
différence clinique entre les sulfamides hypoglycémiants et les glinides. Ces derniers sont de plus
courte durée d’action, ce qui suppose plusieurs
prises par jour ; ils sont généralement préconisés
pour contrôler la glycémie postprandiale, mais, à
cet égard, la récente étude NAVIGATOR dans le
prédiabète est bien décevante, puisqu’elle n’a pas
montré de réduction de la glycémie postprandiale
sur le long terme.
8,0
Rosiglitazone versus metformine
– 0,13 (– 0,22 à – 0,05), p = 0,002
Rosiglitazone versus sulfamide
– 0,42 (– 0,50 à – 0,33), p = 0,001
HbA1c (%)
7,5
7,0
6,5
Rosiglitazone
Metformine
Sulfamide
6,0
0
0
1
2
3
4
5
Temps (années)
Figure 4. Le diabète est une maladie progressive, avec aggravation au fil du temps de
l’HbA1c, mais d’une manière différente suivant le traitement utilisé (sulfamide, metformine ou glitazone). D’après (5).
84 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010
Les inhibiteurs des alphaglucosidases
Ils retardent l’absorption intestinale des sucres
complexes et agissent donc quasi exclusivement
sur la glycémie postprandiale. Même s’ils sont par
ailleurs dénués d’effets secondaires sérieux, ils sont
mal tolérés du point de vue digestif, ce qui entraîne
une mauvaise observance, d’autant qu’il faut les
prendre en plusieurs prises par jour. Si leur effet
hypoglycémiant est de l’ordre de 0,7 % de réduction
moyenne d’HbA1c lorsque l’observance est bonne, il
est moindre dans la vie réelle, sans doute inférieur à
0,5 %. C’est pourquoi ils sont généralement considérés comme un traitement d’appoint.
Les thiazolidinediones
Les thiazolidinediones (ou glitazones) sont des médicaments de l’insulinorésistance. Elles améliorent la
sensibilité à l’insuline, au niveau du foie, du muscle, du
tissu adipeux, etc. Leur mécanisme d’action est connu
mais complexe : les glitazones se fixent à un récepteur
nucléaire, le PPARγ, très impliqué en physiologie dans
la différenciation du tissu adipeux. Il en résulte l’activation de nombreux gènes et une re-répartition des
graisses, avec diminution de la graisse intrahépatique
et intra-abdominale, mais augmentation de la graisse
sous-cutanée. Comme il s’agit de médicaments agissant sur des récepteurs nucléaires, avec le recrutement
d’activateurs et d’inhi­biteurs en fonction de chacune
des molécules, il n’y a pas nécessairement d’effet
classe, même si nombre des actions, en particulier
l’action hypoglycémiante, sont communes à la rosiglitazone et à la pioglitazone. Il s’agit d’hypoglycémiants
relativement puissants, qui permettent une réduction
moyenne de l’HbA1c de 1 à 1,5 %, superposable à
ce qu’elle est sous sulfamides ou sous metformine
pendant la première année de traitement, mais supérieure à long terme, car leur effet dure plus longtemps.
Les glitazones sont le traitement hypoglycémiant oral
le plus puissant dans la durée (figure 4). En plus de
l’effet hypoglycémiant, les glitazones ont des effets
sur les lipides (augmentation du HDL-c), sur l’inflammation de bas grade, etc. ; autrement dit, elles
ont des actions pléiotropes qui, en théorie du moins,
devraient être favorables du point de vue cardiovasculaire, mais il convient de le valider par des études
cliniques d’événements. À cet égard, l’étude PROactive
a suggéré, plus que réellement validé, un bénéfice
cardiovasculaire de la pioglitazone, tandis que l’étude
RECORD a montré une neutralité cardiovasculaire de
la rosiglitazone, après des années de controverses – qui
ne sont pas complètement éteintes – sur un possible
THÉRAPEUTIQUE
surrisque d’infarctus du myocarde sous rosiglitazone.
Il n’y a pas de risque hypoglycémique sous glitazones,
mais divers inconvénients et effets indésirables ont
été observés, certains étant sérieux : œdèmes des
membres inférieurs dans 5 à 10 % des cas (les glitazones activent un canal Na dans le rein) et risque
(rare) de décompensation d’une insuffisance cardiaque
préexistante du fait de l’inflation hydrosodée, prise
de poids (pour partie de la graisse, pour partie de
l’eau…), risque (rare) de fractures osseuses distales
chez la femme âgée de plus de 60 ans.
Les médications dites “incrétines” :
inhibiteurs de la DPP4 et agonistes
du GLP-1
Leur mécanisme d’action repose sur la physiologie
des incrétines : après un repas, chez le sujet normal,
l’intestin sécrète des hormones, le GLP-1 et le GIP,
qui stimulent la sécrétion d’insuline et jouent un rôle
dans le pic précoce d’insulinosécrétion en réponse
aux repas. Cette action de stimulation de la sécrétion d’insuline est gluco-régulée, à la différence de
celle des sulfamides : autrement dit, la stimulation
de l’insuline sous GLP-1 cesse lorsque la glycémie
descend dans les zones d’hypoglycémie. Il n’y a donc
pas de risque hypoglycémique sous les médications
dérivées de ce mécanisme. En plus de son action
d’insulinosécrétion, le GLP-1 inhibe le glucagon,
ralentit la vidange gastrique, se fixe sur des récepteurs centraux pour donner un signal de satiété, et
il existe des récepteurs cardiovasculaires du GLP-1
dont le rôle exact est mal connu. En physiologie, à
peine libéré par la cellule L de l’intestin, le GLP-1 est
dégradé in situ par la dipeptidyl peptidase 4 (DPP4),
et son action est donc très brève. La pharmacologie,
sur ces bases physiologiques, a développé des analogues agonistes du GLP-1 résistants à la DPP4 et des
inhibiteurs de la DPP4.
◆◆ Les inhibiteurs de la DPP4
Il en existe 2 sur le marché français en 2010, la sitagliptine et la vildagliptine, mais de nombreux autres
seront bientôt disponibles, notamment la saxagliptine et la linagliptine. Il ne s’agit pas d’une classe
chimique homogène, mais ces différentes molécules
partagent un même mécanisme d’action : elles inhibent la DPP4 – pendant 24 heures après 1 prise orale
quotidienne pour la sitagliptine, 2 prises par jour pour
la vildagliptine. Du fait de l’inhibition de la DPP4, ces
molécules maintiennent une augmentation modérée
du GLP-1 endogène après les repas et, à un moindre
degré, à distance des repas, d’où un effet de stimu-
lation de la sécrétion d’insuline et de freinage du
glucagon. Leur efficacité hypoglycémiante est sans
doute un peu moindre que celle des sulfamides et
de la metformine, même si la plupart des études “de
non infériorité” (mais pas toutes) montrent qu’elles
sont “non inférieures”… L’efficacité hypoglycémiante
des différents inhibiteurs de la DPP4 est identique.
La réduction moyenne de l’HbA1c est de 0,7 %. Leur
intérêt principal est leur excellente tolérance, ce qui
les rend très faciles d’emploi : il n’y a pas d’effets
indésirables connus, pas d’hypoglycémie, et un effet
neutre sur le poids. Pour des inhibiteurs enzymatiques, susceptibles d’inhiber d’autres enzymes que
la DPP4 (d’où l’intérêt d’avoir des inhibiteurs de la
DPP4 hautement sélectifs), un recul est nécessaire
pour être certain de leur innocuité.
◆◆ Les agonistes du GLP-1
Il s’agit de médications injectables, qui permettent
d’obtenir des taux pharmacologiques de GLP-1 (ou
plus précisément de l’agoniste), d’où un effet hypoglycémiant plus marqué et certains effets supplémentaires, par exemple sur la vidange gastrique
ou le poids. Du fait que l’exénatide a une demi-vie
relativement brève, de quelques heures, une injection
2 fois par jour est nécessaire, ce qui ne lui permet
pourtant pas de couvrir la moitié du nycthémère.
Il est très efficace sur les glycémies postprandiales
(juste après l’injection), après le petit déjeuner et
le dîner, mais peu efficace à distance de l’injection,
sur les glycémies de l’après-midi ou à jeun. D’où une
réduction moyenne de l’HbA1c de l’ordre de 0,8 %.
L’avenir est donc sans doute aux GLP-1 agonistes
qui couvriront les 24 heures. C’est aussi le cas du
liraglutide, en 1 injection par jour, bientôt disponible
en France. C’est le cas de l’exénatide long acting et
du taspoglutide, médicaments en développement
qui seront efficaces avec 1 injection par semaine.
Le taux de diminution moyenne de l’HbA1c sous
les GLP-1 agonistes qui couvrent les 24 heures, par
exemple le liraglutide, est en moyenne de 1 à 1,5 %,
supérieur, dans les études face-face, à celui observé
sous exénatide. Un avantage des agonistes du GLP-1
est la perte de poids sous traitement, variable suivant
les sujets, parfois importante, en moyenne de 2 kg
à 6 mois ; perte de poids qui se maintient, voire
s’accentue ensuite. Il n’y a pas d’hypoglycémies
sous agonistes du GLP-1, bien que l’on observe des
nausées, assez fréquentes en début de traitement,
mais qui s’estompent généralement au bout de
quelques semaines. Il y aurait moins de nausées sous
liraglutide que sous exénatide. Du fait d’une fixation
sur les cellules thyroïdiennes à calcitonine, un averLa Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 | 85
THÉRAPEUTIQUE
DIABÉTOLOGIE
tissement de précaution a été émis aux États-Unis
à ce sujet pour le liraglutide, mais pas en Europe.
De nombreuses études sont en cours pour évaluer
un éventuel bénéfice cardiovasculaire spécifique de
ces médications, dont il est déjà démontré qu’elles
font baisser la pression artérielle.
Les insulines
L’insuline doit souvent être utilisée dans le diabète
de type 2, faute d’une efficacité suffisante des
autres médications avec la progressivité de la
maladie. Toutefois, le rationnel physiopathologique
de l’emploi de l’insuline n’est pas très fort chez
des patients insulinorésistants qui sont également
caractérisés, à un stade tardif de la maladie, par
un déficit (qui peut devenir important) des capacités de sécrétion d’insuline. Toutes les insulines
peuvent être utilisées, mais le schéma habituel
d’initiation de l’insulinothérapie dans le diabète de
type 2 est le schéma dit d’insulinothérapie basale
(figure 5) : l’objectif est de normaliser la production hépatique de glucose pendant la nuit, avec
une injection le soir d’insuline basale, d’insuline
NPH pure, de Lantus ® ou d’insuline Détémir ® ,
la référence étant la Lantus®, car la plupart des
études ont été faites avec celle-ci, qui a l’avantage
sur la NPH pure d’induire moins d’hypoglycémies
nocturnes. Lorsqu’on normalise ainsi la glycémie
Glycémie (mg/dl)
400
300
Le pic glycémique
postprandial
200
n’a pas changé
100
Nadir 02-04
heures
0
8
12
16
OAD failure
Bedtime Insulin ± OAD
20
0
4
8
Heures
Insuline
basale
Figure 5. Le concept de l’insulinothérapie basale : une injection d’insuline basale, à condition que la dose soit adaptée, normalise la glycémie à jeun, ce qui entraîne la diminution
des glycémies postprandiales en valeur absolue, mais sans affecter le pic glycémique
postprandial (différence entre la glycémie avant et après le repas).
86 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010
le matin au réveil, on améliore l’ensemble du cycle
glycémique de la journée, et on obtient généralement une HbA1c acceptable aux alentours de
7 %, même si on ne réduit pas réellement le delta
glycémique postprandial (entre la glycémie avant
le repas et le pic postprandial). Pour être efficace,
un tel schéma doit utiliser des doses suffisantes
d’insuline, ce qu’on appelle la titration de l’insuline
basale, pour obtenir une glycémie le matin au réveil
aux alentours de 1 g/l, moyennant quoi, la plupart
du temps, les pics glycémiques postprandiaux sont
inférieurs à 2 g/l, et le résultat global est correct.
Lorsque ce schéma simple d’insulinothérapie basale
(une injection, une glycémie capillaire le matin au
réveil pour ajuster la dose) n’est pas suffisant, soit
qu’il faille utiliser des doses fortes en raison de l’insulinorésistance, soit que le contrôle postprandial
ne soit pas obtenu, il convient d’intensifier l’insuline, par des schémas à multi-injection, qui, à vrai
dire, sont généralement difficiles à gérer. L’insuline
a l’avantage d’être le traitement de référence en
termes d’efficacité : on obtient toujours la valeur
cible d’HbA1c dès lors qu’on utilise la bonne dose
et/ou le bon schéma (en théorie, car il y a tout de
même des patients particulièrement insulinorésistants…), mais elle a l’inconvénient de faire prendre
du poids, d’augmenter le risque d’hypoglycémie
(surtout dans les schémas à multi-injection), et
elle est peut-être associée, comme d’ailleurs les
sulfamides, au surrisque de cancer lié au diabète.
On voit que les moyens thérapeutiques disponibles
en 2010 pour faire baisser la glycémie sont multiples,
ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients, et
peuvent être combinés, avec un nombre de combinatoires qui est important. Cette variété de traitements représente une avancée, car elle permet
d’individualiser au mieux la prescription, mais cela
complique un peu la description d’une stratégie
générale ; l’essentiel étant sans doute de dire qu’il
n’y a pas de stratégie applicable à tous et qu’il faut
choisir au cas par cas.
Quelles stratégies
de traitement pour atteindre
la valeur cible d’HbA1c ? (5-9)
Rappelons que, faute de pouvoir tout envisager, nous
n’aborderons en détail que la stratégie des traitements hypoglycémiants.
Dans les traitements de la pression artérielle, il faut
souvent combiner les classes thérapeutiques pour
atteindre l’objectif de 130/80 mmHg. On commence
THÉRAPEUTIQUE
généralement par une monothérapie ou un traitement combiné, et il n’est pas rare qu’il faille une tri-,
voire une quadrithérapie. La diminution du sel dans
l’alimentation est importante. On prescrit généralement aux diabétiques un bloqueur du système
rénine-angiotensine, en raison, d’une part, de leur
effet plutôt bénéfique, bien que faible, sur le contrôle
glycémique, comme l’ont démontré les études de
prévention du diabète, et, d’autre part, de leur effet
spécifique de protection rénale, mais sans que les
avantages parfois mis en avant dans le domaine
cardiovasculaire par rapport à d’autres classes d’anti­
hypertenseurs soient bien établis. Il semble que les
IEC et les ARA 2 présentent des résultats similaires
dans ce contexte. Sauf indication cardiovasculaire
spécifique, les bêtabloquants, qui sont diabétogènes
et qui peuvent masquer les signes cliniques d’hypoglycémie, sont des médicaments de troisième ou
quatrième ligne chez le diabétique.
Pour le traitement des lipides, il n’y a que les statines.
Le niveau de validation des autres médications est
faible ou nul, en attendant le résultat de diverses
études en cours avec des médications du HDL-c.
En prévention cardiovasculaire secondaire, lorsqu’il
existe une dyslipidémie diabétique marquée (HDL-c
bas, triglycérides élevés), il paraît logique du point
de vue mécanistique d’ajouter un médicament du
HDL-c ou des triglycérides, notamment un fibrate,
mais le niveau de preuve qu’une telle façon de faire
soit bénéfique est très faible (le sous-groupe ayant
ce phénotype dans ACCORD-Lipides).
Rappelons enfin que l’arrêt du tabagisme est en
théorie impératif, pour prévenir à la fois le risque
de rétinopathie et le risque cardiovasculaire.
En ce qui concerne la stratégie du traitement hypoglycémiant, il faut avoir à l’esprit 3 points essentiels :
➤➤ la physiopathologie de l’hyperglycémie du
diabète de type 2 implique un défaut de sécrétion
de l’insuline et une résistance à l’action de l’insuline.
La résistance à l’action de l’insuline est corrélée à
l’accumulation ectopique (c’est-à-dire ailleurs que
dans le tissu adipeux sous-cutané) de graisses, en
particulier au niveau du compartiment intraviscéral
et du foie. C’est pourquoi l’obésité abdominale est
la cause principale de l’insulinorésistance. Pour des
raisons mal connues, en grande partie génétiques, la
cellule β du pancréas n’est pas capable de sécréter
le surplus d’insuline qu’il faudrait pour compenser
cette insulinorésistance : cette dysfonction de la
cellule β (caractérisée pour l’essentiel par la perte
du pic précoce d’insulinosécrétion en réponse au
glucose) est finalement le mécanisme clé qui fait la
différence entre le prédiabète et le diabète patent.
À l’insulinorésistance et à la dysfonction de la
cellule β s’ajoutent d’autres anomalies : hyper­
sécrétion de glucagon et augmentation des acides
gras libres circulants… Il résulte de ces différentes
anomalies une production en excès de glucose du
foie, à jeun comme en période postprandiale, et il
existe une corrélation linéaire entre cette hyperproduction hépatique de glucose et l’hyperglycémie ;
➤➤ le diabète de type 2 est une maladie progressive, comme l’ont bien démontré l’UKPDS et l’étude
ADOPT (figure 4). Cela signifie qu’un traitement
donné, qu’il s’agisse du régime seul, d’une seule
classe d’un hypoglycémiant oral ou d’un traitement
combinant plusieurs hypoglycémiants oraux, n’aura
pas une efficacité constante au fil du temps ; il y a
généralement, plus ou moins vite suivant les sujets,
un échappement au traitement. En d’autres termes,
après une période initiale de diminution de l’HbA1c
sous un traitement donné, on la voit remonter, et il
faut donc, pour maintenir la valeur cible, intensifier
la thérapeutique. On dit que le traitement n’est pas
durable et une bonne durabilité des traitements
est d’ailleurs un objectif moderne des stratégies
de traitement. De ce point de vue, les hypoglycémiants oraux classiques ne sont pas équivalents : la
durabilité d’action est médiocre sous sulfamides,
bonne sous glitazones, intermédiaire sous metformine (figure 4).
➤➤ C’est cette progressivité de la maladie qui
explique que beaucoup de patients doivent finalement être mis sous insuline, et qu’il faille même, dans
un deuxième temps, intensifier les schémas d’insuline. En d’autres termes, la stratégie des traitements
hypoglycémiants du diabète de type 2 est une stratégie d’intensification progressive des traitements du
fait de l’évolutivité de la maladie. Bien qu’il persiste
de nombreuses inconnues dans ce domaine, il est
généralement considéré que la progressivité de la
maladie diabétique est en rapport avec la défaillance
progressive des capacités d’insulinosécrétion de la
cellule β, en regard d’une insulinorésistance qui, en
ce qui la concerne, ne s’aggrave pas ou peu, sous
réserve que le poids (ou le surpoids) soit stable.
C’est pourquoi il est fréquent, bien que très approximatif du point de vue théorique, de plus ou moins
confondre les termes “durabilité des traitements”
(une constatation clinique qui, en pratique, est la
seule qui compte) et “préservation de la cellule β” (la
base physiopathologique théorique de la durabilité
clinique des traitements) ;
➤➤ un aspect pratique majeur de la stratégie générale de traitement est d’éviter ce qu’on appelle
l’“inertie clinique”. Celle-ci consiste à retarder
La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 | 87
THÉRAPEUTIQUE
DIABÉTOLOGIE
l’intensification du traitement pour divers prétextes,
par exemple : le régime a été mal suivi mais “il y
a eu des tas de raisons pour cela”, “le patient va
faire un effort” et “on verra la prochaine fois”, dans
4 mois, lors de la prochaine évaluation de l’HbA1c,
et ainsi de suite, de 4 mois en 4 mois (quand l’HbA1c
n’est pas mesurée tous les 6 mois…), avec une
HbA1c qui ne cesse de monter. On peut aussi se
dire, devant une HbA1c, par exemple à 7,2 %, que
ce n’est pas bien méchant, qu’on peut attendre, ce
qui n’est d’ailleurs pas faux en soi, mais, finalement,
on attend de nombreux mois, si ce n’est plus, on
attend que l’HbA1c dépasse 8 % pour intensifier. En
procédant ainsi, ces retards s’accumulent et auront
pour résultat, sur plusieurs années, et même si l’intensification permet transitoirement de faire baisser
les chiffres, que l’HbA1c moyenne aura toujours
largement dépassé 7 %. C’est sans doute acceptable
au stade tardif de la maladie, mais c’est dommage
à un stade précoce. Ainsi s’installe peut-être une
“mauvaise mémoire glycémique” qui fera le lit des
complications ultérieures. La recommandation, au
stade précoce de la maladie, est donc de dire qu’il
faut intensifier sans tarder, dès que l’HbA1c dépasse
la valeur cible décidée pour le patient, sans attendre
le contrôle suivant.
L’étape 1 de la stratégie de traitement :
régime, activité physique et metformine
(figure 6)
Cette étape concerne les premières mesures
thérapeutiques à mettre en œuvre au moment du
diagnostic de diabète (glycémie à jeun : 1,26 g/l à
2 reprises).
Étape 1
Diagnostic
Régime/activité physique + metformine
Étape 2
HbA1c ≥ 6,5 %-7 %
Ajouter inhibiteur de DPP4
Ajouter sulfamide
Facile d’emploi
Pas d’effets indésirables
Effet rapide mais non durable
Risque d’hypoglycémie
Ajouter glitazone
L’hypoglycémiant le plus
puissant sur la durée
Prise de poids - Œdèmes
Figure 6. La stratégie thérapeutique d’emploi des médications hypoglycémiantes en
fonction de la progressivité de la maladie : le traitement oral.
88 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010
Chacun s’accorde sur l’importance des mesures non
pharmacologiques : régime approprié et activité
physique régulière. Le mieux est bien sûr que ces
mesures soient prescrites au cours d’une consultation de diététique, avec ensuite un suivi régulier
par une diététicienne.
Les recommandations divergent pour savoir si la
première étape de la stratégie de traitement doit
se limiter aux mesures non pharmacologiques en
question ou bien s’il faut, d’emblée, prescrire de
la metformine. Du point de vue pharmacologique,
toutes les recommandations convergent : metformine pour tout le monde à cette première étape
du traitement.
En préférant une première étape exclusivement non
pharmacologique, on pourra souligner plus facilement auprès du patient l’importance du régime
et de l’activité physique, alors que, si on y associe
d’emblée un médicament, celui-ci risque d’être
privilégié aux dépens de l’hygiène de vie.
En préférant la prescription d’emblée de metformine, on évitera l’échec habituel du régime seul,
révélé par exemple dans l’UKPDS, et le risque de
commencer par une inertie clinique si le régime est
mal suivi, ce qui est fréquemment observé.
Je suis personnellement en faveur d’insister sur
l’importance des règles d’hygiène de vie, de le faire
d’une manière assez technique, avec des consultations rapprochées de diététique, mais aussi de prescrire d’emblée la metformine, car on ne peut ainsi
qu’améliorer le résultat global, et la metformine
aide à maigrir du fait de son action anorexigène.
La manière de prescrire la metformine est la
suivante : atteindre dans les 4 premiers mois la
dose maximale tolérée, de manière à ce que la
première mesure de l’HbA1c du suivi soit faite pour
une dose de metformine optimale et qu’on n’ait
donc pas à discuter, à ce moment-là, de majorer
la dose de metformine puisque ce sera déjà fait.
C’est la meilleure manière, à cette première étape
du traitement, de n’avoir pas d’inertie clinique et
de pouvoir intensifier, si nécessaire, dès l’étape
suivante.
En pratique, on prescrit la metformine à la dose
de 500 mg en fin de dîner pendant une quinzaine de jours, puis on augmente à 1 comprimé
de 500 mg matin et soir pendant les repas, pour
habituer progressivement le système digestif, et
ainsi de suite jusqu’à la dose optimale, qui se situe à
2 comprimés de 850 mg ou 1 g par jour (soit 1 500 à
2 000 mg par jour). Au-delà, on ne gagne rien de
significatif en ce qui concerne l’HbA1c, mais on
perd en tolérance digestive, et donc en observance.
THÉRAPEUTIQUE
En cas d’intolérance digestive à la metformine, empêchant d’augmenter celle-ci au-delà de 1 g/l, ou en cas
de contre-indication (insuffisance rénale avec une
tolérance jusqu’à 30 ml de clairance calculée de la
créatinine), on choisira une autre monothérapie, la
sitagliptine étant sans doute le meilleur choix par
rapport à l’acarbose, à un sulfamide ou à une glitazone.
L’étape 2 de l’intensification : quel
traitement ajouter à la metformine ?
(figure 6)
La situation est typiquement celle d’un patient
dont l’HbA1c dépasse la valeur cible décidée pour
lui (en moyenne 6,5 à 7 % à ce stade d’intensification
précoce du traitement), sous metformine à dose
maximale tolérée (en insistant, comme à chaque
étape de la stratégie de traitement, sur les règles
d’hygiène de vie).
Certaines recommandations, comme celles
communes à la Société américaine de diabète et
à la Société européenne de diabète, proposent
l’insuline dès cette étape de la stratégie de traitement : pourquoi pas, mais ce n’est guère réaliste
en pratique.
Le liraglutide a obtenu son AMM (et son remboursement en France) dans cette indication : pourquoi pas
une injection a priori chez des patients très déséquilibrés et obèses, étant donné que cet hypoglycémiant,
même s’il s’administre par injection, ce qui est peu
pratique à ce stade, est puissant et favorise la perte
de poids. L’avenir précisera sa place, à cette étape
précoce de l’intensification du traitement.
En pratique, du moins en 2010, l’habitude est plutôt
de rester dans le traitement oral, en associant à la
metformine une autre classe de comprimés ; on a
donc le choix entre :
➤➤ ajouter un sulfamide : c’est l’option habituelle.
Elle est rapidement efficace, mais elle n’est pas très
durable ; un risque hypoglycémique (généralement
des incidents mineurs de fin d’après-midi) limite
l’intensification précoce, et il y a souvent une prise
de quelques kilogrammes. C’est donc sans doute
la moins bonne option en théorie, mais c’est une
option bon marché ;
➤➤ ajouter une glitazone (il y a des combinaisons
fixes : Avandamet® et Competact®) : il s’agit de
l’association hypoglycémiante la plus puissante
à long terme, vu la bonne durabilité d’action des
glitazones (ce qui représente un argument important en faveur de cette association), elle n’induit
pas d’hypoglycémie et il y a peut-être un bénéfice
cardiovasculaire propre à la pioglitazone, mais il y a
un risque de prise de poids et les glitazones peuvent
avoir des effets indésirables ;
➤➤ ajouter un inhibiteur de la DPP4 (il existe des
combinaisons fixes : Janumet® et Eucréas®) : il s’agit
sans doute du meilleur choix en 2010 (sauf chez des
patients très déséquilibrés), car il est efficace, facile
d’emploi et sans effet indésirable connu. Mais c’est
l’option la plus chère.
Pour les inhibiteurs de la DPP4 et les glitazones,
il y a clairement de bons et de mauvais répondeurs ; en ce qui concerne les sulfamides et la
metformine, une telle différence n’est pas établie.
On ne sait pas bien les identifier en 2010. Il n’y
a aucun paramètre prédicteur pour les inhibiteurs de la DPP4. L’insulinorésistance est un bon
prédicteur de réponse pour les glitazones, mais
on ne dispose d’aucun moyen clinique fiable et
simple pour l’évaluer sur une base individuelle (le
meilleur indice de réponse aux glitazones est ce
qu’on appelle le syndrome métabolique : obésité
abdominale, HDL-c bas et, peut-être, transaminases élevées).
En pratique, différentes recommandations s’orientent vers ce qu’on appelle le testing qui consiste à
évaluer a posteriori la réponse individuelle à un traitement. Les recommandations britanniques récentes
ont formalisé cette manière de faire pour les inhibiteurs de la DPP4 : on regarde la baisse d’HbA1c 6
mois après les avoir prescrits :
➤➤ si l’HbA1c a baissé de 0,5 % ou davantage, on
considère que le patient est un bon répondeur et
on continue l’inhibiteur de la DPP4 (en plus de la
metformine), quitte à ajouter une troisième classe
thérapeutique, souvent une glitazone, si la valeur
cible d’HbA1c n’est pas atteinte.
➤➤ si l’HbA1c a baissé de moins de 0,5 %, on considère que le patient est un mauvais répondeur et
on arrête l’inhibiteur de la DPP4 : pourquoi continuer un traitement coûteux et peu efficace ? On le
remplace alors par une autre classe thérapeutique,
une glitazone ou un sulfamide, toujours en bithérapie orale.
L’étape 3 de l’intensification :
les intensifications ultérieures,
trithérapie orale ou injections (figure 7)
La situation est typiquement celle d’un patient
dont l’HbA1c dépasse la valeur cible décidée pour
lui (en moyenne 7 % à ce stade plus tardif d’intenLa Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 | 89
THÉRAPEUTIQUE
DIABÉTOLOGIE
Bithérapie orale
Étape 3
HbA1c ≥ 7 %-7,5 %
Injections
Ajouter analogue du GLP-1
• Injections mais sans titration
• Perte de poids
• Nausées initiales
Triple thérapie orale
Ajouter insuline basale
• Le plus efficace
• Risque hypoglycémique
Ajouter une 3e classe
d’hypoglycémiants oraux
HbA1c ≥ 7,5 %-8 %
Titrer l’insuline basale
Étape 4
HbA1c ≥ 7,5 %-8 %
Intensifier l’insuline : en ajoutant des
bolus d’insuline rapide préprandiaux
± pioglitazone
Figure 7. La stratégie thérapeutique d’emploi des médications hypoglycémiantes en
fonction de la progressivité de la maladie : les étapes ultérieures de l’intensification.
sification du traitement), sous une association de
metformine et d’un autre hypoglycémiant oral (en
insistant, comme à chaque étape de la stratégie de
traitement, sur les règles d’hygiène de vie).
On a schématiquement 3 choix :
➤➤ une triple thérapie orale, en ajoutant une troisième classe thérapeutique orale aux 2 autres déjà
prescrites. Les glitazones sont sans doute le meilleur
choix actuellement, mais toutes les combinaisons
sont possibles. En théorie, l’association metformine +
inhibiteur de la DPP4 + glitazones est la plus logique,
car les mécanismes d’action sont complémentaires,
l’effet est durable et il n’y a pas de risque hypoglycémique. Bien qu’efficace dans les études, l’association
metformine + inhibiteur de la DPP4 + sulfamides est
moins logique, puisqu’on perd en durabilité d’action et qu’on retrouve le risque hypoglycémique
des sulfamides ;
➤➤ les analogues agonistes du GLP-1 (Byetta® et
Victoza®) sont privilégiés actuellement ; l’avenir
précisera leur place à un stade plus précoce de
l’intensification du traitement. Il s’agit certes d’injections, mais une seule injection par jour pour
Victoza®. Ces injections sont faciles, plus faciles
que les injections d’insuline, car il s’agit d’une
dose fixe, toujours la même d’un jour à l’autre,
qu’il n’y a pas besoin d’adapter en fonction des
glycémies capillaires, de l’alimentation ni de l’exer-
90 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010
cice physique, comme c’est le cas pour l’insuline.
La mise en place du traitement est donc tout à
fait aisée. Il y a certes des nausées en début de
traitement, mais elles disparaissent habituel­
lement au fil des semaines. Il s’agit de médications hypoglycémiantes puissantes, du moins
en ce qui concerne Victoza®, avec en moyenne
une baisse de l’HbA1c supérieure à 1 %. Là aussi,
il y a de bons et de mauvais répondeurs, et les
recommandations britanniques suggèrent d’arrêter le traitement si la baisse d’HbA1c à 6 mois
est inférieure à 1 %. Lorsqu’on ajoute Victoza® à
une bithérapie comportant des sulfamides, il y a
un risque hypoglycémique lié aux sulfamides, et il
est sans doute préférable d’ajouter Victoza® à un
traitement oral ne comportant pas de sulfamides.
Ce traitement présente l’avantage d’entraîner une
perte de poids, parfois importante. Il y a donc de
nombreux arguments en faveur de ce choix à ce
stade de l’intensification du traitement.
➤➤ l’insulinothérapie est le choix de référence, à
ce stade de l’intensification du traitement, dans
toutes les recommandations, car c’est l’option
la plus efficace, du moins globalement, quelles
que soient les situations cliniques. On commence
par une insulinothérapie basale, une injection de
Lantus ® généralement, Détémir® , ou d’insuline
NPH pure, en ajustant la dose tous les 3 jours sur
la glycémie capillaire le matin au réveil, de manière
à ce que celle-ci se trouve entre 1 et 1,2 g/l, sans
hypoglycémies.La question de savoir si on continue
ou non les hypoglycémiants oraux est discutée :
il faut certainement continuer la metformine,
qui limite la prise de poids, on peut sans doute
continuer les sulfamides, qui diminuent les doses
requises d’insuline, mais il faut les arrêter, pour bien
titrer l’insuline, au moindre incident hypoglycémique. On arrête les glitazones.L’insulinothérapie
dans le diabète de type 2 est efficace dans la
plupart des cas. Ce schéma d’insuline basale (une
injection – une glycémie capillaire) est simple à
mettre en place, mais a tout de même quelques
inconvénients : éducation du patient, risque hypoglycémique, risque de prise de poids (moindre si
l’insuline est instaurée alors que les valeurs d’HbA1c
ne sont pas trop élevées). En tout cas, si on a choisi
une autre option, triple thérapie orale ou analogue
du GLP-1, il faut sans hésiter passer à l’insuline si
l’une de ces options n’obtient pas la valeur cible
souhaitée d’HbA1c (en moyenne, à ce stade, de
l’ordre de 7,5 %). On arrête l’analogue du GLP-1
(sauf peut-être s’il a obtenu une réduction pondérale significative).
THÉRAPEUTIQUE
L’étape 4 de la stratégie de traitement :
l’intensification de l’insulinothérapie
(figure 7)
L’intensification de l’insulinothérapie est conseillée
quand l’insulinothérapie basale ne suffit pas.
Encore faut-il que la dose d’insuline soit correcte,
c’est-à-dire qu’elle ait été suffisamment augmentée,
dans l’objectif de faire baisser la glycémie capillaire
le matin au réveil en dessous de 1,2 g/l.
Mais jusqu’où peut-on ainsi augmenter la dose d’insuline basale ? Il n’y a pas de vraie limite supérieure,
ni dans les études cliniques ni dans les recommandations. En pratique, il semble cependant difficile
de monter cette dose au-dessus de 60 ou 80 unités
en 1 injection le soir, d’autant qu’une telle posologie
traduit une insulinorésistance importante.
Dans cette situation, il convient donc d’intensifier
l’insuline, en ajoutant à l’insuline basale (qui est poursuivie) un analogue rapide de l’insuline avant chaque
repas. Se trouve ainsi réalisé un schéma dit basal-bolus,
analogue à celui qui est préconisé dans le diabète de
type 1. Il y a une logique dans cette façon de faire :
l’insulinothérapie basale contrôle bien la glycémie
nocturne, mais ne contrôle pas directement les excursions glycémiques postprandiales, d’où l’intérêt, si le
résultat global est insuffisant du fait de glycémies postprandiales excessives, d’ajouter un analogue rapide
de l’insuline (ou de passer à des insulines pré-mix,
mais l’ajustement des doses n’est alors plus possible).
C’est un schéma thérapeutique relativement
complexe, qui demande une éducation précise du
patient et qui n’est pas exempt de risques, en particulier hypoglycémique. C’est pourquoi, pour les raisons
indiquées dans le premier chapitre, l’objectif d’HbA1c
dans cette situation est raisonnablement de l’ordre
de 7,5-8 %, pas en dessous.
Il est parfois conseillé d’intensifier l’insuline progressivement, en commençant par une injection d’insuline
rapide avant le repas le plus riche, pour finalement
passer à 4 injections (1 injection d’insuline basale et
3 injections d’insuline rapide), si nécessaire.
En cas d’insulinorésistance importante, caractérisée
par une HbA1c qui reste élevée malgré de fortes doses
d’insuline, on peut ajouter à l’insuline la pioglitazone,
qui obtient souvent dans cette situation des résultats
remarquables, mais avec un risque non négligeable
d’œdèmes, de décompensation d’une insuffisance
cardiaque et de prise de poids.
Conclusion :
une stratégie thérapeutique
multiparamétrique
et individualisée
La stratégie thérapeutique dans le diabète de type 2
doit être multiparamétrique, comme l’atteste, par
exemple, l’étude Sténo 2, qui a montré une réduction
de 50 % à 5 ans des complications micro- et macrovasculaires, ainsi qu’une diminution très significative
de la mortalité à 10 ans par une prise en charge à la
fois des lipides, de la pression artérielle et de l’HbA1c.
Si la prise en charge des lipides, avec une statine,
et celle de la pression artérielle, avec généralement
plusieurs antihypertenseurs, dont un bloqueur du
système rénine-angiotensine, sont relativement
standardisées, la prise en charge de la glycémie est
plus complexe, car elle évolue avec l’histoire de la
maladie diabétique, les objectifs d’HbA1c sont différents selon les patients, et les choix thérapeutiques,
vu les nombreuses classes disponibles de médications
hypoglycémiantes, sont multiples.
■
Conflit d’intérêts. Bernard Charbonnel déclare avoir eu des activités de conseil, de consultant et d’orateur, ainsi qu’avoir effectué
des déplacements et des prestations pour Takeda, GlaxoSmithKline,
Merck Sharpe & Dohme, AstraZeneca, Bristol Myers Squibb, Boehringer
Ingelheim, Novo Nordisk, Roche, Sanofi-Aventis et Novartis.
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