Sir Arthur Conan Doyle

Transcription

Sir Arthur Conan Doyle
Classiques
& Contemporains
Collection animée par
Jean-Paul Brighelli et Michel Dobransky
Sir Arthur Conan Doyle
Trois Aventures
de Sherlock Holmes
LIVRET DU PROFESSEUR
établi par
J OSIANE G RINFAS
professeur de Lettres
SOMMAIRE
DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE
Le Londres de Sherlock Holmes
..............................
Conan Doyle : une filiation de Stevenson
..................
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POUR COMPRENDRE :
quelques réponses, quelques commentaires
Étape 1 Une jolie petite affaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Étape 2 « Un joli petit problème » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Étape 3 « La Femme » : un rival pour
Sherlock Holmes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Étape 4 Watson : « historiographe »
de Sherlock Holmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Étape 5 Une enquête criminelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Étape 6 Une leçon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Étape 7 Des souvenirs de lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Étape 8 Holmes et les hommes doubles . . . . . . . . . . . . . . . .
Étape 9 Un « mangeur d’opium » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Étape 10 L’étrange et le lugubre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Conception : PAO Magnard, Barbara Tamadonpour
Réalisation : Nord Compo, Villeneuve-d’Ascq
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DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE
Le Londres de Sherlock Holmes
Le quartier de Marylebone-Paddington, situé entre Oxford Street et
Regent’s Park, présente deux curiosités : le musée de cire de madame
Tussaud et celui de Sherlock Holmes, au 221b Baker Street, l’un des plus
courus de Londres, parce qu’il est le lieu où le « couple » Holmes-Watson
est censé avoir vécu avant le mariage du docteur. Dans « Un scandale en
Bohême », Watson passe devant la porte de l’appartement et se souvient :
« Dans ma pensée, elle demeurera toujours associée au prélude de mon
mariage et aux sombres incidents de l’Étude en Rouge. » Cette nouvelle propose, en effet, une évocation rapide de l’installation des deux personnages :
« Nous nous sommes retrouvés le lendemain comme il avait été convenu et
nous avons inspecté l’appartement 221b Baker Street, dont il avait parlé
lors de notre rencontre. Le logis se composait de deux confortables
chambres à coucher et d’un seul studio, grand, bien aéré, gaiement meublé
et éclairé par deux larges fenêtres. L’appartement nous parut si agréable et
le prix, à deux, nous sembla si modéré que le marché fut conclu sur-lechamp et que nous en prîmes possession immédiatement. » Ce quartier,
bâti au début du XIXe siècle, étale avec faste ses places, ses demeures et ses
jardins : au numéro 2 de la Devonshire Place, Arthur Conan Doyle exerçait, en 1891, la profession de médecin ; les maisons sont massives mais
exquises ; et, surtout, non loin, le promeneur peut apprécier Regent’s Park,
un des grands jardins de Londres, ouvert au public en 1838.
Comme son créateur, Sherlock Holmes vit donc au nord-ouest de la
ville, dans le West End : depuis le Grand Incendie qui ravagea Londres au
mois de septembre 1666, ce quartier est celui de la grande bourgeoisie ; il
est la « vitrine » de la puissance économique et culturelle britannique. On y
trouve les ministères, les National et Tate Galleries, de nombreux collèges
de l’université de Londres, mais aussi des théâtres, des grands magasins et
des boutiques à la mode. Dans un livre intitulé Londres illustré, le théoricien de l’anarchisme Élisée Reclus (1830-1905) écrit : « Le quartier riche,
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de bon ton, aristocratique, fashionable par excellence, le West End, a pour
limites : à l’est, Regent Street et Waterloo Place ; au sud, le Mall, dans Saint
James Park ; au nord, Oxford Street, de Regent Street à Hyde Park. À
l’ouest, il s’étend au loin vers Chelsea, Brompton, Kensington, Notting
Hill. Ce vaste espace comprend la majeure partie des habitations de la
noblesse ; cependant, du côté de Regent Street et d’Oxford Street, le commerce commence à envahir cette citadelle de l’aristocratie et force celle-ci à
émigrer de plus en plus vers l’ouest. »
Certes, le logis de Sherlock Holmes et du docteur Watson est modeste,
mais il se trouve dans les beaux quartiers. Irène Adler, la belle et mystérieuse
aventurière, habite elle aussi le West End, dans une maison nommée Briony
Lodge : « Il était six heures et quart quand nous sommes partis de Baker
Street », raconte le docteur Watson, « et sept heures moins dix quand nous
nous sommes trouvés dans Serpentine Avenue. Il faisait déjà sombre et on
commençait à allumer les lampes tandis que nous faisions les cent pas
devant Briony Lodge en attendant le retour de la dame qui l’occupait » (« Un
scandale en Bohême », pp. 38-39). La Serpentine est un lac artificiel qui
occupe toute une partie de Hyde Park, autre magnifique et célèbre espace
vert.
« The West End of the town » offre donc aux Londoniens financièrement à l’aise une résidence qui échappe aux bruits, aux noirceurs – les
fumées liées à la combustion du charbon sont poussées dans la direction
opposée par les vents – et à l’insécurité qui caractérisent le reste de la ville.
Cet « autre Londres », Holmes le connaît bien aussi : souvent, quand il
retrouve la paix de Baker Street, c’est après l’avoir arpenté ou fouillé, la nuit
ou au petit matin, à la recherche de traces, d’indices qui serviraient ses
investigations. Dans « Peter le Noir », Watson confie : « Mon ami avait été
si souvent et si longtemps absent de notre appartement que je savais qu’il
avait quelque chose en train. Le fait que plusieurs gaillards de mauvaise
mine étaient venus […] m’avait donné à entendre que Holmes travaillait
quelque part sous l’un des nombreux noms et déguisements qui lui servaient à dissimuler sa formidable personnalité. Il possédait dans différents
points de Londres cinq petits refuges au moins dans lesquels il était à même
de changer d’identité » (« Peter le Noir », p. 56).
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« L’Homme à la lèvre tordue » nous permet de découvrir une de ces
cachettes : marchant sur les pas de Watson, nous nous retrouvons à l’est de
la City, « parmi la lie des docks », dans Upper Swandam Lane. Watson situe
précisément la rue où il retrouve son ami, « tapie derrière les quais élevés
qui longent le côté nord de la rivière, à l’est du pont de Londres » (p. 96).
Où sommes-nous exactement ? Loin du West End, dans des lieux qui lui
sont géographiquement, sociologiquement et symboliquement opposés,
dans ce qu’on appelle l’East End. Alors que la City est encore une zone
commerçante où les diverses classes sociales se mélangent – les financiers y
côtoient marchands et artisans –, l’East End est peuplé d’hommes et de
femmes souvent misérables : ouvriers, migrants qui viennent d’Irlande ou
d’Europe centrale et qui fournissent la main-d’œuvre bon marché des très
nombreuses industries de l’Angleterre victorienne, celles qu’on appelle « les
industries de la sueur ». D’autres, tout aussi misérables, travaillent dans les
docks dont l’activité a explosé à la faveur de l’extension de l’Empire britannique : l’activité est intense lorsqu’affluent les cargaisons, le thé, la laine, les
céréales… Les noms des entrepôts évoquent la variété et l’origine des
richesses qui arrivent dans le port de Londres : en 1802, on inaugure le
West India Dock, puis, en 1805, le London Dock qui voit passer plus de
deux mille navires par an ; le Tobacco Dock, l’East India et le South India
Docks viennent s’ajouter à un complexe déjà impressionnant, dont l’expansion s’achève dans les années 1920. Le contraste est saisissant entre la
richesse des marchandises traitées dans les docks (bois exotiques, vins,
tabacs et thés fins…) et le dénuement des populations qui y vivent, surtout
en hiver, quand le brouillard, la pluie et le froid arrêtent les travaux de
construction et le déchargement des bateaux. L’East End connaît des
émeutes de la faim pendant les hivers de 1879, 1887 et 1891, lorsque le
sous-emploi atteint des sommets.
L’état de pauvreté des habitants entraînant des problèmes d’alcoolisme,
de délinquance et de violence graves, les quartiers de Spitafields, Stepney et
Whitechapel deviennent très vite mal famés ; les bas-fonds de Londres sont
là, le long de la Tamise et de ses flots boueux et dans les nombreux pubs,
dont certains sont de sinistre réputation : dans le Town of Ramsgate, on
enferme les condamnés qui attendent leur embarquement pour l’Australie ;
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dans ceux du Wapping – quartier voisin de St Katherine Dock –, les prostituées sont nombreuses…
De son exil londonien, Jules Vallès écrit à propos de la Tamise : « L’eau
de la Tamise est couleur de fange, et le ciel est couleur de tombe. […] Elle
est sale de toutes les crasses des pauvres qui descendent le soir nettoyer leurs
pieds, noyer leurs poux ; elle est sale de la sueur des mâles qui travaillent à
pousser les barques ou à emplir les docks. Le flot a des reflets jaunâtres
comme de l’or brut, et, en effet, il charrie des millions ; sous la lueur
oblique du soleil, qui s’accroche à ses cuivres, il a des teintes rougeâtres
comme en aurait, le soir, une rivière longée par une bataille, et dont le lit
serait fait de charbon pétri de sang » (La Rue à Londres).
C’est dans cet « envers » du West End, dans ses bouges, à l’écart des bienséances obligées de la société victorienne, que sont venus se « perdre » Isa
Whitney l’opiomane et Neville Saint-Clair, l’homme à la lèvre tordue. L’un
et l’autre sont ramenés sur le « droit chemin » grâce au couple HolmesWatson qui, lui, ne fait qu’un tour par le « Londres du plaisir et du crime »
et ne vise que la rédemption des gentlemen qui s’y sont égarés.
Conan Doyle : une filiation de Stevenson
Deux des nouvelles de ce recueil amènent le lecteur averti à établir des
correspondances entre l’œuvre de Stevenson et celle de Conan Doyle. Du
point de vue des dates de publication, les livres de Stevenson précèdent de
quelques années ceux de Conan Doyle : ainsi, L’Île au trésor paraît d’abord
en feuilleton entre octobre 1881 et janvier 1882 ; Le Cas étrange du
Dr Jekyll et de M. Hyde, en 1886. Quant au « canon » – terme sous lequel
les spécialistes ont l’habitude de désigner l’ensemble des œuvres de Conan
Doyle mettant en scène Sherlock Holmes – sa rédaction s’échelonne sur
quarante ans, de 1887 à 1927. La filiation la plus évidente apparaît dans la
comparaison entre « Peter le Noir » et L’Île au trésor.
Peter Carey, le patron de La Licorne des mers, est une sinistre figure, que
le jeune inspecteur Stanley Hopkins évoque en ces termes (p. 60) : « En
bref, monsieur Holmes, vous irez loin avant de trouver un homme plus
dangereux que Peter Carey, et on m’a dit qu’il était exactement pareil quand
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il commandait son bateau. On le connaissait dans la navigation sous le nom
de Peter le Noir, et le surnom ne lui avait pas été donné à cause de son teint
basané et de sa grande barbe, mais en raison de son humeur qui répandait
la terreur autour de lui. »
Ce Peter Carey semble né de la fusion des deux personnages qui hantent
les jours du jeune Jim, au début de L’Île au trésor : le capitaine Billy Bones,
« homme d’un naturel très taciturne », dont les accès de colère sont tyranniques ; et Chien Noir, au visage blême et horrible, dont l’apparition cause
la mort de Bones. Quant au thème du trésor – ou du coffre –, Conan Doyle
le modernise pour les lecteurs du Strand Magazine en faisant de l’objet
convoité une caisse de fer-blanc remplie de valeurs et de titres.
Nous pourrions poursuivre la comparaison en rappelant que dans Le
Signe des Quatre (1889) apparaissent le thème du trésor fabuleux et un
étrange gardien dont la jambe de bois est sans doute un rappel de Long
John Silver…
Mais la filiation la plus troublante est celle qu’on peut établir entre
« L’homme à la lèvre tordue » et Le Cas étrange du Dr Jekyll et de M. Hyde.
D’abord dans les représentations que l’un et l’autre écrivain y donnent des
rues de Londres. Nous avons vu que Conan Doyle choisit pour décor de
l’enquête les quartiers du nord de la Tamise, ses rives boueuses, ses
« bouges » ; Stevenson, lui, pousse Utterson sur les traces de Hyde, à travers
le quartier de Soho, qu’il décrit en ces termes (chapitre 4) : « Vu sous ces
divers aspects, avec ses rues boueuses, ses passants pauvrement vêtus, ses
réverbères qu’on avait oublié d’éteindre ou qu’on avait rallumés pour atténuer l’offensive du brouillard, le sinistre quartier de Soho semblait, aux
yeux de l’avoué, quelque cité de cauchemar. […] Au moment où la voiture
s’arrêtait à l’adresse donnée au cocher, le brouillard se leva un peu. Utterson
aperçut une rue sale, un cabaret, un petit restaurant français minable. […]
Puis, aussi vite qu’il s’était levé, le brouillard retomba, masquant presque
entièrement le tableau de cette rue sordide. C’était là que résidait l’ami de
prédilection du docteur Jekyll… L’homme qui hériterait de deux cent cinquante mille livres ! »
La comparaison peut se poursuivre à travers les similitudes que présentent Watson et Utterson : Watson accepte de se rendre à La Barre d’Or,
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dans Upper Swandam Lane, pour aller chercher Isa Whitney, à qui il dit
toute la honte que devrait lui inspirer son propre comportement ; l’honnête
et très victorien Watson ne comprend absolument pas qu’il a sans doute
affaire à un homme double, déchiré entre l’amour de sa femme et celui de
l’opium. De la même façon, Utterson, l’irréprochable ami et notaire, ne
comprend pas le rapport que peuvent entretenir Jekyll, Hyde et le quartier
de Soho ; il ne peut pas en effet concevoir l’idée même d’un étrange cas de
dédoublement… Dans l’un et l’autre texte, les quartiers populaires de
Londres permettent d’échapper à la société victorienne, si digne et si intraitable avec ceux qui sont tentés par les plaisirs et les écarts.
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POUR COMPRENDRE : quelques réponses,
quelques commentaires
Étape 1 [Une jolie petite affaire, pp. 138-139]
14 Bien avant le XIXe siècle, des savants comme l’Arabe Al Hazin, au
Xe siècle, ou Léonard de Vinci, à la fin du XVe siècle, ou encore le moine
Johann Zhan en 1685, ont inventé des « machines » pour refléter les
images. Mais il manque l’invention qui permettra de les conserver, de les
fixer. En 1816, Nicéphore Niepce applique les nouvelles découvertes
concernant les composés sensibles à la lumière (comme le bitume de Judée)
et réalise la première photographie du monde : Point de vue pris d’une
fenêtre du Gras à Saint-Loup-de-Varrennes. Il collabore avec un peintre parisien, nommé Daguerre, qui donne son nom au daguerréotype, image obtenue par l’exposition de la plaque aux vapeurs de mercure et fixée par le
chlorure de sodium.
Parmi les premiers photographes, on peut citer, outre Nicéphore Niepce,
des portraitistes comme Nadar, Carjat ou Legray.
Étape 2 [« Un joli petit problème », pp. 140-141]
12 Le Langham Hotel se trouve à Portland Place. Inauguré en 1865, il
reste l’un des grands palaces de Londres et sa splendeur ne garde pas trace
des dommages que le Blitz lui a fait subir. C’est au restaurant du Langham
que Conan Doyle rencontre l’éditeur Lippincott, en 1889. Le nom de l’hôtel apparaît dans « Un scandale en Bohême », mais aussi dans « Le Signe des
Quatre » et dans « La Disparition de Lady Frances Carfax ».
Charing Cross est l’une des principales gares de Londres. Elle fut inaugurée en 1864 et dessert le sud de la Grande-Bretagne.
13 Par l’intermédiaire de son agent, Conan Doyle entre en contact avec
un célèbre acteur et auteur dramatique, William Gillette. De leur collabo-
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ration naît Sherlock Holmes, pièce en quatre actes, créée à New York en
1899, avec Gillette dans le rôle-titre. Il incarne Sherlock Holmes plus de
1 300 fois au théâtre et une fois au cinéma, en 1916.
À Paris, en 1907, Sherlock Holmes est monté au théâtre Antoine par
Firmin Gémiert avec Harry Baur dans le rôle de Moriarty.
En 1910, Conan Doyle adapte pour la scène La Bande mouchetée, pièce
qui est jouée à l’Adelphi Theatre de Londres.
Étape 3 [« La Femme » : un rival pour Sherlock Holmes ?,
pp. 142-143]
11 L’adjectif misogyne vient de deux mots grecs : du verbe misein qui
signifie « haïr » et du nom gynè qui désigne « la femme ».
L’adjectif misanthrope, construit sur le même verbe misein, veut dire « qui
déteste le genre humain ».
12 Le personnage d’Irène Adler aurait été inspiré à Conan Doyle par
celui de la danseuse Lola Montès, maîtresse du roi Louis Ier de Bavière. Elle
n’apparaît que dans « Un scandale en Bohême » mais a nourri l’imaginaire
des auteurs de « suites » : dans le roman de Nicolas Meyer, Sherlock Holmes
et le Fantôme de l’Opéra, le héros, qui est devenu violoniste, sauve la cantatrice ; la télévision américaine a produit, en 1990, Sherlock Holmes and the
Leading Lady et, en 1976, Sherlock Holmes in New York, film dans lequel
c’est Charlotte Rampling qui prête ses traits à la belle aventurière.
13 On peut citer, bien sûr, Le Parfum de la dame en noir, que Gaston
Leroux publie en 1909 et qui est la suite du Mystère de la chambre jaune,
publié en feuilleton l’année 1907. Mais on trouve quantité de portraits de
femmes dans les classiques du « thriller » américain et, plus près de nous,
chez des auteurs comme Jean-Patrick Manchette ou James Ellroy.
14 On peut citer l’espionne Mata Hari, les grandes voyageuses comme
Alexandra David-Neel ou Isabelle Eberhardt.
11
Étape 4 [Watson : « historiographe » de Sherlock Holmes,
pp. 144-145]
14 Une des épithètes récurrentes d’Ulysse, le héros de l’Odyssée, est, en
effet, « le rusé ».
15 Holmes, par son calme, son assurance presque condescendante, est
assez représentatif des valeurs de la société victorienne ; comme le docteur
Watson, dont la fonction première est de guérir – au propre comme au
figuré – les Londoniens des miasmes de la grande Cité, il met toutes ses
qualités, et notamment sa raison, au service du combat contre le Mal. Dans
La Ligue des rouquins, Watson lui décerne même le titre de « Bienfaiteur de
l’Humanité ». On ne lui connaît pas de penchant pour la débauche, même
s’il faut signaler quelques faiblesses, comme l’usage parfois immodéré de
drogues, dont la cocaïne (cf. l’allusion, p. 101).
Mais Holmes peut être aussi un peu « dandy » : non pas seulement pour
son goût des belles robes d’intérieur et des sofas. Relisons ce que Jules
Barbey d’Aurevilly écrit dans son petit traité intitulé Du dandysme :
« Nulle part l’antagonisme des convenances et de l’ennui qu’elles engendrent ne s’est fait plus violemment sentir au fond des mœurs qu’en
Angleterre, dans la société de la Bible et du droit, et peut-être est-ce de ce
combat à outrance […] qu’est venue l’originalité profonde de cette société
puritaine. […] Le jour où la victoire sera décidée, il est à penser que la
manière d’être qu’on appelle “dandysme” sera grandement modifiée, si elle
existe encore ; car elle résulte de cet état de lutte sans bout entre la convenance et l’ennui.
Aussi, une des conséquences du dandysme, un de ses principaux caractères – pour mieux parler : son caractère le plus général – est-il de produire
toujours l’imprévu, ce à quoi l’esprit accoutumé au joug des règles ne peut
pas s’attendre en bonne logique. L’excentricité, cet autre fruit du terroir
anglais, le produit aussi, mais d’une autre manière, d’une façon effrénée,
sauvage, aveugle. […] Le dandysme, au contraire, se joue de la règle et
pourtant la respecte encore. Il en souffre et s’en venge tout en la subissant ;
il s’en réclame quand il y échappe ; il la domine et en est dominé tour à
tour : double et muable caractère ! »
12
Le succès du personnage de Sherlock Holmes, sa force de séduction –
aujourd’hui encore inentamée – viennent sans doute de son originalité et
de l’écart qu’il met entre lui et les règles qui devaient gérer l’existence d’un
gentleman de l’époque victorienne, même détective. Appparemment fort
équilibrée par un recours constant à la logique la plus irréfutable, la personnalité de Holmes est plus « dandy » qu’il n’y paraît. Comme les
« dandy », Holmes conjugue un intellectualisme exacerbé et une atrophie
volontaire de son affectivité. Rappelons ce que Watson confie au lecteur
dans les premières lignes d’« Un scandale en Bohême » : « Étant, à mon
sens, la machine à raisonner et à observer la plus parfaite que le monde eût
jamais vue, il se serait, en tombant amoureux, placé dans une fausse position. […] Des grains de sable dans un instrument très délicat, une fêlure
dans l’une de ses fortes et puissantes loupes ne l’auraient pas plus déconcerté que l’apparition dans son cœur d’un sentiment violent » (p. 11).
Comme le dandy, Sherlock Holmes est en quête du Beau et chaque
affaire semble menée pour apporter sa pierre à la construction d’une œuvre.
Sherlock Holmes, c’est souvent la beauté dans la quête du criminel et, en
ce sens, ce détective est une figure tout à fait originale. Seulement, il semble
qu’avec Irène Adler – la Femme – il ait trouvé un maître en élégance !
Enfin, puisqu’il faut forcément parler de logique, nous dirons que celle
de Sherlock Holmes produit justement de l’imprévu, de l’étonnement sur
l’esprit du lecteur moyen – dont Watson est une représentation possible. Et
dire, à la suite de Boileau-Narcejac, dans Le Roman policier (« Que saisje ? », 1975) que Holmes est perçu comme « le premier détective vraiment
scientifique » ne doit pas faire oublier qu’il est aussi le disciple de Dupin et
de son poète-créateur, Edgar Poe.
16 Ian Fleming commence, pendant la Seconde Guerre mondiale, par
être agent secret affecté à la marine – il atteint le grade de capitaine – et finit
assistant du chef des Services secrets. Il publie son premier roman, Casino
royal, en 1953, et les autres se succèdent au rythme d’un par an, jusqu’à la
mort de l’auteur en 1964. Le succès du personnage de James Bond devient
évident en 1958, lorsqu’on adapte pour la première fois un roman de Ian
Fleming à l’écran : il s’agit de Dr No. Comme Sherlock Holmes, le héros à
13
l’humour flegmatique et à l’élégance parfois sombre, éclipse son créateur ;
il est « traduit » dans toutes les langues et devient un vrai mythe.
Étape 5 [Une enquête criminelle, pp. 146-147]
12 Le manoir des Baskerville est situé dans le Devonshire. Le chapitre 6,
intitulé d’ailleurs « Le manoir des Baskerville », propose une description
aux accents fantastiques de la bâtisse et de la lande sur laquelle on l’a
construite.
Étape 6 [Une leçon, p. 148]
9 Gaston Leroux (1868-1927) a créé le personnage de Rouletabille,
détective amateur. D’une perspicacité exceptionnelle, Rouletabille résout
des énigmes policières présentées notamment dans Le Mystère de la chambre
jaune (1907).
Étape 7 [Des souvenirs de lecture, p. 149]
8 L’auteur de L’Île au trésor est Robert Louis Stevenson.
9 L’auteur du Secret de la Licorne est le dessinateur Hergé.
Étape 8 [Holmes et les hommes doubles, pp. 150-151]
15 La confession de Henry Jekyll, au chapitre 10 du Cas étrange du
Dr Jekyll et de M. Hyde, donne une remarquable image du refoulement
induit par la société victorienne. Jekyll écrit, dans ses révélations : « Je fus
donc obligé de cacher avec soin mes plaisirs. » Suit une analyse étonnante
de modernité de la double nature de l’homme, et de sa difficulté à l’assumer dans un monde où la morale ne se mesure qu’à l’aune du Bien. La
femme est, elle aussi, soumise à ce dédoublement, soit femme perdue, soit
garante de la stabilité et de l’ordre social : les deux épouses qui apparaissent
dans « L’homme à la lèvre tordue » ont pour fonction de ramener l’homme
14
dévoyé dans le bon chemin ; celle d’Isa Whitney fait appel à Watson ; celle
de Neville Saint-Clair à Sherlock Holmes.
Étape 9 [Un « mangeur d’opium, p. 152]
10 Thomas De Quincey (1785-1859) est connu, en France, grâce à
deux écrivains : Alfred de Musset et Charles Baudelaire. Tous deux ont
lu Le Mangeur d’opium (1821) qui, sous la forme de confessions, évoque
les affres et les plaisirs dans lesquels la consommation d’opium a plongé
l’auteur.
C’est dans Les Paradis artificiels, après la première partie intitulée « Le
poème du haschich », qu’on trouve « Un mangeur d’opium ». L’intérêt de
Baudelaire pour le texte de Thomas De Quincey date de 1857 ; il prend
trois formes successives : un article, une traduction, et une analyse accompagnée de larges citations. La Revue contemporaine publie dans ses livraisons
des 15 et 31 janvier 1860 « Enchantements et tortures d’un mangeur
d’opium ». Puis, au printemps 1860, Baudelaire réunit en un volume tous
les articles qu’il a consacrés au texte de Thomas De Quincey ; il paraît chez
l’éditeur Poulet-Malassis.
La « traduction » d’Alfred de Musset est, elle, très romancée. Nous avons
choisi d’en citer ce passage, parce qu’il rappelle beaucoup celui où Watson
évoque les effets de l’opium sur les fumeurs et, particulièrement, sur Isa
Whitney : « Je crois avoir prouvé que l’opium ne produit ni l’engourdissement, ni l’action, mais, au contraire, fait courir les carrefours et les théâtres.
Franchement pourtant, ce ne sont pas là des places dignes d’un mangeur
d’opium, lorsqu’il est parvenu au plus haut degré de l’exaltation. La solitude
lui plaît alors, et la foule l’oppresse ; la musique même est une jouissance trop
grossière et trop sensuelle pour lui. Il cherche le silence, aliment des profondes rêveries et des méditations délicieuses. Pour moi, je n’étais que trop
enclin à méditer. […] Mais, après avoir pris de l’opium, je tombais dans de
longues rêveries ; et, plus d’une fois, il m’est arrivé, dans une nuit d’été,
lorsque je m’asseyais à une fenêtre qui donnait à la fois sur la mer et sur toute
la ville de L***, de rester, depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, sans bouger et sans vouloir bouger » (éd. Mille et Une Nuits, pp. 46-47).
15
Étape 10 [L’étrange et le lugubre, p. 153]
7 L’auteur de L’Assommoir est Émile Zola. Le roman porte le nom d’une
machine à distiller l’alcool. Avec L’Assommoir, Zola a voulu écrire le premier
roman sur le peuple « qui ait l’odeur du peuple ».
8 L’auteur des Grandes Espérances est Charles Dickens. Le roman a été
écrit entre 1860 et 1861 ; il est considéré comme un bildungsroman, c’està-dire un « roman de formation » ou « d’éducation » comme l’est déjà David
Copperfield.
© Éditions Magnard, 2003
www.magnard.fr

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