Les enfants de parents malades mentaux : de la

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Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
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Les enfants de parents
malades mentaux : de la
parentification à la souffrance
psychique
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Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
Sommaire
• Les enfants de parents malades mentaux : de (...)
• Introduction : l'enfant mitigé au risque de la (...)
• Entre le normal et le psychopathologique
• Le sens du symptôme en psychopathologie
• La structuration de la personnalité
• La névrose et la psychose
• Les états-limites
• Différences principales entre névrose et (...)
• Les conséquences de la maladie mentale sur le (...)
• Des enfants « thérapeutes », « soignants » ou « (...)
• Qui sont ces enfants « soigneurs » ?
• Le concept de « délire à deux », une théorie de (...)
• Les efforts pour rendre l'autre fou
• Maladie mentale et maltraitance intrafamiliale
• La mère psychotique et son enfant : du désir (...)
• Intervention en cas de troubles graves de la (...)
• Comment survivre à la maladie mentale d'un (...)
• L'enfant confronté à la souffrance psychique
• De la plainte à la souffrance psychologique
• Le soutien thérapeutique à l'enfant et à son (...)
• Conclusion : liens de sang, liens de folie (...)
• Bibliographie
Les enfants de parents malades mentaux : de la
parentification à la souffrance psychique
Yves-Hiram Haesevoets ¨
Introduction : l'enfant mitigé au risque de la maladie
mentale
La situation des enfants de parents malades mentaux est à la fois très complexe et variée. Voici l'occasion de faire le
point sur un sujet délicat et méconnu, voire tabou. Le cancer, la sclérose en plaques, les pathologies psychiatriques
ou infectieuses sont autant de maladies qui peuvent avoir des répercussions indirectes importantes auprès des
enfants des personnes malades. Lorsqu'on envisage un problème pathologique chez un parent, il est rare de penser à
la maladie mentale. On se réfère plus généralement à une affection chronique (une maladie physique, un cancer, une
infection sévère ou un accident somatique), qu'à une affection psychiatrique, considérée encore aujourd'hui comme
un tabou dans une société qui prône la normalité, la soumission à la règle et le conformisme.
Néanmoins, l'impact d'une maladie mentale d'un parent sur son enfant est d'autant plus considérable qu'elle n'est pas
toujours diagnostiquée avec rigueur. Des intervenants et des associations s'en inquiètent et tentent d'apporter leur
soutien à des enfants qui en ont concrètement besoin. Pourtant, peu d'écrits et d'études scientifiques existent à ce
propos.
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Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
Très singulière, la destinée des enfants de parents malades mentaux (surtout psychotiques) connaît des
développements très divers. Ainsi, le père fondateur de la « psychologie analytique », Carl Gustav Jung (1875-1961) a
lui-même souffert d'une enfance difficile auprès d'une mère folle qui se disputait avec son père tout en faisant tourner
les tables. Sujet à des syncopes, il était hanté par la vision qu'il avait eue en rêve d'un Dieu déversant ses excréments
sur le sommet d'une cathédrale. Il dit un jour à Freud qu'ayant été victime enfant d'une agression sexuelle - un prête
sans doute - il en avait conçu un dégoût des amitiés masculines. Sans renoncer ni au spiritisme ni à l'occultisme, Jung
exerça à la clinique du Burghölzli de Zurich, sous la houlette d'Eugen Bleuler, inventeur des notions de schizophrénie
et d'autisme. Dauphin de Freud de 1906 à 1913, il fut alors l'artisan d'une ouverture de la psychanalyse à la clinique
de la folie, terre promise rêvée par Freud.
Dans une famille chaotique, perturbée ou enchevêtrée, les transactions psychopathologiques « contaminent » le
développement et le fonctionnement psychiques de l'enfant. Au plan clinique, la notion de « délire à deux » est
souvent décrite dans la littérature psychiatrique pour comprendre les mécanismes sous-jacents aux transactions
intrafamiliales d'allure psychotique. Dans l'histoire de la psychiatrie, les premiers aliénistes français envisagent « la
folie à deux » (personnages) comme la résultante d'une « aliénation familiale », d'un « mythe » ou d'un « délire familial
». Transposé par les systémiciens, ce concept nous permet aujourd'hui de mieux appréhender une certaine réalité du
vécu de ces enfants et des transactions particulières qu'ils subissent.
Lorsqu'un enfant mineur doit faire face à la maladie d'un parent, les rôles s'inversent ou se transforment. Vivre avec
un parent malade mental (ou des parents malades mentaux) est loin d'être une sinécure pour l'enfant. De manière
souvent précoce, ce dernier s'interroge sur le normal et le pathologique. C'est souvent avec beaucoup d'anxiété (et
donc de manière très problématique) que l'enfant s'identifie à son parent malade et essaye de le comprendre. Aux
côtés d'un parent psychotique qui souffre de crises paranoïaques ou de dépression grave, certains enfants vivent un
véritable enfer ou subissent des mauvais traitements physiques et/ou psychologiques. D'autres remplissent un
véritable rôle thérapeutique ou contra-phobique, jusqu'à diminuer les angoisses qui envahissent le psychisme de leur
parent. Autrement dit, ils prennent sur eux. Quelques-uns se « parentifient » et deviennent le relais social avec
l'extérieur. Selon les vicissitudes de l'existence et la nature des transactions intrafamiliales, des enfants
décompensent et « portent » à leur tour la maladie de leur parent. Dans certains contextes plus psychopathologiques
où les transactions intrafamiliales sont très perturbées, voire chaotiques, perverses et/ou délirantes, l'enfant peut
devenir « patient désigné » et/ou « malade » par procuration.
L'enfant ne participe pas toujours aux délires de persécution ou aux « bizarreries » de son parent malade. Il peut être
vecteur de réalité pour un parent qui justement ne trouve plus ses repères et se sent coupé du réel. Dans de
nombreuses situations et presqu'à l'insu de son plein gré, le « protégé » devient aussi « protecteur », « thérapeute »
ou « aidant ». L'enfant ou l'adolescent doit alors prendre des responsabilités qui ne sont pas de son âge, dans un
contexte psychologique particulier.
Combien d'enfants doivent endosser des responsabilités matérielles et psychologiques importantes du fait de la
maladie d'un proche ? Cette question, largement débattue dans les pays anglo-saxons, ne semble pas avoir fait l'objet
d'études approfondies en Belgique ou en France. Nul doute pourtant que l'augmentation du nombre de familles
monoparentales et la réduction des durées d'hospitalisations (même psychiatriques) accentuent encore ce
phénomène. Les dispositifs d'aide sont insuffisamment développés ou n'existent pas.
Si les bonnes volontés ne manquent pas, ni les réseaux d'aide aux familles, aucun organisme ne fédère ni ne
renseigne sur les initiatives capables d'aider les enfants chargés de responsabilités de soutien de leur proche. Les
associations sont plus tournées vers l'aide aux parents d'un enfant malade, que vers les enfants d'un parent malade.
Quelques initiatives existent. En Belgique, certains Centres de santé mentale ont tenté de créer des groupes de
parole pour enfants de parent malade mental, mais les pouvoirs publics n'ont pas suivi l'idée.
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De la psychose maniaco-dépressive à la névrose d'angoisse, en passant par les troubles de la personnalité, les
phobies, les troubles obsessionnels, les bouffées délirantes, les attaques de paniques, les crises paranoïaques, les
états limites, les flambées de violence,... les affections mentales sont très variées. On ne connaît pas toujours
l'évolution d'une maladie mentale, ni son issue. Malgré les progrès considérables de la psychiatrie, de la
pharmacologie et des neurosciences, ces pathologies du psychisme ne sont jamais faciles à diagnostiquer ou à
traiter. Parfois sujette à controverse, la nomenclature des maladies mentales est de plus en plus complexe. Pour
certains, il existe autant de maladies mentales que de malades mentaux.
Indépendamment de la pénibilité de leur existence, ces enfants ont besoin de réponses et de soutien thérapeutique,
non seulement pour comprendre, mais également pour survivre psychiquement.
Confrontés de manière quotidienne à la maladie mentale de leur parent, ces enfants ne mènent pas une existence
ordinaire à laquelle ils aspirent pourtant. Ils affrontent aussi le regard des autres. En grandissant avec la maladie de
l'autre, ils finissent toujours par se questionner.
•
Qui est normal ?
•
Qui est pathologique ?
•
Qu'est-ce qu'une maladie mentale ?
•
Et comment s'en accommoder ?
•
Est-ce transmissible ?
•
Suis-je aussi mentalement perturbé ?
•
Suis-je fou à la place de l'autre ?
•
Quelles sont les conséquences de la maladie sur mon vécu ?
•
Comment soigner la souffrance psychique ?
Autant de questions auxquelles nous allons essayer de répondre suivant différents axes, afin notamment de mieux
comprendre ce que vivent ces enfants. Premièrement, il importe de définir ce que nous entendons par le « normal » et
le « pathologique », le sens du symptôme en psychopathologie, la manière dont une personnalité se structure au plan
psychique et les fondements de la « maladie mentale » (névrose, psychose et état limite). Deuxièmement, nous
tenterons de mieux cerner les conséquences de la maladie mentale sur le vécu de l'enfant, la manière dont il
développe certaines « compétences » et évolue avec la maladie de leur (s) parent (s). Troisièmement, nous
aborderons différents phénomènes concernant les transactions psychopathologiques que subissent ces enfants : la
notion de « délire à deux », comme fondement de l'aliénation familiale, les concepts d'enfant-symptôme et de « patient
désigné », les perturbations sur le mode de fonctionnement du système familial, le « double-lien », les troubles de la
communication, le déséquilibre systémique et l'inversion des rôles, les efforts pour rendre l'autre fou, la maladie
mentale comme facteur prédictif de maltraitance et enfin, les troubles d'attachement chez la mère psychotique.
Quatrièmement, nous essayerons de comprendre comment les enfants survivent à la maladie mentale d'un proche, de
quelle manière ils appréhendent la souffrance psychique et quelles sont les indications en matière de soutien
thérapeutique.
Entre le normal et le psychopathologique
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Tout enfant confronté à la maladie mentale d'un proche finit par se poser des questions essentielles et pertinentes :
•
Qui est normal ?
•
Qui est pathologique ?
•
Qu'est-ce qu'une maladie mentale ?
•
Et comment s'en accommoder ?
•
Qu'est-ce qu'un symptôme psychologique ?
Pour bien comprendre la maladie mentale et ce que peut vivre un enfant confronté à ce type d'affection chez un
parent ou un proche, il importe de comprendre le sens du symptôme en relation, avec la structure de personnalité et
de distinguer le mode de fonctionnement psychique en termes de psychose, de névrose et d'état limite.
Par définition, est « normal » celui qui reste adapté à son milieu, qui est soumis aux lois régies par sa communauté,
qui correspond aux normes en vogue dans une société donnée. Est « normal » celui qui ne sombre pas dans la folie,
qui se défend contre la décompensation (névrotique ou psychotique), qui manifeste du caractère contre la survenue
d'une pathologie mentale et mobilise. Est plus ou moins « normal » celui qui est capable de mobiliser des mécanismes
de défenses psychologiques suffisamment efficaces lorsqu'il est confronté à des situations existentielles difficiles ou
pénibles. Est « normal », celui qui est capable de résoudre un problème personnel (désamorcer un conflit intérieur) ou
affronter un problème relationnel (désamorcer un conflit extérieur) en faisant appel au soutien d'autrui et/ou qui est
capable de mobiliser des « forces » psychiques suffisantes (ressources intérieures).
Toutefois, il n'existe pas de véritable démarcation entre un individu « normal » (parfaitement sain d'esprit et totalement
résiliant) et un individu (névrosé) qui rencontre une période difficile dans l'existence, qui traverse une crise ou qui
souffre de tel ou tel problème psychologique. Il existe un étroit passage entre normalité et pathologie suivant le degré
de permanence (momentané, ponctuel, état de crise, prolongé ou chronique) de l'état plus ou moins
psychopathologique du sujet. A tout moment un individu sain peut « pénétrer » dans cet état, ou en sortir. Suivant le
degré de décompensation, l'intensité de l'événement qui le perturbe, la mobilisation de ses mécanismes de défense et
le type de structure de sa personnalité, un individu peut souffrir de manière névrotique (répétition compulsive d'un
symptôme) ou psychotique (délire, rupture avec la réalité, déni du réel), et parfois mobiliser des défenses psychiques
inadaptées (perversion d'objet, clivage du Moi) ou réagir dangereusement (conduites destructrices, psychopathie,
attitude perverse, passage à l'acte).
La psychologie clinique établit une typologie psychopathologique entre les névroses et les psychoses, afin d'apporter
des nuances aux différents tableaux rencontrés. Calquée sur le modèle du diagnostic médical, cette schématisation
psychiatrique risque de classifier les individus suivant des petites « cases » nosographiques comme dans le DSM V-R
(la « bible » de la psychiatrie anglo-saxonne qui propose une classification des maladies mentales suivant différents
critères diagnostiques) et de perdre en nuance au plus grand détriment du sujet lui-même. De manière un peu
caricaturale, le névrosé serait celui qui prend conscience de sa propre souffrance, de ses symptômes et/ou qui
tenterait de s'en sortir en cherchant à résoudre ses conflits intérieurs. En revanche, le psychotique serait le « fou » au
sens clinique du terme, c'est-à-dire l'aliéné mental d'autrefois. Même parfois insensés et incompréhensibles, les
symptômes ont pourtant du sens et servent aussi de « béquilles » psychiques à celui qui souffre.
Par définition, est « pathologique » celui qui se fait rejeter parce qu'il ne peut (ou ne parvient pas) à résoudre
intérieurement ses conflits, c'est-à-dire celui qui reste en conflit avec lui-même et/ou avec les autres, celui qui reste en
état d'inadaptation relationnelle et sociale, celui qui a perdu certains repères, celui qui est déstructuré mentalement et
ne parvient plus à communiquer plus ou moins « normalement », celui qui est totalement dépassé par sa propre
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souffrance et souffre d'une importante désespérance. Confronté à un mal intérieur qui le ronge ou à des angoisses
envahissantes, le sujet « pathologique » doit parfois entrer dans un état important de perturbation psychique (crise de
décompensation) avant de « retrouver ses esprits » (se réconcilier avec son moi profond) et entamer lentement un
processus de guérison (retrouver un certain équilibre psychique et un bien-être psychoaffectif). Le pathologique
signifie plus que l'anormalité, à laquelle il ne se réduit pas. Un individu, une situation exceptionnelle ou étrange
peuvent paraître parfaitement « normal » : le génie, les sextuplés, quoique rarissimes, ne sont pas des phénomènes
morbides. Tandis que l'anormal est ce qui dévie considérablement de la moyenne statistique. Le pathologique est ce
qui provoque la souffrance de l'individu (lésion organique, complexe psychologique, trouble existentiel, deuil
pathologique, mélancolie, compulsion obsessionnelle, angoisse dépressive, etc.).
Par définition, est « pseudo normal » celui qui aménage banalement une partie de sa personnalité, mais sans
résoudre en profondeur ses difficultés, c'est-à-dire celui qui joue à la personne hypernormale, effacée, peu expressive
et conformiste, qui entretient une pseudo stabilité dans sa vie, mais qui fonctionne de manière immature, sans
véritables relations, en évitant de se remettre en question. Le sujet évite ainsi les questions périlleuses qui pourraient
déclencher un processus symptomatique comme la dépression. En évoluant dans une espèce de médiocrité
psychique et intellectuelle, le sujet évite à tout prix la dépression ou d'autres symptômes. Il manifeste parfois un «
faux-self » de survie.
Le sens du symptôme en psychopathologie
Au plan psychodynamique, le symptôme n'est pas le signe d'une maladie, mais plutôt l'expression d'une souffrance
liée à un conflit inconscient. Le symptôme est donc porteur de sens (caché, non révélé à la conscience). Il peut
correspondre à un épisode ou à une crise, sans pour autant appartenir à toute structure de type névrotique ou
psychotique. On évoque alors un symptôme d'allure névrotique ou psychotique, plutôt qu'un symptôme de structure,
c'est-à-dire un symptôme incorporé à l'organisation même de la personnalité humaine. Il faut éviter d'utiliser des
étiquettes pseudo diagnostiques et faire la distinction entre les épisodes, qui sont des états momentanés au cours
desquels le Moi n'a pas encore achevé sa maturation et instauré ses limites, et une défense symptomatique d'une
structure névrotique ou psychotique. Par exemple, le symptôme de conversion hystérique, généralement tenu pour
simulation, est en fait une pantomime du désir inconscient ou de la réalisation d'un fantasme inconscient, expression
du refoulé à forte connotation sexuelle. Selon Lacan, le symptôme va dans le sens d'un désir de reconnaissance non
reconnu, dans la mesure où ce désir reste exclu, refoulé. Le symptôme réel est celui qui appartient à la structure de la
personnalité et qui génère des défenses psychiques de type névrotique contre l'angoisse, ou de type psychotique
contre la menace de morcellement et d'éclatement du Moi.
Basé sur une définition rigoureuse de la structure authentique, le diagnostic de névrose ou de psychose ne s'applique
qu'à une maladie mentale causée par un état de décompensation observable en relation avec un dysfonctionnement
du Moi ou une inadaptation de l'organisation profonde et fixe du sujet à des circonstances nouvelles, intérieures ou
extérieures, devenues plus puissantes que ses propres mécanismes de défense.
La structuration de la personnalité
La personnalité est structurée suivant différentes modalités élaborées à partir de la prime enfance (les différents
stades de l'évolution psychodynamique de la personnalité), modelée au fur et à mesure de l'évolution psychique du
sujet et plus ou moins confirmée, selon les cas de figure, au moment de l'adolescence. Suivant l'évolution psychique
du sujet, la personnalité peut recouvrir différentes structures. Ces structures déterminent l'organisation de la
personnalité et apparaissent selon des lignes de clivage déjà déterminées par le mode de structuration préalable.
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Ainsi Freud compare la structuration de la personnalité à la constitution d'un cristal qui se fissure suivant des scissures
(ou lésions) préétablies par sa genèse naturelle. À la fois fragile et solide, mystérieuse, brillante, parfois insondable ou
étrange, la personnalité du sujet se brise suivant des lignes de faille préétablies.
Le psychisme se cristallise originellement dès la naissance, voire même pendant l'embryogenèse. In utero, le foetus
perçoit les vibrations du liquide amniotique dans lequel il baigne. Même si son système nerveux central est encore
peu élaboré, le foetus se manifeste. Des études ont démontré que le foetus réagissait de manière différentielle selon
les sons émis à l'extérieur. Mais à quoi pense le foetus lorsqu'il perçoit des « messages », comme les sons en
provenance de l'extérieur ou lorsqu'il absorbe des substances que sa mère ingère ?
Avec une composante de transmission héréditaire et physiologique, mais aussi une part de « mystère », la
personnalité subit de nombreuses influences, des transformations, elle se développe, se structure, s'organise,... en
relation avec la mère, les parents, l'entourage familial et le milieu socioculturel,... ainsi que les nombreuses
stimulations environnementales.
La névrose et la psychose
Définition : La névrose est une affection nerveuse sans base anatomique connue, caractérisée par des troubles
psychiques divers (angoisses, obsessions, phobies...), mais pas par une altération profonde de la personnalité,
contrairement à la psychose.
La personnalité se structure (organisation du Moi spécifique) de manière névrotique lorsque l'organisation génitale et
oedipienne s'accomplissent avec des défenses du Moi résistant aux poussées extérieures et intérieures (pulsions du
Ça) et des tentatives pour résoudre les conflits entre le Moi, les pulsions et la réalité ; le refoulement névrotique des
pulsions domine les autres défenses.
Définition : La psychose, quant à elle, est une maladie mentale affectant gravement la personnalité et détériorant
radicalement la relation du sujet au monde extérieur ; elle se distingue de la névrose en ceci que le sujet ne sait ou
n'admet pas qu'il est malade. Il n'a aucune conscience morbide de son état.
L'organisation du Moi devient psychotique lorsque le sujet est plus ou moins bombardé psychiquement de
traumatismes et de frustrations, auxquelles il ne résiste pas autrement qu'en libérant une certaine quantité de libido
narcissique, par décharges, par crise ou par délire. Le sujet décompense gravement, dénie la réalité, se met à
déraisonner,... Il est dominé par des processus primaires qui surgissent de manière automatique et pulsionnelle. Le
Moi est alors déstructuré et encombré. Le sujet développe des défenses archaïques,... il régresse ou reste fixé à un
stade de développement primaire. L'organisation psychique se laisse « contaminer » par la dictature du Ça qui aliène
le Moi jusqu'à parfois le détruire partiellement (angoisse de morcellement, de néantisation et d'anéantissement) ou
totalement (suicide).
Les états-limites
Entre névrose et psychose, il existe une position intermédiaire, comme un compromis, une structure plus fragile, non
authentique, instable et réversible pouvant constituer une lignée cristalline soit névrotique solide, soit psychotique,
selon les défenses psychiques du sujet. Les états-limites constituent des sujets particulièrement vulnérables dont la
structure de personnalité ne s'est pas encore organisée suivant l'option névrotique ou psychotique. Le sujet souffre
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aussi d'une angoisse immotivée ou larvée, c'est-à-dire d'une pathologie du vécu, d'un trouble existentiel profond, mais
qui n'arrive pas vraiment à éclater sous la forme ou l'autre d'une psychopathologie plus déterminée . Le sujet
n'exprime pas toujours un vécu corporel face à une angoisse réelle (trac, peur, panique, émotions anxieuses, anxiété
dépressive, etc.), mais il peut occasionnellement développer diverses pathologies psychosomatiques (troubles
respiratoires, hyperventilation, maux d'estomac, problèmes de peau, douleurs chroniques, etc.).
Différences principales entre névrose et psychose
Névrose
Psychose
Sujet compréhensible >> raisonnable >> accessibilité du sujet
Sujet non compréhensible >> sujet peu accessible >> altération du raisonnement et du langage
Exagération des difficultés d'être (nier ses possibilités, refuser l'obstacle, angoissé, perdu, ...)
Transformation radicale des difficultés (persécuté ou tout-puissant, il nie le monde, la réalité, les
>> l'angoisse est plus ou moins aménagée mais elle reste disproportionnée
autres,...) >> l'angoisse est destructrice et donne un sentiment d'étrangeté
Le sujet élimine toutes pulsions comme il peut Le sujet n'accède pas à son Moi profond et reste
Le sujet élimine les exigences de la réalité extérieure et/ou se laisse dominer par un Ca tout
dominé par les exigences du Sur-Moi
puissant
Il se dit « malade », se fait soigner >> il ira mieux s'il tolère ses inhibitions ou certaines
Il n'envisage pas ses idées comme une maladie, il ne perçoit pas de conflits intériorisés >>
frustrations << acceptation de soi, des autres et du bien-être
s'éloigne du réel et des autres
La réalité est perçue comme exigeante >> adaptations et compromis névrotiques
La réalité est perçue comme étrange >> confusions et inadaptations
Le Moi infantile névrotique est constitué >> contrôle du Sur-moi >> maîtrise de soi <<
Moi archaïque ou anarchie pulsionnelle >> les pulsions sexuelles sont évacuées >> risque de
culpabilisation
passage à l'acte impulsifs et instinctifs
Le système pulsions/défenses fonctionne
Les défenses sont brisées >> expulsion, mécanisme de projection, morcellement, délire,
hallucinations, passage à l'acte, ...
Les conséquences de la maladie mentale sur le vécu
de l'enfant
Dans un article de Family Connection, une publication du « BC Council for Families », une organisation canadienne
d'aide aux familles, Diane T.Marsh (2000), professeur de psychologie à l'université de Pittsburgh, constate que les
jeunes enfants sont particulièrement vulnérables à la maladie mentale d'un proche parent : « Comparés aux adultes,
les enfants ont moins d'aptitudes et de stratégies d'adaptation, sont plus dépendants des personnes de leur entourage
et ont moins de défenses psychologiques. En outre, compte tenu que les premières étapes du développement sont la
base des progrès ultérieurs, tout retard ou perturbation du développement de l'enfant peut avoir des conséquences à
long terme, y compris les séquelles de problèmes non résolus dont les répercussions se feront sentir tout au long de
sa vie ». Dans toutes les recherches et expériences, se dégage une constante : ces enfants gardent pour eux la
souffrance, ne demandent pas d'aide et culpabilisent plus ou moins consciemment en souffrant du « syndrome du
survivant ».
Certains chercheurs relèvent qu'une maladie chronique (en particulier une maladie mentale) chez un parent a des
répercussions sur le développement psychoaffectif et intellectuel des enfants, notamment au plan scolaire.
Les enseignants apprennent incidemment les difficultés de l'enfant lorsque celles-ci perturbent trop gravement le
travail scolaire. En juin 2002, la « Palm Beach Atlantic University » s'est intéressée au sujet dans une enquête plus
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générale sur le système scolaire vu par les étudiants du secondaire. Plus de trois étudiants sur cinq ont déclaré que
vivait à leur foyer une personne ayant besoin de soins médicaux. Presque tous (92,5 %) participent aux soins,
assistent la personne dépendante : ils l'aident à manger, à faire sa toilette, à s'habiller, s'acquittent des corvées
ménagères. Ils l'emmènent se promener, lui font la lecture. Sur 11029 étudiants dans cette situation, 6714 ont
répondu que cette situation les gênait dans leur travail scolaire. Une gêne qui s'accroît pour les étudiants en terminale.
C'est toute l'ambiguïté de la situation. Les jeunes ne veulent surtout pas être tenus à l'écart, mais ils doivent affronter
une situation hors normes qui les perturbe. D'où l'urgence de prendre conscience de ces cas nombreux, mais
méconnus.
Une fois devenus adulte, la plupart des enfants d'un parent malade mental ont l'impression de ne pas avoir eu
d'enfance, et qu'une grande partie de leur vie a été envahie par la maladie de son (ses) parent (s). Ils ont alors le
sentiment qu'ils n'ont pas le même droit au bonheur que les autres enfants. Anxiété, stress, troubles du sommeil,
déprime, la perte de l'estime de soi,... peuvent s'installer durablement, avec un sentiment d'isolement ou de repli sur
soi. Même s'ils souffrent en silence, la plupart se taisent et évitent d'aborder un sujet qu'ils considèrent comme tabou.
Certains parlent même « d'imposture » à propos de leur silence.
Pourtant, si la maladie est un lourd fardeau, tout n'est pas négatif. Ces enfants peuvent apprendre à devenir
autosuffisants très jeunes, prendre conscience d'être devenus meilleurs en ayant aidé leur parent malade, et en aimer
d'autant la vie. Une première conclusion s'impose : il faut leur parler, leur donner la possibilité de s'exprimer et surtout,
leur faire comprendre qu'ils ne sont pas tout seul.
Des enfants « thérapeutes », « soignants » ou «
aidants »
Lorsqu'un parent souffre d'une maladie (mentale ou chronique), les enfants deviennent malgré eux des sortes de «
thérapeutes », des « soignants » ou des « jeunes aidants »
Le Commonwealth Department of Family and Services australien a lancé une des très rares études sur le phénomène
des « jeunes aidants » : en Australie, 388 800 jeunes de moins de 26 ans prennent soin d'un membre de leur famille
handicapé ou malade pour une période supérieure à six mois. Et 18 800 sont seuls pour assumer cette responsabilité,
2 900 ont moins de 15 ans. Environ 17 % des aidants ont moins de 26 ans, soit 6 % de leur tranche d'âge. Des
chiffres sous-estimés, selon le rapport du Young Carers Research Project : beaucoup sont « cachés » ou isolés, avec
peu d'aide financière ou psychologique.
Or, le phénomène ne peut que prendre de l'ampleur avec la montée du nombre de familles monoparentales.
Les données connues montrent que la majorité de ces « jeunes aidants » prennent soin de leur mère, souffrant d'un
handicap ou d'une maladie mentale (au moins un quart d'entre eux). La gamme de leurs responsabilités est large :
faire la toilette, donner les médicaments, aider aux déplacements, soutenir psychologiquement le ou la malade,
prendre en charge les tâches ménagères et administratives.
Contrairement à une idée reçue, les jeunes filles ne sont que très légèrement majoritaires. Tous les milieux sociaux
sont représentés et probablement un tiers à la moitié d'entre eux vivent dans des régions rurales ou isolées. Ils
assurent les mêmes responsabilités que les aidants plus âgés. Mais il semble que ces jeunes passent beaucoup plus
de temps à s'occuper de la personne qu'ils soutiennent.
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Dans les familles monoparentales, ils sont souvent les seuls à prendre soin du ou de la malade, parce que personne
d'autre ne peut remplir ce rôle à la maison. Ils n'ont pas eu le choix. Ils donnent l'impression qu'ils ont une mission à
accomplir.
Mais une fois qu'ils ont pris cette responsabilité, la plupart s'engagent et veulent continuer à assumer ce rôle. Ils
estiment même qu'ils en tirent un bénéfice, en apprenant à faire face et en ayant une relation très étroite avec le
malade.
Mais les études montrent aussi les effets négatifs de cette responsabilité qui n'est pas de leur âge : leurs choix de vie
sont rétrécis, leur avenir professionnel limité. En dehors de l'impact sur leur santé physique et mentale, stress,
manque de sommeil et de soins,... les statistiques font apparaître que 60 % de ces jeunes entre 15 et 25 ans sont
sans emploi (contre 38 % dans la population générale de leur groupe) et que seulement 4 % sont scolarisés (contre
23 %). Du point de vue affectif, ils sont de plus en plus isolés. Entretenant un lien affectif privilégié avec le malade, ils
s'éloignent d'autant plus du reste de leur famille. D'où des tensions qui risquent de marquer à jamais leurs relations
familiales.
Le rapport constate qu'en Australie, les aides publiques sont souvent inadéquates et que bon nombre de ces familles
tombent dans la pauvreté. La plupart de ces jeunes n'ont aucune aide morale. Alors qu'ils auraient besoin de pouvoir
s'accorder de temps en temps un répit, 98 % de ces jeunes de 15 à 25 ans n'ont pas accès à ce type d'assistance.
Les quelques programmes existants en Australie manquent de moyens financiers et ne peuvent répondre aux besoins
très variés de cette population. Les différents acteurs, éparpillés entre plusieurs ministères de tutelle,
communautaires, fédéraux ou nationaux, les associations, ne sont pas coordonnés.
Les solutions s'imposent d'elles-mêmes : créer des réseaux pour fournir une aide adéquate, mettre en place un
système permettant de repérer ces jeunes isolés avec leur malade. Les institutions devraient renforcer leurs moyens
pour mieux les suivre et les soutenir, leur ménager des plages de temps libres, en particulier pour suivre leurs cours.
L'école devrait pouvoir leur proposer des horaires aménagés. Les professionnels de santé devraient adapter les plans
de soutien familial à l'âge et aux besoins de ces « jeunes aidants », y compris au moment de la sortie de l'hôpital.
Mais une fois qu'ils sont « repérés », il ne faut pas pour autant les éloigner du parent malade : ces enfants et
adolescents ont besoin d'une aide matérielle, d'avoir accès à des services qui les soulagent temporairement, de
soutien psychologique leur permettant enfin de parler de leurs difficultés, mais certainement pas d'être mis à l'écart ou
systématiquement pris en charge par une institution. Très souvent, ils veulent que leur rôle soit reconnu et être traités
avec respect.
Qui sont ces enfants « soigneurs » ?
En 1996, l'office national des statistiques a mené une enquête en Grande-Bretagne pour estimer le nombre de «
jeunes aidants » dans le pays. Les chiffres restent approximatifs : en moyenne 32000 enfants et adolescents de 8 à
17 ans, au minimum 19000, au maximum 51000. Une étude plus récente réalisée en 1998 par le « Young Carers
Research Group » de l'université de Loughborough donne un profil type :
"la moyenne d'âge du jeune aidant est de 12 ans "86 % ont l'âge de la scolarité obligatoire (jusqu'à 15 ans) "57 %
sont des filles, 43 % des garçons "54 % vivent dans une famille monoparentale "58 % ont la charge de leur mère
malade "leurs tâches vont du travail ménager aux soins intimes "un sur cinq donne des soins intimes "33 % ont
manqué l'école ou ont eu des difficultés scolaires en raison de leur rôle d'aidant "29 % prennent soin d'un parent
souffrant de problèmes mentaux "63 % d'un parent souffrant de maladies physiques "25 % n'ont pas d'aide
extérieure (autre que le projet local de soutien aux jeunes aidants)
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Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
Le concept de « délire à deux », une théorie de
l'aliénation familiale
Les parents malades mentaux « communiquent »-ils leurs délires à leurs enfants ? Des enfants sont-ils passivement
et docilement réceptifs à cette suggestion pathologique ? Y a-t-il une « circulation » de la folie, à l'intérieur de la cellule
familiale ? S'agit-il d'une « contagion » du délire ?
En revisitant l'histoire de la psychiatrie, nous constatons que les premiers aliénistes français envisagent « la folie à
deux » comme la résultante d'une « aliénation familiale » ou d'un « délire familial ». Leur approche va inspirer
quelques théories psychanalytiques et systémiques actuelles, notamment les notions de « transmission inconsciente
des délires intergénérationnels » et de « transactions psychopathologiques ».
« C'est en France, au cours du XIXe siècle, que des aliénistes ont observé un fait clinique troublant, à contre-courant
des doctrines médicales classiques : il n'y a pas seulement des individus délirants, il y a aussi des familles délirantes,
des couples délirants, des fratries délirantes. Certains foyers seraient alors des lieux pathogènes où naissent et se
transmettent des idées morbides, des obsessions, des phobies, des théories chimériques du monde et de la vie
quotidienne. Avant de devenir une entité psychopathologique inscrite dans les manuels de psychiatrie, le « délire
familial » est une croyance populaire : les voisins du palier, de l'immeuble, du quartier stigmatisent la famille X, «
bizarre », « extravagante », « délirante ».
« Dans une pertinence médicale et psychiatrique rigoureuse, l'hypothèse d'une transmission du délire, d'une folie à
deux, à trois ou à plusieurs, d'un microcosme familial où circulent des mythes délirants, se heurte à un obstacle
épistémologique majeur.
« Certes, l'idée d'une contagion de la folie, d'une contamination épidémique des émotions morbides, était un lien
commun de la culture européenne. Des philosophes, des moralistes, des romanciers, comme La Rochefoucauld,
Fénelon ou Rousseau parlaient de folies contagieuses, de la contagion par la parole d'idées venimeuses, de passions
contagieuses, circulant dans l'intimité d'une vie de couple, dans le foyer, voire dans la ville. Mais c'était une figure
littéraire, non une entité clinique.
« En effet, pour les traités psychiatriques du début du XIXe siècle, le délire est un trouble purement individuel : une
altération du fonctionnement mental accompagnée d'une pensée incohérente, d'images hallucinatoires intenses et
d'un discours morbide.
« Des aliénistes, sous ordre des autorités judiciaires et policières devront alors examiner accusés et accusateurs,
déterminer leur état mental et la nécessité d'un internement psychiatrique. Ainsi commence une expérience
psychiatrique et médico-légale inédite : la découverte de familles qui délirent. Au cours du temps, le tableau
nosographique s'enrichit, mettant en lumière des formes différentes du délire familial. Lorsque des sujets qui délirent
ensemble sont mari et femme, c'est le délire conjugal. Lorsqu'ils sont des frères et/ou des soeurs, c'est le délire
fraternel. Quand la même idée délirante associe parents et enfants, c'est le délire intergénérationnel. C'est cette
dernière forme qui semble la plus fréquente dans de nombreuses études.
« Les premiers comptes-rendus cliniques, à orientation organiciste, mettent l'accent sur l'arbre généalogique des
patients : l'hérédité est la loi majeure du passage du délire d'une génération à une autre (Rausky, 1999 : 209).
« Lentement, les auteurs commencent à se dégager du corset théorique du « somatisme » cérébral et proposent des
hypothèses où tout en reconnaissant le rôle des facteurs constitutionnels dans la filiation du trouble, la biographie
familiale est privilégiée : la vie intime du foyer, les événements douloureux, traumatiques, ou dramatiques vécus par la
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Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
famille, l'histoire du passé familial sont alors pris en compte dans l'étiologie du délire parents-enfants. C'est
l'émergence d'une psychologie de la famille pathogène, adoptant les mots-clefs des grandes doctrines françaises sur
le fonctionnement psychique : autorité, suggestion, imitation, soumission. Il faudra attendre 1932 pour voir apparaître
sous la plume de Jacques Lacan, une réinterprétation du délire intergénérationnel fondée sur la théorie
psychanalytique, et mettant l'accent sur les dimensions affectives inconscientes en jeu dans l'épisode délirant
parents-enfants.
« Dans la seconde moitié du XXe siècle, une nouvelle lecture des délires familiaux sera proposée, dans une
perspective systémique, mettant en valeur les aspects communicationnels et relationnels de ces perturbations. La
famille d'abord objet naturel devient un objet psychique et sociétal.
« En 1877, les aliénistes Charles Ernest Lasègue (1816-1883) et Jules Falret (1824-1902) publient le célèbre article «
La folie à deux ou folie communiquée ». Jules Falret, médecin à Bicêtre, est le fils du célèbre aliéniste Jean Paul
Falret et l'auteur de recherches sur les paralysies générales, l'épilepsie et la folie circulaire. Lasègue, personnage
cultivé, doué d'une plume élégante, féru de philosophie et de psychologie, attentif aux idées européennes de son
époque (mesmérisme, spiritualisme et romantisme germaniques, hypnose, traitement moral des maladies mentales)
observateur attentif de multiples formes de pathologie psychique (exhibitionnisme, anorexie hystérique, alcoolisme,
délire de persécution) a, de 1850 à 1883, la responsabilité médicale du service des aliénés de la préfecture de police
de Paris. Il y est chargé de l'examen et du diagnostique de tous les sujets dont les troubles du comportement
paraissent de nature pathologique. C'est dans cette antenne psychiatrico-légale où défilent les misères et les fléaux
du siècle (criminalité, délinquance, prostitution, vagabondage, alcoolisme, perturbation mentale) que Lasègue
observera des « familles qui délirent ». Lasègue et son ami et collègue Falret chercheront, ensemble, les clefs
théoriques pour expliquer, avec la rigueur déterministe de leur époque, ce délire groupal.
« Les personnages décrits par les auteurs sont presque toujours féminins : mère et fille, tante et nièce, soeur aînée et
soeur cadette... Le père est absent : mort, ou en prison, ou ayant abandonné le foyer. Un vécu symbiotique lie et
soude les acteurs de la scène délirante. L'idée délirante, à l'intérieur de la cellule familiale, est intensément marquée
par l'omniprésence de la persécution. Parents et enfants délirent ensemble sur des tentatives de viol, d'enlèvement,
d'empoisonnement, de potions magiques, d'envoûtements, de conspirations. Ruvre de notaires, commissaires de
police, juges, prêtres, voisins... ou de familiers indignes. Le thème chimérique suggéré par un membre de la famille à
un autre sera adapté et remanié par celui-ci.
« La collaboration délirante entre parents et enfants donne au délire une coloration plus vraisemblable, moins
grandiose, plus crédible, partant plus dangereuse.
« À l'origine du trouble du foyer, un délirant principal, véritable aliéné, créateur de la scène délirante, exerçant avec
véhémence un pouvoir d'influence suggestif sur un délirant secondaire, docile, « suggestionnable », mais nullement
aliéné au sens médico-légal du terme.
« Une intense suggestibilité infantile expliquerait la facilité avec laquelle les enfants, vivant en milieu clos avec des
parents perturbés, adhèrent sans résistance remarquable et assez rapidement à l'idée morbide parentale. Ainsi, une
petite fille, vivant presque enfermée avec sa tante, adhère au discours de celle-ci : une ligue maléfique de voisins,
complotant et cherchant à pénétrer la nuit dans le misérable logis.
« Le mythe populaire anticlérical du prêtre lubrique, amateur de jeunes filles, apparaît dans le discours d'une mère de
40 ans et de sa fille de 16 ans. Elles habitent la même chambre, couchent dans le même lit et ne se quittent jamais.
La nuit, quand elles sont couchées, les lumières éteintes, un mystérieux prêtre fait irruption dans leur chambre, les
menaces et veut faire violence à la jeune fille... (Lasègue, 1971 : 53-54 & 55-57).
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Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
« Le délire à deux est-il vraiment une « folie-à-deux » associant parent et enfant dans la même maladie ? Pas tout à
fait. C'est le délire, fruit de la folie qui sera communiqué et non la folie elle-même, qui n'est pas communicable d'un
sujet à un autre. Cette confusion autour du concept de « folie-à-deux » montre la difficulté de Lasègue et Falret à
renoncer à la vision endogène et monadique du trouble mental, comme le signalent deux auteurs contemporains,
Covello et Lairy : « Tout en décrivant cliniquement d'une façon remarquable la folie à deux, Lasègue et Fauret ne
pensent pas du tout devoir infléchir, voire trahir la théorie dominante de l'époque qu'ils font leur, ce qui les oblige à
conclure en disant que, tout compte fait, si l'on sépare l'aliéné de son confident et si l'on pousse chacun des deux
dans leurs derniers retranchements, on peut remarquer que le premier mis à l'hôpital psychiatrique va retrouver ses
anciens thèmes délirants ; par contre, le confident finira par abandonner le délire et accepter, certes non sans
réticence, le fait qu'il s'agisse pour lui d'une erreur de jugement ce qui permet donc aux auteurs de conclure qu'entre
l'aliéné et les autres ce mur dont ils ont montré la perméabilité reste radicalement infranchissable » (Covello et Lairy :
993).
« Ainsi, la petite fille cesse de croire à la conjuration des voisins maléfiques quand elle est séparée de sa tante et
placée dans un orphelinat, par mesure de prophylaxie mentale... Pour Lasègue et Fauret, le thème chimérique (le «
roman » selon un terme qui sera repris plus tard par Freud dans son « roman familial ») est le fruit d'un délirant
principal, l'imposant progressivement, par induction à un « délirant par commission », dans une coquille familiale
close, fermée au monde.
« Ce « roman » doit être vraisemblable et faire appel à la crainte et à l'espérance des enfants. Crainte infantile plus
précoce, des figures persécutoires, terrifiantes, décrites, dans son sombre tableau, par le père ou la mère en proie au
délire. Espérance, plus tardive de s'emparer de trésors cachés, d'héritages détournés, d'immenses richesses volées.
« Dans les discours des personnages décrits par Lasègue et Falret, la thématique sexuelle est omniprésente : viols,
tentatives de viol, prostitution, sensations génitales étranges, agissements sexuels par magie noire, grossesses
imaginaires... Pourtant les deux auteurs ne semblent accorder aucune signification clinique spécifique à cette
composante érotique du discours pathogène familial. Quand Éros surgit, ça et là, dans le récit, il est purement et
simplement le thème du délire, la coloration du trouble. Les aliénistes de l'époque parlent d'érotique, comme ils parlent
d'ambitieux, de quérulant, de processif, de revendicatif, de mystique : comme d'une des thématiques d'un délire
essentiellement persécutif.
« Le délire familial n'est pas une simple juxtaposition de délires séparés, survenant par coïncidence dans une même
maison, mais c'est un trouble groupal. Il existe toujours, dans une famille délirante, un sujet dominateur, plus
intelligent, le persécuté actif. Ainsi le père ou la mère ou les deux parents ensemble peuvent entraîner, par l'énergie
du caractère, les enfants, dociles « suggestionnables », faibles de volonté, à un délire commun. Néanmoins, les
enfants devenus adultes, plus persuasifs, plus « intelligents » peuvent à leur tour convertir leurs parents à une idée
délirante. Les parents jouent alors le rôle de persécutés passifs.
« Incontestable progrès dans l'histoire de la psychopathologie, la théorie de Lasègue et Falret observe, décrit et
théorise un trouble psychique familial comme un phénomène communicationnel et relationnel pathologique. La famille
joue le rôle de locus nascendi du délire. Un siècle plus tard, l'école de Palo Alto et l'anti-psychiatrie de Laing s'en
inspireront.
« Au-delà des frontières de la France, les concepts de « folie-à-deux », « délire-à-deux » et « folie communiquée »
inspireront des nouvelles hypothèses cliniques :
« Les « mythes familiaux », constructions fantasmatiques défensives qui naissent et grandissent dans l'intimité du
foyer, selon l'école de Palo Alto (Watzlawick et Weakland).
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Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
« Le « scénario familial », incarnation des projections parentales induites aux enfants par une suggestion hypnotique
familiale pathogène qui refoule et frustre les potentialités en devenir, selon l'antipsychiatrie de Ronald D. Laing (Laing
:101-104).
« Que reste-t-il alors, des hypothèses de Legrand de Saulle et de Lasègue et Falret ? La lecture des récits cliniques
contemporains sur des délires intergénérationnels semble indiquer la persistance, plus d'un siècle après Legrand de
Saulle d'une mythologie persécutoire, clef de voûte de son édifice théorique.
« Quand parents et enfants délirent ensemble, le couple d'opposés « nous-eux », la dichotomie manichéenne
creusant un gouffre infranchissable entre « notre foyer » et le « monde » continue à habiter la scène du délire. Le
monde y est perçu comme hostile, agressif, malfaisant, impur, meurtrier, corrompu, lubrique. La théorie délirante
conspirationniste empruntant son vocabulaire et ses objets à la culture de son temps, continue à souder parents et
enfants autour d'un mythe familial délirant, ultime explication du malheur du foyer. »
L'enfant-symptôme ou le patient désigné, comme révélateur d'une psychopathologie familiale
Parallèlement à l'aliénation familiale, l'enfant est parfois désigné comme le symptôme, vecteur de la pathologie du
groupe familial et révélateur d'un dysfonctionnement systémique. Le « patient désigné » résulte d'un processus
transgénérationnel inhérent à des transactions psychopathologiques, avec des modifications des frontières
générationnelles, des coalitions particulières, voire malsaines, des conflits interpersonnels et des troubles de la
communication, où l'enfant est pris comme « représentant » psychique du symptôme de sa famille.
Dans ce contexte familial, l'enfant subit des influences psychopathologiques et doit supporter les crises successives.
Les troubles (anxiété dépressive, angoisses, délire, hallucination idéation suicidaire, passages à l'acte, etc.) sont
souvent anxiogènes et induisent un stress émotionnel considérable. La maladie mentale d'un parent est extrêmement
envahissante. Elle peut « contaminer » psychiquement le mode de penser, la communication et les réactions de son
entourage. À ce propos, différentes théories psychanalytiques et systémiques coexistent. Elles tentent d'expliquer et
de comprendre l'incidence des transactions psychopathologiques sur le développement psychique de l'enfant.
En 1877, J.P. Farel publie une étude sur la « folie à deux », un premier travail clinique soulignant le rôle de
l'interaction dans l'organisation des troubles mentaux. En 1905, le docteur Pratt, travaillant dans un sanatorium, faute
de temps et de personnel, en vient à régler des problèmes de tensions relationnelles en réunissant les malades par
petits groupes. Grâce à ce procédé d'interactions, il obtient des succès qui l'étonnent. En 1909, S. Freud décrit une
psychothérapie avec implication familiale dans le traitement d'une phobie chez un enfant de 5 ans qu'il ne voit qu'une
seule fois (le cas du « Petit Hans »). C'est en fait le père de Hans qui est chargé de rapporter du matériel clinique à
Freud et de donner des interprétations à son fils pour le « soigner ».
À la suite des recherches de Freud sur le conflit oedipien et la névrose infantile, des psychanalystes français publient
des travaux où sont privilégiés les fantasmes qui circulent dans le groupe familial. En 1936, R. Laforgue décrit son
concept de « névrose familiale » où apparaît le rôle central de l'identification aux parents dans la constitution du sujet,
le complexe d'oedipe étant considéré comme complexe nucléaire de la névrose et l'importance que prend dans la
formation de l'oedipe la relation des parents entre eux,... Laforgue insiste en particulier sur l'influence pathologique
d'un couple parental, constitué en fonction d'une certaine complémentarité névrotique ou perverse (exemple du couple
sado-masochiste), sur le développement de la personnalité de l'enfant. En 1936, J. Leuba s'intéresse également à
l'étude des familles névrotiques, et en particulier aux modes de transmission d'une génération à une autre de tel ou tel
type de névrose. En 1937, N. Ackerman (USA), véritable pionnier dans la pratique des thérapies familiales, émet
plusieurs principes de base : aider la famille à définir plus clairement la teneur exacte des conflits, contrecarrer les
déplacements injustifiés de conflits, reporter les conflits interpersonnels afin de les traiter plus efficacement,...
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Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
En 1942, T. et R. Lidz écrivent : « Le conflit intérieur auquel le patient est confronté, avec des sentiments ambivalents
concernant un parent ou les deux, les loyautés divisées, les identifications instables, l'incorporation de l'hostilité
dirigée vers l'un ou l'autre parent, tout cela est souvent dû aux influences des deux parents ».
Pour T. Parson, dans les familles de schizophrènes, il existe soit un schisme conjugal, soit une distorsion conjugale,
où chaque partenaire sape l'action et l'autorité de l'autre en rivalisant pour obtenir la loyauté de l'enfant. Les frontières
générationnelles et sexuelles sont détruites, provoquant des liens chargés de connotations incestueuses et
homosexuelles. La présence d'un enfant perturbe encore plus l'homéostasie et les transactions intrafamiliales.
L. Wynne décrit des relations de « pseudo-mutualité » et de « pseudo-hostilité » dans des structures familiales
rigidifiées et immuables. Dans ce climat d'aide ou d'opposition apparentes, les limites du champ familial s'étirent et se
rétractent comme « une barrière de caoutchouc » que nul ne peut jamais franchir.
M. Bowen utilise l'expression « masse de moi familial indifférencié » pour qualifier certaines familles particulièrement
intriquées émotionnellement. De même, il émet l'hypothèse qu'il faut trois générations pour produire un schizophrène.
Pour la première fois, il décrit la triangulation, situation où une personne se trouve en position de « paratonnerre »
vis-à-vis des deux autres, coalisés contre elle. Le conflit qui opposait ces deux personnes est ainsi canalisé pour un
temps variable sur un tiers ; au-delà d'un seuil de tolérance, ce dernier présente alors des symptômes.
Pour I. Boszomenyi-Nagy, il existe un véritable « registre », livre des comptes transgénérationnels d'obligations et de
mérites, qui permet l'équilibration des « legs » au sein de la famille. Autrement dit, le sujet (l'enfant en particulier) est
endetté d'une dette de vie qu'il doit à ses propres parents. En fonction de la qualité des transactions intrafamiliales, s'il
ne développe pas une maladie mentale, il doit au moins rendre des comptes. Boszomenyi-Nagy introduit également le
concept d'équité et d'éthique relationnelle comme fondements à la thérapie dite « relationnelle ».
Pour P. C. Racamier, le paradoxe est une non-reconnaissance de l'activité propre du Moi du sujet, l'enfant en
particulier, qui se retrouve en quelque sorte accablé d'une dette (de vie) qu'il est incapable de rembourser, parce qu'il
est notamment incapable de jouer le rôle qu'on lui assigne autrement qu'au détriment de sa santé mentale. « Dans sa
version maligne », ce processus pathologique rend fou celui qu'il vise , qui devient insidieusement incapable de
répondre, tant sur le plan mental qu'au niveau affectif. Il est ainsi chosifié par son propre système familial, comme
phagocyté psychiquement. Le paradoxe essentiel consiste en ce qu'objet, sujet ou relation n'existent qu'en n'existant
pas.
S. Lebovici insiste sur l'histoire familiale d'une névrose ou d'une psychose. Le père et la mère interviennent
intimement comme « objets » dans le déroulement du drame oedipien et/ou sa non résolution et influencent ainsi
psychiquement la constitution de la personnalité de l'enfant. En observant la mère du psychotique, il relève son
influence « schizophrénogène », dans le sens où elle manifeste une présence excessive à tous les niveaux (très
fusionnelle) à travers laquelle elle ne permet pas à son enfant de s'individuer (de se détacher d'elle) ; elle est parfois
aussi décrite comme une « perverse ». Ensuite, c'est le père du psychotique qui est décrit comme absent, carrent,
inefficace. Mais devant l'absence d'altération individuelle statistiquement évidente, ces notions sont délaissées et c'est
l'ensemble de la dynamique familiale qui est finalement prise en considération.
Le « double-lien », les troubles de la communication, le déséquilibre systémique et l'inversion des rôles
En 1956 et après des années de recherche, G. Bateson (anthropologue d'origine anglaise) publie, avec son équipe de
Palo Alto, la théorie du double lien (double bind). Cette théorie du double lien ou de la double contrainte correspond
(en résumé) à un système pathologique de relations familiales dans lequel s'émettent des messages contradictoires.
Dans telle situation, l'enfant est « victime » d'un message contradictoire à deux niveaux d'abstraction différents, qu'il
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Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
ne peut briser, car ils sont coiffés d'une troisième injonction négative à un niveau encore supérieur aux deux
précédents. En 1964, cependant, Bateson élargit ce concept en admettant que cette description de type
bourreau-victime doit être transposée dans l'ensemble du contexte familial ; d'autant que, à son tour, l'enfant va
émettre des messages paradoxaux par identification anxieuse à l'émetteur.
Certains auteurs voient dans le double lien un facteur étiologique de la psychose, d'autres, de l'ensemble de la
pathologie mentale ; d'autres encore admettent que ce mode relationnel existe mais qu'il n'est cependant pas plus
répandu dans les « familles pathologiques » que dans les « familles normales ». Quoi qu'il en soit, la description de ce
type de dysfonctionnement a été un point de départ important à de nombreux travaux portant sur les troubles de la
communication dans les systèmes familiaux.
Les écrits du linguiste R. Jakobson peuvent également être considérés comme étant à l'origine de ces recherches, en
particulier ceux figurant dans Linguistique et théorie de la communication. Il accorde une grande importance à la
présence physique du récepteur et pense qu'il y a sans aucun doute feed-back entre la parole et l'écoute mais (que) la
hiérarchie des deux processus s'inverse quand on passe de l'encodeur au décodeur (...) ; ces deux aspects distincts
du langage (...) doivent être regardés comme complémentaires. Il note également que le sens que prendra un
message sera lié de façon importante au contexte dans lequel il devra être intégré.
En 1954, D.D. Jakson, lui aussi membre de l'équipe de Pao Alto, définit la famille comme un système homéostatique,
c'est-à-dire comme un système toujours en équilibre interne grâce à des phénomènes de rétroactions négatives. La
famille paraît comme un système ouvert où tous les membres sont en interrelation constante mais aussi en relation
avec l'extérieur. L'homéostasie est une régulation qui permet au système de préserver son équilibre, sa survie dans
un environnement qui change. Jackson s'est aperçu au cours de psychothérapies individuelles que si l'état d'un
malade dans la famille s'améliorait, cela avait des répercutions sur l'état général de la famille, sur l'homéostasie
familiale, et induisait des changements tant au niveau des autres membres de la famille qu'au niveau des interactions
familiales. Il postule alors que c'est le groupe familial qu'il faut prendre en thérapie. Plus tard, il sera de ceux qui «
prescrivent le symptôme », suggérant par exemple à des patients paranoïaques d'être plus méfiants. Ces pratiques
ont d'abord été plus intuitives qu'élaborées, ne reposant sur aucune base théorique solide. Ce n'est qu'ultérieurement
que l'école de Pao Alto puis celle de Milan sauront leur trouver des supports conceptuels.
En 1959, J. Haley (cosignataire de la publication princeps sur le double lien) propose une mise en modèle des règles
de dysfonctionnement des familles de schizophrènes. Il observe que chaque membre marque une discordance entre
ce qu'il dit et la façon dont il le dit : chacun disqualifie ce que dit l'autre, qui n'aurait pas dû être dit, en tout cas pas de
cette façon là,... situation qui amène beaucoup de confusion au sein des transactions et de la distorsion dans la
communication. Il constate qu'aucune autorité n'est définie à l'égard des actes et des responsabilités familiales et
qu'aucune alliance claire n'est admise, entraînant la confusion des rôles et des statuts de chacun.
Les efforts pour rendre l'autre fou
La famille, dans sa principale fonction psychologique, occupe une place prépondérante dans les processus
psychiques et psychopathologiques de ses membres. Aire transitionnelle, ou microcosme social, la famille est le lieu
naturel et culturel où l'enfant paraît. Nouée à un axe transgénérationnel et intergénérationnel, et structurée selon des
lois, règles et frontières, elle est le point d'ancrage où convergent l'intrapsychique (l'inconscient et l'archaïque),
l'individuel (le psychologique et l'interrelationnel) et le collectif (la Société, son histoire et sa culture). Avec une
homéostasie parfois oscillante, instable ou carrément perturbée, la famille est le véhicule de mythes
transgénérationnels où peuvent venir se greffer tant les pathologies individuelles que les troubles du lien. Lien de
sang, lien de vie, d'amour, de haine, ou de folie,... la constitution d'une famille est une opération qui comporte certains
risques.
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Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
Intergénérationnelles ou transgénérationnelles, les transactions correspondent à des types particuliers d'interactions
entre membres d'une même constellation familiale. Ces transactions sont symptomatiques lorsqu'elles renvoient à des
manifestations psychopathologiques à différents niveaux du système familial. Schizophréniques, délictueuses,
délirantes, sado-masochiques ou incestueuses, les transactions symptomatiques se développent différemment en
termes de forme, de gravité et d'étiologie. Dans une famille à transactions psychopathologiques, apparaissent des
confusions de rôles, de générations, liées à l'existence de triangles pervers et de conduites abusives ou aberrantes.
L'enfant ou l'adolescent, objet de ces transactions, doit jouer simultanément des rôles normalement antinomiques :
soutenant, thérapeute et enfant d'un de ses parents, ou parfois parent du parent qui est moins perturbé. Ces
transactions impliquent également une distorsion des paramètres temporels puisque le temps générationnel est à la
fois suspendu et accéléré. Suivant le principe de la parentification, l'enfant est poussé vers des transactions
complexes supérieures à son âge, ce qui fait accélérer le temps. Mais en revanche, la nature de ces relations est si
accablante qu'elle empêche le progrès de certains aspects importants du développement de la personnalité. Une fois
acteur d'interactions psychopathologiques, l'enfant devient alors le « patient désigné » de son propre système familial
et le pivot autour duquel circulent ces transactions particulières.
Suivant les théories systémiques, une dynamique familiale psychopathologique repose essentiellement sur l'existence
d'un sujet-objet, symptôme d'un trouble du système familial. À l'intérieur de son système, l'enfant semble désigné
comme tel. Il devient hypersensible à la complexité des interrelations aliénantes, parfois abusives, qui le font réagir
sur un mode pathologique dans une espèce de huis clos infernal. Manifestant des troubles intrapsychiques ou
relationnels, l'enfant est alors l'enjeu d'un système familial particulier, organisé autour de transactions
psychopathologiques, violentes, perverses ou incestueuses (délire, intrusion, symbiose et possession). L'excitation
répétitive (interaction pathogène) de son psychisme peut aboutir chez l'enfant au sentiment d'être dépossédé de son
propre contrôle sur lui-même et de ses propres désirs. Dans un système psychopathologique, ce qui est « loi » hors
de la famille ne l'est pas à l'intérieur. Des règles souvent secrètes, délirantes ou inconscientes, organisent les
transactions intrafamiliales. Ces lois internes sont mises à mal dès lors que la famille est confrontée avec la réalité
socioculturelle extérieure, ou lorsque la rigidification de ces transactions produit des symptômes visibles à l'extérieur.
Ces règles non dites (hors langage) sont d'autant plus incrustées et efficaces, qu'elles ne sont pas repérées et donc
impossibles à remettre en question. Par ailleurs, une famille qui organise le fonctionnement psychique de ses
membres, à partir de règles absolutistes, délirantes ou perverses, se laisse rarement pénétrer par les lois qui
régissent la Société. Dès lors, le système familial, structure et sécrète sa propre pathologie, et les souffrances
individuelles qui en découlent.
Selon Searles (L'effort pour rendre l'autre fou, 1977), un des moyens pour rendre l'autre fou peut consister à
provoquer des stimulations pulsionnelles, des excitations sexuelles par exemple, à peine contrôlables par l'autre ;
lesquelles jouent un rôle important dans le traumatisme et les séductions d'enfant par les adultes, jusqu'à induire chez
l'enfant la confusion psychique et des sentiments internes d'impuissance et de culpabilité, et ensuite de colère. Ces
moyens stratégiques risquent « de saper la confiance de l'autre dans la fiabilité de ses propres réactions affectives, ou
encore dans la fiabilité de ses propres perceptions de la réalité extérieure ». Ces interactions pathogènes empêchent
celui qui en est victime d'y faire face,« surtout si elles sont répétées régulièrement auprès d'un sujet qui ne peut s'en
protéger en recourant à des tiers ».
Maladie mentale et maltraitance intrafamiliale
La maladie mentale des parents est souvent considérée comme facteur prédictif de risque de maltraitance envers les
enfants. Dès lors que la personnalité d'un parent est organisée de manière psychotique, dans la sphère paranoïaque
en particulier, le délire de persécution est souvent à l'origine des mauvais traitements. Ainsi dans Vipère au poing
d'Hervé Bazin, Jean Rezeau, dit Brasse-Bouillon décrit ses rapports avec sa famille, et notamment sa mère, dite
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Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
Folcoche, une véritable marâtre sadique. Détesté par sa mère, le second fils de la famille subit le harcèlement et les
sévices d'une mère qui le considère comme son véritable objet persécuteur. Ce huis clos infernal entre la mère
indigne, les trois enfants martyrisés, le père démissionnaire et un précepteur changeant, nous livre tous les
ingrédients d'une famille à transactions psychopathologiques où l'enfant devient le bouc émissaire persécuté d'une
mère gravement perturbée et persécutrice. Paule Pluvignec, mariée à Jacques Rézeau, surnommée « Folcoche » par
Fréddie, est une mère malade mentale détestée par ses enfants. Cette femme est la fille d'un sénateur parisien qui lui
a imposé un mariage avec une famille bourgeoise ancienne et respectée : les Rézeau. En plus de sa cruauté,
Folcoche (folle-cochonne) est décrite comme plutôt sale et terriblement avare. Elle a les cheveux secs et le menton en
galoche. Elle a une passion pour les timbres et les clefs, qu'elle enferme soigneusement dans une armoire dont la «
clef principale » ne quitte pas son « entre-sein ».
Dans ce registre des mauvais traitements des enfants, le syndrome de « Münchausen par procuration » est l'exemple
le plus connu de maltraitance spécifiquement liée à un trouble mental ou à un dysfonctionnement important de la
personnalité de la mère. Sorte de mythomanie médicale itinérante, le syndrome de Münchausen par procuration
correspond à une forme excentrique et particulière de mauvais traitement physique envers l'enfant. Ce trouble bizarre
est difficile à détecter pour différentes raisons, dans la mesure où les praticiens sont intrigués et attirés par la
symptomatologie de l'enfant qu'ils tentent de soigner en priorité, dans un contexte où les inquiétudes de la mère
semblent légitimes et son attitude de « compliance » rassurante.
Les tableaux cliniques de ce syndrome sont très variés et complexes à diagnostiquer. Les enfants victimes ont moins
de six ans et présentent une large palette de troubles associés (saignements, fièvres, dépression du système nerveux
central, convulsions, diarrhées, vomissements, etc.). L'auteur des sévices est souvent la mère qui invente ou
provoque chez son enfant des symptômes qui amènent les praticiens à s'inquiéter, à investiguer et à prodiguer des
traitements. Ces soins sont d'autant plus inutiles qu'ils sont basés sur des symptômes parfois inexpliqués, induits et
entretenus par les manipulations de la mère. Les traitements sont inopérants, mal tolérés, périlleux et l'enfant continue
à souffrir. Les symptômes ne sont souvent actifs qu'en présence de la mère, laquelle évite de laisser son enfant seul
entre les mains des médecins ou des soignants. L'acharnement et la présence de la mère auprès de son enfant sont
exemplaires de son dévouement, voire de son sacrifice. Tout l'accable et rien ne l'accuse.
Le comportement maternel est singulier et spécifique. En générale, la majorité de ces mères restent très attentives à
leurs enfants, passant de longs moments dans leur chambre d'hôpital et ne s'autorisant que très peu de sorties. Celles
qui établissent de bons contacts avec le corps médical et satisfaites des soins prodigués paraissent heureuses de la
prolongation du séjour de leur enfant. Même si elles sont issues de classes sociales défavorisées, la plupart ont
effectué des études d'infirmière ou paramédicales et démontrent une certaine fascination pour la médecine. Certaines
rivalisent avec les plus éminents praticiens comme pour régler des comptes personnels. La pathologie de l'enfant
valorise la fonction soignante de la mère. L'enfant sert de palliatif à ses nombreuses carences, notamment celles liées
à la maternité, la parentalité, la sexualité et à la conjugalité. Quant aux pères, ils sont quasi absents, ne se
manifestent pas auprès de leur enfant ou se présentent comme inférieurs à leur conjointe tant sur le plan intellectuel
que social.
En fonction de leurs attitudes particulièrement psychopathologiques, il est possible de distinguer plusieurs types de
mères Münchausen, des plus dangereuses et malsaines, aux plus sournoises et calculatrices, en passant par les plus
« délirantes ». L'expérience clinique suggère au moins trois sous groupes de mères (Thibaut, 1996) :
(a) Quasi frénétiques et insensées, les mères active inducers , qui mettent concrètement la vie de leur bébé en
danger. Très perturbées elles-mêmes, ces mères provoquent de graves désordres physiologiques et psychologiques
chez leur enfant. Elles souffrent de troubles dissociatifs et apparaissent comme étranges et non concernées par la
gravité du diagnostic. Elles s'identifient peu à la souffrance de leur bébé. L'enfant symbolise inconsciemment un
objet-fétiche, prétexte à l'établissement d'une relation transférentielle de type sado-masochiste avec le corps médical.
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(b) Les mères doctor addicts convaincues et convaincantes qui ne peuvent se passer du corps médical pour leur
enfant et qui tentent de rallier à leur cause les médecins. De manière obsessionnelle, elles projettent sur l'enfant une
espèce de maladie imaginaire, leur propre hypocondrie, qu'elles tentent de faire confirmer par des spécialistes. Elles
dénient connaître l'origine des symptômes présentés par leur enfant. Elles changent facilement de praticiens ou de
lieux de consultation. En relation avec cette permanence de la symptomatologie qu'elles s'évertuent à entretenir chez
leur enfant, elles pratiquent un véritable shopping médical ou de l'errance hospitalière. Prolongeant cette tendance à
l'hypocondrie et totalement aliénés au fonctionnement psychique maternel, les enfants plus âgés adhèrent aux
allégations de leur mère.
(c) Les mères help seeckers qui amplifient et entretiennent les symptômes de leur enfant. Presque par
exhibitionnisme ou pour se rassurer qu'elles sont de bonnes mères, elles montrent l'enfant à répétition à plusieurs
praticiens qui ne communiquent pas entre eux mais qui confirment leurs inquiétudes. Anxieuses et dépressives, ces
mères expriment les sentiments de ne pas répondre aux besoins de l'enfant et acceptent facilement l'assistance
médicale. Une fois diagnostiquée, la pathologie de l'enfant exprime symboliquement leur propre malaise relationnel. À
travers les traitements qu'elles mettent en pratique, elles bénéficient ainsi de l'approbation et/ou de la reconnaissance
du corps médical.
Plus ou moins sévères, les troubles psychologiques présentés par ces mères sont peu accessibles à une
psychothérapie traditionnelle. Elles sont non seulement dangereuses pour la santé de leur enfant, mais tout aussi
toxiques d'un point de vue relationnel, et compromettent largement le développement psychoaffectif de leur « victime
». L'enfant est en quelque sorte le « cobaye » sur lequel elles projettent leur délire et leurs frustrations. L'enfant
victime de ce syndrome a surtout besoin d'être protégé d'une telle emprise, au même titre que les enfants victimes de
mauvais traitements plus classiques. Quelques pathologies psychiatriques (schizophrénie avec hallucinations,
psychose paranoïaque avec délire de persécution, hypocondrie) sont rapportées en relation avec ce syndrome.
La mère psychotique et son enfant : du désir au déni
d'enfant
Le désir d'enfant est-il compatible avec un état psychotique ? Dans les états psychotiques maternels, existe-t-il des
risques pour l'enfant ? Ces deux questions soulèvent un point de vue éthique concernant le désir d'enfant chez les
personnes malades mentales. Lorsque les malades mentaux expriment le désir d'avoir un enfant, naît, chez les
professionnels, une grande appréhension quant au devenir de l'enfant, et sont suscitées des tentations eugéniques.
Cette question est cependant d'actualité, puisque l'efficacité des neuroleptiques et la politique en santé mentale
encouragent l'insertion des malades mentaux, les invitent à mener une vie aussi proche de la normale, donc ils ont
des relations sexuelles, ils ont des enfants. Néanmoins, les enfants nés de mères psychotiques sont identifiés comme
à haut risque par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) depuis 1975. C'est-à-dire qu'ils justifient des mesures
d'accompagnement et de prévention. L'enfant court trois risques : risque de développer une maladie mentale en partie
héréditaire, risque quant à son développement, risques liés aux souffrances, lorsque l'enfant est confronté à la folie de
ses parents. La difficulté à l'établissement du lien mère-enfant est souvent observé au sein même de la dyade
psychotique qui fonctionne de manière très fusionnelle, en autarcie, sans distanciation et sans « tiers séparateur ».
Étant donné la prégnance de l'enfant imaginaire sur le bébé bien réel, la souffrance peut être massive tant pour la
mère que pour l'enfant. Le rôle majeur joué par les facteurs environnementaux guide les conduites de prévention, en
particulier auprès des patients psychotiques adultes futurs parents et au cours de la grossesse, moment privilégié
pour mettre en place des stratégies préventives et thérapeutiques.
Dès le départ, la qualité du lien d'attachement implique la santé mentale de la mère. Beaucoup d'auteurs ont écrit à
propos des dangers immédiats ou à plus long terme de la présence de la mère psychotique auprès de son enfant, des
troubles de l'attachement, de l'autisme, de la souffrance psychique du nourrisson, ... tout comme sur les effets
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dévastateurs d'une séparation trop précoce. Dans son article intitulé « la mère et l'enfant dans les psychoses du
post-partum », Racamier (2002 : 560) écrit que « sur le plan thérapeutique, il est nécessaire et très efficace d'agir au
niveau de la relation de la mère avec son enfant... il ne suffit pas de fournir un soutien actif. Il faut, dit-il encore,
aménager avec soin, dans ses aspects extérieurs et intérieurs, la relation de la mère avec son enfant... et pour cela
l'enfant doit être là ».
Depuis des années, Martine Lamour étudie également l'incidence de la folie maternelle sur les représentations des
soignants à l'égard du bébé de mère psychotique. Le bébé peut avoir la dimension d'un bébé réparateur pouvant
guérir la mère. Ainsi, le « bébé de l'interaction » avec les différents partenaires confronté au bébé de l'interaction avec
la mère éclaire les ressentis et les représentations des intervenants.
Dans ses nombreux écrits, Martine Lamour évoque le bébé en souffrance et ses représentations chez le personnel
soignant. La multiplicité des intervenants autour d'un bébé en souffrance conduit à une multiplicité des représentations
du bébé. Pour chacun d'entre eux, il s'agit de "penser" bébé, c'est-à-dire de ressentir au plus proche de ce qu'il vit, par
empathie, mais c'est aussi penser "au" bébé et par là donner sens à ses comportements. Le bébé est pris dans un
réseau complexe d'identifications et de projections. Lorsque le bébé appartient à un milieu carencé ou psychotique,
nous en avons une représentation que l'on pourrait nommer celle de « l'enfant vide », sous-alimenté narcissiquement.
En cas de psychose maternelle au moment de la naissance, il est donc primordial de prêter attention aux infimes
signes que lance l'enfant en détresse, au travers du dialogue sensoriel, voisin de la préoccupation maternelle, au plus
proche des ressentis du bébé, dans un mouvement empathique avec lui. La résonance avec le corps d'autrui nous
conduit au coeur du vécu de ces bébés. Alors la représentation que nous nous faisons de ces bébés devient une
véritable construction utilisant les différents aspects de l'enfant. Cette construction est la condition de toute action
thérapeutique et permet de maintenir stable l'entourage de vie du bébé. Il importe donc d'insister sur les stratégies
multidisciplinaires et évolutives à mettre en place.
Intervention en cas de troubles graves de la relation
précoce mère-enfant
Après la naissance, certains nouveau-nés ne rentrent pas chez eux. Pour diverses raisons (sevrage, gros retard,
prématurité, malformations, syndrome alcool foetal, situation à haut risque de mauvais traitements, dépression du
post-partum, etc.), ils peuvent faire l'objet d'un séjour plus ou moins long dans un service néonatal ou pédiatrique. La
prolongation d'un séjour en service néonatal permet une meilleure évaluation des facteurs de risque qu'en maternité.
Une situation de naissance « difficile » risque cependant de fragiliser encore plus les parents qui peuvent devenir plus
susceptibles et reporter leur agressivité sur les soignants. L'enfant peut être investi de manière négative, comme
décevant ou trop différent, et blesser narcissiquement ses parents. Cette blessure narcissique peut enrayer la
construction des interactions et l'instauration du processus d'attachement. Dans un contexte de famille perturbée ou à
risque, cette conjonction de facteurs augmente la vulnérabilité des liens et exige un encadrement très spécifique. Il
paraît fondamental qu'une équipe de professionnels accompagne les parents dans leur souffrance et leur
questionnement. Un travail psychothérapique de soutien ou de fond est souvent nécessaire. L'établissement du lien
mère-enfant peut connaître des ratées plus ou moins pathologiques qui nécessitent un accompagnement spécialisé.
La réactivité émotionnelle de la mère, un vécu catastrophique, une grande détresse affective et/ou certains
mouvements psychopathologiques plus caractéristiques (décompensation psychique, grosse rechute toxicomaniaque,
dépression anaclitique ou post-partum, risque de fusion psychotique, etc.) sont parfois des indications à une
hospitalisation en milieu psychiatrique. La question de la séparation précoce mère-nourrisson est alors discutée. Le
traitement psychiatrique de la mère n'impose pas automatiquement la rupture des liens avec l'enfant.
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Il existe différents troubles relationnels entre la mère et l'enfant qui peuvent se traiter en secteur psychiatrique comme
dans certaines Unités mère-enfant. D'inspiration anglaise (les recherches du professeur Kumar), cette logistique
particulière permet d'accueillir plusieurs dyades mère-enfant dont la relation est perturbée par l'état mental de la mère
après l'accouchement et des femmes enceintes souffrant de troubles psychoaffectifs profonds. Avant l'admission, le
diagnostic psychopathologique est présenté. Les capacités et les potentialités maternelles sont également évaluées.
Un schéma et une logistique de traitement pharmacologique et psychothérapeutique sont ensuite établis pour la
patiente, corrélés à la prise en charge du nourrisson sur le plan développemental et relationnel.
Dans cette unité, une équipe multidisciplinaire encadre la patiente et son bébé. Différents thérapeutes unissent et
coordonnent leurs interventions afin de soigner la mère tout en orientant ce travail vers le maintien, la restauration
et/ou l'amélioration des interactions mère-bébé. Malgré la détresse psychique de certaines mères, il est possible de
leur faire comprendre et vivre le fait que leur bébé est une personne à part entière et un partenaire dans la relation.
Cette démarche se fonde sur la continuité des relations psychoaffectives entre la mère et son bébé. Dès lors que ce
dernier pourrait souffrir de carence des soins maternels mais aussi des troubles de sa mère, les contacts sont
supervisés. La nursery n'est accessible aux mères qu'en compagnie d'une soignante. Cette surveillance spécifique
implique que les bébés soient séparés de leur mère pendant la nuit. L'important est que le bébé et sa mère partagent
un agréable moment et qu'ils en retirent chacun un bénéfice « thérapeutique ».
Stimulé et materné par les soignantes, le nourrisson est régulièrement évalué sur le plan psychomoteur. Outre le suivi
médical de la mère et de l'enfant, l'équipe apporte un soutien concret dans l'apprentissage des tâches maternelles.
Bien que la non-séparation mère-enfant soit la cheville ouvrière de cette philosophie thérapeutique originale, une mère
considérée comme à haut risque est traitée comme tout autre patient souffrant de la même pathologie ou en état de
crise sévère. Même si le diagnostic n'est pas toujours facile à établir, les vraies psychoses du post-partum exigent un
passage en section psychiatrique fermée. Certaines mères très pathologiques sont toxiques, voire dangereuses pour
leur bébé. Elles sont parfois trop délirantes, trop centrées sur leur propre souffrance et incapables de s'occuper de
leur bébé. Elles bénéficient pour un temps d'une autre structure psychiatrique et d'un traitement spécifique. Dès
qu'elles récupèrent sur le plan psychologique, elles rendent progressivement visite à leur bébé. Elles sont alors
soutenues dans la relation et supervisées au niveau des soins.
Les antécédents de ces mères sont très chargés : troubles psychiatriques, hospitalisations multiples, maladies
mentales avérées, décompensations psychotiques, expériences traumatiques d'abandon, d'inceste, de viol, de
maltraitance, de placement institutionnel, de tentatives de suicide, de toxicomanie, d'alcoolisme, de marginalisation
sociale, etc. Elles sont souvent issues de milieux familiaux à haut risque sur le plan psychopathologique.
Entre le risque de fusion psychotique et la séparation à but thérapeutique, ce type d'intervention basée sur le maintien
des liens mère-bébé relève parfois de la mission impossible. L'indication de traitement s'élabore au départ d'une
relation symbiotique, c'est-à-dire du prolongement du corps de la mère dans ou à travers celui de son enfant. Le
soutien thérapeutique vise ensuite une conception mentale différenciée du Moi de la mère et de la personne de son
bébé comme sujet, afin que la mère puisse investir son bébé sans le vivre avec angoisse en tant qu'extérieur à elle,
tout en conservant le lien. Dans la psychose maternelle, se posent de nombreuses questions parfois très hétéroclites
et archaïques, mais auxquelles il faut s'attendre : Le bébé n'existe-t-il que lorsqu'il sort du ventre ? Etait-il là avant
dans le ventre maternel ? De quel enfant imaginaire, symbolique ou réel parle la mère ? Existe-t-il une place pour
l'autre dans un délire précoce à deux ? La psychose maternelle se transmet-elle in utero ? Dans certaines situations,
les liens imaginaires sont à ce point délirants et irréels qu'il faut confier l'enfant à une structure d'accueil. Ce type de
séparation n'implique pas d'emblée la rupture définitive des liens.
Même si quelques enfants sont placés en milieu d'accueil après leur passage dans une unité psychiatrique
mère-enfant, la plupart bénéficient d'un suivi extrahospitalier structuré comme un tissu médicopsychosocial spécifique.
Ces structures ambulatoires souvent attachées à des réseaux de centres de jour et d'appartements supervisés
permettent de stabiliser le traitement de la mère, d'améliorer son autonomie et de prolonger le maintien de la qualité
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relationnelle avec le bébé.
Comment survivre à la maladie mentale d'un proche ?
En fonction de son âge et de son degré de maturité, il importe que l'enfant soit mis au courant de la maladie de son
parent, et de ce qu'elle signifie ou implique. Avec ses impondérables et la manifestation de crises probables, la
maladie du parent est un fait réel. Confronté ainsi à cette réalité difficile, et plutôt que de fantasmer des choses qui ne
sont pas vraies, l'enfant doit pouvoir se forger une opinion et s'en ouvrir à d'autres. Suivant ses intuitions et son sens
de l'observation, l'enfant est alors plus conforté dans l'idée que son parent est à la fois fragile sur le plan
psychologique et parfois même « bizarre » dans ses attitudes. L'enfant a besoin d'être mis en confiance afin de nouer
une relation la plus sereine possible avec son parent. L'enfant a cependant le droit d'entretenir des relations avec son
parent dans des conditions qui ne mettent pas en péril sa propre santé mentale et son intégrité physique. Tout échec
relationnel est désastreux quant à l'image parentale que l'enfant tente d'élaborer sur le plan psychique (l'introjection
des imagos parentales). Dans la réalité, l'enfant est attiré affectivement par son parent et ressent le besoin de
constater par lui-même qu'il est bien là, qu'il n'a pas disparu ou qu'il ne l'a pas abandonné. Comme nous l'avons
décrit, il a parfois envie de s'en occuper dans la réalité.
Même s'il n'est jamais facile pour un enfant d'évoluer auprès d'un parent souffrant d'une vulnérabilité mentale ou d'un
trouble psychopathologique, il importe qu'il reste en contact, à condition que les transactions soient supportables et
adaptées, en relation avec l'âge et la maturité de l'enfant. Autrement dit, la maladie mentale du parent ne doit pas
compromettre la sécurité physique, psychique et morale de l'enfant.
Tout dépend également de la qualité des relations personnelles entre l'enfant et son parent. En fonction des
circonstances et des risques, voire de la dangerosité relative d'une situation, mais également du type de pathologie
mentale, une séparation est parfois nécessaire. L'enfant n'est pas toujours préoccupé par la quantité des contacts
mais plutôt par la régularité et la continuité dans le temps. Il a seulement envie de construire une relation positive avec
son parent. A contrario, dès lors qu'un enfant est soustrait des contacts établis avec un parent malade mental, il doit
au moins en connaître les raisons, afin notamment de l'aider à faire le deuil d'une relation qui pourrait compromettre
son développement psychoaffectif au sens large.
La recherche scientifique et les dernières données actuelles sur la maniaco-dépression (psychose) montrent qu'il
s'agit d'une maladie difficile à traiter et qui engendre un stress émotionnel important autant au niveau du patient que
de son entourage . Chaque épisode de crise est un moment de stress existentiel pour le patient et ses proches. Toute
rechute engendre de la tristesse chez les proches du patient et perturbe l'équilibre des relations familiales. Les
conséquences d'une rechute sont toutefois imprévisibles. L'angoisse des proches est souvent associée à la peur de la
rechute chez le malade. Face à cette maladie, l'incompréhension et les préjugés induisent chez les familiers des
attitudes de rejet, de la colère et de la culpabilisation. Ces ressentiments engendrent chez le patient de l'anxiété
dépressive, des réactions agressives, de l'impulsivité, des passages à l'acte, de l'autodestruction et surtout
l'impression d'être isolé. Cette maladie est aujourd'hui mieux comprise par les praticiens et les thérapeutes. Le patient
a autant besoin de soins appropriés que d'un entourage soutenant et bienveillant. Toutefois, la recherche clinique
n'évoque pas beaucoup les problèmes relationnels entre le parent maniaco-dépressif et son (ses) enfant(s), ni ce que
cette maladie implique pour l'(les) enfant(s) en termes de transmission de pattern déviant ou pathologique.
La situation de certains parents malades mentaux montre à quel point ils souffrent d'isolement sur le plan
psychosocial, relationnel et familial et à quel point leur maladie les éloigne des personnes qu'ils aiment, en particulier
leur(s) enfant(s). Il importe donc de recenser des informations objectives sur l'état de leur santé mentale, l'efficacité de
leur traitement et leur éventuelle stabilisation. En termes de garanties objectives et de pronostic clinique, lorsque l'état
de santé mental du parent reste préoccupant et à risque, avec d'éventuelles répercutions sur le fonctionnement
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psychoaffectif et relationnel de l'enfant, il devient alors hasardeux de les laisser « seul à seul » sans intervention.
L'enfant confronté à la souffrance psychique
L'enfant d'un parent malade mental est confronté de manière précoce à une souffrance psychique qu'il ne comprend
pas toujours, mais qu'il ressent au plus profond de son être. L'enfant confronté à la souffrance psychique d'un parent a
besoin de comprendre pour s'en sortir. Il a surtout besoin d'en parler.
Les enfants, dont un parent souffre de psychose, n'ont pas toujours accès à la signification de leur souffrance et
éprouvent certaines difficultés à bien les comprendre. La souffrance de l'autre peut contaminer le psychisme par des
mécanismes le plus souvent inconscients et des transactions systémiques plus ou moins psychopathologiques. Il
importe que ces enfants comprennent mieux le sens d'une maladie mentale, son évolution et la souffrance
sous-jacente. Ainsi, certains enfants comprennent mieux que d'autres la signification d'une maladie mentale et s'en
accommodent plus facilement. Par la connaissance, l'enfant peut démystifier la maladie et la percevoir sous un autre
angle. Chez l'enfant aussi, la psychologie de soi passe par une meilleure connaissance du fonctionnement psychique
individuel.
Pour découvrir les différentes facettes conscientes et inconscientes qui constituent psychiquement le sujet, l'être
humain a besoin de se mettre à l'écoute de soi-même, c'est-à-dire d'observer ses actes et se demander comment il
fonctionne. Même enfant, le sujet s'aperçoit alors qu'une large partie de ce qu'il y a véritablement à connaître consiste
en différentes couches de mémoires et d'expériences qui se sont cristallisées et sont devenues, à terme, des façons
automatiques de faire, de sentir, d'éprouver et de penser,... Ces « couches » organisent l'essentiel de sa personnalité.
Néanmoins, un individu ne peut jamais se connaître en totalité. Dans l'espace psychique, il existe toujours des zones
d'ombre, des aspects énigmatiques de la personnalité qui restent inaccessibles à la conscience et qui font parfois
souffrir l'individu.
De la plainte à la souffrance psychologique
Aucun enfant n'aime voir souffrir son parent et il peut se sentir coupable de rester impuissant face à la maladie. Au
plan intime, la maladie renvoie chacun à sa propre vérité. Au plan systémique, elle nous confronte à des transactions
particulières avec ceux qui souffrent. Aux prises avec sa propre souffrance psychique, la personne malade mentale
n'a pas toujours une conscience morbide et reste aveugle aux difficultés de l'entourage.
Personne n'aime être malade or, d'un certain point de vue, parce que la maladie (comme la souffrance) est le signal
que quelque chose ne va pas pour nous, elle nous rend service en nous alertant.
De la même manière que le signal de la maladie offre à la personne la possibilité de se soigner, la souffrance
psychologique offre à la personne l'opportunité de comprendre que quelque chose ne va pas dans sa relation à
elle-même et/ou aux autres.
Malheureusement la plupart du temps, la personne en souffrance ne le voit pas, elle se dit victime du destin, et
s'enfonce dans le mal-être et la plainte, au risque de plonger dans une dépression (névrotique ou psychotique) ou un
délire (paranoïaque ou hallucinatoire).
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Par la prise de conscience, il est donc possible de faire « bon usage » d'une maladie comme de la souffrance
psychologique, tout en mettant au travail le psychisme. La rencontre avec la souffrance psychique de l'adulte amène
l'enfant à réfléchir non seulement sur la réalité de la condition humaine, mais également sur son propre moi, son
existence et ses émotions.
La relativité de la souffrance psychologique du sujet et le travail psychique
Le travail psychique commence par oser constater honnêtement que quelque chose ne va pas, sans en avoir peur,
c'est-à-dire en ne se voilant pas la face. Ensuite, le sujet peut prendre conscience qu'il ne va pas bien (stress,
dépression, angoisse, colère rentrée, agressivité, tristesse, mélancolie, etc.). C'est souvent moins lui-même que le
malade remet en question que sa façon de percevoir la réalité (interne et externe) et de vivre avec les autres.
D'une part, l'individu est un être unique, c'est-à-dire fondamentalement différent des autres. Sa perception du monde
est unique et relative à la manière dont il interprète ce qui lui arrive. L'état d'esprit individuel dépend de toute une série
d'éléments qui s'intriquent les uns aux autres, sans trop savoir de quelle manière. D'autre part, rien n'est irréductible.
Les mécanismes psychiques pathologiques durent si l'individu les laisse durer, d'autant qu'il a la possibilité d'agir sur
lui-même pour transformer le monde qui l'entoure et sa relation aux autres.
La perception est à l'origine de la souffrance car, tout ce sur quoi le sujet porte son attention prend de l'importance à
ses yeux. Même s'il n'y croit pas toujours, il a alors la possibilité d'agir sur certains mécanismes pour ne pas les faire
durer ou laisser envahir tout son champ psychique, jusqu'à le rendre encore plus malade.
À l'origine de la souffrance psychologique individuelle
Les traumatismes, frustrations, humiliations, échecs, pertes, ruptures, injustices, situations catastrophiques, et
conflits,... sont souvent à l'origine de la souffrance humaine. L'enfer n'est pas toujours pavé de bonnes intentions. Et
comme le dit Sartre, l'enfer serait les autres. Le jugement moral des autres interfère également avec la manière dont
le sujet se juge lui-même. Dans certaines pathologies mentales, le sujet donne l'impression qu'il se condamne à
souffrir, comme s'il devait subir un destin et n'avoir aucune prise sur lui. La souffrance morale deviendrait alors la
seule issue de la condition humaine. Englué dans sa propre souffrance psychique, le sujet entretient avec les autres
et avec le monde un rapport très particulier. Par le biais de différents mécanismes de défense psychologiques, il
résiste aux changements. Au prorata de ses perturbations, de ses aberrations ou de ses déformations cognitives,
celui qui souffre ne perçoit du monde qui l'entoure qu'une vision étriquée et déformée.
En fait, dans ses relations aux autres, le sujet passe le plus clair de son temps à interpréter la réalité en y projetant
ses attentes narcissiques, ce qui génère déception et souffrance, surtout lorsque la réalité diffère de son désir (et c'est
le plus souvent le cas).
De même, dans sa relation à lui-même, le sujet interprète le plus souvent ses actes en fonction des valeurs que les
autres lui transmettent à travers son éducation, plutôt qu'en fonction de valeurs auxquelles il aurait lui-même librement
consenti.
Sa perception du monde étant liée à la manière dont le sujet a appris à le percevoir, c'est à partir de l'étude de la
manière dont il apprendra à percevoir le monde qu'il sera capable de changer ou d'accepter certains changements
dans son existence.
De la souffrance à la réalisation de soi
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Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
Pour tout être humain, devenir « soi-même », consiste à se réaliser soi, en travaillant dans une dynamique de remise
en question de sa façon d'interpréter le monde. C'est notamment parce qu'il devient conscient de la manière dont il s'y
prend pour « créer » ses souffrances, ses angoisses et ses peurs que le sujet pourrait cesser de les « engendrer ».
Lorsqu'il souffre d'angoisses (psychotiques ou névrotiques), l'individu s'identifie aux peurs qu'il génère.
Malgré ses souffrances, l'individu est capable de réajuster progressivement sa perception et devenir de plus en plus
bienveillant avec lui-même, en découvrant sans culpabilité et sans préjugés qu'il peut exprimer des besoins, et en
comprenant sereinement ses comportements émotionnels et ses attitudes mentales (même si elles sont défaillantes).
L'acceptation de soi passe donc par un travail de remise en question, un véritable travail de « remise en forme »
psychologique.
La connaissance de soi passe par un meilleur amour de soi. L'enfant lié à un adulte qui souffre de la sorte doit
également comprendre sa réalité intérieure, afin notamment de faire grandir sa confiance en lui-même. Il peut se dire
qu'il est capable, au même titre que des enfants « ordinaires », d'investir sa propre enfance et se convaincre qu'il en
vaut la peine. Placé dans un contexte familial difficile et/ou confronté à la maladie mentale d'un parent, l'enfant a
essentiellement besoin d'une renarcissisation du Moi.
Le soutien thérapeutique à l'enfant et à son entourage
Soutenir ces enfants confrontés à la maladie mentale d'un parent ne va pas de soi. Trop préoccupé par ce qu'il vit,
l'enfant est rarement disponible et/ou demandeur. Sans pour autant banaliser ou diaboliser la maladie mentale ou
minimiser ses effets en termes de souffrance et d'incompréhension, tout individu devrait s'autoriser à se soucier de
son état mental et être plus sensible à sa propre souffrance. Ceux de l'extérieur, comme les intervenants
professionnels, devraient rester sensibles à ceux qui souffrent, notamment ces enfants. L'entourage d'un enfant dont
le parent souffre d'une maladie mentale devrait en tenir compte et réagir.
Au plan humain, chercher à mieux se connaître est le fondement de toute évolution positive, permettant à l'enfant de
devenir ce qu'il est vraiment, sans pour autant sacrifier une part de son être. Choisir d'être accompagné dans cette
évolution procède de la motivation active de celui qui, voulant que les choses changent, s'en donne les moyens.
L'accès à l'aide thérapeutique repose sur le principe de la demande et du libre choix. Aller à la rencontre d'un
thérapeute demande un investissement personnel qui exige aussi un coût. Il importe donc d'aller à la rencontre de
l'enfant et de questionner sa demande.
Il faut préciser que le thérapeute (Thérapeutes, en grec, signifie « prendre soin de ») ne guérit pas les malades, mais
aide - en les accompagnant - des personnes en souffrance, à changer, afin qu'elles se sentent mieux. Le thérapeute
accompagne le travail psychique d'une personne qui désire évoluer et se sentir mieux dans sa peau. Le bien-être est
l'objectif principal d'un travail thérapeutique.
Y compris dans les psychothérapies d'enfants, le thérapeute est un spécialiste du fonctionnement psychique du sujet
humain, qui, pour le devenir, a suivi lui aussi un cheminement, afin notamment d'entreprendre un travail de
connaissance de soi et de prise de conscience de la souffrance des autres.
Le thérapeute accompagne le sujet à partir de sa motivation à résoudre ses problèmes et à cesser d'en créer. Surtout
avec les enfants en difficulté, le thérapeute a également une fonction « rééducative » (guidance), d'autant qu'il lui
apporte l'attention, l'écoute bienveillante et la disponibilité.
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Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
Le changement ne va pas toujours de soi et exige toujours une remise en question importante, une prise de
conscience et un travail plus ou moins long. La demande de changement est au coeur du débat thérapeutique,... le
désir ne suffit pas, encore faut-il le vouloir. Le désir relève du sujet. Changer reste donc un choix difficile qui dépend
essentiellement de soi, de ses motivations, de son désir, de sa demande et de ses besoins.
Conclusion : liens de sang, liens de folie ?
Même si la littérature scientifique évoque peu cette problématique, cette réflexion à propos des enfants de parents
malades mentaux amène de nombreuses questions. Avec l'évolution de la psychiatrie, le patient semble moins isolé.
On comprend mieux son fonctionnement psychique. Son autonomie est plus valorisée qu'auparavant. L'antipsychiatrie
a contribué à des solutions alternatives, comme les centres de jour ou les communautés thérapeutiques. La vie de
famille des malades est parfois encouragée ou reste une évidence. Les traitements semblent plus efficaces. Depuis
quelques décennies, les thérapeutes de la famille prennent en charge des familles à transactions
psychopathologiques. Les enfants des malades sont parfois amenés à participer à des séances de thérapie et
apportent leur contribution à l'évolution de leur(s) parent(s). Mais dans l'ensemble, l'impact de la maladie mentale d'un
parent sur son (ses) enfant(s) n'est pas toujours pris en considération. Les professionnels de la santé mentale s'en
inquiètent aujourd'hui, d'autant plus que les réseaux d'aide sont peu valorisés et que les moyens d'intervention restent
limités.
L'impact de la maladie mentale d'un parent (ou des parents) sur le développement psychique de l'enfant reste
conséquent. Il existe des familles à transactions psychopathologiques où l'axe transgénérationnel est très perturbé par
la présence d'une affection mentale chez tel ou tel membre. La notion de délire à deux ou d'aliénation familiale nous
amène à penser que l'univers de la maladie mentale est extrêmement difficile à comprendre pour l'enfant. Même s'il
s'en accommode ou recherche des réponses à ses questions, l'enfant reste préoccupé par l'anormalité de son parent.
C'est souvent au détriment de sa propre évolution personnelle, que l'enfant se sent concerné par les troubles
psychiques de son parent. De manière quotidienne, l'enfant est confronté à l'expression de troubles variés tels que par
exemples : l'angoisse, les crises paranoïaques, les passages à l'acte, les bouffées délirantes, la dépression, la
mélancolie, les obsessions, les idées fixes, etc.
Selon les circonstances du développement de la maladie, la souffrance psychique devient envahissante et occupe
tout l'espace relationnel de la famille. L'enfant en ressort avec beaucoup de ressentiments contradictoires, avec de
l'angoisse, de la colère, de la tristesse, de l'anxiété dépressive, de la culpabilité, voire de la « honte coupable ». La
plupart des enfants de parents malades mentaux se sentent très responsables, voire livrés à eux-mêmes. Ces enfants
investissent des tâches qui les situent en porte-à-faux avec le monde de l'enfance. Malgré eux, ils inversent les rôles
et deviennent comme des parents de substitution de leur propre parent. Certains enfants souffrent plus que d'autres et
s'identifient de manière anxieuse par introjection au parent malade, au risque de décompenser sur un mode
psychopathologique à leur tour.
De manière générale, l'enfant se perçoit comme très différent des autres et profondément atteint dans son
narcissisme, son individualité et son identité. Il se parentifie rapidement tout en risquant de porter lui-même et à bout
de bras la pathologie de son parent.
Ces familles à transactions pathologiques sont souvent isolées ou entourées d'un cordon sanitaire qui risque de les
stigmatiser encore plus. L'isolement, la stigmatisation et la différence marquée influencent encore plus le
fonctionnement psychologique de l'enfant. Parfois, l'aide arrive trop tardivement et l'enfant est déjà « abîmé »
psychiquement.
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Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
Dans pareil contexte, l'enfant a besoin d'apprendre des choses sur la maladie de son parent, afin notamment de la
démystifier et de la percevoir sous un autre angle. Il a également besoin d'être rassuré, afin de se sentir moins seul et
moins différent. S'il est soutenu par ses proches ou quelques intervenants, il peut s'autoriser à se dégager de
certaines responsabilités et s'autoriser à réinvestir son propre univers d'enfant. L'aide thérapeutique individuelle,
familiale et/ou groupale s'avère plus que nécessaire.
La prise en charge thérapeutique de ces enfants est exigeante et requière beaucoup de rigueur professionnelle de la
part des psychothérapeutes. Les thérapeutes de la famille se préoccupent davantage de cette problématique. Très
présentes dans ce champ, les thérapies familiales d'obédience psychanalytique ou systémique exigent aussi la
mobilisation de la famille et de ses membres. C'est toute la famille qui entre en scène et chacun contribue au travail
thérapeutique.
Préoccupante, la santé mentale des enfants de parents malades mentaux devrait donc faire l'objet d'une considération
plus importante, notamment de la part des intervenants, des psychiatres, des soignants, des thérapeutes et des
décideurs. Si ces professionnels manquent de moyens, ils deviennent de plus en plus conscients que la prise en
charge de ces enfants est aussi une question de santé mentale tant à un niveau intergénérationnel que
transgénérationnel.
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