Les principales causes de mortalité au XIXe siècle
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Les principales causes de mortalité au XIXe siècle
K-2011- HYGIENE ET SANTE Sources diverses, dont UN dossier proposé par L’Histoire par l’image (copyright) Les principales causes de mortalité au XIXe siècle 1. LA MISERE La grande vague d'urbanisation et d'industrialisation du XIX correspond à un durcissement de la pauvreté. La misère urbaine, synonyme de de malnutrition, d'insalubrité et de conditions d'hygiènes déplorables, est la première cause de mortalité. Aspects de la misère urbaine au XIXème siècle Norbert GOENEUTTE - La soupe du matin. Alexandre ANTIGNA - L'éclair. (1848) Sénat Musée d'Orsay Contexte Plusieurs événements, sous la monarchie de Juillet, ont éveillé la réflexion de la bourgeoisie au sujet de la misère populaire : la révolution de 1830 à Paris, les insurrections des canuts de Lyon en 1831 et en 1834, la crise de subsistance de 1846. C’est donc entre 1830 et 1840 que l’opinion prend conscience de la misère urbaine et ouvrière. Diverses réalités sont alors décrites : la pauvreté, la misère (manque de biens extrême), le paupérisme (pauvreté comme phénomène économique en rapport avec l’industrialisation) . Cette révélation est l’œuvre d’opposants au régime comme le docteur Guépin. Mais la très officielle Académie des Sciences morales et politiques a également incité à l’étude du paupérisme. C’est elle qui a poussé Villermé à enquêter, dans les années 1830, sur les conditions de vie et de travail des ouvriers du textile à Lille et à Rouen. Son ouvrage, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers, publié en 1840, n’a pas peu contribué à la prise de conscience. Analyse Selon Buret, un tiers de la population en 1840 est assistée par la charité publique. Celleci est à la fois un moyen de soulager les pauvres et de les enserrer dans un système de sujétion paternaliste. Le baron de Gérando, grand philanthrope et spécialiste de la charité, écrit en 1820 : pauvre ou enfant, " le faible appartient au fort à titre d’adoption "C’est une scène de bienfaisance que Goeneutte, actif dans le dernier quart du XIXe siècle, représente La Soupe du matin. A l’arrière-plan, des pauvres – hommes, femmes en haillons, enfants et vieillards – se pressent dans le froid du matin à une distribution de soupe populaire. Au premier plan de cette cour d’immeuble, occupés à boire le breuvage bien chaud, ils ressemblent à des particules éparses. Les pauvres que L’Eclair terrorise sont au contraire serrés les uns contre les autres. Dans un grenier, une mère indigente et seule (où est le père ?) tente de rassurer ses enfants réveillés en pleine nuit. La scène est traitée avec force : les puissants contrastes de lumière et l’expressivité des personnages, issus du peuple et représentés grandeur nature, constituent les traits d’un caravagisme à portée sociale. L’éclair et l’effroi qu’il suscite, en revanche, sont un thème romantique (ou biblique, comme dans les scènes du Déluge). Tout semble opposer les deux tableaux, repas matinal plutôt serein et scène dramatique de nuit. Le premier offre une description fidèle de la réalité, le deuxième est une métaphore de la pauvreté ; l’un éparpille les éléments, l’autre résume de manière saisissante. Mais les indigents qui se bousculent pour la soupe et la " Mère courage " protégeant ses enfants sont tous des pauvres, des malheureux qui, avec les prolétaires de l’industrie, sont les " misérables " du XIXe siècle. Interprétation Les deux peintres entendent montrer le vrai visage de la pauvreté, mais avec des styles différents. Si La Soupe du matin cherche plutôt à sensibiliser le spectateur avec sa précision naturaliste, L’Eclair sonne comme un avertissement. Le premier est un documentaire sans prétention, le second un symbole, une œuvre à plusieurs degrés de lecture. Présenté en 1848 au premier Salon de la IIe République, ce tableau exhibe la misère du peuple avec le même souffle visionnaire que Millet et Courbet dans Les Glaneuses et Les Casseurs de pierre. Les personnages sont convulsionnés par la peur – peur de la foudre, du ciel noir, c’est-à-dire peur de la misère et de la guerre civile qui appauvrit les humbles. Mais cet effroi en évoque un autre : la grande peur de la bourgeoisie après les journées de Juin, peur du peuple et de sa violence supposée, peur du sang qu’il pourrait verser. Menace des révolutions à venir, l’éclair pourrait bien finir par épouvanter aussi la bourgeoisie. Trois ou quatre décennies plus tard les pauvres de La Soupe du matin semblent bien paisibles : sous la IIIe République, la misère est un peu dédramatisée et atténuée. La Part des pauvres Marius ROY - La Part des pauvres. (1886) Musée des Beaux-Arts de Rennes Contexte La pauvreté et la malnutrition dans la France de la IIIe République Dans la société française du XIXe siècle, les inégalités sont encore criantes alors que les classes supérieures représentent seulement 15 % environ de la population urbaine. Souvent touchées par la précarité, les classes populaires sont attirées par les villes, dont la physionomie témoigne des disparités sociales. Dans les quartiers les plus pauvres, les revenus sont insuffisants et irréguliers, les logements insalubres, l’alimentation carencée et le travail fatigant. La condition des travailleurs manuels est celle du dénuement et des lendemains incertains. L’existence y est pour bon nombre difficile, tributaire d’un rythme irrégulier de travail, d’une embauche au coup par coup et d’un chômage récurrent. Analyse Une vision sociale de l’armée La population urbaine touchée par la pauvreté se rassemblait fréquemment à la porte des casernes militaires situées dans les villes. Le tableau représente une scène authentique : le dimanche, des cuirassiers à la porte de leur quartier, situé vraisemblablement dans la région de Rennes, donnent un reste de soupe à des mendiants. Le peintre Marius Roy, nommé maître de dessin à l’Ecole polytechnique, se spécialisa dans la représentation de la vie militaire dans ses aspects les plus simples. Plusieurs cuirassiers à l’intérieur de leur quartier semblent être des appelés, dont certains sont de corvée. Ce tableau, exposé au Salon de 1886 et à l’Exposition nationale et régionale de Rennes en 1887, dans lequel se fait sentir l’influence du naturalisme, illustre le lien de solidarité qui unissait l’armée et la population sous la IIIe République. En assurant la défense de la nation, l’armée n’est plus coupée du peuple comme auparavant, elle se veut aussi éducatrice, sociale, voire charitable comme ici. Interprétation Le renouvellement de l’iconographie militaire Ce tableau de propagande cherche à renouveler l’iconographie militaire. Cette vision sociale de l’armée, très rare en peinture, illustre l’idéologie égalitaire de la IIIe République. Tenue pour responsable de la défaite de 1870-1871, l’institution incarne par la suite le salut social et représente un rempart contre la guerre civile. Le redressement moral de la nation lui incombe. Au cours des années 1880, le service militaire, obligatoire pour tous les citoyens depuis 1872, bouleverse la société française par le mélange des classes sociales qui s’opère dans les casernes. Pour pallier le manque de bâtiments nécessaires à l’accueil des conscrits, l’armée réquisitionne parfois des monuments anciens comme c’est le cas dans le tableau de Roy où apparaît un pont-levis. Une instruction ministérielle du 20 mars 1875 améliore le confort des bâtiments à usage militaire, introduisant l’hygiène dans les quartiers. Au cours des années 1880, les quartiers suscitent curiosité et sympathie. La peinture militaire s’écarte des conventions précédemment en vigueur au profit d’un réalisme documentaire, genre inauguré par Edouard Detaille. La représentation militaire évolue de l’épique vers l’anecdotique et privilégie la vie quotidienne du soldat. Les rituels du quartier ou de la caserne, lieu de passage obligé de la majorité des jeunes Français, sont au cœur d’un nouveau folklore illustré par le comique troupier. La vie de garnison rythme la vie des cités provinciales par les manœuvres des régiments et surtout la revue du 14-Juillet. Toutefois, dès les années 1890, l’opinion publique se lasse de ces représentations banales de la vie quotidienne d’une armée de temps de paix et reste nostalgique d’une peinture militaire évoquant les glorieuses victoires d’un passé prestigieux. La Part des pauvres témoigne ainsi de l’épuisement du sujet militaire en peinture, qui n’a plus rien à offrir à la curiosité du public. De manière générale, la peinture militaire continue d’entretenir la nostalgie des provinces perdues, bientôt reconquises par les « poilus ». Il faut attendre la Première Guerre mondiale et la vie dans les tranchées pour voir les artistes renouveler entièrement le sujet et l’intérêt du public. 2. LES EPIDEMIES ET LES MALADIES Avant la révolution pasteurienne, on ne dispose que de peu de moyens pour lutter contre la propagation des épidémies. Ainsi, dans la première moitié du XIX, plusieurs épidémies frappent encore durement la France, la fièvre jaune en 1821, le choléra en 1866. Par ailleurs, malgré l'existence d'un courant hygiéniste qui fait appel à la responsabilité individuelle et collective pour améliorer les conditions d'hygiène, des maladies dites populaires telle que la syphilis, ou sociales comme la tuberculose (ou phtisie) se développent dans les milieux ouvriers mais aussi dans les milieux plus aisés. Maladie emblématique du XIX mais véritable fléau social , la tuberculose est responsable de pus de 10 % des décès à la fin du XIX . Le choléra à Amiens (1866) Auguste FERAGU - L'impératrice Eugénie visitant les cholériques à Amiens. (1878) Musée national du Château de Compiègne Paul-Félix GUERIE - L'impératrice Eugénie visitant les cholériques de l'Hôtel-Dieu à Amiens, le 4 juillet 1866. (1866) Musée national du Château de Compiègne Antoine-Léon BRUNEL-ROCQUE - L'impératrice Eugénie protégeant du choléra les villes d'Amiens et de Paris. (1866) Musée national du Château de Compiègne Contexte Entre l’été 1865 et l’hiver 1866, le choléra fit son apparition dans de nombreuses régions de France. Ce fut l’épidémie la plus grave depuis 1832. Le 30 juin 1866, l’empereur envoya le ministre de l’Agriculture et du Commerce et l’inspecteur des services sanitaires à Amiens où l’épidémie avait revêtu une exceptionnelle gravité. Il fit don de 5 000 francs en son nom personnel et de 1 000 francs au nom du prince impérial pour secourir les victimes (Le Moniteur, 4 juillet 1866). Quatre jours plus tard, l’impératrice fit une visite de bienfaisance à Amiens, visitant les hôpitaux et autres institutions. A propos de cette visite, Prosper Mérimée écrivait à Panizzi, le 5 juillet 1866 : “ Je ne suis pas sûr que ce soit très raisonnable, mais c’est très beau. ” En décembre 1865, l’impératrice avait rendu visite aux cholériques de l’hôpital Beaujon, à Paris. En 1866, le conseil municipal de la capitale fit frapper une médaille de bronze commémorative. Analyse La toile d’Auguste Feragu représente l’impératrice Eugénie sortant de l’hôtel-Dieu d’Amiens, le 4 juillet 1866. Derrière l’impératrice se tiennent les autorités civiles et religieuses : le docteur Connau, conseiller d’Etat et préfet de la Somme, accompagné de son épouse, monsieur Dhavernat, maire de la ville, l’évêque d’Amiens ; derrière ces notabilités, le personnel de santé, médecins et religieuses. L’impératrice est sobrement vêtue de noir ; elle est coiffée d’un petit bonnet noir fixé à l’aide d’un ruban noué sous le menton. Elle est accompagnée de la comtesse de Lourmel, dame du palais. Devant l’hôtel-Dieu, quelques Amiénois l’attendent. Un petit garçon s’avance vers elle et lui tend une supplique. L’hôtel-Dieu est situé dans le quartier Saint-Leu, quartier populaire dominé par la masse imposante de la cathédrale qui se dresse à l’arrière-plan. On aperçoit la foule grouillante et, à gauche, l’entrée de l’église Saint-Leu. La toile de Paul-Félix Guérie représente l’impératrice Eugénie à l’intérieur même de l’Hôtel-Dieu. La grande salle commune, dont le haut plafond est soutenu par des piliers de bois, est divisée en deux par une cloison de planches. On aperçoit le tuyau du poêle qui permet de chauffer la salle. Les lits sont répartis sur trois rangées. Au centre de la toile, l’impératrice est penchée sur un lit où repose un malade. Comme dans le tableau d’Auguste Feragu, elle est très simplement vêtue de noir. Une sœur de charité se tient de l’autre côté du lit. Derrière l’impératrice se trouvent les autorités civiles, militaires et religieuses, notamment le préfet de la Somme et l’évêque d’Amiens. La salle est remplie d’une foule nombreuse. A droite, au pied d’un lit, un homme agenouillé nettoie le parquet. La peinture sur toile d’Antoine-Léon Brunel-Rocque a la forme d’un médaillon ovale. Il s’agit de la composition originale, préparatoire à la décoration d’un vase commandé à la manufacture de Sèvres pour commémorer la visite de l’impératrice à Amiens le 4 juillet 1866. Il fut livré “ au nom de S.M. l’Empereur, au Musée Napoléon de la ville d’Amiens ” en mai 1870. Le thème traité par Brunel-Rocque est une allégorie. Au centre de la composition, l’impératrice Eugénie, debout, tend les bras vers deux femmes agenouillées, tourelées, qui symbolisent les villes de Paris et d’Amiens éprouvées par l’épidémie. Aux pieds de la souveraine, deux dragons agonisants, lançant flammes et fumées, incarnent le choléra vaincu par l’intercession de l’impératrice. Interprétation Auguste Feragu et Paul-Félix Guérie ont représenté le même événement, mais ils l’ont mis en scène de façon totalement différente. Le choléra est pratiquement absent du tableau d’Auguste Feragu. L’impératrice est représentée sortant de l’hôtel-Dieu et le peintre insiste davantage sur le caractère officiel de sa visite à Amiens. L’œil est attiré par ce petit garçon présentant une supplique à la souveraine, qui tend majestueusement la main pour la recevoir et montre ainsi que le pouvoir impérial est à l’écoute des problèmes et des aspirations du peuple. A l’inverse, le choléra est au centre du tableau de Paul-Félix Guérie. Méprisant la mortelle contagion, l’impératrice se penche sur le lit d’un malade qu’elle réconforte. L’œuvre a une portée beaucoup plus sociale. L’univers hospitalier est représenté ici dans toute sa laideur : bâtiments vétustes aux murs lépreux, promiscuité, hygiène sommaire… L’impératrice est présentée comme un personnage proche de la misère du peuple. Néanmoins, dans les deux cas, l’artiste se fait le propagandiste du régime impérial. Il met en évidence la volonté ostentatoire du pouvoir de partager les épreuves du peuple et de lui apporter aide et réconfort, une démarche teintée de paternalisme et qui n’est pas exempte de démagogie à un moment où les souverains sont en quête de popularité. La composition d’Antoine-Léon Brunel-Rocque va beaucoup plus loin que les deux œuvres précédentes dans la propagande démagogique. Bien connu comme peintre de sujets religieux, Brunel-Rocque s’est délibérément inspiré de l’iconographie chrétienne pour représenter l’impératrice dans l’attitude d’une sainte victorieuse terrassant l’épidémie, lui prêtant ainsi le pouvoir thaumaturgique autrefois dévolu à certains souverains de la dynastie capétienne. Le fléau de la tuberculose F. GALAIS - Un grand fléau la tuberculose. (1917) Musée d'histoire contemporaine / BDIC Auguste Auguste LEROUX - La visiteuse d'hygiène vous montrera le chemin de la santé. (1918) Musée d'histoire contemporaine / BDIC - - Ecrasez la tuberculose et sauvez l’enfance. (1917) Musée d'histoire contemporaine / BDIC Contexte Un fléau social La Grande Guerre s’accompagne d’une recrudescence de la mortalité tuberculeuse. De 1906 à 1918, la France passe du cinquième au deuxième rang des pays les plus exposés d’Europe. Le taux de mortalité provoqué par ce fléau atteint 2 pour 1000 en 1917 pour fléchir ensuite. Cette maladie constitue la cible majeure des courants hygiénistes qui se sont multipliés au tournant du siècle. Les pouvoirs publics se dotent de nouveaux moyens d’action : vote de la loi Léon Bourgeois sur les dispensaires antituberculeux en 1916 et de la loi Honnorat sur les sanatoriums en 1919. La mission Rockefeller, financée par la fondation du même nom, et pénétrée des principes de l’hygiénisme américain, très en avance sur ses homologues européens, s’installe en France en 1917 et s’assigne pour objectif de stimuler cet effort public. Elle met fin à ses activités en janvier 1923 pour passer la main au Comité national de défense de la tuberculose. Durant six années, elle encourage financièrement la construction des dispensaires prévus par la loi et est à l’initiative des « visiteuses d’hygiène », infirmières exerçant les fonctions d’une assistante sociale avant l’heure et chargées de « montrer le chemin de la santé aux malades et de préserver la santé des bien-portants ». Elle s’attaque encore au mur de silence qui entourait, avant guerre, une maladie tenue pour honteuse à bien des égards et se lance dans une grande campagne de propagande qui mobilise les techniques et savoir-faire publicitaires américains. Ces affiches en sont une modalité. Analyse Une campagne de prévention Une première affiche représente une scène de rue de la ville ordinaire. Des immeubles pressés le long d’artères exiguës interdisent d’entrevoir le ciel et créent une atmosphère étouffante et fétide signifiée par la palette qui emprunte uniformément à l’ocre et à ses dégradés. Depuis la fenêtre d’un immeuble, une femme secoue un linge sans égard pour des enfants qui passent avec leur pot à lait. Derrière une sombre devanture, des « parents boivent ». Au premier plan, une mère de famille trop lourdement chargée discute avec un homme presque en haillons (son mari, sorti du café ?). Derrière eux, une bouche d’égout, des ordures jonchant la rue. A leurs côtés, un tas d’ordure où fouillent de concert, dans des postures parallèles, un chien et un gamin. A l’arrière-plan, un autre gamin, invalide, et des groupes en majorité constitués de femmes et d’enfants, recevant à leur tour des ordures depuis une fenêtre. « La France, patrie de la bactériologie est aussi la patrie des bactéries », écrit alors le Chicago Tribune (juillet 1917). Par l’unique interstice qui pourrait laisser pénétrer le soleil et l’air, s’introduit la Faucheuse, image d’une mort popularisée par les danses macabres qui durent aux grandes pestes médiévales de se multiplier. Sur une seconde affiche (Auguste Leroux, 1918), une visiteuse d’hygiène portant sur sa manche la double croix, symbole de la lutte internationale contre la tuberculose, protège une fillette coiffée du bonnet phrygien. Elle lui « montre le chemin de la santé » et s’engage dans cette voie d’un pas résolu, traduit par la diagonale de la construction et par l’esthétique à l’œuvre. A l’horizon, le Paris de l’Ouest, dégagé et signifié par ses monuments prestigieux et surtout par son plein ciel. La dernière affiche laisse deviner la victoire prochaine puisqu’un personnage qui participe de l’infirmière (en tenue blanche) et d’une déesse ailée (le drapeau tricolore) écrase le mal, figuré par la pieuvre. Elle peut dès à présent brandir victorieusement l’enfant qu’elle a arraché à la mort, dans un mouvement général d’ascension qui emprunte aux représentations liturgiques du XVIIe siècle. Interprétation Hygiénisme et nationalisme Ces affiches empruntent à des styles très divers pour diffuser un même message : la nécessaire protection de l’enfance, au cœur de chacune des représentations. Elles mobilisent le naturalisme, des allégories et toute une série de codes convenus et largement réactivés durant la guerre ; ainsi la pieuvre, cette incarnation du mal, le bonnet phrygien qui doit à sa cocarde tricolore de signifier la patrie plus que la République. Quant à l’affiche qui accuse la ville insalubre, elle mobilise tous les poncifs hygiénistes, graphiquement codifiés dès avant la guerre. Deux de ces affiches sont un appel à la mobilisation, comme l'indique l'usage de l’impératif. Cette mobilisation participe du combat patriotique. A preuve, le terme de « croisade », l’air martial de cette infirmière qui peut tout aussi bien signifier l’allié américain, protégeant sur ce front comme elle le fait sur d’autres la France, figurée par son bonnet phrygien ; pour une victoire que la troisième affiche, dit assez bien nationale. (deux affiches de même provenance l’expriment plus nettement encore : « L’aigle boche sera vaincu, la tuberculose aussi », « L’aigle boche est vaincu, la tuberculose doit l’être aussi »). Ces affiches donnent à voir les armes à mettre en œuvre pour l’emporter : un urbanisme redéfini dont le Paris de l’Ouest (où la mortalité tuberculeuse est sensiblement plus faible) se veut l’expression. Un contrôle social, ici symbolisé par la rigueur et l’uniforme de cette femme-soldat d’une juste cause, se donne pour son indispensable auxiliaire. 3. L'ALCOOLISME La consommation d'alcool a augmenté tout au long du XIX , culminant à la Belle Epoque. Très présent dans toute l'imagerie du XIX , l'alcoolisme social s'est peu à peu insinué dans les habitudes populaires comme dans les milieux bourgeois ( il existe un alcoolisme mondain). Cependant, au même titre que la syphilis ou la tuberculose, l'alcoolisme est un fléau social. Ce n'est pourtant que dans la deuxième moitié du XIX que les milieux médicaux , puis politiques et sociaux ont pris conscience des ravages liés à l'abus de consommations alcoolisées. Regard sur l'alcoolisme Edgar DEGAS - Dans un Café. (1876) Musée d'Orsay Contexte L'œuvre fut probablement montrée lors de la deuxième exposition impressionniste sous le titre Dans un café. A partir de 1876, une partie des impressionnistes délaissent le café Guerbois, trop bruyant, pour se réunir à la Nouvelle Athènes, place Pigalle. C'est dans ce cadre que Degas peint L'Absinthe, pour laquelle il fait poser deux amis, l'actrice Ellen Andrée et le graveur Marcellin Desboutin. Cette peinture de mœurs de la vie parisienne évoque le problème de l'alcoolisme, illustré par d’autres artistes et écrivains, notamment Zola. Analyse L'œuvre représente un homme et une femme sur la banquette d'un café, l'air morne, les vêtements usés, le regard triste. Elle, les épaules tombantes, le regard absent, a le visage pâle dû à l'abus d'absinthe. Lui détourne son regard d'elle et a la face ravagée par le vin. Image probable de la bohème parisienne, ces personnages frappent par la solitude extrême qu'ils expriment. Solitude accentuée par la composition qui est d'une grande audace : les personnages sont placés sur une oblique montante, selon une perspective fuyante, isolés du spectateur par une série de tables se coupant à angle droit. Cette composition est marquée par le japonisme alors en vogue, du fait de l'arrivée massive d'estampes japonaises en Europe. Degas s'en inspire dans sa construction de l'espace pour accentuer l'étude psychologique des personnages ainsi que l'impression d'instantané donnant au spectateur le sentiment de voler un moment d'intimité aux deux buveurs. Sur les tables, quelques objets épars dont un verre d'absinthe, liqueur à 72 °, à base d'absinthe, plante neurotoxique et aromatisée avec de la menthe et de l'anis. Cet alcool apparu au XVIIIe siècle est d'abord consommé dans les milieux ouvriers avant de gagner l'ensemble de la population sous le Second Empire. Il fut interdit en 1915, à cause de l'accoutumance et des crises d'épilepsie qu'il provoquait chez les grands consommateurs. Interprétation Exposée pour la première fois à Londres en 1876, l'œuvre de Degas provoque un grand scandale auprès du public victorien. Pourtant ce thème du café n'a rien de novateur : il remonte à la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Ce qui choque à l'époque, c'est le traitement même du sujet, son réalisme outré et son caractère trivial. Degas analyse la scène sans aucune complaisance avec un regard pénétrant, lucide et critique sur les mœurs de son temps. Ce qui rapproche L'Absinthe du naturalisme de Zola, qui devait également influencer Manet et Toulouse-Lautrec. 4. LES GUERRES Les guerres du XIX ème ont été particulièrement meurtrières et ont été une cause de mortalité importante. A travers l'étude de deux oeuvres picturales nous nous pencherons sur les champs de batailles des guerres napoléoniennes qui s'étirèrent dans le temps (de 1792 à1815) et firent plusieurs millions de morts et sur la guerre de 1870 qui fut plus courte mais aussi meurtrière dans ses combats. La bataille d'Eylau Antoine-Jean GROS - Napoléon sur le champ de bataille d'Eylau, 9 Février 1807. (1808) Musée du Louvre Contexte Après la création de la Confédération du Rhin (12 juillet 1806) qui réunit seize princes allemands sous la présidence de Murat, grand-duc de Berg, archichancelier de l’Empire, et la dissolution du Saint Empire romain germanique, l’Empereur se trouva confronté à un ultimatum de la Prusse (1er octobre) et à une quatrième coalition des puissances étrangères qui réunit l’Angleterre, la Prusse, la Russie et la Suède. La « marche vers l’Est », jalonnée de victoires – batailles d’Iéna et d'Auerstaedt (14 octobre), prise de Berlin (25 octobre), armistice franco-prussien (9 novembre), prise de Varsovie (28 décembre), bataille d’Eylau (8 février 1807), armistice franco-suédois (18 avril), capitulation de Dantzig (26 mai), bataille de Friedland (14 juin), armistice franco-russe (21 juin) – s’achève par la paix de Tilsit (7 juillet). Analyse Le sujet du tableau avait fait l’objet, malgré la réticence des artistes pour ce genre d’exercice, d’un concours lancé en mars-avril 1807 par Dominique Vivant Denon, directeur du musée du Louvre, sur l’ordre de l’Empereur. Denon rédigea pour les concurrents une notice détaillée accompagnée d’un croquis numéroté qui précisait le point d’observation, les éléments du paysage, la position des armées, la place, les attitudes et les costumes des différents personnages. Ce programme iconographique, en vérité trop riche pour tenir en un seul tableau, éclaire parfaitement les intentions qui présidaient à cette commande officielle. Il s’agissait de représenter « le lendemain d’Eylau, et le moment où l’Empereur visitant le champ de bataille vient porter indistinctement [cet adverbe doit être souligné] des secours et des consolations aux honorables victimes des combats ». La notice de Denon, si elle évoque bien un « vaste champ de carnage », escamote en fait complètement les lourdes pertes françaises (notamment celles d’Augereau) et ne désigne explicitement que les corps ensanglantés des Russes. Il convenait en revanche de mettre en valeur la magnanimité et la compassion de l’Empereur, représenté entouré de ses généraux, s’inquiétant des soins médicaux apportés aux blessés – ce qui ne constituait pas réellement pour lui une priorité –, et suscitant ainsi la gratitude et le dévouement des soldats, même vaincus. Interprétation Le projet de Gros qui respectait dans ses grandes lignes le programme de Denon, fut choisi parmi les vingt-six esquisses remises le 15 mai 1807 au musée Napoléon. La beauté du paysage enneigé à l’arrière-plan, le réalisme sans concession avec lequel sont traitées les victimes du premier plan, identifiables pour la plupart avec des soldats russes, la noblesse de l’attitude du jeune hussard lituanien jurant fidélité à l’Empereur (figure prévue dans le programme de Denon), la majestueuse bonté dont est empreinte la figure de Napoléon, sont autant de traits qui distinguent cet exceptionnel morceau de propagande, conçu dès l’origine comme un pendant aux Pestiférés de Jaffa dont il reprend la thématique de la compassion souveraine. 1870-1871 ; armée de l’Est Alphonse CHIGOT - 1870-1871 ; armée de l’Est. (1888) Musée d'Orsay Contexte En novembre 1870, Gambetta et son entourage décidèrent de mener une diversion offensive dans l’est de la France, afin de menacer les communications des Allemands sur leurs arrières et de tenter de desserrer l’étau qui bloquait Paris. L’action visait la place forte de Belfort, encore tenue par le colonel Denfert. On y envoya la portion de l’armée de la Loire refoulée sur Bourges qui, jointe aux troupes lyonnaises, prit le nom d’armée de l’Est et réunissait 120 000 hommes sous le commandement du général Bourbaki (1816-1897). Mais l’opération qui devait être rapide et secrète fut éventée par un article du Moniteur. Elle échoua définitivement lors de la bataille d’Héricourt, du 15 au 17 janvier 1871, et coûta la vie à plusieurs milliers de soldats. Encerclées par l’armée allemande de l’Est que dirigeait Manteuffel (1809-1885), les troupes de Bourbaki perdirent encore 15 000 hommes dans une série de combats autour de Pontarlier, alors que l’armistice était déjà signé. Les 92 000 survivants se réfugièrent en ordre dispersé en Suisse, par le passage des Verrières, et ils furent désarmés le 1er février. Analyse Sur cette immense toile, d’une composition synthétique et d’une gamme de couleurs limitée, où la terre recouverte de neige occupe la majeure partie de la surface, dissimulant tout repère topographique, Chigot isole deux personnages qui se soutiennent mutuellement. Un commentaire d’Eugène Montrosier publié dans le Salon de 1888 (Paris, L. Baschet, 1888, p. 82-83) évoque le contenu de ce tableau et sa réception : « Dès qu’on touche au genre militaire, on est bien près de tomber dans la sentimentalité. C’est ce que n’a pu éviter M. Chigot rappelant un souvenir de l’Armée de l’Est, de douloureuse mémoire et qui, après des exploits glorieux, se vit amenée à se réfugier en Suisse. La scène est lugubre. Dans une plaine couverte de neige, le soleil se couche sinistrement jaune, à droite. Un dominicain décoré soutient la marche d’un turco [tirailleur algérien] blessé, et porte le fusil du soldat, prêt à en faire usage pour sauver l’enfant noir de Mahomet. » Interprétation Dès la fin de la guerre de 1870 et en réaction contre la Commune, de nombreux textes, souvent accompagnés d’estampes, ont été publiés, illustrant les actes d’héroïsme, individuels ou collectifs, des différents corps d’armée. Ces symboles de la résistance à la défaite de Sedan du 1er septembre 1870, réunissaient un consensus national et alimentaient le souvenir de l’amputation de l’Alsace et de la Lorraine. Dès le Salon de 1872, les artistes s’unirent à ce mouvement de célébration qui perdura jusqu’à la fin du siècle. Des peintres comme Alphonse de Neuville (1835-1885) ou Edouard Detaille (1848-1912) contribuèrent activement à ce souvenir, avec d’immenses toiles d’un réalisme appliqué telles que le Panorama de la bataille de Champigny dont la gravure diffusa largement le message. Image pacifiste, le tableau de Chigot ajoute à la dénonciation de la guerre, l’idée renouvelée d’une concorde humaine et religieuse. Image pacifiste, le tableau de Chigot ajoute à la dénonciation de la guerre l’idée renouvelée d’une concorde humaine et religieuse, anticipant "l’Union sacrée" de 1914. Copyright Le contenu est protégé par les règles de droit d'auteur La soupe du matin. © Photo RMN - C. Jean 89EE1557/RF 953 Agence photographique de la Réunion des musées nationaux. 10 rue de l'Abbaye. 75006 Paris. [email protected] La Part des pauvres. © Musée des beaux-Arts de Rennes - Cliché A. Beaudoin Musée des Beaux-Arts de Rennes, 20 quai Emile Zola. 35000 Rennes. Tél: 02-99-2855-85 Chargé de la documentation : Patrick Daum : [email protected] L'impératrice Eugénie visitant les cholériques à Amiens. D. R. Un grand fléau la tuberculose. © Bibliothèque de documentation internationale contemporaine / Musée d'histoire contemporaine Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, 6 Allée de l'Université, 92001 Nanterre Cedex, Tél.:33-(0)1.40.97.79.00 / Fax : 33-(0)1.40.97.79.40 Dans un Café. © Photo RMN - H. Lewandowski 94DE55053/RF1984 Agence photographique de la Réunion des musées nationaux. 10 rue de l'Abbaye. 75006 Paris. [email protected] Napoléon sur le champ de bataille d'Eylau, 9 Février 1807. © Photo RMN - D. Arnaudet 97DE18496/INV 5067 Agence photographique de la Réunion des musées nationaux. 10 rue de l'Abbaye. 75006 Paris. [email protected] 1870-1871 ; armée de l’Est. © Photo RMN - H. Lewandowski 01DE10332/inv 20684 Agence photographique de la Réunion des musées nationaux. 10 rue de l'Abbaye. 75006 Paris. [email protected]