Travailler un peu, beaucoup, passionnément... pas du tout
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Travailler un peu, beaucoup, passionnément... pas du tout Intermittence en emploi, rapport au travail et santé mentale Romaine Malenfant Andrée LaRue Lucie Mercier Michel Vézina Équipe RIPOST CLSC Haute-Ville, Centre affilié universitaire, Québec Université Laval, Sainte-Foy Juillet 1999 Cette recherche a été subventionnée par le Conseil québécois de la recherche sociale (CQRS). Vous pouvez vous procurer ce document au coût de 15,00$ (incluant la TPS) en faisant votre chèque à l’ordre du CLSC Haute-Ville, et en le faisant parvenir à l’adresse suivante : CLSC Haute-Ville Centre de documentation 55, chemin Sainte-Foy Québec (Québec) G1R 1S9 Télécopieur : (418) 522-5437 Courriel : [email protected] Toute citation doit identifier la source. Dépôt légal : Bibliothèque nationale du Québec, 1999 ISBN : 2-9804575-4-X © CLSC Haute-Ville, Québec TABLE DES MATIÈRES Page Liste des tableaux ......................................................................................................................iii Introduction ................................................................................................................................ 1 1. Problématique ................................................................................................................. 2 1.1 L’intermittence en emploi.................................................................................... 4 1.2 La précarisation de l'emploi et la santé................................................................. 5 1.3 Le rapport au travail ............................................................................................ 9 2. Objectifs de la recherche ............................................................................................... 10 3. Méthodologie ................................................................................................................ 12 3.1 La population rejointe........................................................................................ 12 3.1.1 La définition de l’intermittence en emploi retenue.................................. 12 3.1.2 Autres caractéristiques ........................................................................... 13 3.2 Le recrutement................................................................................................... 15 3.3 La collecte des données ..................................................................................... 16 3.4 L’analyse........................................................................................................... 17 4. Portrait des travailleuses et des travailleurs intermittents rencontrés .............................. 19 4.1 Les caractéristiques socio-économiques ............................................................. 19 4.2 La situation d’emploi au moment de l’entretien et parcours lors des deux dernières années ................................................................................................ 24 5. Intermittence en emploi : des profils.............................................................................. 26 5.1 De l’arrêt de travail à la précarité ....................................................................... 27 5.1.1 La mise à pied ........................................................................................ 27 5.1.2 Une détérioration de l’état de santé......................................................... 29 5.1.3 Privilégier sa vie amoureuse et familiale ................................................ 31 5.2 Des changements d’emploi à la précarité ........................................................... 32 5.2.1 Une insertion qui se fait toujours attendre............................................... 33 5.2.2 Des choix qui ont mené à l’intermittence................................................ 35 5.2.3 ............................................Des difficultés d’adaptation au monde du travail .......................................................................................................................... 38 6. Conditions de vie et de travail reliées à la situation d’intermittence en emploi ............... 40 6.1 La recherche continuelle d’emploi ..................................................................... 41 6.2 Un mode de vie instable..................................................................................... 43 6.3 La précarisation des conditions de travail........................................................... 46 6.4 Les pertes répétées du statut de travailleuse ou de travailleur ............................. 49 6.5 Des rapports sociaux stratégiques et parfois “sans lendemain” ........................... 50 6.6 La diversité des milieux de travail...................................................................... 53 7. Rapport au travail et intermittence en emploi................................................................. 54 7.1 Le travail, c’est... ............................................................................................... 55 7.1.1 Gagner sa vie ......................................................................................... 55 7.1.2 Être reconnu-e, avoir sa place................................................................. 57 7.1.3 Créer des liens........................................................................................ 59 7.1.4 Se réaliser .............................................................................................. 60 7.1.5 Avoir du plaisir à travailler..................................................................... 61 7.2 Le rapport au travail : un concept plein de sens .................................................. 62 8. Travail et bien-être dans un contexte d'intermittence en emploi ..................................... 65 8.1 L’intermittence en emploi et le bien-être............................................................ 68 8.2 L’intermittence en emploi et le mal de vivre ...................................................... 73 8.3 L’intermittence en emploi, le rapport au travail et le bien-être............................ 79 Conclusion................................................................................................................................ 83 Bibliographie ............................................................................................................................ 94 AVANT-PROPOS Cette recherche a été réalisée grâce à une subvention du Conseil québécois de la recherche sociale. Nous remercions chaleureusement les 54 personnes qui nous ont livré avec une grande générosité leur expérience d’intermittence en emploi afin que soit mieux comprise leur réalité. De nombreuses personnes nous ont apporté leur collaboration pour le recrutement des participantes et des participants. Nous les remercions pour leur disponibilité et l’intérêt qu’elles ont manifesté pour cette recherche. Moi j’ai l’impression que j’ai un sablier pis ça coule... C’est ça que les gens comprennent pas. Non seulement je cherche un emploi, mais c’est le temps qui s’en va... (Véronique, 32 ans) La tête m'arrête pas par rapport à ça...ça c'est fatigant J' suis comme un chien de chasse qui regarde tout c' qui passe pour sortir de mon impasse! (Mario, 37 ans) Je tiens sincèrement à remercier Andrée Fortin et Romaine Malenfant, respectivement directrice et co-directrice de ce mémoire de maîtrise. Souvent similaires, parfois contradictoires, leurs remarques judicieuses et leurs commentaires pertinents ont été des plus appréciés tout au long de cette recherche. Je voudrais également remercier l’équipe RIPOST (recherches sur les impacts sociaux, organisationnels et psychologiques du travail) dirigé par Romaine Malenfant pour les facilités d’ordre techniques dont j’ai bénéficié et pour le soutien financier à ne point négliger. Andrée Larue et Martin April, membres de l’équipe RIPOST, merci pour votre soutien et vos commentaires. A ma famille et à Claude, merci pour vos encouragements chaleureux et votre soutien indéfectible. Introduction Le travail1 occupe une place centrale dans l'organisation de la vie humaine (Castel, 1995; Méda, 1995; Demazière, 1995; Beck, 1994). Selon Linhart (1986), le travail est en fait la dimension qui structure le temps. Le temps consacré au travail rémunéré donne le rythme au temps libre : celui passé auprès des siens et en société, puis celui des loisirs. À tel point d'ailleurs que l'absence de travail rémunéré pour certaines personnes peut rendre ennuyeux le temps libre, lui faire perdre son sens. La valeur accordée au travail serait également attribuable à ce qu'il permet d'obtenir : un niveau de vie. Plus encore, le travail a acquis deux principales fonctions au cours du XXe siècle. Il est devenu le lieu de la réalisation de soi et de l'intégration sociale (Méda, 1995; Rosanvallon, 1995). Selon les penseurs d'allégeance judéo-chrétienne, le travail favorise l'épanouissement de la personne en lui permettant de mettre ses capacités à l'épreuve, de donner libre cours à sa créativité et de se rendre utile. Le travail est maintenant un élément essentiel du lien social. Il est l'un des principaux lieux d'apprentissage de la vie en société et d'échanges humains. Il permet l'établissement dans la société, c’est-à-dire l'acquisition d'une place dans la communauté, l'acquisition de biens de consommation et, pour plusieurs, la constitution d'une famille. Dans cette optique, le fait de ne pas travailler menace l'existence même des personnes, puisqu'il signifie le fait d'être privé du moyen de se réaliser et le fait d'être privé du lien avec les autres (Dubet et Martucelli, 1998; Mercier et Bourbonnais, 1996; Roulleau-Berger, 1995; Castel, 1994; De Gaulejac, 1994). Les analyses et les réflexions sur la place et la valeur accordées au travail rémunéré, dans le contexte de restructuration du marché du travail des dernières années, ont ravivé la recherche sur les effets sur la santé et le bien-être de l'instabilité en emploi et des conditions de précarité qu'elle entraîne (Couillard et Côté, 1998; Dejours, 1998; Ferrie et col., 1998; Lewis et Sloggett, 1998; Appay et Thébaud-Mony, 1997; Karasek, 1997; Rodriguez et col., 1997; Arnetz, 1996; Seagrist, 1996; Shortt, 1996; Jin et col., 1995; MIRE, 1995; Ezzy, 1993; Isaksson, 1990; Warr, 1987). 1 Dans ce texte, l'utilisation du terme travail réfère au travail rémunéré et exercé dans le cadre d'un emploi. 1 L'ampleur du mouvement de restructuration du marché du travail et de l'emploi nous incite donc à vouloir connaître et comprendre les manières dont les acteurs sociaux y font face et quelles stratégies se développent autour de ce qu'il est maintenant convenu d'appeler ce nouveau rapport au travail. Des hommes, des femmes, des familles vivent au quotidien ces bouleversements du travail qui changent l'organisation de leur vie. Si les individus ont une part active à jouer dans leur devenir, il faut aussi étudier, dans une perspective de prévention, le rôle que joue le soutien professionnel, familial et social dans leur intégration à la vie de la société (Dejours, 1998; Karasek, 1997; Kawachi, 1997; Siegrist, 1996; Castel, 1994). La recherche que nous avons menée2 porte sur un phénomène caractéristique du marché du travail actuel : l'intermittence en emploi. Le rapport de recherche qui suit fait d'abord état des principaux changements qui bouleversent le monde du travail depuis les dernières années. Il situe le phénomène de l'intermittence en emploi à travers ces changements. Une synthèse des résultats de recherches sur les liens entre la santé et les situations de non-emploi est ensuite exposée afin d'éclairer les choix sur lesquels reposent notre recherche et les objectifs qui l'ont guidée. Après avoir décrit la méthodologie utilisée, nous rendons compte des résultats. Nous traçons d’abord un portrait des travailleuses et travailleurs intermittents rencontrés, suivi des profils d'intermittence qui se dégagent de l'analyse des trajectoires professionnelles. Nous faisons ensuite état des conditions de vie et de travail liées à l’intermittence en emploi avant d’aborder le rapport au travail et le bien-être des travailleuses et travailleurs intermittents. Ces descriptions et analyses nous permettent en dernier lieu d’apporter des éléments de réponse à notre question de recherche, à savoir les liens qui se dessinent entre précarisation de l'emploi et du travail, précarisation de la santé et rapport au travail. La conclusion reprend l'essentiel de ce que l'analyse des résultats nous permet de dégager et suggère des pistes de réflexion sur les services et politiques visant à soutenir les personnes qui connaissent des difficultés au plan de l'emploi. 1. Problématique Les transformations de l'organisation du travail créent des mouvements de main-d'oeuvre importants. Ces changements consécutifs ou jumelés à des efforts de rationalisation des coûts ont 2 accru le nombre de pertes d'emploi et diversifié les formes d'emploi. La forte croissance du secteur des services, la recomposition de la main-d'oeuvre, la révolution technologique et la mondialisation de l'économie ont secoué le noyau dur du travail salarié stable et protégé pour laisser place à une plus grande proportion d'emplois dits précaires c’est-à-dire à durée déterminée, sur appel, à horaires variables, à temps partiel. Ces formes d'emploi sont habituellement dépourvues de sécurité, sont associées à des salaires peu élevés, à l'absence de représentation syndicale, à l'accès réduit à la formation et à l'avancement et enfin, offrent peu ou pas d’avantages sociaux ou de régimes de retraite (Ministère du Travail, 1998; Appay et Thébaud-Mony, 1997; Reynolds, 1997; Shortt, 1996; Tremblay, 1994). Les entreprises cherchent à se donner la marge de manoeuvre nécessaire pour pouvoir adapter et diversifier leurs ressources humaines en fonction des exigences variables de la production (Mayer, 1996; Tremblay, 1994; Maruani et Reynaud, 1993). La flexibilité dans l'utilisation de la main-d'oeuvre et le recours au travail autonome connaissent depuis plusieurs années une expansion considérable. Ils concourent à l'intensification du travail, en réduisant les délais de production, en augmentant les exigences de qualité et en étant propices au cumul de contrats (Mercure et Dubé, 1997). Selon le Conseil économique du Canada (1991), près de la moitié des emplois créés au Canada depuis 1980 sont des emplois précaires. Plus de la moitié de ceux créés entre 1980 et 1988 ne sont plus assortis des conditions de travail qui les accompagnaient autrefois ( Tremblay, 1996; Conseil économique du Canada, 1990, rapporté par le Groupe consultatif sur le temps de travail, 1994). Au Québec, des 670 000 emplois créés entre 1976 et 1995, plus de 73% l'ont été dans les formes dominantes de l'emploi atypique, c’est-à-dire l'emploi autonome (exclusivement dans la catégorie sans employés entre 1995 et 1997) et l'emploi salarié à temps partiel; l'emploi atypique a augmenté 20 fois plus que l'emploi typique, le travail à temps partiel involontaire ayant connu la hausse la plus importante (Ministère du Travail, 1998; Maréchal, 1995). En 1995, l'emploi traditionnel à temps plein et à durée indéterminée ne représente plus que 68,2% de l’ensemble des emplois, comparativement à 80,7% en 1976 (Conseil de la santé et du bien-être, 1997). Et 2 Cette recherche a été subventionnée par le Conseil québécois de la recherche sociale. 3 toujours en 1995 au Québec, 22% des personnes au travail occupent un emploi temporaire, soit un emploi dont la durée est inférieure à un an (M.M.S.R., 1996). 1.1 L’intermittence en emploi La flexibilisation de l’organisation du travail vers laquelle les entreprises se sont tournées pour pallier à une situation économique difficile et à la concurrence mondiale a plusieurs conséquences sur la vie des travailleuses et des travailleurs. Elle augmente les risques de perdre son emploi et d'avoir de la difficulté à en obtenir un autre rapidement et accroît ainsi les risques de vivre l'intermittence en emploi. Elle est également un terrain propice à la précarisation des conditions de travail. Selon une étude menée par le département de sociologie de l'université Laval, près de 39% des jeunes de moins de 30 ans ayant une scolarité universitaire seraient surqualifiés pour l'emploi qu'ils occupent; pour les jeunes du même groupe d’âge ayant une scolarité collégiale, le taux de surqualifiés s'élève à 49% (April et col., 1998; Kelly, 1997). L'instabilité de l'emploi et les taux de chômage élevés augmentent le bassin de personnes disposées à accepter des emplois précaires, nombre d’entre elles préférant accepter de mauvaises conditions plutôt que de demeurer au chômage (Tremblay, 1994). Et de fait, plus la période de chômage se prolonge, plus les risques d'exclusion définitive du marché du travail deviennent menaçants, surtout lorsqu'on approche la cinquantaine (Grenier, 1998; M.M.S.R, 1996). Dans une société où l’emploi stable demeure le référent, le but à atteindre, il est possible de présumer que la situation professionnelle des personnes concernées par l’instabilité en emploi puisse constituer une menace pour leur équilibre, leur bien-être ou à tout le moins leurs aspirations. Les travailleuses et les travailleurs intermittents ont régulièrement à vivre et à assumer des périodes où ils sont sans emploi; ils passent continuellement d'une période de travail rémunéré à une autre période où ils se trouvent involontairement sans emploi (Cingolani, 1986). Ces personnes sont susceptibles de vivre intensément la contradiction entre la centralité du travail et les difficultés à s'y intégrer (Thébaud-Mony, 1995). Bien que l'intermittence en emploi touche davantage les jeunes et les moins qualifiés, elle concerne toutes les catégories de travailleurs. Des analyses effectuées à partir des banques d'information de Statistique Canada et 4 d'Emploi et Immigration Canada révèlent qu'en 1988 et 1989, plus du tiers de la population avait vécue une transition de l'emploi au chômage ou du chômage à l'emploi (Fréchet, 1993). Par ailleurs, l’intermittence en emploi touche des personnes dont les ressources peuvent comporter des différences appréciables, tant au niveau des revenus, de la formation académique, de la capacité des proches à offrir un support d’appoint, que du rapport au travail. Les personnes qui vivent l'intermittence en emploi constituent un groupe de travailleurs vulnérables pour lequel des actions de soutien sont susceptibles de désamorcer un processus d'appauvrissement et de détérioration des conditions de vie dont elles font les frais. 1.2 La précarisation de l'emploi et la santé Au cours des dernières décennies, la recherche en santé au travail, et plus spécifiquement les études épidémiologiques, ont permis d’établir des relations entre le travail et la santé et ce, en se concentrant sur les conditions d’exercice du travail (Derriennic, 1998; Malenfant et Vézina, 1995; Gouvernement du Québec, 1978). Malgré leur importance, les changements qui secouent actuellement le monde du travail, —c’est-à-dire les règles en matière d’emploi, la diversification des formes d'emploi et de l'organisation du travail et les effets du climat d’incertitude entourant le contexte social et économique—, sont peu étudiés. Par exemple, il y a peu de recherches qui ont été réalisées sur les trajectoires professionnelles, la santé des individus et leur épanouissement dans une activité professionnelle valorisante et sur les stratégies déployées pour faire face aux difficultés rencontrées. La précarité d'emploi peut conduire à la pauvreté. Les liens entre pauvreté et santé sont bien connus et ont fait l'objet de plusieurs études (D'Amours et Bisson, 1998; Ouellet et col., 1995; Blais, 1993; Forum national sur la sécurité des familles, 1993; Belle, 1982). Bien que les conclusions soient moins claires, plusieurs recherches ont également mis en cause le manque de soutien ou l'isolement social comme facteur de vulnérabilité (Massé, 1995). Dans le champ du travail, la recherche s'est surtout penchée sur le chômage de longue durée. Les synthèses de Derriennic (1998), Shortt (1996), Jin et col. (1995) et Demazière (1995) nous permettent de dresser un portrait de l'état de la recherche en ce domaine. Ces travaux appuient la pertinence de 5 poursuivre les analyses compréhensives des effets de la précarisation de l'emploi sur la santé mentale des travailleurs et des travailleuses. Ainsi, plusieurs études épidémiologiques ont mesuré des associations statistiques entre le chômage et l'excès de mortalité, de morbidité et de consommation de médicaments par rapport à la population générale ou à des populations de travailleurs stables. Dans l’Enquête sociale et de santé du Québec (1992-1993), une augmentation de la détresse psychologique a été mesurée chez les personnes ayant connu au moins une interruption de travail pendant l’année, comparativement à celles ayant travaillé toute l’année. Des taux de suicide plus élevés ont également été observés dans des études récentes pour des populations sans emploi ou en insécurité d'emploi (Lewis et Sloggett, 1998). Par ailleurs, retrouver un emploi serait le prédicteur le plus fort, surtout chez les hommes, de l'amélioration du bien-être mental. Toutefois, l'effet à long terme du retour à l’emploi, tout comme la modulation des effets selon le type d'emploi retrouvé, ne sont pas connus. Ezzy (1993) avance, pour sa part, que la vague d'études, surtout de type quantitatif, qui a eu cours durant les années 1970, nous amène aujourd'hui à la nécessité d'étudier les mécanismes sous-jacents qui peuvent expliquer ces associations statistiques. Comme Demazière (1995), Ezzy fait état des différents modèles qui ont guidé la recherche des dernières années. Un premier courant a mis l'accent sur les prédispositions individuelles (âge, état de santé préalable) pouvant influencer l'état de bien-être observé lors de périodes sans emploi. Ce modèle a par la suite évolué vers l'identification des différentes étapes de changements psychologiques provoqués par la perte d'emploi, le modèle de la transition psychosociale. Celui des étapes menant à la désinsertion de Bergier (1994 dans Blondel, 1996) peut en être un exemple. La plupart de ces études ont en commun le fait de rendre compte principalement de la situation du chômeur typique, c’est-à-dire un travailleur de sexe masculin victime d'une mise à pied suite à la fermeture de son entreprise. Il est donc possible que leurs conclusions ne soient pas valables pour la situation, par exemple, des femmes qui souhaitent reprendre leur vie professionnelle après un arrêt pour obligations familiales, des jeunes qui tentent de s'intégrer au marché du travail ou encore des individus contraints par la précarité et l'instabilité d'emploi. Enfin, selon Demazière 6 (1995), les recherches sociologiques ont longtemps défini le chômage comme une expérience essentiellement traumatisante et humiliante, comme un état et non comme un processus qui évolue dans le temps. Un autre courant s'est surtout attardé aux changements dans la vie des individus consécutifs à la perte d'emploi : changements dans la structuration du temps, du réseau relationnel, des buts et du statut social (Jahoda, 1981). Warr (1987) a fait éclaté ces modèles en avançant que ce sont à la fois des variables individuelles psychologiques et des variables environnementales liées à la situation de travail qui doivent être mis en cause tels l'utilisation de ses capacités, le contrôle sur l'organisation de son travail, la variété des tâches, la clarté des rôles, les contacts avec autrui et la valorisation. Les modèles de Karasek et Theorell (1990) et de Seagrist (1996) reprennent plusieurs dimensions des travaux de Warr. Ces derniers travaux de type quantitatif continuent de se développer parallèlement à d'autres de type qualitatif qui s'intéressent à la place du travail dans la construction de l'identité sociale, professionnelle et personnelle et aux rapports sociaux au travail (Dejours, 1993; Grell et Wery, 1993; Cingolani, 1986; Sainsaulieu, 1985; O'Brien, 1985). Au Québec, Perron et Lecompte (1992) et Ouimet (1995) ont mis en évidence que la valeur accordée au travail a pour effet d'intensifier les effets du chômage sur la détresse psychologique de ceux et celles qui accordent une grande importance au travail dans leur vie. Ainsi, plus la vie d'une personne est organisée en fonction de ce que lui procure le travail —un niveau de vie et un réseau de relations, par exemple—, plus le sentiment de perte est grand au moment du chômage. Plus le fait de travailler est valorisé par une personne, plus elle est affectée par un arrêt de travail. Ces conclusions vont dans le sens des propos de Linhart (1986) et de Méda (1995) qui ont soulevé l'idée que la diminution du nombre d'emplois et du temps passé à travailler en étant rémunéré devrait entraîner chez les personnes une modification de leurs valeurs et de leurs attentes à l'égard du travail, une modification en fait dans l'importance qu'elles accordent au travail dans leur vie. L'étude de Perron et Lecompte (1992) conclut de plus que ce sont les responsabilités familiales et financières, l'accès à des alternatives financières et le stress associé à ces situations, qui 7 départagent les individus plus affectés de ceux qui le sont moins à l’occasion d’un épisode de chômage. Ainsi, plus les personnes assument de responsabilités, plus elles vivent du stress au moment du chômage. Moins elles ont accès à d'autres sommes d'argent que celles que leur procure le travail, plus elles sont anxieuses lorsqu'elles se retrouvent sans emploi. Par ailleurs, des médecins du travail français s'accordent pour dire qu'ils observent couramment chez les personnes dont la situation d'emploi est précaire des malaises physiques qui ont des effets psychiques ou des affections psychosomatiques : atteintes respiratoires, digestives, rachidiennes, troubles du sommeil, anxiété et dépression (Huez, 1995; Collectif, 1994; Mayer, 1994). Ils ont également observé que l'intensification du travail liée à la précarisation de l'emploi draine les énergies et use prématurément. L'augmentation du temps de travail, des cadences et des rythmes imposés, l'augmentation des objectifs à atteindre, des distances à parcourir, le rapprochement des échéanciers, la variation des lieux et des horaires de travail sont autant de facteurs qui contribuent à cette hypersollicitation de la personne. Une détérioration des relations entre les membres du personnel a aussi été observée. Cette détérioration des relations de travail aurait pour effet de provoquer un repli défensif des individus : d'une part, les salariés intensifient leur travail, partagent moins ou pas du tout l'information et les savoir-faire et d'autre part, les travailleurs intérimaires s'excluent du collectif de travail et des bavardages jugés dangereux pour le renouvellement des contrats (Huez, 1995; Thébaud-Mony, 1995; Collectif, 1994;). Or, cette mise à l’écart du collectif limite la possibilité de faire reconnaître le travail accompli et, de ce fait, entrave la construction de l'identité professionnelle. Ces médecins évoquent d'autres situations qui peuvent porter atteinte à l'identité des travailleurs et travailleuses et qui sont fréquemment le lot de ceux et celles dont les conditions d'emploi sont précaires : déqualification, dévalorisation, humiliation, manque de reconnaissance des efforts fournis. Ces observations cliniques mettent en lumière certaines conditions de travail associées à la précarisation de l'emploi qui auraient un effet plus marqué sur la détérioration de la santé mentale des individus. Bien qu'elles n'aient pas fait l'objet d'une analyse approfondie, elles convergent avec des résultats de recherche énoncés dans la littérature scientifique. 8 Enfin, Ezzy (1993) soutient la pertinence de développer les recherches sur la dynamique des parcours qu'il définit comme l'interaction entre l'environnement social et professionnel du sujet et l'interprétation subjective qu'il en fait. "Toute situation de rupture entre les deux termes, en particulier quand il y a atteinte aux mécanismes de légitimation identitaire qui brise les stratégies individuelles serait la source des ruptures de la santé mentale". De son côté, Schnapper (1994) a montré l'hétérogénéité des situations de non emploi. Selon elle, le chômage n'est pas un événement qui aplanirait les différences sociales et les socialisations antérieures, mais une condition sociale qui est utilisée et vécue de façon différente par différents groupes sociaux. Dans le même sens, Maruani et Reynaud (1993) affirment que construire une insertion professionnelle à travers une suite d'emplois précaires exige la mobilisation de capacités individuelles, la construction au jour le jour de stratégies personnelles qui ne sont pas accessibles à tous indifféremment. C'est en s'inspirant des résultats de ces recherches, que la pertinence d'acquérir une meilleure connaissance de la dynamique qui s’établit entre le rapport au travail et la santé mentale de travailleuses et des travailleurs intermittents de différentes catégories d'âge, de sexe et de formation, a pris racine. 1.3 Le rapport au travail La centralité du travail renvoie à l'importance qu'occupe le travail dans l'organisation de la vie d'une personne comme source de revenus, de relations ou pour l'organisation de ses activités hors travail. Alors que pour les uns, le travail constitue la dimension centrale de la vie, pour d'autres, son utilité première est d'assurer la subsistance et de fournir une certaine autonomie financière (D'Amours et Bisson, 1998). La centralité du travail est par ailleurs modulée par la valeur accordée au fait d'occuper un emploi rémunéré, d'être sur le marché du travail. Pour saisir la centralité du travail dans la vie des travailleuses et des travailleurs intermittents, il faut questionner leur rapport au travail. Selon Revuz (1993), le rapport subjectif au travail se structure autour de quatre dimensions, — économique, technique, sociale et organisationnelle—, qu’elle juxtapose aux notions d’Avoir, de Faire, de Place et d’Être. Ces catégories ne sont pas 9 mutuellement exclusives, mais elles permettent d'objectiver un ensemble de dimensions incontournables lorsque l'on traite de la question du travail, dimensions qui vont du lien d'emploi jusqu'aux revenus, en passant par l'activité et la profession. Ainsi, la dimension économique du travail réfère à la question de l'avoir : au besoin d'argent, aux besoins à combler, au besoin aussi de se situer dans le monde, ce qui se rapproche jusqu'à un certain point de la notion traditionnelle de classe sociale. La dimension technique renvoie au faire, au contenu même de l'emploi, aux tâches à effectuer, aux habiletés à exercer. La dimension sociale du travail, quant à elle, se rapporte à la place, à la manière de définir et d’occuper sa place parmi les vivants ou encore au travail, faisant référence ici au statut, puis à la manière d'être avec les autres, aux relations qui se nouent au travail. Enfin, la dimension organisationnelle du travail pour Revuz est associée à l’être, au sentiment d'appartenance qu'éprouve une personne à l'égard du milieu de travail auquel elle s’identifie ou dans lequel elle évolue. Elle réfère aussi à l'adhésion des personnes aux normes et aux valeurs véhiculées par le collectif de travail. En ce sens “travailler”, c’est avoir une activité rémunérée, donc un revenu pour subvenir à ses besoins et accéder à un certain niveau de vie, mais c’est aussi avoir une place, un statut et une position dans la société, place qui lie aussi aux autres, permet de nouer des relations et d’appartenir à un milieu. Par ailleurs, pour certaines personnes, exercer une activité professionnelle, c’est s’identifier à un savoir faire, accomplir des tâches auxquelles elles prennent plaisir et qui permettent d’acquérir et de mettre en valeur leurs compétences et habiletés. Enfin, pour d’autres, plus qu’un moyen de subsistance, un milieu d’appartenance ou l’exercice d’un métier, l’inscription dans l’univers du travail est un lieu de réalisation de soi, d’intégration à un tout social dont les valeurs et les normes soutiennent leurs aspirations et qui donne un sens à leur vie (être). 2. Objectifs de la recherche Le but de la recherche était de mieux comprendre les liens entre la précarité d'emploi et le bienêtre psychologique. La précarité d'emploi recouvre un ensemble de conditions qui caractérisent le lien d'emploi, le statut et les conditions de travail. Pour les fins de cette recherche et compte tenu de l'intérêt que nous portons à la centralité du travail, nous avons privilégié l’étude de 10 l'intermittence en emploi. Comme nous l'avons dit précédemment, l’intermittence en emploi réfère à la situation des personnes qui passent régulièrement d'une période de travail rémunéré à une autre période où elles se trouvent involontairement sans emploi. Cette forme de précarité nous apparaît intéressante d'une part parce qu'elle risque d'ébranler le rapport au travail rémunéré par la discontinuité du lien d’emploi qu'elle implique inévitablement, et d'autre part par la précarisation des conditions de travail et conséquemment, la précarisation des conditions de vie qu'elle peut entraîner. Au plan de la santé aussi, cette situation peut être une source de vulnérabilité. Le premier objectif était de mieux cerner le phénomène de l'intermittence et de préciser qui étaient les travailleuses et les travailleurs intermittents. Le type d'étude que nous avons menée ne permet toutefois pas de généraliser les résultats obtenus et de faire un tour complet du phénomène. Nos résultats permettent par contre de faire ressortir la variabilité que cette situation comporte. Nous voulions ensuite documenter les trajectoires de travail pour situer l'intermittence par rapport au processus de précarisation du travail et de la santé que nous suspections. L'analyse de la trajectoire comme catégorie dynamique nous a permis de saisir l'évolution et l'articulation des dimensions objectives et subjectives qui construisent la vie professionnelle et la vie hors travail et ainsi, de comprendre les directions qui sont prises. Dans cette perspective, les moments d'arrêt de travail et de retour au travail apparaissent comme des moments clés à cause de la signification importante qu'ils revêtent, des choix et des actions qu'ils impliquent et des stratégies qu'ils provoquent (Pitrou, 1987). Dans nos analyses, nous avons porté une attention particulière au rapport au travail. Ce dernier a été appréhendé à travers les quatre dimensions de Revuz, c’est-à-dire l’avoir, le faire, la place et l’être (1993). Pour apprécier le niveau de bien-être psychologique, nous avons adopté la définition proposée par le Comité de la santé mentale du Québec (1994), selon lequel l'équilibre psychologique s'apprécie, entre autres, par l'évaluation subjective qu'en fait le sujet et par la qualité des relations qu'il noue avec son milieu. 11 Enfin, en cernant la dynamique des conditions qui aident ou fragilisent les travailleuses et les travailleurs intermittents et en identifiant les facteurs susceptibles de précipiter la détérioration du bien-être psychologique, nous souhaitons contribuer à l'amélioration des interventions auprès de ces personnes. Nous souhaitons également que les connaissances produites soient utiles à l'amélioration des politiques et normes qui encadrent le marché de l'emploi. 3. Méthodologie Nous avons opté pour une recherche qualitative de type empirique basée sur la méthode du récit (Bertaux, 1997). L'approche adoptée postule que les actrices et les acteurs sociaux participent de façon active à la construction de leur réalité et qu’ils sont les mieux placés pour communiquer le sens qu’ils donnent à celle-ci (Denzin et Lincoln, 1994). Les expériences de travail ne relèvent pas seulement des conditions externes sur lesquelles les personnes ont plus ou moins de prise, même si dans certains cas ces conditions peuvent peser très lourd; la manière dont sont vécues les expériences et sont interprétés les événements qui mettent à l’épreuve le rapport au travail sont aussi des dimensions essentielles à la compréhension de la réalité étudiée. Il s'agit donc, pour dégager l’expérience et le sens qui lui est conféré, d'éviter d'enfermer les témoignages dans un cadre ou des catégories prédéfinies. Par là, nous voulons améliorer la compréhension de mécanismes sociaux qui agissent sur la qualité de l'expérience quotidienne. 3.1 La population rejointe 3.1.1 La définition de l’intermittence en emploi retenue La recherche a été essentiellement menée auprès de travailleuses et de travailleurs intermittents. Dans cette étude, les personnes concernées par l’intermittence en emploi sont celles qui n’ont pas de lien de continuité avec un employeur. Il peut donc s’agir de personnes qui signent des contrats à durée déterminée, à temps plein ou à temps partiel, avec ou sans avantages sociaux. Les personnes recrutées devaient être en situation d’intermittence en emploi au moins depuis les deux dernières années; ce laps de temps nous paraissait nécessaire pour cumuler une somme de connaissances et d’informations pertinentes pour les objectifs de la recherche. Lors de cette 12 période de temps, elles devaient aussi se considérer d’abord et avant tout comme des travailleuses ou des travailleurs disponibles pour l’emploi. C’est donc dire que les personnes inscrites à des cours ou mises à la retraite lors des deux dernières années devaient aussi avoir été en emploi ou en recherche d’emploi tout ce temps. Parce que nous voulions bien cerner la dynamique qu’engendre sur le bien-être des personnes l’enchaînement des périodes avec et sans emploi, nous avons décidé d’exclure les travailleuses et les travailleurs qui, depuis les deux dernières années, avaient signé sans interruption des contrats chez le même employeur. Toujours selon cette optique, nous avons décidé de ne pas retenir les personnes qui avaient travaillé moins de trois mois par année lors des deux dernières années. Les travailleuses et les travailleurs autonomes ont été inclus dans cette recherche. Il s’agit ici de personnes qui ont une entreprise. Pour participer à cette étude, elles devaient toutefois avoir travaillé tout en étant rémunérées au moins trois mois par année lors des deux dernières années. Elles devaient aussi avoir connu durant cette période des moments où elles étaient sans contrat et n’avaient pas tiré de revenus de leur entreprise. Les femmes qui ont participé à cette recherche rencontrent l’ensemble des critères déterminés. Chez les hommes toutefois, la situation est différente. Ainsi, lors du contact téléphonique, trois disaient avoir travaillé trois mois par année depuis les deux dernières années, alors qu’au moment de l’entrevue cette information s’est révélée inexacte. Parmi ceux-ci, deux se présentaient comme travailleur autonome, alors que dans les faits ils étaient sans emploi et n’avaient pas reçu de rémunération depuis plus d’un an. L’un recevait des prestations de la sécurité du revenu, l’autre était sans chèque et n’avait réalisé aucun contrat comme travailleur autonome. Enfin, un autre homme qui cumule deux emplois a été retenu parce que l'un des deux était intermittent, même si son autre contrat de travail était renouvelé depuis les deux dernières années. 13 3.1.2 Autres caractéristiques Le rapport des femmes et des hommes au travail rémunéré et domestique comportant des différences dont les effets sur les trajectoires professionnelles doivent être considérés, les personnes recrutées pour les besoins de la recherche devaient être de sexes différents. Nous voulions rencontrer autant de femmes que d’hommes. De plus, le rapport au travail étant susceptible de varier selon l'âge, les travailleuses et les travailleurs intermittents sollicités pour la recherche devaient être d'âges différents. Nous avons alors opté pour une distribution équitable des âges par groupe : 1) 20-35 ans; 2) 36-49 ans; 3) 5065 ans. Nous avons donc rencontré 18 personnes dont l’âge se situe entre 20 et 35 ans, 21 dont l’âge se trouve entre 36 et 49 ans et 13 dont l’âge est entre 50 et 65 ans. Enfin, les travailleuses et les travailleurs intermittents participant à l'enquête devaient avoir des niveaux de formation académique différents. Les variations dans les investissements de temps, d'énergie et d'argent associés à la formation académique sont susceptibles de moduler les attentes à l'égard du travail rémunéré. À la formation académique de niveaux différents correspondent aussi des emplois dont les conditions de travail sont susceptibles de varier. Il fallait donc s'assurer d'avoir des personnes ayant une formation de niveau secondaire, collégiale et universitaire. Nous avons rencontré 17 personnes qui avaient une formation secondaire, 14 qui avaient une formation de niveau collégial, et 21 qui avaient une formation universitaire. 14 Tableau 1 Répartition des participantes et des participants selon le sexe, l’âge et le niveau de formation académique Formation Âge 20-35 ans 36-50 ans 51-65 ans Secondaire Collégiale Universitaire TOTAL Femmes 2 4 3 9 Hommes 4 1 4 9 Total 6 5 7 18 Femmes 3 3 6 12 Hommes 3 3 3 9 Total 6 6 9 21 Femmes 3 3 3 9 Hommes 2 0 2 4 Total 5 3 5 13 17 14 21 52 TOTAL Tel que prévu, nous avons réalisé 54 entrevues dont 52 ont été retenues pour l'analyse : 30 femmes et 22 hommes. Contrairement à nos attentes, nous avons rencontré un peu moins d’hommes que de femmes et n’avons pu réussir à obtenir des entrevues auprès d’hommes de plus de 50 ans ayant une formation de niveau collégial ou l'équivalent. 3.2 Le recrutement Pour procéder au recrutement des travailleuses et des travailleurs intermittents, des affiches et feuillets annonçant la recherche, présentant brièvement ses objectifs, les principales caractéristiques des personnes que nous désirions rencontrer, et le numéro de téléphone à rejoindre ont été placés sur les babillards et présentoirs de toutes les succursales des centres de Développement des ressources humaines Canada et de tous les points de services des CLSC du Québec Métro. Durant la même période, des messages ont été diffusés dans trois stations de radio de Québec. 15 Très rapidement, nous avons reçu plusieurs appels de femmes âgées de 36 à 50 ans ayant une formation en sciences humaines ou sociales, et intéressées à participer à la recherche à titre d’interviewées... ou d’intervieweuses. Lors de ce premier contact téléphonique, nous expliquions plus longuement les objectifs de la recherche, nous précisions davantage en quoi consistait la participation (entrevue individuelle d’environ une heure et demie), et nous tentions de vérifier si les personnes répondaient à tous les critères retenus. Si elles acceptaient d’être rencontrées, la date, l’heure et l’endroit de l’entrevue étaient alors fixés. Très peu de femmes, au moment de ce premier contact téléphonique, ont refusé de participer à la recherche, mais nous avons dû, à plusieurs reprises, refuser de rencontrer des femmes âgées entre 36 et 49 ans, parce que nous avions atteint le nombre requis. Le recrutement des femmes s’est donc très bien déroulé, même s’il a fallu un peu plus de temps pour réussir à rencontrer le nombre prévu de femmes entre 50 et 65 ans, et un peu plus de temps encore pour compléter les entrevues auprès des jeunes femmes de 20 et 35 ans ayant une formation secondaire. Le recrutement des hommes a posé davantage de difficultés. En fait, plus d’un mois après avoir commencé les entrevues avec les femmes, aucun homme ne nous avait contacté. Nous avons donc fait, à la radio et dans un journal à grand tirage de la région de Québec, un appel qui leur était spécifiquement destiné. Cette stratégie a donné de bons résultats. Au cours de la semaine suivante, nous avons reçu un nombre considérable d’appels. Toutefois, lors de ce premier contact téléphonique, plusieurs hommes ont refusé de participer à la recherche lorsqu’ils apprenaient qu’ils ne recevraient pas de rémunération pour leur participation et que cette participation nécessitait une rencontre d’environ une heure et demie à un moment précis. Certains voulaient bien donner au téléphone leur opinion sur la question, mais n’étaient pas prêts à se déplacer ou à arrêter un moment pour le faire en face à face. Par ailleurs, alors que les femmes se sont toutes présentées au moment convenu ou appelaient pour reporter le rendez-vous, quelques hommes ne se sont jamais présentés aux rencontres prévues. Ces difficultés de recrutement expliquent le nombre moins élevé d’hommes que de femmes qui ont participé à la recherche. 16 Finalement, il peut être utile de retenir que les annonces radiophoniques ont été très efficaces pour notre recrutement. Plus efficaces que celles placées dans les centres de Développement des ressources humaines Canada et les CLSC. Pour les hommes, l’annonce ciblée dans un journal à grand tirage de la région de Québec, édition du dimanche, a été le moyen qui s'est avéré le plus efficace. 3.3 La collecte des données Les données ont été recueillies entre septembre 1997 et avril 1998. Il s’agissait d’entrevues semidirigées dont la durée moyenne a été d’une heure et 15 minutes. Elles ont été réalisées dans les bureaux des intervieweuses (33), au domicile des personnes participantes (14), à leur bureau (3), ou au centre de formation qu’elles fréquentaient (2). Avant que l’entrevue ne débute, l’intervieweuse rappelait les objectifs de la recherche, la manière dont l’entrevue se déroulerait et les règles de confidentialité. Ensuite, les deux parties signaient un formulaire de consentement. Nous amorcions l’entretien en demandant à la personne de dresser un portrait de sa situation actuelle. Il se poursuivait selon la méthode empathique (Kaufmann, 1996) c’est-à-dire en suivant l’enchaînement des propos. Nous nous assurions toutefois d'avoir une bonne description de la trajectoire professionnelle : parcours scolaire et histoire professionnelle, projets professionnels avant l'entrée sur le marché du travail, conditions de travail liées aux différents emplois obtenus et conditions de travail recherchées. Il fallait s’assurer par ailleurs de bien saisir comment les travailleuses et les travailleurs intermittents vivaient l’enchaînement des contrats, la recherche d’emploi, les périodes sans emploi, et ce, tant au niveau des émotions que suscitent chacune de ces étapes que de l’organisation et de la réorganisation économique, matérielle qu’elles supposent. Nous voulions aussi cerner le niveau de satisfaction éprouvée au travail, la motivation, la qualité des relations nouées avec les autres personnes dans les différents milieux de travail. Enfin, nous avons recueilli des informations sur la vie hors travail : connaître leur situation conjugale et familiale, leurs principaux centres d’intérêt, les activités hors travail, le niveau de satisfaction éprouvé auprès de leurs proches, l’étendue de leur réseau et ce qu’ils pouvaient en attendre. Enfin, nous abordions la perception de l'avenir. 17 À la fin de l’entrevue, les participantes et les participants remplissaient une fiche de renseignements socio-démographiques et socio-économiques spécifiant : 1) le sexe; 2) l’âge; 3) le dernier diplôme obtenu; 4) le type d’emploi généralement occupé; 5) la situation familiale actuelle; 6) le nombre de mois travaillés depuis les 12 derniers mois; 7) le revenu moyen annuel brut pour l’année 1996; 8) la provenance des ressources financières depuis les douze derniers mois; 9) le fait d’être propriétaire ou locataire. La compilation des informations socioéconomiques est fournie dans une section ultérieure. 3.4 L’analyse Le cadre d'analyse se réfère à la fois à des éléments de sociologie de l'emploi (Maruani et Reynaud, 1993) et de sociologie de l'expérience (Dubet, 1995) en abordant l'activité professionnelle comme une construction sociale qui prend appui non seulement sur les systèmes économiques, mais aussi sur les rapports sociaux qui modulent les conditions d'accès et de retrait du marché du travail et qui traduisent l'activité professionnelle en termes de statuts sociaux qui définissent la position sociale. De la sociologie de l'expérience, nous retenons que l'acteur est capable de maîtriser consciemment, dans une certaine mesure, son rapport au monde. Ainsi, «les conduites sociales ne sont pas réductibles à de pures applications de normes intériorisées ou à des enchaînements de choix stratégiques faisant de l'action une série de décisions rationnelles» (Dubet, 1995 : 91). L'expérience sociale se construit dans l'hétérogénéité des situations auxquelles l’acteur doit faire face dans sa vie quotidienne et qui est sous-tendue par différentes logiques d'action. L'objet de la sociologie de l'expérience est la subjectivité des acteurs. Ce ne sont pas seulement les représentations qui sont analysées, mais aussi les sentiments, les émotions. L'analyse de l'expérience sociale doit permettre de décrire et d'isoler les différentes logiques présentes dans chaque expérience concrète. Dans le même sens, les stratégies ont été reconstituées en analysant les suites d'événements, sur le plan du travail et du hors travail, les acteurs en jeu (employeur/e, collègues, famille), les 18 réactions à ces événements et les réponses apportées aux difficultés rencontrées, de même que les prises de décisions et les choix retenus dans le but de reconstruire des processus et des dynamiques. L'analyse oscille entre la situation subjective énoncée par la personne interrogée et le contexte ou la structure dans laquelle se situe son action et les logiques sur lesquelles cette dernière repose. Plus spécifiquement, toutes les entrevues ont été enregistrées et retranscrites verbatim par une firme spécialisée, puis une réduction des témoignages recueillis a été réalisée. L’analyse a été effectuée par les trois chercheuses en confrontant d’abord la compréhension que chacune avait des expériences recueillies auprès des personnes intermittentes et ce, en fonction des dimensions à l’étude, puis en confrontant ensuite les hypothèses émergentes. Il s’agit là du processus dit d’inter analyse dans lequel l’échange permet de mieux élucider ce qui s’est dit et s’est produit lors de l’entrevue (Legrand, 1993). Nous avons d’abord reconstitué la trajectoire professionnelle et familiale de chacune des personnes interviewées afin de situer les sources de l'intermittence à partir des moments-clés de cette trajectoire. Ainsi, les récits ont permis de reconstruire le contexte associé aux expériences vécues, de préciser les conditions de vie concrètes associées à l'intermittence et qui sont susceptibles d'influencer le rapport au travail. Une analyse transversale de l’ensemble des entrevues a ensuite été effectuée. Nous avons alors tenté de dégager des liens entre la situation actuelle en emploi, la trajectoire professionnelle, le rapport au travail et son évolution et l’évaluation subjective que les participantes et les participants faisaient de leur niveau de bienêtre. L’analyse a pris en compte le sexe, l’âge et le niveau de formation académique. 19 4. Portrait des travailleuses et des travailleurs intermittents rencontrés 4.1 Les caractéristiques socio-économiques Dans la section décrivant la population visée et rejointe, nous avons présenté la répartition des travailleuses et des travailleurs intermittents que nous avons rencontrés selon le sexe, l’âge et le niveau de formation. Dans cette section-ci, nous présenterons les données socio-économiques qui caractérisent les participantes et les participants selon 1) le type d’emploi généralement occupé; 2) le nombre de mois travaillés depuis les douze derniers mois; 3) le revenu moyen annuel brut pour l’année 1996; 4) la provenance des ressources financières depuis les douze derniers mois; 5) et le fait d’être propriétaire ou locataire. Ces données ont été recueillies par questionnaire à la fin de l'entrevue et les personnes étaient libres d'y répondre. Notons que certaines personnes n’ont pas répondu à la question concernant le nombre de mois travaillés depuis la dernière année. Il s’agit généralement de personnes qui ont été engagées par le biais de programmes gouvernementaux proposés à celles et ceux qui retirent des prestations de la sécurité du revenu. Le fait qu’elles n’aient pas comptabilisé le nombre de semaines travaillées par le biais de ces programmes est un indice révélateur, selon nous, de la valeur et de la reconnaissance accordées au travail qu’elles accomplissent dans ce contexte. D'autres personnes ont mentionné plus d’un emploi car elles cumulent différents types d’emploi dans une année, ou encore ont une trajectoire professionnelle qui s'est constituée au cours des années d’emplois divers. Le relevé des informations relatives au type d’emploi généralement occupé nous révèle d’abord que celles et ceux qui ont des formations de niveau secondaire ou collégial occupent généralement des emplois qui correspondent à la division traditionnelle du travail entre les sexes. Ainsi, les femmes moins qualifiées ont des emplois de serveuse, vendeuse, oeuvrent surtout dans le secteur de la vente et des services, et celles qui ont des formations collégiales se retrouvent dans les secteurs de l’administration et du travail de bureau ou des services sociaux et de la santé. Leurs homologues masculins sont plutôt manoeuvre, journalier, soudeur, peintre et camionneur ou sont techniciens en géologie ou génie civil, et se trouvent plutôt dans la catégorie des 20 personnels des métiers de la construction, de la transformation, de la fabrication et des services d’utilité publique. Le relevé des informations relatives au type d’emploi généralement occupé nous révèle ensuite que les personnes rencontrées qui sont les plus qualifiées et qui ont donc une formation universitaire se retrouvent à peu près toutes dans les mêmes secteurs d’emploi et ce, peu importe qu’ils soient hommes ou femmes. Il s’agit en effet de conseillers en emploi, en formation, de conseillers d’orientation, d’enseignants et de personnes qui oeuvrent en traduction ou encore dans le domaine des arts ou des communications, et qui sont donc associés aux secteurs des sciences sociales, de l’enseignement, de l’administration publique, de la religion, des arts et de la culture. Certaines pistes d’explication peuvent alors être avancées. Ce sont des personnes pour qui le travail, le marché de l’emploi et l’insertion en emploi constituent l’un des principaux champ d’intérêt de leur profession. De ce fait, elles ont pu se sentir interpellées par une recherche qui veut faire connaître des conditions qui affectent de plus en plus de travailleuses et de travailleurs, mais qui restent relativement méconnues. Il est intéressant de noter que les travailleuses et les travailleurs intermittents que nous avons rencontrés effectuent généralement des emplois qui correspondent à leur formation ou à tout le moins à leur degré de qualification. Malgré tout, un certain nombre de femmes surtout ont, quelques mois par année seulement, des contrats qui correspondent à leur domaine de formation et doivent garder un emploi sous-qualifié comme principale source de revenu le reste de l’année et qu’elles disent alimentaire. 21 Tableau 2 Répartition des participantes et des participants selon le type d’emploi généralement occupé (Classification nationale des professions, 1993) Professions H TOTAL Personnel professionnel des sciences sociales, de l’enseignement, de l’administration publique et de la religion—Gr.41 10 8 18 Personnel de la vente et des services—Gr.64 et 66 7 5 12 Personnel professionnel et technique des arts et de la culture, des sports et des loisirs—Gr.51 et 52 8 1 9 Personnel spécialisé en administration et en travail de bureau—Gr.12 7 - 7 Personnel élémentaire dans la transformation, la fabrication et les services d’utilité publique—Gr.96 2 3 5 Personnel technique et spécialisé du secteur de la santé—Gr.32 4 1 5 Personnel des métiers et personnel spécialisé dans la conduite du matériel de transport et de la machinerie, de l'installation et de la réparation—Gr.72 et 74 - 4 4 Personnel de soutien des métiers, manoeuvres, aide d’entreprise en construction, autres personnels assimilés—Gr.76 - 3 3 Personnel professionnel et technique relié aux sciences naturelles et appliquées—Gr.21 et 22 - 3 3 28 2 1 Personnel paraprofessionnel du droit, services sociaux et religion—Gr.42 Personnel élémentaire du secteur primaire—Gr.86 TOTAL F 2 1 41 69 3 La compilation des informations à propos du nombre de mois travaillés lors des douze derniers mois (cf. Tableau 3) indique que 33 des 48 personnes qui ont répondu à cet item, donc plus de 60% des personnes rencontrées, avaient travaillé de façon non consécutive six mois et plus au cours de la dernière année. Il n’y a donc que le tiers environ des travailleuses et des travailleurs intermittents rencontrés qui avaient travaillé cinq mois et moins lors de la dernière année. 3 Le nombre total est plus grand que le nombre de participantes et de participants parce que certains d’entre eux occupent plus d’un emploi. 22 Tableau 3 Répartition des participantes et des participants à l’enquête selon le nombre de mois travaillés lors des douze derniers mois Mois travaillés N 10-12 mois 15 6-9 mois 18 5 mois et moins 15 Inconnu 4 TOTAL 52 Les ressources financières de la grande majorité des travailleuses et des travailleurs intermittents proviennent essentiellement du travail (8), du travail et des prestations de chômage (14) ou encore du travail, des prestations de chômage et du soutien de leurs proches ou de membres de leur famille (13). En fait, moins de 20% des travailleuses et de travailleurs intermittents ont dû recourir à la sécurité du revenu (10); parmi ceux-ci plus de la moitié étaient peu qualifiés puisqu’ils avaient une formation secondaire générale. 23 Tableau 4 Provenance des ressources financières lors des douze derniers mois et nombre de mois travaillés. Provenance des ressources financières N Travail 8 Travail, soutien des proches 2 Travail, chômage 14 Travail, chômage, soutien des proches 13 Travail, chômage, sécurité du revenu 3 Travail, sécurité du revenu 2 Sécurité du revenu 4 Inconnu 6 TOTAL 52 Une analyse plus spécifique des données relatives à la provenance des ressources financières indique que celles-ci varient évidemment en fonction du nombre de mois travaillés. Ainsi, les personnes qui ont dû recourir à la sécurité du revenu avaient généralement travaillé moins de six mois dans l’année. Il peut être intéressant de noter aussi que 10 des 11 personnes qui ont participé à l’enquête et qui avaient travaillé plus de 10 mois par année avaient une formation universitaire. Enfin, parmi les travailleuses et les travailleurs intermittents rencontrés (cf. Tableau 5), 40% avaient gagné moins de 15 000$ lors de l’année précédente et environ 75%, moins de 25 000$. Selon la tranche qui correspond à leur revenu, selon le fait aussi qu’elles puissent ou non bénéficier du support d’un conjoint ou de leurs parents, le discours des personnes qui gagnent moins de 25 000$ et dont les revenus rentrent de façon sporadique, est rempli des restrictions 24 qu’elles s’imposent pour joindre les deux bouts, rencontrer les paiements auxquels elles sont astreintes, des choix qu’elles ont à faire et des stratégies qu’elles doivent déployer pour mener une vie décente. À cet effet, d’ailleurs, plusieurs nous ont dit qu’elles préféreraient gagner un peu moins d’argent au cours des années à venir, en autant que les sommes dont elles disposent soient plus constantes. Ça me dérangerait même pas de travailler à 8,00$ de l’heure, au p’tit salaire, mais qu’il rentre tout le temps (Gabrielle, 35 ans, formation secondaire). Ceci rend bien compte des difficultés qu’elles éprouvent à planifier leurs dépenses et à s’organiser avec des revenus qui fluctuent continuellement et qu’elles ne peuvent prévoir. Être dans une situation où elles auraient des rentrées régulières d’argent leur donnerait, disent-elles, le sentiment d’avoir un certain contrôle sur leur situation financière, ce qui leur permettrait de mieux planifier leurs dépenses, mais aussi de réussir à faire certaines acquisitions. ...c’est tous des projets qu’on voudrait éventuellement réaliser mais on reste très prudents... Des fois on se dit souvent, Ah! Ben tiens, si je tombais avec une sécurité d’emploi, ne serait-ce que pendant quelques années. Ben tsé, j’aurais beau gagner 20 000$ par année, en tout cas au moins, j’aurais pas à me casser la tête, je saurais que les sous à chaque mois vont être là, vont rentrer. Pis tu peux planifier en fonction de ça (Élizabeth, 28 ans, formation universitaire). 25 Tableau 5 Revenus cumulés au cours de l'année précédant la recherche Revenus N 8 000- 15 000$ 15 16 000-25 000$ 15 26 000-35 000$ 5 36 000-45 000$ 4 Inconnu 13 TOTAL 52 Malgré des revenus en dents de scie, 22 personnes sont propriétaires de leur habitation. Toutes ces personnes ont plus de 30 ans. Les femmes propriétaires travaillent généralement plus de huit mois par année (10/12), alors que, toutes proportions gardées, c’est moins souvent le cas chez leurs homologues masculins (5/11). Les femmes locataires n’ont généralement pas de conjoint ou ne vivent pas avec lui (14/18), alors que c’est moins souvent le cas pour les hommes locataires (7/13). Donc, pour les travailleuses intermittentes de notre étude le fait de réussir à travailler presque toute l’année ou encore de vivre avec un conjoint semblent être des conditions qui favorisent l’accès à la propriété, alors que ceci est moins vrai pour les travailleurs intermittents. 4.2 La situation d’emploi au moment de l’entretien et parcours lors des deux dernières années L’analyse spécifique des parcours d’emploi lors des deux dernières années fait cependant état de différences considérables entre les conditions associées à la situation d’intermittence en emploi entre les femmes et les hommes que nous avons rencontrés, différences qui semblent être nettement à l’avantage des hommes. La première différence qui ressort est qu’au moment où l’entrevue a été réalisée, plus des 2/3 des femmes étaient en emploi, alors que c’est à peine le 1/3 des hommes qui étaient dans la même 26 situation. Or, une analyse des conditions actuelles des emplois des femmes et de ceux des hommes fait apparaître une distinction importante quant à leur situation par rapport au travail rémunéré. Les hommes qui travaillent au moment de l’entrevue sont travailleurs autonomes, ont une entreprise depuis déjà quelques années, ou ont signé des contrats à durée déterminée mais de longue durée, c’est-à-dire de près d’un an. Aussi, ces contrats sont généralement à temps plein ou de quatre jours par semaine, et selon leurs dires, il est possible qu’ils soient renouvelés. En comparaison, les femmes qui travaillent au moment où l’entrevue a été réalisée ont des contrats à durée déterminée mais qui sont de quelques semaines ou de quelques mois, des emplois à temps partiel de 20 heures ou moins par semaine, sont travailleuses autonomes ou engagées par le biais d’un programme d’employabilité de la sécurité du revenu. Par ailleurs, plusieurs parmi celles qui ont un emploi à temps partiel cumulent, à l’occasion ou pendant une période donnée, deux et parfois même trois emplois. L’examen du parcours des travailleuses et des travailleurs intermittents qui, au moment de l’entrevue ne travaillaient pas, indique d’abord que les hommes sont beaucoup plus nombreux à recevoir des prestations de la sécurité du revenu sans avoir à fournir une somme de travail (6/15 hommes; 0/10 femmes). Deux d’entre eux, les plus jeunes, sont inscrits à un club de recherche d’emploi, mais il faut peut-être rappeler ici que quatre des cinq femmes que nous avons rencontrées qui retiraient ce type de prestations étaient en emploi au moment où elles ont été rencontrées, et que l’autre était en arrêt pour raison de santé. Cet examen révèle ensuite que six des travailleurs intermittents actuellement sans emploi étaient certes au chômage depuis quelques temps mais gardaient un lien avec une ou deux entreprises et qu’ils prévoyaient en fait être rappelés sous peu pour un autre contrat. Or, une seule des travailleuses intermittentes sans emploi au moment de la rencontre pouvait entretenir pour l’avenir de telles attentes. 27 Les conditions associées aux emplois que décrochent les travailleuses et les travailleurs intermittents que nous avons rencontrés semblent donc être plus précaires encore pour les femmes : elles ont des contrats de plus courte durée, travaillent souvent à temps partiel et un nombre assez restreint d’heures par semaine; ce qui les amène, par période, à cumuler deux et parfois même trois emplois et ce, contrairement à leurs homologues masculins. Par ailleurs, alors que des hommes semblent pouvoir garder un lien avec au moins un employeur qui les rappelle d’année en année ou de contrat en contrat, les femmes bénéficient très rarement de ce privilège; elles vont plutôt d’une entreprise à l’autre. Ces différences dans la manière dont semble se vivre l’intermittence en emploi entre les hommes et les femmes nous a amenés à penser que cette plus grande précarisation du travail des femmes devait sans doute se refléter également au niveau économique, et qu’il pourrait être intéressant de comparer les revenus obtenus en 1996 selon le sexe et le nombre de mois travaillés. Cet exercice nous a alors permis de constater que, toutes proportions gardées, les femmes sont effectivement plus nombreuses à obtenir des revenus inférieurs à ceux des hommes et ce, même en travaillant un nombre plus grand de mois dans l’année. 28 Tableau 6 Répartition des revenus selon le sexe et le nombre de mois travaillés dans l’année précédant la recherche Mois travaillés 5. 5 mois et moins 6-9 mois Revenus H F H F H F 8 000-15 000$ 6 2 4 5 0 3 20 16 000-25 000$ 3 1 2 6 1 2 15 26 000-35 000$ 1 1 1 - 2 - 5 36 000-45 000$ - - - - 3 2 5 Inconnu 1 0 1 2 2 1 7 TOTAL 11 4 8 13 8 8 52 10-12 mois TOTAL Intermittence en emploi : des profils Deux grands profils ayant conduit à l’intermittence en emploi caractérisent la trajectoire des personnes que nous avons rencontrées : 1) l’un marqué par un arrêt de travail à un moment donné de la trajectoire professionnelle et l’interruption brutale des conditions habituelles d’emploi, 2) et l’autre qui rassemble des individus dont le changement continuel d’emploi marque la trajectoire depuis l’entrée sur le marché du travail. 5.1 De l’arrêt de travail à la précarité Le premier profil regroupe des personnes qui ont déjà connu la stabilité d’emploi mais dont la trajectoire professionnelle a été interrompue par un événement qui les a conduites à un arrêt de travail. Pour les personnes interviewées, les événements qui les ont amenées à perdre ou à quitter un emploi stable réfèrent aux trois situations suivantes : une mise à pied, une détérioration de leur état de santé, ou la décision de privilégier pendant un moment sa vie amoureuse et familiale. Pour tous, par contre, cet événement a eu le même effet sur leur trajectoire professionnelle: celui 29 de les placer sur la voie de l’intermittence en emploi et d’enclencher un processus de précarisation de leurs conditions de vie. 5.1.1 La mise à pied Parmi les personnes rencontrées pour cette recherche, près du tiers (15/52) ont déjà détenu un emploi stable pour une période allant de 4 à 25 ans. Elles ont perdu cet emploi à la suite de l’abolition de leur poste, du déménagement ou de la fermeture de l’entreprise qui les employait, ou encore à la suite de la faillite de leur propre entreprise. Elles oeuvraient dans le domaine de la formation, de l’édition, des communications, du secrétariat, du commerce, de la construction, de la maintenance ou en géologie. De plus, les deux tiers de ces personnes détenaient des emplois dans le secteur privé. Avoir vécu une mise à pied touche autant les hommes que les femmes de notre étude. Cependant, ce sont surtout les personnes de plus de 40 ans qui ont eu à subir cette situation et, parmi les femmes, davantage celles au tournant de la cinquantaine et celles ayant une formation collégiale ou universitaire. Ces conditions affectent par contre des hommes de différents âges et plus d’hommes que de femmes ayant une formation secondaire. Les répondantes et répondants ayant un diplôme universitaire ont des qualifications relevant du domaine des sciences humaines et sociales. Au-delà des considérations d’âge, de sexe, de formation et de type de travail, ce qui caractérise la plupart de ces individus, c’est le fait d’avoir perdu cet emploi stable à la fin des années 80 ou lors des années 90, années marquées par une importante récession économique. Au cours de cette période, la transformation du marché du travail s’est intensifiée entraînant la disparition ou la modification de nombreux secteurs d’emplois et d’importantes compressions budgétaires dans les secteurs public et privé. En conséquence, le nombre des pertes d’emploi et les taux de chômage se sont considérablement accrus. Après la perte de leur emploi, toutes ces personnes n’ont plus jamais retrouvé une stabilité professionnelle et depuis, leur trajectoire s’inscrit dans l’intermittence. Au moment où les 30 entrevues ont été réalisées, une seule d’entre elles, Diane (42 ans, formation collégiale), était en emploi. Elle avait un contrat de sept mois. Arlette (55 ans, formation secondaire), Colette (52 ans, formation universitaire), Sylvain (29 ans, formation universitaire), Gilles (43 ans, formation universitaire), Laurent (44 ans, formation collégiale) et Jean (35 ans, formation secondaire) recevaient des prestations de chômage, car la plupart avaient travaillé entre six et douze mois l’année précédente. Par contre, Madeleine (47 ans, formation universitaire), Marthe (50 ans, formation secondaire), Véronique (32 ans, formation collégiale), Alain (50 ans, formation universitaire) et Louis (54 ans, formation secondaire) qui avaient réussi à travailler à peine quelques mois l’année précédente, étaient sans chèque. Lucille (50 ans, formation collégiale), Éric (28 ans, formation secondaire) et Stéphane (37 ans, formation secondaire) recevaient des prestations d’aide sociale : Lucille travaillait à temps plein pour démarrer son entreprise alors qu’Éric et Stéphane suivaient un programme d’aide de réintégration à l’emploi. Ainsi, pour plusieurs des personnes qui ont perdu un emploi stable, cet accident de parcours a enclenché un processus où elles obtiennent désormais des contrats toujours plus courts et espacés dans le temps, et expérimentent une précarisation de leurs conditions de travail et d’existence. À titre d’exemple, en 1991, après vingt ans de travail régulier dans le commerce au détail, Marthe perd son emploi en raison de la fermeture du magasin pour lequel elle était employée. Elle aimait son travail. Les conditions étaient très bonnes. J’ai jamais vu ça ailleurs; jamais je ne reverrai ça comment est-ce qu’on était traité . Depuis ce moment, elle n’a obtenu que des emplois saisonniers, à temps partiel et de plus en plus sur appel, ce qui peut représenter de huit à dix heures par semaine. Sa situation ne cesse de se détériorer. Ainsi, en est-il aussi de l’histoire d’Alain. En 1994, à l’issue d’une restructuration, le contrat qu’il détient prend fin après avoir été renouvelé pendant sept ans. Un mois plus tard, il obtient un contrat qui va durer quatorze mois pour occuper des fonctions semblables à celles qu’il détenait auparavant. Toutefois, il doit se louer un appartement, car l’endroit où il doit effectuer ce contrat se situe à près de 250 km de celui où il demeure avec sa femme et ses deux enfants. Enfin, quelques mois après la fin de cet emploi, il décroche un autre contrat d’une durée d’un an, mais 31 c’est le dernier emploi qu’il réussit à obtenir, car au moment de l’entrevue, il était sans emploi depuis plusieurs mois et sans chèque. Le récit des trajectoires de Marthe et Alain montrent aussi que les travailleuses et travailleurs qui ont perdu un emploi stable ont également subi une baisse appréciable de leurs revenus. Ainsi, en 1996, la majorité d’entre elles a enregistré des revenus entre 10 000 et 20 000$ alors qu’auparavant, plusieurs de ces personnes touchaient un salaire dépassant 35 000$ par année. 5.1.2 Une détérioration de l’état de santé La maladie ou l’épuisement professionnel peut mener à l’arrêt de travail. Parmi les 52 personnes rencontrées dans le cadre de cette recherche, trois d’entre elles ont perdu ou quitté un emploi stable à cause d’une détérioration de leur état de santé. Il s’agit d’un homme et de deux femmes. L’homme, Michel (58 ans, formation secondaire), a fait deux infarctus et a dû vendre son entreprise. Les deux femmes, Sonia (42 ans, formation universitaire) et Chantal (39 ans, formation collégiale), ont quitté leur emploi dans les années 1990 suite à un épuisement professionnel. Elles étaient alors toutes deux dans la trentaine et avaient des responsabilités familiales. Sonia était divorcée, avait trois enfants dont elle avait la garde partagée. Chantal avait une adolescente. Sonia travaillait depuis dix ans dans le milieu bancaire où elle avait régulièrement des promotions. Elle aimait le changement qui la stimulait et lui permettait d’apprendre continuellement. Selon elle, l’offre d’un poste de cadre qui l’aurait maintenue plusieurs années dans la même organisation et dans les mêmes fonctions, le fait de ne pas partager les valeurs que préconisait son milieu de travail, l’ont menée à l’épuisement. (...) Une des choses qui avait grandement participé à ce burn-out là, c’était une question de valeurs avec mon environnement de travail (Sonia, 42 ans, formation universitaire). Sonia a alors décidé de se réorienter et de suivre une formation à l’université. Depuis la fin de ses études, elle travaille à contrat et fait de la consultation. Elle affirme que sa situation d’intermittence en emploi lui convient; elle y voit la possibilité de briser la routine, dit bien vivre avec l’insécurité financière, et n’est donc pas à la recherche d’un emploi stable. 32 Le cas de Chantal est différent. Elle a occupé un poste d’intervenante sociale pendant huit ans auprès d’une clientèle en difficulté. Elle a démissionné en 1995 pour protéger sa santé mentale. Elle ne pouvait plus supporter le stress que lui occasionnait une charge de travail trop lourde et impliquant un investissement affectif important. Or, depuis neuf mois elle cumule deux emplois comme intervenante sociale, et travaille sept jours sur sept. Elle tient ce rythme pour augmenter ses chances d’obtenir un poste qui devrait ouvrir prochainement et remet en question la décision de démissionner qu’elle a prise il y a quelques années, car l’insécurité financière liée au fait qu’elle n’a plus de stabilité d’emploi génère chez elle beaucoup d’anxiété. Au moment où elle a été rencontrée, elle disait se sentir vulnérable, car elle commence à ressentir à nouveau les symptômes d’un épuisement professionnel. (...) je sens que physiquement puis mentalement je m’en viens trop, je ne suis plus capable de décrocher. C’est trop épuisant (Chantal, 39 ans, formation collégiale). Il faut remarquer qu’il est question ici de trois personnes pour lesquelles il y a eu surinvestissement dans le travail. Pour Michel, il s’agit d’un surinvestissement physique, l’emploi qu’il occupait étant très exigeant physiquement; alors que pour Sonia et Chantal, il s’agit d’un surinvestissement mental, leurs emplois antérieurs les confrontant continuellement à des situations difficiles émotivement ou ne correspondant pas à leurs valeurs. Or, outre le fait que ce surinvestissement ait provoqué temporairement leur retrait du marché du travail, il faut voir aussi que dans au moins deux des cas, il les a fragilisées. Michel, maintenant amoindri physiquement par deux infarctus, ne peut plus occuper d’emploi qui requiert beaucoup d’efforts et d’endurance, alors que son niveau de formation et les compétences qu’il a développées au fil du temps sur le marché du travail le confinent surtout à des emplois du même type. Et Chantal, qui a dû quitter un travail stable pour retrouver un certain équilibre, n’arrive plus à se retrouver une situation d’emploi avec des conditions comparables et doit maintenant cumuler des emplois précaires pour joindre les deux bouts, ce qui lui occasionne un niveau d’anxiété qu’elle supporte difficilement. Les situations financières de Michel et Chantal se sont également détériorées. Ils déclarent des revenus entre 10 000$ et 17 000$ pour l’année 1996. Seule Sonia est parvenue à maintenir une situation financière comparable à celle qu’elle avait auparavant et ses choix professionnels axés d'abord sur le plaisir du travail la gardent sereine. 33 5.1.3 Privilégier sa vie amoureuse et familiale Parmi les personnes rencontrées, sept sont aujourd’hui en situation d’intermittence en emploi parce qu’elles ont décidé à un certain moment de privilégier leur vie amoureuse ou familiale plutôt que leur vie professionnelle. Il s’agit de sept femmes dont l’âge varie de 37 à 56 ans, et qui ont une formation de niveau secondaire ou post-secondaire. Les récits de vie de ces sept femmes recouvrent en fait deux situations. Il y a d’abord Dominique qui a décidé en 1993 de quitter un emploi stable pour pouvoir demeurer avec son amoureux qui avait obtenu un emploi dans une autre ville. Un moment donné, j’me suis dit bon, O.K. je mets, pour la première fois dans ma vie, je ne privilégie pas ma vie professionnelle mais je privilégie ma vie personnelle, affective. Je fais ce choix là et j’me débrouillerai bien (Dominique, 41 ans, formation universitaire). Quatre ans plus tard, elle n’a pas retrouvé de stabilité d’emploi, mais s’accommode relativement bien de sa situation professionnelle : elle cumule des emplois à deux endroits différents, ses compétences sont recherchées et elle a confiance en l’avenir. Il y a ensuite les six autres femmes qui ont quitté leur emploi ou qui ont mis en veilleuse leur vie professionnelle pour se consacrer à l’éducation de leurs enfants. Cette période d’arrêt varie entre sept et vingt ans selon les cas, et elles ont eu un, deux ou trois enfants qui sont aujourd’hui des adolescents ou de jeunes adultes. Certaines ont profité de ce temps d’arrêt pour se donner une autre formation et ce, dans l’optique de réintégrer tranquillement et par plaisir le marché du travail. D’autres ont décidé de se réorienter lorsqu’elles ont été brusquement confrontées au fait de devoir trouver un emploi étant devenue seule pour subvenir aux besoins de la famille. Au moment où elles ont été rencontrées, ces six femmes travaillaient toutes dans des types d’emploi différents de ceux qu’elles occupaient avant leur arrêt de travail, quatre d’entre elles avaient perdu le support financier de leur conjoint parce qu’elles étaient maintenant divorcées, alors qu’une autre, aux prises avec un mari malade, avait vu son revenu d’appoint devenir le gagne-pain de sa famille. Tsé moi l’salaire 34 que j’gagnais c’était en plus, c’était du surplus. C’est plus le surplus là, c’est l’nécessaire (Lucette, 44 ans, formation secondaire). Parce qu’elles sont arrivées sur le marché du travail durant les années 1990 et que leur domaine de formation les confine à des secteurs d’activité très touchés par la rareté et la précarisation des emplois (secrétariat, formation, traduction, commerce au détail, design de mode), elles n’ont pas réussi à se trouver d’emploi stable. Quatre d’entre elles doivent cumuler deux ou trois emplois, selon le cas, pour tenter de joindre les deux bouts. L’une d’elle est au repos car ses démarches d’emploi infructueuses ont fini par la miner. Chaque semaine j’ai fait ça [des démarches infructueuses de recherches d’emploi] . À toutes les semaines pendant trois, quatre ans. Alors j’suis devenue épuisée il faut le dire. Au point que mon médecin m’a mis au repos (Nicole, 51 ans, formation collégiale). Et l’autre est au bord de l’épuisement professionnel car elle travaille parfois 60 heures par semaine et occupe des emplois qui sont très exigeants physiquement. Par ailleurs, il n’y en a qu’une qui a gagné un peu plus de 20 000$ en 1996, les autres ayant disposé de moins de 15 000$. 5.2 Des changements d’emploi à la précarité Un second profil rassemble des travailleuses et des travailleurs dont la trajectoire professionnelle est marquée non plus par un seul événement tel la perte ou la décision de quitter un emploi stable, mais qui est construite d’une succession de changements d’emplois et ce, depuis l’entrée sur le marché du travail. Les personnes incluses dans cette catégorie se distinguent toutefois par la nature des raisons qui expliquent la fréquence de ces changements. Ainsi, certaines subissent de nombreux changements d’emplois parce qu’elles sont arrivées sur le marché du travail dans le contexte de précarisation de l’emploi des dernières années. D’autres ont une trajectoire professionnelle qui a été guidée par leurs intérêts, le plaisir de travailler, d’apprendre, ou de relever des défis, plutôt que par la stabilité d’emploi. Enfin, certaines personnes ont tendance à décrocher, à ne pas garder leur motivation à travailler et, par conséquent, ont de la difficulté à se maintenir longtemps dans le même emploi. 35 5.2.1 Une insertion qui se fait toujours attendre Le tiers des participantes et des participants à cette recherche (17/52) doivent leur situation d’intermittence en emploi principalement au fait que le contexte actuel de rareté et de précarisation des emplois ne leur permet pas d’en obtenir un à temps plein et d’une durée indéterminée. La plupart d’entre eux se sont insérés sur le marché du travail à la fin des années 1980 ou au cours des années 1990, et ils sont à la recherche d’un emploi à temps plein à durée indéterminée depuis au moins cinq, six ans. Or, depuis leur entrée sur le marché du travail, ils n’ont jamais pu accéder à ce type d’emploi. Ainsi, une très grande majorité des personnes qui appartiennent à ce groupe composé de neuf femmes et de huit hommes ont moins de 35 ans (13/17). L'analyse des trajectoires permet aussi de constater que la plupart des jeunes femmes âgées entre 20 et 35 ans qui ont participé à cette recherche n’ont jamais eu d’emploi stable (8/9), alors que c’est le cas de cinq des neuf hommes qui font partie de cette tranche d’âge. En regard de leur formation, la plupart des femmes de ce groupe ont un diplôme d’études collégiales ou universitaires, alors que les hommes se répartissent également entre ceux ayant un diplôme d’études secondaires, collégiales ou universitaires. Les domaines de formation des femmes et des hommes sont variés : baccalauréat et maîtrise en sciences sociales, en sciences de l’éducation ou en communications; techniques infirmières, de radio-diagnostic, de diététique, de communication, de génie civil ou de génie chimique; secrétariat, cuisine professionnelle, peinture et débosselage. Enfin, malgré les différences concernant le niveau de formation et les emplois occupés, la majorité des personnes de ce groupe a déclaré un revenu inférieur à 15 000$ pour l’année 1996; il s’agissait surtout des femmes. Au moment où les personnes de ce groupe ont été rencontrées, trois, —Laval (32 ans, formation universitaire), Émile (30 ans, formation universitaire) et Élizabeth (28 ans, formation universitaire) —, avaient un emploi à temps plein. Il s’agissait de contrats d’une durée variant 36 entre six et douze mois. Christian (33 ans, formation secondaire), Claude (43 ans, formation collégiale), Marc (33 ans, formation universitaire) et Serge (32 ans, formation secondaire) retiraient des prestations de chômage et, depuis quelques années, travaillaient habituellement cinq, six mois par année. Gabrielle (35 ans, formation secondaire) et Stéphanie (28 ans, formation universitaire) avaient des petits contrats de trois et quatre semaines; l’une d’elles était sur l’aide sociale cinq mois avant d’avoir eu ce contrat et l’autre était sans chèque depuis quelques semaines. Martine (25 ans, formation universitaire) et Roger (46 ans, formation collégiale) recevaient de l’aide sociale : Martine participait à un programme qui lui donnait 120,00$ de plus par mois en travaillant à temps plein; Roger ne travaillait pas assez de semaines depuis les deux dernières années pour retirer des prestations de chômage. Enfin, Maryse (28 ans, formation collégiale), Marie (28 ans, formation collégiale), Catherine (25 ans, formation collégiale) et Céline (41 ans, formation collégiale) travaillent sur appel et cumulent par périodes deux et même trois emplois. Maryse travaille depuis six ans comme infirmière et est sur appel dans deux hôpitaux. Céline travaille depuis douze ans comme enseignante dans trois commissions scolaires de la région et elle n’a pas de poste. Le nombre d’heures qu’elle travaille varie donc d’une année à l’autre selon le nombre d’inscriptions. Elle fait aussi des remplacements et travaille comme esthéticienne un ou deux soirs par semaine. Catherine et Marie travaillent quelques mois par année et sur appel dans leur domaine de formation, ce qui les oblige le reste de l’année à maintenir un emploi dans la restauration qu’elles disent “alimentaire”. Dans ma profession, je peux travailler cinquante jours [par an]. [...] Je n’ai toujours pas d’emploi, pas de stabilité et je fais de la restauration encore. (...) Je ne suis pas capable d’avoir un poste (Marie, 28 ans, formation collégiale). À cause des conditions qu’ils ont sur le marché du travail, Élizabeth, Émile et Marc ont le sentiment d’avoir été dupés à propos de la valeur des études universitaires. Leurs parents considéraient que cette formation serait profitable, qu’elle leur donnerait la garantie d’obtenir une bonne situation sur le plan professionnel et ils y ont cru eux aussi. Au moment où nous les avons rencontrés, ils remettaient donc en cause la rentabilité de leur décision et même leur choix professionnel. J’ai l’impression, j’ai la forte impression que j’ai pas fait les bons choix au bon 37 moment. Ce qui fait que c’est, ces mauvais choix m’ont conduit dans un chemin qui débouche sur rien(...) Quand je pense à ça, ça me frustre! (...) Par exemple, juste le fait de, d’avoir fait des études universitaires (Marc, 33 ans, formation universitaire). Émile, lui, prévoyait aller faire une technique au secondaire, Élizabeth espérait pouvoir se permettre un jour la possibilité de faire des études en arts. Par ailleurs, la plupart des personnes de ce groupe ont peu d’espoir de voir leur situation professionnelle s’améliorer dans un avenir prochain. Ainsi, plusieurs femmes surtout croient réussir à obtenir une amélioration de leurs conditions de travail dans une quinzaine d’années seulement, soit le temps nécessaire pour qu’une majorité des travailleuses et des travailleurs en poste prennent leur retraite. Elles disent donc avoir le sentiment d’être devant un mur. Je suis comme pognée dans un engrenage! Un engrenage qui tourne en rond, qui va se répéter jour après jour, année après année... Qu’est-ce que je fais avec ça... (Marie, 28 ans, formation collégiale). 5.2.2 Des choix qui ont mené à l’intermittence Des femmes et des hommes rencontrés lors de cette étude ont construit leur trajectoire professionnelle en fonction de leur désir de se réaliser, de changer et d’apprendre ou encore de leurs intérêts, plutôt qu’en fonction de la recherche d’une stabilité d’emploi. Ce groupe est composé d’un nombre égal de femmes et d’hommes, et ces personnes détiennent toutes une formation universitaire. La plupart, soit cinq sur six d’entre elles, travaillent dans le domaine de la formation ou de l’éducation, l’autre comme infirmière. Une majorité a dans la quarantaine, et deux ont plus de cinquante ans. Cette façon d’appréhender la vie professionnelle par le désir de se réaliser et de satisfaire leurs intérêts est donc l’élément qui, pour ce groupe de personnes, explique le mieux leur situation actuelle d’intermittence en emploi. Elle leur donne en effet une trajectoire constituée de plusieurs entrées et sorties du marché de l’emploi et ce, dès leur insertion sur le marché du travail ou encore à partir du moment où elles ont décidé de privilégier les expériences leur permettant de s’épanouir, plutôt que la sécurité et les bénéfices marginaux d’un lien d’emploi stable. 38 Ainsi, Mario (37 ans, formation universitaire) a travaillé dans sa ville natale jusqu’à l’âge de 22 ans comme animateur dans un foyer d’'hébergement. Cette expérience de travail l’a ensuite incité à poursuivre des études en psycho-éducation dans une autre ville. Pendant ses études, il travaillait dans un centre de réadaptation. En revenant dans sa ville natale en 1986, il met cependant fin à l’ancienneté qu’il avait cumulé au centre de réadaptation. Depuis ce retour, il n’a jamais eu accès à un poste permanent, mais il a toujours eu à peu près le même type d’emploi, c’est-à-dire des emplois dans les services aux enfants et aux familles en difficulté. Il aime beaucoup ce travail. Il dit ne pas rechercher nécessairement la permanence. Ma priorité n’était pas d’avoir une permanence. (...) Ma priorité, c’était de faire ce que j’aime le plus, pis ce qui est plus en lien avec ce qui m’apparaît important dans ma job. Pis ça, ben, je l’ai comme tenu ...Ça, j’ai été d’une stabilité écoeurante, là-dessus (Mario, 37 ans, formation universitaire). Il considère donc que ce sont les choix qu’il a faits qui expliquent qu’il n’ait pas de permanence en emploi. Ainsi, s’il était resté au centre de réadaptation, il aurait cumulé l’ancienneté suffisante pour obtenir un poste. Et s’il n’avait pas décidé d’axer son intervention essentiellement en petite enfance, il aurait eu accès à des postes en gériatrie. Mais, il ne regrette rien et referait les mêmes choix. Cette façon d’appréhender leur vie professionnelle et cette volonté qu’ils ont d’accomplir un travail qui réponde sous certains aspects à leurs attentes en a même amené certains à quitter un poste permanent. Ainsi, en est-il de Paul, Denise (52 ans, formation universitaire) et Danielle (42 ans, formation universitaire). Au début des années 70, Denise qui détenait un “brevet A”, enseignait. Elle trouvait cependant son emploi plus ou moins satisfaisant, car elle avait parfois à donner des cours pour lesquels elle considérait ne pas avoir toutes les compétences. Au moment où elle obtient sa permanence, elle démissionne et part quelques années en voyage avec son conjoint. Le travail les avait éloignés l’un de l’autre. Depuis leur retour, ils ont pratiquement toujours eu une entreprise pour laquelle ils travaillent tous les deux. Quoiqu’ils connaissent de grosses difficultés financières depuis une dizaine d'années, Denise ne remet pas en question les choix qu’elle a faits. Elle n’a jamais vraiment songé d’ailleurs à redevenir salariée. Être travailleuse autonome c’est pas toujours facile, mais avoir un boss c’est pas drôle tous les jours aussi . 39 Danielle, elle, a eu un poste dans un centre hospitalier. Elle était sur le même département depuis sept ans. Son travail était devenu routinier et elle n’aimait plus ce qu’elle faisait. Elle a donc décidé de se réorienter et de retourner aux études. Après un an en sciences humaines et un an de chômage, elle a décidé de retourner travailler comme infirmière, mais dans un autre type d'établissement de santé. Elle a alors dû compléter un certificat en santé communautaire. Elle a un statut temps partiel occasionnel depuis sept ans, a des contrats d’environ un mois et demi suivis de quelques semaines de chômage. Cependant, le genre d’emploi qu’elle effectue maintenant lui convient mieux. Les transferts de personnel occasionnés par la réforme du système de santé ont affecté ses conditions de travail et l'ont amenée à questionner sa décision d’avoir laissé quelques années plus tôt son poste en centre hospitalier . Mais lorsqu’elle a réalisé qu’elle continuerait malgré tout à travailler, elle a mis ses doutes de côté. Enfin, Sylvie (42 ans, formation universitaire) a travaillé quelques années comme enseignante en secrétariat, puis comme infirmière sur appel la nuit. Elle a quitté lorsqu’elle a eu des enfants, puis elle a fait de l’animation dans les écoles. À 35 ans, Sylvie a décidé d’investir dans des études universitaires. Elle voulait pouvoir se réaliser dans un projet, et pour elle, la façon d’y arriver c’était en devenant travailleuse autonome. Elle n’allait pas devenir professionnelle pour travailler sous les ordres de quelqu’un. Elle a choisi le counselling par plaisir et a commencé à développer son entreprise lorsqu’elle était aux études. Depuis trois ans, elle travaille beaucoup d’heures, trouve très difficile de ne pas toujours avoir de contrats de travail et vivre de longues périodes sans toucher un sous. Malgré tout, ses affaires vont bien. Elle pense qu’elle en a encore pour deux ans avant d’acquérir une certaine stabilité, mais après ça, je vais te dire, je serai plus touchable au niveau professionnel . Déjà, elle prévoit pouvoir doubler ses revenus l’an prochain. Ces personnes ont donc fait des choix qui ont eu pour effet de les inscrire dans une trajectoire faite d’entrées et de sorties fréquentes du marché de l’emploi. Quoiqu’elles n’aient pas nécessairement opté pour cette situation d’intermittence en emploi qui est la leur aujourd’hui, elles acceptent somme toute assez bien les conséquences de leurs décisions, et affirment qu’elles referaient aujourd'hui les mêmes choix. Il faut alors dire que malgré des choix parfois risqués et 40 l’insécurité d’emploi, plusieurs d’entre elles ont, pour l’année 1996, déclaré des revenus entre 30 000$ et 40 000$, ce qui est nettement plus élevé que ce que retire généralement la majorité des participantes et des participants à la recherche. 41 5.2.3 Des difficultés d’adaptation au monde du travail Parmi le 52 personnes qui ont participé à cette recherche, il y en a cinq dont la situation actuelle d’intermittence en emploi peut avoir été provoquée, en partie du moins, par leur personnalité fragile et vulnérable ou une histoire parsemée de difficultés personnelles ou familiales. Ces personnes éprouvent des problèmes continuels d’intégration au travail. Mais contrairement à celles qui ne réussissent pas à décrocher un emploi à durée indéterminée, elles ont plutôt tendance à quitter régulièrement les emplois qu’elles occupent, non par désir d’avancement ou volonté de promotion, mais parce qu’elles se lassent de leur travail, n’ont plus la motivation suffisante pour y rester ou se sentent harcelées. Les personnes de ce groupe ont une formation secondaire (2), collégiale (2) et universitaire (1). Leurs revenus annuels moyens se situent entre 10 000$ et 20 000$. Deux d'entre elles sont supportées financièrement par un conjoint et les trois autres vivent seules. Benoît (48 ans, formation universitaire) et Gratien (48 ans, formation secondaire) se présentent comme travailleurs autonomes. Ils ont chacun près de 50 ans et ont une petite entreprise. Gratien dit de lui qu’il a fait cent milles métiers. Lorsque ça ne faisait plus à un endroit, il allait ailleurs. Il a occupé des emplois dans le domaine du transport, de la vente et des travaux publics. Au moment où il a été rencontré, Gratien était complètement désemparé. Son entreprise était sur le bord de la faillite et n’était plus opérationnelle depuis quelques mois. Il venait aussi de vivre une séparation, la troisième dans sa vie, qui l’avait littéralement mis à la rue. Il avait quitté son logement, erré une partie de l’été, puis fréquenté les maisons d’hébergement pour sans-abri. Il aspire maintenant à obtenir un emploi salarié. Cependant, il dit ne pas être capable de travailler dans un endroit fermé parce qu’il souffre de claustrophobie. Selon lui, ce qui lui convient est un travail qui l'amène à se déplacer continuellement. Benoît, lui, a quitté un emploi stable dès le début de sa vie professionnelle, il y a une vingtaine d’années, suite à une intoxication. Cet événement lui a fait perdre la motivation nécessaire pour travailler. Après ça...je le sais pas si c’est ça qui m’a ... fait réfléchir sur le travail ou d’autre chose... En tous cas, à partir de là, j’ai pas décroché complètement, là, mais j’ai ... j’étais 42 complètement désintéressé (Benoît, 48 ans, formation universitaire). Pendant plusieurs années, il a travaillé de façon très irrégulière, surtout à son compte, sans qu'on réussisse à diagnostiquer la nature exacte de ses problèmes de santé. Le diagnostic est tombé il y a quelques années et il est depuis sous médication. Benoît a une entreprise qui est opérationnelle cinq, six mois par année. Il fait aussi des petits boulots saisonniers. Sa situation professionnelle lui convient : il n’est pas astreint à un horaire, il a une certaine liberté et peut s’occuper d’activités autres que le travail. Il est supporté financièrement par sa conjointe. Rolande (60 ans, formation collégiale) a commencé sa vie adulte en travaillant dans l'enseignement. Elle dit avoir quitté son poste parce qu’elle n’aimait pas enseigner. Quelques années plus tard, mariée et mère de quatre enfants, elle a repris un emploi le soir et les fins de semaine comme serveuse dans un restaurant afin de supporter son mari retourné aux études. Divorcée et ayant perdu la garde de ses enfants, elle travaille à nouveau quelques années auprès d’enfants en difficulté. Elle quitte pour épuisement professionnel et est au repos un an et demi. Elle réussit alors à subvenir à ses besoins en devenant logeuse. Ensuite, elle travaille quelques années encore à son compte comme thérapeute et doit abandonner. Ses problèmes sont attribués à une maladie mentale, mais Rolande dit souffrir d’une allergie. Depuis quelques années, elle travaille six mois par année dans la vente. Au moment où elle a été rencontrée, elle était au chômage et, selon elle, il était préférable qu’elle ne cherche pas d’emploi. Elle avait pris conscience tout récemment qu’elle avait été abusée dans son enfance et le moindre désagrément pouvait la mettre dans des colères terribles... Là je suis pas capable de [travailler] (...) Quand je suis en contact avec des choses qui éveillent la colère, je suis comme une bombe! J’exploserais, c’est pas mêlant! (Rolande, 60 ans, formation collégiale). Johanne (44 ans, formation secondaire) et Didier (voir encadré) sont tous deux salariés, mais ont occupé une série d’emplois qui ne les satisfont pas pleinement. Johanne est secrétaire. Or, ce travail l’ennuie à moins qu’il lui permette de connaître et d’utiliser des nouvelles façons de travailler. Si ce n’est pas le cas, elle démissionne. Donc, elle a eu plusieurs emplois, mais jamais un qui soit vraiment à son goût. Peut-être que j’ai jamais vraiment été à ma place. Ce qu’elle aime faire en fait c’est un travail créatif. Or, elle dit manquer de confiance en elle. Elle s'isole de 43 plus en plus et avoue qu'avec les années, elle a de la difficulté à se faire de nouveaux amis parce qu’elle a peur des fins de relations. Au moment où elle a été rencontrée, elle disait qu’elle aimerait parfois se foutre de tout et se dire qu’elle n’a pas vraiment besoin d’argent. Elle a un conjoint qui pourrait la faire vivre, mais d’après sa mentalité à elle, il faut que les femmes travaillent. Elle est donc à la recherche d’un autre emploi. Bien que les personnes de ce groupe aient une trajectoire professionnelle construite d’entrées et de sorties régulières du marché du travail, elle ont réussi dans les années passées à travailler et à subvenir à leurs besoins. Trois d’entre elles ont opté, par période, pour le travail autonome et se sont débrouillées seules, d’autres ont toujours été salariées. Or parce qu’elle limite les opportunités d’affaires ou d’embauche, la compétition qu’entraînent le contexte économique et le surplus de travailleuses et de travailleurs à la recherche d’un emploi, désavantage encore plus les individus qui ont des difficultés personnelles, ceux qui ne supportent pas le stress, ou ne sont pas très motivés par le travail qu’ils font. Par conséquent, ils sont plus à risque que les autres de vivre une détérioration rapide de leurs conditions d’existence. Ainsi, Didier, Gratien et Rolande disent ne jamais avoir connu des conditions de vie aussi difficiles. Johanne est sur le point de mettre le travail rémunéré de côté. Benoît, qui partage sa vie avec une femme qui a un travail régulier, semble un peu moins vulnérable, quoiqu’il vienne de perdre son associé et un bon contrat qu’il avait depuis cinq ans. 6. Conditions de vie et de travail reliées à la situation d’intermittence en emploi Rendre compte de l'univers des travailleuses et des travailleurs intermittents, de la réalité qui structure leur quotidien, de la marge de manoeuvre qui délimite l'éventail de leurs choix et de leurs obligations, apparaît essentiel pour introduire et être à même de mieux saisir ensuite l'analyse qui sera faite de leur niveau de bien-être. L'intermittence en emploi s'accompagne en effet de conditions de travail et de conditions de vie qui teintent l’existence d’une façon particulière, qui compliquent en fait l’organisation et l’évolution de la vie professionnelle et de la vie personnelle. 44 L’objectif de ce chapitre est donc de mettre en lumière les principales conditions qui structurent la vie professionnelle et personnelle des travailleuses et des travailleurs intermittents rencontrés, de rendre compte de ce que représente le fait d’être dans une situation d’intermittence en emploi. Ces données font état d’un contexte qui prévaut pour l’ensemble des participantes et des participants à la recherche. Elles montrent comment la recherche continuelle d’emploi, la précarisation des conditions de travail, les pertes répétées du statut de travailleuse ou de travailleur, les rapports sociaux discontinus et changeants, la diversification des milieux de travail, sont des conditions intimement liées au fait d’être dans une situation d’intermittence en emploi. 6.1 La recherche continuelle d’emploi Il faut d’abord rappeler que les travailleuses et les travailleurs intermittents qui ont participé à cette recherche signent des contrats de courte ou de longue durée, travaillent sur appel, ou sont à l’emploi d’une entreprise qui les met régulièrement à pied. Or, pour la plupart d’entre eux, cette situation fait en sorte qu’ils sont perpétuellement en recherche d’emploi : ils sont toujours à l’affût d’un emploi qui leur offrirait une plus grande stabilité, ou entreprennent continuellement des démarches de recherche d’emploi. Certains réamorcent le processus à tous les trois mois, les plus chanceux à tous les huit, neuf mois. La recherche d’emploi devient donc une préoccupation constante dans leur vie. Et cette préoccupation les poursuit lorsqu’ils sont sans emploi bien sûr, mais lorsqu’ils sont en emploi aussi. Ainsi, la plupart des travailleuses et des travailleurs intermittents intensifient leurs démarches de recherche d’emploi lors des semaines qui précèdent la fin d’un contrat. Ce qui fait dire d’ailleurs à Stéphanie (28 ans, formation universitaire) que les employeurs qui estiment plus rentable d’engager leur personnel à contrat, ne sont sans doute pas conscients des pertes qu’ils doivent assumer à cause de tout ce temps où l’esprit de leurs employés est plus mobilisé par la recherche de leur prochain emploi que par celui pour lequel ils sont payés. D’autres, comme Laval (32 ans, formation universitaire) et Émile (30 ans, formation universitaire) par exemple, affirment qu’ils continuent à poursuivre intensément leurs démarches de recherche d’emploi s’ils 45 ont des contrats de courte durée et qu’il leur est déjà arrivé d’abandonner ou de laisser en plan un emploi au profit d’un autre de plus longue durée. Et lorsqu’ils se retrouvent au chômage, la recherche d’un emploi devient pour la plupart des intermittentes et des intermittents l’une de leurs principales occupations. La plupart des personnes rencontrées déclarent d’ailleurs qu’elles sont toujours poursuivies par le sentiment qu’elles devraient être en train de se chercher un emploi plutôt que de faire n’importe quoi d’autre; ce qui les amène alors à constater qu’elles n’arrivent pas vraiment à profiter de ce temps où elles sont sans emploi. Elles arrivent rarement en fait à se sentir en vacances, sauf certaines peendant les mois d’été. Mais encore, elles sont toutefois tenaillées par la crainte de ne pas trouver d’emploi l’automne venu. Cette situation d’intermittence en emploi fait aussi en sorte qu’ils sont régulièrement confrontés aux difficultés qu’impliquent les démarches de recherche d’emploi. Ainsi, lorsqu’ils sont encore en emploi, il leur est malaisé de contacter d’autres employeurs ou encore d’aller les rencontrer sur les heures ouvrables. Et rencontrer d’éventuels employeurs disséminés sur le territoire est d’autant plus laborieux aussi lorsqu’ils ne disposent pas d’un véhicule. Enfin, celles et ceux qui décident de garder leurs enfants en bas âge à la maison soulèvent tous le fait qu’il est compliqué de concilier les contacts à faire avec des employeurs, le degré de concentration qu’exigent les démarches à réaliser, avec la présence des enfants et le niveau d’attention qu’il est nécessaire de leur consacrer. Le fait qu’ils soient constamment à réamorcer des démarches de recherche d’emploi fait dire à plusieurs d’entre eux qu’ils sont devenus des spécialistes pour passer des entrevues auprès des employeurs. Ils sont à même de prévoir les questions qui leur seront posées, ont des réponses toutes faites et adaptées aux besoins pressentis. Ils cernent les éléments de leur personnalité qu’ils doivent mettre en évidence ou dissimuler pour être une candidate ou un candidat intéressant et ce, en fonction des caractéristiques recherchées. Ils organisent leur curriculum vitae pour faire valoir la pertinence de leurs expériences passées. 46 Certains ont acquis ces habiletés en raison du nombre élevé d’entrevues qu’ils ont passées, d’autres lors de leur formation professionnelle. Des cours spécifiques de recherche d’emploi étaient inclus dans leur programme d’études, ou encore des études dans le domaine des communications, comme conseillère ou conseiller en emploi ou en orientation, leur ont donné certaines connaissances en la matière. Enfin, plusieurs des personnes qui ont participé à cette étude (14/52) ont suivi des cours de recherche d’emploi dont la principale mission est de favoriser et de supporter d’une manière ou d’une autre la réinsertion professionnelle de travailleuses et de travailleurs sans emploi. De manière générale, la participation à ces clubs de recherche d’emploi a été perçue comme une expérience agréable et profitable par la majorité des personnes que nous avons rencontrées et qui y ont pris part. Certaines y ont appris les rudiments nécessaires pour organiser leurs démarches de recherches d’emploi et les rendre plus efficaces. D’autres y ont trouvé la motivation pour entreprendre leurs démarches, le fait d’être en groupe et supporté leur ayant fourni la stimulation qui leur fait défaut lorsqu’ils sont seuls. Enfin, d'autres vont chercher là de quoi occuper et structurer leurs journées. Certaines critiques sont aussi formulées. La façon uniforme de construire le curriculum vitae et de se présenter au téléphone ne permet pas vraiment de se démarquer pour obtenir des emplois intéressants. La plupart des emplois que réussissent à décrocher les participantes et les participants sont de petits contrats de quelques mois, ou ils sont sous qualifiés par rapport à leurs niveaux de compétences. Et la promotion du retour aux études pour celles et ceux qui ont déjà acquis une formation spécifique ne tient souvent pas compte des coûts que ce choix implique et du peu de bénéfices à en retirer. Par ailleurs, les travailleuses et les travailleurs intermittents rencontrés, incluant celles et ceux qui ont fait les clubs de recherche d’emploi, s’entendent pour dire que le meilleur moyen d’obtenir un emploi dans une entreprise ou un organisme est de connaître une personne en place. Ils affirment que c’est ainsi qu’ils ont eu accès à plusieurs des emplois qu'ils ont occupés. 47 6.2 Un mode de vie instable Les personnes qui vivent l'intermittence en emploi ont ceci de particulier que les sommes d'argent dont elles disposent pour combler leurs besoins sont susceptibles de varier constamment dans l'année. Elles peuvent ainsi passer d'une situation où elles retirent l'argent d'un travail rémunéré à temps plein ou à temps partiel, à une autre où elles bénéficient de prestations de l'assurance-emploi, à une autre où elles obtiennent un montant forfaitaire à la fin de l'exécution d'un contrat, à une autre où elles n'ont plus aucune rentrée d'argent. La durée des périodes avec ou sans emploi peut considérablement varier d’une année à l’autre. Or, cette variation dans les revenus agit forcément sur l'organisation de leur vie. La plupart des personnes qui ont participé à cette recherche parlent d’ailleurs de la difficulté qu’elles ont à organiser leur vie en ayant des revenus qui fluctuent. Elles ne peuvent prévoir à long terme et avec certitude des sommes d’argent dont elles pourront disposer dans l’avenir. Elles ont donc tendance à restreindre le plus possible leurs dépenses en prévision de périodes moins fastes. Or, ces restrictions, en plus de limiter le train de vie et l’élaboration de projets, réduisent aussi les occasions de vie sociale : le nombre et le choix d’activités possibles, la pratique de certains sports. Et, se faire payer par d’autres le coût de la participation à des sorties, se faire inviter sans jamais pouvoir rendre la pareille, est généralement perçu comme une situation humiliante. Par ailleurs, la plupart des travailleuses et des travailleurs rencontrés arrivent mal aussi à faire des économies : lorsqu’ils n’ont pas d’emploi, ils accumulent des dettes qu’ils doivent rembouser lorsqu’ils se trouvent à nouveau en emploi. Certains d’entre eux doivent même à l’occasion emprunter de l’argent à des proches : ce qui est une autre occasion susceptible de provoquer de la gêne et de rendre les relations malaisées advenant l’impossibilité de remettre l'argent. D’autres enfin s’enlisent dans les comptes à payer et finissent par déclarer faillite. Tous ces aléas, associés aux fluctuations économiques qui accompagnent leur situation d’intermittence en emploi, entraînent une difficulté à acquérir une crédibilité auprès des institutions financières; ce qui peut les empêcher, par exemple, d’obtenir un prêt hypothécaire 48 pour l’achat d’une propriété ou une marge de crédit suffisante pour les supporter dans le démarrage de leur compagnie. Le fait de ne pas avoir de stabilité en emploi, de vivre régulièrement des périodes sans emploi et une fluctuation de revenus sont aussi susceptibles d’engendrer de l’instabilité géographique, affective et professionnelle. Ainsi, lors des deux dernières années, six hommes ont effectué au moins un contrat assez loin de leur principal lieu de résidence pour ne pouvoir faire l’aller-retour dans la même journée; situation qui les a alors obligés à louer un appartement près de leur lieu de travail. Enfin, il y a toutes ces personnes, généralement celles qui sont sans attache, qui affirment qu’elles seraient prêtes à déménager à peu près n’importe où pour obtenir une plus grande stabilité d’emploi ou, à tout le moins, des conditions de travail plus satisfaisantes. Cette disponibilité d’ailleurs à travailler dans une autre ville limite, pour les plus jeunes surtout, leur désir d’amorcer ou de s’engager dans une relation amoureuse. Ils ne veulent pas s’investir dans une liaison à laquelle ils devront mettre fin s’ils ont à quitter la région pour un emploi. Par ailleurs, les problèmes d’argent qui sont accentués par les rentrées irrégulières de revenus sont une source de stress, et sont susceptibles de provoquer des tensions dans les couples. Le fait d’être à la charge de son conjoint, pour celles et ceux qui sont sans chèque ou encore qui gagnent ou reçoivent trop peu d’argent pour subvenir à leurs besoins, est généralement perçu comme dévalorisant, et peut modifier les relations de couple. Enfin, se retrouver régulièrement sans emploi et pendant des périodes de plus en plus longues amène inévitablement les travailleuses et les travailleurs intermittents à remettre en question le bien-fondé des décisions qu’ils ont prises à l’égard de leur vie professionnelle. Ce peut être le niveau, le domaine de formation qu’ils ont acquis, le genre de métier ou de profession qu’ils exercent, ou encore le fait d’être salarié. Ainsi, de longues périodes sans emploi suscitent chez certains le désir de retourner sur les bancs d’école pour parfaire ou pour terminer une formation qu’ils n’auraient pas complétée, ou pour entreprendre des études dans un champ de compétences différent de celui qui est le leur. Compte tenu toutefois des coûts que cette décision implique, la plupart d’entre eux vont privilégier les formations de courtes durées, — de quelques mois ou 49 d’une année tout au plus—, veulent prendre quelques cours par année pour rester disponibles pour l’emploi, ou encore mettent leur projet sur la glace en attendant que les conditions financières de leur couple soient plus propices. Plusieurs des personnes rencontrées songent ou ont déjà songé à partir leur propre entreprise. Il y en a pour qui ce projet semble comporter moins d’attrait, qui en sont en fait à penser au genre d’entreprise qu’elles pourraient mettre sur pied, mais d’autres paraissent plus déterminées dans leur intention d’aller de l’avant. Celles et ceux qui ont amorcé des démarches en ce sens évoquent tous la difficulté par contre de les entreprendre tout en sachant qu’ils laisseront tout tomber à chaque fois qu’un emploi comme salarié leur sera offert. D’autres se sont essayés et ont conclu que gérer une entreprise n’était pas à la portée de qui le veut. 50 6.3 La précarisation des conditions de travail La précarisation de l'emploi s'accompagne souvent d'une détérioration des conditions dans lesquelles s'effectue le travail. Dans un contexte où les emplois sont rares, les travailleuses et les travailleurs qui n’ont pas de stabilité en emploi disposent d’une marge de manoeuvre limitée pour négocier les conditions de travail que leur offrent les employeurs qu’ils rencontrent. Et ces derniers, conscients de la situation dans laquelle se retrouvent les personnes sans emploi, sont dans une position qui leur permet de réduire le plus possible les conditions et les avantages des emplois qu’ils proposent. Or, la reconstitution des histoires professionnelles des 52 personnes qui ont participé à cette recherche permet de constater le processus de détérioration des conditions qui accompagnent les emplois obtenus depuis le début des années 1990. D’abord, plusieurs des travailleuses et des travailleurs rencontrés affirment que la durée de leurs contrats s’est amenuisée au fil des années. Ils affirment ensuite que les employeurs recourent à tous les moyens dont ils disposent et à diverses tactiques pour limiter et réduire les salaires. Ainsi, il est de plus en plus fréquent d’être engagé comme travailleur autonome plutôt que salarié; ce qui évite aux employeurs, entre autres, le défraiement des coûts reliés aux vacances, à l’assurance-emploi, mais qui constitue autant d’avantages et de protection auxquels les employés n’ont plus accès. Les travailleuses et les travailleurs qui ont quelques années d’expérience dans une entreprise et qui ont vu leur salaire horaire augmenter se font mettre à pied sous différents prétextes. Ils sont parfois rappelés quelques mois plus tard pour réintégrer l’entreprise, mais à des conditions moins avantageuses, ou ils sont remplacés par un nouvel employé payé au salaire minimum. Les personnes plus âgées se font dire en entrevue qu’elles sont en compétition avec des plus jeunes qui se contentent du salaire minimum. Certaines personnes signent des contrats de quatre jours par semaine, mais dont la tâche exige qu’elles en travaillent cinq; d’autres font des heures supplémentaires sans être payées d’une façon ou d’une autre. Des employeurs préfèrent engager deux personnes plutôt qu’une pour une journée de travail. Ainsi, elles n’ont pas à prévoir et à payer un employé supplémentaire pour les heures de repas et lors des pauses à des employés qui travaillent seulement quatre heures dans une journée. Des employeurs ne 51 paient pas les premiers jours de travail sous prétexte que les employés sont alors en formation ou en stage, alors que d’autres vont bénéficier gratuitement du travail de stagiaires à qui ils font miroiter une possibilité d’engagement. Enfin, le recours à l’aide gouvernementale, pour faire travailler à peu de frais et pendant quelques mois seulement des personnes qui reçoivent des prestations d’assurance-emploi ou de la sécurité du revenu plutôt que d’engager un nouvel employé, est une pratique connue. Or, de l’avis des travailleuses et des travailleurs rencontrés, il s’agit de programmes qui leur profitent peu. D’abord, ils sont très peu rémunérés. Les semaines travaillées dans le cadre de ces programmes ne sont pas toujours assurables. Ils ont peu de chances d’être maintenus en emploi lorsque le contrat se termine parce que les entreprises ne peuvent bénéficier de façon récurrente des services du même employé lorsqu’elles recourent à l’aide gouvernementale; elles préfèrent donc changer d’employés et pouvoir bénéficier de ces programmes plutôt que de défrayer la totalité d’un salaire pour rétribuer le travail d’un employé. En bout de ligne, lorsque le programme grâce auquel ils sont en emploi prend fin, les travailleurs se retrouvent bien souvent devant rien : ils n’ont pu profiter de ce temps pour se chercher un emploi plus stable, et ils n’ont plus accès aux prestations d’assurance-emploi. Certes, ils ont acquis une expérience de travail de plus. Cependant, il ne faut pas oublier qu’il s’agit ici de travailleuses et de travailleurs intermittents et qu’ils ont donc déjà, pour la plupart, plusieurs expériences de travail à leur actif. Dans un contexte où ils ont des contrats de plus en plus courts, sur appel ou avec un nombre réduit d’heures de travail dans une semaine, des travailleuses et travailleurs intermittents vont cumuler des emplois pour obtenir des revenus plus substantiels ou encore pour augmenter leurs chances de se maintenir en emploi. Cette stratégie comporte cependant des coûts : le nombre d’heures consacrées au travail peut parfois devenir très élevé et empiéter alors sur la vie privée et sur la vie sociale quand ce n’est pas l’incompatibilité des horaires qui provoque des situations intenables. Parmi les personnes rencontrées pour cette étude, 13/52 cumulent deux et parfois même trois emplois selon les périodes de l’année. Parmi ces treize personnes, onze sont des femmes. Il faut peut-être rappeler ici que notre échantillon est composé d’un nombre beaucoup plus élevé de 52 femmes que d’hommes qui ont des emplois à temps partiel faute de ne pouvoir en obtenir un à temps plein. Il va donc de soi qu’elles soient également plus nombreuses à cumuler des emplois. Les plus scolarisées et les plus âgées vont cumuler deux emplois comme salariée ou, plus fréquemment, un emploi comme salariée et un autre comme consultante, les deux emplois étant reliés à leur domaine de formation. Celles qui ont aussi une formation universitaire ou une spécialisation de niveau collégial mais qui sont plus jeunes vont cumuler un emploi sur appel lié à leur domaine de formation avec un emploi dans la restauration; type d’emploi qu’elles ont depuis leurs études et qu’elles continuent à maintenir même si elles sont diplômées depuis quelques années. Enfin, les moins scolarisées cumulent, avec l’emploi qu’elles occupent depuis plusieurs années mais pour lequel elles travaillent un nombre d’heures de moins en moins élevé, un nouvel emploi dans la vente ou la restauration. Même si elles doivent cumuler deux ou trois emplois pour arriver, ces personnes ne sont pas nécessairement au travail 35 heures par semaine toute l’année. Mais la plupart d’entre elles connaissent, par période, des semaines où elles vont aligner dans la même journée deux emplois, faire douze ou seize heures de travail par jour ou encore 70 heures dans une semaine. Outre le fait que ces moments finissent par épuiser les personnes s’ils se prolongent, ils laissent peu de temps, de place et d’énergie pour d’autres occupations. La disponibilité et le temps consacré aux proches est alors réduit au minimum. Enfin, lorsqu’arrive un moment de répit, la fatigue ressentie inhibe souvent toutes les initiatives. Parmi les personnes qui cumulent des emplois, six sur treize ont au moins un emploi sur appel et parmi l’ensemble de celles qui ont été rencontrées, onze sur 52 travaillent sur appel. Travailler sur appel signifie alors pour ces personnes qu’elles sont susceptibles à chaque jour ou presque d’être appelées pour entrer au travail pour la journée ou pour une partie de la journée. Elles sont généralement sur le qui-vive du début de la matinée jusqu’à la fin de l’après-midi, car être sur une liste de rappel implique d’abord de pouvoir être rejointes presqu’en tout temps. La possession d’un répondeur ou d’une pagette permet une plus grande mobilité et facilite la vie, mais jusqu’à un certain point seulement. Disposer d’une pagette suppose en effet de rester à 53 proximité d’un téléphone pour retourner l’appel dans les plus brefs délais, et limite aussi les possibilités de dire non lorsque l’employeur appelle... Être sur une liste de rappel implique ensuite que les plages horaire déclarées disponibles soient constituées d’activités qui peuvent être immédiatement interrompues et ce, sans trop d’inconvénients; ce qui rend impossible l’inscription à des cours ou encore à toutes formes d’activités récurrentes lors de ces périodes qui, rappelons-le, peuvent couvrir une bonne partie ou même l’ensemble de la journée. Ceci suppose également d’accepter d’interrompre l’activité du moment pour se préparer à entrer au travail. T'es sur appel, comme un scout, toujours prêt! Ces conditions engendrent chez les personnes qui travaillent sur appel un sentiment de frustration lié au fait que toute leur vie, ou du moins une partie importante de leur temps est mobilisé pour le travail, alors que dans les faits elles travaillent parfois fort peu pendant certaines périodes et sont aussi fort peu rémunérées; ce qui limite évidemment les bénéfices à tirer d’un tel investissement. Huit des onze personnes qui travaillent sur appel n’ont pas de conjoint. Deux d’entre elles ont d’ailleurs vécu une rupture lors des dernières années. Dans les deux cas, cette rupture était reliée en partie à l’incompréhension qu’affichait le conjoint face à ce que vivait sa partenaire ou encore au fait qu’il lui était difficile de planifier des vacances, des sorties. Cinq des onze personnes qui travaillent sur appel ont des enfants, mais, dans tous les cas, il s’agit d’adolescents ou de jeunes adultes. 6.4 Les pertes répétées du statut de travailleuse ou de travailleur Les travailleuses et les travailleurs intermittents se caractérisent par le fait qu’ils passent continuellement d’une période où ils ont un emploi à une autre période où ils se retrouvent sans emploi. C’est donc dire aussi qu’ils passent continuellement d’une période où ils ont une place comme travailleuse ou comme travailleur à une autre période où ils perdent et se voient retirer cette place dans le monde. Évidemment, l’intensité des sentiments associés à cette perte varie selon la durée des périodes chômées. L’intensité des sentiments à propos de cette perte varie 54 aussi selon la valeur accordée au fait de se considérer et d’être considéré comme travailleuse ou travailleur. Pour des travailleuses et des travailleurs intermittents, de longues périodes sans contrat ou emploi les amènent parfois à remettre en question leur valeur comme professionnel, mais comme personne aussi. Des démarches d’emploi qui se soldent trop souvent par des échecs les questionnent sur la valeur du curriculum vitae qu’ils présentent aux employeurs, les questionnent également sur les références données par d’anciens employeurs à propos de leur prestation en emploi. Enfin, certains estiment que de fréquents changements d’emploi leur portent préjudice et vont tenter de présenter leur curriculum vitae en tentant de les camoufler. Il y en a aussi qui se demandent s'ils sauraient encore effectuer les tâches reliées à leur domaine d’emploi lorsqu’il y a longtemps que leurs compétences ont été mises à l’épreuve. Par ailleurs, lorsqu’ils savent détenir toutes les qualifications nécessaires pour les emplois postulés, ils en arrivent à penser que l’image projetée, leur manière d’être, leur visage, leur habillement ne plaisent pas aux employeurs ou ne correspondent pas à ce qu’ils recherchent, et expliquent sans doute les résultats infructueux de leurs démarches d’emploi. Les pertes répétées de leur statut de travailleuse ou de travailleur provoquent de plus des réactions chez les proches qui peuvent susciter une gêne ou un malaise dans les relations. Les plus jeunes vont parfois dire que leurs parents mettent en doute leur désir et leur volonté de travailler, ou encore comprennent mal qu’ils ne réussissent pas à se trouver un emploi stable avec le niveau de formation qu’ils détiennent. D’autres qui sont parents, sentent que leur nouvelle situation en emploi leur a fait perdre le prestige ou à tout le moins l’image qu’ils avaient auprès de leurs enfants. Et vis-à-vis de connaissances plus lointaines, certains préfèrent réduire le nombre de contacts ou de rencontres qu’ils sont susceptibles de faire plutôt qu’avoir à répondre à l’éternelle question : “Qu’est-ce que tu fais? Où travailles-tu ?”. D’autres règlent le problème en mentant sur leur situation d’emploi. 6.5 Des rapports sociaux stratégiques et parfois “sans lendemain” 55 Ne pas avoir de stabilité en emploi est susceptible d'imposer une dynamique relationnelle particulière au travail pour celles et ceux qui, par exemple, changent constamment d'environnement de travail, qui dans une année sont à l’emploi de plusieurs entreprises, plusieurs organisations. En effet, ce contexte ne semble pas, à prime abord, réunir des conditions qui favorisent la création et le maintien des liens sociaux. Pourtant, certains des travailleurs et des travailleuses qui vivent cette situation en emploi arrivent à créer des liens au gré de leurs passages dans différents milieux de travail, des liens d’ailleurs qu’à l’occasion ils maintiennent une fois le contrat terminé. D’autres vont dire, par contre, que leur investissement dans le développement des relations sociales au travail dépend de la durée de leurs contrats : lorsqu’il s’agit d’un contrat de quelques semaines seulement, ils ne font pas d’efforts particuliers pour mieux connaître les personnes qu’ils côtoient, alors qu’ils peuvent s’y appliquer davantage si le contrat se prolonge. L’analyse des trajectoires professionnelles des personnes qui ont participé à cette étude indique cependant que le fait de ne pas être lié à certaines entreprises ou organisations correspond à la réalité d’une portion seulement des travailleuses et des travailleurs intermittents qui composent notre échantillon. Plusieurs femmes travaillent en effet, par période et à temps partiel, pour une même entreprise, et plusieurs hommes sont rappelés bon an mal an par les mêmes employeurs pour effectuer des contrats. Dans ces cas-ci, leur situation en emploi est donc plus à même de favoriser la création et le maintien de liens sociaux. La littérature indique que les personnes concernées par la précarité d'emploi se trouvent dans un contexte de travail susceptible d'accentuer les rivalités entre les individus. Plus précisément, elles seraient dans un environnement propice au développement de deux types de rivalités : les rivalités entre le personnel salarié et le personnel contractuel ou temporaire; les rivalités entre les personnes contractuelles ou temporaires. Or, l’analyse des entrevues réalisées auprès des 52 participantes et participants à cette étude montre d’abord que les individus les plus stratégiques tentent d’éviter les situations de conflits avec leurs collègues, —qu’ils soient à statut précaire ou permanent —, et ce, pour ne pas nuire à leurs chances d’être réembauchés. La plupart sont conscients d’être dans un contexte où ils se doivent d’être le plus performant et le plus 56 sympathique possible à l’égard de leurs collègues de travail. Malgré tout, des travailleuses et des travailleurs intermittents se sont à l’occasion sentis en compétition avec d’autres employés occasionnels au niveau de l’attribution des contrats, du nombre d’heures de travail ou encore des responsabilités. Plusieurs organismes respectent toutefois les règles d’ancienneté, ce qui limite les possibilités de rivalités entre les employés à statut précaire ou encore de tensions avec les supérieurs immédiats. Par contre, des travailleuses et des travailleurs intermittents ont parfois le sentiment de ne pas être appréciés par celles et ceux qui ont des permanences en emploi. Ces derniers se sentent menacés par les employés qui n’ont pas de stabilité d’emploi et qui performent aussi bien qu’eux au travail mais coûtent moins cher à l’employeur. D’autres vont dire que les permanents estiment généralement que les employés les plus jeunes ou ceux sur appel, par exemple, n’ont pas toutes les compétences nécessaires pour effectuer le travail exigé et ne leur font pas confiance. Des personnes engagées par le biais de programmes gouvernementaux sentent qu’elles ne bénéficient pas de la même considération que les autres employés. En contrepartie, plusieurs travailleuses et travailleurs intermittents portent un regard somme toute assez méprisant sur la prestation de celles et de ceux qui sont plus âgés ou qui ont des permanences en emploi. Ils vont dire que les employés à statut précaire sont engagés pour pallier à l’incompétence des employés permanents, qu’ils sont plus rapides qu’eux dans l’exécution de leur travail, qu’ils sont beaucoup plus centrés sur la tâche à accomplir, qu’ils remplissent des mandats que les plus âgés ou les permanents n’auraient jamais réussi à réaliser dans les conditions qui sont les leurs. Les changements constants d’entreprises ou ces aller-retour dans différents milieux de travail ne favorisent pas non plus le sentiment d'appartenance à un collectif de travail. Cette distance à l’égard des collectifs de travail se manifeste de deux façons. Plusieurs ne paient plus les cotisations exigées pour être membre de leur corporation professionnelle, soit parce qu’ils en déplorent les coûts trop élevés compte tenu des avantages retirés, soit parce qu’ils estiment que les corporations ne défendent pas ou défendent mal les intérêts des travailleuses et des 57 travailleurs à statut précaire. D’autres ont abandonné leur implication syndicale pour les mêmes raisons. Les personnes qui vivent l'intermittence en emploi sont placées dans un contexte de production du travail où elles doivent satisfaire les exigences de leurs employeurs au risque d’abord de voir leur contrat abrégé ou prendre fin, ou encore au risque de perdre leurs chances d'être réengagées ou d’être recommandées auprès d’autres employeurs. Aux dires de certaines des personnes rencontrées et qui font partie des plus scolarisées, ce contexte comporte une exigence de performance qui est assez élevée. Ainsi, plusieurs ont affirmé être poursuivies par le sentiment qu’ils doivent constamment prouver à leurs employeurs qu’ils sont les meilleurs et ce, pour valider le fait qu’il faut les privilégier pour effectuer les contrats à venir. Cependant, cette exigence de performance continuelle finit au bout de quelques années par être difficile à tenir, crée à la longue une certaine fatigue et une certaine lassitude. Plus précisément, lorsque cette attitude en emploi n’a pas permis d’obtenir de meilleures conditions de travail ou une plus grande sécurité d’emploi au bout d’un certain temps, les bénéfices perçus ne sont pas satisfaisants et la motivation nécessaire pour maintenir ce niveau de performance finit par faire défaut. Certes la majorité des travailleuses et des travailleurs intermittents tentent d’éviter les conflits avec leurs employeurs ou leurs supérieurs immédiats. Dans un contexte où la main-d’oeuvre disponible dépasse de loin les emplois offerts, dans un contexte où les employeurs n’ont aucune obligation envers leur personnel à statut précaire, un conflit avec l’employeur a pour conséquence quasiment inéluctable d’être remercié ou d’annuler toutes chances d’être réembauchés pour un prochain contrat. Évidemment, cette situation laisse très peu de marge de manoeuvre aux travailleuses et aux travailleurs intermittents pour négocier quoi que ce soit avec leurs employeurs. Ils ont en fait la possibilité et le choix de quitter leur emploi ou de refuser un contrat qui leur est proposé lorsque le contexte d’embauche ne leur convient pas. À cet effet d’ailleurs, six des 52 travailleuses et des travailleurs rencontrés ont vécu une expérience où ils ont préféré quitter ou refuser un contrat et se retrouver sans emploi et parfois sans ressource, parce qu’ils estimaient l’employeur tyrannique ou despote, ou encore parce qu’ils avaient le 58 sentiment d’être exploités par un employeur qui ne tenait pas ses promesses à propos de l’amélioration des conditions de travail. 6.6 La diversité des milieux de travail Les travailleuses et les travailleurs intermittents se caractérisent par le fait qu’ils n’occupent pas de façon continue une fonction particulière dans un lieu de travail précis. Certains changent constamment de milieu de travail et retournent rarement chez leurs anciens employeurs, d’autres y reviennent par périodes et de manière récurrente. Ces conditions ne favorisent guère cependant l’installation dans un milieu. Ainsi, la plupart des travailleuses et des travailleurs intermittents dont le type d’emploi nécessite généralement l’occupation d’un bureau avouent investir peu l’espace physique qui leur est alloué : ils ne mettent rien sur les murs, à peu près rien dans les tiroirs, et leur matériel de travail reste contenu dans des boîtes ou une valise qui se transportent aisément. La plupart d’entre eux s’accommodent bien de cette situation, mais certains aspirent obtenir un jour un bureau où ce ne seront pas les photos des enfants des autres qui orneront les murs. Par ailleurs, ces changements constants ou ces aller-retour dans différents milieux de travail ne favorisent guère le développement de la compétence professionnelle. D’abord pour celles et ceux dont le type d’emploi généralement occupé exige le maniement d’outils et d’appareils, cette situation rend plus difficile l’exécution du travail, car le matériel utilisé est rarement semblable d’un endroit à l’autre. Celles et ceux aussi dont le travail est susceptible de profiter d’une bonne connaissance des us et coutumes de l’organisation, ne sont guère favorisés par un contexte d’emploi où ils sont seulement de passage. Cette situation amène d’ailleurs la majorité des travailleuses et des travailleurs intermittents rencontrés à dire qu’il leur faut avoir et développer une très grande capacité d’adaptation pour réussir à être productif dans le contexte de travail qui est le leur. Certains valorisent le développement de cette capacité, mais d’autres estiment qu’elle se fait au détriment de l’acquisition d’une véritable expertise ou spécialisation professionnelle. 7. Rapport au travail et intermittence en emploi 59 Pour aborder l'analyse du rapport au travail, nous nous sommes référées aux dimensions de la définition de Revuz (1993): l’avoir, la place, le faire et l’être. Toutefois, à partir des récits des travailleuses et des travailleurs intermittents rencontrés, il nous a été possible de donner à ces concepts un contenu empirique qui rend compte de la variabilité du rapport au travail et de son ancrage dans la réalité des situations vécues. Gagner sa vie convenablement, être reconnu et avoir une place sur le marché du travail, faire partie d’un milieu et entretenir des relations avec les autres ou encore avoir du plaisir en faisant ce qu’on aime et en se réalisant comme personne, voilà autant d’attentes ou de bénéfices associés au travail rémunéré. Pour les personnes rencontrées, le rapport au travail reflète toutes ces dimensions à des degrés différents cependant, selon leur expérience singulière, c’est-à-dire les circonstances de la vie, les ressources personnelles, les aspirations, les échecs ou les réussites professionnelles et le temps qui passe tel que nous avons pu le constater dans la description des conditions de vie des intermittentes et intermittents et des profils qui caractérisent les situations d’intermittence. L’importance et la valeur accordées au travail rémunéré rendent compte d’un processus dynamique qui évolue, comme nous avons pu l’observer, selon l’écart qui se creuse ou au contraire les concordances qui s’établissent entre ses aspirations et ce qui est vécu. Ainsi, on peut dire que le rapport au travail se construit, s’ajuste ou change de cap de façon radicale, selon ses expériences de travail et la teneur des besoins à satisfaire dans un espace de temps donné. Pour cette raison, il s’agit d’un phénomène fluide, c’est-à-dire difficile à saisir et à dissocier des autres phénomènes concomitants. Toutefois, des différences se dessinent selon le parcours d’emploi et le sentiment d'emprise qu'on a sur lui, selon le sexe et selon la situation d'intermittence. 7.1 Le travail, c’est... 7.1.1 Gagner sa vie Pour tout le monde, le travail rémunéré est un moyen de subsistance qui accorde une autonomie plus ou moins grande vis-à-vis des autres, selon les revenus qu'il procure. Cette capacité de pouvoir subvenir à ses besoins de base, —se nourrir, se loger, se déplacer—, est déterminante pour une majorité de personnes. Je le paie très cher, mais je pense que ça m'a ramenée à 60 l'essentiel à beaucoup de points de vue (Madeleine, 47 ans, formation universitaire). En effet, ce sont le plus souvent les difficultés liées au fait de gagner sa vie qui font gonfler l'insécurité et pousser à réviser ses ambitions et, conséquemment, à changer son mode de vie, à réévaluer l’essentiel, voire à questionner son orientation professionnelle. Dans le même sens, le cumul des privations et des pertes et l'urgence des besoins à satisfaire vont faire varier l'évaluation subjective des revenus et teinter le rapport au travail. C'est rendu que l'argent, c'est même plus un critère. T'espère juste avoir un revenu qui va te permettre de payer ta bouffe, de te loger décemment pis d'avoir un peu de loisirs de qualité de vie... un peu de sport pis un peu de sorties. (...) Avant je pensais qu'il fallait gagner de plus en plus. Mais je pense que déjà, avoir un statut de travailleur, c'est quelque chose. (...) Je cherche comment je pourrais avoir un moyen de subsistance autre que le travail aujourd'hui, alors qu'autrefois, le travail pour moi, c'était comme la famille, c'était à peu près sur le même plan, c'était la réalisation, le bien-être, c'était le statut, la reconnaissance, c'était la santé mentale. (Colette, 52 ans, formation universitaire) Rares sont les personnes qui ne voient dans le travail rémunéré qu'une simple source de revenus ou encore s'y résignent après avoir connu de multiples déceptions. Plus que subsister ou survivre, un revenu acceptable, c’est un moyen d'accéder à autres choses par le pouvoir de consommation qu’il procure, qui permet de hausser son niveau de vie ou tout au moins d’améliorer sa qualité de vie, et par les tracasseries qu'il permet d'éviter pour planifier le lendemain. Vivre au lieu de survivre. L'insécurité financière est ressentie plus durement selon les obligations à rencontrer, qui s'accroissent souvent avec l'âge, le caractère plus ou moins subit de la perte de revenus et le niveau de vie antérieur. L'insécurité financière, c'est le pire de tous les dégâts (Lucille, 48 ans, formation collégiale). Le réseau de soutien sur lequel on peut s'appuyer rend l'expérience de la précarité d'emploi plus ou moins pénible. C'était vraiment une drop sociale à tous les points de vue pour moi. Au moins, on s'en sortait à deux..une chance parce que ça aurait été le bien-être social, j'aurais pas eu le choix! (Alain, 50 ans, formation universitaire). L’insécurité financière force différentes stratégies pouvant aller du cumul d'emplois, à l'endettement, à l'acceptation de petits boulots alimentaires ou au développement de sa propre entreprise pour se "créer" un emploi. C'est aussi l'insécurité qui va ébranler le rapport au travail 61 en plaçant les personnes qui la ressentent le plus fortement au centre de contradictions vis-à-vis la place que prend dans leur vie le travail rémunéré et le plaisir qu'ils ou elles en retirent. C'est sûr que là, il y a une zone qui prend toute la place pis ça, j'ai de la misère parce que c'est pas ça, pour moi, la notion, la valeur au niveau du travail. La relation au travail c'est que tu vas chercher une satisfaction à l'intérieur de [ça]. Ça occupe une partie de ton temps mais normalement ton travail doit pas t'empêcher d'avoir une vie de famille, une vie sociale, une vie à deux, mais les trois en même temps. (...). C'est comme, y a plus de juste milieu. (Chantal, 39 ans, formation collégiale). Aussi, la recherche d'une stabilité financière qui sécurise et permet de planifier l'avenir peut pousser à faire des concessions sur ses conditions de travail, que ce soit accepter une déqualification, une baisse de rémunération ou encore se contraindre à un horaire ou un échéancier particulièrement exigeants pour l’organisation de vie quotidienne et son bien-être. Je serais prête à accepter...pas n'importe quoi, mais pour autant que j'en aurais assez pour moi, c'est tout ce que je demande maintenant...Je demande ce qu'il faut pour avoir une vie décente et c'est tout, même au niveau du contenu du travail comme tel, mes exigences ont baissé aussi. Je suis prête à prendre des choses qui sont beaucoup moins...qui correspondent pas vraiment à mes compétences...on peut toujours tirer du positif d'une expérience quelle qu'elle soit...quand on a pus rien, tout est mieux que rien...J'aime mieux être payée à contrat que pas avoir de contrat (Madeleine, 47 ans, formation universitaire). Enfin, gagner sa vie c’est aussi pouvoir l’organiser, la structurer en ayant une stabilité financière, en suivant le rythme du monde autour de soi et en étant capable de voir plus loin que le bout du mois. La régularité des revenus permet de préparer son avenir, de faire des projets ou de réaliser des rêves, bref d’avoir un contrôle sur sa vie en étant autonome et indépendant financièrement. Comme là [si] j'aurais travaillé, c'est le fun, t'arrive le vendredi, c'est le fun! La fin de semaine!...Quand tu travailles pas, le samedi, le dimanche, c'est comme la semaine...c'est pas motivant...t'avances pas dans la vie. Les autres, ils avancent, tu vois la différence! Toi, t'avances pas..T'es encore retombé à zéro. (Jean, 35 ans, formation secondaire) 7.1.2 Être reconnu-e, avoir sa place Les personnes associent régulièrement le revenu à une forme de reconnaissance, plus précisément à la valeur accordée à ce qu’elles font. C'est ma créativité, c'est mon énergie qu'on 62 va chercher, c'est ma générosité. Ben, un moment donné, il faut que ça se paie aussi (...) J'ai pas de plan de carrière, sauf que je veux bien gagner ma vie ... je veux faire quelque chose de créateur, mais bien gagner ma vie...la reconnaissance, c'est par le salaire (Dominique, 41 ans, formation universitaire). Si plus jeunes et avec moins d’expérience de travail, certains et certaines peuvent supporter des conditions peu avantageuses pour faire valoir leurs capacités en espérant pouvoir améliorer leur sort avec le temps, après quelques années de régime précaire, les illusions se perdent et la déception est manifeste. Je me pète pas les bretelles..mettons que j'aurais un job permanent, je me péterais pas les bretelles nécessairement. On veut toujours...Je pourrais arriver, pis m'asseoir sur mon bacon comme bien des gens font et dire au moins, j' suis pas assisté social (...), mais au moins j' suis pas à l'extérieur du milieu de travail, j'ai un statut, mais ce statut là ne me satisfait pas. J' suis ben content quand je reçois ma paie, c'est pas un problème! Mais je sais que je peux faire mieux. Faudrait juste me donner la chance...mais c'est difficile. (Marc, 33 ans, formation universitaire) D’autres, au contraire, épuisés par l’instabilité financière et l’incertitude professionnelle, se résigneraient à une faible rémunération pour avoir un statut de travailleur et un revenu régulier. Moi je pense comme tout le monde, je prévoyais avoir un emploi qui me permettrait d'arriver...mais surtout un emploi que j'aimerais. (...) Je me voyais dans une situation où tu...ça te permet d'arriver, tout simplement (...) S'il s'ouvrait, où je suis, un poste en entretien, c'est sûr, c'est pas ça que j'aime le mieux, mais au moins ce serait ça. (Didier, 35 ans, formation collégiale) Avoir un travail, un travail stimulant et payé convenablement, c’est aussi être reconnu par les autres, se sentir désiré, ne plus être exploité. Que ce soit par la société qui te fait une place et permet d’acquérir un statut et, dans certains cas, donne l’opportunité de sortir d’un milieu défavorisé depuis l’enfance et d’accéder socialement à un meilleur rang. Quand tu travailles, t'es quelqu'un...Pour moi, c'est comme tu vas toucher ton rang social, tu vas toucher à tes droits, tu vas démontrer...tu sais ça va tout chercher là (Chantal, 39 ans, formation collégiale). Le travail, c'est intimement relié à l'estime de soi...dans une société comme la nôtre, quand t'as pas de travail, t'existes plus (Gilles, 43 ans, formation universitaire). C’est aussi la reconnaissance par un patron ou des collègues qui accordent une valeur à tes compétences. L'idéal que je vise moi, c'est d'avoir des offres d'emplois différentes, mais avec des défis, des choses à réaliser. Aussi, je souhaiterais un jour apporter ma 63 contribution de façon plus particulière...j'aimerais ça faire ma marque dans quelque chose. Mais j'ai pas eu d'occasion de pouvoir le faire parce que je me promène d'un emploi à l'autre, d'un contrat à l'autre. C'est pour avoir de la reconnaissance pour soit perdurer dans un milieu ou avoir des responsabilités telles que ça ait un impact important. (Laval, 32 ans, formation universitaire) Pour ceux et celles qui ont connu une stabilité d’emploi qui leur a permis d’atteindre un niveau de vie et un pouvoir de consommation satisfaisants, retrouver un emploi et le conserver c’est, en plus de maintenir ses acquis, rester fier face à soi et aux autres. Parce que le travail est considéré comme un révélateur des forces et des faiblesses au regard des autres et tout autant à son propre regard. J’ai besoin de travailler pour me retrouver. Avoir un travail, c’est avoir une valeur personnelle, se sentir quelqu’un et garder son estime et sa confiance en soi. C’est aussi maintenir et faire valoir ses compétences en étant intégré à un environnement professionnel, c’est resté visible, se faire connaître. J'ai toujours eu quand même du travail qui était assez...dans lequel je dégageais aussi une fierté de faire ça. Pis c'était important. Je réglais des dossiers, je faisais des...la tête c'est important. Comme pour moi, quand je fais rien, quand je crée pas, quand... je rédige beaucoup d'affaires, je gère beaucoup de dossiers, pis quand je fais pas ça, j'ai l'impression de tout perdre. Tout perdre pis tout oublier pis ça me stresse beaucoup...Pis en faisant ça, je me sentais tellement écrasée en étant au magasin. Je me disais "Ça se peut pas, je suis rendue là à être dans un magasin, debout, à attendre les clients!" (...) C'est dur physiquement, c'est dur mentalement, c'est dur pour ton estime personnelle. (Véronique, 32 ans, formation collégiale) 7.1.3 Créer des liens Le travail a une force d’intégration indéniable et, pour plusieurs, donne le sentiment d’être utiles à la société. Travailler, c’est pouvoir aider, apporter quelque chose aux autres, aux humains. Ce sont surtout des femmes qui partagent cette perspective humaniste dans laquelle le monde du travail devrait permettre aux individus de participer à un projet de société auquel chacun apporterait sa contribution. Le travail a beaucoup d'importance en autant où moi je rapporte aux autres. Je suis une fille de service, une fille d'écoute...c'est là que je vais chercher ma valorisation. (...) J'ai du fun à travailler dans ce type de travail que j'ai à peu près toujours fait, c'est-à-dire en relation avec les humains et apporter quelque chose (Lucille, 48 ans, formation collégiale). 64 Est-ce pour cette raison que certaines vont faire du bénévolat? Dans certains cas, il semble que oui, mais le bénévolat c’est aussi pour soi, pour sortir de la maison, s’occuper, faire quelque chose, rencontrer du monde, garder des contacts ou acquérir une expérience qui pourrait servir à trouver du travail. Le bénévolat, c'est une façon de rester alerte quand on n'a pas d'emploi (Colette, 52 ans, formation universitaire). Rester en contact avec le monde, être parmi le monde, appartenir à un milieu pour retrouver son identité de travailleur, avoir des racines, créer une famille, voilà autant d’expressions qui montrent que le travail c’est aussi un lieu d’échanges, de rapports sociaux. Quand j'ai commencé à travailler, le travail pour moi (...). Je me foutais pas mal de ce que je pouvais faire (...). Mais par contre, j'ai toujours travaillé dans un climat d'équipe... avec les gens... faire des choses en équipe. J'ai toujours aimé ça, pis c'est toujours resté comme ça. (Alain, 50 ans, formation universitaire) Une ambiance agréable, un climat de confiance, un environnement de travail qui s’accorde à nos valeurs peut même prendre le pas sur une sécurité d’emploi. Ça a été tellement libérateur pour moi d'avoir à faire un choix [le milieu de travail plutôt que la sécurité d’emploi]. J'ai réalisé que finalement cette sécurité financière n'était plus obligatoire. Je sentais pas ça comme ma première motivation. J'étais vraiment libérée... J'ai fait un choix éclairé et c'est ce que je désire. C'est pas juste "Il faut que je le prenne!" Ça fait qu'il y a vraiment du désir, une décision plus par mon coeur que par mon portefeuille. (Diane, 42 ans, formation collégiale) Le faible ancrage dans un milieu de travail, consécutif à une situation de forte intermittence en emploi, suscite des réactions opposées qui laissent voir des formes variées de rapport au travail. D'un côté, l'intermittence offre des avantages en permettant d'éviter d'être cristallisé dans des problèmes ou des conflits. Comme je suis de passage, je dépense pas d'énergie... tu restes plus en retrait... j'ai pas de problème avec l'isolement pis l'autonomie (Laval, 32 ans, formation universitaire); de l'autre, avec le temps, se manifeste le goût d'être à une place pis de développer... d'avoir un milieu d'appartenance, d'avoir des racines... Nous autres, ça commence à pousser un petit peu pis pouf! On s'en va! (Danielle, 42 ans, formation universitaire). 65 7.1.4 Se réaliser Les personnes qui ont connu une trajectoire professionnelle intermittente parce qu’elles recherchaient avant tout dans le travail rémunéré un moyen d’être elles-mêmes, en continuité avec ce qu’elles sont dans leur vie, que ce soit dans la sphère publique ou privée, ont un rapport au travail davantage axé vers l’adhésion à certaines valeurs et normes qui vont orienter leur choix d’emploi. J'aimerais ça quelque chose de stable, mais ce quelque chose là, il faudrait qu'il me plaise royalement. Quelque chose qui me procurerait des défis, du changement, des nouvelles affaires ou qui m'amènerait à quelque part où je connais tellement pas que j'en aurais beaucoup et longtemps à apprendre et à développer (Émile, 30 ans, formation universitaire). Ce sont des personnes qui privilégient l’autonomie, la créativité et le plaisir au travail et qui, pour ces raisons, vont s’accommoder d’un revenu moindre et d’une relative insécurité qu’elles vont compenser par un investissement hors travail qui permet de supporter les périodes où le travail rémunéré est inaccessible. Plusieurs vont d’ailleurs choisir de travailler à leur compte. J'ai toujours changé, tout le temps, tout le temps, tout le temps...c'était plus les nouvelles affaires qui me stimulaient que de monter...c'était pas les promotions. Moi, le travail, il fait partie de ma vie, c'est pas ma vie au complet. Pis je vis pas pour travailler non plus. (...) Pourvu que moi je sente que ça travaille pis que moi j'avance, que j'aime ça, que tu t'investis dans quelque chose...En termes d'avantages, c'est aussi pesant...ça compense largement l'insécurité. C'est payant dans ce sens-là. (Sonia, 42 ans, formation universitaire) L’autonomie recherchée s’exprime occasionnellement par le pouvoir que donne le travail, non seulement sur ce que l’on fait, mais aussi un pouvoir dans l’organisation pour laquelle on travaille. D’ailleurs, outre des revenus réguliers, l’autonomie est une dimension qui est souvent utilisée pour décrire des conditions de travail satisfaisantes. Notons que la recherche du pouvoir que peut conférer le travail au sein d'une organisation est une dimension qui préoccupe davantage les hommes. Y a un prix là...Je paie le prix pour être indépendant, pas avoir le boss en arrière de moi...ça vaut la peine (Jean, 35 ans, formation secondaire). 66 7.1.5 Avoir du plaisir à travailler La réalisation de soi est souvent associée à la notion de plaisir retiré par l'accomplissement d'un travail. Dans cette perspective, le plaisir peut être procuré par l'exercice des activités professionnelles, des tâches inhérentes à un emploi spécifique. L’orgueil du travail bien fait, la possibilité de faire valoir ses compétences professionnelles, et à travers elles sa personnalité, et s’accrocher à l’amour du métier peuvent apporter une satisfaction plus grande que la stabilité professionnelle, voire la sécurité financière. Il ne faut cependant pas conclure que le plaisir à travailler est exclusivement le lot des personnes qui voient dans le travail qu’elles exercent une prolongation d’elles-mêmes et de ce qu’elles veulent faire de leur vie. Le plaisir peut aussi résider dans le simple fait d’être actif, de se changer les idées, d’avoir un métier. Moi quand j’ travaille pas, j’ suis rien. Le travail dans certains cas est vu comme une activité ludique, pourvu qu'il soit diversifié, permette des découvertes et laisse un certain contrôle sur son temps et sur ses activités. Travailler c’est s’amuser, quand un milieu de travail est agréable, c’est travailler sans travailler. Moi, je me suis toujours dit qu'il n'y a pas de sot métier, de sottes gens, donc j'ai de la facilité à accepter n'importe quoi. Parce qu'on peut sentir quelque chose de valorisant dans tout travail, dépendamment du coeur qu'on met à le faire. Mais non j'aime...j'aime tout faire. (Arlette, 55 ans, formation secondaire) Parmi elles, plusieurs disent mal supporter la pression, ce qui les a amenées d'ailleurs à changer d’emploi fréquemment. Enfin, l'idée qui revient le plus fréquemment pour expliquer le besoin de changement est la difficulté à supporter la routine. La stabilité en emploi est justement associée à la routine pour plusieurs des personnes qui adhèrent à cette idée. J'ai toujours aimé voyager, j'ai tout le temps aimé connaître pis aller d'une place à l'autre. Pourquoi m'enlever ça si je suis heureux là dedans moi? Plus y va y avoir de nouveaux produits, plus je vais être heureux...Si c'est toujours les mêmes, un moment donné, je vais me tanner...même si je change de commerce à toutes les fois. Ça va devenir une routine pis ça non...Progresser, faire une progression des choses. (Gratien, 48 ans, formation secondaire) 67 En ce sens, le plaisir au travail peut être assombri dans un milieu où on se fait crier après, où on ne se fait pas respecter. Sans vouloir nécessairement créer des liens ou rechercher un milieu d'appartenance, un climat de travail et des relations agréables avec les collègues sont généralement valorisés et vont peser dans la balance quand il s'agit de garder ou de choisir un emploi. 7.2 Le rapport au travail : un concept plein de sens En s'inspirant de Revuz qui situe le rapport subjectif au travail autour de l'Avoir, de la Place, de l'Être et du Faire, il est possible de structurer les données recueillies et de mettre en évidence les multiples dimensions du rapport au travail. Gagner sa vie prend plusieurs sens liés à la fois à l'Avoir et l'Être. D'abord celui d'assurer sa subsistance, en fait de gagner sa croûte et avoir de quoi manger et se loger. Mais la vie ne se réduit pas à la survie et c'est en ce sens que la gagner, c'est aussi avoir un revenu qui donne un pouvoir de consommation et une qualité de vie. Ainsi, à travers les choix que peux permettre l'autonomie financière, c'est une part de soi qui se réalise, le pouvoir de faire des projets, de réaliser ses rêves, de planifier son avenir. L'avoir prend aussi un sens qui touche, tout comme la position sociale que confère le statut de travailleuse et travailleur, à la reconnaissance. Avoir un revenu décent signifie qu'on reconnaît sa valeur, la valeur de son travail, mais aussi sa valeur propre comme personne qu'on estime. Cette dernière dimension rejoint l'importance accordée au fait d'avoir une Place sur le marché du travail. En effet, une place sur le marché du travail, c'est une place dans la société qui donne de la valeur au yeux des autres et à ses propres yeux. On voit là la centralité qu'occupe le travail rémunéré dans la construction de l'identité sociale. La Place, c'est aussi un lieu habité. Plusieurs personnes ont besoin de ce contact avec les autres à l'intérieur du cadre de leur travail, besoin qui va au-delà de la reconnaissance conférée par le statut. Le travail permet de nouer des liens, de sociabiliser sur le plan professionnel, c'est-à-dire se maintenir à jour, rester visible, montrer ce que l'on sait faire, et sur le plan amical, c'est-à-dire côtoyer des gens agréables avec qui on développe des affinités. En travaillant, on peut également satisfaire ses élans altruistes, c'est-à68 dire son besoin d'aider les autres, d'apporter sa contribution, d'être utile à la société. La Place que certifie en quelque sorte le statut de travailleur participe donc d'une intégration sociale, du sentiment d'en Être. Elle suggère par ailleurs une certaine adhésion à des normes et à des valeurs collectives qui, lorsque non partagées, peut mettre en échec le rapport au travail et, si ce n'est pas à l'exclusion du monde du travail, conduit à diverses formes de marginalisation plus ou moins consenties. C'est aussi par cette dimension relative à l'Être que le rapport au travail peut traduire une sensibilité particulière à vouloir être soi-même dans la sphère publique tout comme dans la sphère privée, à chercher l'équilibre entre ses engagements au travail et ses engagements hors travail, à tenir au respect de ses intérêts, de ses valeurs personnelles et de son rythme de vie. Ainsi, si certains et certaines peuvent se réaliser pleinement dans la sphère professionnelle, d'autres par contre ont besoin de la liberté qu'ils semblent trouver dans un lien d'emploi souple. Aimer ce que l'on fait est peut-être l'image la plus juste pour refléter ce que représente le travail autant pour ceux et celles qui s'identifient à un métier et autour duquel leurs choix se sont toujours tournés, que pour ceux et celles qui voient dans le travail rémunéré une façon de s'occuper, de vivre des expériences diverses et plaisantes, sans nécessairement avoir d'ambitions précises. Le Faire prend donc une double signification à travers le fait d’être “occupé”, l’encadrement et la structuration du temps que cette occupation apporte et aussi à travers le fait de produire, que ce soit un bien, un concept, un service. Pour les travailleuses et les travailleurs intermittents, le rapport au travail apparaît lié aux sources de l'intermittence. Des spécificités sont également identifiables selon les hommes et les femmes. Globalement, les hommes ont un rapport au travail très fortement axé sur l'avoir, l'avoir comme moyen de subsistance et de pouvoir de consommation, alors que pour les femmes le statut de travailleuse et l'appartenance à un milieu de travail prédominent. Les femmes sont également nettement plus nombreuses à voir dans le travail rémunéré un lieu de réalisation de soi à travers l'utilité sociale de son travail, ce qu'il peut apporter aux "humains". D'ailleurs, parmi les personnes rencontrées, celles qui avaient des activités de bénévolat étaient essentiellement des femmes. On peut ainsi mieux comprendre le lien possible entre certaines situations à l'origine de 69 l'intermittence et le rapport au travail que nous ont permis de cerner les témoignages recueillis selon qu'on est un homme ou une femme. La perte d'un emploi stable va davantage mettre en évidence, chez les hommes, les pertes matérielles consécutives à une baisse drastique de revenus et la perte de leur autonomie financière, notamment vis-à-vis leur conjointe. Chez les femmes, la perte de revenus et d'autonomie financière vis-à-vis des autres, surtout la parenté et les amis, prend aussi une importance de premier plan; cependant, la perte du statut de travailleuse et leur marginalisation, voire leur exclusion du monde du travail sont davantage présentes dans leur discours sur le travail. En ce sens, le discours des femmes qui ont subi une mise à pied se rapproche sensiblement de celui des femmes qui ont interrompu leur activité professionnelle pour des raisons familiales ou conjugales. Parmi les personnes rencontrées, ce dernier groupe était composé exclusivement de femmes. Pour les personnes dont le parcours professionnel se caractérise essentiellement par l'intermittence en emploi, des différences s'observent entre hommes et femmes, mais également selon que l'intermittence est attribuable aux difficultés d'insertion au marché du travail ou à des choix plus ou moins contraints qui ont eu un rôle important à jouer dans la persistance de la situation d'intermittence en emploi. Les hommes qui connaissent des difficultés d'insertion se distinguent nettement par un rapport au travail peu orienté vers la réalisation de soi, sans toutefois qu'une ou l'autre des dimensions ayant trait à l'avoir, à la place ou au faire ne se démarquent. Ce sont d'abord le faire, l'amour du métier et la place, plus précisément le lien avec un milieu de travail dont les difficultés d'insertion privent les femmes, qui caractérisent leur rapport au travail. Des choix de vie professionnelle ou autres qui ont conduit à l'intermittence ont, pour les hommes, plus souvent été guidés par la fidélité à la profession, au métier, alors que pour les femmes la qualité du milieu de travail et la possibilité de se réaliser en tant que personne et être utiles ont davantage compté. 70 Finalement, la maladie ou l'inadaptation aux exigences du marché du travail ne font pas ressortir une dimension du rapport au travail dominante si ce n'est, dans l'inadaptation, un besoin très fortement exprimé d'être valorisée en tant que personne dans l'emploi occupé. 8. Travail et bien-être dans un contexte d'intermittence en emploi Pour qualifier le niveau de bien-être des travailleuses et des travailleurs intermittents, nous nous sommes référées à la définition générale de la santé mentale proposée par le Comité de la santé mentale du Québec (1994). Selon ce comité, l’équilibre psychologique d’une personne s’apprécie, entre autres, par l’évaluation subjective qu’elle fait de sa situation et par la qualité des relations qu’elle noue avec son entourage. Ainsi, les éléments du discours ayant trait aux considérations suivantes ont été utilisés pour qualifier l’évaluation des personnes à l’égard de leur situation : • le jugement porté sur la vie professionnelle et les remises en question qu’elle suscite; • les perceptions entretenues à l’égard de ce que réserve l’avenir, le sentiment de pouvoir ou non réaliser des projets qui tiennent à coeur; • les niveaux de stress atteints et les diverses expressions d'anxiété ou de désarroi telles que les crises de pleurs, les problèmes de sommeil, les difficultés de concentration, les idées suicidaires, le fait de recourir ou d’éprouver le sentiment d’avoir besoin d’aide psychologique; • l’éclosion de malaises physiques, la fatigue excessive. De plus, la place que le conjoint, les enfants, les parents, les frères et soeurs, les amis, les collègues de travail ou les employeurs tiennent dans le récit et le sentiment de satisfaction exprimé quant à ces rapports, sont des éléments qui ont servi à évaluer la qualité des relations nouées avec l'entourage. L’analyse des entrevues en fonction de ces paramètres nous a d’abord amenées à catégoriser les travailleuses et les travailleurs intermittents rencontrés en deux groupes principaux : les personnes qui ont un bon niveau de bien-être et celles qui ont un faible niveau de bien-être. Plus spécifiquement, les personnes qui manifestent un bon niveau de bien-être vont bien parce qu'elles posent un regard somme toute positif sur leur situation, gardent espoir d'améliorer leurs 71 conditions et entreprennent des actions pour y arriver, ou vont plutôt bien parce que même si elles manifestent une certaine insatisfaction face à leur situation professionnelle, elles y font face avec sérénité. D'autres sont très négatives face à leur situation, mais restent positives face à leurs capacités. De plus, les personnes qui présentent un bon niveau de bien-être voient généralement certains avantages à leur situation d'intermittence et l'attribue, en partie, à des choix qu'elles ont faits dans leur vie. Elles en prennent donc une part de responsabilité. Les personnes qui ont un faible niveau de bien-être vont plutôt mal parce qu'elles doutent pouvoir se sortir de leur situation précaire, sont fragilisées dans leur confiance en elles-mêmes ou envers les autres et risquent de perdre le peu d'espoir qui leur reste si une amélioration à plus ou moins court terme de leur situation ne se produit pas. Enfin, les personnes qui vont mal disent avoir peur de sombrer dans la maladie, certaines ont des idées suicidaires et plusieurs ne voient pas comment se sortir d’une situation qu'elles n'acceptent pas ou de laquelle elles ne tirent aucun bénéfice. Ce sont aussi des personnes qui ont tendance à se déprécier, craignent d’être mésestimées par les autres ou interprètent les réactions de leur entourage en ce sens. Tableau 7 Répartition des participantes et participants selon le niveau de bien-être (% vertical) et le sexe (% horizontal) Sexe Femmes Hommes Bien-être Bon Faible TOTAL TOTAL Bien 6(46%) (20%) 7(54%) (32%) 13(100%) (25%) Plutôt bien 8(57%) (27%) 6(43%) (27%) 14(100%) (27%) Plutôt mal 6(60%) (20%) 4(40%) (18%) 10(100%) (19%) Mal 10(67%) (33%) 5(33%) (23%) 15(100%) (29%) 30(58%) (100%) 22(42%) (100%) 52(100%) 72 Le tableau ci-dessus permet de constater que près de la moitié des personnes interviewées ont un faible niveau de bien-être au moment où elles ont été rencontrées (25/52), et parmi elles, 60% vont mal (15/25). Ensuite, 64% des personnes dont le niveau de bien-être est faible sont des femmes (16/25) et celles-ci sont surreprésentées dans le groupe des personnes qui vont mal (67% ou 10/15). L’analyse des informations relatives au niveau de bien-être révèle une constante quant à l’âge et au niveau de formation : la majorité des travailleuses et des travailleurs intermittents qui vont bien ont une formation universitaire (9/13), surtout chez les femmes (5/6 femmes et 4/7 hommes). Soulignons alors que les femmes de ce groupe font partie des 40-44 ans et les hommes, des 30-44 ans. Les travailleuses et travailleurs intermittents qui vont plutôt bien, plutôt mal ou mal sont d'âges et de niveaux de formations variés, à l'exception peut-être des hommes qui vont mal qui sont tous âgés de plus de 45 ans. Au plan des revenus, il y a une forte différence selon que l'on présente un bon ou un faible niveau de bien-être. Ces résultats sont congruents avec ce que révèle la littérature en général sur le niveau de bien-être et la situation économique. Le revenu moyen accumulé par les personnes rencontrées au cours de la dernière année se situe autour de 18 000$. Celui des personnes qui présentent un bon niveau de bien-être approche les 22 000$ alors que celui de personnes qui présentent un faible niveau de bien-être se situe à peine à 11 000$. Logiquement, on retrouve parmi les personnes qui ont les plus faibles revenus une concentration de personnes sans chèque ou recevant une allocation de sécurité du revenu au moment de la rencontre. Si on ajoute à ce groupe les personnes en chômage, on consate que 56% des personnes qui ont un faible niveau de bien-être sont sans emploi, comparativement à 41% de celles qui ont un bon niveau de bien-être. S’il est toujours difficile d'analyser la part que joue le soutien financier dans l’état de bien-être parce qu'il fait partie, la plupart du temps, d'un ensemble de conditions adjacentes, par contre il ressort plus clairement que les personnes qui ont du soutien affectif de leurs proches sont parmi celles qui présentent un bon état de bien-être et cet effet est plus fortement marqué chez les femmes. Ce sont parmi les femmes qui vont bien ou plutôt bien que l'on retrouve une plus grande 73 proportion de personnes qui peuvent compter à la fois sur du soutien financier et du soutien affectif. Il y a, en général, plus de personnes qui présentent un bon niveau de bien-être qui vivent avec un conjoint ayant un emploi, ont des enfants et qui sont satisfaites de leurs relations. Mais pour les femmes rencontrées, la vie de couple n'est pas gage de stabilité financière. Les femmes qui ont un faible niveau de bien-être et qui vivent en couple, souvent ne peuvent pas compter sur l'aide de leur conjoint, la situation de ce dernier n'étant guère plus avantageuse. Il faut signaler que plus de femmes que d’hommes rencontrés vivent seules (16 par rapport à 7); plusieurs se retrouvent isolées lorsqu'elles sont sans emploi et souffrent d'une situation économique difficile, surtout lorsqu'elles ont des enfants à charge, ce qui complique d'ailleurs les relations familiales dans certains cas. Pour les hommes qui vivent en couple, il semble difficile d’accepter la dépendance financière vis-à-vis leur conjointe même si ce soutien, pour plusieurs, les protège de la pauvreté. Les relations de couple s'en trouvent aussi entachées. Finalement, pour ces raisons, le lien entre le bien-être et le soutien financier reste complexe lorsqu'on essaie de l'analyser à un niveau plus global. Des effets s'annulent du fait de l'attitude avec laquelle ce soutien est accueilli. Plusieurs intermittents, hommes et femmes, ont exprimé leur difficulté à recevoir de l'aide, certains préférant taire leurs soucis financiers même auprès de leurs proches, d'autres limitant les sorties et les contacts sociaux plutôt que d'afficher leurs privations. 8.1 L’intermittence en emploi et le bien-être Travailler, aimer son travail et voir dans les conditions inhérentes à la situation d’intermittence en emploi une source supplémentaire de satisfaction au travail, voire une stimulation, contribuent à jeter un regard positif sur sa vie professionnelle. Or, les travailleuses et les travailleurs intermittents qui ont un bon niveau de bien-être réagissent ainsi. Ils affirment que le fait d’aller d’un contrat à un autre, de changer fréquemment d’environnement de travail, permet d’éviter la routine qui, pour eux, réfère à l’ennui. De plus, l’échéancier serré qui accompagne les contrats à durée déterminée et qui implique un travail habituellement fait sous pression, les rend plus efficaces, et aiguise même leur créativité. 74 Pour les intermittentes et intermittents qui démontrent un bon niveau de bien-être, les contrats à durée déterminée ont aussi l’avantage d’être assez précis quant aux mandats à réaliser et aux échéanciers à rencontrer, contrairement, selon eux, à ceux qui incombent aux travailleuses et travailleurs qui ont une stabilité d’emploi. Ainsi, le fait d’avoir un mandat précis à effectuer et de savoir que cette production est attendue par l’employeur augmentent la satisfaction éprouvée en emploi. [L'employeur] est obligé de me donner un vrai travail...Ça fait que moi la satisfaction au travail est relativement facile à obtenir parce que j’ai quelque chose à faire...Ça fait que c’est sûr que je suis pas une tablette quand je rentre à quelque part... je suis là parce que j’ai quelque chose à faire. (...) Je suis pas quelqu’un qui est là, qui de toute façon doit exister parce que je suis dans la convention collective... (Émile, 30 ans, formation universitaire). Enfin, le fait de ne pas avoir d’emploi stable et d’être engagés à contrat leur donne le sentiment d’avoir une certaine marge de manoeuvre dans le choix des emplois accessibles. C’est la liberté. Liberté de choisir...le fait de savoir que je peux accepter ou refuser, j’ai l’impression d’avoir plus de contrôle sur ma vie (Sonia, 42 ans, formation universitaire). Ce choix repose alors sur ce qui semble le plus intéressant, en fonction des défis à relever, des conditions offertes et des personnes avec qui ils auront à travailler. Cette liberté est bien sûr relative et dépend surtout de leur situation économique, du nombre de contrats offerts, ou encore du risque d'être acculés à la pauvreté s’ils refusent un contrat. Certains compromis peuvent donc être faits lorsque nécessaire, mais les intérêts sont généralement pris en compte. Par ailleurs, ces intermittentes et intermittents qui ont un bon niveau de bien-être croient que cette diversité dans les emplois et les environnements de travail qu’ils expérimentent permet également de développer, plus rapidement que dans un contexte de stabilité d’emploi, un ensemble de compétences multiples et variées. Ils estiment en effet que leur situation d’instabilité en emploi leur a permis de faire appel à plusieurs de leurs ressources, et aussi de les mettre à l’épreuve. Ils considèrent donc que leur situation d’instabilité en emploi les a amenés à bénéficier rapidement d’une connaissance plus étendue de leurs capacités et de leur valeur professionnelles. 75 L’avantage d’avoir des emplois précaires, c’est d'être toujours en mouvement, de changer de milieu, donc, de varier nos expériences, de faire appel à d’autres champs de connaissances... Je suis pas sûr que je serais aussi habile dans mon travail actuel, comme gestionnaire, si j’avais pas eu un nombre d’emplois précaires (Laval, 32 ans, formation universitaire). La multiplicité de leurs compétences, les connaissances acquises et la confiance qu'elles leur confèrent, sont des éléments qui, selon ces personnes, facilitent les démarches de recherche d’emploi et l’obtention de contrats. Avec le temps, elles se sentent de mieux en mieux armées pour postuler sur un nombre de plus en plus important de contrats et pour réussir à convaincre les employeurs de les engager. Les travailleuses et les travailleurs de ce groupe ont donc à l’égard de la recherche d’emploi des propos qui laissent entendre qu’il s’agit là d’une activité dans laquelle ils éprouvent une certaine aisance : ou bien les entrevues sont perçues comme autant d’occasions de se faire valoir, de relever des défis et d’enrichir leur banque d'employeurs potentiels, ou bien ce sont les employeurs qui les sollicitent. J’ai toujours été, je dirais chanceuse, ben chanceuse. En tous cas, je mets ce que j’ai à mettre en place pour avoir la chance que j’ai là mais j’ai jamais cherché d’emploi. J’ai jamais eu besoin.... on est venu me chercher (Sonia, 42 ans, formation universitaire). Or, nous verrons plus loin qu’il n’en est pas de même pour les personnes dont le niveau de bien-être est faible et pour qui les démarches de recherche d’emploi sont plutôt génératrices d’humiliation et de souffrance. Cette valorisation que leur procurent les conditions inhérentes à la situation d’intermittence en emploi amène d’ailleurs les personnes de ce groupe à se questionner sur leur désir d’avoir un emploi permanent et sur les bénéfices qu’elles pourraient en retirer. Certaines d'entre elles doutent être aussi heureuses sur le plan professionnel si elles avaient un emploi stable, l’assurance de le garder pendant plusieurs années, à faire toujours la même chose. Par contre, d’autres, malgré les bénéfices qu’elles accordent au fait d’avoir changé régulièrement d’emploi et de milieu de travail, laissent entendre qu’elles ressentent une certaine lassitude vis-à-vis leur situation d'emploi. Cette lassitude se manifeste par des moments de fatigue, des moments où elles pensent ne pas pouvoir maintenir pendant plusieurs années encore ce rythme de travail, cette intensité au travail, ou encore vivent, en prenant de l'âge, plus d’inquiétude. 76 Mais là, plus j’avance, je m’en vais sur 40 ans...Je pense que ça m’insécurise un peu. Ça me préoccupe un peu plus. Ça me préoccupe un peu plus de pas avoir de permanence...La vie que je me permets là, ça va dans une certaine mesure, mais je suis pas sûr que faudrait que je tienne ce rythme-là tout le temps (Mario, 37 ans, formation universitaire). Malgré certaines difficultés ressenties, les travailleuses et les travailleurs qui vont bien se distinguent toutefois des autres par leur optimisme à l’égard de l’avenir, et pour cause. Ces intermittents estiment que le pire est derrière eux, que les conditions de travail qu’ils prévoient obtenir pour les prochaines années sont meilleures que celles qu’ils ont connues dans le passé; ils ont eu accès à un contrat qui a de fortes chances d’être renouvelé, accumulent de l’ancienneté, ont acquis une compétence qui est maintenant connue et recherchée dans leur milieu. Disons que depuis deux ans, j’ai été moins inquiète, et financièrement, et pour le travail qui va arriver parce que depuis deux ans, c’est comme, une affaire amenait à l’autre, amenait à l’autre...on m’offrait ci, pis on m’offrait ça, puis on me le réoffrait après. Donc, j’me disais, bon ben c’est pas pire...Donc, il y a quelque chose qui se bâtit. (Dominique, 41 ans, formation universitaire). Cet optimisme se manifeste pour certains dans le fait que leur situation d’intermittence en emploi ne les empêche pas d’échafauder des projets, et aussi par le fait qu’ils croient pouvoir réaliser ceux qui leur tiennent à coeur. Il y en a d’autres par contre qui considèrent être plus limités dans leurs projets. Je me suis toujours dit : quand je vais être permanente, là, j’aurai un enfant! Mais ça fait douze ans! J’ai jamais eu de permanence. Alors, je sais jamais, si d’une année à l’autre, je vais avoir un salaire! Alors, je peux pas! Même pour investir dans une maison... (Céline, 41 ans, formation collégiale). La majorité des intermittentes et intermittents qui vont bien ou plutôt bien disent quand même avoir vécu des moments de stress associés à leur situation professionnelle, et plus particulièrement aux problèmes d’argent qu’elle engendre. L’analyse des entrevues révèle que la perspective de ne pas avoir les ressources nécessaires pour défrayer les coûts du logement, de la nourriture, et de l’électricité est la situation susceptible de générer les niveaux de stress les plus élevés. Or, pour la plupart des personnes qui ont un bon niveau de bien-être et selon ce qu’elles en disent, leurs besoins de base ont toujours été assurés. D’autres aussi, et il s’agit ici plutôt 77 d’hommes peu scolarisés qui vivent seuls, paraissent avoir peu de besoins et se satisfaire de très peu d’argent. J’ai pas de voiture pis je reste en chambre, ça fait que... J’ai pas de dettes, rien... Je dirais que le seul caprice que j’ai vraiment, comme les fins de semaine, il faut que j’aille siroter mon café (Stéphane, 37 ans, formation secondaire). Certaines de ces personnes vont alors dire qu’elles contrôlent leurs dépenses, qu’elles ne s’engagent pas à payer des mensualités qu’elles seraient incapables d’assumer lors des périodes où elles sont sans emploi. D’autres réussissent, lors des périodes où elles ont un emploi, à amasser des économies auxquelles elles peuvent recourir lorsqu’elles ont moins de revenus. Enfin, d’autres partagent leur vie avec une autre personne, ce qui leur donne l’assurance, lors des périodes difficiles, d’avoir au moins un toit sur la tête et de quoi se mettre sous la dent, ce qui limite conséquemment aussi l'insécurité éprouvée par la perspective de ne plus avoir de revenus. Par ailleurs, la majorité des personnes qui vont bien ou plutôt bien ne semblent pas trop affectées par le fait d’avoir à vivre des périodes où elles se retrouvent sans emploi. Elles se disent bien chez elles, dans leur maison, ont généralement des intérêts et des occupations en dehors de leur vie professionnelle : elles font de l’artisanat, de la musique, du sport, prennent des cours ou font partie de divers comités, d'autres profitent simplement du fait de n'avoir rien de particulier à faire... Les relations qu’elles nouent avec leur milieu,—collègues, employeurs, conjoint et enfants —, sont satisfaisantes. Ces travailleuses et travailleurs qui vont bien disent généralement d’eux qu’ils s’adaptent facilement aux autres, et qu’ils ont de bonnes relations avec leurs collègues de travail et leurs employeurs. Il faut préciser toutefois que pour ces personnes le milieu de travail ne constitue pas le principal lieu de sociabilité. Quoiqu’il puisse arriver qu’elles se fassent des amis au travail et que cette amitié perdure une fois les contrats terminés, les relations les plus intenses qu’elles établissent se nouent hors du milieu de travail. Elles vont même jusqu'à considérer que les relations au travail sont sources de problèmes. ...quand tu travailles toujours avec le même monde des fois, ...de voir cet espèce d’enfermement de bureau, ça me tombe sur les nerfs, ça se peut plus là. Des fois je trouve que le monde est bébé pis immature, pis tsé, ça crée des problèmes avec 78 rien. Pis c’est comme, ça crée un espèce de microcosme, de mini-société malsaine des fois, que ouaf! Que j’aime pas du tout du tout du tout. J’me dis, tsé, c’est sûr que j’échappe à ça (Dominique, 41 ans, formation universitaire). Or, leur situation d’emploi les amène à changer régulièrement de milieu de travail; ce qui leur évite d’être prises à partie dans les conflits et d’être cristallisé[es] dans les problèmes (Laval, 32 ans, formation universitaire). En résumé, les conditions inhérentes à la situation d’intermittence en emploi, —le fait de signer des contrats à durée déterminée et d’aller d’un contrat à l’autre, d’un environnement de travail à un autre —, procurent aux travailleuses et au travailleurs qui vont bien une valorisation que la stabilité d’emploi, pensent-ils, ne leur offrirait pas. Ces conditions leur permettent en effet d’éviter la routine, les fait produire sous pression et être alors plus créatifs, les insèrent dans un contexte de travail où ils savent ce qu’ils ont à faire et où les employeurs ont des attentes très précises à l’égard de leur travail, les amènent rapidement à développer et à diversifier leurs compétences, à mieux connaître leur potentiel sur le marché du travail, et en bout de ligne facilitent leurs démarches de recherche d’emploi, ce qui constitue un atout de taille dans un contexte de précarisation de l’emploi. Les personnes qui vont bien éprouvent donc de la satisfaction à travailler dans des conditions somme toute précaires, elles envisagent l’avenir avec optimisme et n’éprouvent pas un niveau de stress et d’anxiété très élevé. Par ailleurs, au travail comme à la maison, elles entretiennent généralement de bonnes relations avec leurs proches. Soulignons que les personnes qui vont plutôt bien comparativement à celles qui vont bien, quoiqu'insatisfaites de leur situation en emploi parce qu’elle entraîne des difficultés qui les amènent parfois à faire des concessions sur le plan professionnel, gardent espoir d’améliorer leur situation dans l’avenir. Par ailleurs, le niveau de stress qu’elles éprouvent est quand même modéré compte tenu du fait qu’elles disposent d’un certain support financier de leurs proches, ou qu’elles semblent s’accommoder de très peu d’argent. Toutefois, les relations qu’elles nouent avec leur milieu ne sont pas toujours satisfaisantes, tant avec leurs employeurs qu’avec leur conjoint, lorsqu’elles en ont un. Certaines de ces personnes ont occasionnellement recours à une aide psychologique professionnelle. 79 8.2 L’intermittence en emploi et le mal de vivre Contrairement aux personnes qui présentent un bon niveau de bien-être, les travailleuses et les travailleurs qui présentent un faible niveau de bien-être se caractérisent par le fait que les conditions inhérentes à l’intermittence en emploi constituent autant de limites à la satisfaction qu’ils éprouvent à l’égard de leur vie professionnelle. Ils ne perçoivent pas vraiment d’avantages à leur situation professionnelle actuelle, même si objectivement cette situation peut parfois être comparable sur certains points à la situation générale des intermittentes et intermittents. Ces intermittentes et intermittents ont à assumer de fréquentes périodes où ils se retrouvent sans emploi et doivent composer avec des ressources financières très réduites. Certains ont même vécu des périodes où ils ont été sans chèque. C’est donc dire qu’ils ont traversé des périodes sans emploi assez longues pour épuiser leurs prestations de chômage. Pour ces personnes, l’intermittence en emploi rend leur vie plus difficile et est essentiellement une source de problèmes. Elles aspirent donc à se trouver un emploi stable. Plusieurs disent avoir dû endurer des expériences de travail pénibles. Parce qu’elles étaient depuis trop longtemps sans emploi, elles ont fait, à un moment de leur trajectoire, certaines concessions au plan professionnel. Elles se sont senties obligées d'accepter des emplois, des situations de travail très difficiles et dans lesquelles elles espèrent ne plus jamais avoir à se retrouver : travail trop exigeant au plan des horaires, milieu insalubre, patrons insupportables, emploi sous-qualifié, emploi sous-payé. Il faut préciser ici que la plupart des femmes incluses dans cette catégorie travaillaient au moment où l’entrevue a été réalisée, alors que tous les hommes étaient sans emploi. La plupart des femmes étaient au travail, mais il s’agissait de contrats de courte durée, d’emploi à temps partiel avec un nombre d’heures par semaine peu élevé, ou encore de programmes d’employabilité. Cependant, leur situation financière se ressemble : elles sont pauvres. Même lorsqu’elles travaillent, plusieurs n’arrivent pas à joindre les deux bouts, à satisfaire leurs besoins de base. Moi, faut que je compte ma pinte de lait, là, qui va rentrer dans mon frigidaire, ma douzaine d’oeufs. Je va faire mon épicerie avec dix piastres! (Marie, 28 ans, formation 80 collégiale). Lorsqu’elles travaillent, elles ont souvent à payer les dettes qu’elles ont cumulées lorsqu’elles n’avaient pas d’emploi. Donc l’argent que j’ai gagné cet été, j’ai payé des dettes que j’avais déjà commencé à contracter. J’ai pas pu m’en mettre beaucoup de côté pour cet automne. Donc là, on dirait que tu vois pas la fin du tunnel (Catherine, 28 ans, formation collégiale). Les hommes et les femmes de cette catégorie disposent de très peu de revenus et se font beaucoup de soucis à propos de leurs dettes, des comptes à payer, et se demandent constamment comment réduire leurs dépenses et joindre les deux bouts. Fait que là, on pense, j’pense, pis j’pense, j’pense, j’pense! Pour essayer, je dis tout le temps de trouver une solution, mais... (Ginette, 50 ans, formation secondaire). Certaines reçoivent des prestations de la sécurité du revenu, d’autres ne veulent pas y recourir et sont sans chèque, d’autres vont se chercher des paniers de provisions dans les banques alimentaires. Le cumul d'emploi, parfois rendu nécessaire, se vit difficilement. Par exemple, trois femmes de ce groupe, au moment où l’entrevue a été réalisée, cumulaient des emplois dont l’un au moins était sur appel. Elles étaient toutes trois dans un système où elles pouvaient espérer améliorer leur situation d’emploi en cumulant le plus d’heures de travail possible. Elles acceptaient donc toutes les périodes d’emploi qui leur étaient offertes et s’assuraient de toujours pouvoir être rejointes. Or, l’une d’elle était en arrêt de travail pour épuisement professionnel et les deux autres se disaient brûlées, ne croyaient pas pouvoir résister encore longtemps au rythme de travail qu’elles tenaient depuis quelques mois. Comment j’vas être capable de faire ça encore de temps, sans craquer (Chantal, 39 ans, formation collégiale). Elles avaient l’impression aussi de ne plus avoir de vie privée, de vie sociale, parce que toutes leurs journées étaient mobilisées par la possibilité de rentrer au travail. Elles ne pouvaient s’inscrire à des cours car elles risquaient de ne pouvoir y assister, et lorsqu’elles entreprenaient une activité, elles risquaient de devoir l’abandonner pour entrer travailler. T’es comme toujours à la merci de l’employeur...Tu peux pas organiser rien...je pourrais pas suivre un cours de conditionnement physique, d’aérobie, à tous les mardis soirs, je le sais pas si je vais travailler...J’ai comme pu le contrôle de cette vie-là. C’est eux qui ont le contrôle là-dessus (Maryse, 28 ans, formation collégiale). 81 La majorité de ces gens ont peu de projets. Il n’y a plus de projets possibles, il n’y a plus rien, et ça c’est un des éléments moi que je trouve le plus difficile à vivre. C’est qu’on ne peut plus rien rien rien projeter là (Madeleine, 47 ans, formation universitaire). Pour les plus jeunes, l’idée de devoir passer presque toute leur vie sans avoir les moyens d’avoir des projets, ou du moins sans avoir la possibilité de pouvoir les réaliser, le fait d’avoir l’impression de ne rien bâtir, d’en être toujours au même point, est ce qui les déprime le plus. Compte tenu des règles de l’ancienneté, ou encore du privilège des travailleurs plus âgés qui ont plus de compétences au travail à offrir aux employeurs et dont la compétence est reconnue, les plus jeunes considèrent que leurs conditions de travail ont peu de chances de s’améliorer avant qu'ils aient atteint la fin de la quarantaine. Fait que je me dis que j’en ai encore dix à quinze ans sur une liste de rappel...Pis sont toutes en bonne santé....je suis capable de calculer quand même que je vas être peut-être dix ans encore sur les listes de rappel à attendre (Marie, 28 ans, formation collégiale). Donc, je vais peut-être me réveiller à quarante ans, pis bon! Je vais avoir un poste de nuit, pis j’aurais pas plus de vie sociale...Pis à cinquante ans, je vais finir par avoir quelque chose de soir. En fin de compte, je vais avoir passé ma vie à attendre quelque chose...Je vais probablement avoir passé à côté [du reste] (Maryse, 28 ans, formation collégiale). Les femmes les plus jeunes écartent pour l’instant l’idée d’avoir des enfants dans de telles conditions. Je me vois en appartement pis à travailler d’arrache-pied pour arriver à payer mon loyer pis à me payer peut-être une semaine de vacances là par année. Mais des enfants, l’école. Je vois des amis qui en ont pis je me dis, non, pas dans l’insécurité dans laquelle je vis là. Jamais je mettrais un enfant au monde aujourd’hui, jamais dans 100 ans (Catherine, 28 ans, formation collégiale). Elles considèrent qu’elles ont de la difficulté à s’assumer seules et que c’est une chance pour elles de ne pas avoir d’enfants en plus à s’occuper. Toutefois, elles se sentent seules et trouveraient dommage de passer à côté de cet aspect de la vie. La plupart n’ont pas de conjoint, ce qui rajoute à leur solitude. 82 Le degré de pauvreté de la majorité des personnes incluses dans cette catégorie limite donc leurs possibilités de loisirs et de divertissements. Mais en plus, lorsqu’elles sont sans emploi, elles s’ennuient. Plusieurs des femmes vont dire, par exemple, qu’elles ne sont pas des femmes de maison, qu’il faut qu’elles aient des activités liées à un travail. Non, je trouve ça trop dur, je suis pas capable de rester à la maison pis je suis pas capable de pas travailler. Non, je suis vraiment pas capable. Au bout de quelques mois, il faut que je sorte de la maison, il faut que je vois du monde ... je me vois pas pas travailler...Je me dis, j’vas virer folle tsé! (Gabrielle, 35 ans, formation secondaire). Ce sont des gens aussi qui, pour la plupart et contrairement aux autres dont l'état de bien-être est meilleur, ont peu d’intérêts en dehors du travail. Sans emploi, elles se sentent désoeuvrées. Qu’est-ce que tu veux que je fasse toute seule là? Je peux pas passer mon temps à faire de la popote pis...du ménage! T’sé! (Suzanne,37 ans, formation secondaire). Plusieurs personnes de cette catégorie ont l’impression aussi que les employeurs les exploitent, profitent de la rareté d’emploi et du nombre élevé de chômeurs pour offrir de piètres conditions de travail : salaire minimum, travail à temps partiel, heures coupées. Il y a beaucoup d’exploitation dans le travail. Les employeurs ont le gros bout du bâton présentement. Ils le savent. Ils le savent que quand on est sans contrat on a pas le choix, il faut le prendre (Madeleine, 47 ans, formation universitaire). La recherche d’emploi génère beaucoup de souffrance aussi. Plusieurs d’entre elles ressentent comme un rejet et une humiliation le fait que la majorité des démarches de recherche d’emploi qu’elles entreprennent se soldent par un échec. C’est agressant. À toutes les fois que je sors d’une entrevue, ça me met à terre, oui, parce que je me dis : si t’as pas de téléphone qui rappelle, c’est parce que... Tu manques d’estime de toi, un moment donné (Marie, 28 ans, formation collégiale). Et la situation n'est guère plus avantageuse pour les travailleuses et les travailleurs les plus âgés, ceux qui ont autour de la cinquantaine, car ils ont l’impression que leur âge est en cause. T’as cinquante ans. Pis cinquante ans, je pense que c’est pire qu’être paraplégique (Colette, 52 ans, formation universitaire). Les employeurs les trouvent trop vieux pour les engager, pensent qu’ils devront les payer plus cher à cause de leurs années d’expérience, croient qu’ils sont moins performants que les plus jeunes, moins aptes à fournir l’intensité exigée au travail, ou encore que 83 ce qu’ils sont, ce qu’ils représentent ne correspond pas au profil de la clientèle et, par conséquent, les excluent. Tous disent que les mises à la retraite précoces qui ont cours dans le secteur public ne les aident pas dans leurs démarches, qu’elles ont renforcé l’idée qu’il est temps à 50 ans de rester chez soi et de laisser la place aux jeunes. Là j’ai 47 ans. Bon, maintenant à 50 ans, dans beaucoup de milieux, on fait presque de la pression pour que les gens prennent leur retraite alors déjà on est dans un âge très très difficile (Madeleine, 47 ans, formation universitaire). Le faible niveau de bien-être de ces personnes se manifeste aussi par des troubles du sommeil et des crises d’anxiété. Quelques unes, dans des moments de désarroi où elles pensaient devenir folles, ont consulté. Moi des bouts j’ai passé j’étais en dépression. Un moment donné, j’ai pensé que j’allais sauter...Là j’suis allée au CLSC...Ouais, un soir, là, j’suis sortie dehors parce que t’sé là, quand qui nous manque la respiration là.... Là je me disais : le temps de composer le 911, j’ai le temps de sauter (Ginette, 50 ans, formation secondaire). D’autres ont eu besoin de thérapie. Les femmes plus vieilles surtout, mais une jeune aussi ont des idées suicidaires. Parce qu’elles ont l’impression que leur âge joue contre elles dans leurs démarches de recherche d’emploi, elles se voient dans une situation qui, inéluctablement, ne fera qu’empirer et devient sans issue. ... je me dis plus ça va aller moins ça va être facile de s’en trouver du travail. Pis plus ça va aller, plus le travail qu’on va avoir, moins le travail que je vais avoir va être valorisant, va être stimulant. Moins il va être payé en plus... (Colette, 52 ans, formation universitaire). Elles entretiennent donc très peu d’espoir que les choses changent pour elles dans l’avenir et désirent en finir. Les travailleuses et les travailleurs qui vont mal ont l’impression d’avoir tout fait pour obtenir un emploi : ils se sont formés, ont de l’expérience en emploi, envoient beaucoup de curriculum vitae, essaient d’aller rencontrer des employeurs, ont fait des clubs de recherche d’emploi, mais tous leurs efforts restent vains. Ils ne voient pas ce qu’ils pourraient faire de plus pour obtenir un emploi régulier, à temps plein, qui leur permettrait de joindre les deux bouts, et pour lequel ils sont qualifiés. Bref, ils se sentent impuissants à changer quoi que ce soit dans leur situation Mais je le sais pu, là, mais faut que je fasse de quoi avant cinquante ans! Faut que j’embarque dans le milieu, sans ça, aïe! ...Qu’est-ce que tu veux faire? Je le sais pu! Je le sais pu quoi faire! (Roger, 84 46 ans, formation collégiale). Et qui plus est, cette situation se détériore d’année en année : plus les années passent, moins les contrats obtenus sont longs et payants. En résumé, les travailleuses et les travailleurs qui présentent un faible niveau de bien-être ressentent beaucoup d’insatisfaction à l’égard de leur vie professionnelle. Plusieurs des femmes, jeunes et moins jeunes, travaillent mais sont quand même très pauvres. Elles ont le sentiment d’être exploitées par les employeurs. Enfin, elles ont peu d’espoir que leur situation s’améliore dans l’avenir et vivent de grands moments d’anxiété. Plus souvent qu’autrement, ces femmes n’ont pas de conjoint sur qui elles peuvent compter lors des périodes où elles manquent d’argent. Elles ne bénéficient donc pas de cette soupape de sécurité financière que peut procurer la stabilité d’emploi d’un conjoint. Contrairement aux personnes qui présentent un bon niveau de bien-être et pour qui le milieu de travail ne constitue pas le principal lieu de sociabilité, celles qui ont un faible niveau de bien-être sont souvent isolées lorsqu’elles sont sans emploi, leurs activités sociales et leurs loisirs sont limités, et elles ont plus tendance à se sentir désoeuvrées lorsqu’elles sont à la maison. Pour les personnes qui ont un faible niveau de bien-être, le travail rémunéré est plus souvent qu’autrement la seule ressource financière à laquelle elles ont accès, la principale source aussi de contacts sociaux et d’activités. Dans ce sens-ci, le travail rémunéré occupe une place centrale dans leur vie et l’absence d’emploi semble se faire sentir d’autant plus durement. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les hommes âgés de plus de 45 ans vont mal. Ces hommes peuvent compter sur le support financier de leur conjointe, mais leurs relations de couple semblent problématiques. Le couple a de la difficulté à accepter cette dépendance économique. Aussi, ces hommes sont pessimistes quant à leur possibilité de se trouver un emploi qui convienne à leurs intérêts et à leur expertise dans l’avenir. 8.3 L’intermittence en emploi, le rapport au travail et le bien-être À la lumière des résultats des études portant sur le chômage et la santé, l'hypothèse à la base de cette recherche était que l'intermittence en emploi avait possiblement des impacts sur la santé des 85 travailleuses et des travailleurs, et que ces impacts devaient être analysés en tenant compte du rapport au travail, c'est-à-dire en fonction de la place et de la valeur du travail rémunéré dans la vie des personnes privées d'un emploi stable. Nous reprendrons donc dans cette dernière section les éléments du rapport au travail et du niveau de bien-être qui, selon les analyses des témoignages des personnes rencontrées, apparaissent évoluer dans le même sens. Nous interpréterons par la suite ces résultats selon les dimensions du rapport au travail de Revuz (1993). Les personnes dont le discours sur leur vie professionnelle met surtout de l’avant le plaisir qu’elles ont à effectuer les tâches pour lesquelles elles sont formées et pour lesquelles elles sont engagées, celles qui disent rechercher avant tout un contexte de travail qui leur permet de développer leurs compétences, leur créativité, où elles peuvent continuer à apprendre, semblent moins affectées que les autres par leur situation d’intermittence en emploi. Et de fait, ce contexte d’emploi n’en est pas un qui, de l’avis des travailleuses et des travailleurs rencontrés, a une incidence défavorable sur les tâches qu’ils ont à effectuer, sur le plaisir qu’ils ont à les accomplir. Au contraire même. Rappelons alors ici que pour certains, l’instabilité d’emploi est plutôt un contexte qui, en les faisant produire sous pression, offre des conditions leur permettant d’être plus créatifs, qui favorise aussi la diversification de leurs compétences et leurs possibilités d’apprentissage. Ces personnes qui valorisent surtout de pouvoir accomplir un travail qu’elles aiment, font généralement4 partie du groupe de celles qui ont fait des choix professionnels qui ont influencé leur trajectoire professionnelle, et qui ont eu pour conséquence de les inscrire dans une situation d’intermittence. Plus précisément, il s’agit ici de personnes qui ont toujours privilégié le plaisir au travail plutôt que la stabilité d’emploi, ou encore qui ont quitté un emploi stable parce qu’il ne correspondait plus à leurs valeurs ou n’était plus satisfaisant. Même si l’effet recherché en prenant ces décisions était de pouvoir accéder à des emplois plus intéressants, et non de se 4 Le groupe de personnes qui ont fait des choix les ayant inscrits par la suite dans un parcours d’intermittence ont plus de 35 ans. Les plus jeunes qui ont très rarement connu la stabilité d’emploi ne peuvent en effet faire partie de cette catégorie. 86 retrouver dans un contexte d’instabilité d’emploi, ces travailleuses et ces travailleurs semblent assumer avec une certaine aisance les conséquences de leurs choix, soit leur situation actuelle d’intermittence en emploi et l’insécurité financière qui l’accompagne. Il faut alors dire qu’elles vont se présenter comme des personnes qui ont des besoins limités, ou encore pour qui la consommation n’est pas une priorité dans la vie. Il faut dire aussi que la plupart d’entre elles obtiennent des revenus annuels qui les mettent généralement à l’abri de la pauvreté. Certes, elles connaissent des périodes de chômage, mais elles ne s’éternisent pas, et leurs compétences sont recherchées. Être aiguillonné par le désir d’être productif, créatif et performant, est sans doute une disposition qui participe au fait que ces personnes réussissent à bien tirer leur épingle du jeu sur le marché du travail et finissent à la longue par s’y tailler une place et être recherchées par les employeurs. À l’opposé, les personnes pour qui le fait de travailler réfère surtout à celui d’avoir une place dans la société, d’accéder à un statut de personne utile et productive, à un statut de travailleuse ou de travailleur, souffrent beaucoup plus de leur situation d’intermittence en emploi. Et pour cause. Cette place est sans cesse remise en question par les arrêts répétés de travail qui accompagnent le contexte d’emploi dans lequel elles se trouvent. Bien souvent aussi, elles vont vivre cette situation comme un manque, une privation et la ressentir comme un rejet de leur personne, de ce qu’elles sont. Elles affirment alors que la société ne leur permet pas d’accéder à un statut de travailleur, qu’elles en sont privées ou encore que la société ne veut pas leur faire de place. Bien souvent aussi, elles vont ressentir cette situation comme une injustice, car elles ont le sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait pour obtenir cette place, d’avoir fourni les efforts requis et nécessaires pour y arriver, —études, acharnement à se trouver un emploi stable, zèle au travail —. Or, malgré tout, leur situation ne s’améliore pas, elles se retrouvent continuellement sans emploi. Contrairement aux personnes qui attachent surtout de l’importance au plaisir qu’elles retirent à travailler, la plupart des personnes pour qui le fait de travailler donne surtout une place dans le monde vont généralement être prêtes à faire toutes sortes de concessions pour accéder au statut tant convoité. Elles disent qu’elles sont disposées à faire n’importe quoi, à chercher des emplois 87 pour lesquelles elles sont surqualifiées, à accepter le salaire minimum. Tout plutôt que de ne pas travailler. Or, cette stratégie comporte à long terme un risque pour le bien-être des personnes : celui de vivre ces concessions comme autant d’humiliations. Les personnes pour qui le travail est surtout l’occasion d’avoir des contacts avec les autres, de créer des liens, d’avoir un milieu de vie et qui, en plus, sont plutôt isolées en dehors du travail, —pas de conjoint, pas d’enfants, peu d’amis—, souffrent beaucoup aussi de leur situation d’intermittence en emploi. Les périodes sans emploi les laissent en effet plus seules que jamais, les coupent de leur principal réseau de contacts sociaux. Enfin, les personnes pour qui le travail est intéressant en autant qu’il leur permet d’atteindre un certain niveau de vie, de se payer des loisirs et autres activités connexes souffrent également de leur situation d’intermittence en emploi. Le fait de ne plus pouvoir maintenir le niveau de vie auquel elles s’étaient habituées, la perte de la reconnaissance sociale qui y était associée, le degré de restriction aussi que l’intermittence impose, finissent bien souvent par ternir l’image qu’elles ont d’elles-mêmes et les priver des plaisirs qui constituaient l’essentiel de leur vie. Ainsi, il apparaît clairement que le rapport au travail exerce une influence importante sur le niveau de bien-être des intermittentes et intermittents en emploi. Nous reprenons dans ce qui suit les dimensions du rapport au travail que nous avons construites sur la base de nos données empiriques et en s'inspirant des catégories de Revuz. Nous pouvons constater que les personnes qui présentent un bon niveau de bien-être attachent de l'importance particulièrement à la dimension du Faire, plus précisément à l'amour de leur métier tout autant qu'au fait de se donner la possibilité de choisir leur emploi en fonction de ce qu'ils ou elles aiment faire ou du sentiment de liberté que le fait de choisir leur procure. Ce sont donc des personnes qui sont moins affectées par l'insécurité financière et pour qui un statut de travail régulier ou permanent est secondaire. Ce sont aussi des personnes qui, compte tenu de cette philosophie de vie, se débrouillent assez bien même si le marché du travail des dernières années leur a parfois donné du fil à retordre. Par contre, les hommes et les femmes qui ne réussissent pas à trouver un emploi qui les satisfont vont d’autant plus mal, surtout les hommes car leur discours est davantage orienté vers le Faire. Mais ce qui distingue les personnes qui accordent une importance première à cette dimension, 88 c’est qu’elles sont la plupart du temps en emploi et s’accommodent bien de leur situation d’intermittence. En général, les personnes qui présentent un faible niveau de bien-être évaluent leur situation professionnelle d'abord et avant tout à l'Avoir et à la Place. Le niveau de vie et le statut social dont elles sont privées ont provoqué une dégradation de leurs conditions de vie, ont terni leur image d'elles-mêmes et ces personnes sont prêtes soit à être déqualifiées, soit à adopter des conduites à risque pour leur santé ou bien à changer d'orientation pour avoir un emploi régulier, une place au soleil et un revenu décent et constant. Les conditions de vie de ces personnes sont déjà difficiles et le fait de devoir faire des choix non conformes à leurs aspirations professionnelles constituent un risque supplémentaire pour la détérioration de leur état de santé. Les dimensions relatives à l'Être et au Faire prennent aussi une grande importance dans le discours des femmes dont le bien-être est affaibli. C’est peut-être pour cette raison que plus de femmes semblent affectées par le manque d’emploi parce que, davantage pour elles, le travail touche à plusieurs dimensions de leur identité. Conclusion C'est dans la perspective d’ajouter de nouveaux éléments de compréhension au processus d’atteinte à la santé généré par la précarisation du travail que cette recherche sur l'intermittence en emploi a été entreprise. Dans un premier temps, nos résultats nous ont permis de décrire les différentes réalités que recouvre le phénomène de l'intermittence, ajoutant ainsi un nouvel éclairage aux recherches sur la précarité d'emploi qui se limitent souvent à l'étude des effets du chômage consécutif à une mise à pied. De plus, l'utilisation d'une approche qualitative nous a permis d’enrichir les connaissances sur les dimensions subjectives du bien-être à travers les expériences relatées par les personnes qui ont participé à la recherche, et ainsi de mieux cerner non seulement les impacts de l’intermittence en emploi sur les conditions de vie objectives (revenus, conditions de travail, privations), mais également sur la manière dont sont appréhendées ces conditions, les réactions et les sentiments qu’elles suscitent. Enfin, l’analyse nous a conduit d’une part à mettre en évidence comment le rapport au travail interfère dans le processus d’atteinte à la santé, dimension peu étudiée dans les recherches sur la précarité, et 89 d’autre part, à donner un contenu empirique au concept de rapport au travail sur lequel d’autres recherches pourront s'appuyer. Nos résultats font ressortir les exigences actuelles du marché du travail consécutives à la diversification des formes d’emploi, et aux tensions qu’elles génèrent. Or il faut voir que ces exigences représentent des défis importants que les personnes au travail ou à la recherche d’un emploi ne sont pas toujours en mesure ou prêtes à relever. En plus de subir les aléas de l’insécurité financière, ces personnes n’ont pas toutes accès à de bonnes conditions de travail, n’ont pas les mêmes responsabilités à rencontrer, les mêmes qualifications, les mêmes aspirations ou le même soutien. Toutes cependant aspirent à être en mesure de satisfaire leurs besoins de base et à acquérir une certaine stabilité. Traditionnellement, les études concernant les impacts du chômage sur les conditions de vie ont mis en évidence des différences selon le milieu d’origine (Blondel, 1996; Schnapper, 1994; Ledrut, 1966; Lazarsfeld et col., 1932). Par exemple, Blondel (1996) affirme que l’origine sociale modeste atténue la difficulté de vivre la désinsertion professionnelle et l’appauvrissement. Nos résultats ne nous permettent pas de supporter cette conclusion. De plus, contrairement à Blondel, les sentiments de culpabilité ou d’incompétence générés par la perte d’un emploi stable ou les difficultés d’intégration durable au marché du travail ne nous apparaissent pas être le lot exclusif des personnes issues de milieux aisés ou de celles ayant connu une forte ascension professionnelle. Nos résultats montrent au contraire que beaucoup de jeunes et de moins jeunes de toutes origines sociales tout comme les personnes qui ne réussissent pas à accéder à une place sur le marché du travail ont également tendance à vivre leur situation comme un échec personnel. L’expansion du phénomène de la précarité d’emploi à différents groupes de travailleurs et travailleuses ou de personnes à la recherche d'un emploi au cours des dernières années peut possiblement expliquer ces divergences. En fait, nos résultats confirment surtout la place et l’importance que prend encore le travail rémunéré au plan de la reconnaissance sociale et de la valorisation personnelle pour la majorité des individus, rendant ainsi son manque d'autant plus dommageable au plan de la santé mentale. Les règles du marché du travail se sont durcies. Sont recherchés et reconnus les individus capables de s'adapter à des situations changeantes et d'être rapidement performants, de saisir les 90 opportunités qui leur sont offertes et de répondre aux besoins des employeurs, de produire des biens et des services utiles à la collectivité et qui se doivent d'être compétitifs, autonomes, de subvenir à leurs besoins et de gagner leur vie. Mais cette représentation de l'individu intégré socialement est devenue, pour certains, une réalité inaccessible alors que pour d'autres, les stratégies et les valeurs auxquelles il faut adhérer pour répondre à ces exigences forment un obstacle à la réalisation de soi, une source de conflits avec leurs valeurs personnelles. En ce sens, le contexte actuel de précarisation du travail engendrée par les bouleversements des organisations et du marché de l’emploi confronte les personnes dont l’emploi est précaire à des contradictions qui leur donnent un sentiment profond de perte de maîtrise sur leur vie. Par exemple, comment vivre avec le fait de devoir accepter de mauvaises conditions de travail qui ont des impacts sur la santé, la vie familiale et sociale, pour garder un lien d'emploi? Les personnes qui ont participé à la recherche perçoivent cette contradiction entre leur réalité quotidienne, la place que prend le travail dans leur vie et celle qu'elles voudraient lui faire pour mener une vie plus équilibrée et meilleure pour leur santé. Elles sont coincées entre leur désir d'accéder à une place socialement reconnue sur le marché du travail et une certaine appréhension face aux valeurs véhiculées par un monde du travail davantage sensible aux besoins des entreprises plutôt qu'à ceux des personnes qui y oeuvrent, un marché du travail qui valorise avant tout la productivité et la fidélité à ses valeurs au détriment des autres responsabilités et valeurs de ceux et celles qui y travaillent. Pour certaines, l'insécurité financière et l'organisation du monde du travail font en sorte que les stratégies adoptées vont renforcer cette contradiction. En voulant éviter la précarisation de leurs conditions de travail et acquérir un statut de travailleur, elles s’exposent à la précarisation de leurs conditions de vie et à la limite, de leur santé. Les longues heures de travail, le cumul d'emplois, l'incapacité de refuser des conditions de travail qui entrent en conflit avec la vie familiale et la difficulté à supporter, au plan personnel, un tel rythme de vie tout en se sentant piégé avec la certitude de ne pas avoir de choix, sont autant de conduites qui risquent de mener à l’épuisement ou à un désengagement progressif du travail. Pour d'autres, la lassitude ou l'échec ressenti face à l'instabilité professionnelle et financière entraîne différentes formes de démission et, en corollaire, de dépendance économique, ou encore un sentiment aigu 91 d'avoir été flouées, exploitées qui les mine psychologiquement et physiquement. La fatigue, l'impression d'être vieux avant l'âge et le pessimisme en sont des manifestations. Malgré tout, plusieurs personnes gardent la certitude d'avoir des capacités, des compétences, ont une volonté et un courage qui, disent-elles, devraient pourtant leur permettre de s'intégrer socialement. Elles opposent une résistance aux conditions qui les atteignent dans leur dignité et jettent un regard très critique sur la société actuelle. Pour se protéger, professionnellement et personnellement, les personnes que nous avons rencontrées développent diverses stratégies tels le non investissement du lieu de travail sachant qu'il s'agit d'un espace occupé temporairement, l'évitement des conflits avec les supérieurs, le développement d’un emploi autonome. Dans certains cas, le retrait de l'activité professionnelle peut aussi être utilisé comme stratégie pour se protéger de rapports sociaux dégradants ou conflictuels, ou parce qu'il n'est plus possible de supporter le décalage entre leurs représentations du travail et les exigences du rôle professionnel. Ces logiques stratégiques restent toutefois fortement dépendantes des ressources personnelles et financières qui peuvent être mobilisées, plus précisément du niveau de pauvreté sociale et économique. De la même manière, les responsabilités familiales restreignent la marge de manoeuvre. Au plan sociologique, une séparation est en train de s'opérer entre la socialisation nécessaire et souhaitée par un emploi quel qu'il soit et une socialisation par le travail en tant que source d'épanouissement personnel. Les personnes qui ont une situation d’emploi qui ne les satisfait pas ne peuvent plus se définir exclusivement par le travail rémunéré et cherchent à revendiquer de nouvelles compétences et d'autres appartenances identitaires. En effet, sentant qu'elles ont moins d'emprise sur leur vie professionnelle, certaines vont tenter de développer, d’atteindre une cohérence avec leurs aspirations en échafaudant des projets. Même s'ils restent à l'état de projet, ils n'en sont pas moins un ailleurs à soi, un lieu de redéfinition personnelle, de créativité qui permettrait de retrouver dans le travail les conditions d'épanouissement personnel qui se sont perdues dans les stratégies de subsistances et d'intégration au marché du travail. Une manière donc de se reconstruire un sens, une identité. 92 Au-delà des stratégies mises en oeuvre pour s'assurer d'une certaine sécurité financière, la volonté de rester fidèle à ses valeurs, de garder le goût du métier et d'avoir une emprise sur sa vie, incite certaines personnes à privilégier des emplois qui correspondent à leurs aspirations, qui continuent à procurer le plaisir de travailler, le sentiment de se réaliser, d'être compétent. Ceux et celles qui ont des ressources suffisantes pour se permettre de prendre ce risque sont moins vulnérables psychologiquement. Ces résultats corroborent ceux de Schnapper (1994) qui a trouvé des caractéristiques similaires chez des chômeurs qui acceptent bien leur situation, entre autres parce qu’ils manifestent de grandes exigences au plan de la qualité de vie au travail; exigences que leurs expériences de travail ne rencontraient pas. On peut rapprocher ce point de vue sur le travail de celui des travailleuses et travailleurs intermittents de notre étude pour lesquels les conditions de l’emploi régulier et stable semblent aller à l’encontre de leurs besoins de diversité et de liberté et qui vont mieux s’accommoder d’une situation d’intermittence en emploi. D'autres, plus démunis, deviennent plus fragiles psychologiquement et vont vers la "maladie". Si cette voie n'est jamais un choix, elle peut par contre être vue comme la manifestation d'une résistance, d'un refus à des conditions de travail dégradantes et dommageables pour la santé mentale. En cela d’ailleurs nos résultats rejoignent ceux de Fryer (1998) et Graetz (1993) qui avancent que le problème du non emploi n'est pas que le problème de l'absence d'emploi. En fait, les effets du non emploi ne sont pas dissociables de ceux entraînés par des emplois de piètre qualité qui, en plus d’impliquer des démarches répétées de recherche d’emploi qui deviennent astreignantes et humiliantes, présentent souvent des tâches et exigences dommageables pour la santé; ils sont également associés à des salaires bas, à l’absence ou à de faibles protections ou avantages sociaux; ce sont enfin des emplois qui habituellement laissent peu de pouvoir de négociation. De telles conditions piègent alors ces travailleuses et travailleurs dans le cercle vicieux de la précarité. Le travail rémunéré reste encore un référent de premier plan pour la reconnaissance sociale et un emploi stable, la source principale de revenus. En corollaire, des revenus réguliers et décents donnent accès à une meilleure qualité de vie et en assurent une certaine maîtrise du moins en ce qui a trait à la possibilité de réaliser ses projets et de planifier son avenir. L'instabilité en emploi 93 entraîne une instabilité financière et professionnelle qui donne ce sentiment de perte de contrôle sur sa vie, dimension reconnue comme un déterminant de la santé (Santé Québec, 1995; Bouchard et Renaud, 1994). Si certains et certaines voient, dans ces conditions, de nouveaux défis à relever, une stimulation accrue et un moyen de rompre avec la routine de la "permanence", d'autres se sentent moins outillés pour affronter l'instabilité professionnelle et financière qui accompagne l’emploi précaire et vivent leur situation avec beaucoup d'insécurité et un sentiment de bien-être affaibli (Malenfant et col., 1999; Bourbonnais et col., 1999; McAll, 1996). La crainte de perdre des acquis ou à l'opposé de ne jamais accéder à des conditions d'emploi intéressantes suscitent différentes réactions telles que le "surinvestissement" dans le travail pour faire sa marque et montrer ses habiletés ou encore le cumul d'emploi pour augmenter ses chances de toujours garder au moins un emploi ou pour atteindre un niveau de revenus suffisants. Ces stratégies peuvent être particulièrement dévastatrices quand tous les efforts personnels consentis ne s'accompagnent pas de manifestations de reconnaissance au plan du salaire et du statut (Dubet et Martucelli, 1998; Seagrist, 1996). Nous connaissons encore mal les processus qui conduisent à une détérioration de la santé et qui nous permettraient de cerner les dimensions vers lesquelles des actions préventives pourraient être menées. Bref, à partir de la question principale sur laquelle s’appuyait le développement de notre recherche, à savoir comment la précarisation du travail peut entraîner une précarisation de la santé et comment interfère le rapport au travail dans ce processus, nos résultats nous amènent à voir qu’il y a quatre dimensions importantes à considérer : • les sources de l’intermittence : d’une part, le fait qu’elle soit subie et conséquente à un événement ou un état qui échappe au contrôle personnel; d’autre part, le fait qu’elle soit consécutive à des choix de vie ou des choix professionnels; • les conditions objectives que génère l’intermittence en emploi : conditions de vie, conditions de travail et conditions financières; • l’interprétation subjective de la situation d’intermittence : comment la place du travail dans la vie et la valeur accordée au fait de travailler modulent le rapport à l'intermittence en emploi. Ainsi, le rapport au travail, et, plus spécifiquement, le rapport à l'autonomie et 94 à la dépendance, de même que l'adhésion aux normes et valeurs sociales sont des dimensions déterminantes; • le marché de l’emploi et les modes d’organisation du travail dans lesquels la situation d’emploi évolue. Le contexte général restreint en effet les marges de manoeuvre et peut accentuer les conséquences négatives de certains choix professionnels ou encore freiner l'entrée sur le marché du travail. Rappelons que la notion de choix occupe une place importante dans le sentiment de bien-être : que ce soit l’impression d’avoir fait à un moment ou l’autre de mauvais choix, la crainte persistante de faire de mauvais choix ou, à l’opposé, la volonté de garder le contrôle sur sa vie en exerçant des choix fidèles à ses valeurs et en les assumant. Enfin, le contexte actuel de précarisation du travail, en s'appuyant sur la légitimité que fournit la globalisation des marchés et l'accroissement de la compétitivité économique, entraîne différentes formes d'exploitation de la main-d'oeuvre. L'analyse des expériences d'intermittence en emploi nous a permis de mettre au jour un certain nombre d'entre elles. Des conditions d’emploi à questionner Selon des spécialistes du travail, les conditions actuelles sont susceptibles de définir le marché de l’emploi durant des années à venir. L’intermittence en emploi risque donc d’être une réalité avec laquelle la main-d’oeuvre devra continuer à composer. Toutefois, la flexibilité des modes de gestion et d’organisation du travail ne devrait pas obligatoirement correspondre à de mauvaises conditions de travail. En ce sens d’ailleurs, les politiques du travail et les politiques internes des entreprises devraient être davantage soucieuses des conditions de vie inhérentes aux situations d’intermittence en emploi, et faire en sorte que les règles qui les encadrent favorisent des horaires, des charges de travail, des conditions salariales et des mesures de protection de l’emploi répondant à des exigences minimales de conciliation avec la vie familiale et sociale. Par ailleurs, les politiques actuelles du travail sont peu adaptées aux contrats à durée déterminée, au travail autonome et ce, tant pour les programmes de subventions d’aide à l’entreprise que pour les clauses de santé et sécurité du travail et de la protection du lien d’emploi. 95 Pour les personnes affectées au plan psychologique par une perte d’emploi ou par des conditions de travail dégradantes ou des difficultés d’intégration au marché du travail, il est impératif de développer des ressources variées d’aide à la recherche d’emploi, de soutien psychologique pour les périodes de crise ou d’aide matérielle lors de période où les rentrées d’argent sont interrompues. Le sentiment d’avoir peu de recours face à différentes formes d’exploitation est accru par le fait que les personnes dont l’emploi est précaire disposent généralement de peu d’économies et ont un besoin pressant d’argent pour vivre. Par conséquent, elles dénoncent rarement des situations qu’elles considèrent tout de même incorrectes, parce qu’elles sont susceptibles d’avoir encore affaire à ces personnes ou à des personnes du même milieu, ne veulent pas diminuer leurs chances d’être réengagées, ou tout simplement apprécient leur employeur, sont empathiques face à ses difficultés économiques, ou encore considèrent que leur traitement pourrait être pire. Il nous semble alors essentiel de relever les stratégies entrepreneuriales les plus courantes qui vont à l’encontre de politiques existantes ou du moins des règles élémentaires d’équité. Quelques exemples donnent un aperçu des formes multiples d’exploitation que vivent les personnes en précarité d’emploi. Précisons aussi que près de 40% des personnes rencontrées ont eu à subir l’une ou l’autre de ces conditions de travail. L’absence de rémunération ou une rémunération non équitable Les petites entreprises qui dépendent pour survivre de l’obtention de subventions comptent sur une certaine part de travail bénévole. Si cette situation peut être acceptable à la limite pour les responsables, elle devient piégeante pour les employés dont la générosité ne garantit pas leur maintien en emploi à moyen ou long terme. De plus, elle réduit leur disponibilité pour chercher de l’emploi. D’autres se font conseiller de venir au bureau durant les périodes où elles n’ont pas de contrat pour continuer à apprendre et à s’améliorer. Elles craignent qu’un refus de leur part nuise à leur réembauche. 96 Certains employés sont appelés à développer des projets pour des entreprises et sont rémunérés seulement si l’entreprise fait des profits avec le produit; pour d’autres, la première paye est conditionnelle à l’obtention d’un premier contrat. Dans certains cas, les premières heures de travail ne sont pas rémunérées parce que considérées comme une période de formation. D’autres employés ont attendu leur premier chèque de paye pendant plusieurs semaines, ou encore n’ont pas été payés pour les heures supplémentaires accomplies, sans non plus pouvoir les cumuler en temps de vacances. D’autres doivent faire un nombre déterminé de ventes sinon leur salaire est coupé, même si le temps passé à faire de la sollicitation reste le même. Enfin, les difficultés financières de l’entreprise sont utilisées comme motif pour ne pas payer les dernières semaines de salaire et les vacances. Prétextant une formation professionnelle inadéquate, des employeurs offrent à des travailleuses et des travailleurs un taux horaire en deçà du salaire minimum. Dans d’autres cas, les pourboires devant assurer un meilleur salaire sont mis en commun, mais la redistribution n’est pas équitable. Des conditions de travail non respectées L’absence de pauses et un temps de repas minimum —quinze minutes— caractérisent plusieurs emplois précaires. Les employés qui travaillent seuls sont forcés d’accepter ces conditions s’ils veulent travailler des journées complètes, sinon deux personnes sont engagées à temps partiel; l’employeur évite ainsi, d’une façon ou de l’autre, de payer le temps de pauses et de repas. Pour des raisons similaires ou pour plus de flexibilité dans la gestion des temps, un poste de 40 heures semaine va plutôt être scindé en deux postes de vingt heures. Toutes les conditions de travail ne sont pas garanties par un contrat de travail en bonne et due forme. Si, au moment de l’embauche, certains employeurs laissent miroiter des semaines de travail à temps complet, ou laissent croire à long terme à une éventuelle amélioration de la situation, —conditions qui pèsent lourd dans le choix d’un emploi —, dans les faits le nombre d’heures peut être coupé de moitié à cause d’un changement de directeur de projet ou de la situation économique de l’entreprise. Dans certains cas, la réduction du nombre d’heures de 97 travail rémunérées ne s’accompagne pas d’une réduction de la tâche. Certains travailleurs ne savent pas d’avance s’ils vont travailler une semaine ou dix semaines, tout dépendant des besoins de l’entreprise ou de l’appréciation que l’employeur fait de leur travail. Par ailleurs, certains travailleurs n’ont pas de salaire de base; ils ne sont payés qu’à partir des commissions perçues sur les ventes effectuées. Cette forme d’emploi “autonome” permet à l’employeur de ne payer ni avantages sociaux ni bénéfices marginaux. De la même manière, un travail salarié sera converti en emploi dit “autonome”, la raison donnée étant que le salaire versé ne pourrait pas être aussi haut s’il fallait payer de l’assurance-emploi. L’emploi autonome est également utilisé pour avoir accès rapidement à des travailleuses et des travailleurs durant des périodes de production intense, sans toutefois y être lié par la suite, et sans offrir de garantie de temps de travail. Le travail sur appel complique l’organisation de vie à cause de la disponibilité permanente qu’il exige. Même si deux emplois sur appel sont souvent nécessaires pour arriver à joindre les deux bouts au plan financier, satisfaire plus d’un engagement devient un casse-tête auquel se mêle la crainte de perdre ses emplois lorsque des conflits d’horaires entraînent des refus trop fréquents aux demandes d’un établissement. Or, un tel régime peut signifier de longues journées et de longues semaines de travail. Des procédures d’embauche ou de mise à pied discutables Les employés temporaires semblent en mauvaise posture pour revendiquer des conditions de travail saines. Ainsi, une entreprise a demandé à un employé de laisser son emploi parce qu’il refusait d’être exposé durant de longues périodes à des produits toxiques sans équipement de protection. Une travailleuse a dû accepter de travailler dans des locaux poussiéreux sans aération. Il existe aussi des pratiques abusives reliées aux programmes de soutien à l’emploi. Des employeurs changent régulièrement d’employés pour ne pas avoir à leur fournir un salaire après la subvention gouvernementale. Par ailleurs, des travailleuses et des travailleurs rapportent les pratiques suivantes: 98 • mise à pied sous prétexte d'ennuis financiers en assurant un rappel dans quelques mois; • obligation de se soumettre à un examen de qualification lorsque le taux horaire s’élève en raison du nombre d’années d'ancienneté dans l’entreprise; un échec se traduit par la mise à pied ouvrant ainsi la possibilité d’embaucher un autre employé au salaire minimum; • mise à pied après trois mois de travail pour éviter la syndicalisation; des travailleuses et des travailleurs se font toutefois réengager deux semaines plus tard, mais leur cumul d’ancienneté est remis à zéro, • mise à pied pour favoriser l’embauche d’un membre de la famille de l’employeur. Des travailleurs apprennent leur congédiement lorsque leur nom n’apparaît pas sur la répartition des horaires hebdomadaires de travail, alors que d’autres doivent se présenter au travail à deux heures d’avis. Finalement, certaines personnes considèrent qu’au moment des entrevues de sélection, les employeurs posent de plus en plus de questions concernant l’entourage, les fréquentations, les temps libres. Des travailleuses se sont dites mal à l’aise de chercher de l’emploi durant leur grossesse parce qu’elles sont certaines que leurs chances d’être embauchées sont à peu près nulles. Ces pratiques entrepreneuriales doivent donc être analysées en fonction des différentes lois et règlements qui, en principe, encadrent l’exercice du travail : les normes minimales du travail, les politiques de santé et de sécurité, les droits de la personne. 99 Bibliographie Appay, B.,Thébaud-Mony, A. (dir.) (1997) Précarisation sociale, travail et santé. Paris, IRESCO. April, M., Goulet, S., Léveillé, F. (1998) “La surqualification du travail”, Espaces de la parole. Vol.4, no3. p.17-19. Arnetz, B.B. (1996) “Causes of change in the health of populations : a biopsychosocial viewpoint”, Social Science and Medecine. 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