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fil conducteur pour indiquer le sens. Plutôt un écheveau de fils mémoriels et existentiels emberlificotés. L’écriture seule pourrait le dénouer, le desserrer pour éviter l’asphyxie : “Toute mon existence aura été la recherche de ce lieu habitable, un monde vivable, ma langue, le livre” écrit Pierre qui, pour “refaire le monde”, pour “supporter cette impossibilité de rejoindre autrui” a fait de l’écriture sa nouvelle “chair”. Point d’illusion ici. Le temps n’existe pas et autour de chacun “il n’y a rien”, “rien sur quoi se tenir”. Pourtant Les avenirs n’est nullement un tableau sombre, plutôt une généreuse invitation à saisir l’éphémère, à “apprendre à aimer cette vie et ce monde qui recommencent toujours, parce que nous sommes fragiles”. Hafid Aggoune est en train d’écrire son prochain roman. On l’attend avec impatience. Mustapha Harzoune Le nez sur la vitre Abdelkader Djemaï Seuil, 2004, 79 p., 10 euros Ce nouveau et court roman d’Abdelkader Djemaï constitue le troisième volet d’un triptyque sur les Algériens de France. Djemaï semble aimer les cycles ; peut-être est-ce dû à la précision de son style et à la brièveté de ses récits. Déjà, en 1995, il publiait le premier volet d’un autre triptyque consacré alors à l’Algérie (avec Un été de cendres, suivi de Sable rouge et de 31, rue de l’Aigle). La France “terre d’immigration” a fait 䉴 148 irruption dans l’œuvre de Djemaï, en 2002, dans un camping de bord de mer sur la côte oranaise. L’ancien journaliste, lui-même natif d’Oran, décrivait dans Camping les vacances d’une famille d’émigrés algériens partageant son congé annuel avec les citoyens du cru. Dans Gare du Nord, il invitait à suivre les pas, humbles et anonymes, de trois chibanis. Trois vieux Algériens qui, après avoir donné leur vie pour une maîtresse bien ingrate, “Madame la France”, attendent, solitaires et sans but, de s’effacer complètement de nos paysages urbains. Logiquement, ouvrant Le nez sur la vitre, le lecteur pense aller à la rencontre d’une autre génération. Djemaï est en France depuis plus de dix ans, et d’ateliers d’écriture en résidences d’auteur, de rencontres débats avec ses lecteurs en séances de dédicaces, il sillonne le pays comme un paysan laboure son champ, avec méthode, finis- sant par en connaître les moindres aspérités. On se dit que le regard de l’écrivain sur ces jeunes qu’il croise, rencontre et observe, sera intéressant. Mais, dans Le nez sur la vitre, Djemaï semble s’être fait piégé. Le jeune est bien là et pourtant c’est son vieux père qui prend le plus de place. Au centre du récit, il y a cette relation entre un père algérien et son fils français. Une relation où les silences et les non-dits laissent au fond de la gorge une boule, une terrible boule grosse de ce trop-plein d’amour perdu, gâché, que l’un comme l’autre n’offrira jamais et ne recevra jamais. “Lui, il n’avait pas eu besoin de mots, de phrases avec son père, c’était comme ça, ça avait toujours été comme ça, ils se comprenaient malgré le dénuement et la solitude du douar. Il avait cru que les choses allaient d’elles-mêmes, que ce serait pareil avec son petit, que cela se ferait naturellement. Puis le temps avait passé et il s’était brutalement aperçu qu’une distance les avait, sans qu’ils le veuillent, peu à peu séparés, éloignés l’un de l’autre. C’était comme si son fils se tenait derrière une vitre épaisse, qu’il pouvait seulement le voir, le sentir bouger […]. Une vitre froide et impitoyable sur laquelle il avait collé son nez et qui l’empêchait de lui dire quelques mots, de le toucher, de le serrer dans ses bras.” Depuis trop longtemps, le père et la mère sont sans nouvelle de leur aîné. Il ne répond plus aux lettres qui lui sont adressées. Alors, le N° 1253 - Janvier-février 2005 vieil homme décide de partir à sa recherche. Le voyage à destination d’une lointaine ville du Nord se fera en car (un Setra Kassbohrer 215 HD avec 320 chevaux sous le capot). En contrepoint de la banalité du voyage (la description des arrêts, les pauses-déjeuner, l’épisode du couple de vieux retraités oubliés sur l’aire d’autoroute, les émissions de radio…) se raconte la vie intérieure du vieil Algérien. Une existence entière défile derrière les vitres du car et sous le crâne du vieil homme. Remonte alors le souvenir d’un autre et lointain voyage en car. Il était gamin et, avec son père, ils avaient pris place à l’intérieur d’un vieux Saviem S45. Ensemble, ils se rendaient à une visite médicale, son père souffrant des poumons. L’arrivée en ville offre à Djemaï le loisir de glisser quelques-uns de ses thèmes de prédilection : la ville, le cinéma, la cuisine (ici des sardines à la tomate et à l’ail), l’enfance et le premier émoi sentimental sur fond de guerre… Deux cars donc pour deux trajets différents mais un seul homme, ce presque retraité parti en quête de son rejeton qui se souvient de sa propre enfance et de son propre père. Le car avance. Les voyageurs vaquent à leurs occupations, certains s’enlacent, se prennent tendrement la main, s’embrassent. Lui pense qu’avec sa femme “après presque trente ans de vie commune, ils n’avaient pas osé se dire, devant leurs enfants ou en public, leur amour et, encore moins, se toucher, s’embrasser”. Sa femme, son fils, la vie elle- Livres même ne serait-elle qu’une douleur ? Un regret ? Allez donc savoir. Djemaï utilise la palette de l’impressionnisme, il suggère, livre les émotions et les sentiments par petites touches, ouvre le champ des possibles et n’enferme pas ses personnages. Muni d’une simple adresse griffonnée sur un méchant papier, le vieil homme retrouvera son fils. Fiancé avec la fille d’un Charentais, il s’apprête justement à renouer avec les siens. Il veut réparer les erreurs passées et faire que son père soit, à nouveau, fier de lui. Peut-être que cette “muraille” qui sépare les deux hommes finira par tomber. Comme sur cette photo qui ouvre et referme le livre : l’unique photo où le père est avec son fils. On y voit le gamin, “en pantalon kaki et en sandalettes, serré contre lui comme s’il voulait qu’il le protège contre le malheur”. M. H. Touareg des neiges Nabil Louaar ID Livre, 2004, 192 p., 15 euros Les rangs, jusqu’alors clairsemés des écrivains français issus de l’immigration et notamment de l’immigration algérienne et marocaine, auteurs confirmés ou auteurs d’un jour, grossissent ces derniers temps d’apports nouveaux et de sang neuf. Ici aussi, la vocation littéraire titille. Cette salubre démangeaison provoque l’irruption d’imaginaires nouveaux (voir Hafid Aggoune et, avant lui, Malek Abbou) ou, quand le récit reste proche du témoignage, le souci d’une écriture personnelle pour ne pas parler encore de style (Saïd Mohamed, Abdel Hafed Benothman). Nabil Louaar appartient à cette dernière fournée. Dans Touareg des neiges, il raconte l’enfance, l’éveil à la vie et à l’amour de Nassim sur fond d’immigration, de cité et d’interrogation identitaire. Certes, les sujets sont connus. Mais, Nabil Louaar sait réinventer et poétiser le réel. Il en parle avec humour. Il bouscule, de l’intérieur, quelques 䉴 tabous et, ce qui n’est pas peu, il parle souvent juste. Comme son auteur, Nassim, le personnage central de ce récit, est né dans une cité de Haute-Savoie. Il y grandit choyé et fort de ses illusions. Mais la vie va très tôt remettre les pendules du gamin à l’heure. Et non ! Le père, peintre en bâtiments, n’est pas le confrère de Léonard de Vinci. De même, l’école n’est pas toujours synonyme d’ascenseur social. Dans l’esprit de certaine conseillère d’orientation, l’ascenseur scolaire est resté bloqué, pour des générations, sur le même pallier : “En somme [dit Nassim], elle pensait que mon père devait me passer le flamb… le rouleau”. Le racisme ? Ce n’est pas toujours les autres : Shéhérazade fera comprendre à son entreprenant prétendant de treize ans qu’il peut, lui et ses semblables machistes de banlieue, inventer un nouveau type de racisme, celui qui prône, pour les filles de la fratrie s’entend, des 149