Je me souviens - biblio

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BIBLIO BTS
Je me souviens
Catherine Duffau
Livret pédagogique
Réponses aux questions d’analyse des documents
établi par Catherine Duffau,
agrégée de Lettres modernes
Sommaire – 2
S
O M M A I R E
L’ O U TI L
ME M O I R E ......................................................................... 3
Le fonctionnement de la mémoire ...........................................................................................3
Les effets de la mémoire .........................................................................................................5
La mémoire biographique........................................................................................................7
L’ U TI L I T E
D E L ’ OU B L I
.................................................................. 12
Le refus d’oublier ...................................................................................................................12
La nécessité d’oublier ............................................................................................................13
Les « vertus » de l’oubli .........................................................................................................15
LA
ME M OI R E C OL L E C TI V E .............................................................
21
L’attachement aux traditions .................................................................................................21
Patrimoine et histoire .............................................................................................................22
Conflits de mémoire...............................................................................................................24
Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Hachette Livre, 2015.
58 rue Jean Bleuzen, CS70007, 92178 Vanves
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Je me souviens – 3
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M E M O I R E
f o n c t i o n n e m e n t
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m é m o i r e
1 ◗Présentation du concept de mémoire
Serge BRION, Jean-Claude DUPONT, Alain LIEURY
Quels ont été les apports respectifs de la psychologie, de la neurophysiologie et de la
biochimie à la connaissance de la mémoire. En quoi diffèrent-ils des explications
antérieures ?
La psychologie, la neurophysiologie et de la biochimie ont permis à l’analyse spécifique de la mémoire
de se constituer en sortant des préoccupations mnémotechniques. Elle put ainsi dépasser les
explications analogiques qui en faisaient le résultat d’associations d’images organisées comme les
formes du raisonnement. À l’époque classique l’analogie se fait avec le langage. Mais on commence à
observer des aspects particuliers du fonctionnement de la mémoire ou de l’oubli.
Les analyses scientifiques de la mémoire ont d’abord reposé sur des observations portant sur des
aspects précis de cette faculté, puis sur des phénomènes mesurables d’ordre strictement physique. Elles
se sont enrichies de travaux sur l’incidence des lésions cérébrales et de diverses pathologies sur son
fonctionnement ainsi que d’expériences fondées sur les stimulations électriques de zones cérébrales.
2◗ Localisation de la mémoire
Jean François DORTIER
À quelle hypothèse naïve ce document apporte-t-il un démenti ?
La cohérence de nos souvenirs qui se présentent comme des scènes parfaitement organisées peut
laisser croire que les événements mémorisés ont laissé une empreinte dans le cerveau. Les analyses
scientifiques présentées par Dortier montrent que le souvenir résulte plutôt d’une interconnexion
entre différentes zones cérébrales régissant émotions, impressions sensorielles, aptitudes cognitives ou
motrices et régulant des fonctions permettant des opérations très diversifiées. Il existe, de plus, une
mémoire de nos cellules qui reste évidemment inconsciente. Par ailleurs, notre mémoire physique est
mise en réseau avec les moyens de stockage d’information personnels ou collectifs que l’humanité
utilise depuis toujours et ne cesse de perfectionner.
3◗ Les 3 systèmes de la mémoire humaine
F.-P. BUCHEL
Que suppose la construction formelle du schéma ?
Le schéma est construit à partir de trois carrés principaux qui correspondent à trois formes de
mémoire considérées selon le paramètre de la durée ; celui de la première forme illustre la perception
de l’environnement à l’aide des cinq sens ; le carré intermédiaire met en évidence le traitement et
l’affinement que la mémoire à court terme fait subir aux données sensorielles brutes. Enfin le carré de
la mémoire à long terme est surmonté de deux carrés secondaires qui distinguent les fonctionnalités de
cette dernière. Les termes indiqués aux quatre pôles de la croix désignent les éléments qui
interagissent.
Des flèches de taille décroissante supposant une concaténation et orientées de façon réversible
indiquent un va-et-vient entre les formes de mémoire. Elles montrent comment la pensée est
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alimentée par la perception sensorielle mais comment celle-ci est structurée par une organisation
mentale.
Le schéma montre ainsi de quelles interactions résultent notre adaptation à notre environnement
naturel et social et notre activité conceptuelle.
4◗ Musique et souvenir
BARBARA
Analysez le mécanisme de la remémoration illustré par cette chanson.
Le point de départ de la remémoration est une situation et des sensations tactiles et auditives qui lui
sont liées. L’auteur, devant un piano, laisse ses doigts jouer un air. Spontanément lui revient une suite
de notes mémorisées appartenant à une forme de musique religieuse classique peut-être de Bach, dont
les cantates sont célèbres. L’adjectif « obsédante » évoque autant la nature de la mélodie que la
récurrence de son exécution dans le passé qui lui a laissé un souvenir persistant. La maladresse de son
exécution réactive les circonstances où elle jouait cette pièce : surgit alors : une scène ancienne peutêtre de son enfance avec une femme chère (amie, sœur, mère) devant qui elle essayait de jouer la
mélodie et que son inexpérience amusait. Elle la relayait et lui traçait le chemin de sa future vocation
« chante pour moi ». Cette femme chère est sans doute morte depuis, ce qui active des souvenirs
appartenant à l’imaginaire collectif de la mort et du Paradis : le thème religieux que suggérait déjà le
nom du morceau « cantate » est mis cette fois en relation avec le devenir des âmes des morts au
Paradis tel que l’imagine le Christianisme. Plusieurs thèmes se mélangent alors : culte à Dieu et culte
du souvenir, douceur de la scène remémorée et acuité du sentiment de la perte.
5◗ Le déclenchement du souvenir par une sensation gustative
Marcel PROUST
Quel événement marquant pour le narrateur est l’objet de ce passage ?
Ce passage est construit en abyme. Le narrateur évoque un lointain soir d’hiver où il vécut une
expérience saisissante : la modification fulgurante et inopinée de son état d’esprit opérée par une
bouchée de madeleine trempée dans du thé. Ce passage brutal de la morosité au bonheur par
l’intercession de cet objet trivial l’interpelle. Il finit par comprendre qu’il a vécu la superposition de
deux instants différents, une morne après-midi de son âge adulte et un plaisant rituel des dimanches
matin de son enfance. La sensation gustative commune aux deux moments a eu le pouvoir de
ressusciter l’ensemble de la scène dont elle était un fragment infime. Puis à partir de là sa mémoire lui
a restitué tout le contexte de son enfance. Il remarque que la vue n’a pas eu ce pouvoir magique.
Proust analyse donc un processus mental que des expériences scientifiques ultérieures vérifieront : le
va-et-vient de l’expérience sensorielle à la conceptualisation, le lien entre sensation et souvenir et
entre émotion et souvenir.
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e f f e t s
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6◗ Le passé synthétisé
Federico FELLINI
Quelle est la particularité de la mise en scène du souvenir par rapport à son récit ?
Un récit est forcément linéaire alors qu’une scène de film permet de capter simultanément un lieu,
des personnages avec leurs attitudes et leurs propos. Elle permet de restituer une ambiance. C’est ce
que cherche ici Fellini.
Dans Amarcord il reconstitue des scènes qui ont marqué son enfance comme le rituel des séances de
photo de classe. Celle de la classe de quatrième concentre divers aspects de la vie scolaire qu’il connut.
Elle est révélatrice des rapports existant entre les enseignants, le directeur et les élèves et à l’intérieur
de ces différents groupes.
Le dialogue, les didascalies précisant la gestuelle révèle le regard amusé porté par le cinéaste sur le
monde des enfants et sur celui des adultes qui les encadrent à l’école et tentent de les discipliner. Le
réalisateur souligne également le conformisme des photos scolaires mais aussi leur effet magique qui
parvient à figer un instant l’agitation et le désordre ambiants. Le monde des adultes est aussi représenté
de façon humoristique. Le plan général 105 nivelle les différences entre les catégories alors que les
plans moyens et rapprochés particularisaient les aspects de la situation en se focalisant sur des
individus.
La complexité du réel est ici réduite par la visée humoristique du cinéaste. Il s’agit d’une mise en
scène de stéréotypes dans lesquels les spectateurs peuvent reconnaître des bribes de leur propre vécu.
Le récit d’un souvenir autobiographique cherche parfois plus l’originalité ou la particularité
7◗ Le souvenir anecdotique
Jacques- Henri LARTIGUE
Quels types de moment et d’atmosphère le photographe a-t-il voulu fixer ?
Jacques Henri Lartigue (1894-1986) appartenait à une famille aisée qui lui offrit son premier appareil
photo à l’âge de 8 ans, en 1902. Il n’a cessé de photographier dès lors les loisirs de la famille et les
inventions de son frère aîné surnommé Zissou. Les deux frères étaient passionnés par l’automobile,
l’aviation et tous les sports alors en plein essor. Jacques Henri continuera adulte à fréquenter les
manifestations sportives et à pratiquer lui-même quelques sports réservés à l’élite : ski, patinage,
tennis, golf… La photo était pour lui un loisir et il se considérait comme peintre.
Dans sa pratique photographique il cherche à capter des instants amusants, des événements spontanés,
des situations heureuses, tout ce qui l’émerveille. Cette photo fixe un moment d’amusement : le
panache de terre soulevé par l’engin tranche avec les robes claires des femmes. Le Bob, sorte de Kart,
est un jouet pour adulte sans autre utilité que de créer des sensations. Les manœuvres du conducteur
pour épater sa passagère amusent son public féminin.
J-H Lartigue deviendra célèbre assez tardivement dans les années soixante grâce aux Américains chez
qui la mode des clichés pris sur le vif s’impose avec l’évolution des appareils et qui voient en lui un
précurseur de cette tendance photographique. Il avait en effet photographié de nombreux sujets en
mouvement en train de sauter d’un escalier ou par-dessus une flaque d’eau par exemple.
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8◗ Souvenirs divergents
Paul VERLAINE
Quelles relations entre la réalité et le souvenir ce poème illustre-t-il ?
Les deux personnages entrevus par le spectateur ont vécu une passion. L’un en a gardé pieusement la
trace, l’autre a oublié jusqu’à la rencontre puisqu’il vouvoie son interlocuteur. À moins que le
premier n’ait fait que rêver cette intrigue amoureuse. Ce fait explique la différence entre les réactions
suscitées par cette promenade. Elle ravive un état d’exaltation et d’enchantement chez celui qui est
resté attaché au passé.
Le poète spectateur est immergé dans un présent nocturne et lugubre : parc désert, à l’abandon,
(avoines folles), glacé, hanté par des fantômes. Ces formes sont probablement des images mentales qui
incarnent ses propres souvenirs. Le lecteur l’identifie à celui qui évoque un passé intense sur le plan
des émotions et des sensations. L’indifférence du partenaire redouble le contraste entre le passé
enchanté et le présent désespérant et dévitalisé.
9◗ Souvenirs communs
Maurice Halbwachs
Quelle dimension originale de la mémoire Halbwachs met-il ici en évidence ? À quelles
conditions un souvenir peut-il se constituer a posteriori ?
Un grand nombre de situations que nous avons vécues ne laisse aucune trace dans notre esprit bien
qu’il soit cependant évident que nous les avons forcément vécues. Cependant elles ont pu en laisser
dans l’esprit d’autres personnes qui ont partagé avec nous cette expérience. Leur récit peut parfois
nous permettre de constituer un souvenir rétrospectif à la condition qu’une bribe de mémorisation
personnelle soit réactivée pour nous par ce récit.
Ce phénomène montre que la mémoire n’est pas un phénomène purement personnel mais qu’elle a
aussi une dimension collective. La mémoire collective utilise des supports très divers pour se
constituer et se perpétrer. Dans le cas de la musique examiné par l’auteur, il existe dans un grand
nombre de sociétés des systèmes de transcriptions de la musique qui permettent aux musiciens d’écrire
une mélodie pour en garder la mémoire personnellement mais surtout pour la transmettre à d’autres
musiciens et leur permettre de l’interpréter. Les partitions sont indispensables à l’apprentissage et à
l’exécution d’œuvres orchestrales. Elles seront cependant mémorisées différemment par un
instrumentiste, un chef d’orchestre ou un mélomane. Plus récemment l’invention et le
développement de techniques d’enregistrement sonore constituent aussi une mémoire collective
musicale : beaucoup de gens connaissent ainsi les mêmes airs.
10◗ Fragilité du témoignage
Régis POUGET
Pourquoi la mémoire est-elle un sujet d’étude pour les juristes ? Sous quel angle les
juristes s’intéressent-ils au phénomène de la mémoire ?
Très souvent il est fait appel aux dépositions de témoins pour inculper un suspect. Le poids du
témoignage est lourd dans le jugement. De plus un certain nombre d’erreurs judiciaires ruinent la vie
d’innocents condamnés et déshonorent la justice. Or les tests ADN récemment mis au point ont
innocenté a posteriori de nombreux suspects qui avaient pourtant avoué avoir commis le crime qui
leur était imputé.
Le recours aux acquis de la psychologie dans cette conférence destinée aux juristes vise à développer
chez les professionnels de la justice une attitude critique vis-à-vis des témoignages humains. En effet
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les expériences montrent que la mémoire est très malléable et que, de plus, la situation de témoin crée
des perturbations émotionnelles spécifiques tant au niveau de l’expérience vécue que de sa restitution
au cours d’une déposition.
L’auteur informe les juristes sur les éléments qui peuvent influer sur la mémoire des témoins qui ont
assisté à un événement lié à un acte criminel. Il souligne les particularités de ce type de remémoration
et l’incidence du statut que donne le fait d’être témoin sur le traitement du souvenir. Il préconise
donc de soumettre à un examen attentif tous les témoignages qui leur parviendront.
11◗ Altérations de la mémoire
Alain LIEURY
Quel est l’intérêt de tests confrontant des malades et des bien portants, des sujets jeunes
et âgés ?
La neuro physiologie, en étudiant des maladies qui ont parmi leurs symptômes des troubles de la
mémoire, permet de faire des hypothèses sur leurs origines physiologiques. Il faut cependant s’assurer
que le trouble est dû à la maladie et non simplement au vieillissement. On compare donc les
performances des malades avec celles de gens du même âge non affectés par la maladie. Le groupe des
jeunes permet par comparaison avec le groupe précédent d’évaluer les pertes dues au vieillissement. La
comparaison entre des sujets d’âges différents permet de mesurer l’impact du vieillissement sur la
mémoire. La différence d’écart entre les pertes de mémoire infligées par l’âge à un cerveau sain et
celle d’un malade alertent sur l’importance d’éviter tout ce qui peut produire sur les corps striés les
mêmes dégâts que le manque de dopamine. On peut alors déterminer les attitudes préventives à
recommander.
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b i o g r a p h i q u e
12◗Le contrôle des souvenirs
Patrick ESTRADE
Quelle hypothèse l’auteur fait-il ici sur l’oubli et les mémorisations des éléments
autobiographiques ?
Le psychologue Patrick Estrade cherche à convaincre ses patients hantés par des souvenirs négatifs qui
affectent leur équilibre psychologique que leur mémoire est plus riche qu’ils ne le pensent.
Simplement les mauvais souvenirs font écran aux bons alors que nous pensons souvent qu’ils sont les
seuls que nous ayons. Cette conviction que des souvenirs positifs sont encore présents et peuvent être
retrouvés doit encourager les patients à un travail sur eux-mêmes qui leur permettra de sortir d’un
certain enfermement dans le malheur ou le sentiment d’échec. Cette démarche est inversée par
rapport à celle de Freud qui considère que les souvenirs perturbants sont refoulés et que la culpabilité
qu’ils occasionnent s’exprime de façon indirecte notamment par des symptômes physiques sans cause
physiologique dans le cas des hystériques par exemple.
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13◗La résilience
Boris CYRULNIK
À quel constat surprenant répond l’analyse de Cyrulnik ?
On peut s’étonner que des enfants n’aient gardé aucun souvenir d’événements potentiellement
traumatisants et au contraire aient été frappés par des détails anodins. Le psychiatre et psychanalyste
Boris Cyrulnik met ainsi en lumière le rapport de la mémoire avec les capacités conceptuelles. Il
explique le phénomène de résistance aux chocs psychologiques qu’il nomme résilience par le fait que
ne peut être mémorisé par l’enfant que ce qui a un sens pour lui et qu’il peut nommer. La logique de
l’adulte est donc différente de celle de l’enfant car la quantité d’expériences intelligibles est
considérablement plus grande pour lui. Ce phénomène explique que certains enfants aient pu sortir
sans dégâts psychologiques majeurs de situations extrêmes parce qu’ils n’en percevaient pas la gravité
ou le danger.
14◗L’enquête biographique
Patrick MODIANO
Quelle est l’originalité de ce récit biographique ?
Le romancier Patrick Modiano ne raconte pas une histoire qu’il connaît ou qu’il a reconstituée mais il
fait le récit d’une tentative de reconstitution par un narrateur du destin d’une jeune juive pendant la
deuxième guerre mondiale. Ce dernier mène une sorte d’enquête policière : il ne dispose que de
faibles indices comme ici des photos de famille car son héroïne est une personne obscure. Or les
photos de famille n’ont pas un sens très clair pour qui est étranger au groupe familial qui les a fait
réaliser.
Entreprendre une enquête sur la vie d’une personne obscure donne à celle-ci de l’importance. En
l’individualisant, Modiano concrétise et dramatise la tragédie de l’extermination massive des Juifs lors
de la seconde guerre mondiale.
15◗ Invention d’une forme d’autobiographie
Annie ERNAUX
De quelle façon originale Annie Ernaux contourne-t-elle la demande de son éditeur de
rédiger son autobiographie ?
L’éditeur de la romancière Annie Ernaux, désireux d’éditer en un seul volume toute son œuvre, lui
demande de décider d’un titre et de rédiger sa biographie. Le projet amène l’auteure à réfléchir aux
relations entre sa vie et son œuvre. Le titre s’impose « Écrire la vie ». L’article défini est important par
sa valeur généralisatrice. Elle considère que ses romans dépassent l’autobiographie. Ils sont des
illustrations, personnelles certes, mais de moments propres à toute vie humaine.
Revenir sur l’ensemble de son œuvre lui permet de voir apparaître sa logique sous-jacente qu’elle
reconstitue par l’ordre non chronologique dans lequel elle décide de placer les récits.
En ce qui concerne sa biographie, elle renonce à la narration linéaire de faits et d’anecdotes. Elle se
sert d’un choix de quelques photos qui lui paraissent importantes dans la mesure où elles permettent
de la situer socialement ou parce qu’elles correspondent à des moments clés de sa vie. Elle utilise
également ses œuvres littéraires, journal et romans, pour illustrer son évolution plus que pour
l’analyser ou la décrire. Les lacunes et les manques sont aussi parlants que les informations données.
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16◗ L’anti autoportrait
Safet ZEC
En quoi consiste l’originalité de cet autoportrait ?
L’autoportrait est une trace que l’artiste veut laisser de son physique et de sa personnalité à un
moment de sa vie. Il choisit une posture, une expression, une tenue, un décor en conformité avec ce
projet. Rembrandt s’est par exemple représenté tout au long de sa vie de façons très diverses. Une
exposition sur ce thème pictural a eu lieu en 2002 au Musée du Luxembourg à Paris. On pouvait y
voir des œuvres qui se démarquaient de cette tradition comme celles de Safet Zec ou de Jean Michel
Albérola. Ces deux autoportraits ne révèlent rien de leur auteur sinon le désir de ne pas se révéler.
À la place du reflet du visage de Zec attendu dans le petit miroir accroché sur un mur douteux le
spectateur ne saisit que des lignes et des couleurs informes qui reflètent un semblant de décor,
quelques objets difficilement identifiables mais tels qu’on peut les attendre dans une pièce où serait
accroché ce type de miroir.
Le principe de la photo d’identité est nié par le fait qu’Alberola masque les quatre prises de son visage
avec un carton portant une des lettres du mot « rien ». « Je dis qu’il n’y a rien à voir », « je ne suis
rien ». Les deux premières photos font penser à un jeu de cache-cache. Les deux autres masquent
totalement le visage.
S’agit-il d’une grande pudeur, d’humilité, de modestie ou au contraire d’un grand orgueil, ces
manipulations signifiant alors « je ne suis pas réductible à une image de moi ».
17◗L’invention d’un nouveau genre littéraire
Isabelle GRELL et Arnaud GENON
Que révèle la création de ce site ?
L’existence de ce site révèle un courant de mode en littérature. Il correspond à une évolution récente
du genre romanesque qui consiste à fusionner fiction et récit de vie, antérieurement traités comme
des genres distincts. Après l’invention de vies et de péripéties extraordinaires, l’auteur s’est appliqué à
raconter des vies proches de la réalité comme ce fut la mode au XIXe siècle. Aujourd’hui l’auteur
romance sa propre existence.
L’autofiction s’écarte aussi du genre autobiographique initié par les Confessions de J.J.Rousseau dont la
postérité fut abondante.
Ce genre narratif nouveau a été considéré comme issu d’un manque d’imagination ou guidé par un
extrême narcissisme des auteurs. Il semble cependant, si l’on en croit ce site, être l’objet d’un
engouement international et poser des problèmes théoriques stimulants.
Notes et questions relatives aux documents du cahier couleur
1◗L’organisation des zones cérébrales
Notre cerveau
En quoi ce schéma remet-il en question la séparation souvent faite entre les domaines du
corps et de l’esprit ?
Certaines zones du cerveau accueillent de façon prévisible les terminaisons nerveuses des circuits
neuronaux qui véhiculent les perceptions depuis les sens. On s’attend aussi à y trouver le point de
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départ des influx nerveux commandant les mouvements. Il paraît plus étonnant que ce qui semble
relever de facultés abstraites comme se situer dans l’espace, identifier ce qui nous entoure, raisonner,
prévoir et organiser ait un substrat physiologique. Le langage est un bon exemple de cette
complémentarité. Il nécessite des organes vocaux et auditifs mais il ne peut fonctionner qu’en stockant
des informations, en les analysant et en les associant. Ce schéma issu des travaux des
neurophysiologistes montre que la pensée n’est pas immatérielle mais qu’elle résulte d’une activité
neuronale et que sans elle, elle n’existe pas.
2◗ Éducation de la mémoire
Djeco, Memory
Quelle préoccupation révèle ce jeu éducatif ?
Le graphisme très coloré et très simple de cette boîte de jeu confirme bien qu’il est destiné à de très
jeunes enfants comme le mentionne l’indication de la fourchette des âges auquel il est destiné : de
deux ans et demi à cinq ans. Il utilise fleurs et « petites bêtes » censées plaire aux petits. Les parents et
les éducateurs ont donc le souci, dès que l’enfant commence à savoir parler, d’entraîner sa mémoire
par le jeu. Ceci révèle l’importance qui est accordée à cette faculté dans l’éveil et l’activité
intellectuelle.
3◗ Souvenirs collectifs
La Limonade de Marinette
Sur quels sentiments joue le décor de ce « bistrot casse-croûte » lyonnais ?
- La décoration de ce « bistrot casse-croûte » reconstitue les rayons d’une épicerie des années
cinquante, époque où les self-services n’existaient pas. Les produits sont regroupés par type comme ils
l’étaient sur les rayons des épiceries.
- La boisson du petit-déjeuner des adultes était essentiellement du café ou de la chicorée ; celle des
enfants des produits à base de cacao enrichi de divers ingrédients. C’est le début des produits laitiers
industriels. Le choix entre les marques et entre les produits commençait à s’élargir.
- Ce décor ramène donc dans une époque où la consommation était encore relativement restreinte.
Cette simplicité peut paraître reposante en comparaison avec les offres pléthoriques actuelles.
- Le décor rappelle l’existence de produits ou de marques aujourd’hui disparus : la vache qui rit a tué la
mère Picon.
- Les emballages simples, au décor coloré et relativement sobre, aux dessins gais et amusants, ont laissé
dans les mémoires une empreinte forte car les produits peu nombreux étaient donc consommés de
façon très régulière.
- Ils sont associés aux souvenirs de scènes de l’enfance, aux moments privilégiés du petit-déjeuner et
du goûter.
4◗ Souvenirs partiels d’un individu, mémoire et identité
Affiche du film Citizen Kane
Sur quelle originalité du film d’Orson Welles l’affiche attire-t-elle l’attention ?
On trouve sur ce site http://www.cineclubdecaen.com/realisat/welles/citizenkane.htm une analyse
très détaillée du film d’Orson Welles.
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L’enquête menée par un journaliste pour éclaircir le sens du dernier mot prononcé par un mourant, le
magnat de la presse Charles Foster Kane, lui fait rencontrer diverses personnes qui ont connu le
défunt. Des flash-back successifs éclairent des pans de la vie du héros qui s’avèrent très contradictoires
autant que les souvenirs qu’ont gardés de sa personnalité les diverses personnes interrogées. L’affiche a
une composition binaire qui fait ressortir les contradictions et les ambivalences. Au centre l’homme,
objet de toutes les conversations, fusionne en une seule figure le personnage et le réalisateur,
également interprète du rôle. Le film porte sur l’effroi engendré par l’incapacité à définir cet individu.
Six personnages résument leur point de vue en un mot ; deux femmes ont éprouvé pour lui des
sentiments opposés ; quatre hommes le caractérisent par des termes antagonistes (canaille/saint,
génie/fou). Tous ces termes évoquent une forme d’excès chez le personnage qui ne peut laisser
indifférent et qui donc passionnera le spectateur qui se laissera convaincre par l’affiche.
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18◗ Nostalgie de la patrie
Joachim DU BELLAY
Quelles sont les caractéristiques du sentiment nostalgique exprimé par le poète ?
Le poète avait été tenté par une mission à Rome, cité fascinant tous les humanistes de la Renaissance
par ses vestiges antiques et capitale fastueuse de la papauté. J. du Bellay devait y poursuivre une
brillante carrière mais ses espoirs furent déçus et Rome lui parut dès lors un lieu hostile. Il se sentit
envahi par un sentiment d’exil. La nostalgie qu’on appellera plus tard « mal du pays », ici correspond à
une valorisation de l’enfance et du lieu où elle s’est déroulée. Le poète aspire à retrouver le sentiment
de sécurité que distille un milieu familier. Le faste étranger trouvé au bout de la quête apparaît
comme une fausse valeur au regard des mérites de la patrie, même obscure et modeste.
19◗ La préservation du patrimoine et des traditions
www.lebonvieuxtemps.info
Sur quel type de sentiment collectif repose le succès de cette fête ?
L’exhibition de techniques agricoles anciennes, de véhicules disparus, la consommation de plats
traditionnels et la pratique de jeux et de danses en vogue il y a plusieurs générations plonge dans
l’illusion de remonter le temps. Le passé n’est alors restitué que sous son angle positif : on y possédait
des savoirs perdus et on savait trouver son bonheur dans des plaisirs simples. Il s’agit d’un passé
reconstruit fantasmatiquement pour répondre aux inconvénients de la vie actuelle. Ce genre de fête
repose sur une utopie construite sur l’oubli de l’inconfort et de la dureté auxquels la modernité a su
apporter des remèdes. Ils nous sont si familiers que nous les pensons naturels et les sous-estimons.
20◗ Régression
Alphonse de LAMARTINE
Comment s’exprime la conscience du temps dans ce poème de l’époque romantique ?
La description d’un coin de nature sauvage permet au poète d’exprimer une méditation philosophique
sur le temps et la condition humaine. La vie apparaît comme une suite de déceptions. Il n’aurait
jamais fallu quitter le creux de ce vallon secret et inconnu, sécurisant comme un utérus. La nature est
à la fois semblable à l’homme et son contraire. L’écoulement des eaux et le cycle des saisons figurent
la fuite inexorable du temps. Mais la nature, dans ces cycles, se régénère à l’identique et conserve son
intégrité, sa pureté originelle car le vallon isolé échappe à toute intervention humaine. À l’inverse la
vie mondaine et ses déceptions dégradent et altèrent l’âme qui parvient à la vieillesse désabusée.
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21◗ Nostalgie gustative
Mariana GONÇALVES et Christelle VOGEL
Quel type de nostalgie cultive ce site de recettes de cuisine ?
Les recettes utilisent des confiseries bon marché que les enfants achetaient dans les boulangeries à la
sortie de l’école et qui étaient objets de convoitise dans les années 60 : Carambar, oursons en
guimauve, boules de coco ou qu’ils convoitaient dans les fêtes foraines comme la barbe à papa ; s’y
sont ajoutées ensuite les fraises Tagada, les Kinders et les M and M’s.
Les goûters beaucoup moins diversifiés qu’aujourd’hui ont plus fortement marqué les mémoires
(choco BN, Prince de LU, Gâteau marbrés). Ils voisinaient encore avec les desserts familiaux (biscuits
roulés, quatre quart, gâteau au yaourt, pains perdus, tartes) ou les pâtisseries traditionnelles
(madeleines, sablés, financiers, chouquettes). L’influence américaine s’exprime fortement par
l’importation de confiserie et de pâtisseries (cookies, cupcakes), de produits comme le beurre de
cacahuète et les barres de confiserie. La mode gustative actuelle du tiramisu, du fondant au chocolat,
du moelleux, des verrines se surimpose à cet ensemble.
Les recettes proposées par le site combinent les goûts à la mode aujourd’hui fortement influencés par
le modèle américain avec les souvenirs gustatifs de plusieurs générations. Les satisfactions orales, si l’on
en croit Freud, sont liées à l’enfance. À travers la réitération du plaisir gustatif l’adulte cherche à
retrouver le climat psychologique et les souvenirs de cette époque idéalisée.
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n é c e s s i t é
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22◗ Poids du souvenir
Charles BAUDELAIRE
Analysez les métaphores de ce poème concernant le temps.
Les souvenirs apparaissent au poète comme une masse pesante et encombrante dont on ne peut se
défaire et qui plombe le présent et lui fait écran. La chambre désertée, le vieux meuble, la pyramide et
le tombeau, le caveau, la fosse commune, le cimetière, le sphinx, métaphores de l’esprit sont des lieux
morts ou voués à la mort. Ils sont encombrés de restes dévitalisés de ce qui constitua la vie passée,
relations amoureuses, échanges commerciaux, relations sociales. Le sentiment de culpabilité né des
torts faits aux êtres aimés est obsédant La beauté des êtres et des lieux, figurée par un boudoir rempli
de présence féminine délicatement décoré à la mode du XVIIe siècle est fanée : la fraîcheur des
sensations s’est envolée ne laissant que des restes insipides et fades. Le temps s’étire à l’infini de la plus
lointaine antiquité égyptienne à l’immortalité. Un sentiment de vide et d’abandon, d’isolement absolu
envahit l’esprit incapable de s’accrocher au présent et qui sombre dans une mélancolie mortifère
devant la vie qui semble se pétrifier. Le souvenir est ici essentiellement le révélateur de ce qui est
perdu.
23◗ l’oubli du traumatisme
Anny Duperey
Quelles sont les spécificités des souvenirs que sont les photos de famille ?
Les photos de famille étaient faites par des professionnels ou par les membres de la famille à
l’occasion de cérémonies religieuses ou profanes marquant les étapes de la vie de ses membres.
Puis avec la démocratisation et l’évolution de la technique elles se sont multipliées et fixent
désormais toutes sortes de moments particuliers propres à la vie d’un groupe familial souvent
agréables. Cette pratique est dictée par le désir de garder une trace d’un moment de bonheur
L’outil mémoire – 14
ou de plaisir. Les photos de famille n’ont aucun sens pour les étrangers au groupe qui ne
peuvent identifier les personnes ni les circonstances. Comme le déclare Roland Barthes dans
l’Obvie et l’obtus elles disent seulement que quelque chose a été.
24◗ Mémoire et informatique
Pauline VÉZIE, Jérémie PINSON et Élise FRAVALLO
Délimitez les trois parties de cet extrait et donnez-leur un titre. Quel est l’apport de ces
informations d’ordre général à la question du droit à l’oubli sur internet.
Le travail de ces étudiants propose d’abord une définition du terme « oubli » dans son sens général
appuyée sur son étymologie puis mène un développement sur son intérêt dans le domaine cognitif. Il
définit ensuite les caractéristiques générales d’Internet en matière d’information.
Cette description oppose les deux processus : sélection en fonction des intérêts/enregistrement
exhaustif et automatique. L’antagonisme des deux processus fait naître un problème nouveau
qu’ignorait le fonctionnement lacunaire de la mémoire collective antérieur à la période électronique.
25◗ Droit à l’oubli numérique
Fabienne DUMONTET
Quels sont les enjeux de la question de l’oubli numérique ?
La question de l’effacement d’informations personnelles sur Internet est techniquement complexe car
les données personnelles sont disséminées et dupliquées dans d’innombrables sites avec l’accord de
celui qui les dépose sur la toile, ce qui entraîne des problèmes juridiques. L’exploitation commerciale
de ce service correspondant à un nouveau besoin ouvre un marché économique prometteur.
D’un point de vue politique et social il peut sembler légitime que l’on puisse vouloir faire disparaître
des informations qui peuvent être exploitées à notre détriment. Cependant cet effacement
d’informations dans un but d’intérêt personnel s’oppose à l’intérêt collectif de l’accès à l’information,
de la connaissance et de l’archivage du passé.
26◗Image de soi
DELIGNE
Analysez l’humour de ce dessin.
La société Google est représentée sous les traits d’un peintre en bâtiment qui badigeonne une affiche
surveillé par un juge en robe et à la mine intraitable. Sur cette affiche sont rassemblés les divers sites
sur lesquels sont stockées des données concernant chacun d’entre nous. Si on les regroupe on peut
tout connaître ou presque d’une personne, ses activités, sa situation de famille, son patrimoine, ses
relations… Certains sites comme Facebook sont renseignés par nous-mêmes ; d’autres comme les
annuaires par les télécommunications à partir des fichiers de leurs abonnés. Le travail d’effacement est
présenté comme une tache manuelle lente et malaisée sans commune mesure avec les simples clics sur
un clavier d’ordinateur qui ont permis d’entrer les données. Le masquage avec la peinture verte fait
penser au « caviardage » de textes de presse lorsque la censure obligeait les journalistes à noircir
certaines lignes interdites mais ici il semble impossible de discriminer ce qui est effacé et ce qui est
conservé. On se refait une personnalité comme on ravale une façade.
Je me souviens – 15
27◗ Inconvénients du droit à l’oubli
Serge TISSERON
Quel type de risque ouvre selon l’auteur le libellé de la loi européenne ?
L’auteur sur le site suivant En savoir plus sur http://www. lemonde.fr/idees/article/2014/10/15/ledroit-a-l-oubli-sur-internet-ne-doit-pas-se-transformer-pas-en-droit-audeni_4506572_3232.html#1gWibmQDskazgqKK.99 conteste l’argument du droit au repentir. Il y
voit plutôt la revendication d’un droit au déni assurant l’impunité aux puissants et leur permettant de
préserver leur image. Il propose un ajout à la loi : que soit enregistré le fait qu’une demande
d’effacement a été faite par telle personne à tel moment. Internet ne pourrait plus servir à démentir la
croyance par le démenti des faits. Sans cette précaution il sera impossible de connaître la vérité et les
internautes seront à la merci des agences de déréférencement et des avocats des puissants qui, eux,
pourront utiliser leurs services.
Cette loi risque de plus de déresponsabiliser les internautes qui commençaient seulement à apprendre
la prudence dans leur utilisation des réseaux électroniques.
28◗ Le droit à l’oubli sur Internet
Schéma sur le droit à l’oubli sur internet
Quels problèmes juridiques ce schéma met-il en évidence ?
Le schéma explicatif est partagé en deux zones : la partie supérieure expose la règle générale ; la partie
inférieure est une illustration par un cas particulier.
On note que la décision d’effacer ou non est prise par « l’exploitant de données » soit le prestataire de
service. Ce dernier s’approprie les données qui sont sur les sites et il se place en position de juger si la
demande est pertinente ou non. Il substitue à l’intérêt de l’internaute son propre intérêt : engranger
des profits en vendant le plus grand nombre possible de données à des entreprises commerciales.
L’intérêt de l’information est aussi une notion vague ; quel type d’intérêt ? Commercial de façon
évidente. Et pour qui ? Les vendeurs de toutes sortes sans doute. Cet intérêt au sens propre du terme
se déguise en vertu civique, le respect du droit à l’information.
Quand l’intérêt de l’internaute et celui du moteur de recherche sont en opposition il faut en référer à
la justice. C’est la Cour européenne qui a voté le droit à l’effacement qui peut être opposé au refus de
Google mais c’est la justice du pays du plaignant qui reste souveraine et devra statuer sur le cas
particulier.
L e s
«
v e r t u s
»
d e
l ’ o u b l i
29◗ le refoulement ou l’oubli des faits gênants
Sigmund FREUD
Sur quelle hypothèse concernant la mémoire Freud fait – il reposer sa théorie ?
L’hypnose et sa pratique de la suggestion révélèrent à Freud que certains souvenirs qui semblent
oubliés peuvent revenir à la conscience. Le fait que l’opération soit difficile lui fit penser à l’existence
d’une force de résistance à ce retour à la conscience. Il supposa donc l’existence d’une force
symétrique qui aurait fait disparaître de la conscience l’événement culpabilisant. Il nomma le processus
refoulement. La vérification de l’hypothèse se fait par la pratique puisque le retour à la conscience de
certains souvenirs gênants guérit les symptômes hystériques de ses patients.
L’outil mémoire – 16
30◗ Écriture ou oubli
Jorge SEMPRUN
Quelle similitude peut-on trouver entre les expériences opposées des deux auteurs,
anciens déportés, que sont Levi et Semprun ?
Primo Levi a choisi d’écrire à son retour d’Auschwitz pour se débarrasser de cette expérience
effrayante, le second en a été incapable. Le peu d’écho de son récit, la surdité qu’on lui opposa ont
représenté un traumatisme important pour Levi. Une fois la reconnaissance obtenue il sera
paradoxalement poussé au suicide.
À l’inverse le silence de Semprun au sortir de l’épreuve lui a permis de décanter l’angoisse et de laisser
le temps au public de devenir plus accueillant à mesure que le souvenir de la guerre s’éloignait.
Le récit d’un souvenir traumatisant est donc ambivalent il peut permettre de dominer l’angoisse mais
inversement il en entretient la force par la remémoration.
Le passage montre qu’il existe une mémoire collective commune à ceux qui ont vécu des événements
semblables comme une période de guerre mais qu’au sein d’une même société les expériences
différentes de la même époque sont difficilement transmissibles du fait de la mauvaise conscience mais
aussi de la diversité des situations vécues.
31◗ Le pardon à l’usurpateur
Sorj CHALANDON
De quel crime contre la mémoire s’est rendu coupable le vieux breton ?
Beuzaboc a usurpé le destin de résistants dont le père du narrateur, pour se valoriser aux yeux de sa
famille ; bien des années après il accepte à la demande de sa fille de faire publier ses souvenirs sachant
qu’il serait probablement démasqué. Quand le narrateur découvre la supercherie il est pris de haine et
de colère mais décide de jouer le jeu et de laisser le vieil homme à sa honte considérant que
finalement sa manœuvre a permis de garder vivante la mémoire d’authentiques héros morts.
Cependant quand Beuzaboc découvre que le livre ne le trahit pas, dans un mouvement de « courage
en temps de paix » il avoue publiquement la vérité. Cet aveu rétablit la réalité du passé et soulage les
consciences de tous les présents.
32◗ Amnistie des Communards
Discours de Léon GAMBETTA
Que révèle ce discours des enjeux politiques de la mémoire des événements violents ?
L épisode sanglant de la Commune a débouché sur l’instauration de la Troisième République mais
cette dernière dut consolider ses assises et désamorcer le ressentiment du camp adverse. Comme celui
de toute guerre civile le souvenir de la Commune entretenait des haines et des désirs de vengeance.
Le fait que le camp vainqueur renonce à accabler le vaincu signale l’élévation de son sens moral et
accroît sa légitimité.
Je me souviens – 17
33◗ La nécessité cognitive de l’oubli
Philippe CHOULET
Quelle caractéristique de la mémoire vivante l’auteur souligne-t-il ?
L’esprit n’enregistre pas en haute-fidélité comme les moyens mécaniques. Il retient des structures de sens sur
lesquelles il peut reconstituer un contenu équivalent à défaut d’être identique. La paradoxale complémentarité
de l’oubli et de la mémoire explique la survie des formes des œuvres de traditions orales telles que celles qui
nous sont parvenues de la haute antiquité grecque.
Notes et questions relatives aux documents du cahier couleur
1◗ La persistance de la douleur
Frira KAHLO
Quels liens par ce tableau l’artiste établit-elle entre son passé et son présent ?
Frira Kahlo, peintre mexicaine a été victime à l’âge de 18 ans d’un accident de la circulation qui lui
brisa la colonne vertébrale ; elle subit de nombreuses opérations et fut amputée d’un pied. Le tableau
a été peint en 1944. Elle a donc 37 ans. Elle se représente avec un corps de jeune fille à la plastique
parfaite offert à l’admiration du spectateur. Son visage est impassible mais ruisselant de larmes et percé
de clous comme l’ensemble de son corps. Le linge blanc autour des hanches et les clous rapprochent
sa souffrance de celle du Christ. Son torse ouvert et vide nous entraîne au fond de son corps à la
racine du mal dont souffre son esprit. Sa colonne vertébrale blessée y est représentée comme une
colonne antique brisée qui ne pourrait plus soutenir le temple dont elle est un des supports. De même
le corps de Frira Kahlo ne tient que soutenu par un corset. La beauté brisée, architecturale et humaine
se dresse au milieu d’un paysage désolé. Le regard est fixé sur un horizon qu’on imagine semblable à
ce qu’on voit derrière elle et dit la vie dévastée, l’esprit muré dans une douleur indépassable. La
douleur permanente la ramène constamment à cet événement dramatique qui a brisé sa vie.
2◗Ambivalence de la mémoire
René MAGRITTE
Analysez l’ambiguïté de cette nature morte.
Le peintre a commenté ainsi ce tableau
« Le tableau n’est pas l’illustration des idées suivantes : quand nous prononçons le mot mémoire, nous
voyons qu’il correspond à l’image d’une tête humaine. Si la mémoire peut occuper une place dans
l’espace, ce ne peut être qu’à l’intérieur de la tête. Ensuite, la tache de sang peut éveiller en nous la
supposition que la personne dont nous voyons le visage a été victime d’un accident mortel. Enfin, il
s’agit d’un événement du passé, qui reste présent dans notre esprit grâce à la mémoire". Il montre bien
ainsi qu’en tant que surréaliste il vise autre chose que la plate représentation d’idées convenues. On
retrouve cette tête de sculpture évoquant la statuaire de l’antiquité grecque marquée d’une tache de
sang dans plusieurs œuvres de l’artiste.
L’enfance de Magritte s’est déroulée dans des conditions matérielles difficiles et il eut à affronter le
suicide de sa mère quand il avait quatorze ans. Il a peint cette toile à l’âge de 40 ans. Elle est la
dernière d’une série qui pourrait avoir un rapport avec la guerre.
L’outil mémoire – 18
La tache rouge est en surface et semble produite par une projection humiliante subie par la statue et
non par une blessure. Le rideau rouge comme celui des théâtres dévoile un horizon marin paisible et
lumineux.
L’énigmatique grelot, très souvent représenté par le peintre, ajoute par sa rondeur une sensation de
paix. Le bruit qu’il suggère ainsi que le friselis de la surface de l’eau animent le tableau d’une sonorité
légère. La feuille par sa couleur complémentaire de celle de la tache, par sa légèreté opposée au poids
de la pierre est le seul élément vivant de l’ensemble ; elle suggère l’air qui l’a portée et délicatement
posée là. Son aspect vernis fait penser à une feuille d’oranger et intensifie l’ambiance méditerranéenne.
Tout le tableau suggère donc une atmosphère douce à laquelle la figure féminine dans sa dignité
humiliée apporte un violent contraste.
3◗L’oubli des vies antérieures
John RODDAM SPENCER STANHOPE
Que suggère l’attitude des personnages du premier plan qui représentent les âmes des
défunts ?
Les peintres préraphaélites reviennent à des thèmes mythologiques ou littéraires de l’Antiquité ou du
Moyen Âge. Ici Stanhope illustre le mythe de la réincarnation telle que les Grecs l’imaginait. Les âmes
des défunts doivent oublier leur vie antérieure pour aborder une nouvelle incarnation.
Christine Kossaifi dans « L’oubli peut-il être bénéfique ? L’exemple du mythe de Léthé : une fine
intuition des Grecs » publiée dans la revue ¿ Interrogations ? L’oubli N°3 décembre 2006, présente les
caractéristiques mythiques de l’oubli.
« Au premier abord, Léthé apparaît comme une puissance destructrice. Par sa mère, Eris, sœur et compagne du
dieu de la guerre, Arès, et par ses frères et sœurs, elle est associée aux violences guerrières sanglantes, aux tensions
psychologiques, à la souffrance physique et morale. P. Lévêque et L. Séchan parlent même, à propos de cette
généalogie, d’une « carte du dur ». Léthé devient ainsi un symbole de mort, associée à Thanatos comme dans
l’Hymne orphique à Hupnos, et ce n’est pas sans raison si c’est aux Enfers que coule son fleuve : l’oubli que
procure son onde s’assimile à une perte d’identité et souligne sa capacité à donner la mort par anéantissement
léthargique de la personnalité. Léthé s’avère monstrueusement dangereuse ; d’ailleurs ne passe-t-elle pas aussi pour
la fille de Gaia, dont la personnalité négative a été accentuée au point de faire d’elle la mère de tous les monstres ?
Pourtant son ascendance et son identité de fleuve infernal la mettent en relation avec au moins trois des quatre
éléments, à savoir la terre (elle est fille de Gaia), l’air (elle est fille d’Ether) et l’eau (elle est un fleuve) ; elle est
même associée à la chaleur du feu chez Platon, ce qui fait d’elle une divinité cosmique primordiale, en tant
qu’émanation de ce que les Anciens considéraient comme les composants ultimes de la réalité. Ses attributions et sa
personnalité reflètent celles de ses parents d’une façon qui peut être tout à fait positive : Gaia, mère des monstres
mais aussi « mère universelle et mère des dieux », possède une science mantique ancienne, et Léthé a hérité d’elle
sa fonction oraculaire, puisque - nous le verrons - elle joue un rôle dans la consultation de certains oracles. À son
père Ether, lumière pure du ciel supérieur, et à sa grand-mère Nuit, Léthé doit sa dimension spirituelle et sa
puissance créatrice, tandis que son autre mère, Eris, qui n’est pas seulement la détestable Discorde mais aussi
« l’esprit d’émulation, (…) ‘ressort’ (du) monde », fait d’elle une puissance d’apaisement et un principe de
création, comme l’a fort bien compris Nietzsche, pour qui l’oubli est au principe de la création.
Enfin, Léthé est sœur de Serment, Horkos, étymologiquement « ce qui enferme ou contraint », c’est-à-dire une
violence salutaire qui oblige à tenir sa parole. À l’image de son frère, dieu de la droiture morale qu’il fait respecter
au besoin par la force, Léthé, par sa puissance d’oubli, détruit et sauve tout à la fois ; d’ailleurs, ses filles, les
Charites, sont de riantes divinités de la végétation, qui meurt pour revivre, et des déesses de la beauté, répandant
la joie dans la nature et le cœur des hommes. Quand le mythe présente Léthé comme la fille d’Eris et la mère des
Charites, il suggère, selon l’analyse du docteur B. Auriol, qu’à la discorde succède l’oubli qui engendre la fête ».
Je me souviens – 19
L’étude de la figure de Léthé telle que la construisent la mythologie et les penseurs de l’Antiquité met en lumière
la fine intuition des Grecs : si l’oubli peut apparaître comme une défaillance de la conscience et un échec du logos,
il s’avère pourtant bénéfique. Il a un indéniable pouvoir thérapeutique et cathartique, puisqu’en effaçant les
souvenirs douloureux, il adoucit les souffrances. En exprimant un manque qui provoque une nostalgie, il joue un
rôle de catalyseur dans la quête philosophique de la vérité, l’aletheia, et il est même à l’origine de l’une des plus
belles expériences humaines, celle de l’extase véritable, sensuelle ou mystique, qui est d’abord un oubli de soi dans
l’autre ou en Dieu. Ainsi, l’oubli n’est pas seulement bienfaisant, il est proprement essentiel à l’homme, aussi
inhérent à sa nature que la mort à la vie. »
Les personnages qui avancent sur la rive gauche du fleuve portent des vêtements qui situent leur
condition sociale, leur âge, de la toute petite enfance à la grande vieillesse. Ils ont des attitudes qui
permettent d’imaginer les conditions de leur mort, individuelle ou collective, (amants, famille) et
d’envisager les souffrances qu’ils ont connues, physiques ou morales.
L’accablement et le retrait dans la douleur laissent place à l’approche de la rive à une tension vers le
fleuve. Les regards se fixent sur l’horizon de l’autre rive ; ils vont se laisser basculer dans le fleuve. La
traversée les dépouille et ils abordent nus et épuisés. Ils sont alors gagnés par un sommeil qui effacera
tout leur passé de leur conscience.
4◗ L’exemple de l’oubli divin
Le retour du fils prodigue
… Rentrant en lui-même (le fils) se dit : « combien d’ouvriers de mon
père ont du pain de reste, tandis que moi, ici, je meurs de faim ! » je
vais aller vers mon père et je lui dirais : « Père, j’ai péché contre le ciel
et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Traite-moi comme
l’un de tes ouvriers ». Il alla vers son père. Comme il était encore loin,
son père l’aperçut et fut pris de pitié : il courut se jeter à son cou et le
couvrit de baisers.
Évangile de Luc 15- 17, 20
En quoi la parabole qu’illustre cette icône révèle-t-elle le rapport du Christianisme à la
mémoire des fautes ?
Évangile selon saint Luc, chapitre 15, versets 11 à 32 :
Il dit encore : Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : mon père, donne-moi la part
de bien qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après, le plus jeune fils,
ayant tout ramassé, partit pour un pays éloigné, où il dissipa son bien en vivant dans la débauche.
Lorsqu'il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans
le besoin. Il alla se mettre au service d'un des habitants du pays, qui l'envoya dans ses champs garder
les pourceaux. Il aurait bien voulu se rassasier des caroubes que mangeaient les pourceaux, mais
personne ne lui en donnait. Étant rentré en lui-même, il se dit : Combien de mercenaires chez mon
père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j'irai vers mon père, et je
lui dirai : Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ;
traite-moi comme l'un de tes mercenaires. Et il se leva, et alla vers son père. Comme il était encore
loin, son père le vit et fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et le baisa. Le fils lui dit :
Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. Mais le
père dit à ses serviteurs : Apportez vite la plus belle robe, et l'en revêtez ; mettez-lui un anneau au
doigt, et des souliers aux pieds. Amenez le veau gras, et tuez-le. Mangeons et réjouissons-nous ; car
mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. Et ils
L’outil mémoire – 20
commencèrent à se réjouir. Or, le fils aîné était dans les champs. Lorsqu'il revint et approcha de la
maison, il entendit la musique et les danses. Il appela un des serviteurs, et lui demanda ce que c'était.
Ce serviteur lui dit : ton frère est de retour, et, parce qu'il l'a retrouvé en bonne santé, ton père a tué
le veau gras. Il se mit en colère, et ne voulut pas entrer. Son père sortit, et le pria d'entrer. Mais il
répondit à son père : voici, il y a tant d'années que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres, et
jamais tu ne m'as donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis. Et quand ton fils est
arrivé, celui qui a mangé ton bien avec des prostituées, c'est pour lui que tu as tué le veau gras ! Mon
enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à toi ; mais il fallait bien s'égayer
et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu'il est revenu à la vie, parce qu'il était perdu
et qu'il est retrouvé. (Traduction d'après la Bible Louis Segond).
Cette icône moderne perpétue la tradition de représentation de personnages ou de scènes religieuses
issues du nouveau Testament dans l’Eglise orthodoxe au Moyen Âge. La parabole illustrée ici montre
le Christ, reconnaissable à son auréole, dans le rôle du père. Plusieurs scènes qui se succèdent dans le
temps de l’histoire, se juxtaposent sur l’espace de l’icône. Le Christ accueille le fils repenti, commande
au serviteur de préparer un festin et de faire tuer pour cela un veau gras puis on le voit bénissant le
père et le fils réconciliés à la table de fête. Cette icône invite les chrétiens à pardonner les offenses en
suivant l’exemple d’un dieu miséricordieux qui pardonne la faute originelle ainsi que le disent de
nombreuses paraboles racontées par Jésus et rapportées dans les Evangiles. Le pain et le vin sur la table
renvoient à la Cène, le dernier repas de Jésus avant son arrestation et son supplice qui rachète
précisément toutes les fautes Il s’agit pour les fidèles d’être à la hauteur de cet exemple mémorable.
Je me souviens – 21
L
A
M E M O I R E
C O L L E C T I V E
L ’ a t t a c h e m e n t
a u x
t r a d i t i o n s
34◗ Définitions
Trésor de la Langue Française Informatisé
À quels champs lexicaux appartiennent ces adjectifs ? De quelles connotations sont-ils
chargés ?
« Progressiste » et « réactionnaire » appartiennent au lexique politique ils sont antinomiques. Le
premier tire sa connotation positive de la valorisation du changement issue de la notion de progrès
élaborée par la philosophie des Lumières. Le réactionnaire est donc considéré comme quelqu’un qui
refuse ou entrave le progrès. Le terme est donc connoté négativement par rapport à ce modèle
intellectuel.
35◗Nostalgie barcelonais
Jérôme TRIAUD
Quels sont les enjeux économiques, politiques et sociologiques de la modernisation de ce
quartier de Barcelone ?
Le Poble Nou quartier industriel et portuaire de la ville de Barcelone était habité par une population
modeste et interlope. On lui adjoignit le village olympique quand la ville accueillit les Jeux
Olympiques, enjeu de prestige valorisant les politiques et dynamisant l’activité économique.
L’évolution technique et la crise ayant disloqué l’économie ancienne qui animait ce quartier, il devint
une zone en déshérence dont les prix bas séduisirent un nouveau type d’investissements plus ou moins
légaux. L’insalubrité et l’immoralité du vieux quartier donnèrent des arguments pour sa destruction et
les anciens habitants se virent refoulés vers des bidonvilles à l’entrée de la ville. L’administration de la
ville peu préoccupée de la dimension sociale du problème favorisa l’implantation d’une nouvelle
population aisée et branchée dans ce lieu devenu à la mode. La municipalité bénéficia de cette image
plus valorisante de la ville, l’économie également. Les profits liés au tourisme, aux nouvelles
technologies, à l’industrie du loisir ont remplacé ceux de l’ère industrielle. Les seuls perdants sont
comme à l’accoutumée dans ce genre de remaniement urbain les classes inférieures de la société.
36◗ Mémoire des lieux
Eugène ATGET
Comment peut-on expliquer l’intérêt de ce photographe pour ce type de sujet dont il se
fit une spécialité ?
Le début du XXe siècle est marqué par de considérables transformations, particulièrement une
accélération de la vie. La modernité est même chantée par les poètes comme Apollinaire ou
représentée par les artistes. L’idée que le XXe siècle va révolutionner la vie rend plus attentif à ce qui
paraissait solidement établi et qui s’avère finalement voué à se transformer comme le cadre de vie
urbain. Atget cherche à fixer pendant qu’il en est encore temps l’état ancien d’une ville qu’il voit en
constante transformation.
La mémoire collective – 22
37◗ Voyage mémoriel
Nicole VOLLE
Comment cet ouvrage illustre-t-il la notion de mémoire collective ?
Kaufmann évoque la mémoire commune à différents membres d’une même famille sur trois
générations. Il part à la recherche d’une connexion de son existence avec les vies de son père et de
son grand père. Il cherche à faire siens leurs souvenirs. Mais au-delà de cette intention généalogique,
cet itinéraire fait appel à une mémoire collective plus large, l’une d’origine scolaire constituée par
l’histoire, la littérature, la géographie, l’autre vivante révélée par les conversations avec les habitants
rencontrés sur le chemin.
Ce voyage lui permet également de constater la pérennité des traditions qui maintiennent vivant un
passé que les grandes villes semblent avoir éradiqué.
38◗ Passéisme
Mathieu Bock-Côté
Quelle attitude intellectuelle ce texte critique-t-il ?
Le journalisme souligne avec humour le manque de culture historique, la naïveté présomptueuse de
ceux qui condamnent toute référence au passé par principe. Le simplisme de telles postures les rend
inopérantes sur le plan politique. Un essai de Jean Claude Michéa le Complexe dOrphée développe
l’analyse de ce refus de regarder en arrière très répandu dans l’idéologie dominante actuelle.
39◗ Paradis passé ou futur
Mircéa ELIADE
Quelle idée du passé les mythes véhiculent-ils ?
Les mythes inventent l’histoire de l’origine du monde. La narration de cette histoire reproduit
la création elle-même et la perpétue ou la restaure. La répétition et la conservation de la
mémoire de cette histoire fondatrice sont d’une importance vitale. La mémoire est
génératrice de l’avenir qu’elle rend possible Elle a une fonction dynamique.
La mémoire collective des colonisés intègre celle des colonisateurs d’une manière polémique.
Elle nourrit une position politique revendicative dans le cas des cargos cults où le souvenir du
passé n’est pas nostalgique mais révolutionnaire puisque les caractéristiques de ce passé
heureux doivent être reconstituées.
P a t r i m o i n e
e t
h i s t o i r e
40◗Invention du patrimoine
Histoire des musées
De quel type de mémoire le musée est-il l’instrument ?
Le musée a une fonction pédagogique dans la mesure où il stocke des objets artistiques, naturels,
techniques… offerts à l’observation et l’étude. La conservation d’objets d’abord contemporains puis
qui deviennent historiques au fil du temps contribue à la construction d’une culture qui constitue une
forme de mémoire collective. Après avoir rassemblé des curiosités, des instruments techniques, des
œuvres d’art, les collections publiques et privées se sont constituées autour d’objets ethnologiques. Il
s’agit aujourd’hui de tout archiver d’un passé proche et du présent perçu comme fugace. Tout est fait
Je me souviens – 23
pour attirer dans les musées le plus grand nombre possible de visiteurs. Une nuit des musées a même
été instaurée. La mémoire devient alors avec un alibi pédagogique et culturel un produit économique
à rentabiliser.
41◗ Conservation/modernisation
Victor HUGO
Quelles attitudes antagonistes à l’égard de l’héritage architectural ce texte présente-t-il ?
Victor Hugo dénonce les transformations de la cathédrale faites pour la mettre à la mode des
différentes époques de la période classique durant lesquelles l’art gothique était discrédité.
Il signale aussi que l’architecture est un objet idéologique que la Révolution a pris pour cible jusqu’à
ce que l’abbé Grégoire, inventeur du mot « vandalisme » convainque l’Assemblée que les œuvres
architecturales de l’Ancien Régime devaient être considérées comme biens de la Nation et protégées.
Le XIXe siècle constitua un catalogue des monuments historiques, initié par Prosper Mérimée destiné
à organiser leur préservation.
Hugo se place du côté des architectes restaurateurs comme Viollet le Duc qui chercheront à retrouver
les formes originelles des bâtiments gothiques au détriment cette fois-ci des apports ultérieurs.
42◗ Le patrimoine
François HARTOG
Quelle mutation s’opère dans la relation au temps aujourd’hui ?
Hartog souligne la paradoxale angoisse d’une société à la fois tournée vers l’avenir mais qui veut
conserver de façon anxieuse les moindres traces du présent. Elle cherche à faire obstacle au travail de
décantation qu’opère la mémoire avec un souci obsessionnel d’exhaustivité. Le présent veut maîtriser
ses propres traces et organiser lui-même sa mémoire.
43◗ Souvenir/mémoire
Serge BARCELLINI
Quelles différences l’auteur note-t-il entre droit au souvenir et devoir de mémoire ?
Les termes droit et devoir sont antithétiques alors que mémoire et souvenir semblent synonymes mais
effectivement droit au souvenir et devoir de mémoire empruntent des voies de communication
différentes.
D’un côté le droit au souvenir s’exprime par un rituel au cérémonial figé qui sélectionne et
hiérarchise ce qui doit être commémoré, qu’il s’agisse de la première guerre mondiale ou de la
seconde. L’ensemble hiérarchisé de figures héroïques, le nombre des dates et des lieux de
commémoration peuvent différer mais le principe est le même.
De l’autre côté, le devoir de mémoire s’inscrit dans des lieux divers, musées, mémorial, historial ; il
connaît une perpétuelle évolution des supports, recourt aux spectacles de divers types. Il demande des
budgets toujours plus conséquents. La détermination des objets de ce devoir de mémoire est le fait
d’un choix politique. Elle est toujours renouvelée, au gré des courants d’opinion et est à l’origine de
lois votées en faveur de victimes.
La mémoire collective – 24
44◗ Mémoire/histoire
Joël CANDAU
Quels sont les principaux axes de l’opposition entre mémoire et histoire ?
La dernière phrase du premier paragraphe propose les différentes antinomies existant entre les deux
domaines. La citation que l’auteur fait d’un texte du psychologue Halbwachs puis de l’historien Pierre
Nora complète cette première récapitulation par une autre série d’oppositions. Les oppositions
portent sur les intentions, les fonctions, le rapport au passé, le mode de constitution de l’histoire et de
la mémoire. Selon Nora la première est mouvante, concrète, subjective et passionnelle ; la seconde
veut figer, abstraire, vise à l’objectivité et à
45◗ Le devoir de mémoire
Monument aux morts Saint Julien du Gua.
Que révèle l’inscription de ce monument ?
Ce village ardéchois qui comptait 736 habitants en 1911 a versé proportionnellement à sa population,
une contribution énorme à la guerre. Le simple énoncé des noms montre que six familles ont perdu
au moins deux fils et deux familles trois. Cette ponction de 4,4 % sur les jeunes hommes (33) a
forcément eu une incidence considérable sur l’avenir de la commune qui ne compte plus aujourd’hui
que le quart du nombre des habitants recensés en 1911.
C o n f l i t s
d e
m é m o i r e
46◗ L’ambiguïté de la victoire de 1918
Annette BECKER
Quelle ambiguïté révèle les commémorations de la fin de la Première Guerre mondiale ?
L’érection des monuments aux morts et l’organisation des cérémonies ont été déterminées par les
citoyens et ne sont pas le fruit d’une organisation étatique. C’est spontanément qu’un consensus
étonnant s’est instauré :
Alors que le pacifisme l’emportait sur le sentiment de victoire très peu de monument le proclament.
Alors que des dissensions étaient apparues dans l’opinion publique au cours de la guerre une
unanimité se fait autour de l’idée de deuil.
Alors que la loi de 1905 avait proclamé la laïcité, les formes du deuil retrouvent des modes
d’expression issus de la tradition religieuse.
Toutes les communautés communient dans la souffrance et le deuil.
47◗Souvenirs honteux
Robert CAPA
Analysez la situation saisie par cette photographie.
La scène photographiée par Capa est un cas parmi d’autres de règlements de compte à la faveur du
retournement de situation créé par la Libération. Il a enhardi ceux qui sous l’Occupation collaboraient
plus ou moins passivement avec le système dominant et qui voulurent désormais se montrer patriotes
en pratiquant l’épuration des collaborateurs avoués et en punissant les femmes coupables d’intelligence
avec l’ennemi désormais vaincu. Le titre de cette photo renvoie-t-il à l’indignité de la femme
Je me souviens – 25
française qui a eu un enfant avec un Allemand ou à celle des « justiciers » qui l’ont tondue et
l’humilient publiquement.
48◗ La difficulté d’écrire l’histoire coloniale
Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD
Comment est éclairée ici la difficulté encore actuelle à écrire une histoire de la
colonisation française ?
Les entreprises de colonisation ont été soutenues par la République française au nom des valeurs
intégratrices exposées par Ernest Renan sur lesquelles elle était constituée et qui la légitimaient. Celles
des Lumières et dont la transmission était la mission de la jeune école publique récemment instaurée.
Désavouer la colonisation d’une manière globale sans porter atteinte aux valeurs fondamentales de la
République s’avère compliqué.
49◗ Lois mémorielles
Josie APPLETON Pierre NORA
Quelles sont les caractéristiques des lois mémorielles et quels reproches les historiens leur
font-ils ?
Les lois mémorielles sont le fruit d’une mode récente. Elles sont nées d’un virage idéologique qui a
poussé à la prise en compte de la revendication des victimes de drames historiques d’être reconnues et
dédommagées. Ces lois sont souvent prises par opportunisme politique et sans cohérence au niveau
des principes directeurs. De plus on assiste à une dérive du sens des termes « génocide » et « crime
contre l’humanité » qui brouille la réflexion. Elles sont aussi des formes dangereuses de limites à la
liberté d’expression et de recherche. À ce titre elles inquiètent les historiens qui y voient une toute
autre problématique que celle qui sous tendait les lois contre la diffamation. Ces lois mémorielles sont
prescriptives, moralisatrices et portent atteinte à la liberté de la recherche selon eux.
50◗ Taire ou dire
Crystel Pinçonnat
Quels sont les risques du silence sur le passé ?
L’auteur a étudié des récits d’immigrés d’Afrique du Nord en France. Elle note une grande diversité
des modalités d’expression de la mémoire et des contenus des récits. Elle s’interroge sur les effets du
silence de ces générations migrantes sur leurs expériences. Il crée un vide dans la perception que leurs
descendants ont de l’histoire de leur famille qui peut être comblé par de multiples fantasmes. La
mémoire qui s’exprime dans les récits et les témoignages est subjective et donne une idée très variable
de la réalité. Elle est la seule disponible pour combler le vide laissé par le peu de travaux historiques
mais le fait d’une façon fragmentée et relative, et qui peut nourrir rancœur et révolte.
La mémoire collective – 26
51◗ Contre le droit à l’oubli informatique
Fabienne DUMONTET
Quelles menaces sur l’intérêt collectif fait planer la loi sur le droit à l’oubli informatique ?
Il y a conflit entre l’intérêt personnel de celui qui veut sauver sa réputation ou faire disparaître la trace
de ses forfaits et l’intérêt de la collectivité à disposer des informations qui peuvent permettre la
connaissance de la vérité et des responsabilités. Les restrictions que la loi européenne a introduites à la
suite de protestation comme l’effacement des noms propres sont illusoires, insuffisantes ou nuisibles. Il
est, de plus, impossible de décider aujourd’hui de quels types d’information auront besoin les
enquêteurs de demain.
Notes et questions relatives aux documents du cahier couleur
1◗ Lieux de mémoire
Place de la Bastille, Opéra et colonne de Juillet
Quels événements ce lieu commémore-t-il ?
la Bastille
La construction de la Bastille qui donne son nom à cette place remonte à Charles V. Elle se trouvait
entre les débouchés du boulevard Henri-IV et de la rue Saint-Antoine et avait pour fonction de
fortifier la porte Saint-Antoine. Mais Paris s’étendant vers l’Est elle perd sa fonction défensive et
devient une prison sous Louis XI ; On l’utilisera comme entrepôt, salle de réception dépôt du trésor
royal. Elle devient prison d’état sous Richelieu pour les nobles et les bourgeois dont le roi souhaite se
débarrasser sans jugement et qui y vivent relativement confortablement. Les plus pauvres sont moins
bien traités. Lors de la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, les cellules n'abritent que sept
pensionnaires : quatre faussaires, un complice du régicide de Damiens et deux aristocrates
emprisonnés à la demande de leur famille. Le 21 mai 1791, après vingt et un mois d'effort, le millier
d'ouvriers engagés par l'entrepreneur Pierre-François Palloy ont rasé la Bastille !
La colonne de Juillet
Napoléon Ier conçut en 1806 le projet d’aménager la place de la Bastille et d’y édifier un arc de
triomphe à la gloire des armées françaises. Le projet fut rapidement abandonné et l’arc fut réalisé place
de l’Étoile. En 1810, un nouveau projet vit le jour : la construction d’une fontaine en forme
d’éléphant. Avec la chute de l’Empire, le projet fut abandonné et la maquette en plâtre de l’éléphant
resta dans un coin de la place jusqu’en 1846. Pour commémorer la révolution de Juillet, LouisPhilippe décida d’élever une colonne à la gloire des victimes des Trois Glorieuses. Leurs noms furent
inscrits sur le fût de la colonne, et des révolutionnaires morts au combat furent inhumés dans une
nécropole bâtie au-dessous. Le 27 juillet 1831, Louis-Philippe posa la première pierre de la colonne.
Celle-ci fut inaugurée le 28 juillet 1840 pour célébrer le dixième anniversaire de la révolution.
Auteur de la notice : Alice Camus
Collection : Numismatique Médaille commémorative de la pose de la première pierre du monument
de la Bastille, 27 juillet 1831. Jacques-Jan Barre. Musée Carnavalet - Histoire de Paris
1831 Bronze 5 cm ND 4821
Description détaillée de la colonne par des élèves
http://clg-antoine-meillet-chateaumeillant.tice.ac-orleans-tours.fr/eva/sites/clg-antoine-meilletchateaumeillant/IMG/pdf/PLACE_DE_LA_BASTILLE-3.pdf
Je me souviens – 27
l'Opéra-Bastille
Inauguration le 13 juillet 1989
À l'occasion des cérémonies de commémoration du bicentenaire de la Révolution française, le nouvel
opéra parisien est inauguré place de la Bastille par le président de République François Mitterrand.
Imaginé par l'architecte canadien d'origine uruguayenne, Carlos Pott, l'Opéra Bastille se caractérise
par la transparence de ses façades et sa capacité d'accueil de 2700 places. Le coût total de sa
construction s'élève à 2,8 milliards de francs et le bâtiment sera l'objet d'une vive controverse. L'opéra
de Berlioz "Les Troyens" sera le premier spectacle a y être donné le 17 mars 1990.
2◗ La décantation du passé collectif
Jean-Baptiste MAUZAISSE
Analysez l’ambivalence du temps historique à partir de cette allégorie.
Afin d'orner la salle consacrée aux objets précieux du musée, dénommée alors " salle des bijoux, un
plafond fut commandé au peintre Mauzaisse en 1821. Une nouvelle commande lui fut passée en 1828
pour compléter ce décor.
Les voussures reçurent les allégories des quatre saisons, les dessus-de-porte, celles des quatre éléments,
tandis que des représentations des Arts, des Sciences, du Commerce et de La Guerre furent placées en
entre-deux des fenêtres.
Le peintre conformément à la tradition classique représente le temps sous l’apparence d’un vieillard
robuste, ailé et armé d’une grande faux. Ces éléments expriment que le temps est une donnée
éternelle. Ils évoquent la rapidité avec laquelle le temps s’écoule, la caractéristique périssable de toute
chose. Le Temps se détache sur un ciel nocturne chargé de nuages menaçants mais qui s’écartent pour
laisser voir un clair de lune limpide diffusant une lumière argentée. Le personnage est éclairé par une
lumière dorée qui provient d’une source placée symétriquement par rapport à la lune. La lumière
solaire annonce le jour qui baigne déjà, dans le coin inférieur droit, un paysage marin. Le Temps se
trouve donc au centre d’un face à face entre la lune et le soleil qui symbolisent respectivement la nuit
de l’oubli et la mise au jour de la redécouverte. Les objets redécouverts sont des vestiges
architecturaux ou des fragments de statues. Ils sont en désordre ce qui montre la dimension hasardeuse
des redécouvertes artistiques seules considérées ici puisque ce motif décore le plafond d’une salle de
musée. Les styles ou les sujets résument l’histoire de l’art : on voit l’angle d’un temple dorique
évoquant la Grèce, un chapiteau corinthien et un torse impérial suggérant l’art romain, une tête de roi
peut-être gothique, le torse tordu à la manière baroque d’un homme évoquant la statue de Laocoon
restaurée par Michel Ange, un buste moderne d’un héros de l’armée impériale. Le temps use, détruit ;
les hommes abandonnent à la nature les vestiges des civilisations vaincues. Cependant la Renaissance
puis l’époque classique se passionnèrent pour les civilisations antiques, en collectèrent les restes puis
entreprirent des fouilles pour les exhumer dès le XVIIe siècle dans le cas de Pompéi par exemple. Le
XIXe siècle redécouvre et revalorise l’art gothique, expression du passé national. Au milieu du
XIXe siècle, la légende napoléonienne pourtant peu éloignée semble avoir été reléguée au rang des
antiquités à redécouvrir.
3◗ Mémoire des colonisés
Diego RIVERA
Quelle vision de la conquête du Mexique par les Espagnols cette fresque donne-t-elle ?
Une étude globale de la fresque peut être consultée à l’adresse suivante
http://www.crimic.paris-sorbonne.fr/actes/sal3/barataud.pdf
La mémoire collective – 28
Une description détaillée est donnée par
https://lapartmanquante.wordpress.com/2012/01/03/diego-rivera-murales-del-palacio-nacional/
Cette partie du mural montre l’arrivée des soldats et des prêtres qui tuent l’empereur et le grand
prêtre. Ils réduisent les Aztèques en esclavage et les traitent avec la plus grande sévérité. Les colons
ensuite se partagent les terres et les exploitent à la manière européenne, élevant des troupeaux,
exploitant des mines et des forêts.
4◗Illustration de la mémoire
Affiche de l’exposition « Mémoire et bande dessinée »
Texte de présentation de l’exposition :
« Grand Angle met la bande dessinée au service de l’histoire
et de la mémoire…
La bande dessinée raconte une histoire, toujours. C’est le scénariste qui
la conçoit, le plus souvent de toutes pièces. Elle est découpée, travaillée,
réfléchie, mesurée.
C’est ensuite au dessinateur de se l’approprier pour lui donner corps
après autant de recherches, d’esquisses, et de traits essayés. Quand l’histoire
est antérieure à la bande dessinée qui va la raconter, la donne est
changée. Les auteurs sont en création, toujours, mais différemment. Ils
interprètent et endossent une responsabilité face à cette histoire qui leur
est antérieure. De nombreuses questions se posent, un regard critique
s’impose, la documentation, les témoignages, les photos d’époque sont
autant d’éléments qui vont façonner le regard des auteurs et leur restitution
des faits à travers un album. La collection Grand Angle s’est
ainsi construite, avec ses auteurs, un univers d’histoires qui racontent la
grande histoire. Les albums de cette collection interrogent et font réagir.
C’est cette démarche que l’exposition « Mémoire et Bande Dessinée »
souhaite aujourd’hui restituer et décrire… »
Analysez la complémentarité entre l’organisation de l’image et le texte de l’affiche.
Le site de l’exposition indiqué ci dessus présente différents albums de la collection Grand Angle sur des
doubles pages. Pour chacun est fait un rappel du contexte géographique et historique dans lequel se
situe l’action racontée, le sujet traité et les angles d’approche des auteurs. Des documents, des
interviews côtoient des exemples de vignettes ou de planches. Les choix graphiques des dessinateurs
sont ainsi présentés et parfois expliqués par les auteurs.
L’affiche de l’exposition représente dans un ciel jaune qui peut suggérer le feu, sept bombardiers
anciens qui évoquent les attaques aériennes de la dernière guerre mondiale. Si on ne sait pas identifier
ces avions ni leur pays d’origine, l’orientation de leur vol vers notre droite, donc vers l’Est évoque
plutôt les forces alliées. On en conclut que la mémoire évoquée dans la Bande dessinée est une
mémoire des conflits modernes et militaires.
Le point d’où sont vus les avions représentés se situe juste au-dessous de l’avion du premier plan. Le
spectateur de l’affiche est donc amené à partager les sensations des membres d’un autre avion de
l’escadrille.
La proximité des appareils et la vitesse suggérée par les traînées jaunes dans la partie la plus claire du
ciel expriment implicitement l’habileté des pilotes. Le nombre des avions et leur disposition sont
caractéristiques d’un raid. Le spectateur est immergé au cœur du danger. Nous sommes d’emblée dans
Je me souviens – 29
la situation narrative des histoires racontées dans les ouvrages de cette collection : un point de vue
individuel sur un événement collectif qui permettra de concrétiser et de faire partager l’angoisse et la
tension ressenties dans des situations de danger mortel collectif comme les guerres.
La typographie oppose également une police classique pour les majuscules du mot « mémoire » à une
typographie plus ludique pour l’expression « bande dessinée ». Chaque lettre est assimilée à une image
d’une vignette à cause du cadre qui l’entoure et dans lequel elle est irrégulièrement centrée comme
peuvent l’être les sujets dessinés. Le mot en devient mouvant sur deux axes, selon la verticale de la
page mais aussi selon un axe qui lui sera orthogonal vers nous. Les lettres semblent alors plus ou moins
proches de nous. La typographie connote la dimension ludique du mode d’expression qu’est la bande
dessinée. Ce dernier effet est accentué par l’irruption d’une majuscule au milieu des minuscules. Le
logo bien visible de la ville de Lyon qui héberge l’exposition la présente comme à l’origine de cette
séduisante idée et rappelle aux citoyens la pertinence des actions culturelles qu’elle promeut ou
soutient. Il s’agit d’une initiative pédagogique comme on peut le percevoir dans le texte de
présentation qui explique le principe de la réalisation d’une bande dessinée. Il s’agit aussi d’une
initiative contrôlée par l’éditeur qui se présente comme garant de la vérité historique et du sens des
responsabilités de ses auteurs. Le nom de la collection est celui d’un type d’objectif d’appareil photo
qui renvoie donc à une restitution considérée comme objective puisque photographique. L’adjectif
implique aussi une vue d’ensemble. Ceci équilibre la perspective individuelle et émotionnelle des
histoires individuelles racontées qui doivent révéler des aspects plus mémoriels qu’historiques mais
sans toutefois trahir les versions officielles des faits. On sent ici la tension entre histoire et mémoire
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