LA FEMME SEULE

Transcription

LA FEMME SEULE
LA FEMME SEULE
Scénario de Brahim FRITAH
Note à tous
Le récit suivra deux narrateurs, d’une part Akosse, suite à l’entretien qu’elle nous a
accordée et un narrateur masculin, qui donnera un contrepoint et des précisions par
rapport au témoignage d’Akosse. D’une part cela marquera le rythme du récit, mais
cela me permettra de préciser mon point de vue extérieur, mais impliqué sur son
histoire, tout en enrichissant les possibilités de narrations, sonore et visuelles.
Dans le présent synopsis, les interventions masculines sont en italiques pour les
distinguer de celles d’Akosse.
Générique de début
Ouverture au noir
1 / INT / APPARTEMENT / JOUR
On découvre l’appartement à travers ses chambres, les parquets qui diffèrent d’une
pièce à l’autre. On filme au niveau du sol et à chaque endroit correspond l’ambiance
sonore du voisin se trouvant en dessous. Cela va de la douce rumeur, à la vision d’un
téléfilm à succès, à des discussions très dures dans une famille. A différents endroits
de l’appartement.
2 / INT / SALON / JOUR
Des plans se succèdent, aux quatre coins du salon.
Une fenêtre et un rideau jaune qui filtre la lumière éclatante au dehors, comme si le
rideau contenait de la lumière.
« L’ouvrir et voir derrière ? Mais comment peut-on nourrir l’espoir alors que l’on
sait qu’il sera déçu ? Cette lumière nous appartient à tous, elle pourrait m’éclairer,
mais elle m’aveuglera, définitivement. ».
3 / EXT / CAMPAGNE / JOUR
Portrait d’Akosse floues.
« Le soleil existe, c’est une certitude, l’une des seules que j’aie. Mais pour l’instant, ce
filet de lumière, c’est ce qui me nourrit et cela me suffit». Ecran noir.
4 / INT / CHAMBRE / JOUR
Longue ouverture au noir. Une ampoule au loin. Une musique enfantine et l’étrange
son émis par les vibrations du ligament de lampe. Un plan serré du ligament
incandescent. On découvre dans une chambre des peluches partout. En grand désordre.
Une multitude de couleurs.
Akosse raconte la souffrance qu’elle avait avec les enfants, sauf la dernière qu’elle
considérait comme sa propre fille, mais qui réclamait beaucoup de soins comme
n’importe qu’elle enfant en bas âge.
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« Le travail s’accumulait. Pas de repos, pas de répit, pas de pitié. Il fallait en plus
s’occuper des enfants. Des fois lorsqu’ils étaient malades, cela devenait un réel
cauchemar. Alors pour les bercer je fredonnais une chanson de mon pays, celle que ma
mère me chantait. Puis j’éteignais la lumière ».
On a une vision des poupées dans la nuit, certaines semblent paisibles, d’autres sont
menaçantes.
Le lendemain matin.
5 / INT / CUISINE / JOUR
On entend des bruits de marteau piqueur. La journée commence. On a des reflets de
soleil sur les murs. On découvre du de la vaisselle qui s’entasse, une poubelle qui
déborde de son plein Linge sale, froissé un peu partout.
D’une voix las elle raconte : « Je n’ai jamais pris une journée de repos en un an et
demi… »
On découvre le tambour de la machine à laver qui tourne, qui tourne, remplissant
l’atmosphère sonore d’un bruit infernal.
Photo floue d’Akosse, la tête penchée vers l’avant, elle masque son regard de la main,
l’image traduit son désarroi.
« Aucune trace de la vaisselle de la veille. Il faut à nouveau laver le linge, nettoyer le
sol, refaire les chambres. Tout est déjà sale. On a tout oublié, tout recommencera
demain. Aucune reconnaissance. Dans un coin, à l’ombre de moi-même, on oubliera,
on m’oubliera… ».
Fondu au noir.
On découvre en un plan large l’immense cuisine du luxueux appartement.
« Il fallait tout nettoyer, tout le temps ». Un jour, elle s’est retrouvée seule, avec la clé,
la porte était ouverte. Du riz. C’est ce qu’elle a mangé pendant une semaine, un paquet
de riz pour une semaine, elle n’a pas touché aux misérables vingt euros sur la table de
la cuisine.
En plan serré on découvre des grains de riz près d’un bol. Blanc sur blanc. La solitude
de cette table, dans l’immense cuisine blanche.
« Je n’avais pas le droit de toucher aux aliments dans le réfrigérateur », comme si elle
appartenait à une caste inférieure.
Silence.
6 / INT / VILLAGE AU TOGO / JOUR
Dans une case, très abîmée, on découvre les photos d’une jeune fille et de sa grandmère, une femme très âgée. Son visage est marqué par le temps.
Akosse se souvient du riz qu’elle préparait à l’âge de 8 ans pour sa grand-mère. En
voix-off on entend la fille qui explique comment on prépare un bon riz. La fille parle
en éwé, l’une des deux langues du Togo. On entend la vieille femme interpeller un
garçon : « hé, toi ! Au lieu de jouer, viens manger ! ». On découvre le visage radieux
du garçon.
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7 / EXT / CAMPAGNE / JOUR
Photos floues du portrait d’Akosse. On devine son sourire.
Elle évoque les humiliations qui se sont succédées. La confiscation du passeport, les
tâches ménagères de plus en plus importante, avec la garde des enfants très agités. Ils
étaient âgés de 4 mois et 7 ans pour la cadette qui était très turbulente et méchante
avec Akosse. Apparaît une succession de portraits flous d’Akosse, en contre-jour
devant une fenêtre. « Le père était terrible. Il me faisait peur. Il ne me regardait jamais,
comme si je n’existais pas ! ».
Lentement l’image d’Akosse disparaît.
8 / INT / HALL D’ENTREE / JOUR
On s’approche lentement d’un miroir qui ne reflète rien d’autres que l’intérieur des
lieux. Les lieux sont froids, aucune présence humaine à part des fleurs sous le miroir,
des Bégonias rouges. Déjà une pétale rouge s’est déposée sur le parquet.
9 / INT / SALON / JOUR
La porte du salon est entrouverte, on y voit une longue table à manger. On la longe
lentement.
« Le samedi soir, je faisais le service pour la famille et leurs invitées ». Elle avait pour
consigne de retourner dans la cuisine une fois le service fait. Elle ne pouvait rester
parmi les invités. Néanmoins, elle observait ce qui se passait, comment les « grandes »
femmes étaient habillées. « Comment peut-on être si belle » ? Écouter discrètement les
conversations, « leur mari, je n’osais jamais les regarder ».
10 / INT / COULOIR / JOUR
Un placard est entrouvert. Des robes sont accrochées à des cintres. On découvre des
motifs tous plus beau les uns que les autres. Les robes sont étendues sur un lit. On
entend la conversation de la soirée.
« Il ne reste rien de la soirée, tout a disparu, mais j’entends encore ce qu’ils se sont
dits, les voix, les sons, tout résonne. Ils sont tout le temps avec moi. Je voudrai partir,
mais ils ne veulent pas, ils sont toujours là pour m’en empêcher, même lorsqu’ils sont
ailleurs ».
11 / EXT / CAMPAGNE / JOUR
Photos d’Akosse. Détails de sa robe fait de tissus africains. On s’approche des motifs
qui sont imprimés sur sa robe. Puis on revient sur des détails de la silhouette d’Akosse.
C’est alors qu’on photographie ses pieds dans l’herbe.
« Dehors, je marchais toujours derrière, toujours. Je n’avais pas le droit de marcher à
côté, d’elle. Elle disait que j’étais sa sœur, mais j’étais derrière à suivre mon maître,
certains se sont rendus compte qu’il y avait un problème ».
Silence.
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12 / INT / HALL D’ENTREE / JOUR
Le vaste hall est circulaire, on voit au niveau du plafond des plaintes de stuc
représentant des bouquets et autres cornes d’abondance. La profusion des formes
inspirées de fleurs et de plantes.
13 / INT / CUISINE / JOUR
On entend les sons de la ville. Le carrelage blanc de la cuisine, régulier propre, neutre,
sans vie. Mais par un étrange hasard un morceau d’une feuille de salade. Un infime
détail qui remet tout en cause, qui brise la monotonie des lieux. Alors le son des villes
diminue. Un plan serré de la feuille.
Je la vois, en pensant à elle, elle existe à travers moi. « Moi il ne me regardait pas,
jamais, mais j’étais seule.
14 / EXT / VILLAGE AU TOGO / JOUR
Akosse raconte qu’elle préférait toujours rester à l’écart des autres des groupes de
gens. Elle se rendait dans les bois pour récupérer des morceaux de bois, les vendre
pour en donner une partie à sa mère et s’acheter quelques fournitures scolaires.
14 BIS : Visions abstraites, mélange d’images du Togo et de celles de
l’appartement.
Des ornements, la beauté, les arbres, les fleurs. Il y a longtemps que je n’en ai
pas vu. Des dédales, des formes, dans ma fête, tout se mélange, tout est
compliqué. Une ligne droite et à côté des dessins compliqués, des formes de
plus en plus abstraites.
On découvre une succession d’éléments « isolés » dans l’immensité de
l’appartement.
15 / INT / HALL D’ENTREE / JOUR
L’immense plafond blanc du hall d’entrée. Alors on découvre un étrange objet
métallique. On s’en approche, l’objet si simple devient de plus abstrait, on dirait une
boucle métallique perdue dans un désert blanc.
« Je ne suis rien pour eux, mais eux sont tous pour moi. Ils croient en Dieu, je crois en
eux. Je ne peux pas partir… Je ne peux plus m’en aller. C’est ici qu’est ma vie, c’est
ici que je vais mourir. Je dois l’avoir mérité... »
16 / INT / CUISINE / JOUR
Cependant par-ci, par là des failles apparaissaient. Des craquelures, des stigmates du
temps. L’apparence si propre finissait par imploser, derrière se tramait quelque chose,
des ruptures, des pourparlers, des rumeurs. On reste fixé sur une longue fissure sur
l’un des murs.
« Je pourrai peut-être lire dans les murs, lire mon avenir ? »
Images abstraites, couleurs et formes graphiques qui se succèdent sur une musique
abstraites contemporaines. Cette musique a des résonances africaines.
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La réalité d’Akosse craque de tout côté. Ses rêves, ses aspirations à une vie meilleure
grandissent. Les horizons passés l’enivrent. Plus on avance dans le récit plus les
souvenirs du Togo sont magnifiés. On a de plus en plus de vue de l’extérieur à travers
les fenêtres. On se rend compte qu’au-delà du mur de brique en face de la fenêtre de la
cuisine, en levant les yeux, il y a un morceau de ciel bleu.
17 / INT / HALL D’ENTREE / JOUR
Nous sommes exactement face à la tranche d’une porte ouverte devant nous. On voit
les deux poignées. On Regarder la porte en face. Droite, concentrée.
« Ne pas détourner le regard, affronter le verrou ».
Des accointements, des reflets d’espoirs, de multiples portes entrouvertes, c’était mon
rêve de toujours, une réalité. Des portes ouvertes, une poignée que l’on attrape, que
l’on baisse. Un déclic, on l’amène vers soi, l’immense porte s’approche de vous. Une
lumière différente. Tout est difficile, l’air est différent, une odeur neutre se mêle à
celle de l’appartement. Les reflets comme des mirages, ils ont une origine, une forme
tangible. Et aujourd’hui, quels jours ? Je ne saurai le dire, aujourd’hui cette image est
vraie, devant moi existe-t-elle ? Devant la porte, toutes ses questions, moi qui ne m’en
pose plus. Tout se présente devant à moi. Toutes ses possibilités.
Lorsque le mari la rattrape et la bat à mort. Flou, montage serré des images d'objets qui
deviennent flous. C’est le vertige, elle ne sait plus où elle est. Un tourbillon, une
spirale, tout tourne. Ecran noir. Elle raconte qu’ils l’ont laissé choir à terre, dans la
cuisine pendant plus d’une journée.
18 / INT / CUISINE / JOUR
A même le sol, on voit dans une même perspective les barreaux de chaise métalliques.
Les reflets sur le sol prolongent les lignes de fer. « C’est là que je me réveillai, par
terre. Une forêt de métal dont j’essayais de percer le mystère. J’entendais des
bruissements métalliques et c’est alors que ma forêt au Togo m’est apparue ». Les
bruits métalliques se transforment en bruissement d’arbres, on entend le vent, la voix
de sa grand-mère qui l’appelle.
On a une succession de photos d’arbres. Les premières montrent des arbres plein de
vigueur, abondant de fruits, verdoyant, mais plus on avance moins les arbres sont
fournis, il semblent de plus en frêles, sans feuilles, desséchés, ridicule. Puis on voit
l’image d’un cimetière abandonné. Les tombes sont à peine discernable les unes des
autres. La voix de la grand-mère s’estompe. Akosse ne dit plus rien. Silence, seul le
vent perce le désertique cimetière.
D’un coup on revient sur les pieds de chaises métalliques à l’origine de ce rêve. On
entend les sons de marteau piqueurs provenant de la rue et le son d’un avion qui passe
dans le ciel.
« …Ces évocations, ces rêves m’épuisent, ils s’épuisent d’eux mêmes, j’ai besoin de
les toucher, de les ressentir. Je ne peux plus les penser. Je me vide. Je ne ressens plus
rien. »
La fleur qui se trouvait à l’entrée se fane. Sur le parquet les pétales s’accumulent.
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19 / INT / SALON / JOUR
Une poignée de porte qui se reflète sur la vitre qui est incrustée dans la porte. Un
horizon flou. Une serrure.
Rideau qui masque un mur. Des reflets, des ombres rectilignes courent sur le rideau.
La colonne vertébrale de la vitre, une base solide, des côtes flageolants, flottantes au
gré du vent.
Les fenêtres sont ouvertes, marteaux piqueurs. Les rideaux frémissent.
Elles épousent les plis ondulés du tissu. Les barreaux sont là. Impressionnant,
légèrement flottants, mais réelle. Une présence sombre, inquiétante. L’ombre d’un
lampadaire.
Fondu au noir.
20 / « BLACK OUT »
L’écran reste noir pendant toute une séquence sonore.
Les ambulances, des portes qui claquent, une longue discussion dont on ne discerne
pas bien les propos, une femme crie. Akosse raconte :
« Une voisine a entendu tout ce qui s’est passé, elle a alerté la police. Ils sont arrivés et
m’ont emmenés d’urgence à l’hôpital. De la fenêtre de l’ambulance, je voyais toute la
ville, d’autres endroits que je n’avais jamais vu ».
Lucarne d’une ambulance. Des paysages urbains défilent et ce sont les images du Togo
en couleur qui défilent.
21 / INT / CUISINE / JOUR
Tout est propre, paisible.
22 / INT / HALL D’ENTREE / JOUR
Sur la table près de la porte d’entrée, on a de nouvelles fleurs, des tulipes jaunes.
« Ils ont voulu me changer, mais moi, je ne change pas comme ça, je sais qui je suis, je
sais où je vais, et même si c’est difficile, je continuerai pour ma mère, pour les autres,
pas pour moi… ».
23 / EXT / CAMPAGNE / JOUR
On découvre Akosse de dos qui s’éloigne, en cinq images jusqu’à disparaître ».
Générique de fin
On entend la chanson togolaise qu’Akosse fredonnait aux enfants.
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