demandes d`asile liées à l`orientation sexuelle et à l`identité sexuelle

Transcription

demandes d`asile liées à l`orientation sexuelle et à l`identité sexuelle
D E M A N D E S D 'A S I L E L I É E S
À L' O R I E N TAT I O N S E X U E L L E E T
À L' I D E N T I T É S E X U E L L E E N E U R O P E
S A B I N E J A N S E N et T H O M A S S P I J K E R B O E R
SABINE JANSEN ET THOMAS SPIJKERBOER
COC NEDERLAND | VRIJE UNIVERSITEIT AMSTERDAM | SEPTEMBRE 2011
Fleeing Homophobia
e s t u n p r o j e t d u C O C Pa y s - B a s e t d e l ' U n i v e r s i t é L i b r e d 'A m s t e r d a m ,
en coopération avec le Comité Helsinki-Hongrie ,
Av vo c at u ra p e r i d i r i t t i LG BT / R e te Le n f o rd,
et le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés.
Fleeing Homophobia est financé par le Fonds européen pour les réfugiés,
le ministère néerlandais de l'Intérieur et des Relations au sein du Royaume
ainsi que par les organisations participantes.
Remerciements
To u t a u l o n g d e s r e c h e r c h e s e x p o s é e s d a n s l e p r é s e n t r a p p o r t ,
Caco Verhees a appor té aux auteurs une assistance logistique inestimable.
S a n s s a c o n t r i b u t i o n , c e p ro j e t n’a u r a i t p a s p u v o i r l e j o u r.
Dans la dernière phase du projet, Louis M iddelkoop et Veeni Naganathar ont
contribué à la rédaction des notes de bas de page.
La traduction a été effectuée par Astrid Aïdolan-Ague en collaboration avec Nicolas Braun.
Les éventuelles erreurs restantes sont le fait des auteurs.
Graphisme : anoukjohanson.nl
Table des matières
Ta b l e d e s m at i è r e s
Sommaire
7
1 I n t r o d u c t i o n
13
2
23
L a c r i m i n a l i s at i o n
3 L a p r o t e c t i o n é t a t i q u e c o n t r e l e s
ag e n ts d e p e r s é c u t i o n n o n é tat i q u e s
31
4
L’ e x i g e n c e d e d i s c r é t i o n
37
5
La protection interne
45
6
La crédibilité
51
7
L a r é v é l at i o n ta r d i v e
69
8 L e s i n f o r m a t i o n s s u r l e p a y s
d’origine
75
9
83
L’a c c u e i l
R e co m m a n dat i o n s
87
A n n e x e I : L i s t e d e s e x p e r ts n at i o n au x
91
A n n e x e II : C o m i t é c o n s u l t a t i f
93
5
6
Sommaire
Résumé
Chaque année, des milliers de demandeurs d’asile lesbiennes,
gays, bisexuel(le)s, transgenres et intersexué(e)s (LGBTI) cherchent
à bénéficier de la protection internationale en Europe. L’Union
européenne et les Etats européens ont déjà pris des mesures
positives concrètes, telle que la reconnaissance de l’orientation
sexuelle comme un motif de persécution à l’article 10 de la directive
qualification. Certains Etats membres ont également explicitement
ajouté l’identité de genre comme un motif de persécution dans leur
législation nationale (Portugal, Espagne) ou leurs documents de
politique (Autriche, Royaume-Uni) ; la directive qualification pourrait
être modifiée afin d’inclure l’identité de genre. Dans certains cas,
les demandeurs d’asile LGBTI persécutés sont reconnus comme
réfugiés, obtiennent une protection subsidiaire ou bénéficient d’une
autre forme de protection au sein des Etats membres de l’Union
européenne.
C o n s tat g é n é r a l
Ce rapport établit néanmoins qu’il existe des différences
considérables dans la manière dont les Etats européens examinent
les demandes d’asile des personnes LGBTI, ce qui est hautement
problématique dans la mesure où l’Europe a pour objectif de créer
un Système européen commun d’asile avec un statut uniforme.
Le système de Dublin, selon lequel un seul pays membre de l’UE
examine une demande d’asile, suppose une norme commune pour
l’application du droit des réfugiés malheureusement inexistante. Afin
de lutter contre ces différences de traitement entre les demandes
d’asile, le Bureau européen d’appui en matière d’asile devrait
privilégier la promotion et la coordination de l’identification et de
la mise en commun des bonnes pratiques concernant l’examen
des demandes d’asile des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles,
transgenres et intersexuées. Un deuxième constat général suite à
la présente étude comparative : sur de nombreux plans, la pratique
des Etats européens est en deçà des normes requises par les droits
de l’homme internationaux et européens ainsi que par le droit des
réfugiés.
La pratique européenne montre clairement que les autorités
nationales s’appuient dans de nombreux cas sur des stéréotypes
lorsqu’ils examinent les demandes d’asile des personnes LGBTI.
Ainsi, les décisions de justice reposent encore souvent sur l’idée
que l’orientation sexuelle du demandeur d’asile ne doit être prise
au sérieux que lorsque celui-ci ressent un besoin « impérieux et
irréversible » d’avoir des relations sexuelles avec une personne du
même sexe. De tels stéréotypes interdisent aux bisexuels faisant
l’objet de persécutions l’accès à une protection internationale,
ainsi qu’à d’autres personnes LGBTI dont le comportement ne
correspond pas aux stéréotypes des décideurs, qui ne tiennent pas
nécessairement compte des lesbiennes qui ne se comportent pas de
manière masculine, des gays non efféminés, ou des personnes ayant
été mariées ou qui ont des enfants.
De plus, le caractère fondamental des droits de l’homme
spécifiques aux personnes LGBTI est souvent nié dans la pratique
des Etats européens en matière d’asile. Les demandeurs d’asile
LGBTI sont fréquemment renvoyés vers leur pays d’origine au
motif qu’ils seraient censés pouvoir prévenir la persécution en
cachant leur identité de genre. C’est là leur refuser la notion
fondamentale au cœur du droit des réfugiés : si ces personnes
ont une crainte fondée d’être persécutées en raison de l’exercice
légitime d’un droit fondamental, elles peuvent prétendre à une
protection internationale. Leur demander de renoncer à leurs
droits fondamentaux afin de se « protéger » nie la fonction même
de ces droits. De la même manière, les demandeurs d’asile LGB
sont régulièrement renvoyés vers des pays où ils ont une crainte
fondée d’être emprisonnés ou condamnés à mort pour avoir eu
des relations sexuelles avec une personne du même sexe. Enfin, les
graves violations des droits de l’homme à l’encontre des personnes
transgenres se produisant à grande échelle dans de nombreuses
régions du monde ne conduisent que rarement à l’octroi de l’asile.
Les questions ciblées
Nous nous sommes penchés au cours de cette étude sur huit
questions en particulier :
1. La criminalisation
De nombreux demandeurs d’asile LGBTI sont originaires de pays
dans lesquels leur orientation sexuelle ou leur identité de genre est
criminalisée. Cette criminalisation peut prendre différentes formes et
concerner les relations sexuelles entre adultes consentants de même
sexe, les actes « contre nature », ce qui peut concerner les personnes
transgenres ou les personnes ayant des relations sexuelles avec une
personne du même sexe.
Dans cinq pays européens, les demandeurs d’asile LGBTI originaires
de ces pays voient leur demande rejetée même lorsque ces
dispositions pénales sont appliquées. Dans la plupart des pays, le
fait que la criminalisation soit appliquée (avec poursuites) suffit en
théorie à ce que le statut de réfugié soit reconnu. En pratique, une
telle protection est cependant refusée car un manque d’information
7
Sommaire
sur l’application des dispositions pénales visant les personnes LGBTI
est souvent considéré comme une absence d’application. En Italie, la
criminalisation est un motif suffisant pour obtenir le statut de réfugié.
La situation demeure néanmoins problématique dans les autres
pays européens. Selon l’article 4(3)(a) de la directive qualification, le
fait qu’une certaine orientation sexuelle ou identité de genre soit
criminalisée dans un pays devrait signifier que les personnes LGBTI
fuyant ce pays ont une crainte fondée d’être persécutées sur la base
de leur orientation sexuelle ou identité de genre.
2. La protection de l’Etat contre les persécutions non étatiques
Lorsque des personnes LGBTI font ou ont fait l’objet de persécution
de la part d’agents non étatiques (tels que des proches ou des
gangs), il peut être raisonnable d’appliquer l’idée selon laquelle
avant de se tourner vers la protection extérieure garantie par la
Convention sur les réfugiés, celles-ci devraient se tourner vers les
autorités de leur pays afin de bénéficier d’une protection interne.
Du point de vue des droits des personnes LGBTI, le principe qui
sous-tend cette idée est positif, car il exprime une obligation de la
part des autorités nationales de protéger les citoyens LGBTI contre
les violences exercées par les autres citoyens. Cependant, la pratique
européenne devrait reconnaître de façon plus réaliste qu’une telle
protection risque de ne pas exister dans un futur proche. Dans
dix Etats européens, les demandeurs d’asile LGBTI doivent se tourner
vers les autorités de protection de leur pays d’origine, même lorsque
l’orientation sexuelle ou l’identité de genre y est criminalisée ; dans
quatre pays, cela n’est pas obligatoire si le demandeur d’asile vient
d’un pays qui criminalise les personnes sur la base de l’orientation
sexuelle ou de l’identité de genre. Dans la plupart des pays
européens, les demandeurs d’asile LGBTI doivent se tourner vers les
autorités de protection de leur pays, même lorsqu’il est notoire que
celles-ci sont homophobes ou transphobes ; cela n’est pas le cas
dans seulement deux pays européens.
Il est peu probable qu’une protection soit assurée par les autorités
nationales (et dans de nombreux cas, il est possible que cela
débouche sur des persécutions, cette fois de la part des autorités)
lorsque :
(a) Les personnes LGBTI sont criminalisées dans le pays en question ;
même si ces lois ne sont pas appliquées, leur seule existence rend
une protection des autorités peu probable pour les personnes
confrontées à la persécution de la part d’agents non étatiques pour
avoir commis des actes criminalisés ; ou lorsque
(b) la police est homophobe ou transphobe.
8
3. La dissimulation de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre
La dissimulation, également appelée exigence de discrétion, n’est
pas une exigence formelle mais est utilisée sans fondement juridique
clair dans les cas où un risque de persécution est en principe
reconnu. Cependant, c’est le demandeur d’asile lui-même qui est
censé prévenir les persécutions en faisant preuve de « discrétion »
quant à son orientation sexuelle ou son identité de genre. En
d’autres termes, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de la
personne concernée devrait rester ou redevenir inavouée, ce qui
constitue une autre possibilité de protection interne. Dans certains
pays européens, l’exigence de discrétion a été abolie. Mais elle
demeure fréquemment appliquée dans une grande majorité des
Etats européens. Les autorités compétentes en matière d’asile de ces
Etats estiment en général que l’on peut raisonnablement attendre du
demandeur qu’il dissimule son orientation sexuelle ou son identité
de genre afin de prévenir les persécutions. Cette idée pose problème
pour deux raisons : tout d’abord, il n’est pas raisonnable d’attendre
des personnes de ne pas exprimer leur orientation sexuelle ou leur
identité de genre (ou qu’elles ne l’expriment que dans le plus grand
secret), car cela équivaut à une négation de l’exercice légitime de
leurs droits fondamentaux. En utilisant cet argument, les autorités
européennes compétentes en matière d’asile se rendent complices
des acteurs homophobes et transphobes du pays d’origine en
bafouant l’expression des droits des personnes LGBTI. En dehors de
ce problème normatif fondamental, l’exigence de discrétion a une
autre limite, cette fois empirique : la dissimulation de l’orientation
sexuelle ou de l’identité de genre est liée à une très forte insécurité.
L’orientation sexuelle ou l’identité de genre des personnes LGBTI peut
en effet être rendue publique contre leur volonté, et le risque que
cela se produise est permanent. Cela peut être le fait de partenaires
sexuels, ou de proches ou voisins émettant des soupçons. Ce
risque permanent implique un risque permanent de persécution.
Par ailleurs, même lorsqu’une personne LGBTI réussit à cacher avec
succès son orientation sexuelle ou son identité de genre, la situation
d’angoisse et de peur permanente que constitue le fait de dissimuler
un aspect fondamental de sa vie est inhumaine et dégradante en soi.
L’exigence de discrétion devrait donc être abolie dans les Etats où
elle est encore en vigueur.
4. La protection interne
Bien que non signataires de la Convention de 1951 sur les réfugiés,
de nombreux Etats s’appuient sur ce qu’on appelle la possibilité
de refuge interne ou la possibilité de protection interne pour
refuser une protection internationale. A nouveau, il n’y a pas de
problème à appliquer aux personnes LGBTI comme aux autres l’idée
Sommaire
que si une crainte de persécution fondée est cantonnée à une région
du pays d’origine, un demandeur d’asile devrait fuir vers une autre
région de son pays d’origine, où il sera à l’abri des persécutions.
Cependant, il faut rappeler que la protection interne n’est appliquée
que dans les cas où le demandeur d’asile est présumé avoir une
crainte fondée d’être persécuté par des agents non étatiques dans
une partie du pays. En d’autres termes, la personne a besoin d’être
protégée. La protection dont elle a besoin et à laquelle elle peut
prétendre doit donc pour cette raison être efficace. Cela exclut
l’application de la possibilité de protection interne dans les pays où
certaines orientations ou identités sexuelles sont criminalisées, car
aucune protection n’y sera disponible, ainsi que dans les situations
où la « discrétion » du demandeur est requise pour prévenir
des problèmes futurs. Toutefois, 16 pays européens appliquent la
protection interne aux personnes LGBTI, et dans 9 d’entre eux, celleci s’accompagne de l’exigence de discrétion.
5. L’évaluation de la crédibilité
Les questions liées à la crédibilité, c’est-à-dire lorsque l’authenticité
du récit du demandeur d’asile est évaluée, sont au cœur de
nombreuses, voire de la plupart des demandes d’asile. Il n’est plus
à démontrer qu’il est difficile d’évaluer la crédibilité d’un tel récit car
en raison de l’absence de familiarité et de sensibilité de la part de
l’évaluateur, son appréhension subjective d’une réalité vécue est
utilisée comme point de référence pour l’évaluation de la crédibilité
des déclarations d’une personne originaire d’un autre pays, souvent
d’une autre culture, avec d’autres codes de communication et un
système de valeurs différent. Dans de nombreux cas concernant
des personnes LGBTI relatés dans cette étude, l’évaluation de la
crédibilité se concentre sur l’appartenance du demandeur d’asile
à l’identité LGBTI. Deux éléments viennent ajouter à la complexité
de l’évaluation de la crédibilité dans les demandes d’asile de
personnes LGBTI. D’une part, dans de nombreux Etats européens
l’idée que les identités LGBTI sont déviantes d’un point de vue
médical, psychiatrique ou psychologique reste très vive dans le
contexte de l’asile, bien qu’elle ait été formellement récusée en ce
qui concerne l’orientation sexuelle, et qu’elle ait été contestée chez
les personnes transgenres et intersexuées. Les identités LGBTI n’étant
pas des catégories médicales, psychiatriques ou psychologiques
légitimes, la prise en compte de l’opinion d’experts des domaines
précités afin d’établir l’orientation sexuelle ou l’identité de genre
d’un demandeur d’asile n’est ni légitime ni appropriée. Formuler
de telles opinions consiste en une intrusion dans la vie privée du
demandeur d’asile pouvant causer une souffrance intense, en
particulier chez les demandeurs ayant déjà été confrontés à de
tels interrogatoires dans leur pays d’origine. Ce type d’opinion
ne répond à aucun objectif légitime, et l’intrusion dans la vie
privée du demandeur constitue donc une violation injustifiée
du droit au respect de la vie privée. Nous rappelons que cela ne
concerne pas uniquement le fameux « test de phallométrie », mais
également d’autres méthodes d’examen médical, psychiatrique ou
psychologique. Inversement, les opinions des experts des domaines
précités concernant les conséquences que l’homophobie ou la
transphobie pourraient avoir eues sur les demandeurs d’asile LGBTI
peuvent se révéler utile dans la procédure de détermination d’asile.
Cependant, de telles enquêtes ne devraient pas être menées dans
le but de « prouver » une identité LGBTI. L’orientation sexuelle et
l’identité de genre sont une question d’auto-identification et non de
médecine, de psychiatrie ou de psychologie.
La deuxième limite venant ajouter à la complexité de l’évaluation
de la crédibilité dans les demandes d’asile de personnes LGBTI est
le recours à des stéréotypes. Ceux-ci sont utilisés afin de structurer
les impulsions sensorielles reçues. Ils peuvent être inexacts, mais
cela est souvent sans importance : ainsi, si nous pensons que tous
les suédois préfèrent la glace à la vanille, la possibilité que cela soit
inexact ne nous posera de problème que si nous prévoyons de
lancer des glaces à la vanille sur le marché suédois. Il est en revanche
problématique que les autorités en matière d’asile pensent que tous
les hommes homosexuels originaires d’Irak sont efféminés ; ou que
toutes les lesbiennes du Sierra Leone doivent savoir que les relations
sexuelles lesbiennes sont des actes criminels dans leur pays ; ou
qu’un homme égyptien qui ne connaît pas le meilleur bar gay de
Dublin n’est pas homosexuel ; qu’une femme mariée à un homme
avec des enfants ne peut pas être lesbienne ou bisexuelle.
Bien qu’il n’existe aucune « solution » toute faite contre le recours aux
stéréotypes, il est très important que les autorités compétentes en
matière d’asile soient conscientes de leur tendance à s’appuyer sur
des stéréotypes dans la pratique ; des stéréotypes en particulier sur
lesquels elles s’appuient lorsqu’elles examinent les demandes ; de la
nécessité d’être ouvertes à la remise en question du/des stéréotypes
qu’elles utilisent. A cette fin, un module de formation devrait être
consacré aux questions relatives à l’asile des personnes LGBTI au
début de la formation des pourvoyeurs d’asile, et les questions
relatives aux personnes LGBTI devraient faire partie de leur formation
continue générale. Le Bureau européen d’appui en matière d’asile a
un rôle majeur à jouer sur ce point.
6. La révélation tardive
Il arrive régulièrement que les demandeurs d’asile ne révèlent
leur orientation sexuelle ou leur identité de genre aux autorités
compétentes en matière d’asile que plus tard au cours de la
procédure initiale, ou lors d’une demande successive. Cela peut
9
Sommaire
s’expliquer par un sentiment de peur ou de honte ou même par
une homophobie ou une transphobie intériorisée ; le demandeur
peut ne pas être en mesure de mettre un nom sur son orientation
sexuelle ou son identité de genre, quelle que soit son expérience de
vie, ou celui-ci peut redouter que des personnes de sa communauté
l’apprennent et en informent sa famille ou des personnes de sa
communauté dans le pays d’accueil ; celui-ci peut également n’avoir
pris conscience de son orientation sexuelle ou de son identité de
genre qu’une fois dans son pays d’accueil, ou n’avoir au départ pas
avoir été au courant que celle-ci était pertinente dans le cadre de
sa demande d’asile. Cela peut susciter la prudence ou le doute chez
les autorités compétentes, en particulier lorsque les demandes
proviennent de pays pour lesquels celles-ci ont reconnu la possibilité
d’obtenir le statut de réfugié aux demandeurs LGBTI. Cela ne
justifie cependant aucunement des pratiques écartant d’office les
demandeurs LGBTI qui n’inventent en rien leur orientation sexuelle
ou leur identité de genre, mais qui ne la révèlent que sur le tard et
ont besoin d’une protection. Ces honteuses pratiques éliminatoires
peuvent prendre deux formes : deux pays européens utilisent
un principe d’autorité de la chose jugée permettant aux autorités
compétentes en matière d’asile d’ignorer des informations ou des
preuves qui pourraient (théoriquement) avoir été soumises plus tôt.
Ce principe peut être appliqué avec flexibilité, comme c’est le cas en
Autriche, de façon à permettre aux autorités d’examiner les raisons
de cette révélation tardive, dans notre contexte, de l’orientation
sexuelle ou de l’identité lesbienne, gay, transgenre ou intersexuée.
Une telle application du principe d’autorité de la chose jugée n’est
pas problématique en soi. Cependant, la jurisprudence néerlandaise
exclut totalement les révélations tardives de l’examen judiciaire, sans
tenir compte d’aucune explication. Une application aussi rigide de
ce principe est inacceptable, car elle ne peut que conduire au refus
de l’asile à des demandeurs LGBTI ayant désespérément besoin
de protection. Le second problème est lié à la crédibilité. Comme
précisé ci-dessous, cela n’est pas inacceptable en soi tant que l’on ne
part pas du principe qu’une révélation tardive conduit à un jugement
négatif de manque de crédibilité. Le moment auquel les faits sont
révélés n’est qu’un des nombreux éléments à prendre en compte
dans l’évaluation de la crédibilité, et les raisons de cette révélation
tardive devraient toujours peser dans la balance.
7. Les informations sur le pays d’origine
Les informations sur le pays d’origine (IPO) sont cruciales dans
la détermination des demandes d’asile. Celles-ci devraient être
objectives, complètes et fiables. Il est donc nécessaire que tous les
rapports sur les pays contiennent des informations sur la situation
des personnes LGBTI. Ces informations ne devraient pas concerner
uniquement ou se concentrer principalement sur les hommes
10
homosexuels, mais également traiter la question des lesbiennes,
des bisexuels, des personnes transgenres et intersexuées. De
plus, ces informations ne devraient pas uniquement traiter des
dispositions pénales, mais également fournir des indications sur
la situation juridique des personnes LGBTI en matière de droit de la
famille, du travail et de la sécurité sociale, de discrimination positive,
ou encore sur la possibilité de protection, en théorie comme en
pratique, des personnes LGBTI contre les discriminations et les
violences. Le Bureau européen d’appui en matière d’asile peut
jouer un rôle crucial sur cette question. De plus, il est essentiel que
les informations disponibles sur le pays d’origine soient utilisées
à bon escient. Il est clair qu’il peut être difficile d’avoir accès aux
informations sur les personnes LGBTI dans certains pays d’origine,
précisément en raison du non respect de leurs droits fondamentaux.
L’absence d’informations (par exemple sur l’application de la
criminalisation, ou sur la situation des lesbiennes, des personnes
transgenres ou intersexuées) ne devrait notamment pas porter à la
conclusion qu’il n’existe pas de risques. Dans de tels cas, il convient
de collecter des informations supplémentaires, émanant par
exemple d’organisations LGBTI présentes sur le terrain dans le pays
d’origine ; lorsque c’est impossible, les décisions devraient prendre
en compte le manque d’informations exactes, en particulier en
s’appuyant sur le principe du « bénéfice du doute ».
8. L’accueil
Dans les centres d’accueil et de détention en Europe, les demandeurs
d’asile LGBTI sont souvent confrontés à un comportement
homophobe et transphobe, allant de la discrimination à la
maltraitance et la violence. Ces informations nous ont été fournies
par d’autres demandeurs d’asile et, dans certains cas, par les
autorités d’accueil ou d’asile. Les besoins et les questions spécifiques
aux demandeurs d’asile LGBTI devraient être pris en compte en
mettant sur pied de nouvelles procédures et lignes directrices.
Parmi ces mesures, la création d’un système efficace de plainte est
fondamentale, tout comme le fait de donner aux personnes LGBTI
une forme de contrôle sur leur situation d’hébergement, ou encore
la formation du personnel des centres d’accueil, d’hébergement et
de détention.
Sommaire
R e c o m m a n d at i o n s p r i n c i pa l e s
Le présent rapport fournit des recommandations sur les points
suivants, dont certains sont très précis. Ces recommandations
figurent au sein du texte de chaque chapitre, et le texte complet
peut être consulté à la page 87. Les principales recommandations
sont les suivantes.
1. Le statut de réfugié devrait être accordé aux demandeurs
d’asile lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et
intersexués originaires de pays où l’orientation sexuelle ou
l’identité de genre sont criminalisées ou où les dispositions
pénales sont utilisées afin de poursuivre ou de persécuter
les personnes sur ce motif.
2. Les demandeurs d’asile lesbiennes, gays, bisexuels,
transgenres et intersexués ne devraient pas avoir à
demander une protection étatique contre les agents de
persécution non étatiques lorsque l’orientation sexuelle
ou l’identité de genre sont criminalisées dans leur pays
d’origine, ou lorsque les autorités sont homophobes ou
transphobes.
3. Les demandeurs d’asile lesbiennes, gays, bisexuels,
transgenres et intersexués ne devraient pas avoir à cacher
ou être supposés avoir caché leur orientation sexuelle ou
leur identité de genre afin de prévenir les persécutions.
7. Les informations sur le pays d’origine devraient toujours
inclure des renseignements sur la situation des personnes
lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées, et
non uniquement sur les dispositions pénales. Lorsqu’aucune
information sur le pays d’origine n’est disponible concernant
le respect des droits fondamentaux des personnes
lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexuées
dans un pays en particulier, cela ne devrait pas être
considéré comme un signe qu’il n’y a pas de violation des
droits de l’homme à l’encontre de ces groupes. Le principe
de bénéfice du doute est tout particulièrement important
dans de telles situations.
8. Dans les centres d’accueil, d’hébergement et de détention,
des mesures doivent être prises afin de protéger les
demandeurs d’asile lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres
et intersexués contre la violence homophobe et transphobe.
9. Le Bureau européen d’appui en matière d’asile devrait
renforcer la promotion et la coordination de l’identification
et de la diffusion des bonnes pratiques en matière d’examen
des demandes d’asiles formulées par des personnes
lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées.
4. Une possibilité de protection interne ne devrait pas être
soulevée pour les demandeurs d’asile lesbiennes, gays,
bisexuels, transgenres et intersexués originaires de pays qui
criminalisent l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.
5. La détermination de l’orientation sexuelle ou de l’identité
de genre devrait en principe être basée sur l’autoidentification ; il ne s’agit pas de catégories médicales ou
psychiatriques. Les enquêteurs, preneurs de décisions, les
assistants judiciaires et juridiques devraient être formés afin
d’avoir une meilleure connaissance de l’orientation sexuelle
et de l’identité de genre, évitant ainsi de s’appuyer sur des
stéréotypes inopportuns.
6. La révélation tardive de l’orientation sexuelle ou de
l’identité de genre ne devrait pas conduire à un rejet de la
demande d’asile. Cela ne devrait advenir ni en conséquence
d’une application inflexible d’un principe d’autorité de
la chose jugée, ni du fait de considérer une révélation
tardive comme une indication de non crédibilité en soi
de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre d’un
demandeur d’asile.
11
12
IN T RODUC T ION
1 I n t r o d u c t i o n
HT, un homme homosexuel originaire du Cameroun a eu une
relation de trois ans avec un autre homme. Après qu’un voisin
les a vus s’embrasser dans son jardin de derrière, il a fait l’objet
de violences graves infligées par une foule appliquant sa propre
vision de la « justice ». Au lieu de l’aider, la police a rejoint le
cortège des agresseurs. Les autorités britanniques compétentes
en matière d’asile on refusé sa demande, au motif qu’il aurait pu
se réfugier dans une autre région du Cameroun où personne
ne le connaissait. Il serait raisonnablement tolérable pour lui d’y
cacher son identité de genre. Cependant, la cour suprême a cassé
cette décision, estimant que les personnes lesbiennes, gays et
bisexuelles ont le droit de vivre librement et ouvertement.1
1 . 1 P o u r q u o i l e s p e r s o n n e s LGB T I d e m a n d e n t e l l e s l’a s i l e ?
La présente étude expose les résultats des premières recherches
comparées jamais effectuées sur la manière dont les demandes
d’asile des personnes LGBTI sont examinées en Europe. Chaque
année, des milliers de personnes lesbiennes, gays, bisexuelles,
transgenres et intersexuées (LGBTI) font une demande d’asile
dans l’un des Etats membres de l’UE. Comme l’illustre l’exemple
ci-dessus, les décisions d’asile peuvent être fondées sur des
conceptions problématiques, dont la rectification nécessite une
attention particulière aux aspects liés à la question LGBTI des
demandes d’asile concernées. On sait pourtant peu de choses sur
les différentes manières dont sont traitées les demandes d’asile des
personnes LGBTI au sein des différents pays de l’UE. L’agence des
droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) a publié plusieurs
rapports sur l’homophobie et les discriminations fondées sur
l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans les Etats membres
de l’UE.2 L’une des conclusions du rapport social de la FRA était la
suivante : « Il y a un manque important de recherches universitaires
et de données officieuses des ONG concernant l’homophobie, la
transphobie et les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle
1
2
Cour suprême du Royaume-Uni, 7 juillet 2010, HJ (Iran) et HT (Cameroun) c.
Secrétaire d’Etat à l’Intérieur, [2010] UKSC 31 ; [2011] 1 A.C. 596.569.
Agence européenne des droits fondamentaux, Homophobie et discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle dans les États membres de l’UE, Partie I Analyse juridique, 2008 ; Agence européenne des droits fondamentaux,
Homophobie et discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans les États
membres de l’UE Partie II – La situation sociale, 2009 ; Agence européenne
des droits fondamentaux, Homophobie, transphobie et discrimination fondée
sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, analyse juridique comparative
(version mise à jour) FRA 2010; Agence européenne des droits fondamentaux,
Homophobia, transphobia and discrimination on grounds of sexual orientation
and gender identity in the EU Member States, Summary of findings, trends,
challenges and promising practices, 2010.
et l’identité de genre dans tous les Etats membres au niveau de l’UE.
(...) L’analyse de cet écart de données montre qu’il y a un manque
sérieux de recherches et de statistiques quantitatives et qualitatives
sur toutes les thématiques couvertes par ce rapport. » Selon ce
rapport, l’étude de l’asile est l’une des questions qui semble les plus
« négligées dans tous les Etats membres de l’UE. »3
La présente étude a pour objectif d’aider à combler cette lacune
en fournissant des recherches plus approfondies et qualitatives à
l’aide de données fournies par des avocats, des gouvernements, des
universitaires et des ONG, décrivant les politiques et les pratiques
concernant les demandeurs d’asile LGBTI. Sur la base de ces
informations, nous avons tenté d’identifier :
–– les questions sur lesquelles les politiques et les pratiques
concernant les demandeurs d’asile sont similaires ou divergentes
dans les différents Etats membres de l’UE ;
–– les problèmes et dilemmes des Etats membres de l’UE lorsqu’ils
tentent d’examiner les demandes d’asile de personnes LGBTI
d’une manière juste et efficace ;
–– les solutions trouvées par les Etats membres à ces problèmes et
dilemmes : les « bonnes pratiques » ;
–– les recommandations, qui s’appuient sur les bonnes pratiques
des Etats membres de l’UE, ainsi que sur les droits de l’homme
internationaux et européens et le droit des réfugiés.
Nous souhaitons ainsi contribuer à mettre sur pied une pratique
européenne d’examen des demandes d’asile de personnes LGBTI qui
soit (a) en conformité totale avec le droit international et européen,
et (b) harmonisée.
L’intérêt porté aux droits fondamentaux des personnes LGBTI s’est
considérablement accru ces dernières années. En témoigne la
publication en 2008 du premier rapport complet sur l’homophobie
dans les Etats membres de l’UE.4 A l’échelle mondiale, les principes
de Yogyakarta sur l’application des normes internationales relatives
aux droits de l’homme en matière d’orientation sexuelle et d’identité
de genre ont été rédigés en 2007.5 En 2006, 54 Etats membres
3
4
5
Agence européenne des droits fondamentaux, Homophobie et discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle dans les États membres de l’UE Partie II – La
situation sociale, (version mise à jour), 2009, p. 129.
Supra, note 2. Panel international d’experts en législation internationale des droits humains
et de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, Principes sur l’application
du droit international des droits humains en matière d’orientation sexuelle et
13
IN T RODUC T ION
ont présenté une déclaration commune au Conseil des droits de
l’homme (HRC) sur la violence fondée sur l’orientation sexuelle et
l’identité de genre.6 Le Brésil avait précédemment tenté de faire
adopter une résolution par la Commission des droits de l’homme
en 2003. En 2008, la France et les Pays-Bas ont pris l’initiative
d’une déclaration commune à l’Assemblée générale des Nations
unies, soutenue par 66 Etats.7 En mars 2011, 85 pays ont appuyé
une résolution condamnant ce type de violence, sans atteindre
néanmoins la majorité des Etats membres de l’HRC.8 Ce n’est que
trois mois plus tard que l’Afrique du Sud a réussi à faire adopter une
résolution par l’HRC exigeant une étude sur la discrimination et
l’orientation sexuelle.9
Ces évolutions étant récentes, il n’est pas surprenant que les
questions liées à l’asile des personnes LGBTI n’aient commencé que
récemment à attirer l’attention. La note d’orientation du HCR sur
les demandes d’asile liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de
genre a été publiée en 2008. Le commissariat aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe a publié un rapport sur les discriminations à
l’encontre des personnes LGBT en juin 2011. Au paragraphe sur l’asile,
ce rapport qualifie de défis et d’obstacles à surmonter les questions
suivantes : la manière dont la criminalisation des personnes LGBT
dans leur pays d’origine est traitée, et notamment l’exigence pour
ces personnes de dissimuler leur orientation sexuelle ou leur identité
de genre ; les conclusions quant à la crédibilité ; ainsi que la situation
des demandeurs d’asile LGBT dans les centres d’accueil pour
demandeurs d’asile.10 Les trois premiers sujets sont largement traités
dans cette étude.
A l’heure actuelle, seules deux décisions de recevabilité ont été
prises par la Cour européenne des droits de l’homme, toutes deux
concluant qu’il n’y avait pas de mauvais traitements systématiques
des hommes homosexuels en Iran.11 La seule demande en cours à
nous avoir été communiquée concerne un demandeur d’asile iranien
homosexuel.12
d’identité de genre (2007), www.yogyakartaprinciples.org.
Norvège et al., Déclaration conjointe sur la fin des actes de violence et des violations
des droits de l’homme qui y sont liées fondés sur l’orientation sexuelle et l’identité de
genre, 1e r décembre 2006, Conseil des droits de l’homme 3e session.
7 Argentine et al., Déclaration conjointe sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre,
18 décembre 2008, Assemblée générale des Nations unies, 70e séance plénière.
8 Colombie et al., Déclaration conjointe sur la fin des actes de violence et des
violations des droits de l’homme qui y sont liées fondés sur l’orientation sexuelle et
l’identité de genre, 22 mars 2011, Conseil des droits de l’homme 16e session.
9 Conseil des droits de l’homme, Résolution sur les droits de l’homme, l’orientation
sexuelle et l’identité de genre, A/HRC/17/L.9/Rev.1 (17 juin 2011).
10 Commissariat européen aux droits de l’homme : Discrimination on grounds of
sexual orientation and gender identity in Europe, Editions du Conseil de l’Europe,
Strasbourg, juin 2011, p. 62-69.
11 CEDH (Dec) 22 juin 2004, F. c. Royaume-Uni, Demande N°. 17431/03; CEDH
(Dec) 20 décembre 2004, I.I.N. c. Pays-Bas, Demande. N°. 2035/04.
12 CEDH K.N. c. France, Demande N°. 47129/09 (gay iranien) ; CEDH D.B.N. c.
Royaume-Uni, Demande N°. 26550/10 (lesbienne originaire du Zimbabwe) le
Le rapport du commissariat aux droits de l’homme attire également
l’attention sur le fait que l’identité de genre n’est pas traitée
explicitement dans la législation européenne ou celle des Etats
membres de l’UE.13 Cependant, la présente étude montre que
« l’identité de genre » est explicitement mentionnée dans le contexte
de l’appartenance à un groupe social particulier dans le droit
des réfugiés au Portugal et en Espagne, ainsi que dans les lignes
directrices en matière de politiques en Autriche et au RoyaumeUni.14 Bien que l’identité de genre puisse être englobée dans les
« aspects liés aux questions de genre » mentionnés à l’Article 10(1)
(d) de la directive qualification, il s’agit là d’une lacune évidente
dans la mesure où les Etas membres pourraient alors considérer
que l’identité de genre n’est pas un motif de persécution pertinent.
Les dernières propositions de refonte de la directive qualification
mentionnent explicitement l’identité de genre.15
Les demandes d’asile de personnes LGBTI n’ayant commencé à
faire l’objet d’un débat que récemment, il n’est pas surprenant que
différentes pratiques coexistent sur ce point en Europe, comme le
fait remarquer le commissariat aux droits de l’homme,16 et comme
cette étude se propose de le démontrer. Ces divergences peuvent
s’approcher d’une non-application de la législation européenne.17
Cela est problématique du point de vue de la politique européenne.
Une interprétation et une application harmonisées des concepts du
statut de réfugié et de la protection internationale sont au cœur de la
politique européenne d’asile. Mais il s’agit également d’une question
relative aux droits de l’homme. Si l’interprétation et l’application du
droit des réfugiés dans un ou plusieurs Etats européens est en deçà
du niveau requis par la législation européenne, non seulement il
s’agit d’une violation de la législation européenne elle-même, mais
le transfert des demandeurs d’asile vers ces Etats peut également
constituer une violation de la législation européenne. Cela a déjà
été démontré en matière de droits de l’homme : lorsque la norme
dans un pays est en deçà du niveau minimum fixé par la Convention
européenne des droits de l’homme, le transfert d’un demandeur
d’asile vers cet Etat peut constituer une violation de la Convention.18
La présente étude indique également qu’en ce qui concerne les
6
14
demandeur a été éloigné suite à une décision du Royaume-Uni.
13 Commissaire aux droits de l’homme : Discrimination on grounds of sexual
orientation and gender identity in Europe, Editions du Conseil de l’Europe,
Strasbourg, juin 2011, p. 65.
14 Voir Ministère de l’Intérieur britannique, Asylum Instruction: Sexual Orientation and
Gender Identity in the Asylum Claim, 6 octobre2010, révisé le 13 juin 2011 ; L’Autriche
a mentionné explicitement l’identité de genre comme constituant un groupe
social dans le « Regierungsvorlage », un document juridiquement contraignant.
15 Conseil de l’Union européenne, Presidency’s Note to the Permanent Representatives
Committee, Bruxelles, 6 juillet 2011, 2009/0164 (COD), ASILE 56, CODEC 1133.
16 Supra, p. 62-69.
17 Notre expert national nous a indiqué que la Bulgarie n’applique pas l’article
10(1)(d) de la directive qualification définissant l’orientation sexuelle comme
un motif de persécution dans la législation nationale sur l’asile et les réfugiés.
18 CEDH 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, Dem. N°. 30696/09.
IN T RODUC T ION
demandes de personnes LGBTI, les divergences entre les Etats
membres peuvent interférer avec le transfert d’un demandeur d’asile
vers l’Etat membre responsable de l’examen de la demande.19
Il est donc urgent de trouver une solution à ces divergences, et
ce non seulement en ce qui concerne les demandeurs d’asile
LGBTI, mais également à l’échelle des Etats membres et de l’Union
européenne dans son ensemble.
1 . 2 L e n o m b r e d e d e m a n d e u r s d ’a s i l e LGB T I ;
l e s pay s d ’o r i g i n e
La grande majorité des Etats membres de l’UE ne collectent pas de
données statistiques sur le nombre de demandeurs d’asile LGBTI.
Il est donc impossible de fournir des informations précises sur le
nombre de personnes concernées dans l’UE. Cependant, la Belgique
et la Norvège établissent quant à elles de telles statistiques.20
Tableau 1 : Décisions concernant les personnes LGBTI en Belgique
Année
Nombre total de décisions d’asile
Décisions d’asile concernant les
personnes LGBTI
Pourcentage de décisions
concernant les personnes LGBTI
2008
8.964
226
2,52%
2009
8.883
362
4,08%
2010
13.170
522
3,96%
Total 2008-2010
31.017
1.110
3,58%
Source : Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides, Rapports annuels, www.cgra.be/fr/Publications/2_Rapport_annuel/, consulté le 28 juillet 2011
Tableau 2 : Décisions concernant les personnes LGBT en Norvège
Année
Total des décisions d’asile
Décisions d’asile concernant les
personnes LGBT
LGBT %
2008
9.700
2 
1 
3
2009
15.686
17 
0 
17
0,03%
0,11%
2010
16.455
19 
7 
26
0,15%
Total 2008-2010
41.841
38 
8 
46
0,11%
Source : Direction générale de l’immigration norvégienne, www.udi.no/Norwegian-Directorate-of-Immigration/Oversiktsider/Statistikk-/Asylum/Asylum-decisions-infirst-instance-by-outcome-and-nationality--/, consulté le 28 juillet 2011
19 Nous ne rajoutons rien à ce propos car nous n’avons pas pu réunir
suffisamment d’informations empiriques sur les affaires LGBTI de Dublin.
Cependant, nous vous invitons à consulter le questionnaire (un demandeur
d’asile tchétchène n’ayant pas été renvoyé en Pologne en raison d’un
grand nombre de tchétchènes homophobes) ; le questionnaire allemand
(Verwaltungsgericht (cour administrative) Schleswig-Holstein 7 septembre
2009, 6 B 32/09 : mesure temporaire acceptant de surseoir le transfert d’un
demandeur d’asile gay iranien, car il risquait de subir un test de phallométrie,
dont la « conformité » avec les normes en matières de droits de l’homme
est au moins sérieusement mise en doute ».) le questionnaire néerlandais
(contentieux concernant la sécurité physique de deux demandeurs d’asiles
gays en Slovénie), Rechtbank (cour régional) Zwolle, 15 décembre 2008,
08/27847 ; 08/27850 ; Afdeling bestuursrechtspraak van de Raad van State
(division de la juridiction administrative du Conseil d’Etat) 7 septembre 2009,
200809455/1/V3 ; un demandeur gay originaire d’Iran a vu sa demande
rejetée par le Royaume-Uni ; Les Pays-Bas n’ont pas assumé la responsabilité,
la décision a été maintenue par les cours, Rechtbank (cour régionale) Zwolle,
14 décembre 2007, n°. 07/38475, Afdeling bestuursrechtspraak van de Raad
van State (division judiciaire du Conseil d’Etat) 11 mars 2008, 200800250/1. Le
demandeur a obtenu l’asile au Royaume-Uni après un réexamen ultérieur en
conséquence de pressions du Parlement européen http://www.unhcr.org/
refworld/docid/47da75002.html. En Finlande, un demandeur d’asile intersexué
n’a pas été éloigné pour des raisons de santé ; celui-ci avait besoin d’un
traitement hormonal et psychologique, qu’il avait commencé en Finlande ;
cela semble sans lien avec la non disponibilité du traitement en Italie.
Il existe des données plus approximatives. En 2002, l’Office suédois
des migrations estimait le nombre de personnes ayant fait une
demande d’asile en Suède fondée sur l’orientation sexuelle ou
l’identité de genre à environ 300 par an. Au Pays-Bas, les demandes
d’asile de personnes homosexuelles ou transgenres s’élèvent à
environ 200 par an. En Italie, d’après le Ministère de l’Intérieur, au
moins 54 demandes ont été enregistrées dans la période allant de
2005 au début de l’année 2008, dont au moins 29 ont débouché sur
l’octroi du statut de réfugié ou sur une protection humanitaire.21
Il y a lieu de penser que le nombre de demandeurs d’asile LGBTI est
plus élevé. Tout au long de ce rapport (voir plus particulièrement le
20 Du 1er juillet 2011, le Royaume-Uni a également recueilli des statistiques dans
sa base de donnée relative au traitement des affaires (source : Bill Brandon,
Vice-directeur de l’autorité compétente en matière d’asile, 9 juin 2011).
21 Commissariat aux droits de l’homme : Discrimination on grounds of sexual
orientation and gender identity in Europe, Editions du Conseil de l’Europe,
Strasbourg, juin 2011, p. 66.
15
IN T RODUC T ION
Chapitre 7) nous rencontrons des exemples de demandeurs d’asile
LGBTI révélant leur orientation sexuelle ou leur identité de genre aux
autorités compétentes en matière d’asile seulement une fois leur
demande d’asile initiale rejetée. Les autorités d’asile se demandent
donc naturellement si ces demandeurs ne feignent pas une identité
LGBTI afin d’obtenir le statut de réfugié. Il est cependant indéniable
que certaines personnes fuient réellement leur pays d’origine en
raison de la persécution liée à leur identité LGBTI mais tentent
d’obtenir le statut de réfugié sur d’autres motifs. Ils peuvent au
départ avoir tu leurs problèmes liés à l’identité LGBTI par honte, par
peur ou parce qu’ils ignoraient que cela pouvait constituer un motif
de demande de protection. Comme nous l’avons déjà mentionné,
d’autres peuvent avoir obtenu l’asile sur des motifs non liés au fait
d’être LGBTI, avec pour conséquence l’invisibilité du réel motif de
leur demande. Bien que cela se produise sûrement également dans
le cas de demandeurs gays, la probabilité est plus forte chez les
demandeurs lesbiennes, bisexuels, transgenres et intersexués, en
raison de leur sous-représentation (voir paragraphe 1.6. ci-dessous).
Il faut également prendre en compte les personnes qui vivent dans
le pays illégalement et ne feront jamais de demande en raison de
la honte, de la stigmatisation et de la peur. Nous pensons donc que
le nombre de personnes concernées ne peut être déterminé avec
exactitude.
La différence entre le nombre de demandeurs d’asile LGBTI en
Norvège et en Belgique est frappante, et difficile à expliquer. En
rapportant le pourcentage moyen pour la Belgique de 3,58 % des
décisions au nombre total de demandeurs d’asile dans l’Union
européenne en 2010 (qui s’élevait à 235 90022), nous pourrions
estimer qu’il y a environ 8450 demandeurs d’asile LGBTI dans
l’UE chaque année. En revanche, si nous nous appuyons sur le
pourcentage moyen en Norvège, qui est de 0,11 %, nous arrivons
à la conclusion qu’il y a eu 260 demandeurs LGBTI en Europe. Il est
toutefois improbable que le nombre de demandeurs LGBTI soit aussi
bas dans la mesure où les autorités d’asile suédoises et néerlandaises
ont estimé respectivement que le nombre de demandeurs d’asile
LGBT était de 300 et de 200 par an. Des recherches plus approfondies
sur cette question sont donc nécessaires. Pour le moment, le
pourcentage belge devrait être considéré comme l’indicateur le
plus fiable du nombre de demandeurs LGBTI. Par ailleurs, le nombre
probable de personnes non comptabilisées doit être pris en compte.
Sur la base de ces suppositions, une estimation grossière nous
mène à 10 000 demandes de personnes LGBTI par an dans l’Union
européenne.
22 HCR, Asylum Levels and Trends in Industrialized Countries 2010, Statistical
overview of asylum applications in Europe and selected non-European countries,
2011, consultable à l’adresse http://www.unhcr.org/4d8c5b109.html.
16
En l’absence de statistiques fiables, il est impossible de déterminer le
nombre de demandeurs d’asile LGBTI par pays d’origine. En revanche,
il ressort des exemples mentionnés par les experts nationaux ayant
pris part à cette étude que les demandeurs LGBTI étaient originaires
d’au moins 104 pays dans le monde.23 Il est impossible de connaître
leur nombre exact dans la mesure où les données collectées sur
les pays d’origines dans cette étude ne l’étaient pas dans un but
quantitatif, et ne peuvent donc pas être utilisées dans ce but.
1 . 3 L a m é t h o d o l o g i e
En octobre 2010, un questionnaire24 a été envoyé aux experts
nationaux de tous les Etats membres afin d’identifier les pratiques
existantes dans l’UE, à l’exception de l’Estonie, de la Lettonie et du
Luxembourg, où les experts que nous avons contactés nous ont
indiqué qu’ils n’étaient pas en mesure de fournir des informations sur
les demandeurs d’asile LGBTI. Nous avons inclus la Norvège, qui, si
elle n’est pas un Etat membre de l’Union européenne, participe sur
certains aspects aux acquis communautaires en matière d’asile, et le
Danemark, qui est membre de l’UE mais ne participe actuellement
pas à l’acquis25. Les experts nationaux ont été sélectionnés parmi
les réseaux du COC Pays-Bas, du Programme de recherche sur le
droit migratoire de l’Université libre d’Amsterdam et des partenaires
de ce projet : le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés
(ECRE, et le Réseau juridique européen sur l’asile, ELENA), le Comité
Helsinki hongrois et l’association d’avocats italiens de défense des
droits LGBT Avvocatura per i diritti LGBT/ Rete Lenford. Le groupe
régional européen de l’Association internationale des lesbiennes et
des gays (ILGA-Europe) ainsi que le bureau du Haut-commissariat
23 Ces pays comprennent l’Afghanistan, l’Albanie, l’Algérie, l’Angola, l’Arménie,
l’Azerbaïdjan, le Bangladesh, la Barbade, la Biélorussie, la Bolivie, la BosnieHerzégovine, le Brésil, le Burundi, le Cameroun, la République centrafricaine,
le Chili, la Chine, la Colombie, la République démocratique du Congo (RDC),
le Costa Rica, la Croatie, Cuba, la Dominique, l’Equateur, l’Egypte, l’Erythrée,
l’Estonie*, l’Ethiopie, la Gambie, la Géorgie, le Ghana, le Guatemala, la GuinéeConakry, le Guyana, le Honduras, l’Inde, l’Indonésie, l’Iran, l’Irak, Israël, la Côte
d’Ivoire, la Jamaïque, la Jordanie, le Kazakhstan, le Kenya, le Kosovo, le Liban,
le Libéria, la Libye, la Lituanie*, la Macédoine, le Malawi, la Malaisie, le Mali,
la Mauritanie, l’Ile Maurice, le Mexique, la Moldavie, la Mongolie, le Maroc, le
Népal, le Nicaragua, le Niger, le Nigéria, le Pakistan, la Palestine, le Panama,
le Paraguay, le Pérou, les Philippines, le Qatar, la Roumanie*, la Russie, le
Rwanda, l’Arabie saoudite, le Sénégal, la Serbie, le Sierra Leone, la Slovaquie*,
la Somalie, l’Afrique du Sud, le Sri Lanka, Saint- Vincent-et-les-Grenadines,
le Soudan, la Syrie, le Tadjikistan, la Tanzanie, la Thaïlande, le Togo, Trinité et
Tobago, la Tunisie, la Turquie, le Turkménistan, l’Ouganda, l’Ukraine, les Emirats
arabes unis, les Etats-Unis, l’Ouzbékistan, le Venezuela, le Vietnam, le Yémen,
la Yougoslavie (FRY), la Zambie, le Zimbabwe. Les pays qui font maintenant
partie de l’UE ont été marqués d’un astérisque.
24 Publié à l’adresse www.rechten.vu.nl/fleeinghomophobiareport.
25 La Suisse n’a que partiellement répondu à notre questionnaire. Israël, qui est
un Etat associé, a également été inclus car il se trouve que nous connaissons
des défenseurs actifs de l’asile pour les personnes LGBTI dans ce pays, et avons
décidé de l’inclure afin de montrer la situation d’un Etat dont le système de
détermination du droit d’asile n’est aucunement influencé par les directives et
règlements européens.
IN T RODUC T ION
des Nations unies pour les réfugiés de Genève nous ont assisté sur
ce projet.26 Chaque questionnaire national mentionne les sources
sur lesquelles il se fonde. La plupart de ces questionnaires seront
publiés sur le site internet du projet.27 Pour certains Etats membres,
les experts nationaux ont estimé ne pas être ne mesure de publier
le questionnaire, même de façon anonyme, sans divulguer des
informations confidentielles, et ont pour cette raison refusé la
publication concernant leur pays. Les questionnaires concernant
la Finlande, l’Irlande, la Roumanie et l’Espagne n’ont ainsi pas été
publiés. Les lecteurs souhaitant consulter nos sources peuvent
contacter les experts nationaux de ces pays pour plus d’informations.
Dans le présent rapport, lorsqu’une information concernant un pays
en particulier ne renvoie pas à une note de bas de page, cela signifie
qu’elle s’appuie sur le questionnaire national du pays concerné,
auquel les lecteurs peuvent se référer.
L’un des grands avantages de la méthode du questionnaire est de
couvrir une large zone géographique. C’est le cas de la présente
étude. Le projet inclut de nombreux pays que nous n’aurions pas
pu traiter sans travailler sur des questionnaires. Les recherches
s’appuyant sur les questionnaires se caractérisent par deux types
de problèmes : d’une part, la manière dont les experts nationaux
ont compris le contenu du questionnaire est difficile à contrôler.
Les différences de contexte peuvent les avoir conduits à ne pas
interpréter les questions comme nous les avions entendues ; ou il
se peut que nous ayons mal interprété les informations présentées
dans le questionnaire par les experts. Nous avons tenté de parer
à ce risque de mauvaise interprétation en (a) utilisant le droit
d’asile européen comme cadre de référence du questionnaire ; (b)
encourageant les experts nationaux à soumettre leurs questions
concernant le questionnaire dans des discussions collectives via
courrier électronique afin de créer un cadre conceptuel commun ;
(c) posant des questions supplémentaires sur le questionnaire
national que nous avons reçu, et en demandant aux experts
nationaux d’adapter leur questionnaire lorsque cela leur semblait
approprié ; (d) en organisant une rencontre de deux jours sur
une première mouture du rapport de recherche avec les experts
nationaux, afin de garantir une certaine cohérence ; et (e) en leur
transmettant la version finale du rapport, afin de leur permettre
de corriger d’éventuelles erreurs ou inexactitudes concernant leur
pays. Le second aspect problématique de ce type de recherche est
que les questionnaires nationaux sont nécessairement différents
les uns des autres. Ces différences sont dues à divers facteurs, et
en particulier aux écarts entre les environnements de recherche
(dans certains pays, les informations les plus pertinentes étaient
26 La liste des experts nationaux sur laquelle nous nous sommes appuyés figure
à l’Annexe I. Les membres du comité facultatifs sont quant à eux cités à
l’Annexe II.
27 www.rechten.vu.nl/fleeinghomophobiareport
disponibles dans des bases de données en ligne comprenant les
lignes directrices de politique ainsi que la jurisprudence, tandis que
dans d’autres les experts nationaux ont dû commencer à collecter
les premières données sur la question) et au type d’expertise et de
milieu des experts (universitaires, avocats, ONG). Cette méthode nous
a néanmoins permis de rédiger la première étude globale à l’échelle
européenne sur les demandes d’asile de personnes LGBTI. Les limites
inhérentes à notre approche indiquent que d’autres recherches
recourant à d’autres méthodes sont nécessaires pour faire face au
manque de données sur les questions liées à l’asile des personnes
LGBTI en Europe.
Comme nous l’avons déjà mentionné, de nombreux experts ont
participé à la rédaction de ce questionnaire. Nous tenons cependant
à préciser que l’analyse présentée ici est celle des deux auteurs
uniquement. Nous avons discuté nos analyses avec les experts
nationaux et notre comité consultatif, et nous avons essayé d’inclure
le plus de points de vue possible. Le présent texte ne reflète pas pour
autant nécessairement les opinions des personnes consultées ou de
celles des organisations pour lesquelles elles travaillent.
1 . 4 L a t e r m i n o l o g i e
Dans ce rapport, trois catégories de termes sont utilisées. La première
sert à classifier ce qui se produit dans les Etats membres. La seconde
concerne les questions LGBTI. La troisième concerne la question de
l’asile.
1.4.1 L a l é g i s l at i o n , l e s p o l i t i q u e s , l a p r at i q u e
Le questionnaire comprenait des questions sur la législation, les
politiques et la pratique de l’Etat membre concerné. Par législation
nous entendons tout d’abord les règles juridiques écrites et
contraignantes adoptées au cours d’une procédure impliquant
les parlements nationaux. Cependant, dans la plupart des pays
européens, les instruments législatifs adoptés par le parlement
donnent le pouvoir à l’exécutif d’adopter des règles juridiques
écrites contraignantes, que nous classons également en tant que
législation. Nous pouvons citer en exemple la loi néerlandaise sur
les étrangers (adoptée par le Parlement), sur laquelle s’appuient
le décret et le règlement sur les étrangers (tous deux adoptés par
l’exécutif ). Nous utilisons le terme politiques pour désigner la manière
dont l’exécutif utilise le pouvoir de prise de décision accordé par la
législation. Souvent, celles-ci existent sous forme écrite, mais n’on
pas été adoptées par le parlement de la même manière que la
législation formelle ; nous employons dans ce cas l’expression lignes
directrices en matière de politiques. Dans certaines juridictions, le terme
politiques peut également être utilisé pour désigner une pratique
17
IN T RODUC T ION
effective des fonctionnaires si constante qu’en raison du principe
de l’égalité de traitement, il est exigé que cette pratique établie soit
également suivie dans les autres cas. Il ne nous a pas semblé que
cela soit pertinent dans notre contexte. Cela nous amène néanmoins
au troisième terme utilisé : pratique. Le terme est employé dans son
sens large dans la présente étude. Il se réfère aux cas individuels et
couvre tant les cas particuliers que les comportements répétés. Dans
ce dernier cas, cela sera précisé dans le texte. Bonnes pratiques se
réfère à la législation, aux politiques ou aux pratiques favorisant la
réalisation des droits des personnes LGBTI.
La prise de conscience de l’orientation sexuelle ou de l’identité de
genre fait référence à l’acceptation de soi des personnes LGBTI. Les
personnes commencent par se construire une identité lesbienne,
gay, bisexuelle, transgenre ou intersexuée pour eux-mêmes, qu’ils
peuvent par la suite révéler ou non aux autres. Nous tenons à insister
sur le fait que l’auto-identification est primordiale. Une personne
engagée dans un mariage monogame et hétérosexuel peut toutefois
se considérer comme lesbienne, gay, ou bisexuelle. S’identifier
publiquement comme étant LGBTI peut faire partie ou non du
processus de prise de conscience.
1.4.2 LGB T I
L’orientation sexuelle et l’identité de genre sont des concepts
centraux dans cette étude28. L’orientation sexuelle se réfère à la
capacité d’une personne à éprouver une attirance émotionnelle,
affective ou sexuelle pour, ou à avoir des relations intimes avec
des individus d’un sexe différent (dans ce cas la personne a une
orientation hétérosexuelle), du même sexe (dans ce cas la personne
est lesbienne ou gay) ou des deux sexes (dans ce cas la personne
est bisexuelle). Nous nous efforçons de ne pas rentrer dans les
débats politiques et théoriques concernant ces termes, mais cela
est parfois impossible. Dans certains cas d’asile, il peut être essentiel
de déterminer par exemple si une personne qui s’identifie comme
lesbienne ou gay et qui se marie et a des enfants est effectivement
lesbienne ou gay, ou si elle est bisexuelle ou hétérosexuelle.
La criminalisation est un terme que nous utiliserons fréquemment au
cours de cette étude. Nous entendons par là les lois définissant les
actes sexuels entre des personnes de même sexe (entre personnes
consentantes ayant atteint la majorité sexuelle) comme des crimes.
Les actes sexuels précisément concernés par la criminalisation
sont rarement énumérés dans la législation, mais sont en général
considérés par la justice comme tout acte incluant un contact sexuel
jugé immoral. Les actes homosexuels consentis entre des personnes
ayant atteint la majorité sexuelle sont illégaux dans 76 pays dans
le monde ; dans 40 d’entre eux, seules les relations sexuelles entre
hommes sont explicitement interdites par la loi.
L’identité de genre se réfère au vécu d’une personne quant à son
genre, qui peut correspondre ou non au sexe assigné à la naissance.
Ce concept comprend la perception personnelle du corps (qui
peut inclure, si elles ont été choisies librement, les modifications de
l’apparence ou des fonctions physiques par intervention médicale,
chirurgicale ou par tout autre moyen) et d’autres expressions
du genre telles que la manière de s’habiller, de parler ou de se
comporter. Dans cette étude, nous utilisons l’expression identité de
genre comme un terme générique pour les personnes transgenres
et intersexuées.
Intersexué se réfère à une personne dont le corps n’est pas
considéré comme rentrant dans la norme masculine ou féminine.
Ce terme peut être utilisé de manière générique pour couvrir
des différences de développement sexuel, qui peuvent consister
en une affection congénitale pouvant être diagnostiquée dans
laquelle le développement du sexe chromosomique, gonadique ou
anatomique est atypique.
28 Nous nous sommes appuyés sur les principes de Yogyakarta pour les termes
« orientation sexuelle et identité de genre. Pour d’autres termes, nous avons
essayé de suivre la terminologie de l’ILGA-Europe.
18
1.4.3 L’a s i l e
Dans ce sous-paragraphe, nous souhaitons introduire quelques
notions centrales du droit européen et international des
réfugiés. Nous n’avons pas l’intention de rappeler les débats
concernant ces notions clés, mais de fournir des informations de
base concernant les termes que nous utilisons dans cette étude.
Il existe une ample littérature fournissant des informations plus
approfondies.29
Le droit d’asile prévoit que les personnes qui, si elles retournaient
dans leur pays d’origine, seraient confrontées à un type particulier
de danger pour leur vie ou leur liberté, sont protégées d’un renvoi
dans leur pays. Le concept central au droit d’asile est celui de réfugié.
Tel que défini par la Convention de 1951 sur les réfugiés,30 un réfugié
est une personne se trouvant hors de son pays de nationalité ou de
résidence habituelle, ayant une crainte fondée d’être persécutée en
raison de sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un
groupe social particulier ou ses opinions politiques.31 L’application de
29 Quelques ouvrages généraux sur le droit d’asile : James C. Hathaway, The Law
of Refugee Status, Toronto/Vancouver: Butterworths 1991; James C. Hathaway:
The Rights of Refugees under International Law, Cambridge: Cambridge
University Press 2005; Guy S. Goodwin-Gill and Jane McAdam: The Refugee in
International Law, Oxford: Oxford University Press 2007 (3e Edition). Le livre de
référence sur le droit d’asile européen : Hemme Battjes, European Asylum and
International Law, Leiden: Brill 2006.
30 Recueil des Traités des Nations Unies 189, p. 137.
31 La définition du réfugié comprend d’autres éléments, qui ne sont cependant
pas pertinents dans notre contexte.
IN T RODUC T ION
cette définition dans les Etats membres de l’UE est harmonisée à un
niveau minimal par la directive qualification.32
Une personne réfugiée ne peut être renvoyée dans son pays
d’origine ; cela constituerait un refoulement, qui est interdit par
l’Article 33 (1) de la Convention de 1951 sur les réfugiés. Ces dernières
décennies, l’autorisation de rester sur le territoire a également été
accordé sur d’autres motifs.33 Il est notamment interdit de renvoyer
une personne vers son pays d’origine si celle-ci est confrontée
à un danger réel d’être soumise à la peine de mort, à la torture
ou à un traitement ou une peine inhumains ou dégradants. Cela
a été explicitement stipulé dans une convention (Convention
contre la Torture de l’ONU, article 3), tandis que dans d’autres cas
les organismes internationaux de surveillance ont exprimé une
règle à cet effet sur la base des normes interdisant la peine de
mort, la torture ou des traitements inhumains et dégradants.34 Afin
d’harmoniser et de modifier cette pratique, la directive qualification
a introduit le concept de protection subsidiaire. Il s’agit de la
protection à accorder sur la base de l’article 15 de la directive
qualification aux personnes qui, si elles étaient renvoyées dans leur
pays d’origine seraient confrontées à un risque réel d’être soumise à
–– la peine de mort ou l’exécution capitale ;
–– la torture ou les traitements ou punitions inhumains ou
dégradants ;
–– ou à une menace individuelle sérieuse à la vie ou à la personne
d’un civil en raison d’une violence généralisée en situation de
conflit armé interne ou international.35
32 La directive 2004/83/EC du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes
minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants
des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié
ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection
internationale, et relatives au contenu de ces statuts, Journal officiel, L 304,
30 septembre 2004, p. 12-23. La dernière version de la refonte de la directive
qualification a été rédigée par le Conseil, Conseil de l’Union européenne,
Presidency’s Note to the Permanent Representatives Committee, Bruxelles, 6
juillet 2011, 2009/0164 (COD), ASILE 56, CODEC 1133.
33 Certains pensent que cette protection a été accordé à la place de la protection
offerte par le statut de réfugié (c’est-à-dire pour les personnes qui auraient été
reconnues formellement comme des réfugiés selon les critères définis par la
Convention) tandis que d’autres pensent qu’elle a été accordée en plus de la
protection induite par le statut de réfugié (c’est-à-dire les personnes qui n’ont
pas pu obtenir le statut de réfugié et auraient été renvoyées vers leur pays
d’origine). Dans le contexte qui nous intéresse, ce débat peut être mis de côté.
34 Par exemple, CEDH 20 mars 1991, Cruz Varas c. Suède, Ser. A vol. 201 sur
l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme du Conseil de
l’Europe ; Comité des droits de l’homme, 13 novembre 2002, C. c. Australie,
n° 900/1999 sur l’article 7 de la Convention internationale des Nations unies
sur les droits civils et politiques.
35 La formulation de cette dernière provision est problématique : voir pour un
premier jugement de la Cour de justice européenne CoJ 17 février 2009,
Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C-465/07.
Dans le cadre de la définition du réfugié, le terme persécution fait
référence à des menaces à la vie ou la liberté (cf. article 33(1) de la
Convention de Genève de 1951). La notion de « menace à la liberté »
est vague. Au fil des ans, le concept de persécution a été de plus en
plus souvent interprété et appliqué en référence aux normes des
droits de l’homme. Cela est perceptible dans la directive qualification,
qui définit à l’Article 9(1)(a) les actes de persécution comme des
actes suffisamment graves par leur nature ou leur répétition pour
constituer une violation sévère des droits humains fondamentaux.
La provision (b) du même paragraphe mentionne la possibilité
qu’une accumulation de faits d’importance variable constitue une
persécution lorsque ceux-ci sont suffisamment graves pour affecter
un individu de manière similaire.
Les cas classiques de persécution consistent en des actes réalisés
par des représentants de l’Etat (comme la police ou les agents
des services secrets qui torturent des suspects) en tant qu’agents
de persécution. En revanche, lorsque les violations des droits de
l’homme n’émanent pas d’autorités officielles ou de fait, mais
d’agents non étatiques (comme les proches ou des gangs), elles
peuvent également être pertinentes dans l’octroi du statut de
réfugié ou d’une protection subsidiaire. Dans ce type de cas, les
violations des droits de l’homme sont considérées comme des
actes de persécution si les autorités ne sont pas disposées à fournir
une protection contre de tels actes (article 6(c) et 7 de la directive
qualification), ou incapables de le faire.
Si un demandeur d’asile a établi une crainte fondée d’être persécuté,
cela ne veut pas nécessairement dire qu’il peut prétendre au statut
de réfugié. La crainte fondée d’être persécuté devrait avoir pour
« motif » (article 1A-2 de la Convention sur les réfugiés de 1951) la
race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social
particulier ou les opinions politiques. Dans le concept de réfugié, la
discrimination est un élément central. Dans notre contexte, deux
aspects de cette exigence en matière de motif de persécution sont
pertinents. Le premier : l’article 10(1)(d) de la directive qualification
dispose que, selon la situation dans le pays d’origine, le concept
de groupe social particulier dans la définition du réfugié peut
s’appliquer à un groupe reposant sur la caractéristique commune de
l’orientation sexuelle. Bien que cela soit reconnu dans au moins un
Etat membre depuis 1981,36 cette disposition signifie que le statut de
réfugié ne saurait être refusé à des demandeurs d’asile LGB au motif
que l’exigence d’un motif de persécution n’est pas satisfaite.37
36 Le premier pays à reconnaître l’orientation sexuelle comme un motif
de persécution a été les Pays-Bas, dans Afdeling rechtspraak van de Raad
van State (Division judiciaire du Conseil d’Etat) 13 août 1981, Rechtspraak
Vreemdelingenrecht 1981, 5, Gids Vreemdelingenrecht (oud) D12-51.
37 L’influence du droit européen peut être perçue à travers l’exemple d’Israël, qui
n’est pas un membre de l’UE et n’est pas lié par la directive qualification ; selon
les experts israéliens avec qui nous avons travaillé, Israël refuse de reconnaître
19
IN T RODUC T ION
L’identité de genre n’a pas été explicitement intégrée à la directive
qualification, bien qu’elle devrait être considérée comme étant
couverte par les « aspects liés au genre » mentionnés à l’article 10(1)
(d), et sera probablement inscrite explicitement dans la version
révisée de ladite directive. Deuxièmement, à l’article 10(2), la directive
qualification codifie un autre aspect largement reconnu des motifs
de persécution : les motifs de persécution imputés. Dans notre
contexte, il peut arriver qu’une personne soit victime de violence
homophobe ou transphobe car celle-ci est perçue de façon erronée
comme étant lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre ou intersexuée.
Il faut également prendre en compte le cas d’une personne LGBTI
qui serait considérée comme enfreignant des normes religieuses ou
comme allant à l’encontre de l’idéologie officielle. Dans les deux cas,
la personne redoute des actes de persécution en raison d’un motif
de persécution attribué, et peut prétendre au statut de réfugié.
Il n’existe pas de norme de droit international explicite pour la
procédure d’asile. Dans la directive procédures38, l’Union européenne
a fixé des normes minimales pour la procédure d’asile, auxquelles la
pratique dans les Etats membres devrait être conforme.
1 . 5 L e s o b j e c t i f s d u p r o j e t ; l e s g r o u p e s c i b l é s
Ce projet est né du constat qu’il existe un manque de données
concernant la manière dont les demandes d’asile de personnes LGBTI
sont traitées dans l’Union européenne. Nous souhaitons combler
ce vide en regroupant et en diffusant les informations collectées au
cours de ce travail.
Afin de traiter ces deux problèmes, nous avons tenté d’identifier les
bonnes pratiques déjà en application dans certains Etats membres
et pouvant servir de référence aux autres Etats membres. L’adoption
de telles pratiques par les autres Etats irait dans le sens d’une
harmonisation des pratiques des Etats membres concernant l’asile
des personnes LGBTI. Afin d’identifier ces bonnes pratiques, nous
nous sommes appuyés sur les droits de l’homme internationaux ainsi
que sur le droit des réfugiés. L’un des principaux groupes ciblés par ce rapport sont les décideurs
politiques de l’Union européenne, tant au niveau communautaire
que national. Le terme de décideur politique est utilisé ici dans son
acception la plus large, et comprend le Bureau européen d’appui
en matière d’asile, la société civile, qui est souvent impliquée dans
l’élaboration des politiques, ou encore des organisations telles que le
HCR. Pour autant, les politiques ne doivent pas seulement être mises
au point mais également appliquées dans la pratique quotidienne.
C’est pourquoi nous entendons également informer et sensibiliser
les preneurs de décision, les avocats, le corps judiciaire ainsi que la
société civile au niveau national. En ce qui concerne la société civile,
nous souhaitons plus particulièrement sensibiliser la communauté
LGBTI sur la question de l’asile, et la communauté de l’asile aux
questions LGBTI. De plus, nous souhaitons que les informations
présentées dans ce rapport ainsi que dans les questionnaires
nationaux publiés sur le site internet correspondant puissent être
utilisées comme ressources à visée formative, et comme point de
départ à une analyse et à des recherches plus approfondies.
1 . 6 L’ i n v i s i b i l i t é d e s p e r s o n n e s LB T I
Les informations collectées nous ont conduits à deux conclusions
majeures :
1. Il y a un décalage considérable entre les différents Etats membres
de l’Union européenne dans le traitement des demandes d’asile
de personnes LGBTI.
2. Certaines pratiques des Etats membres de l’Union européenne
sont problématiques d’un point de vue du droit international
des droits de l’homme, et notamment du droit international des
réfugiés.
les personnes LGBTI comme un groupe social potentiel ; cela est antérieur à la
directive qualification, et reflète des évolutions juridiques internes plutôt que
le droit européen.
38 La directive 2005/85/EC du Conseil du 1er décembre 2005 sur les normes
minimales pour les procédures nationales d’octroi et de retrait du statut de
réfugié au niveau de l’UE, Journal officiel L 326, 13 décembre 2005, p. 13-34. Le
texte le plus récent sur la refonte de la directive procédures est la proposition
modifiée de la Commission, COM (2011) 319 final, Bruxelles, 1er juin 2011.
20
Les publications concernant les questions liées à l’asile des
personnes LGBTI ont tendance à se concentrer sur les hommes
homosexuels. Nous avons pour cette raison formulé les questions
de notre questionnaire de façon neutre, afin de couvrir tous les cas
de figure. Nous avons également posé des questions plus explicites
et approfondies sur les cas d’asile concernant les demandeurs
lesbiennes, bisexuels, transgenres et intersexués. Nous espérions de
cette manière éviter de nous concentrer sur les cas d’asile d’hommes
homosexuels. Malgré cet effort, les informations concernant les
personnes LBTI demeurent rares, et peu de cas ont été rapportés. 39
Bien que ce manque d’informations puisse être interprété comme le
reflet d’une plus faible occurrence de la persécution des personnes
LBTI dans les pays d’origine, une telle explication semble peu
39 Douze cas de personnes intersexuées ont été rapportés au cours de cette
étude. Nous n’avons malheureusement presque pu obtenir aucune autre
information à leur propos au-delà de leur simple existence. Le nombre
d’affaires concernant des personnes transgenres nous ayant été rapportées
est de 67.
IN T RODUC T ION
plausible. L’idée que la violence anti-gay soit plus courante dans les
différents pays concernés que celle visant les personnes lesbiennes,
bisexuelles, transgenre et intersexuées n’est tout simplement pas
convaincante.
fiables sur les questions liées aux personnes transgenres, et encore
plus aux personnes intersexuées, sont généralement faibles ;
l’invisibilité des demandeurs d’asile transgenres et intersexués peut
refléter cet état de fait.
Il existe des explications plus plausibles au fait qu’il y ait moins de
données disponibles sur les demandes de personnes LBTI. Tout
d’abord, les personnes LBTI peuvent être moins enclines à faire une
demande d’asile sur le motif de leur orientation sexuelle ou de leur
identité de genre. Il peut y avoir des raisons pour lesquelles ces
personnes sont moins ouvertes sur la question, ou moins portées à
présenter les questions LBTI aux autorités compétentes en matière
d’asile.40 La seconde explication repose sur le fait que le modèle
de persécution des personnes LBTI est moins mis en évidence que
celui concernant les hommes homosexuels. Lorsque le militant
LGBTI David Kato a été assassiné en Ouganda le 26 janvier 2011, les
médias, les organisations de la société civile ainsi que les autorités
en ont immédiatement été informés, et ont condamné cet acte. A
l’inverse, peu d’entre eux tiennent compte du nombre de personnes
transgenres assassinées dans le monde ; de janvier 2008 à décembre
2020, 539 personnes transgenres ont été assassinées.41
L’invisibilité des demandeurs d’asile LBTI dans ce rapport peut avoir
différentes explications que celles que nous fournissons ci-dessus.
Cependant, sans que cela soit notre intention, il est possible que
ce rapport reflète l’invisibilité générale des cas de demandes
d’asile de personnes LBTI. Nous avons tenté de contrer cela en
nous concentrant plus spécifiquement sur les cas de personnes
LBTI lorsque cela était possible, et en utilisant plus d’exemples de
personnes LBTI que ce qui serait représentatif des informations à
notre disposition. Nous pensons que l’invisibilité des cas d’asile de
personnes LBTI devrait faire l’objet de recherches plus approfondies.
Une autre approche consiste à ne pas s’intéresser aux explications
générales quant à l’invisibilité des demandeurs d’asile LBTI, mais
plutôt aux différents groupes eux-mêmes. La plus faible fréquence
des demandes d’asile déposées par des lesbiennes peut être liée
au fait que, d’une manière générale, seulement un tiers de tous les
demandeurs d’asile dans les pays occidentaux sont des femmes,
et qu’un pourcentage encore plus faible sont des femmes seules.
Cette dernière donnée peut expliquer en partie le faible nombre
de demandeuses d’asile lesbiennes. Les informations fournies par
nos experts nationaux indiquent que la proportion d’hommes
homosexuels par rapport à celle des lesbiennes chez les demandeurs
d’asile n’est pas de deux pour un, mais que le pourcentage de
demandeuses d’asile lesbiennes est bien inférieur. La faible fréquence
des demandeurs d’asile bisexuels peut refléter l’invisibilité générale
des bisexuels, qui sont à tort catalogués comme lesbiennes/gays ou
hétérosexuels, selon les circonstances. La visibilité et les informations
40 Dans les pays occidentaux, une grande partie des personnes transgenres et
intersexuées ne révèle pas publiquement son identité de genre. Une étude
réalisée sur un échantillon représentatif de 27 000 personnes au Danemark a
révélé que 2 personnes transgenres sur 3 n’avaient jamais parlé à personne
de leur identité de genre, voir Leyla Gransell et Henning Hansen, Equal and
unequal? The living conditions and well being of gay and lesbian people, bisexuals
and transgenders in Denmark, Copenhague : Casa 2009, consultable à l’adresse
www.casa-analyse.dk/default.asp?Action=Details&Item=387. Il est peu
probable que parmi les demandeurs d’asile au sein de l’UE, plus de personnes
transgenres le soient publiquement que parmi les personnes sur lesquelles a
été effectuée cette étude.
41 Transgender Europe, Trans Murder Monitoring Project: March 2011 Update,
consultable à l’adresse http://www.transrespect-transphobia.org/en_US/tvtproject/tmm-results/tmm-march-2011.htm, consulté le 28 juin 2011.
21
IN T RODUC T ION
22
L a criminalisation
2 L a c r i m i n a l i s a t i o n
2 . 1 I n t r o d u c t i o n
Dans 76 pays du monde, avoir des relations sexuelles consenties entre
adultes avec une personne du même sexe est un acte criminel42,
parfois pour les personnes des deux sexes43 et parfois seulement pour
les rapports sexuels entre deux hommes.44 Dans sept de ces pays, les
actes homosexuels sont passibles de la peine de mort (en Iran, dans
les Etats du nord du Nigéria, en Mauritanie, en Arabie Saoudite, dans
la région sud de la Somalie, au Soudan et au Yémen). Dans certains de
ces 76 pays, les actes sexuels entre personnes du même sexe en ellesmêmes ne sont pas explicitement criminalisés, mais les dispositions
criminalisant les comportements « contre nature » ou indécents
(ou des appellations similaires) sont appliquées afin de poursuivre
les actes sexuels entre personnes du même sexe.45 Nous utiliserons
le terme « criminalisation » pour désigner de telles législations. La
criminalisation explicite ciblant principalement l’orientation sexuelle et
non l’identité de genre, ce chapitre traite principalement de demandes
d’asile formulées par des personnes LGB. 46 Cependant, le fait que
l’orientation sexuelle soit criminalisée devrait être considéré comme un
indicateur que la situation des personnes transgenres et intersexuées
est sûrement également problématique. De la même manière, dans
certains pays ne criminalisant pas explicitement les actes sexuels
lesbiens mais en revanche les actes sexuels gays, il y a des indications
42 Eddie Bruce-Jones et Lucas Paoli Itaborahy: State-sponsored Homophobia, A
world survey of laws prohibiting same sex activity between consenting adults,
International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association, mai 2011,
www.ilga.org, consulté le 5 juillet 2011.
43 Par exemple, le code pénal gambien de 1965, tel que révisé en 2005, article
144 : « Crimes contre-nature. (1) Toute personne qui— (a) a des relations
charnelles avec une autre personne contre-nature, ou (b) a des relations
charnelles avec un animal, ou (c) permettra à un homme d’avoir des relations
charnelles contre-nature avec lui ou elle ; est coupable d’un crime et est
passible d’une peine d’emprisonnement de quatorze (14) ans ». (2) Dans cet
article - « la connaissance charnelle contre nature » d‘une personne comprend
- (a) la connaissance charnelle d‘une personne par l‘anus ou la bouche d‘une
personne ; (b) insérer un quelconque objet ou chose dans la vulve ou l‘anus de la
personne dans le but de la stimuler sexuellement ; et (c) commettre tout autre acte
homosexuel avec la personne ».
44 Un exemple tiré du code pénal ouzbek de 1994, article 120 : « Une
Besoqolbozlik, c‘est-à-dire une relation sexuelle volontaire entre deux
hommes, sera passible d‘une peine d‘emprisonnement allant jusqu‘a trois
ans. » Consultable à l’adresse : http://www.legislationline.org/documents/
id/8931
45 Par exemple le code pénal libanais de 1943, article 534 : « Toute relation
sexuelle contre nature est punie d’emprisonnement pour une durée maximale
d‘un mois à un an. »
46 En plus des 76 pays criminalisant l’homosexualité mentionnés dans la liste de
l’ILGA, dans certains pays les personnes transgenres sont également passibles
de poursuites. Par exemple en Turquie, pays qui a aboli la criminalisation
des actes homosexuels dès 1858, la loi sur les comportements immoraux
est appliquée pour mettre des amendes aux personnes transgenres, tandis
que les cours et tribunaux ont parfois appliqué le principe de « provocation
injuste » en faveur de personnes ayant commis des crimes contre des
personnes transgenres. Voir Commission européenne, Document de travail
des services de la Commission : Turkey 2009 Progress Report, Bruxelles, 14
octobre 2009, SEC (2009)1334, p. 26 et p. 72.
que les lesbiennes sont également en danger mais qu’elles sont moins
surveillées. Il faut également noter que dans certains pays, les identités
transgenres peuvent être criminalisées sous couvert d’enfreinte au
code vestimentaire ou d’autres transgressions des règles spécifiques
au genre.
Bien que de nombreux exemples de persécution étatique aient
été rapportés par des représentants d’Etats où la criminalisation a
été abolie, la question de la criminalisation de l’orientation sexuelle
ou de l’identité de genre est de la plus grande importance en
ce qui concerne les demandeurs d’asile LGBTI originaires de ces
pays. Tout d’abord, dans les pays qui criminalisent l’orientation
sexuelle, les personnes LGB risquent d’être poursuivies. Ensuite, la
criminalisation vient renforcer un climat général d’homophobie
(que l’on peut supposer s’accompagner de transphobie) permettant
aux agents étatiques ainsi que non étatiques de persécuter ou de
porter préjudice aux personnes LGB(TI) en toute impunité. En bref,
la criminalisation fait des personnes LGB des hors la loi, en danger
permanent de persécution ou de graves préjudices.
La criminalisation devrait-elle être un motif en soi d’octroi de l’asile
aux demandeurs originaires de ces pays, dans la mesure où les
autorités compétentes en matière d’asile pensent que le demandeur
est une personne LGB ? Dans le cas ci-dessous, la réponse a été
négative, et s’appuie sur une application de la criminalisation
considérée comme faible :
Le tribunal irlandais a rejeté l’appel d’une femme lesbienne
originaire du Pakistan en déclarant que : « Je reconnais que
l’homosexualité est un crime au Pakistan. Il semble néanmoins
que les cas d’homosexualité font rarement l’objet de poursuites.
A cet égard, je souhaite mentionner le rapport du Département
américain d’Etat sur les droits de l’homme au Pakistan de
février 2009, dans lequel il est indiqué que « les rapports
sexuels homosexuels sont un crime ; en pratique, cependant, le
gouvernement engage rarement des poursuites. »47
2 . 2 L e s n o r m e s e u r o p é e n n e s e t i n t e r n a t i o n a l e s
Les demandes d’asile doivent être examinées individuellement,
mais tous les faits pertinents doivent être pris en compte au cours
de cet examen, y compris la législation et les règlements du pays
d’origine, ainsi que la manière dont ceux-ci sont appliqués (article
47 Cour d’appel des réfugiés 2009.
23
L a criminalisation
4(3)(a) directive qualification). Il est important qu’un demandeur
d’asile ait déjà fait l’objet de persécution ou de menaces directes de
persécution (article 4(4) directive qualification), mais cela n’est pas
une condition nécessaire à l’octroi du statut de réfugié.
Il est clair qu’une peine de prison ou un châtiment corporel au
motif d’avoir eu des relations homosexuelles constituent un acte
de persécution, car il s’agit d’actes suffisamment graves par leur
nature pour constituer des violations sévères des droits humains
fondamentaux (article 9(1)(a) directive qualification), notamment le
droit à la liberté (article 5 CEDH) et le droit de ne pas être soumis à
un traitement inhumain (article 3 CEDH).48 Une personne encourant
de telles peines a une crainte fondée d’être persécutée en raison
de son appartenance à un groupe social particulier reposant sur la
caractéristique commune de l’orientation sexuelle (article 10(1)(d)
directive qualification).
L’article 9(2)(c) de la directive qualification qualifie les poursuites
judiciaires ou les peines disproportionnées ou discriminatoires
comme un acte de persécution. La criminalisation étant
discriminatoire par nature,49 les poursuites judiciaires ou les peines
relevant de lois criminalisant directement ou indirectement les
personnes LGBTI en soi constituent une persécution selon la
définition de réfugié.
Dans les cas de Dudgeon, Norris et Modinos50, la Cour européenne
des droits de l’homme a jugé que les dispositions pénales
criminalisant l’homosexualité respectivement en Irlande du Nord,
en Irlande et à Chypre étaient contraires au droit au respect de la
vie privée au sens de l’article 8 de la Convention européenne des
droits de l’homme. Dans l’affaire Norris c. Irlande, la cour a examiné
« les effets préjudiciables que l’existence même des dispositions
législatives en question peuvent avoir sur la vie d’une personne
d’orientation homosexuelle. » Cela a débouché sur la reconnaissance
du fait que « la criminalisation est en elle-même suffisante à
la conclusion que le droit à la vie privée visé à l’article 8 de la
Convention européenne des droits de l’homme d’une personne à
qui ces lois peuvent être applicables est violé ».51
48 Sur le châtiment corporel, voir l’article 3 de la Convention européenne des
droits de l’homme, CEDH 25 avril 1978, Tyrer c. Royaume-Uni, Dem. N°. 5856/72;
et dans le cadre des demandes d’asile, par exemple CEDH 22 juin 2006, D. c.
Turquie, Dem. N°. 24245/03.
49 Formellement, le concept d’indécence peut également être utilisé contre les
hétérosexuels. Cependant, celui-ci tend à être utilisé contre les personnes
LGBTI en particulier. Cf. Human Rights Watch, This Alien Legacy, The Origins of
«Sodomy» Laws in British Colonialism, Human Rights Watch: New York 2008,
www.hrw.org, consulté le 5 juillet 2011.
50 CEDH 22 octobre 1981, Dudgeon c. Royaume-Uni, Dem. N°. 7525/76; CEDH 26
octobre 1988, Norris c. Irlande, Dem. N°. 10581/83; CEDH 22 avril 1993, Modinos
c. Chypre, Dem. N°. 15070/89.
51 CEDH 26 octobre 1988, Norris c. Irlande, Dem. N°. 10581/83.
24
Toutefois, dans sa première affaire de demande d’asile d’une
personne gay, F. c. Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de
l’homme a décidé que l’éloignement d’une personne LGB vers un
pays criminalisant les actes sexuels entre personnes du même sexe
(tel que l’Iran) ne constitue pas une violation de l’article 8 CEDH. La
cour a estimé que « d’un point de vue purement pragmatique, il ne
peut être attendu d’un Etat contractant qu’il n’expulse un étranger
que vers un pays respectant totalement et effectivement les droits et
libertés garantis par la Convention ».52
Pour sa deuxième affaire de demandeur d’asile gay, I.I.N. c. Pays-Bas,
la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté la demande
d’un iranien gay, en s’appuyant sur l’article 3 de la CEDH. Tandis que
le demandeur affirmait avoir été arrêté après avoir été surpris en
train d’embrasser un ami dans une allée, la cour n’a trouvé aucune
indication que cela ait débouché sur des procédures pénales contre
lui. La cour a constaté que les informations « ne faisaient pas état
d’un contexte de poursuites actives d’adultes ayant des relations
homosexuelles privées et consenties de la part des autorités. »53
La CEDH reconnaît que les lois criminalisant les personnes LGBT,
même lorsqu’elles ne sont plus systématiquement appliquées,
pourraient l’être officieusement. Les persécutions n’étant dans ce
cas pas enregistrées, comme dans le cas de violences infligées
par la police, ou la détention extrajudiciaire. De plus, la CEDH
souligne le fait que la persécution peut être rencontrée en l’absence
d’informations fiables disponibles sur le pays d’origine, ou de
preuves que les lois de criminalisation des actes homosexuels sont
réellement appliquées.54
2 . 3 L a p r a t i q u e d e s Et a t s
Nous avons constaté que la plupart des Etats membres exigent
que la criminalisation soit appliquée pour accorder le statut de
réfugiés aux demandeurs d’asile originaires de pays criminalisant les
actes sexuels entre personnes du même sexe. Cependant, en Italie
cela n’est pas le cas. Dans d’autres pays, nos informations ne nous
52 CEDH, 22 juin 2004, F. c. Royaume-Uni, Dem. N°. 17341/03 ; comp. Comité
contre la torture 20 mai 2003, CAT, K.S.Y. c. Pays-Bas, 190/2001 (expulsion d’un
gay iranien – pas de violation de l’article 3 de la Convention contre la torture) ;
comp. sur l’application de l’article 9 de la Convention européenne des droits
de l’homme (concernant les chrétiens du Pakistan) CEDH 28 février 2006, Z et
T c. Royaume-Uni, Dem. N° 27034/05.
53 Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, UNHCR Guidance
Note on Refugee Claims Relating to Sexual Orientation and Gender Identity, 21
November 2008, par. 20-21, consultable à l’adresse : http://www.unhcr.org/
refworld/docid/48abd5660.html [consulté le 5 juillet 2011].
54 UN High Commissioner for Refugees, UNHCR Guidance Note on Refugee Claims
Relating to Sexual Orientation and Gender Identity, 21 novembre 2008, par. 2021, consultable à l’adresse : http://www.unhcr.org/refworld/docid/48abd5660.
html [consulté le 5 juillet 2011].
L a criminalisation
permettent pas de tirer de conclusion claire, la plupart du temps en
raison du manque de cohérence de la situation.
2.3.1 E x i s t e n c e d ’ u n e c r i m i n a l i s at i o n a p p l i q u é e
suffisante
En France, l’application effective de la criminalisation est nécessaire
à l’obtention du statut de réfugié, mais est ensuite suffisante. Si la
criminalisation n’est pas systématiquement appliquée mais l’est
régulièrement, cela suffit pour obtenir le statut de réfugié. Si la
criminalisation n’est jamais appliquée, la demande est rejetée. Il en va
de même en Belgique et en Suède.
Au Royaume-Uni, les lois de criminalisation doivent également
être appliquées pour constituer une persécution. La cour d’appel a
jugé qu’une criminalisation non appliquée ne constituait pas une
persécution telle que définie par l’article 9(2)(c), en tant que mesure
juridique discriminatoire.55
appliquée pourrait conduire à l’obtention du statut de réfugié,
même dans les cas où il n’y a pas d’indication que des poursuites
seront engagées dans le cas particulier du demandeur. Cette
décision concernait l’Iran58 et le Cameroun,59 tandis que dans
un cas marocain, la demande a été rejetée car la position des
autorités marocaines sur les poursuites dans les affaires de relations
homosexuelles a été jugée « plutôt pragmatique ».60
Aux Pays-Bas, l’existence d’une criminalisation appliquée en Iran a
été jugée suffisante pour établir une règle de politique selon laquelle
les demandeurs d’asile LGBT originaires d’Iran obtiendraient dans
tous les cas l’asile sur des motifs humanitaires fondés sur le droit
national. Les décisions et la jurisprudence rejetant les demandes de
personnes LGB en raison de l’absence de preuve d’une criminalisation
appliquée à l’encontre des personnes LGB61 dans les pays concernés
semblent indiquer que les demandeurs LGB originaires de pays où la
criminalisation est appliquée pourraient prétendre à l’asile.62
En Irlande, un demandeur d’asile gay d’origine kenyane a été
reconnu par le tribunal comme réfugié car la criminalisation de
l’homosexualité constituait une preuve prima facie de la persécution
étatique en raison de l’orientation sexuelle dans ce pays. Cependant,
dans d’autres décisions, parmi lesquelles au moins une concernant
un autre Kenyan, le statut de réfugié a été refusé car la criminalisation
n’était pas appliquée. Cela suggère que l’existence d’une
criminalisation appliquée peut conduire à la reconnaissance des
demandeurs d’asile LGB originaires des pays concernés.56
En Autriche, un tribunal a accordé le statut de réfugié à un homme gay
iranien au motif que la situation des homosexuels en Iran était tellement
grave que tout homosexuel devait craindre d’être persécuté.63
L’expert national pour la Lituanie a indiqué qu’il n’y avait pas eu
de cas correspondant à cette question pour le moment, bien que
le gouvernement ait déclaré que la criminalisation dans le pays
d’origine serait considérée comme une persécution. En Pologne,
les autorités compétentes en matière d’asile ont déclaré que
l’application ou non de la criminalisation n’était pas pertinente.
Cependant, une demande de statut de réfugié d’un pakistanais a été
refusée au motif que la criminalisation au Pakistan n’était – d’après le
preneur de décision – presque jamais appliquée.
58 Verwaltungsgericht (Cour administrative) Potsdam, 11 septembre 2006 - 9 K
189/03.A.
59 Verwaltungsgericht (Cour administrative) Francfort-sur-l’Oder, 11 novembre
2010, VG 4 K 772/10.A : les arrestations et condamnations de personnes
homosexuelles sont rares mais se produisent régulièrement.
60 Oberverwaltungsgericht (Cour administrative supérieure) BerlinBrandenbourg 04 février 2010 - 3 S 120.09.
61 Voir une affaire tunisienne, Rechtbank (Cour régionale) Groningue 30
novembre 2009, 09/41408; Afdeling Bestuursrechtspraak van de Raad van
State (Division judiciaire du Conseil d’Etat) 4 février 2010, 200909560/1/V2 ;
une affaire camerounaise, Rechtbank (Cour régionale) ‘s-Hertogenbosch
1er octobre 2009, 08/36980, décision maintenue par la Afdeling
Bestuursrechtspraak van de Raad van State (Division judiciaire du Conseil
d’Etat) 25 janvier 2010, 200908271/1/V1 ; une affaire algérienne, Rechtbank
(Cour régionale) ‘s-Gravenhage 9 décembre 2009, 09/23841, décision
maintenue par la Afdeling Bestuursrechtspraak van de Raad van State
(Division judiciaire du Conseil d’Etat) 27 janvier 2010, 201000184/1A/2.
62 Voir par exemple Rechtbank (Cour régionale) La Haye 11 novembre
2009, 09/13455 : le rapport du département d’Etat américain prouve que
le paragraphe 377 du code pénal indien est toujours d’actualité. Cette
disposition est régulièrement utilisée pour des descentes de police et des
menaces d’arrestation contre les homosexuels lorsque ceux-ci viennent
dénoncer des actes de violence. Comp. Rechtbank (Cour régionale) Haarlem
2 mars 2010, 10/5782 : le demandeur a fourni des informations sur le pays
d’origine indiquant que plusieurs homosexuels avaient récemment été arrêtés
en Tanzanie, que le climat général envers les homosexuels s’était détérioré, et
ce pas uniquement envers les militants pour les droits des homosexuels.
63 Asylgerichtshof (Cour d’asile), 17 février 2009, E2 255.708-2/2008.
64 Tribunale (Tribunal) Turin, 5 novembre 2010, 426/10.
65 Commissione territoriale per il riconoscimento della protezione internazionale
En Allemagne, un jugement du Bundesverwaltungsgericht de
198857 a estimé que la criminalisation ne suffisait pas pour l’obention
du statut de réfugié, qui nécessiterait une peine excessive (telle
que la peine de mort ou le châtiment corporel). Cependant, une
jurisprudence récente suggère que l’existence d’une criminalisation
55 Royaume-Uni : Cour d’appel (Angleterre et Pays de Galles) 18 novembre 2009,
JM (Ouganda) et OO (Soudan) c. Secrétaire d’Etat à l’Intérieur [2009] EWCA Civ
1432; [2010] All ER (D) 17 (Jun).
56 Cour d’appel des réfugiés 2008. Des demandes ont été rejetées sur ce motif
dans des affaires concernant le Kenya, l’Ouganda et le Pakistan.
57 Bundesverwaltungsgericht (Cour fédérale administrative) du 15 mars 1988,
BVerwG 9 C 278.86.
U n e b o n n e p r at i q u e : l’ Ita l i e
En Italie, la criminalisation est considérée comme une persécution
en soi et comme une limitation de la réalisation d’un droit humain
fondamental. Une lesbienne originaire du Sénégal64 a ainsi obtenu
l’asile, tout comme un demandeur gay originaire d’Egypte ;65 et un
25
L a criminalisation
autre d’Iran66 ; un demandeur d’asile originaire du Ghana67 a quant à
lui bénéficié d’une protection subsidiaire.
L’application de la loi de criminalisation n’est pas pertinente dans
la pratique italienne : les autorités compétentes et les cours et
tribunaux ne mènent pas d’enquête quant à l’application de la
criminalisation.68
Pour résumer, dans onze Etats membres,69 l’existence d’une
criminalisation appliquée est suffisante à la reconnaissance du statut
de réfugié pour les demandeurs d’asile LGB, bien que dans certains
cas cela ne soit pas jugé suffisant en fonction des circonstances
individuelles. En Italie, la question de l’application n’est pas prise
en compte et la criminalisation en soi peut permettre l’obtention
du statut de réfugié pour les demandeurs d’asile LGB. Dans les
Etats membres exigeant que la loi soit appliquée, les informations
concernant le pays d’origine sur l’application pratique sont cruciales,
ainsi que la manière dont ces informations sont interprétées, comme
cela est illustré par le jugement suivant.
En 1998, le conseil fédéral pour l’examen de l’asile autrichien a
montré une approche plus sensible de l’utilisation des informations
sur le pays d’origine concernant d’un homme gay originaire d’Iran :
« Bien que la CEDH prétend n’avoir eu connaissance d’aucun cas
de poursuites d’une personne fondée sur son homosexualité, les
homosexuels peuvent avoir fui l’Iran et avoir obtenu l’asile dans
un autre pays, ou des preuves adéquates peuvent ne pas avoir été
fournies. Ces informations ne permettent donc pas de conclure que
les dispositions iraniennes criminalisant les actes homosexuels ne
sont pas appliquées dans la pratique ».70
66
67
68
69
70
26
di Gorizia (Commission territoriale pour la reconnaissance de la protection
internationale de Gorizia), janvier 2011.
Commissione territoriale per il riconoscimento della protezione internazionale
di Milano (Commission territoriale pour la reconnaissance de la protection
internationale de Milan), 2011.
Tribunale (Tribunal) Caltanissetta 10 février 2010;
Tribunale (Tribunal) Catane 4 Mars 2010, 1081/2010 (gay, Ghana) ; Tribunale
(Tribunal) Trieste, 17 août 2009, 304/2009 (gay, Bénin) ; Tribunale (Tribunal)
Caltanissetta, 7 juin 2010, (gay, Tunisie) ; Commissione territoriale per il
riconoscimento della protezione internazionale di Gorizia (Commission
territoriale pour la reconnaissance de la protection internationale de Gorizia),
janvier 2011 (gay, Egypte) ; Commissione territoriale per il riconoscimento
della protezione internazionale di Milano (Commission territoriale pour la
reconnaissance de la protection internationale de Milan), 2011 (gay, Iran). Dans
toutes les affaires susmentionnées, le demandeur a obtenu le statut de réfugié
ou de protection subsidiaire, et dans aucune de ces décision l’application
de la criminalisation n’a été évaluée. Seul le Tribunale (Tribunal) de Trieste 11
novembre 2009, 508/09 (gay, Sénégal), a jugé qu‘en dépit de l’existence d’une
loi contre la sodomie, il n’y avait pas de preuve d’une quelconque crainte de
la persécution parmi les citoyens : cependant, le motif principal du rejet de la
demande semble avoir été le manque de crédibilité de l’orientation sexuelle
du demandeur.
Autriche, Belgique, France, Allemagne, Italie, Irlande, Lituanie, Pays-Bas,
Pologne, Suède, Royaume-Uni.
Unabhängiger Bundesasylsenat (Chambre fédérale indépendante des recours
en matière d’asile) 28 septembre 1998, 203.430/0-IX/26/98.
2.3.2 E x i s t e n c e d ’ u n e c r i m i n a l i s at i o n a p p l i q u é e n o n
suffisante
Dans quatre Etats membres, parmi lesquels le Danemark mais aussi
la Norvège, l’existence d’une criminalisation appliquée dans le pays
d’origine ne semble pas suffire à l’obtention du statut de réfugié.71
Pour cela, il est demandé aux demandeurs d’asile de montrer qu’il
y a des indications que des poursuites seront engagées dans leur
cas spécifique. Par exemple, lorsque le demandeur d’asile a déjà été
détenu ou dénoncé à la police, ou surpris par ses proches ou ses
voisins, ou s’il existe d’autres indications que les autorités sont au
courant de son comportement criminalisé et peuvent engager des
poursuites à leur encontre. Dans de tels cas, le demandeur a non
seulement une crainte fondée d’être persécuté, mais la persécution
effective a déjà commencé.
En Bulgarie, il nous a été rapporté que selon les représentants
de l’agence gouvernementale pour les réfugiés, la preuve d’une
persécution passée serait inévitablement requise pour une décision
positive.
En Espagne, dans le cas d’un homme gay originaire d’Algérie, la
cour a estimé qu’un « homme gay en Algérie ne peut rencontrer
de problèmes, la réalité n’étant pas assez grave pour permettre de
considérer que quelqu’un peut être persécuté en raison de son
orientation sexuelle. »72 Toujours en Espagne, il a été rapporté que
le statut de réfugié pour les demandeurs d’asile LGBTI n’était (à
l’exception d’un ou deux cas) accordé qu’aux militants LGBTI.
En Finlande, le fait que cinq demandes d’asile de la part de
personnes LGB d’origine gambienne aient été refusées, et qu’une
seule ait obtenu le statut de réfugié, suggère que l’existence d’une
criminalisation (appliquée) n’est pas décisive dans la reconnaissance
du statut de réfugié. En fait, la plupart des demandes d’asile de la
part de personnes LGB en Finlande provenaient de pays criminalisant
l’homosexualité, et la plupart d’entre elles ont été rejetées. De telles
décisions ont également été rapportées pour le Danemark, bien
qu’elles ne soient pas récentes (Iran, 2000 ;73 Algérie, 1992 et 199874).
Dans un arrêt de principe, la Cour d’appel norvégienne a refusé
l’asile à un homme gay d’origine iranienne sur les motifs suivants :
« La cour d’appel observe que les contraintes que doivent
71
72
73
74
Bulgarie, Danemark, Finlande, Norvège, Espagne.
Audiencia Nacional (Cour nationale) 7 novembre 2008, dossier nº 1563/2007.
Flygtningenævnet (Commission d’appel des réfugiés) 17 juillet 2000.
Flygtningenævnet (Commission d’appel des réfugiés) 2 avril 1992 ;
Flygtningenævnet (Commission d’appel des réfugiés) 1er septembre1998.
Voir également “Disturbing Knowledge – Decisions from asylum cases as
documentation of persecution of LGBT-persons”, LGBT Danmark et Conseil
danois pour les réfugiés (2008), http://www.lgbt.dk/uploads/media/
DisturbingKnowledge.PA.01.pdf
L a criminalisation
endurer les homosexuels en Iran, au regard de la réalisation de
leur orientation sexuelle en raison d’une condamnation sociale
et religieuse en société, ne peuvent de toute évidence pas être
considérées comme de la persécution telle que définie par la
Convention de 1951 des Nations unies ou comme un motif de
demande de protection. La cour estime par ailleurs que le fait de
refuser à un étranger homosexuel le droit de rester en Norvège et de
le renvoyer vers son pays d’origine où les pratiques homosexuelles
sont punissables par la loi et suscitent une condamnation de la part
de la société, ne peut être considéré comme une violation de l’article
8 de la Convention européenne des droits de l’homme » (nous
soulignons).75
« L e s pay s s û r s »
Il existe un autre élément étroitement lié à la question de la
criminalisation dans les pays d’origine : la pratique dans certains Etats
membres consistant à utiliser des listes de « pays d’origine sûrs ». Il
s’agit de pays considérés comme sûrs, ce qui a pour conséquence
que les demandeurs d’asile originaires des ces pays ont moins de
chance de se voir accorder une protection. Ils peuvent, par exemple,
voir leur demande expédiée et leurs droits de défense restreints.
tribunal s’est référé à ce jugement, en soulignant toutefois le fait
que la formulation du terme persécution dans le droit civil tchèque
avait changé afin d’intégrer la directive qualification.77 Le tribunal
n’a cependant pas tenu compte du faible taux d’application de la
criminalisation au Maroc dans son jugement, ce qui laisse planer un
doute sur la question de savoir si l'application de la criminalisation
suffirait à la reconnaissance du statut de réfugié aux demandeurs
d’asile LGB.
Dans le cas d’un demandeur d’asile camerounais en Roumanie, le
juge de première instance a motivé le rejet de la demande comme
suit : « le demandeur d’asile affirme être victime de persécution
en raison de son homosexualité. Mais la seule persécution dont il
a été victime est constituée par le fait d’avoir été arrêté au motif
reconnu d’avoir embrassé et pris dans ses bras un autre homme
dans sa voiture. Dans la mesure où l’homosexualité est un crime
au Cameroun et que le demandeur a commis ce crime dans une
voiture, sur la voie publique, la réaction des autorités à son encontre
est parfaitement normale. Par ailleurs, jusqu’en 2001 l’acte commis
par le demandeur aurait également été considéré comme un crime
en Roumanie, et aurait été puni encore plus sévèrement qu’au
Cameroun ». Le juge de seconde instance a néanmoins reconnu le
code pénal appliqué du Cameroun et accordé le statut de réfugié.
La liste de ces pays n’est pas disponible au public dans certains Etats
membres, mais nous avons trouvé les pays suivants sur des listes
de ce type : l’Albanie, l’Arménie, le Bénin, la Bosnie-Herzégovine, le
Botswana, le Burkina Faso, le Chili, le Costa Rica, le Gabon, le Ghana,
l’Inde, la Jamaïque, le Kenya, le Kosovo, la Macédoine, Madagascar, le
Mali, l’Ile Maurice, la Moldavie, la Mongole, le Monténégro, le Nigéria,
la Russie, le Sénégal, la Serbie, les Seychelles, la Tanzanie, l’Ukraine.
Au Portugal, une décision reconnaissant le statut de réfugié à un
homme sénégalais s’appuyait sur la criminalisation en soi,78 mais
une décision négative concernant une femme et un autre homme
tous deux sénégalais n’a même pas mentionné la criminalisation au
Sénégal.79
Dans certains de ces pays, les actes sexuels entre personnes du
même sexe sont criminalisés (Botswana, Ghana, Inde (partiellement),
Jamaïque, Kenya, Ile Maurice, Nigéria, Sénégal, Seychelles, Tanzanie)
tandis que dans d’autres, le climat général semble être homophobe
et transphobe. Les listes de pays sûrs comprenant des pays
homophobes nous ont été fournies par la République tchèque, la
France, l’Allemagne, Malte, la Slovaquie, l’Espagne, la Suisse et
le Royaume-Uni.
L’expert national pour la Slovaquie a indiqué qu’il n’y avait pas de
pratique établie concernant les demandes d’asile de personnes LGBTI
sur ce point, bien qu’en 2005 le statut de réfugié ait été accordé à
un demandeur d’asile bisexuel originaire d’un pays criminalisant
l’homosexualité, et que la décision ait abordé les dispositions pénales
dans le pays concerné. Il en va de même pour Chypre, la Grèce, et
Malte. Selon notre expert national, la pratique est également mal
établie en Hongrie.
2.3.3 L e s pay s d a n s l e s q u e l s l a p r at i q u e n ’ e s t pa s
claire
En République tchèque, dans un cas antérieur à l’entrée en vigueur
de la directive qualification, le tribunal a estimé que la criminalisation
de l’homosexualité dans le pays d’origine (Maroc) ne constituait
pas automatiquement une persécution étant donné la faible
application de la sanction pénale.76 Dans un jugement ultérieur, le
Un cas remarquable nous a été rapporté pour la Slovénie. Il convient
toutefois de noter que ce jugement remonte à 2005, avant la mise
en application de la directive qualification. Un homme homosexuel
originaire d’Iran a affirmé avoir été surpris au cours d’un acte sexuel
avec un autre homme par la police. Le tribunal a jugé qu’il fallait
75 LB-2002-1351 - RG-2002-1259 (196-2002).
76 Cour suprême administrative (République tchèque) 23 novembre 2007, N° 5
Azs 50/2007.
77 Cour suprême administrative (République tchèque) 28 mai 2009, N° 6 Azs
26/2009.
78 Procédure d’asile N° 148B/08.
79 Procédure d’asile N° 97C/08 ; Procédure d’asile N° 30C/10.
27
L a criminalisation
déterminer si cela pouvait impliquer un risque réel de peine de mort,
et si la loi criminalisant les actes sexuels entre personnes du même
sexe en Iran s’appliquait à tous ou uniquement aux homosexuels. Le
tribunal a considéré que cela n’était pas pertinent pour déterminer si
une clause d’exclusion, fondée sur un crime grave et non politique,
devait être appliquée.
2 . 4 C o n c l u s i o n
A un niveau empirique, l’existence d’une criminalisation appliquée
dans le pays d’origine peut suffire à la reconnaissance du statut de
réfugié pour les demandeurs d’asile LGB originaires de tels pays
dans onze Etats membres. Dans quatre autres (ainsi qu’en Norvège),
l’existence d’une criminalisation appliquée ne suffit pas à obtenir un
tel statut. Des indications que cette criminalisation sera appliquée
dans le cas individuel du demandeur est requise.
Cependant, la plupart des pays dans lesquels l’existence d’une
criminalisation appliquée ne suffit pas à la reconnaissance des
demandeurs LGB ne refusent pas le fait qu’un demandeur ayant
une crainte fondée d’être persécuté en raison d’actes homosexuels
entre adultes consentants ait également une crainte fondée
d’être persécuté en raison d’une appartenance à un groupe social
particulier.80 En conséquence, il semblerait que cette différence
entre les pratiques des Etats européens repose essentiellement sur
l’exigence d’une « crainte fondée ».
Si l’on pouvait s’assurer que les dispositions pénales en jeu ne
sont jamais appliquées (par exemple : s’il existe une politique
officielle à cet effet élevée au rang de pratique, mais que pour des
raisons politiques, culturelles ou religieuses, la révocation de la loi
de criminalisation n’est pas jugée prudente par les autorités), le
demandeur n’aurait alors pas de crainte fondée d’être persécuté
sur la base d’une telle loi. Si l’on pouvait être sûr que la disposition
pénale est toujours appliquée, le demandeur aurait alors une crainte
fondée de poursuites pénales.
La réalité tend à être plus nuancée que ces deux extrêmes, et
l’application des dispositions pénales varie selon le lieu et l’époque.
Dans les pays criminalisant l’homosexualité, la possibilité d’une
éventuelle application est permanente. Il faut également tenir
compte du fait que l’existence de sanctions pénales renforce la
80 Bien que la Norvège et la Bulgarie semblent le nier – la Norvège dans la
mesure où les peines de prison pour les actes homosexuels ne sont pas
considérés comme une persécution, et la Bulgarie dans la mesure où elle
n’a pas transposé la définition de l’orientation sexuelle comme un motif
de persécution dans sa législation nationale en matière de droit d’asile et
de protection des réfugiés conformément à l’article 10(1)(d) de la directive
qualification.
28
stigmatisation des personnes LGBTI dans les pays concernés. Même
en l’absence d’application, la criminalisation revient à une forme
d’homophobie encouragée par l’Etat. De plus, dans la mesure où il y
a toujours une possibilité de poursuites, les personnes LGB sont, de
manière générale, sans défense contre la violence homophobe ou
l’extorsion. Par ailleurs, dans les pays où les actes homosexuels sont
criminalisés, la protection étatique contre la violence à l’encontre des
personnes LGBTI doit être considérée comme non disponible (voir
chapitre 3).
Il convient également de remarquer que, bien que nous ayons
trouvé de nombreux exemples de demandes d’asile rejetées en
raison d’une non-application ou d’une faible application de la
criminalisation, cela ne signifie pas nécessairement qu’à l’inverse
les demandeurs auraient obtenu le statut de réfugié s’ils étaient
originaires de pays où la criminalisation est appliquée. En tenant
compte du manque actuel d’informations sur les pays d’origine en
ce qui concerne les personnes LGBTI (voir chapitre 8), y compris
les informations sur l’application de la criminalisation, on ne peut
exclure la possibilité que la question de l’application ou de la nonapplication des dispositions légales à l’encontre des personnes
LGBTI soit uniquement utilisée comme un moyen pour les autorités
compétentes en matière d’asile de rejeter les demandes de
personnes LGB.
Comment et dans quelle mesure peut on évaluer l’application des
dispositions légales contre l’orientation sexuelle ? Les données
sur le taux de poursuites dans les pays d’origine criminalisant
l’homosexualité sont rarement fournies par les gouvernements
concernés. De plus, les poursuites peuvent être engagées dans
des tribunaux islamiques ou locaux, ou d’autres lieux sur lesquels il
est difficile d’obtenir des informations. Il est donc essentiel que les
informations concernant les pays d’origine soient utilisées à bon
escient. Dans le contexte actuel, il est important de ne pas considérer
le manque de données sur l’application de la criminalisation
comme une indication que celle-ci n’est pas en vigueur. Le manque
d’information doit être compris pour ce qu’il est : l’ignorance sur ce
point des organisations recueillant les informations.
Si l’on convient que les personnes LGB ne devraient pas avoir à
dissimuler leur orientation sexuelle (voir chapitre 4), alors le fait que
les actes sexuels entre adultes consentants du même sexe soient
criminalisés dans le pays d’origine devrait mener à la conclusion
que les demandeurs d’asile LGB originaires de ce pays sont des
réfugiés. Ils sont susceptibles de commettre des actes criminalisés
(ou perçus comme tels) et sont donc susceptibles de tomber sous
le coup de la loi pénale. Il y a une probabilité raisonnable qu’une
personne LGB originaire d’un pays criminalisant l’homosexualité sera
L a criminalisation
confrontée à des persécutions à son retour, que ce soit sous la forme
de poursuites judiciaires, d’extorsion ou d’autres formes de violence
à l’encontre des personnes LGB, sans pouvoir compter sur aucune
protection étatique.
R e c o m m a n d at i o n s
•
L’article 4(3)(a) de la directive qualification devrait être appliqué
de façon à accorder le statut de réfugié aux demandeurs d’asile
lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués originaires
de pays où l’orientation sexuelle ou l’identité de genre sont
criminalisées, ou encore où les dispositions pénales générales
sont utilisées pour poursuivre les personnes en raison de leur
orientation sexuelle ou de leur identité de genre.
•
Les pays d’origine criminalisant l’orientation sexuelle ou l’identité
de genre ne peuvent être considérés comme des « pays
sûrs » pour les demandeurs d’asile lesbiennes, gay, bisexuels,
transgenres et intersexués.
29
L a criminalisation
30
L a p r o t e c t i o n é t a t i q u e c o n t r e l e s a g e n t s d e p e r s é c u t i o n n o n é t a t i q u e s
3 L a p r o t e c t i o n é t a t i q u e c o n t r e l e s
p e r s é c u t i o n s n o n é tat i q u e s
De nombreux demandeurs d’asile LGBTI ne fuient pas uniquement
les persécutions émanant de l’Etat, mais également des persécutions
ou mauvais traitements de la part d’agents non étatiques (famille,
voisins, autres citoyens ou foules), ou des situations impliquant
des agents étatiques et non étatiques. Dans de telles situations, la
protection internationale ne sera accordée que si les demandeurs
d’asile ne sont pas en mesure de bénéficier d’une protection de la
part des autorités nationales de leur pays. La réaction des autorités
nationales à la persécution est donc d’importance centrale dans
ce type de cas, et la question est de savoir si elles garantissent une
protection efficace.
pour prévenir la persécution ou les préjudices graves, notamment
en s’appuyant sur un système judiciaire efficace dans l’identification,
les poursuites et la sanction des actes constituant une persécution
ou un préjudice grave, et lorsque le demandeur a accès à une telle
protection. Dans la version la plus récente de la proposition de
refonte de ladite directive, il est proposé d’ajouter à l’article 7(2) que
cette protection doit être efficace et d’une nature non temporaire.82
Ce problème est bien illustré par un cas autrichien :
« Par exemple, une personne LGBT qui a été exposée à la violence peut
hésiter à se rendre à la police pour demander une protection car elle
pourrait être considérée comme une criminelle et non comme une
victime. Un demandeur d’asile pourrait donc également établir une
demande valide lorsque l’Etat encourage ou tolère des pratiques ou
préjudices discriminatoires à son encontre, ou lorsque l’Etat est incapable
de lui offrir une protection efficace contre un tel préjudice. »83 (…)
Un demandeur d’asile gay originaire d’Ukraine a affirmé avoir
été passé à tabac par un groupe nommé « Patriotes ukrainiens »
(connu pour harceler régulièrement les homosexuels) alors qu’il
se retrouvait avec d’autres homosexuels, en conséquence de quoi
il a perdu trois dents. Il a également été ouvertement menacé
par des graffiti le concernant personnellement. Lorsqu’il a quitté
sa ville pour vivre dans un hôtel, il a demandé au serveur où se
trouvait la vie nocturne gay de la ville. Deux jours après, quatre
personnes se sont rendues dans sa chambre. Il a été violé par
l’un des hommes, qui l’ont menacé et lui ont intimé de ne pas
prévenir la police. L’affaire est toujours en cours de jugement,
mais la cour constitutionnelle a annulé la décision négative de
la cour d’asile, bien qu’il ne soit pas allé porter plainte à la police
ukrainienne pour la violation de ses droits.81
Le HCR a constaté que les sanctions pénales pour les actes
homosexuels empêchaient l’accès aux personnes LGBT à une
protection étatique.
« Une demande d’asile peut ainsi être établie lorsque l’Etat n’est pas
disposé ou incapable de protéger le demandeur contre les violations
commises par des agents étatiques ou non étatiques. Les cas où l’inaction
de l’Etat relève de la persécution incluent l’absence de réponse aux
demandes d’assistance de la part de la police, et le refus des autorités
d’enquêter sur les individus ayant infligé un préjudice au x personnes
LGBT, de les poursuivre ou de les punir. »84
3 . 2 L e s d e m a n d e s d e p r o t e c t i o n d e l a p a r t
d ’ Et a t s c r i m i n a l i s a n t l e s p e r s o n n e s LGB T I
3 . 1 L e s n o r m e s i n t e r n a t i o n a l e s e t e u r o p é e n n e s
La persécution émanant d’agents non étatiques a été reconnue
comme pertinente pour l’asile à l’article 6 de la directive qualification.
Les agents de persécution ou de préjudice grave comprennent
les agents non étatiques, s’il peut être démontré que l’Etat ou que
les autorités de facto, y compris les organisations internationales,
sont incapables d’offrir une protection contre les persécutions ou
préjudices graves, ou réticentes à le faire.
La primauté de la protection nationale sur la protection
internationale est reflétée dans la directive qualification à l’article
7(2) : une protection est en général offerte lorsque les acteurs
mentionnés au paragraphe 1 prennent des « mesures raisonnables »
81 Asylgerichtshof (Cour d’asile) 30 octobre 2009, D12 230.429-2/2009/8E.
Dans certains Etats membres, les demandes d’asile de personnes
LGBTI sont rejetées au motif que le demandeur devrait avoir
demandé la protection des autorités nationales de son pays contre
la violence homophobe ou transphobe émanant d’agents non
étatiques, alors que ces mêmes autorités criminalisent les personnes
LGBTI.
3.2.1 L a p r at i q u e d e s Etat s
En Autriche par exemple, une demande préalable de protection de
82 Conseil de l’Union européenne, Presidency’s Note to the Permanent
Representatives Committee, Bruxelles, 6 juillet 2011, 2009/0164 (COD), ASILE
56, CODEC 1133.
83 Haut-commissariat européen des Nations unies pour les réfugiés, UNHCR
Guidance Note on Refugee Claims Relating to Sexual Orientation and Gender
Identity, 21 novembre 2008, p. 22.
84 Ibid. p. 27.
31
L a p r o t e c t i o n é t a t i q u e c o n t r e l e s a g e n t s d e p e r s é c u t i o n n o n é t a t i q u e s
la part des autorités nationales a été demandée à un homme gay
originaire du Zimbabwe :
Il sait qu’il est homosexuel depuis sa scolarité. Au Zimbabwe, la
population est contre l’homosexualité, et il a été passé à tabac par
des inconnus à plusieurs reprises, et a subi des discriminations.
Parfois des personnes le payaient ou lui offraient des cadeaux en
échange de relations sexuelles avec lui. Lorsque la communauté l’a
découvert, la population l’a de nouveau battu. La décision négative
du Bureau fédéral pour l’asile a été annulée une fois et la décision
finale n’a pas encore été prise.85
En Finlande, les demandeurs d’asile originaires d’Iran ou du Nigéria
doivent avoir demandé une protection de l’Etat.86 En Norvège, la
protection a été refusée à un homme éthiopien sur ce motif.87 Au
Portugal, cela s’est produit pour des demandeurs d’asile originaires
du Sénégal et d’Angola,88 en Suède pour des demandeurs originaires
d’Irak, et en Roumanie d’Afghanistan. En Espagne, une demande
préalable de protection de l’Etat était également requise pour
des pays qui criminalisent l’homosexualité. Bien que les autorités
maltaises aient déclaré ne pas avoir cette exigence, un exemple du
contraire a été rencontré.
L’affaire suivante illustre l’impossibilité de demander une protection
de l’Etat dans les pays criminalisant l’homosexualité : au Danemark,
un homme bisexuel algérien a subi des menaces avec arme à feu
par des fondamentalistes islamiques en raison de son orientation
sexuelle. Il leur a cédé des bijoux afin qu’ils le laissent tranquille. Il n’a
pas osé dénoncer l’incident à la police de peur d’être condamné à
une peine de prison. Au cours des semaines suivantes, il a reçu des
menaces de mort par téléphone. Son ami a été égorgé. Sa demande
a été rejetée par le Conseil danois pour les réfugiés, au motif qu’il n’y
avait aucune indication que son orientation sexuelle était connue
des autorités. De plus, la peine maximale en Algérie n’était pas
considérée comme « disproportionnée par rapport à la législation
danoise ».89
85 Asylgerichtshof (Cour d’asile) 12 août 2010, A2 414.747-1/2010. Un autre
demandeur d’asile gay originaire du Nigéria a dû prouver qu’il avait fait une
demande de protection auprès des autorités nationales de son pays d’origine.
86 Maahanmuuttovirasto (Service de l’immigration finlandais) 25 novembre 2009
et Helsingin hallinto-oikeus (Cour administrative d’Helsinki) 26 octobre 2010,
10/1422/1.
87 Asylgerichtshof (Cour d’asile) 1er mars 2011, DUF: 2007 059077 09.
88 Procédure d’asile n° 97C/08, Procédure d’asile n° 30C/10, Procédure d’asile
n° 124T/09.
89 Décision de la Commission d’appel pour les réfugiés, 1998 ; Art. 338 du code
pénal algérien : toute personne qui participe à des actes homosexuels est
passible d’une peine de deux mois à deux ans d’emprisonnement et d’une
amende de 500 à 2 000 dinars algériens (Lois contre la sodomie 21 avril
2005 ; ILGA avril 2007, 6). Voir également “Disturbing Knowledge – Decisions
from asylum cases as documentation of persecution of LGBT-persons”, LGBT
Danmark et Conseil danois pour les réfugiés (2008).
32
Aucun exemple allant dans l’un ou l’autre sens n’a été rapporté pour
la Bulgarie, la Grèce, la Slovaquie, la Slovénie, la Hongrie, la
Pologne, la Lituanie et la République tchèque.
3.2.2 L e s b o n n e s p r at i q u e s
Les Pays-Bas offrent un bon exemple de bonne pratique :
depuis juillet 2009, les lignes directrices en matière de politiques
recommandent explicitement que « dès lors que les actes
homosexuels sont criminalisés dans un pays d’origine, le demandeur
d’asile n’a pas d’obligation de devoir invoquer la protection des
autorités nationales de son pays » (circulaire relative aux étrangers
C2/2.10.2).
De plus, cette politique s’intègre à des lignes directrices en matière
de politiques concernant des pays en particulier. « Les homosexuels
originaires de [nom du pays] ne doivent pas demander de protection
à la police. » Les homosexuels originaires des pays suivants n’ont
donc pas d’obligation de demander une protection nationale en cas
de problèmes liés à leur orientation sexuelle : Afghanistan, République
démocratique du Congo, Guinée, Irak, Côte d’Ivoire, Népal (en ce qui
concerne les homosexuels, les travestis et les personnes transgenres)
Nigéria90, Sierra Leone, Sri Lanka, et Syrie. Il convient de noter que dans
certains de ces pays les actes homosexuels ne sont pas criminalisés,
par exemple au Népal ou en Côte d’Ivoire. Pour les pays criminalisant
l’homosexualité et ne figurant pas dans ces lignes directrices par
pays, les personnes LGB peuvent demander une exemption de
l’obligation de demander une protection nationale conformément à
la règle de politique générale, dont l’application n’est pas restreinte
à des pays en particulier et s’applique à tous les pays où les actes
homosexuels sont criminalisés.
En Irlande, pour une décision d’appel concernant un demandeur
d’asile homosexuel kenyan, le tribunal s’est référé aux informations
sur le pays d’origine, et a constaté que l’homosexualité était illégale
au Kenya, et qu’« en plus d’une législation répressive, les personnes
homosexuelles risquaient la stigmatisation et la discrimination » ;
il a déclaré que « selon le tribunal, ce fait objectif dispensait le
demandeur de l’obligation d’avoir recours à la protection étatique
lorsque celle-ci était disponible ». Conformément à cette décision,
il a été reconnu que le demandeur risquait d’être persécuté s’il était
renvoyé au Kenya et qu’on ne pouvait lui demander de recourir à une
protection de la part de la police ou d’autres autorités étatiques.91
Cependant, d’après nos informations la pratique Irlandaise est
incohérente, car dans d’autres cas il a été exigé du demandeur
90 Pour le Nigéria, les lignes directrices indiquent que les actes homosexuels sont
des actes criminels, et se réfèrent aux règles générales de politique disposant
notamment que les demandeurs ne sont pas tenus de demander une
protection nationale si l’homosexualité est criminalisée dans le pays d’origine.
91 Cour d’appel des réfugiés 2008.
L a p r o t e c t i o n é t a t i q u e c o n t r e l e s a g e n t s d e p e r s é c u t i o n n o n é t a t i q u e s
qu’il cherche à bénéficier d’une protection policière dans des pays
criminalisant l’homosexualité.
Les experts pour la France, l’Allemagne et l’Italie ont signalé qu’il
n’était pas requis de demander une protection étatique contre les
agents non étatiques pour les personnes LGBTI originaires de pays
criminalisant l’homosexualité.
Le Royaume-Uni semble avoir la même approche, dans la mesure
où les demandeurs d’asile jamaïcains n’ont pas d’obligation de
demander une protection à leurs autorités en raison du climat
homophobe qui y règne.92
3.2.3 C o n c l u s i o n
Nous arrivons à la conclusion que la pratique des Etats de l’Union
européenne est très variable sur ce point. Selon les informations
dont nous disposons, demander une protection étatique, et ce
même dans les pays criminalisant les personnes LGBTI, est requis en
Autriche, au Danemark, en Finlande, en Irlande, en Norvège, au
Portugal, en Suède, en Roumanie, à Malte et en Espagne. Dans
d’autres Etats membres, demander une protection de l’Etat n’est
pas obligatoire pour les ressortissants de pays où les personnes
LGBTI sont criminalisées ; c’est le cas des Pays-Bas, de la France, de
l’Allemagne et de l’Italie.
Il va de soi que dans les pays où les actes homosexuels (ou d’autres
sexualités « déviantes ») sont criminalisés, les actes de persécution non
étatique (y compris la discrimination) ne peuvent être contrés en se
tournant vers les autorités pour bénéficier d’une protection, car cela
pourrait déboucher sur des sanctions pénales fondées sur l’orientation
sexuelle. Même dans les pays où les sanctions pénales à l’encontre
des personnes LGBTI ne sont pas activement appliquées, on ne peut
raisonnablement attendre une protection efficace des autorités.
R e c o m m a n d at i o n s
•
L’article 7 de la directive qualification devrait être appliqué de
sorte que les demandeurs d’asile lesbiennes, gays, bisexuels,
transgenres et intersexués n’aient l’obligation de demander
la protection des autorités de leur pays que s’il a été établi
qu’une protection efficace et d’une nature non temporaire est
généralement offerte aux personnes lesbiennes, gay, bisexuelles,
transgenres et intersexuées dans le pays concerné.
92 Tribunal d’asile et immigration, DW (Jamaïque) c. Secrétaire d’Etat à l’Intérieur,
CG [2005] UKAIT 00168 et Upper Tribunal britannique, 24 juin 2011, SW
(Jamaïque) c. Secrétaire d’Etat à l’Intérieur, CG [2011] UKUT 00251. Voir
également Ministère de l’Intérieur britannique, Operational Guidance Note:
Jamaica, 3 mai 2011, v 9.0, paragraphe 3.7.7.
•
L’article 7 de la directive qualification devrait être appliqué de
sorte que, pour les pays où l’orientation sexuelle ou l’identité de
genre sont criminalisées, les demandeurs d’asile lesbiennes, gays,
bisexuels, transgenres et intersexués n’aient pas d’obligation de
demander la protection des autorités nationales de leur pays.
3 . 3 L a p r o t e c t i o n é t a t i q u e e t l e s a u t o r i t é s
homophobes/ transphobes
Il est possible que dans le pays d’origine du demandeur d’asile,
les dispositions pénales à l’encontre des personnes LGBTI n’aient
jamais été appliquées, ou que la loi pénale ait été modifiée afin
de décriminaliser l’homosexualité. Même dans ce cas, on ne peut
raisonnablement attendre des demandeurs d’asile LGBTI qu’ils
demandent la protection des autorités nationales de leur pays, cela
pouvant se révéler inutile, car les autorités ne feraient rien pour les
protéger, voire dangereux pour leur sécurité ultérieure au regard des
autorités et/ou d’agents non étatiques.
3.3.1 L a p r at i q u e d e s Etat s
Nous prenons soin de fournir de nombreux exemples de la notion de
protection étatique dans les pays d’origine où la police ou d’autres
autorités sont homophobes ou transphobes en raison de la grande
diversité des pratiques des Etats membres.
En Finlande, de nombreuses affaires concernent des personnes
LGB d’origine russe. Pour les preneurs de décision, ces personnes
devraient demander une protection policière ; en l’absence
d’intervention de la police, elles devraient porter plainte. Dans tous
les cas recensés, les demandeurs d’asile ont souffert d’une attitude
incorrecte, voire hostile de la part de la police.93
Nous avons également eu connaissance d’une décision d’asile
positive pour la Finlande concernant l’Irak, où les relations
homosexuelles ne sont pas clairement criminalisées par la loi (selon
l’ILGA) : « En général, les autorités ne peuvent assurer la protection
nécessaire, car l’homosexualité est considérée comme illégale du
point de vue religieux et des valeurs traditionnelles. Dans la plupart
des cas où des homosexuels ont subi des violences, des meurtres
d’honneur, la prostitution forcée ou des enlèvements, personne n’a
été puni pour ces actes. Dans de nombreux cas, les policiers ont
infligé des mauvais traitements, abusé sexuellement et fait subir du
chantage aux personnes concernées. »94
93 Helsingin hallinto-oikeus (Cour administrative d’Helsinki) 26 octobre 2007,
07/1355/1 ; Helsingin hallinto-oikeus (Cour administrative d’Helsinki) 30
septembre 2008, 08/1444/3 ; Maahanmuuttovirasto (Service de l’immigration
finlandais) 7 septembre 2009.
94 Maahanmuuttovirasto (Service de l’immigration finlandais) 12 février 2010.
33
L a p r o t e c t i o n é t a t i q u e c o n t r e l e s a g e n t s d e p e r s é c u t i o n n o n é t a t i q u e s
En ce qui concerne le Danemark, les exemples pour lesquels la
protection policière a été exigée concernaient la Russie (1994, 2003),
l’Albanie (2002), la Lituanie (1997), et la Turquie (2000).95 Lorsque les
pays de l’ancienne Union soviétique ont dépénalisé l’homosexualité,
les demandes ont immédiatement été rejetées, avant que toute
preuve concernant la possibilité d’une protection de la part des
autorités ait pu être obtenue (par exemple pour la Russie en 1994).
Dans le cas d’un homme homosexuel originaire de Roumanie (1995),
la décision était fondée sur une dépénalisation attendue dans un
futur proche.96
En Lituanie, deux demandeurs d’asile Kazakhs qui avaient affirmé
avoir demandé la protection de la milice, bien que celle-ci ne prenne
habituellement aucune mesure dans ce sens et avait même énoncé
des idées telles que : « les homosexuels doivent être exterminés. » Les
informations sur le pays d’origine ont montré qu’aucune protection
n’était généralement garantie aux personnes homosexuelles au
Kazakhstan. Pour autant, le Département des migrations lituanien a
exigé des preuves qu’ils avaient activement demandé une protection
aux autorités étatiques kazakhs et que celles-ci étaient incapables de
leur accorder ou non disposées à le faire.
Plusieurs jugements tchèques antérieurs à l’entrée en vigueur de
la directive qualification ont retenu que les demandeurs d’asile
n’avaient pas demandé la protection des autorités étatiques de leur
pays d’origine, alors même que la police avait la réputation d’être
homophobe.97 Depuis la transposition de la directive qualification, la
cour administrative suprême interprète cette exigence à la lumière
de l’art. 7(2) de la directive qualification. Depuis que le Département
des politiques de l’asile et des migrations (DAMP) ne peut plus rejeter
une demande d’asile uniquement au motif que les persécutions
émanent « d’agents non étatiques », l’absence de demande de
95 Russie : Flygtningenævnet (Commission d’appel des réfugiés) 12 janvier
1994; Flygtningenævnet (Commission d’appel des réfugiés) 25 février 2003 ;
Albanie : Flygtningenævnet (Commission d’appel des réfugiés) 16 mai 2002 ;
Lituanie : Flygtningenævnet (Commission d’appel des réfugiés) 28 juillet 1997 ;
Turquie : Flygtningenævnet (Commission d’appel des réfugiés) 16 février 2000.
96 Flygtningenævnet (Commission d’appel des réfugiés), 11 mai 1995.
97 Des demandes ont été rejetées car les demandeurs n’avaient pas cherché
à obtenir de protection étatique contre la persécution émanant d’agents
non étatiques, bien que l’efficacité et/ou la disponibilité de la protection
étaient discutables ou aucunement prises en compte par le Département
des Politiques d’Asile et d’Immigration du Ministère de l’Intérieur. Voir par
exemple la Cour suprême administrative (République tchèque), 5 octobre
2006, N° 2 Azs 66/2006 ; et Cour suprême administrative (République
tchèque), 27 février 2008, N° 6 Azs 4/2008. Voir également les cas dans
lesquels les demandeurs ont dû demander une protection étatique (aux
échelons supérieurs de la hiérarchie de la police) bien qu’ils aient été victimes
d’humiliations, d’intimidations ou de harcèlement sexuel par la police lorsqu’ils
se sont tournés vers les agents de police locaux : par exemple Cour suprême
administrative (République tchèque) 20 avril 2005, N° 3 Azs 245/2004 ; Cour
suprême administrative (République tchèque) 30 octobre 2006, N° 4 Azs
13/2006 ; and Cour suprême administrative (République tchèque) 30 juin
2006, No. 8 Azs 101/2005.
34
protection aux autorités étatiques est devenue l’une des raisons
les plus courantes de rejet des demandes d’asile. Il n’y a cependant
pas eu de cas de personnes LGBTI traitant ces questions de manière
globale pour le moment.
La jurisprudence de la division judiciaire du Conseil d’Etat
néerlandais retient qu’il faut tout d’abord établir si les autorités
du pays concerné fournissent habituellement une protection.
Seulement une fois cela établi, il convient de déterminer si le
demandeur d’asile a démontré qu’une demande de protection aurait
été clairement dangereuse ou inutile.
Dans le cas contraire, le demandeur doit avoir demandé une
protection étatique. Les autorités ne sont considérées avoir été
dans l’incapacité ou non disposées à offrir une protection que si
le demandeur a invoqué une protection en vain.98 Ce n’est qu’une
fois que la demande s’est révélée dangereuse ou inutile qu’elle est
examinée sur le fond.
Le rapport national néerlandais sur l’Arménie99 déclare « qu’en
général les homosexuels ne demandent pas d’aide à la police car
il n’y a aucune garantie qu’ils obtiendront une telle protection.
En s’adressant à la police, ils prennent le risque d’être victime
de chantage. » Cependant, d’après le tribunal, dans le cas d’un
homme homosexuel arménien, cela ne signifie pas que demander
la protection d’autorités supérieures serait dangereux ou inutile.100
Pour la Turquie, les lignes directrices néerlandaises en matière
de politiques déclarent explicitement que les « homosexuels,
les travestis et les personnes transgenres peuvent obtenir une
protection nationale, sauf s’il a été établi que dans le cas spécifique
concerné cela n’est pas le cas », bien que cette information
contredise celle fournie par le rapport national néerlandais sur la
Turquie.101
98 Par exemple Afdeling Bestuursrechtspraak van de Raad van State (Division
judiciaire du Conseil d’Etat) 12 décembre 2010, LJN : BL4567.
99 Ministère des Affaires étrangères néerlandais, Country Report Armenia, 19
décembre 2006.
100 Rechtbank (Cour régionale) Zutphen, 10 octobre 2007, n° 07/17458 (appel
rejeté). Décision maintenue par la Afdeling Bestuursrechtspraak van de Raad
van State (Division judiciaire du Conseil d’Etat) 18 février 2008, 200707743/1.
Comp. Rechtbank (Cour régionale) Groningue 3 novembre 2008, n° 08/12467,
appel rejeté sans raison par la Division judiciaire du Conseil d’Etat 7 avril 2009,
200808661/1/V1 (Chine) ; Rechtbank (Cour régionale) ‘s-Hertogenbosch 16
février 2010, n° 09/16343, appel rejeté sans raison par la Division judiciaire
du Conseil d’Etat 11 juin 2010, 201002793/1A/2. Voir également Rechtbank
(Regional Court) Almelo 28 mai 2010, n° 10/16955, Division judiciaire du
Conseil d’Etat, 31 août 2010, 201005517/1/V2 (appel rejeté) ; Rechtbank
(Cour régionale) Arnhem, 21 décembre 2006, n° 06/21595, Division judiciaire
du Conseil d’Etat 8 juin 2007, 200700569/1 (appel rejeté), Rechtbank (Cour
régionale) Zutphen 17 mars 2006, n° 06/9846 (appel rejeté).
101 Voir Ministère des Affaires étrangères néerlandais, Country Report Turkey, 1er
septembre 2010, par. 3.4.6, consultable à l’adresse http://www.rijksoverheid.
nl/ministeries/bz/documenten-en-publicaties/ambtsberichten/2010/09/14/
turkije-2010-09-14.html.
L a p r o t e c t i o n é t a t i q u e c o n t r e l e s a g e n t s d e p e r s é c u t i o n n o n é t a t i q u e s
Les décisions rapportées pour le Portugal indiquent que le fait de
demander une protection policière est toujours exigé. Les autorités
portugaises ne semblent pas rechercher d’information sur la
disponibilité d’une telle protection pour les personnes LGBTI, et cela
ne pèse pas sur la prise de décision.
En Suède, il est courant d’exiger des personnes LGBTI originaires
des Etats de l’ex-Union soviétique (comme le Kazakhstan et le
Kirghizstan) et de Mongolie de demander une protection étatique.
En Allemagne, il n’est généralement pas obligatoire pour les
demandeurs d’asile LGBTI de demander une protection aux autorités
notoirement homophobes, à l’exception du cas d’une femme
transgenre originaire du Vénézuéla dont la demande a été rejetée :
l’office fédéral a considéré qu’elle aurait pu dénoncer à la police les
menaces qui lui ont été faites par un gang criminel. Malgré le fait
qu’elle ait déclaré avoir été fréquemment victime de traitements
dégradants de la part des autorités étatiques et ne pas pouvoir
obtenir de protection de la police en raison de sa corruption et de sa
coopération avec l’association de malfaiteurs en question, la cour a
approuvé la décision de l’office fédéral. Il faut cependant noter que
les raisons principales du rejet de la demande étaient les doutes
significatifs concernant sa crédibilité.102
En Espagne, la demande d’un homosexuel Géorgien ayant été
victime d’agressions physiques en raison de son orientation sexuelle
a été rejetée par la cour nationale car « l’attitude de la police
n’était pas totalement passive envers les problèmes sur lesquels le
demandeur a fondé sa demande d’asile ». La cour est arrivée à cette
conclusion « dans la mesure où le jour de l’agression, la police est
intervenue, bien qu’elle n’ait pas pris de mesures aussi efficaces que
nécessaire. »103
La cour nationale du droit d’asile a retenu qu’un demandeur
kosovar n’avait pas demandé la protection de la police : « Bien que
l’homosexualité ne soit pas criminalisée au Kosovo, les homosexuels
peuvent être victimes de graves discriminations et violences ;
les plaintes déposées aux autorités ne sont pas toujours suivies
lorsqu’elles concernent des personnes appartenant à la communauté
homosexuelle et peuvent même donner lieu à des représailles ;
les individus ayant été victimes de tels actes ne déposent souvent
pas de plainte ; l’attitude des autorités kosovardes peut être perçue
comme encourageant les actes homophobes ».104
En Allemagne, il n’est généralement pas exigé des personnes LGBTI
de demander une protection étatique dans les pays où les autorités
sont homophobes (à une exception près, voir ci-dessus).
3.3.3 C o n c lu s i o n
Les pratiques des Etats sont très variées sur ce point. Il est clair
que dans les pays où les autorités nationales ou locales sont
homophobes ou transphobes, les actes de persécution non
étatiques (y compris la discrimination) ne peuvent trouver de
solution dans une demande de protection de la part des autorités
car cela pourrait exposer la personne à d’autres actes homophobes
ou transphobes, cette fois-ci de la part de la police. Même dans les
cas où les autorités sont peu susceptibles de commettre des actes
de violence à l’encontre des personnes LGBTI, il est peu probable que
des autorités homophobes et transphobes offrent une protection
efficace et non temporaire contre les violences à l’encontre des
personnes LGBTI ou d’autres formes de discrimination.
R e c o m m a n d at i o n
•
La jurisprudence du Bureau des étrangers polonais ainsi que celle
de la cour est cohérente en ce qu’elle exige des demandeurs d’asile
qu’ils démontrent l’impossibilité ou l’inefficacité de la protection
étatique. Il peut cependant leur être demandé de présenter
les preuves des motifs pour lesquels une telle protection serait
impossible à obtenir ou inefficace, et ainsi réfuter la présomption.
Dans le cas d’une personne transgenre originaire de la République
d’Ingouchie, le bureau a reconnu que les autorités locales n’étaient
pas disposées à offrir leur protection.
L’article 7 de la directive qualification devrait être appliqué
de sorte que lorsque des agents de protection potentiels
sont susceptibles d’être homophobes ou transphobes, les
demandeurs d’asile lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et
intersexués ne soient pas soumis à l’obligation d’avoir demandé
la protection des autorités.
3.3.2 L e s b o n n e s p r at i q u e s
En France, l’homophobie des cercles officiels est prise en compte en
ce qui concerne l’exigence d’une demande de protection étatique :
102 Verwaltungsgericht (Cour administrative) Dresde, 15 mai 2009, A1 K 30157/07.
103 Audiencia Nacional (Cour nationale) 23 mai 2007, dossier nº 412/2004.
104 Cour Nationale du Droit d’Asile, 23 décembre 2009, réf. 09012138 ; pour des
jugements similaires concernant le Maroc, voir Cour Nationale du Droit d’Asile,
29 janvier 2008, réf. 602367 ; et concernant l’Albanie Cour Nationale du Droit
d’Asile, 10 décembre 2009, réf. 08018574.
35
36
L’e x i g e n c e d e d i s c r é t i o n
4 L’ e x i g e n c e d e d i s c r é t i o n
Dans de nombreuses régions du monde, les personnes cachent
encore leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. EIles
dissimulent leur orientation sexuelle ou leur identité de genre car
elles redoutent de subir des préjudices de la part de membres de
leur famille, de leurs amis, de leurs voisins, de la société en général
ou des autorités étatiques. Les réactions face à la révélation de leur
orientation sexuelle ou de leur identité de genre (le coming out)
peuvent prendre les formes suivantes : violences, discrimination,
mariage forcé, torture, viol, meurtre, etc.
Les personnes LGBTI quittant leur pays pour trouver refuge et
demandant une protection internationale dans un autre pays se
voient souvent opposer un refus au motif qu’elles n’avaient rien à
craindre dans leur pays d’origine tant qu’elles « restaient discrètes ».
L’exigence explicite ou implicite qu’une personne agisse avec
discrétion afin d’éviter les persécutions en raison de son orientation
sexuelle ou son identité de genre existe dans de nombreux pays
et systèmes juridiques. La discrétion est souvent requise dans le
contexte de la possibilité de protection interne (voir également
chapitre 5).
Dans le cas d’un demandeur d’asile algérien, l’Office de
l’immigration et de la nationalité hongrois a jugé que « même
si des sanctions pénales à l’encontre des homosexuels ou des
comportements homosexuels sont en vigueur, l’orientation
sexuelle peut trouver sa réalisation d’une manière secrète et
discrète, afin d’éviter d’éventuelles agressions. »
Au cours de la dernière décennie, ce type de raisonnement a été
sévèrement critiqué par des avocats et des militants, avec pour
conséquence des changements considérables dans la pratique en
matière d’asile de certains pays non européens.105
105 En 2003, la Cour supérieure australienne a estimé : « Il serait contraire
à l’objet de la Convention que les pays signataires leur demandent de
modifier leurs croyances ou opinions, ou de dissimuler leur race, nationalité
ou appartenance à un groupe social particulier avant de leur accorder
la protection garantie par la Convention ». Cour supérieure australienne
9 décembre 2003, Demandeur S396/2002 c. Ministère de l’Immigration et
des affaires multiculturelles, [2003] HCA 71, S395/2002 etS396/2002. En
2004, l’autorité néo-zélandaise de recours pour les demandeurs d’asile a
jugé que: « En exigeant du demandeur d’asile qu’il abandonne un droit
fondamental, le preneur de décision lui demande le même comportement
soumis et conforme, la même négation d’un droit fondamental que l’agent
de persécution tente d’obtenir par ses actes de persécution. La complicité
potentielle du décisionnaire avec la situation de persécution du demandeur
dans son pays d’origine doit être prise en compte ». Appel n° 74665/03, 7
juillet 2004 ; cf. pour des jugements similaires : Cour fédérale d’appel des
Etats-Unis pour le neuvième circuit 7 mars 2005, Karouni c. Gonzales, Procureur
général, N° 02-72651, 399 F.3d 1163 (2005), et : Cour fédérale du Canada 8
octobre 2008, Atta Fosu c. Ministère de la Citoyenneté et l’Immigration, 2008 FC
1135.
4 . 1 L e s n o r m e s i n t e r n a t i o n a l e s e t e u r o p é e n n e s
L’article 1A-2 de la Convention sur les réfugiés (et par suite l’article
2(c) de la directive qualification) définit le réfugié comme une
personne ayant une crainte fondée d’être persécuté pour des raisons
faisant partie de l’un des cinq motifs de persécution. L’un de ces
motifs est l’appartenance à un groupe social particulier. L’article
10(1)(d) de la directive qualification dispose qu’un groupe peut être
considéré comme formant un groupe social particulier notamment
lorsque les membres d’un tel groupe partagent des caractéristiques
tellement fondamentales à leur identité qu’ils ne devraient pas être
forcés à y renoncer. Or, l’exigence de discrétion des demandeurs
d’asile LGBTI requiert précisément de renoncer à l’expression de
leur orientation sexuelle ou leur identité de genre : ils ne devraient
pas la réaliser ou au moins dissimuler cet élément crucial de leur
personnalité afin d’éviter les persécutions. Une telle exigence va à
l’encontre des dispositions de la directive qualification.
Les lignes directrices sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre
du HCR précisent clairement que l’exigence de discrétion devrait être
abandonnée :
« L’Etat ne peut attendre ou exiger d’une personne qu’elle change
ou dissimule son identité afin d’éviter la persécution. Comme
l’affirment de nombreuses juridictions, la persécution ne cesse
pas d’être de la persécution lorsque les personnes persécutées
peuvent écarter le préjudice subi en prenant des mesures pour
l’éviter. De la même manière qu’une demande fondée sur
l’opinion politique ou la nationalité ne serait pas rejetée au motif
que le demandeur d’asile pourrait éviter le préjudice anticipé en
changeant ou en dissimulant ses opinions ou son identité, les
demandes fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre
ne devraient pas être rejetées uniquement sur de tels motifs.
La question est de déterminer si le demandeur d’asile a une
crainte fondée d’être persécuté, et non s’il pourrait vivre dans son
pays d’origine sans conséquences fâcheuses. Cela requiert un
examen objectif de la manière dont le demandeur risque d’être
traité s’il était renvoyé dans son pays. (…) Il n’a pas de devoir
d’être « discret » ou de prendre certaines mesures afin d’éviter
37
L’e x i g e n c e d e d i s c r é t i o n
la persécution, telles que mener une vie isolée, ou s’interdire
d’avoir des relations intimes. L’exigence de discrétion implique
également que l’orientation sexuelle d’une personne est restreinte
à un simple acte sexuel, ignorant ainsi toute une palette de
comportements et d’activités quotidiennes également affectées
par l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Cela reviendrait
en fait à demander le même comportement soumis et conforme,
la même négation d’un droit fondamental que l’agent de
persécution tente d’obtenir par ses actes de persécution. »106
L’exigence de discrétion était l’un des thèmes d’une référence
préliminaire à la Cour de justice européenne, qui a cependant été
retirée par la suite car le demandeur d’asile a obtenu le statut de
réfugié.107
4 . 2 L a p r a t i q u e d e s Et a t s
Dans la plupart des Etats membres de l’UE, l’argument de la
discrétion est toujours présent. Nous avons trouvé des exemples
en Autriche (principalement pour les bisexuels), en Belgique, en
Bulgarie, à Chypre, au Danemark, en Finlande, en France, en
Allemagne, en Hongrie, en Irlande, à Malte, aux Pays-Bas (malgré
les lignes directrices en matière de politiques, voir plus bas), en
Pologne, en Roumanie, et en Espagne. La Norvège et la Suisse
ont également recours à cet argument.
4.2 1 D i s c r é t i o n r e q u i s e
Dans de très nombreux cas, les demandes d’asile d’hommes
homosexuels iraniens ont été rejetées au motif qu’ils pouvaient vivre
dans leur pays en tant que gays tant qu’ils restaient discrets.
Un jugement belge déclare : « Dans la société iranienne il y a une
grande différence entre l’espace public et la sphère privée. En
pratique, l’homosexualité masculine est répandue et acceptée dans
de nombreuses sociétés islamiques, du moment que la relation
demeure privée et secrète. La tolérance générale de fait signifie
que dès lors que les homosexuels vivent leur sexualité en privée, il
est très peu probable que les autorités iraniennes s’intéressent aux
personnes concernées. La société est régie par une ségrégation
des sexes, et du moment qu’ils respectent les règles, les hommes
homosexuels peuvent avoir une vie sociale, vivre ensemble, voyager
ou partager une chambre d’hôtel sans attirer l’attention. Il n’y a
en général pas de problème pour trouver d’autres homosexuels
dans des parcs ou des salles de gym, connus pour être des lieux de
rencontre homosexuels.109 L’appel a été rejeté.110
La direction de l’immigration de Norvège a jugé que : « en ce
qui concerne l’évaluation des risques encourus par le demandeur
s’il retourne en Iran, il convient de tenir compte du contexte
socioculturel de la société iranienne. Le comité d’appel suppose que
le demandeur ne va pas agir d’une manière allant à l’encontre de ce
qui est socialement acceptable. »111
Les experts pour la République tchèque, la Grèce, la Lituanie, le
Portugal, la Slovaquie, et la Slovénie n’ont pas trouvé de preuve
du recours à un tel argument à partir des cas analysés, bien que
certains de ces pays avaient un nombre très réduit de demandes
d’asile de personnes LGBTI.
En Suisse, la demande d’asile d’un iranien homosexuel a récemment
été rejetée par la Cour fédérale administrative au motif que
l’homosexualité est tolérée en pratique par les autorités iraniennes,
« lorsqu’elle n’est pas exposée publiquement d’une manière qui
pourrait être considérée comme choquante. »112
Les Pays-Bas ont formellement aboli l’exigence de discrétion en
2007 dans leurs lignes directrices en matière de politiques, mais
l’argument est toujours appliqué dans certains cas individuels, avec
l’approbation du judiciaire (voir ci-dessous). Suite à l’affaire HJ (Iran) et
HT (Cameroun) devant la cour suprême, le Royaume-Uni n’applique
l’exigence de discrétion que lorsque celle-ci est volontaire et
uniquement en raison d’une pression familiale ou sociale.108 La Suède
a adopté l’approche britannique en janvier 2011.
Des exemples comparables ont été rapportés pour la Finlande113 et
l’Allemagne.114
106 HCR, UNHCR Guidance Note on Refugee Claims Relating to Sexual Orientation and
Gender Identity, 21 novembre 2008, par. 25-26.
107 Journal officiel de l’Union européenne, 5 février 2011, C38/7, 2011/C
38/09, Affaire C-563/10 : Référence pour un jugement préliminaire de la
Oberverwaltungsgericht (Cour administrative supérieure) Rhénanie-du-Nord
- Westphalie, 1er décembre 2010, Khavand c. République fédérale d’Allemagne,
C-563/10.
108 Cour suprême britannique 7 juillet 2010, HJ (Iran) et HT (Cameroun) c. Secrétaire
d’Etat à l’Intérieur, [2010] UKSC 31 ; [2011] 1 A.C. 596.569, para. 82.
38
109 Tiré d’une source norvégienne datée du 27 avril2009.
110 Raad voor de Vreemdelingenbetwistingen (Comité d’avis pour les affaires
relatives aux étrangers) 31 mars 2010, 41 185, voir Lex 200952695.
111 Décision remontant à l’automne 2010.
112 Bundesverwaltungsgericht (Cour fédérale administrative) 18 janvier 2011, T.
c. Bundesamt für Migration, C-2107/2010 ; voir également : Seraina Nufer et
Maximillian Lipp, Zulässigkeit der Wegweisung eines homosexuellen Iraners,
Jusletter, 30 mai 2011. www.jusletter.ch.
113 Maahanmuuttovirasto (Service de l’immigration finlandais) 6 octobre 2010,
Dnro 3498/0512/2010. Comp. dans une affaire concernant un demandeur
afghan : « L’homosexualité est courante en Afghanistan, mais ne peut
être exprimée publiquement. Si l’on reste discret, on ne rencontre pas de
difficultés déraisonnables d’après les informations sur le pays d’origine ».
Maahanmuuttovirasto (Service de l’immigration finlandais) 1er novembre
2010, Dnro 3744/0512/2010.
114 En Iran, il a été estimé qu’il n’y avait pas de risque de persécution sérieux
pour les hommes gays « tant qu’ils menaient leur vie sexuelle secrètement, et
qu’ils n’attiraient pas l’attention des autorités iraniennes. Verwaltungsgericht
L’e x i g e n c e d e d i s c r é t i o n
En Autriche, il nous a été rapporté que l’argument de la discrétion
est principalement utilisé concernant les personnes bisexuelles. On
peut attendre des bisexuels qu’ils soient particulièrement discrets.
Par exemple, dans le cas d’un bisexuel iranien, la cour pensait qu’il
avait des expériences homosexuelles mais a jugé qu’elles n’étaient
pas profondément ancrées dans son orientation sexuelle au point de
l’empêcher de vivre dans une relation hétérosexuelle. »115
D’autres exemples de l’exigence de discrétion ont été fournis pour la
Hongrie ; dans le cas d’une lesbienne originaire d’Afrique de l’ouest,
les autorités ont déclaré : « Même si la demandeuse était lesbienne,
elle n’aurait pas à redouter les conséquences de son comportement
si elle ne rendait pas son orientation publique. » L’expert pour la
Bulgarie a rapporté qu’une opinion courante au sein de l’agence
gouvernementale pour les réfugiés était qu’il valait mieux qu’un
homme homosexuel retourne dans son pays d’origine et tente
de mener une vie plus discrète, voire essaye de « changer » son
orientation sexuelle.
4.2.2 D e s p r at i q u e s v a r i a b l e s
Depuis le 1er Mai 2007, les Pays-Bas ont intégré l’abandon de
« l’exigence de discrétion » dans la circulaire relative aux étrangers
pour les « homosexuels » (présumément les lesbiennes et les gays) :
« Les personnes ayant une préférence homosexuelle ne doivent
pas la cacher à leur retour dans leur pays d’origine. »116 Cependant,
en dépit de ces bonnes pratiques en termes de lignes directrices
formelles en matière de politiques, dans certains cas l’exigence de
discrétion est encore utilisée.
Une femme originaire du Sierra Leone avait une relation lesbienne
cachée dans son pays d’origine. Elle a fait son coming out aux PaysBas et ne voulait pas continuer à cacher son orientation sexuelle.
Le Conseil d’Etat a accepté l’argument selon lequel « le fait que
la demandeuse ait joui des possibilités et des droits de la société
néerlandaise aux Pays-Bas n’implique pas qu’elle n’était pas en
mesure de s’adapter à son retour, même si cela demanderait une
certaine retenue envers la société », ajoutant : « bien que l’orientation
sexuelle soit un élément crucial de la personnalité d’une personne,
cela n’implique pas que l’on ne puisse attendre de la demandeuse
de mener sa vie privée au Sierra Leone de la même manière qu’avant
son départ pour les Pays-Bas seulement parce qu’elle ne peut vivre
son orientation sexuelle publiquement dans son pays d’origine. Une
telle exigence est également contraire à l’article 8 CEDH, pour la
simple et bonne raison que la demandeuse n’a pas mentionné de
faits ou de circonstances indiquant qu’au Sierra Leone elle n’a pas pu
Düsseldorf (Cour fédérale administrative) 11 mars 2009 - 5 K 1875/08.A,
Informationsverbund Asyl & Migration M18011.
115 Asylgerichtshof (Cour d’asile) 14 July 2009, E2 405.216-1/2009.
116 Vreemdelingencirculaire (Circulaire sur les étrangers) 2000 C2/2.10.2.
ou ne sera pas en mesure de donner une expression significative à
son orientation sexuelle. »117
En Irlande, la pratique semble également incohérente. Dans une
décision d’appel concernant la demande d’asile d’un homosexuel
pakistanais, le tribunal se référait aux informations sur le pays
d’origine, qui ont été considérées comme indiquant que les hommes
homosexuels au Pakistan révélaient rarement leur orientation
sexuelle. Le magistrat a considéré que le demandeur avait jusque là
dissimulé son orientation sexuelle au Pakistan et qu’il pouvait le faire
à nouveau à son retour, et a suggéré qu’il change de région.118
Dans une décision d’appel positive concernant un homosexuel
iranien, le tribunal a estimé au contraire que : « L’une des questions
soulevées est la suivante : bien que l’homosexualité soit illégale en
Iran, si les personnes restent très secrètes et discrètes, il n’y a pas de
problème. Poussé à l’extrême, cet argument pose problème. Je doute
qu’il puisse y avoir une quelconque obligation pour une personne
d’être aussi dissimulatrice, de cacher sa sexualité ou de mener une
vie clandestine afin de se protéger au point que cela corresponde à
la suppression de son orientation sexuelle. Cet Etat et ses différents
organismes et agences, ce tribunal y compris, étant liés par la
Convention européenne des droits de l’homme, je demanderais
une autorité persuasive avant d’imposer une telle obligation à tout
demandeur d’asile, lorsque la demande se base sur sa sexualité. »119
En Allemagne, dès 1983, une cour administrative a comparé
l’argument de la discrétion au fait de demander à quelqu’un de
changer de couleur de peau afin d’éviter des persécutions.120 Pour
autant, la jurisprudence allemande est encore à ce jour divisée sur
la question, et l’argument de la discrétion semble être courant, en
particulier concernant les pays d’Afrique du Nord tels que l’Egypte,
l’Algérie121 et le Maroc.122
D’autres cours allemandes ont signifié leur désaccord au motif qu’il
est inacceptable par principe d’attendre d’un demandeur de garder
le secret sur son orientation sexuelle. Un fort rejet de l’argument de
discrétion a été énoncé dans le cas d’un homosexuel nigérian :
117 Afdeling bestuursrechtspraak van de Raad van State (Division de la juridiction
administrative du Conseil d’Etat) 11 mai 2011, 201011782/1/V1, MigratieWeb
ve11001135, Jurisprudentie Vreemdelingenrecht 2011/307, décision annulée,
Rechtbank (Cour régionale) Dordrecht, 9 novembre 2010, 09/4135.
118 Cour d’appel des réfugiés, 2009.
119 Cour d’appel des réfugiés, 2008.
120 Verwaltungsgericht Wiesbaden (Cour administrative) 26 avril 1983, IV/I E
06244/81.
121 Verwaltungsgericht Trier (Cour administrative) 9 septembre 2010, 1 L 928/10.
TR, Informationsverbund Asyl & Migration M17537.
122 Verwaltungsgericht Düsseldorf (Cour administrative) 14 janvier 2010, 11 K
6778/09.A, Informationsverbund Asyl & Migration M16859.
39
L’e x i g e n c e d e d i s c r é t i o n
« (...) Le demandeur (...) peut invoquer le droit humain
fondamental à la réalisation de sa personnalité, qui, selon
l’opinion juridique allemande et européenne, est universel et ne
doit donc en aucun cas être restreint par le cadre des systèmes
juridiques d’autres pays. Si l’on tolère une situation dans laquelle
la protection des droits de l’homme en Allemagne dépend de
la pratique d’autres pays, nous sommes inéluctablement voués
à nous retrouver à Guantanamo en tant qu’exemple parfait de
violation des droits fondamentaux par un pays qui se considère
comme une nation démocratique et civilisée. »123
En réponse à une demande parlementaire du 18 mai 2010,124
le gouvernement allemand a déclaré qu’une estimation du
comportement futur d’un demandeur quant à d’éventuelles activités
sexuelles à son retour est décisive : « L’issue de la procédure d’asile
dépend de la possibilité que le demandeur se comporte d’une
manière qui impliquera des persécutions à son retour (…). Le fait
que l’on puisse attendre raisonnablement du demandeur de se
comporter d’une autre manière n’est pas pertinent. » Il convient
également d’évaluer s’il y a un « degré de probabilité pertinent » que
les activités homosexuelles seront connues des autorités du pays
d’origine.
4.2.3 L’ e x i g e n c e d e d i s c r é t i o n i n v e r s é e ?
En France, la cour nationale du droit d’asile exige souvent des
demandeurs LGB d’avoir totalement révélé leur orientation
sexuelle dans leur pays d’origine. Ils doivent avoir « revendiqué
leur homosexualité ou manifesté leur homosexualité dans leur
comportement extérieur. » En d’autres termes, cela revient à dire : « Si
vous êtes discret, il n’y a pas de bonne raison de vous accorder l’asile.
Vous n’obtiendrez le statut de réfugié que si vous faites votre coming
out ».
L’exigence « d’indiscrétion » n’a rien à voir avec une crainte fondée,
comme l’était l’exigence de discrétion, mais consiste plutôt à se
demander si une personne LGBTI qui n’a pas encore fait son coming
out en tant que tel peut être considérée comme un membre d’un
groupe social particulier défini par son orientation sexuelle. Cela
dérive de l’interprétation du concept de « groupe social particulier »
par la jurisprudence du Conseil d’Etat en France. L’article 10(1)(d),
123 Verwaltungsgericht München (Cour administrative) 30 janvier 2007, M
21 K 04.51404 ; Les arguments de la Verwaltungsgericht München (Cour
administrative) ont été par la suite rejetés par la the Verwaltungsgericht
Düsseldorf (Cour administrative) dans une décision du 21 février 2008, 11 K
2432/07.A, Informationsverbund Asyl & Migration M13330. Un commentaire
sur ce désaccord : K. Dienelt, “Vermeidungsverhalten zur Abwendung von
Verfolgung – Vereinbarkeit mit der Qualifikationsrichtlinie” http://www.
migrationsrecht.net/nachrichten-asylrecht/1178-eu-qualifikationsrichtlinie-rl200483eg-religion-verfolgung.html
124 Bundestags-Drucksache 17/1505, http://dip21.bundestag.de/dip21/
btd/17/015/1701505.pdf
40
deuxième disposition de la directive qualification requiert qu’un
groupe social particulier ait une identité distincte dans son pays
d’origine, car ce groupe est perçu comme différent par la société qui
l’entoure. C’est exactement de cette manière que le Conseil d’Etat
a formulé le critère d’évaluation dans son jugement de 1997 : le
groupe social se définit par des « caractéristiques communes qui le
définit en tant que groupe aux yeux des autorités et de la société.”125
La cour nationale du droit d’asile (ou CNDA, juridiction de première
instance) applique souvent à tort cette exigence de groupe social
comme une « exigence de discrétion inversée » : tant que la
personne cache son orientation sexuelle ou son identité de genre,
personne ne peut la percevoir. Cette personne ne peut donc
appartenir à un groupe social de personnes LGB, étant donné qu’elle
n’est pas perçue comme telle.
La jurisprudence de la CNDA est fondée sur une mauvaise
application de l’exigence de perception sociale de l’article 10(1)(d) de
la directive. Cette exigence concerne le groupe social perçu comme
différent par l’entourage, et non l’individu (que son orientation
sexuelle soit explicite ou non).126
L’argument français de l’exigence d’indiscrétion peut avoir pour
conséquence le refus de l’asile à des demandeurs s’étant trouvés
dans l’impossibilité de donner expression à leur orientation sexuelle
ou leur identité de genre en raison de persécutions dont ils
avaient une crainte fondée s’ils s’étaient comportés autrement. Les
personnes LGB dont l’orientation sexuelle n’était pas publique dans
leur pays d’origine par crainte de la persécution ne sont donc pas
protégées par les autorités françaises.
4.2.4 L e s b o n n e s p r at i q u e s
Depuis juillet 2006, le Royaume-Uni applique un critère d’évaluation
pour savoir si la discrétion est « raisonnablement tolérable ».127 Ce
125 Conseil d’Etat 23 juin 1997, 171858 ; voir également Conseil d’Etat 23 août
2006, 272680.
126 Comp. l’article de T. Alexander Aleinikofff, qui a été le premier à formuler
l’approche de la perception sociale comme une alternative à l’approche des
caractéristiques protégées : T. Alexander Aleinikoff: Protected characteristics
and social perceptions: an analysis of the meaning of ‘membership of a
particular social group’, in E. Feller, V. Türk and F. Nicholson: Refugee Protection
in International Law, Cambridge University Press, Cambridge 2003, p. 263-311,
at 296-301. Voir sur la directive qualification sur ce point H. Battjes: European
Asylum Law and International Law, Martinus Nijhoff, Leyde 2006, par. 327-329.
127 Cour d’appel (Angleterre et Pays de Galles) 26 juillet 2006, J c. Secrétaire d’Etat
à l’Intérieur [2006] EWCA Civ 1238, [2007] Imm AR 73. La cour doit déterminer
si l’adoption d’un comportement discret relève d’un « choix » individuel.
La jurisprudence anglaise ressort de la décision de la Cour supérieure
australienne dans l’affaire Demandeur S395 in Z c. Secrétaire d’Etat à l’Intérieur
[2004] EWCA Civ 1578 ; [2005] Imm A R 75, 2 décembre 2004, qui a ensuite
rendu les jugements successifs de la Cour d’appel jusqu’à J compris, qui a
renvoyé l’appel devant la Cour suprême dans HJ (Iran) et HT (Cameroun) en
juillet 2010.
L’e x i g e n c e d e d i s c r é t i o n
critère est comparable à celui utilisé par de nombreux autres pays
européens cherchant à déterminer s’il pouvait raisonnablement être
attendu du demandeur de cacher son orientation sexuelle ou son
identité de genre. Mais en juillet 2010, la Cour suprême britannique,
dans ce qui est devenu le célèbre jugement de HJ (Iran) et HT
(Cameroun), a abandonné ce point de vue restrictif.128 La formulation
du jugement s’applique aux lesbiennes, aux gays et aux bisexuels,
mais les demandeurs transgenres et intersexués s’appuyant sur les
même motifs de protection, le raisonnement peut leur être étendu.
Les effets de la discrétion et les raisons pour lesquelles celle-ci va
à l’encontre de la logique de la Convention sur les réfugiés ont été
détaillés aux paragraphes 55, 77 et 78 du jugement rendu par Lord
Rodger :
55. « Au risque de nous répéter, l’importance de cette analyse
pour les présents objectifs est qu’elle s’appuie sur le fait que,
au lieu de permettre ou d’encourager ses acteurs à persécuter
le demandeur pour l’un des motifs de protection, l’Etat
d’origine aurait dû le protéger de toute persécution fondée
sur ce motif. La logique de la Convention est donc que les
personnes devraient pouvoir vivre librement, sans redouter de
subir de préjudice de l’intensité ou de la durée requise parce
qu’ils sont par exemple noirs, les descendants d’un ancien
dictateur ou homosexuels. En l’absence de toute indication
du contraire, le postulat est qu’ils doivent être libres de vivre
ouvertement de cette manière sans avoir à craindre de
persécution. En leur permettant cela, l’Etat d’accueil leur offre
une protection visant à remplacer celle que leur Etat d’origine
aurait dû leur fournir.
77. A
u niveau le plus élémentaire, si un demandeur d’asile de
sexe masculin devait vivre discrètement, il devrait en pratique
éviter toute expression d’affection ouverte pour un autre
homme qui irait au-delà de ce qui serait acceptable de la
part d’un homme hétérosexuel. Il devrait faire attention à
ses amitiés, au cercle d’amis dans lequel il évolue, aux lieux
de sociabilité qu’il fréquente. Il devrait constamment se
restreindre dans un domaine de la vie auquel participent
des émotions puissantes et l’attraction physique, là où un
homme hétérosexuel pourrait être spontané, ou même
impulsif. Non seulement il ne pourrait pas se permettre les
petites séductions qui font le sel de la vie hétérosexuelle, mais
il devrait réfléchir à deux fois avant de révéler son attraction
pour un autre homme. De la même manière, de petits
gestes ou marques d’affection qui semblent parfaitement
128 Cour suprême 7 juillet 2010, HJ (Iran) et HT (Cameroun) c. Secrétaire d’Etat à
l’Intérieur, [2010] UKSC 31 ; [2011] 1 AC 596.
normaux entre hommes et femmes pourraient bien se
révéler dangereux. En bref, son potentiel à trouver le bonheur
dans une relation sexuelle serait profondément affecté. Il
est contestable de penser que tout homme homosexuel
puisse être censé trouver raisonnablement tolérable de telles
restrictions dans sa vie et son bonheur.
78. Il serait cependant erroné de limiter les domaines du
comportement devant être protégés au type de questions
que je viens de décrire – essentiellement, ceux qui
permettraient au demandeur d’attirer des partenaires sexuels
et d’établir et maintenir des relations avec eux de la même
manière que les hétérosexuels. Comme l’ont fait remarquer
Gummow et Hayne JJ dans (2003) 216 CLR 473, 500-501,
para 81 : « L’identité de genre ne doit pas être comprise dans
ce contexte comme limitée à réaliser des actes sexuels en
particulier ou même à une quelconque forme particulière
de comportement physique. Que deux individus aient des
relations sexuelles en privé (et dans ce sens « discrètement »)
peut ne rien indiquer sur la manière dont ils choisiraient de
vivre d’autres aspects de leur vie relatifs à leur sexualité ou
déterminés par celle-ci. »
Nous citons également le paragraphe 82, auquel Lord Rodger
explique comment les demandes d’asile de personnes LGB devraient
être traitées :
« Lorsqu’une personne fait une demande d’asile en raison d’une
crainte fondée de persécution car elle est homosexuelle, le
tribunal doit tout d’abord se demander s’il est convaincu par
les preuves de l’homosexualité du demandeur, ou du fait qu’il
serait traité comme tel par des persécuteurs potentiels dans son
pays d’origine. Dans ce cas, le tribunal doit ensuite déterminer
si les preuves disponibles quant au fait que les personnes
homosexuelles vivant ouvertement leur orientation sexuelle
seraient susceptibles d’être persécutées dans le pays concerné
sont suffisantes. Dans ce cas, le tribunal doit ensuite considérer
ce que le demandeur ferait s’il était renvoyé vers son pays. Si le
demandeur vivrait en fait ouvertement et serait donc exposé
à un risque réel de persécution, il a alors une crainte fondée de
persécution, même s’il pourrait l’éviter en vivant « discrètement ».
Si le tribunal arrive à la conclusion que le demandeur vivrait
en fait discrètement et éviterait donc les persécutions, il doit
ensuite se demander pourquoi il le ferait. Si le tribunal en conclut
que le demandeur choisirait de vivre discrètement simplement
parce que c’est la manière dont il voudrait vivre ou en raison de
pressions sociales (par exemple pour ne pas causer de peine à
ses parents ou gêner ses amis, alors sa demande devrait être
41
L’e x i g e n c e d e d i s c r é t i o n
rejetée. Les pressions sociales de ce type ne sont pas équivalentes
à de la persécution et la Convention n’offre pas de protection
contre elles. Une telle personne n’a pas de crainte fondée de
persécution car, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec une peur
quelconque de la persécution, il a de lui-même choisi d’adopter
un style de vie impliquant qu’il ne serait en fait pas susceptible
d’être persécuté parce qu’il est homosexuel. En revanche, si le
tribunal arrive à la conclusion que l’une des raisons matérielles
pour lesquelles le demandeur vivrait discrètement une fois de
retour dans son pays serait la crainte d’être persécuté s’il vivait
ouvertement son homosexualité, alors, toutes choses égales par
ailleurs, sa demande devrait être acceptée. Une telle personne
a une crainte fondée d’être persécutée. Rejeter sa demande au
motif qu’elle pourrait éviter la persécution en vivant discrètement
serait une négation du droit en protection duquel la Convention
a été rédigée : celui de vivre librement et ouvertement en tant
qu’homosexuel sans craindre de persécution. En lui accordant
l’asile et en lui permettant de vivre librement et ouvertement en
tant qu’homosexuel sans crainte de persécution, l’Etat d’accueil
donne effet à ce droit en offrant au demandeur une protection
de remplacement contre la persécution, que son pays d’origine
devrait lui avoir garanti. »129
Dans l’affaire SW l’Upper tribunal du Royaume-Uni a appliqué
le raisonnement de la cour suprême dans l’affaire HJ-HT, afin de
montrer que ce n’est pas seulement le silence qui est nécessaire
pour prévenir la persécution, mais également le fait de pas pouvoir
présenter de paradigme hétérosexuel (c’est-à-dire en étant marié
ou en ayant des enfants), ce qui mènerait à l’identification, puis au
risque. L’Upper tribunal a émis les orientations nationales suivantes
au regard du risque (réel ou perçu) couru par les lesbiennes en
Jamaïque, déclarant notamment :
« Toutes les lesbiennes ne sont pas en danger. Celles qui sont
naturellement discrètes, ont des enfants et/ou ont la volonté de
présenter un schéma hétérosexuel pour des raisons familiales ou
sociales peuvent vivre discrètement en tant que lesbiennes sans
risquer de persécution du moment qu’elles ne le font pas par peur
(…). Les femmes célibataires n’ayant pas de partenaire masculin
ni d’enfant risquent d’être perçues comme lesbiennes, que cela
soit le cas ou non, à moins qu’elles ne présentent un schéma
hétérosexuel et se comportent discrètement. »130
129 Cette nouvelle approche a également été intégrée dans une nouvelle
instruction d’asile : Agence britannique des frontières, Asylum Instruction,
Sexual Orientation and Gender Identity in the Asylum Claim, 6 octobre 2010,
http://www.ukba.homeoffice.gov.uk/sitecontent.
130 Upper Tribunal (chambre de l’Upper tribunal en matière d’immigration et de
droit d’asile) 24 juin 2011, SW (lesbiennes – demande de HJ et HT) Jamaica CG
[2011] UKUT 00251, par. 107.
42
L’approche utilisée dans l’affaire HJ-HT a été adoptée par les cours
et tribunaux inférieurs du Royaume-Uni non seulement dans la
détermination des demandes fondées sur l’identité de genre,
mais également pour les demandes d’asile fondées sur l’opinion
politique131 et les croyances religieuses.132 Cela fournit un exemple
de bonne pratique de l’application transversale d’un précédent
passant des demandes de personnes LGB à d’autres motifs de
demandes dans le cadre de la Convention sur les réfugiés.
En Suède, des demandes d’asile ont été rejetées sur la base des
arguments de discrétion. Cependant, à compter du 13 janvier 2011,
la Suède a suivi le raisonnement de la Cour suprême britannique et a
adopté un document de politique n’exigeant pas du demandeur de
vivre discrètement :
« Dans le cas où le demandeur déclare qu’il va choisir de vivre
d’une manière discrète à son retour, il est crucial d’interroger
la raison de ce choix. Si c’est parce qu’il souhaite vivre de cette
manière, ou en raison de la pression sociale, la demande devrait
être rejetée. En revanche, si c’est par crainte d’être persécuté, la
demande devrait être acceptée. »133
En Italie, le cas d’un demandeur d’asile nous a été rapporté : celuici avait déclaré avoir toujours vécu son orientation sexuelle très
discrètement, sans le ressentir comme une privation. Le juge de
première instance a décidé qu’il ne craignait pas d’être persécuté134.
En dehors de ce cas, nos experts italiens n’ont pas trouvé de preuve
que l’exigence de discrétion a été utilisée dans les décisions ou la
jurisprudence.
4 . 3 C o n c l u s i o n
Exiger la discrétion concernant l’orientation sexuelle ou faire un
constat de discrétion « volontaire » est répandu dans les Etats
membres de l’UE et est même appliqué dans des pays tels que les
Pays-Bas, où l’argument de la discrétion a été aboli formellement.
131 Cour d’appel (Angleterre et Pays de Galles) 18 novembre 2010, RT (Zimbabwe)
and others c. Secrétaire d’Etat à l’Intérieur [2010] EWHC 1285 (demandeurs
originaires du Zimbabwe n’appartenant pas au parti Zanu-PF).
132 Upper Tribunal (chambre de l’Upper tribunal en matière d’immigration et de
droit d’asile) 13 juillet 2011, MT (Ahmadi – HJ (Iran) Pakistan CG [2011] UKUT
00277 (Ahmadis du Pakistan).
133 Rättschefens rättsliga ställningstagande angående metod för utredning och
prövning av den framåtsyftande risken för personer som åberopar skyddsskäl
på grund av sexuell läggning (RCI 03/2011) consultable à l’adresse : www.
migrationsverket.se/lifos.
134 Affaire rapporté par la Commissione territoriale per il riconoscimento della
protezione internazionale di Bari (Commission territoriale pour la reconnaissance
de la protection internationale de Bari). Date non précisée.
L’e x i g e n c e d e d i s c r é t i o n
Bien que le jugement de la Cour suprême britannique constitue
un pas très important dans la bonne direction, en particulier
en comparaison avec les pratiques rencontrées dans les autres
Etats membres, les critères concernant les raisons pour lesquelles
quelqu’un prévoit de vivre discrètement sont problématiques. Tout
d’abord, ils ne tiennent pas compte du simple fait qu’en soumettant
une demande d’asile fondée sur leur identité LGBTI, les demandeurs
expriment leur désir de vivre ouvertement en tant que telles sans
craindre d’être persécutées. Si le demandeur veut vivre ouvertement
en tant que personne LGBTI, il s’agit là de l’exercice légitime d’un
droit fondamental auquel il ne peut lui être demandé de renoncer.
Deuxièmement, le raisonnement ne prend pas en compte le fait
que, bien que le demandeur puisse « simplement » vouloir vivre
d’une manière discrète, la persécution peut toujours être imminente
si jamais celui-ci est découvert comme étant LGBTI ou est dénoncé
contre sa volonté par des tiers, en raison de sa « différence ». 135 Le
critère de détermination d’une crainte fondée devrait être le risque
couru par les personnes ouvertement LGBTI à leur retour dans leur
pays d’origine, au lieu de se concentrer sur ses raisons de mener une
double vie.136
L’exigence française que la personne doive avoir révélé son
orientation sexuelle ou son identité de genre dans son pays d’origine
s’appuie sur une mauvaise application du critère de détermination
de la perception sociale, qui concerne l’existence d’un groupe social
particulier (article 10(1)(d) directive qualification), exigeant que le
groupe social auquel le demandeur est censé appartenir soit perçu
comme différent par la société qui l’entoure. Cela peut être le cas,
que le demandeur fasse réellement partie de ce groupe ou non.
orientation sexuelle ou leur identité de genre afin de ne pas
être exposées à un risque de persécution est inacceptable. Une
personne ayant une crainte fondée d’être persécutée pour des
raisons liées à des motifs de persécution ne peut raisonnablement
se voir demander de renoncer aux caractéristiques constituant le
fondement des motifs de persécution, même s’il est admis que cela
serait théoriquement possible.
R e c o m m a n d at i o n s
•
L’élément de la crainte fondée de la définition de réfugié devrait
être appliqué de manière à ce que les demandeurs lesbiennes,
gays, bisexuels, transgenres et intersexués n’aient pas l’obligation
de cacher leur orientation sexuelle ou leur identité de genre ou
ne soient pas censés ou supposés le faire à leur retour dans leur
pays d’origine afin d’éviter la persécution.
•
L’élément du motif de persécution de la définition de réfugié
devrait être appliqué de manière à ce que les demandeurs
lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués n’aient pas
l’obligation d’avoir déjà révélé leur orientation sexuelle ou leur
identité de genre dans leur pays d’origine.
Nous avons également rencontré des arguments relevant du
relativisme culturel utilisés pour affirmer que la discrétion pourrait
être attendue, par exemple au regard du cadre socioculturel du
pays d’origine. Ce type d’arguments est inacceptable ; l’argument
de la discrétion va à l’encontre de l’esprit du droit international
et européen des réfugiés et des droits de l’homme. Les droits
de l’homme sont universels. Demander aux personnes de ne
pas exprimer leurs opinions politiques, de ne pas vivre selon
leurs croyances religieuses, ou de ne pas vivre ouvertement leur
135 J. Millbank et C. Dauvergne ont souligné que « même une personne
souhaitant se cacher, essayant désespérément et prenant toutes les mesures
pour garder son orientation sexuelle ou son identité de genre secrète, devient
en fait de plus en plus « visible » au fil du temps », voir C. Dauvergne et J.
Millbank, ‘Before the High Court: Applicants S396/2002 et S395/2002, a gay
refugee couple from Bangladesh’ (2003) Sydney Law Review 97, Vol 25, 122.
Voir également S. Chelvan, ‘Put Your Hands Up (If You Feel Love)’, Immigration,
Asylum and Nationality Law, Vol 25, No 1, 2011, S. 65, où l’auteur remarque que
« même lorsque la discrétion (volontaire) n’est pas due à la crainte fondée de
persécution, le fait qu’une personne ne vive pas une vie hétérosexuelle peut
l’identifier comme étant « différente » et déboucher sur l’identification en tant
que personne LGB ».
136 Cf. para 83 du Manuel de l’HCR sur la dissimulation des opinions politiques.
43
44
La protection interne
5 L a p r o t e c t i o n i n t e r n e
Lorsque les autorités compétentes en matière d’asile ont établi ou
supposent qu’un demandeur d’asile a une crainte fondée d’être
persécuté dans son pays, il est tout de même possible qu’elles lui
refusent le statut de réfugié car le demandeur pourrait vivre en
sécurité dans une autre région de son pays d’origine et qu’il n’a
donc pas besoin d’une protection internationale. Cela s’appelle la
possibilité de protection interne (également nommée « possibilité
de refuge interne » ou « possibilité de fuite à l’intérieur du pays »).
Pour déterminer si le lieu suggéré par les autorités constitue une
possibilité de protection interne sensée, certains critères doivent
être remplis. Il ne devrait y avoir aucun risque de persécution ou de
préjudice grave dans le lieu proposé et la protection étatique devrait
y être disponible.137
Dans le cas d’un homosexuel afghan, l’Office roumain pour
l’immigration a déclaré : « Après analyse des informations sur le pays
d’origine et d’après les déclarations du demandeur, nous arrivons à
la conclusion qu’il y a une possibilité de protection interne pour des
personnes comme le demandeur (c’est-à-dire homosexuelles). Une
possibilité de protection interne en Afghanistan est donc un choix
raisonnable et pertinent pour lui, en particulier dans la mesure où il
n’a pas de problème avec les autorités afghanes. »138
5 . 1 L e s n o r m e s e u r o p é e n n e s e t i n t e r n a t i o n a l e s
L’article 8(1) de la directive qualification dispose que le demandeur
n’a pas forcément besoin d’une protection internationale si, dans
une autre région de son pays d’origine, il n’a pas de crainte fondée
d’être persécuté ni de risque réel de préjudice grave ; et s’il peut
raisonnablement être attendu de la part du demandeur de rester
dans cette région. La version la plus récente de la refonte apporte
une modification à l’article 8(1) de sorte que la protection interne
peut consister en une région du pays où le demandeur n’a pas
de crainte fondée d’être persécuté ou n’est pas en danger réel de
subir un préjudice grave, ou « où s’il a accès à une protection contre la
persécution ou un préjudice grave ».139
137 Sur la possibilité de protection interne en général, voir James C. Hathaway et
Michelle Foster, ‘Internal Protection/Relocation/Flight Alternative as an Aspect of
Refugee Status Determination’, in Erika Feller, Volker Türk and Frances Nicholson
(eds.), Refugee Protection in International Law: UNHCR’s Global Consultations
on International Protection, Cambridge: Cambridge University Press 2003;
voir également First Colloquium on Challenges in International Refugee Law,
Michigan Guidelines on the Internal Protection Alternative, avril 9-11, 1999.
138 Les informations sur les pays d’origine utilisées dans cette décision (de l’Office
roumain pour l’immigration -Oficiul Roman pentru Imigrari) étaient tirées
de : Départment d’Etat, 2009 Country reports on Human Rights Practices
- Afghanistan, 11 mars 2010 ; Report of the Secretary-General pursuant to
paragraph 40 of resolution 1917 (16 juin 2010) UN Doc S/2010/318.
139 Conseil de l’Union européenne, Presidency’s Note to the Permanent
L’article 8(2) actuel dispose que la détermination de l’existence d’une
possibilité de protection interne devrait être effectuée en prenant
en compte les circonstances générales dans cette région du pays
ainsi que la situation personnelle du demandeur.140 La version la
plus récente de la proposition de refonte ajoutait à l’article 8 que : « à
cette fin, les Etats membres doivent s’assurer que des informations
précises et actualisées soient obtenues à partir de sources
pertinentes, telles que le Haut-commissariat des Nations unies
pour les réfugiés (HCR) et le Bureau européen d’appui en matière
d’asile. »141
La note d’orientation du HCR déclare :
33. L ’homophobie, qu’elle s’exprime à travers la législation ou
l’attitude et le comportement des personnes, a tendance à
exister dans l’ensemble d’un pays plutôt qu’à être localisée,
et les possibilités de fuite à l’intérieur du pays ne peuvent
donc généralement pas être considérées comme applicables
aux demandes liées à l’orientation sexuelle ou à l’identité
de genre. Tout lieu de refuge devrait être soigneusement
évalué et devrait être à la fois pertinent et raisonnable. La
fuite à l’intérieur du pays n’est habituellement pas considérée
comme pertinente lorsque l’Etat est l’agent de persécution, à
moins que l’autorité de l’Etat soit limitée à certaines régions
du pays. Une loi d’application générale telle qu’un code
pénal criminalisant le comportement homosexuel, qui est
applicable dans le lieu de persécution, devrait normalement
être également applicable dans le lieu de refuge suggéré.
34. L orsque le persécuteur est un agent non étatique, il est
souvent possible de considérer que si l’Etat n’as pas la volonté
ou la capacité de protéger le demandeur dans une région
du pays, il ne l’aura pas non plus dans une autre. Il ne peut
être attendu des demandeurs de supprimer leur orientation
sexuelle ou leur identité de genre dans une région de refuge
interne, ou leur être demandé de se reposer sur l’anonymat
Representatives Committee, Brussels, 6 juillet 2011, 2009/0164 (COD), ASILE
56, CODEC 1133.
140 L’article 8(3) de la directive qualification dispose que la possibilité de
protection interne peut être retenue contre le demandeur nonobstant
d’éventuels obstacles techniques à son retour dans son pays d’origine. Cette
disposition va à l’encontre de la position de la Cour européenne des droits
de l’homme, qui requiert que « la personne expulsée doit être en mesure de
voyager vers la région concernée, CEDH 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. PaysBas, Dem. N° 1948/04, par.138 ; CEDH 28 juin 2011, Sufi et Elmi c. Royaume-Uni,
Dem. N° 8319/07 et 11449/07, par. 266. Nous sommes donc d’accord avec la
proposition de la dernière version de la directive qualification de supprimer
l’article 8(3). .
141 Conseil de l’Union européenne, Presidency’s Note to the Permanent
Representatives Committee, Bruxelles, 6 juillet 2011, 2009/0164 (COD), ASILE
56, CODEC 1133.
45
La protection interne
afin d’être hors de portée des agents de persécution. Si une
grande ville ou une capitale peut offrir dans certains cas
un environnement plus tolérant et anonyme, le lieu de
refuge doit être plus qu’un lieu « sûr ». Le demandeur doit
également avoir accès à un minimum de droits politiques,
civils et socio-économiques. Ainsi, il doit pouvoir avoir accès
à une protection étatique véritable et effective. L’existence
d’ONG liées aux questions LGBT ne constitue pas en soi une
protection contre les persécutions.142
Les lignes directrices du HCR sur la possibilité de protection ou de
refuge interne disposent que :
14. L orsque le risque de persécution émane d’organismes,
d’organes ou d’administrations locales ou régionales d’un
pays, il est rarement nécessaire de considérer une éventuelle
fuite interne, dans la mesure où l’on peut généralement
supposer que de tels organismes locaux ou régionaux
détiennent leur autorité de l’Etat. La possibilité de refuge
interne ne peut être pertinente que lorsqu’il y a une preuve
claire que l’autorité persécutrice n’a aucun pouvoir en dehors
de sa région et que des circonstances particulières expliquent
l’absence de protection de la part du gouvernement national
contre le préjudice localisé. Le besoin d’une analyse en vue
d’une possibilité de refuge interne ne se pose que lorsque la
crainte d’être persécuté est limitée à une région spécifique du
pays, en dehors de laquelle le préjudice redouté ne peut se
matérialiser.
15. ( …) On peut supposer que si l’Etat n’est pas capable de
protéger l’individu ou disposé à le faire dans une partie du
pays, il peut également ne pas l’être dans d’autres. Cela peut
s’appliquer en particulier aux cas de persécution liée aux
questions de genre.
28. L orsque le respect des normes en matière de droits
fondamentaux, y compris les droits inaliénables, est
clairement problématique, la région proposée ne peut être
considérée comme une solution raisonnable. Cela ne signifie
pas que la privation de tout droit fondamental civil, politique
ou socio-économique empêcherait automatiquement une
telle région de constituer une possibilité de refuge ou de
protection interne, mais plutôt que cela requiert, d’un point
de vue pratique, une évaluation visant à déterminer si les
droits qui ne vont pas être respectés ou protégés sont des
droits fondamentaux à l’individu, de sorte que la privation de
142 HCR, UNHCR Guidance Note on Refugee Claims Relating to Sexual Orientation and
Gender Identity, 21 novembre 2008.
46
tels droits serait suffisamment préjudiciable pour faire d’une
telle zone une solution déraisonnable.
34. ( …) le preneur de décision porte la lourde responsabilité de
l’établissement de la preuve qu’une analyse de possibilité de
refuge interne est pertinente au cas en question. Si c’est le cas,
c’est à la partie qui l’affirme d’identifier la région de refuge
proposée et de fournir les preuves établissant qu’il s’agit d’une
solution raisonnable pour l’individu concerné.
38. ( …) Cela (une possibilité de refuge ou de protection) n’est
pertinent que dans certains cas, en particulier lorsque
la persécution émane d’un agent non étatique. Même
lorsque cela est pertinent, l’applicabilité dépendra d’une
considération totale de toutes les circonstances de l’affaire et
du caractère raisonnable de la fuite vers une autre région du
pays d’origine.143
En d’autres termes, les cas dans lesquels la crainte d’être persécutée
est causée, encouragée ou tolérée par des agents étatiques,
la protection interne n’est pas disponible, car dans de telles
circonstances la personne est menacée de persécution dans
l’ensemble du pays. De même, lorsque la persécution redoutée
provient d’agents étatiques locaux ou régionaux, la protection
interne ne sera pas pertinente dans la plupart des cas. Il faut
également prendre en compte la question du respect et de la
protection des droits fondamentaux dans la région proposée.
Comme nous l’avons vu au chapitre sur la protection étatique
(chapitre 3), dans les pays qui criminalisent les personnes LGBTI,
la protection étatique n’est pas disponible. La protection interne
n’est donc pas non plus une option pour les personnes LGBTI dans
ces pays. Dans d’autres (par exemple les pays ne criminalisant pas
l’orientation sexuelle), la possibilité de protection interne ne peut être
envisagée qu’après qu’il ait été établi que les autorités étatiques de
cette partie du pays ne sont pas homophobes ou transphobes, mais
au contraire disposées à offrir une protection aux personnes LGBTI, et
en mesure de le faire si nécessaire.
5 . 2 L a p r a t i q u e d e s Et a t s : l a p r o t e c t i o n
Nous avons rencontré des exemples de rejets de demandes de
personnes LGBTI fondés sur la possibilité de protection interne dans
seize pays européens.144
143 HCR, Guidelines on International Protection No. 4: “Internal Flight or Relocation
Alternative” within the Context of Article 1A(2) of the 1951 Convention and/or 1967
Protocol relating to the Status of Refugees, 23 juillet 2003.
144 Autriche, Danemark, Finlande, Allemagne, Hongrie, Irlande, Italie, Lituanie,
La protection interne
Une lesbienne originaire de Mongolie a fait une demande
d’asile à l’Autriche en 2002 après avoir été harcelée et agressée
physiquement par son ancien époux et ses collègues en raison de
son orientation sexuelle. La cour d’asile a jugé que : « Depuis 2002,
les actes homosexuels ne sont plus criminalisés en Mongolie, et les
homosexuels ne sont pas plus en danger que d’autres minorités. » En
2009, sa demande d’asile a été rejetée sur la base de la possibilité de
protection interne.145
Dans un jugement de 2003, dans le cas d’une femme transgenre
russe, le Conseil de l’asile danois s’est appuyé sur les informations
sur le pays d’origine et a constaté qu’il n’y avait pas de raison de
supposer l’existence d’une persécution systématique des personnes
transgenres en Russie, ni de la part de particuliers ni des autorités. Le
Conseil a donc proposé qu’elle s’installe dans une plus grande ville,
où elle pourrait sûrement rencontrer une communauté de personne
de la même orientation sexuelle (sic), et où elle serait moins
susceptible d’être victime de mauvais traitements par la police.
Dans de nombreux cas, il a été considéré que les personnes LGBTI
pouvaient trouver une protection interne dans d’autres régions d’un
pays criminalisant l’orientation sexuelle.
Dans une décision irlandaise rejetant l’appel d’un demandeur
d’asile homosexuel nigérian, le tribunal a estimé que : « Même s’il
est admis qu’une protection étatique puisse ne pas être accessible
aux homosexuels au Nigéria, le refuge interne peut être envisagé
afin d’éviter toute menace éventuelle. »146 La décision n’a pas pris en
compte les implications de cette absence de protection étatique.
Dans le cas d’un homosexuel iranien, l’Office national de
l’immigration finlandais a émis le raisonnement suivant : « le refuge
interne serait une manière réalisable et efficace pour lui d’éviter
d’éventuels problèmes avec ses proches et les autorités. Il est peu
probable que les autorités essaient de le retrouver, au moins pas en
dehors de sa région d’origine. »147
Dans le cas d’un homosexuel sénégalais, un tribunal italien a jugé
que le demandeur pourrait avoir évité la menace (éventuelle) de son
père en s’installant dans une autre ville du Sénégal.148
Malte, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Portugal, Roumanie, Suède, Royaume-Uni
(précédemment à HJ/HT).
145 Asylgerichtshof (Cour d’asile), 19 août 2009, C9 248.748-0/2008.
146 Cour d’appel des réfugiés, 2009.
147 Maahanmuuttovirasto (Service de l’immigration finlandais) 6 octobre 2010,
Dnro 3498/0512/2010. Cf. également « Si le demandeur rencontre des
problèmes en raison de sa bisexualité dans sa ville, il peut s’installer dans une
autre région d’Ethiopie. » Maahanmuuttovirasto (Service de l’immigration
finlandais) 27 octobre 2008, Dnro 403/0611/2008.
148 Tribunale (Tribunal) Trieste 11 novembre 2009, n° 508/09.
Nous avons également rencontré de nombreux jugements et
décisions reposant sur la supposition que l’existence de bars ou de
lieux de rencontre gay ou d’ONG LGBT dans les grandes villes du
pays étaient suffisantes pour que celles-ci constituent un lieu sûr
pour les personnes LGBTI, au lieu de soigneusement vérifier si dans
ces villes l’Etat offrait une protection contre la violence à l’égard des
homosexuels et des personnes transgenres si nécessaire.
Une cour néerlandaise a jugé que la zone touristique littorale de la
Gambie constituait une bonne solution de protection. « Les mœurs
sexuelles étant relâchées dans la région, un homosexuel pourrait y
vivre dans un certain anonymat. »149
La direction de l’immigration finlandaise a jugé que : « Les
demandeurs pouvaient s’installer dans une autre région, où l’attitude
envers les homosexuels est plus tolérante. Dans les grandes villes, il
est moins probable que les homosexuels détonent par rapport aux
autres habitants, par exemple à Moscou et à Saint-Pétersbourg il y
a quelques ONG pour les minorités sexuelles et des clubs connus
publiquement. »150
Le département de l’immigration lituanien a refusé le statut de
réfugié à un demandeur d’asile originaire du Kazakhstan. « Les
informations sur le pays d’origine indiquaient que la liberté de
mouvement était respectée au Kazakhstan et que les homosexuels
se sentaient plutôt en sécurité à Astana, Almaty, Karaganda, Aktau,
Atyraou, Ust-Kamenogorosk et Pavlodar. Des bars, clubs et d’autres
lieux de divertissement sont disponibles pour les homosexuels
dans ces villes. De plus, un soutien psychologique et matériel est
accessible aux homosexuels sans abri ou qui ont été agressés
sexuellement. » Ces villes ont été considérées comme une possibilité
de protection interne appropriée.
Dans le cas d’une éthiopienne, le comité d’appel norvégien a jugé
qu’elle était « une femme mûre et pleine de ressources dont on
pouvait attendre qu’elle vive dans une autre ville que la sienne, par
exemple à Addis-Abeba, où il n’y a aucune raison de redouter la
persécution. »151
En Belgique, en Bulgarie, à Chypre, en République tchèque, en
France, en Grèce, en Slovaquie, en Slovénie et en Espagne aucun
cas de rejet fondé sur la possibilité de protection interne n’a été
rencontré.
149 Rechtbank (Cour régionale) Amsterdam 6 octobre 2005, n° 05/42699.
150 Ulkomaalaisvirasto (Direction de l’immigration) 3 novembre 2004, Dnro 17191720/0611/2004.
151 Décision n° N101901611.
47
La protection interne
5 . 3 L a p r a t i q u e d e s Et a t s : l a d i s c r é t i o n d a n s
la possibilité de protection interne
d’après les informations sur le pays d’origine les lesbiennes ne sont
pas aussi discriminées que les hommes homosexuels.155
Dans neuf pays européens, des exemples ont été trouvés dans
lesquels on attendait explicitement ou implicitement du demandeur
de s’installer dans une autre région du pays, et de cacher par la
suite son orientation sexuelle ou son identité de genre.152 (Sur la
discrétion, voir également Chapitre 4) Une fois encore, de nombreux
cas ont été rapportés concernant les pays criminalisant l’orientation
sexuelle, comme illustré par les exemples suivants.
De la même manière, lors de l’appel à la décision d’asile d’une
lesbienne nigériane, un tribunal irlandais a conclu que les
informations sur le pays d’origine « indiquent qu’il y a des régions
du Nigéria, parmi lesquelles Lagos, où les lesbiennes peuvent vivre
librement du moment qu’elles n’empiètent pas sur les droits des
autres. »156
Par exemple dans le cas d’un homosexuel camerounais, la Première
cour (Judecatorie) roumaine a jugé que : « Rien n’empêche le
demandeur de s’installer dans une région de son pays d’origine où
personne ne le connaît et de pratiquer sa sexualité, mais il devrait
être plus discret afin de ne pas provoquer de réaction des autorités
et de l’opinion publique générale. »
Aux Pays-Bas nous avons trouvé des divergences entre les politiques
et les pratiques : en 2006, la ministre néerlandaise Rita Verdonk a
jugé que : « une possibilité de refuge interne peut seulement être
envisagée si cela n’implique pas que le demandeur d’asile devrait
cacher sa préférence sexuelle dans l’autre région du pays. »153
Cependant en 2007, la cour néerlandaise a considéré les grandes
villes du Nigéria comme une bonne solution de protection, sur la
base d’un rapport du ministère de l’Intérieur britannique (octobre
2005) selon lequel les « homosexuels n’y craignent pas d’être
persécutés du moment qu’ils n’expriment pas ouvertement leur
orientation sexuelle. »154
Dans plusieurs cas en Autriche, une possibilité de refuge interne vers
une région chrétienne du Nigéria a été proposée. Par exemple dans
le cas d’un lesbienne nigériane que son père avait menacé de tuer
car elle refusait d’épouser un de ses amis, la cour d’asile autrichienne
a jugé qu’elle disposait d’une possibilité de protection interne, car
152 Ces pays sont les suivants : Finlande, Allemagne, Irlande, Pays-Bas Roumanie,
Danemark, Malte, Norvège et Pologne. Cf. un rapport de l’UKLGIG dans lequel
68 % des décisions étudiées mentionnaient une possibilité de protection
interne comme motif de rejet de la demande ; dans 38 % des cas, celle-ci
s’accompagnait de l’exigence de discrétion dans le lieu de refuge. UK Lesbian
& Gay Immigration Group, Failing the Grade. Home Office initial decisions on
lesbian and gay claims for asylum, avril 2010, p. 5.
153 Answers to parliamentary questions, 28 novembre 2006, Aanhangsel
Handelingen II 2006/07, n° 394.
154 Rechtbank (Cour régionale) Den Bosch 31 mai 2007, n° 06/51632. De la
même manière, en 2009, en s’appuyant sur un rapport national néerlandais
de2005 sur l’Algérie, une autre cour néerlandaise a estimé que les grandes
villes algériennes, où l’homosexualité est tolérée du moment qu’elle n’est pas
explicitement affichée, constitue une bonne possibilité de protection interne.
Rechtbank (Cour régionale) Assen 17 avril 2009, n° 09/11179, Cette décision
a été confirmée sans raisons par la Afdeling Bestuursrechtspraak van de Raad
van State (Division judiciaire du Conseil d’Etat) 25 mai 2009, n° 200902993/1/
V2. En Algérie comme au Nigéria, l’orientation sexuelle est criminalisée.
48
Dans une autre décision irlandaise rejetant l’appel d’une lesbienne
ougandaise, le tribunal a remarqué que bien que la demandeuse
avait une partenaire lesbienne, « elle n’avait subi aucune sorte de
discrimination dans son pays d’origine, en dehors de devoir garder
sa sexualité secrète. Il y a des homosexuels qui cachent leur sexualité
dans le monde entier et qui choisissent de ne pas déclarer leur
sexualité et/ou de ne pas s’identifier par leur sexualité. » Le tribunal a
conclu : « il est considéré raisonnable, pratique, sûr et d’une difficulté
non disproportionnée de trouver refuge dans une autre partie du
pays en Ouganda si elle le souhaite. C’est une question de choix pour
la demandeuse. »157
5 . 4 L e s b o n n e s p r a t i q u e s
Concernant l’exigence implicite ou explicite de cacher son
orientation sexuelle ou son identité de genre, la politique officielle
des Pays-Bas sur la criminalisation et la protection interne dispose
que « la possibilité de refuge interne » peut uniquement être
envisagée si cela n’implique pas que le demandeur d’asile doive
cacher sa préférence sexuelle dans une autre région du pays. »158 Il
s’agit d’une bonne pratique, mais nous avons rencontré des cas dans
lesquels cette politique n’était pas appliquée.
Le jugement de l’affaire HJ (Iran) et HT (Cameroun) de la Cour
suprême britannique présente une bonne pratique qui est claire
sur le fait que la possibilité de refuge interne n’est pas acceptable
pour les demandeurs LGB originaires de pays criminalisant
l’homosexualité, si elle repose sur le fait de dissimuler son orientation
sexuelle dans la nouvelle région proposée :
« L’objection à cela est que cela part du principe que le demandeur
sera prêt à mentir et à dissimuler son orientation sexuelle lorsqu’il
s’installera dans une nouvelle ville. (…) Il n’existe pas de lieu dans
155 Asylgerichtshof (Cour d’asile) 1er juillet 2009, A13 407.007-1/2009.
156 Cour d’appel des réfugiés, 2009.
157 Cour d’appel des réfugiés, 2009.
158 Answers to parliamentary questions, 28 novembre 2006, Aanhangsel
Handelingen II 2006/07, n° 394.
La protection interne
des pays comme l’Iran et le Cameroun dans lesquels un demandeur
homosexuel pourrait s’installer de manière sûre sans apporter de
changement fondamental à son comportement, ce qu’il ne saurait
faire seulement car il est homosexuel. »159
Au Royaume-Uni, dans un cas de ligne directrice nationale
concernant des lesbiennes en Jamaïque, l’Upper tribunal a admis
que cette objection contre le fait de proposer une protection interne
pour les pays criminalisant l’homosexualité pouvait aussi s’appliquer
aux femmes perçues comme lesbiennes, c’est-à-dire aux personnes
qui ne présentent pas un schéma de vie hétérosexuel. » :
« Les risques se présentant pour les lesbiennes réelles comme
perçues, la possibilité de refuge interne n’améliore pas leur sûreté.
Les nouvelles arrivantes dans des communautés rurales vont faire
l’objet de spéculations : des questions leur seront posées, leur style
de vie sera observé et à moins qu’elles ne montrent un schéma
de vie hétérosexuel, elles risquent d’être identifiées comme étant
lesbiennes. Les lesbiennes perçues risquent également l’exclusion
sociale (perte de leur emploi et expulsion de leur domicile) ».160
5 . 5 C o n c l u s i o n
Dans de nombreux pays européens, des possibilités de protection
interne ont été appliquées aux demandeurs ayant fui des pays
criminalisant l’orientation sexuelle. Il faut garder à l’esprit que cette
solution ne devrait entrer en jeu que lorsqu’il a été établi, ou au
moins lorsqu’il est supposé qu’un demandeur a une crainte fondée
d’être persécuté dans une partie du pays. Dans le cas contraire, la
notion de protection interne dans son ensemble n’est pas applicable
car alors le demandeur n’a pas besoin de protection.
Comme nous en avons conclu précédemment (au chapitre 4 sur
l’exigence de discrétion), exiger des demandeurs de ne pas être
ouverts sur leur orientation sexuelle ou leur identité de genre afin de
ne pas être exposés à un risque de persécution est inacceptable. De
la même manière, leur demander de cacher leur orientation sexuelle
ou leur identité de genre dans une autre région du pays est tout
autant inacceptable. 161
159 Cour suprême britannique, 7 juillet 2010, HJ (Iran) et HT (Cameroun) c. Secrétaire
d’Etat à l’Intérieur, [2010] UKSC 31 ; [2011] 1 A.C. 596.569.
160 Upper Tribunal du Royaume-Uni, 24 juin 2011, SW (Jamaïque) c. Secrétaire
d’Etat à l’Intérieur, CG [2011] UKUT 00251, para. 107(5).
161 Millbank souligne que : « L’argument de la discrétion a assombri la
considération d’un refuge interne en impliquant implicitement et
explicitement que le but du déplacement était de pouvoir se dissimuler (à
nouveau), et non fuir vers un lieu sûr et disposant d’une protection étatique
efficace. » Jenni Millbank, ‘From discretion to disbelief: Recent Trends in
Refugee Determinations on the Basis of Sexual Orientation in Australia and the
United Kingdom,’ International Journal of Human Rights, Vol. 13, N° 2/3, 2009,
Lorsque le risque de persécution provient d’agents étatiques (y
compris des organismes locaux et régionaux), la protection interne
est rarement une option envisageable. En conséquence, les cas de
demandeurs LGBTI fuyant des pays qui criminalisent l’orientation
sexuelle ou l’identité de genre, et ont une crainte fondée d’être
persécutés par des agents étatiques, la « protection interne » n’est
vraiment pas une option à considérer. Lorsque les demandeurs
d’asile LGBTI redoutent des agents non étatiques dans des pays
qui criminalisent l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, la
protection interne n’est pas non plus une option, car l’Etat ne sera
pas en mesure de leur offrir une protection efficace ou pas disposé à
le faire (voir aussi chapitre 3, La protection étatique).
En conclusion : dans un pays qui criminalise les personnes LGBTI,
la protection interne n’est pas disponible. Les demandes d’asile de
demandeurs LGBTI originaires de tels pays ne devraient jamais être
rejetées sur la base de la protection interne.
Dans tous les autres cas, les autorités décisionnaires devraient
procéder à une évaluation de la situation des personnes LGBTI dans
la région du pays proposée comme possibilité de protection interne,
y compris le fait de savoir si une protection étatique efficace y est
accessible pour eux. Il doit être évité que le demandeur se retrouve
dans une région du pays où il risque de subir des persécutions, des
mauvais traitements ou d’autres violations de l’article 3 CEDH.
R e c o m m a n d at i o n s
•
L’article 8 de la directive qualification devrait appliquer de façon
à ce que la protection interne soit jugée indisponible dans les
cas de demandeurs lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et
intersexués originaires de pays criminalisant l’orientation sexuelle
ou l’identité de genre.
•
Dans tous les autres cas, les autorités décisionnaires devraient
procéder à une évaluation soigneuse de la situation des
personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et
intersexuées dans la région de protection interne proposée, y
compris le fait de savoir si une protection étatique efficace y est
accessible pour eux.
p.3. Voir également : HCR, Asylum-Seekers and Refugees Seeking Protection on
Account of their Sexual Orientation and Gender Identity. Summary Conclusions
of the Expert roundtable organized by the UN High Commissioner for Refugees
(Genève, 30 septembre – 1er octobre 2010) : « Tout comme l’argument de la
discrétion a été jugé une raison non valable de refuser la protection d’asile
dans d’autres types de demandes, elle n’est pas non plus valable dans les cas
liés à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre. De la même manière, la
possibilité de fuite à l’intérieur du pays ne devrait être considérée lorsqu’elle
signifie que la sécurité du demandeur sera conditionnée à la dissimulation de
son orientation sexuelle ou identité de genre. »
49
•
50
Il ne devrait pas être attendu ou supposé que les demandeurs
d’asile cachent leur orientation sexuelle ou leur identité de genre
dans la région de protection interne afin de se protéger de la
persécution.
La crédibilité
6 L’ é v a l u a t i o n d e l a c r é d i b i l i t é
6 . 1 I n t r o d u c t i o n
La crédibilité est devenue une question majeure dans la
détermination de nombreux statuts de réfugié. Dans la plupart
des cas d’asile, les affirmations du demandeur (consignées dans
un rapport écrit de l’entretien, ou dans une déclaration écrite) sont
les principales sources de preuves. Sur cette base, les preneurs de
décision doivent déterminer si la demande est sincère, c’est-à-dire
crédible. Les événements décrits se sont-ils réellement produits ?
Que se passera-t-il à l’avenir si cette personne est renvoyée vers son
pays d’origine ? L’importance d’une enquête rigoureuse sur les faits
déclarés lors de l’entretien initial est de plus en plus reconnue, au fur
et à mesure que les procédures accélérées se font de plus en plus
courantes, tandis que par ailleurs la révision judiciaire a tendance à
s’alléger.
En dehors de la crédibilité générale de leur récit, lorsque la demande
d’asile est fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre
du demandeur, un aspect spécifique de la crédibilité est en jeu :
est-il crédible que la personne appartienne ou soit perçue comme
appartenant162 à un groupe social constitué en termes d’orientation
sexuelle ou d’identité de genre ?
Un seul cas a été rencontré au cours des présentes recherches dans
lequel l’identité de genre du demandeur était mise en doute (pour
plus de détails, voir le paragraphe 6.4.4 ci-dessous). Cependant la
question de l’identité de genre est similaire à celle de l’orientation
sexuelle : la société environnante connaît-elle l’identité de genre du
demandeur ?
L’attention portée sur l’appartenance du demandeur au groupe
LGBTI est problématique, car elle se fonde sur des suppositions
sur la manière dont une « véritable » personne LGBTI se comporte.
Il n’existe pas de manière standard dont les personnes LGBTI
reconnaissent et vivent leur orientation sexuelle ou leur identité de
genre.163 Par exemple, il y a un fossé entre différentes personnes
LGBTI nées et élevées à Amsterdam – imaginez donc lorsque l’on
162 Middelkoop a affirmé qu’en dehors des cas sur le terrain, l’accent devrait
être mis exclusivement sur le fait que le demandeur ait une crainte fondée
d’être perçu comme homosexuel ou non. De cette manière, il tente
d’écarter le débat suscité par les cas où le demandeur nie être homosexuel,
bien qu’il ait des relations homosexuelles ; et par exemple, un cas dans
lequel un homme a une relation avec une personne transgenre MtF, il a
été considéré comme ayant une relation hétérosexuelle, L.P. Middelkoop,
‘Geloofwaardigheidskwesties rond homoseksuelen in de Nederlandse
asielprocedure’, Asiel- en Migrantenrecht 2010-1, p. 508-515.
163 N. LaViolette, ‘Coming Out to Canada: The Immigration of Same-Sex Couples
under the Immigration and Refugee Protection Act’, McGill Law Journal 2004,
p. 996.
prend en compte les identités sexuelles de personnes d’autres
régions du monde.
Cela complique la tâche consistant à déterminer si les demandeurs
d’asile sont crédibles quand ils attestent de leur orientation sexuelle
– en particulier lorsque la personne qui fait passer l’entretien prend
le stéréotype des personnes LGBTI européennes relativement
émancipées comme représentation standard de ce à quoi
ressemblent les personnes LGBTI. D’autre part, il n’est pas non plus
possible de ne pas considérer la crédibilité comme une question
légitime. Lorsqu’un demandeur d’asile affirme avoir une crainte
fondée d’être persécuté au motif qu’il est communiste, il y a une
bonne raison de rejeter la demande s’il est établi que le demandeur
n’a en fait pas de telles opinions politiques, ou qu’il n’est pas perçu
comme étant communiste. De la même manière, une demande
d’asile fondée sur une identité LGBTI peut être rejetée légitimement
si le demandeur n’est en fait pas L, G, T ou I et n’appartient donc pas
à un groupe social particulier constitué de personnes LGBTI, et n’est
pas perçu comme en faisant partie.
Dans certains pays, lorsque la politique d’asile est sensibilisée à la
question LGBTI d’une certaine manière (abolition de l’exigence de
discrétion, voir chapitre 4 ; ou politique d’octroi de protection à un
groupe particulier de demandeurs LGBTI), cela est contre balancé
par une tendance inverse : un nombre croissant de demandes LGB
sont rejetées car l’orientation sexuelle des demandeurs est mise
en doute. Dans les pays où les obstacles à la reconnaissance du
statut de réfugié aux demandeurs LGBTI ont été abandonnés, une
tendance à l'apparition de problèmes liés à la crédibilité se manifeste
(la République tchèque,164 les Pays-Bas et le Royaume-Uni après
l’abandon de l’exigence de discrétion.)165 Il s’est produit récemment
la même chose aux Pays-Bas, après l’adoption de politiques
favorables pour des groupes spécifiques d’homosexuels.166 Ainsi, une
expansion du champ de protection pour les demandeurs LGBTI peut
s’accompagner d’une aggravation des problèmes de crédibilité.
164 Jusqu’à la transposition de la directive qualification, les demandes de
personnes LGB étaient généralement rejetées sur des motifs de fond.
Cependant, depuis la transposition de la directive qualification et les
restrictions concernant la persécution émanant d’agents non étatiques, les
arguments du seuil de persécution et de l’absence de demande de protection
étatique doivent être abandonnés, et l’évaluation de la crédibilité doit donc
devenir une question clé relative aux demandes LGB. En d’autres termes,
une extension du champ de la protection pour les demandeurs LGBTI s’est
accompagnée d’une aggravation des problèmes de crédibilité.
165 Comp. sur l’Australie Jenni Millbank, From Discretion to Disbelief: Recent
Trends in Refugee Determinations on the Basis of Sexual Orientation in
Australia and the United Kingdom, International Journal of Human Rights 200913 (2/3). Pour les Pays-Bas, voir le questionnaire national néerlandais.
166 Cf. Middelkoop 2010, supra.
51
La crédibilité
Pour certains pays les experts nationaux ont rapporté qu’il n’y a pas
de problème sur la question de la crédibilité : certains d’entre eux
n’ont trouvé que peu de demandes de personnes LGB rejetées au
motif que la crainte n’était pas considérée comme fondée ou que
le risque de mauvais traitements n’était pas considéré comme réel.
Pour certains de ces pays, il semble que la crédibilité ne soit pas une
question envisagée dans les demandes de personnes LGB (Grèce,
Portugal) tandis que d’autres mentionnent des exemples mais
déclarent que celles-ci sont généralement rejetées sur d’autres motifs
(les mauvais traitements n’atteignent pas le seuil de la persécution ;
l’absence de demande de protection étatique : Espagne)
L’article 13(3)(a) de la directive procédures dispose que les Etats
membres doivent s’assurer que les personnes faisant passer
l’entretien soient compétentes et prennent en compte les
circonstances personnelles et générales autour de la demande,
y compris la culture ou la vulnérabilité du demandeur, dans la
mesure du possible.168 Le guide du HCR souligne la possibilité que
les demandeurs soient appréhensifs envers toute autorité (par.
198), et qu’il est nécessaire que l’examinateur gagne la confiance
des demandeurs afin de les aider à mettre leur cas en avant et à
expliquer leurs opinions et leurs sentiments de façon complète (par.
200).
Il y a de grandes différences dans la manière dont les questions
de crédibilité sont traitées dans les différents pays de l’UE.
Apparemment, il n’y a pas de pratique cohérente dans les Etats
membres sur ce point. Les questions suivantes seront identifiées
dans ce chapitre :
Plus spécifiquement, le guide du HCR déclare à propos des
demandes de personnes LGBTI :
–– Les examens médicaux ;
–– Les déclarations de témoins ;
–– Les méthodes d’interrogation ;
–– Les connaissances et les comportements attendus (y compris
l’absence de familiarité avec le milieu homosexuel ; le mariage
hétérosexuel et la parentalité ; une mauvaise connaissance des
sanctions pénales ; un comportement trop dangereux pour être
vrai) 6 . 2 L e s n o r m e s i n t e r n a t i o n a l e s e t e u r o p é e n n e s
s u r l a c r é d i b i l i t é – c o n s i d é r at i o n s
g é n é r a l e s La disposition générale de l’article 4 de la directive qualification, ainsi
que les normes des paragraphes 195-205 du guide du HCR doivent
servir de point de départ. Appliquées aux évaluations de crédibilité,
ces normes indiquent que les demandes doivent être examinées
avec une attention particulière aux difficultés que les demandeurs
d’asile peuvent avoir à fournir des preuves (article 4(5) directive
qualification ; par. 196 du guide du HCR167) de sorte que les autorités
et le demandeur devraient coopérer afin d’évaluer la pertinence des
éléments de la demande (article 4(1) directive qualification).
167 Concernant les difficultés pour les demandeurs d’asile à fournir des preuves,
voir CEDH 19 février 1998, Bahaddar c. Pays-Bas, Dem. N° 25894/94, RJ&D ECHR
1998-I, par. 45.
52
« 35. L’auto-identification en tant que personne LGBT devrait être
considérée comme une indication de l’orientation sexuelle
d’un individu. Même si certains demandeurs seraient en
mesure de fournir des preuves de leur statut LGBT, par
exemple à l’aide de déclarations de la part de témoins, de
photos ou d’autres preuves documentaires, ils n’ont pas
l’obligation de fournir des preuves de leurs activités dans
leur pays d’origine indiquant leur différence en matière
d’orientation sexuelle ou d’identité de genre. Lorsque le
demandeur n’est pas en mesure de fournir des preuves
de son orientation sexuelle et/ou qu’il y a un manque
d’informations suffisamment précises sur le pays d’origine,
le preneur de décision doit s’appuyer uniquement sur le
témoignage de cette personne. Si le récit du demandeur
semble crédible, et en l’absence de bonnes raisons du
contraire, il faut lui accorder le bénéfice du doute.
36. D
ans l’évaluation des demandes LGBT, l’image stéréotypée
des personnes doit être évitée, tel que le fait de s’attendre à
un comportement « exubérant » ou efféminé chez les gays,
ou une apparence « camionneur » ou masculine chez les
lesbiennes. De la même manière, une personne ne devrait
pas être automatiquement considérée comme étant
hétérosexuelle uniquement parce qu’elle a été mariée et a
des enfants, ou s’habille conformément aux codes sociaux
dominants. Une enquête concernant la réalisation ou les
expériences de l’identité de genre du demandeur plutôt que
des questions précises sur des actes sexuels peut permettre
d’évaluer de façon plus correcte la crédibilité du demandeur.
168 La dernière version de la proposition de refonte de la directive procédures
mentionne explicitement l’orientation sexuelle et l’identité de genre à
cet égard à l’article 15(3), voir la proposition de directive modifiée de la
Commission, COM(2011) 319 final, Bruxelles, 1er juin 2011.
La crédibilité
37. Il est important que les demandeurs LGBT soient interrogés
par des personnes formées et bien informées sur les
problèmes spécifiques rencontrés par les personnes LGBT.
Il en va de même pour les interprètes présents lors de
l’entretien. Des manières pertinentes de sensibiliser les
acteurs participant à la politique d’asile est de leur fournir des
formations courtes et ciblées, de diffuser les questions liées
à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre à l’arrivée de
nouveaux membres du personnel, de leur donner accès à des
sites internet possédant une expertise sur les questions LGBT
ainsi que de mettre au point des lignes directrices concernant
les méthodes d’enquête et d’interrogation appropriées à
utiliser à différents stades de la procédure d’asile. »169
6 . 3 L e s e x a m e n s m é d i c a u x
Dans différents pays européens, des examens médicaux (examens
psychiatriques, réponse physique à des images pornographiques, ou
test dit de « phallométrie ») sont utilisés pour établir l’appartenance
d’une personne au groupe LGBTI. Des exemples d’examens réalisés
par des psychologues, des psychiatres et des sexologues afin
d’évaluer l’orientation d’une personne ont été rencontrés dans 8
pays : l’Autriche, la Bulgarie, la République tchèque, l’Allemagne,
la Hongrie, la Pologne,170 la Roumanie et la Slovaquie.
Dans le cas hongrois d’un demandeur d’asile iranien âgé de
16 ans, des examens médicaux ont été réalisés. Un « expert »
médico-légal a établi qu’il était hétérosexuel, tandis que le
psychiatre de la Fondation Cordelia (une ONG hongroise) a
confirmé son homosexualité. Le preneur de décision, ne sachant
pas comment trancher, a demandé l’opinion d’un troisième
expert. Ce psychologue a déclaré qu’il était impossible de
déterminer l’orientation sexuelle d’un adolescent aussi jeune à
un âge où la personnalité peut encore beaucoup changer avec
le temps. Cela a pris environ un an et demi, a coûté beaucoup
d’argent aux autorités compétentes en matière d’asile, et le
demandeur a finalement obtenu gain de cause.
6.3.1 L e s n o r m e s i n t e r n at i o n a l e s e t e u r o p é e n n e s
6 . 3 . 1 . 1 L a d é p s y c h i a t r i s a t i o n
Les variations de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre sont
courantes et doivent être considérées comme partie intégrante de la
vie humaine. L’orientation sexuelle ou l’identité de genre ne peuvent
dont pas être considérées comme des maladies ou des déviances
psychologiques.
L’homosexualité n’est plus considérée comme un trouble médical ou
psychiatrique depuis 1990, lorsque l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) l’a supprimée de la catégorie médicale. Les experts médicaux
ou psychiatriques ne possèdent donc pas d’expertise pertinente sur la
détermination de l’appartenance des demandeurs au groupe LBG.
Bien que la classification internationale des maladies de l’OMS
ICD-10 inclue « le transsexualisme », le « travestisme bivalent»,
les « troubles d’identité de genre de l’enfance » dans la catégorie
des « troubles de l’identité de genre » dans la liste des « troubles
mentaux et comportementaux », des ONG LGBTI demandent la
dépsychiatrisation de toutes les identités de genre. De la même
manière, selon le haut-commissariat aux droits de l’homme
du conseil de l’Europe, « de telles classification sont à leur tour
problématiques et de plus en plus remises en question par des
acteurs de la société civile et les professionnels de santé. De telles
classifications peuvent constituer un obstacle à la jouissance totale
des droits fondamentaux des personnes transgenres, notamment
lorsque celles-ci sont appliquées de manière à restreindre la capacité
juridique ou le choix d’un traitement médical. »171 De même que
l’orientation sexuelle, l’identité de genre fait partie de la conscience
de soi d’un individu, même si dans de nombreux cas, les personnes
transgenres choisissent une intervention médicale nécessaire à
leur bien-être. Plus de 230 organisations dans le monde entier
on rejoint l’initiative STP-2012 initiative (Stop à la pathologisation
des personnes transgenres), qui demande le retrait des identités
de genre des manuels de diagnostic (ICD et DSM, le « Manuel de
diagnostic et de statistique des maladies mentales » de l’Association
américaine de psychiatrie). Nous partageons ce point de vue, et
défendons la position selon laquelle l’identité de genre est une
identité concernant laquelle les experts médicaux ou psychiatriques
n’ont aucune expertise pertinente.
Il va de soi que les experts médicaux (ainsi que les psychologues)
possèdent néanmoins une expertise sur les problèmes que les
169 HCR, UNHCR Guidance Note on Refugee Claims Relating to Sexual Orientation and
Gender Identity, 21 novembre 2008.
170 Nous incluons la Pologne dans cette liste car le Bureau des étrangers polonais
recommande d’après nos sources au demandeur de fournir des preuves
supplémentaires, comme par exemples les résultats de tests psychologiques,
ou l’avis médical de sexologues. Nous n’avons pas de preuve concrète que ces
examens ont réellement été réalisés en Pologne.
171 Haut-commissariat aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Issue Paper
(2009)2 on Human Rights and Gender Identity, 29 juillet 2009, disponible à
l’adresse : https://wcd.coe.int/wcd/ViewDoc.jsp?Ref=CommDH/IssuePaper(20
09)2&Language=lanEnglish&Ver=original&Site=CommDH&BackColorInternet
=FEC65B&BackColorIntranet=FEC65B&BackColorLogged=FFC679
53
La crédibilité
personnes LGBTI peuvent rencontrer en conséquence de la manière
dont la société traite la questions des orientations sexuelles et
des identités de genre non standards, mais la détermination de
l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre est une question
d’auto-identification, et non une question médicale.
6 . 3 . 1 . 2 L e s t r a i t e m e n t s i n h u m a i n s ; l a v i e p r i v é e
Le fait que l’orientation sexuelle et l’identité de genre soient
considérées comme des questions médicales ou non est
très important car les examens médicaux, psychiatriques et
psychologiques sont très intrusifs, et nombres d’entre eux
constituent une violation de l’intimité d’une personne alors qu’ils
ne sont d’aucune utilité. Une intervention médicale obligatoire,
même si elle est d’importance mineure, doit être considérée comme
interférant avec le droit du respect de la vie privée inscrit à l’article
8 CEDH.172 Un examen médical tombe également sous le coup de
la vie privée. Pour qu’un tel examen soit exigé afin d’accorder un
statut, cela doit se faire conformément à la loi, servir un but légitime
et être nécessaire dans une société démocratique (c’est-à-dire
proportionné).173 Cela a également été formulé à l’article 18 des
principes de Yogyakarta qui déclare que « Personne ne peut être
forcé à subir une quelconque forme de traitement, procédure, test
médical ou psychologique, ou être retenu dans un établissement
médical sur la base de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre.
En dépit de toute classification affirmant le contraire, l’orientation
sexuelle ou l’identité de genre ne sont pas en elles-mêmes des
affections médicales et n’ont pas à être traitées, soignées ou
supprimées. »174
Le test dit de « phallométrie » (voir par.6.4.5 ci-dessous) viole
incontestablement les Artt. 3 et 8 de la Convention européenne des
droits de l’homme.175 Dans le contexte d’une condamnation pénale,
la Cour européene des droits de l’homme, tout en reconnaissant
le caractère humiliant du test de phallométrie, ne l’a pas considéré
comme une violation de l’article 3 dans ce cas particulier,
172 Dem. N° 8278/78, X c. Autriche, D&R 18 (1980), p, a55, à 156.
173 CEDH 5 juillet 1999, Matter c. Slovaquie, dem. N° 31534/96 concernant un
examen psychologique ; CEDH 27 novembre 2003, Worwa c. Pologne, dem. N° 26624/95 concernant un rapport psychiatrique.
174 Panel international d’experts en législation internationale des droits humains
et de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, Principes sur l’application
du droit international des droits humains en matière d’orientation sexuelle et
d’identité de genre (2007), www.yogyakartaprinciples.org.
175 Comp. Le jugement de la cour administrative allemande Verwaltungsgericht)
Schleswig-Holstein, 7 septembre2009, 6 B 32/09 ; Agence européenne des
droits fondamentaux (FRA), Homophobia, Transphobia and Discrimination
on Grounds of Sexual Orientation and Gender Identity – version de 2010, 10
décembre 2010, pp. 59-60 ; ORAM, Testing Sexual Orientation: A Scientific and
Legal Analysis of Plethysmography in Asylum & Refugee Status Proceedings, 2011 ;
HCR, Comments on the Practice of Phallometry in the Czech Republic to Determine
the Credibility of Asylum Claims based on Persecution due to Sexual Orientation,
avril 2011, consultable à l’adresse : http://www.unhcr.org/refworld/
docid/4daeb07b2.html.
54
principalement car les mesures considérées comme une nécessité
thérapeutique ne peuvent être considérées comme dégradantes.176
L’objectif thérapeutique étant absent dans le contexte de l’asile,
cela doit être considéré comme une violation de l’article 3. Dans le
contexte de l’article 8, l’intrusion considérable dans l’intimité d’une
personne provoquée par un test de phallométrie pourrait en théorie
se justifier si cela était nécessaire dans une société démocratique.
Mais le but de ce test (qui est d’établir la crédibilité) peut être atteint
par d’autres moyens ; et la question se pose de savoir si ce test peut
fournir des résultats pertinents pour déterminer l’orientation sexuelle
d’une personne. Cela met en évidence le fait que, tous intérêts pesés,
l’intrusion dans la vie privée d’un individu constituée par les tests
de phallométrie ne peut être justifiée et constitue une violation de
l’article 8 CEDH.
6 . 3 . 1 . 3 L e c o n s e n t e m e n t
Un autre problème qui se pose est celui du consentement. Même si
l’opinion des experts médicaux, psychiatriques ou psychologiques
est consultée sur requête du demandeur d’asile,177 il est difficile de
soutenir qu’une personne a donné son consentement librement
à l’examen si la motivation est la douloureuse conscience qu’un
refus implique nécessairement un rejet de la demande d’asile et
une exposition possible aux persécutions dans le pays d’origine.
Ce contexte exerce effectivement de lourdes pressions sur les
demandeurs à se soumettre à des tels examens. L’orientation
sexuelle et l’identité de genre n’étant pas des catégories
médicales, psychiatriques ou psychologiques valables, cela rend le
« consentement » des demandeurs d’asile à de tels examens très
contestables.
6.3.2 L a p r at i q u e d e s Etat s : l’ e x p e r t i s e m é d i c a l e
r e q u i s e pa r l e s a u t o r i t é s
Afin d’examiner la crédibilité de l’orientation sexuelle, l’Office
hongrois de l’immigration et de la nationalité (OIN) demande
parfois « l’opinion d’un expert ou d’un expert médico-légal (sans
aucun intérêt professionnel spécifique ou formation particulière sur
l’orientation sexuelle et l’identité de genre). « L’examen » se limite en
général à une simple discussion entre « l’expert » et le demandeur.
Dans certains cas, l’expert médical utilise les test psychologiques de
Rorschach et Szondi. De tels examens sont appliqués même dans
les cas très univoques, ne permettant aucun doute concernant
la crédibilité du demandeur (par exemple lorsque le demandeur
vivait en concubinage avec une personne du même sexe en
Hongrie et que cela aurait pu être aisément vérifiable et considéré
comme une preuve factuelle suffisante). L’OIN semble ne pas avoir
176 CEDH 14 septembre 1999, dem. N° 37231/97 (Toomey c .Royaume-Uni).
177 A ce propos, il est important de remarquer que le test de phallométrie a été
introduit à l’instigation de l’avocat d’un demandeur d’asile ; pour plus de
détails, voir le questionnaire tchèque.
La crédibilité
recours à cette pratique uniquement dans les cas de personnes
transgenres ou d’hommes homosexuels qui ont une apparence ou
un comportement très efféminé.
Des pratiques similaires ont été rapportées pour la Bulgarie.
6.3.3 L a p r at i q u e d e s Etat s : l e s e x a m e n s m é d i c a u x à
l’ i n i t i at i v e d u d e m a n d e u r
En réponse à des constats de crédibilité négatifs, certains
demandeurs peuvent se sentir dans l’obligation de se tourner vers
des sexologues, des psychologues ou des experts apparentés pour
obtenir une confirmation d’un expert concernant leur orientation
sexuelle.
En Allemagne, des attestations de psychologues, de psychiatres ou
d’autres experts médicaux sont parfois soumis par les demandeurs
de leur propre initiative. Dans certains cas cela semble être la seule
manière de convaincre les tribunaux, en particulier dans les cas où le
demandeur d’asile n’a pas parlé de son orientation sexuelle dans la
procédure initiale et affirme être L, G ou B à un stade plus avancé (sur
cette question, voir chapitre 7).
La question de l’opinion d’un expert est d’autant plus compliquée en
Allemagne en raison de la notion « d’irréversibilité » telle que définie
dans la décision faisant référence de la Cour fédérale administrative
(Bundesverwaltungsgericht) du 15 mars 1988. Dans ce cas majeur,
la cour a jugé qu’il était décisif de savoir si le demandeur avait une
orientation homosexuelle irréversible
(irreversibele Homosexualität). Une simple inclination (blosse Neigung)
n’est pas décisive concernant les actes homosexuels selon que la
personne concernée peut choisir de se comporter ou non comme
elle le souhaite. Seule la fixation inéluctable sur un comportement
homosexuel ou une nécessité de satisfaction impérieuse “unentrinnbare schicksalhafte Festlegung auf homosexuelles Verhalten
bzw. Triebbefriedigung”- rendant impossible le fait de ne pas avoir
un comportement homosexuel peut constituer un motif d’octroi
du statut de réfugié. Dans ce cas, formulé en des termes relevant de
façon indéniable de la sexologie classique, les autorités compétentes
en matière d’asile ou les tribunaux exigent des demandeurs qu’ils
fournissent l’opinion d’un expert psychiatrique sur le degré de leur
homosexualité.178
178 Un professeur de sexologie et membre fondateur de l’ancien Institut de
sexologie de Francfort est mentionné comme ayant « régulièrement » rédigé
des avis d’expertise sur l’homosexualité perçue des demandeurs d’asile. Le cas
en question est celui d’un homosexuel nigérian décrit dans cet article ; l’avis
médical a en fait été financé par Amnesty International. D’après cet article, ses
déclarations s’appuyaient sur « une ou deux séances d’entretien ». Source :
http://www.sueddeutsche.de/politik/weltweit-verfolgt-homosexuelletoedliche-kuesse-1.488972, Süddeutsche Zeitung 16 janvier 2009.
Un exemple du rôle que peuvent jouer les opinions des experts
dans la procédure est fourni par le cas d’un demandeur iranien
dans lequel l’opinion d’un expert a été utilisée comme preuve
pour appuyer sa crédibilité mise en doute par les autorités : « Le
demandeur a expliqué dans un entretien au bureau fédéral qu’il avait
eu ses premiers rapports homosexuels lors de son service militaire.
[…] La cour ne met pas ces déclarations en doute, surtout dans la
mesure où le demandeur a fait les mêmes déclarations lors d’un
entretien au centre clinique de l’université de
[…], et l’opinion de l’expert sexologique et psychiatrique conclut que
le demandeur a une disposition homosexuelle irréversible. [...] »179
Cependant, certaines cours allemandes commencent à douter de la
valeur des opinions des experts sexologues. Dans une décision de
cour, la valeur des opinions de l’expert est invalidée : « L’opinion de
l’expert obtenue dans une autre procédure [...] ne s’appuie que sur
les déclarations de l’enquêteur proband) pour arriver à la conclusion
que la « formulation d’une personnalité homosexuelle irréversible
ne peut trouver de réponse d’une manière concrète et concluante
d’un point de vue psychiatrique. » Elle n’a pas besoin de l’opinion
d’un expert pour effectuer une telle évaluation, qui peut et doit être
entreprise par la cour dans le contexte de l’évaluation de la crédibilité
du demandeur. »180 Les sexologues eux-mêmes semblent également
hésitants. L’opinion d’un expert (sexualmedizinisches Gutachten)
soumise à la cour dans un autre cas peut illustrer ce propos : l’expert
était un spécialiste en médecine psychothérapeutique et professeur
à l’Hôpital universitaire de la Charité de Berlin. Un extrait de son avis
d’expertise a été transmis à une ONG allemande dans une version
anonyme et consistait en une «digression » de 22 pages sur les
difficultés méthodologiques dans la détermination de l’orientation
sexuelle et sur l’interdépendance des (pré-)dispositions biologiques
et psychologiques et des critères socioculturels qui selon l’auteur
sont aussi pertinents les uns que les autres dans la construction de
la « structure sexuelle » d’un individu. »181 Cet extrait montre que
l’expert a longuement souligné le fait que de nombreux facteurs
doivent être pris en considération pour déterminer l’orientation
sexuelle d’une personne et qu’il était difficile de les considérer
comme définitifs.
D’après nos sources, de telles pratiques sont utilisées en Autriche
et en Roumanie. En Pologne, les autorités compétentes en
182
179 Cour administrative (Verwaltungsgericht) Wiesbaden, 24 septembre 2008 - 6 K
478/08.WI.A(2).
180 Verwaltungsgericht (Cour administrative) Munich, 20 janvier 2004, M 9 K
03.51197.
181 Verwaltungsgericht (Cour administrative) Francfort-sur-l’Oder en 2003.
182 Asylgerichtshof (Cour d’asile) 20 juillet 2009, C5 257.855-0/2008; UBAS
(Commission fédérale de recours en matière d’asile) 5 août 2005, 238.353/5VIII/22/0.
55
La crédibilité
matière d’asile recommandent au demandeur de fournir des preuves
supplémentaires, c’est-à-dire des résultats de tests psychologiques,
des avis de sexologues ou d’autres médecins.
Dans la plupart des autres pays, comme en France par exemple les
demandeurs peuvent parfois s’appuyer sur les opinions d’experts
médicaux afin d’établir les problèmes physiques ou psychologiques qu’ils
peuvent avoir rencontré en lien avec leur sexualité, mais ils ne peuvent
servir de preuve de l’orientation sexuelle. Ce sont les déclarations des
demandeurs à propos de leurs expériences qui sont décisives.
6.3.4 L a p r at i q u e d e s Etat s : l e s c a s d e s p e r s o n n e s
transgenres et intersexuées
Il arrive que les demandeurs d’asile transgenres et intersexués soient
déjà en contact avec des médecins. Cependant, les personnes qui
s’identifient comme étant transgenres ou intersexuées mais qui ne
recherchent pas à subir une intervention médicale peuvent ne pas
être ou ne pas vouloir être en contact avec des experts médicaux.
Seul un exemple de mise en doute de l’identité de genre d’une
personne transgenre a été rapporté par un de nos experts nationaux.
Au Royaume-Uni, une demandeuse d’asile originaire du Pakistan a
initialement fait sa demande sur la base de son lesbianisme, et a par
la suite fait une nouvelle demande en tant qu’homme transgenre,
qui a été refusée par le Ministère de l’intérieur britannique au motif
de la mise en doute de son identité transgenre. Il a fallu plus d’un an
pour que Ministère de l’Intérieur britannique se réfère au demandeur
en tant que « lui » et non pas « elle ». En février 2011, le Ministère de
l’Intérieur a reconnu que les hommes transgenres au Pakistan sont
un groupe « à risque » et lui a accordé le statut de réfugié.183
La raison pour laquelle peu de cas de ce type ont été rapportés
concernant les personnes transgenres et intersexuées pourrait
être que dans la pratique, ces personnes fournissent en fait des
rapports médicaux. Par exemple, en Finlande, un demandeur
d’asile intersexué a fourni une attestation d’un médecin et d’un
endocrinologue pédiatrique.
En Irlande, deux cas de personnes intersexuées ont été identifiés
par les praticiens. Dans les deux cas, le preneur de décision a
accepté la preuve médicale du médecin traitant du demandeur, qui
confirmait la condition de celui-ci. Ces rapports ont été acceptés
par les preneurs de décision comme une preuve concluante
que le demandeur était une personne intersexuée. Ces rapports
médicaux ont été fournis dans le cadre d’un traitement en cours
pour les demandeurs – les rapports n’ont pas été demandés par le
décisionnaire, mais une fois présenté pour venir appuyer la demande
d’asile, les rapports ont été acceptés.
183 AB (Pakistan) (non rapporté, 2009) Cour administrative.
56
En Autriche en 2004, une décision a estimé que « M. X est une
personne transexuelle ayant subi une opération de changement de
sexe en Géorgie, le standard minimum nécessaire de traitements
médicaux/thérapeutiques pour les transexuels n’est certainement
pas garanti dans le pays d’origine, et les garanties légales sont
probablement complètement inexistantes. Le diagnostic a établi
le transsexualisme ainsi qu’une crainte claire associée à un trouble
dépressif. »184
Aux Pays-Bas, l’identité de genre d’un demandeur a été appuyée
par la lettre du centre médical de l’université libre d’Amsterdam,
indiquant que le demandeur avait un « trouble de l’identité de genre
grave ». Cette preuve a été centrale dans la décision de la cour de
casser une décision d’asile négative185.
6.3.5 L a p r at i q u e d e s Etat s : l e s t e s t s d e
« p h a l lo m é t r i e »
Les tests de phallométrie sont une méthode très contestée qui
a été appliquée en République tchèque, introduite pour la
première fois par un représentant légal d’un demandeur d’asile, et
non par les autorités tchèques. Lorsque les demandeurs n’étaient
globalement pas crédibles ou lorsque leurs déclarations concernant
leur identité LGBTI étaient contradictoires ou peu convaincantes, les
autorités compétentes en matière d’asile demandaient une preuve
supplémentaire. Cette preuve impliquait un « diagnostic sexuel »
complexe, et comprenait un entretien avec un sexologue ainsi qu’un
« test de phallométrie ». Bien que ce test ne constitue qu’une partie
de l’examen, il avait un poids décisif dans la décision des autorités
compétentes quant à la crédibilité de la déclaration du demandeur
concernant son identité de genre.
L’examen était conduit par un sexologue professionnel et
uniquement sur le consentement écrit de la personne, après qu’elle
eut été informée de la technique d’examen.186 Ce « diagnostic
sexuel » était similaire à celui effectué sur les criminels sexuels.
En termes simples, les tests de phallométrie mesuraient la réaction
physique du demandeur à des images pornographiques incluant
de la pornographie hétérosexuelle, gay, lesbienne, adolescente et
184 UBAS (Commission fédérale de recours en matière d’asile) 10 mai 2004,
240.479/0-VIII/22/03.
185 Rechtbank (Cour régionale) Den Bosch, 30 décembre 2009, n° 09/7231.
186 Mais il faut noter que l’ONG tchèque Organization for Aid to Refugees
(Organizace pro pomoc uprchlikům), a mis en doute le fait que les
demandeurs aient été informés de la procédure en elle-même d'une manière
qui leur soit compréhensible ; voir rapport du FRA de 2010, p. 60. D’après
le HCR, le formulaire que les demandeurs devaient signer avant « l’examen
de diagnostic sexuel » contenaient des informations qu’ils étaient tenus de
fournir au risque de voir leur demande de protection internationale annulée.
Les demandeurs étaient donc en fait contraints à subir lesdits examens »,
Réponses de le HCR du 4 mars 2011 (sur le dossier de l’expert national
tchèque).
La crédibilité
pédophile. En fonction des réactions du demandeur à ces images
pornographiques, le sexologue arrivait à une conclusion. En termes
médicaux, les tests phallométriques sur les hommes sont appelés
pléthysmographie pénile (ou « PPG »), et ceux sur les femmes
photopléthysmographie vaginale (ou « VPG »).187 Les autorités
tchèques compétentes en matière d’asile ont déclaré que cette
procédure avait été appliquée en 2008 et 2009 dans moins de 10
cas au total. La PPG comme la VPG ont été utilisées en République
tchèque.
Les critiques de l’agence des droits fondamentaux de la Commission
européeenne, des ONG et du HCR ont eu pour conséquence la
suspension de cette pratique. Selon toutes les sources disponibles,
les tests de phallométrie ont cessé en 2009 et n’ont pas été utilisés
depuis.
Cette méthode a été utilisée au moins une fois en Slovaquie en
2005.
6.3.6 L e s b o n n e s p r at i q u e s : l’a u t o - i d e n t i f i c at i o n ; l e s
r a p p o r t s m é d i c a u x s u r l e t r a u m at i s m e
Dans les décisions fournies par les autorités d’asile portugaises, le
Serviço de Estrangeiros e Fronteiras (SEF) concernant les demandeurs
d’asile LGBTI, l’orientation sexuelle a toujours été déterminée
sur la base de l’auto-identification de le personne et n’a pas été
questionnée (du moins pas expressément) dans la décision.
L’instruction d’asile sur l’orientation sexuelle au Royaume-Uni
déclare : « D’une façon générale, l’auto-identification des lesbiennes,
gays, bisexuels ou personnes transgenres devrait être le point de
départ normal de l’indication de l’orientation sexuelle ou de l’identité
de genre d’une personne.188
En Italie, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre considérée
comme pertinente dans le contexte de l’asile est celle actuelle.
L’orientation sexuelle ou l’identité de genre sont généralement
établies à travers une évaluation des déclarations du demandeur
d’asile et des preuves à l’appui (lorsqu’elles sont disponibles). Les
décisions de la cour rapportées considéraient comme crédible
l’orientation sexuelle fondée sur les déclarations du demandeur, sans
autre preuve requise189.
187 Pour une description plus détaillée de ces deux méthodes, voir ORAM, supra.
188 Ministère de l’Intérieur britannique, Instruction d’asile : Sexual Orientation
issues in the Asylum Claim (6 octobre 2010, révisé le 13 juin 2011) http://
www.ukba.homeoffice.gov.uk/sitecontent/documents/policyandlaw/
asylumpolicyinstructions/apis/sexual-orientation-gender-ident?view=Binary
<<consulté le 16 juillet 2011>>.
189 Tribunale (Tribunal) Caltanissetta 7 juin 2010 (gay, Tunisie), Tribunale (Tribunal)
Catane 4 mars 2010, n° 1081/10; Tribunale (Tribunal) Caltanissetta 10 février
2010 (gay, Ghana).
Les rapports médicaux établis en raison du traumatisme
psychologique ou physique subi par le demandeur mentionnent
parfois l’orientation sexuelle de la personne concernée. En cas de
doute concernant l’orientation sexuelle du demandeur, de tels
rapports peuvent être utilisés comme preuve venant appuyer les
mauvais traitements subis sur la base de l’orientation sexuelle ou de
l’identité de genre, mais non de l’orientation sexuelle ou de l’identité
de genre en elle-même. Ces rapports médicaux peuvent également
appuyer les déclarations d’une personne qui a révélé son orientation
sexuelle ou son identité de genre au cours d’une procédure
ultérieure en raison de la honte, de la peur, ou d’une homophobie ou
transphobie intériorisée ou parce que sa crédibilité était en doute de
toute manière (par exemple en Irlande, en Finlande, aux Pays-Bas,
en Italie). Ces types de rapports ne sont pas contestables, car ils n’ont
pas pour but d’établir une orientation sexuelle ou une identité de genre
en soi. L’utilisation de rapports médicaux dans de tels contextes peut
même être considérée comme une bonne pratique. Il est vivement
recommandé que ces rapports aient été établis par des experts
qui traitent/suivent déjà les demandeurs, car cela leur épargnera la
souffrance qui peut être induite par le fait de subir un examen séparé
par un expert.
6.3.7 C o n c lu s i o n
Les examens médicaux, psychologiques ou psychiatriques peuvent
être humiliants et douloureux émotionnellement pour les personnes
ayant subi des persécutions en raison de leur orientation sexuelle ou
de leur identité de genre. Si de tels examens sont utilisés pour établir
l’appartenance du demandeur au groupe LGBTI, il est clair qu’ils ne
servent pas d’objectif légitime. Les identités LGBTI ne constituant pas
de catégories médicales, psychologiques ou psychiatriques légitimes,
des experts de tels domaines ne peuvent fournir d’expertise sur ce
point. Tous les examens conduits par des psychologues, psychiatres
et sexologues afin d’évaluer l’orientation sexuelle ou l’identité de
genre d’une personne (comme rencontré dans 8 pays : l’Autriche,
la Bulgarie, la République tchèque, l’Allemagne, la Hongrie, la
Pologne,190 la Roumanie, la Slovaquie) doivent être considérés
comme une violation du droit à la vie privé conformément à l’article
8 de la CEDH. Cette disposition a été rédigée dans le contexte
de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre à l’article 18 des
principes d Yogyakarta.
Le test de phallométrie utilisé en République tchèque et en
Slovaquie afin d’établir l’orientation sexuelle des demandeurs d’asile
gays et lesbiennes constitue un traitement inhumain et dégradant
190 Nous incluons la Pologne dans cette liste car d’après nos sources, le Bureau
des étrangers polonais recommande au demandeur de fournir des preuves
supplémentaires, comme par exemples les résultats de tests psychologiques,
ou l’avis médical de sexologues. Nous n’avons pas de preuve concrète que ces
examens ont réellement été réalisés en Pologne.
57
La crédibilité
(article 3 ECHR) ainsi qu’une intrusion dans la vie privée de ceux-ci
(article 8 ECHR) et il est juste que cette pratique ait maintenant été
abandonnée. Il est recommandé que la loi nationale en République
tchèque et en Slovaquie soit amendée de sorte qu’il soit clair que
les tests de phallométrie ne puissent être appliqués aux demandes
d’asile.
6.4.2 L a p r at i q u e d e s Etat s
En plus du témoignage du demandeur lui-même, les déclarations
de témoins ou des « attestations » d’organisations LGBTI sont parfois
soumises afin de résoudre les problèmes de crédibilité. Cela nous a
été rapporté pour l’Autriche, la Belgique, Chypre, la République
tchèque, la France, l’Irlande, la Norvège, l’Espagne et le RoyaumeUni. Les exemples suivants peuvent servir d’illustration.
R e c o m m a n d at i o n s :
A Chypre, les déclarations d’organisations LGBTI et le fait d’être
membre de réseaux sociaux LGBTI sont pris en considération.
Cependant, malgré le fait que ces preuves soient acceptées et
examinées, elles peuvent souvent être écartées en tant que preuves
à l’appui générales ne prouvant pas la déclaration du demandeur.
•
D’une manière générale, la détermination de l’orientation
sexuelle ou l’identité de genre devrait s’appuyer sur l’autoidentification de la part du demandeur.
•
Les avis des experts médicaux et psychiatriques sont des
méthodes inadéquates et inappropriées pour établir l’orientation
sexuelle ou l’identité de genre du demandeur.
6 . 4 L e s d é c l a r a t i o n s d e s t é m o i n s
Dans un cas autrichien, l’homosexualité d’un iranien était
mise en doute car il avait apporté des preuves non pertinentes
émanant d’une cour iranienne et qu’il était marié. Son assistant
social a confirmé qu’il était gay, et il a pour cette raison rencontré
des problèmes avec les autres demandeurs d’asile de son lieu
d’hébergement, mais la première autorité d’asile n’a pas non
plus trouvé le demandeur crédible. Après qu’il a présenté plus
de témoins (parmi lesquels un partenaire masculin), la cour a
finalement reconnu qu’il était homosexuel. Il a obtenu le statut de
réfugié.191
6.4.1 L e s n o r m e s e u r o p é e n n e s e t i n t e r n at i o n a l e s
Il n’existe pas de normes spécifiques sur le rôle des déclarations des
témoins, et les dispositions générales de l’article 4 de la directive
qualification, ainsi que les normes des paragraphes 195-205 du
manuel du HCR doivent donc servir de point de départ. Appliquées
à la pertinence des déclarations des témoins, ces normes indiquent
que les demandes devraient être examinées en se concentrant sur
les obstacles que les demandeurs d’asile peuvent avoir rencontrés
pour fournir des preuves (article 4(5) directive qualification ; par. 196
manuel du HCR192). En conséquence, les autorités et les demandeurs
devraient coopérer afin d’évaluer la pertinence des éléments de la
demande (article 4(1) directive qualification).
191 Asylgerichtshof (Cour d’asile) 17 février 2009, E2 255.708-2/2008.
192 Concernant les difficultés pour les demandeurs d’asile à fournir des preuves,
voir 19 février 1998, Dem. N° 25894/94, Reports 1998-I, (Bahaddar c. Pays-Bas)
par. 45.
58
Au Royaume-Uni, les preuves des témoins et les déclarations des
organisations LGBTI ayant travaillé étroitement avec le demandeur
d’asile, tel que le Groupe britannique pour l’immigration des gays et
lesbiennes, sont pris en considération. Le fait d’être membre d’une
organisation LGBTI peut également être mis en avant, ainsi que les
justificatifs de rendez-vous dans des cliniques traitant les maladies
sexuellement transmissibles s’occupant en particulier des hommes
gays ou bisexuels.
Un cas irlandais fournit un bon exemple de l’utilité des déclarations
de témoins. Certains décisionnaires se sont révélés experts pour faire
la distinction entre ce que l’on pourrait nommer les éléments de
crédibilité « périphériques » (par exemple le doute quant au mode
de transport, l’absence de papiers d’identité, l’absence de demande
d’asile dans le premier pays sûr, et les questions « fondamentales » de
crédibilité, notamment l’orientation sexuelle ou l’identité de genre du
demandeur et sa crainte de la persécution. Dans un cas concernant
un homme gay iranien, les différents éléments de crédibilité
« périphériques » ont été établis contre le demandeur, incluant
son absence de papiers d’identité ainsi que certaines incohérences
concernant les preuves fournies par le demandeur lors de l’entretien
et lors de l’appel. Néanmoins, le décisionnaire a pesé ces éléments
négatifs contre les preuves données en faveur du demandeur,
parmi lesquelles les preuves orales fournies par un membre de la
communauté ethnique du demandeur. Le décisionnaire est arrivé à
la conclusion suivante :
« Le demandeur a été persuasif quant aux questions clés qu’il a
mentionnées, dans la manière avec laquelle il a fourni ses preuves
tout du long de l’audience, que ce soit lors de l’entretien direct
ou de l’examen par l’agent de présentation, ou les questions à
différents stades de l’audience. De plus, les preuves apportées par
son témoin ont été très convaincantes, et la défense du demandeur
a surtout tourné autour de ce fait. Il a confirmé les deux éléments
La crédibilité
les plus importants dans le cas du demandeur : qu’il était iranien
et qu’il était gay. Lorsque l’on considère ce qui est important,
toutes les autres questions deviennent périphériques. Ce témoin a
donné l’impression, et j’ai conclu qu’il disait la vérité. Sur requête, il
a été en mesure de fournir des détails très spécifiques. Leurs deux
témoignages étaient cohérents et plausibles. Je suis donc prêt
à reconnaître que le demandeur est crédible et qu’il a fourni des
preuves authentiques dans le principal domaine de ses preuves. Je
reconnais que le demandeur est un homosexuel originaire d’Iran. »193
6.4.3 C o n c l u s i o n
Les déclarations des témoins peuvent être pertinentes dans tout
contexte d’asile, y compris les cas LGBTI. Cependant, ce que recouvre
le fait d’être LGBTI est contesté, et la définition de ces termes peut
varier en fonction des personnes : il peut s’agir d’une question
d’identification, de sentiments ou d’attirance, d’actes ou encore
d’une combinaison de tous ces éléments. De plus, dans certains pays,
d’autres identités (tels que les MSM, les hommes qui ont des relations
sexuelles avec des hommes) sont utilisées précisément dans l’effort
de traiter/éviter l’homophobie en n’utilisant pas une identité gay. Les
termes lesbienne, gay, bisexuel, transgenre et intersexué peuvent
être complètement inconnus à un demandeur d’asile, qui ne peut
associer son identité qu’à des temres négatifs pour décrire une
identité de genre. Par exemple en Jamaïque, un homme gay est
désigné par les autres comme étant un « cinglé », et une lesbienne
comme une « sodomite ». Les preuves, y compris les déclarations de
témoins, devraient se concentrer sur le fait de savoir si le demandeur
a une crainte fondée d’être persécuté en raison d’une appartenance
perçue ou réelle à un groupe social particulier. Les témoignages
concernant la participation du demandeur à des organisations LGBTI
(que ce soit dans le pays d’origine ou d’accueil), ou les déclarations
de personnes ayant eu des relations sexuelles avec les demandeurs,
peuvent donc être pertinents pour leur crédibilité, à condition qu’ils
soient évalués dans le contexte plus général de l’affaire.
6 . 5 L e s m é t h o d e s d ’ i n t e r r o g a t i o n
La crédibilité peut dépendre lourdement de la méthode
d’interrogation et du type de questions posées (par exemple des
questions ouvertes ou fermées). Formuler les questions d’une
manière que les demandeurs trouvent insultante ou dérangeante
peut conduire à obtenir des réponses douteuses du point de vue
des autorités compétentes en matière d’asile. Il se peut que les
demandeurs se réfèrent à eux même d’une manière à laquelle la
personne qui fait passer l’entretien n’est pas habituée, ou qu’ils
aient du mal à mettre des mots sur la manière dont ils s’identifient.
193 Cour d’appel des réfugiés, 2009.
Ils peuvent être hésitants quant au fait de révéler leur orientation
sexuelle ou leur identité de genre, ou être en train d’essayer de
comprendre comment ils s’identifient. Si les interrogateurs donnent
aux demandeurs suffisamment d’espace pour raconter leur histoire,
il est plus que probable qu’ils obtiendront des déclarations utiles
dans le contexte de la décision concernant le statut de réfugié. Bien
entendu, de telles déclarations ne doivent pas nécessairement être
trouvées crédibles (ou conduire à la reconnaissance du statut de
réfugié). Cependant, la manière dont l’entretien se déroule peut
interférer avec la décision d’asile en introduisant la possibilité que les
déclarations du demandeur soient influencées de façon inopportune
par la méthode d’interrogation.
6.5.1 L e s n o r m e s e u r o p é e n n e s e t i n t e r n at i o n a l e s
L’article 13(3)(a) de la directive procédures dispose que l’Etat membre
doit garantir que les interrogateurs soient compétents pour prendre
en compte les circonstances personnelles ou générales entourant
la demande, y compris la culture ou la vulnérabilité du demandeur,
dans la mesure du possible.194 Le guide du HCR souligne la possibilité
que les demandeurs aient de l’appréhension envers toute autorité
(par. 198) et insiste sur la nécessité pour l’examinateur de gagner
la confiance des demandeurs afin de les aider à mettre leur cas
en avant et à expliquer de façon complète leurs opinions et leurs
sentiments (par. 200).
Les lignes directrices en matière de genre du HCR contiennent des
passages qui s’appliquent également au contexte des demandes
d’asile des personnes LGBTI.
« Les questions ouvertes comme les questions spécifiques, qui
peuvent aider à révéler les questions liés au genre pertinentes
dans le cadre de la demande d’asile, devraient être intégrées à
tous les entretiens liés à une demande d’asile. »195
« Lorsque l’on suppose qu’un cas en particulier peut donner lieu à
une demande sur la base de questions de genre, une préparation
adéquate est nécessaire, qui permettra également d’instaurer
une relation de confiance et de confidence avec le demandeur,
ainsi qu’au demandeur de poser les bonnes questions et de gérer
tout problème qui pourrait se poser au cours d’un entretien. »196
194 La proposition de refonte de la directive procédures mentionne explicitement
l’orientation sexuelle et l’identité de genre à ce propos à l’article 15(3), voir
la proposition de directive modifiée de la Commission, COM(2011) 319 final,
Bruxelles, 1er juin 2011.
195 Lignes directrices du HCR sur la protection internationale : Gender-Related
Persecution within the context of Article 1A(2) of the 1951 Convention and/or its
1967 Protocol relating to the Status of Refugees, 7 mai 2002, 36, vii.
196 Supra, 36, ix.
59
La crédibilité
6.5.2 L e s q u e s t i o n s s e x u e l l e m e n t e x p l i c i t e s
Une pratique courante consiste à poser des questions sexuellement
explicites ; souvent, les réponses à de telles questions sont décrites
comme « évasives », et donc non crédibles par les décisionnaires.
Dans un cas néerlandais, au cours de l’entretien préalable à la
décision d’asile, un demandeur iranien avait déjà dû déclarer qu’il
avait été surpris avec son ami alors qu’ils étaient nus dans le lit de
ce dernier ; qu’ils étaient assis ; qu’ils se touchaient à des zones
érogènes du corps ; et qu’ils avaient des relations sexuelles. Ce
récit n’a pas été trouvé crédible par les autorités compétentes
en matière d’asile, car la réponse à la question « dans quelle
position exactement avez-vous été surpris ? » était évasive. La
cour régionale a cassé cette décision, jugeant qu’il ne peut être
demandé au demandeur de fournir des détails supplémentaires
pour être considéré comme crédible en ce qui concerne son
homosexualité.197
En Belgique, il arrive que des questions telles que : « Quand vous
êtes-vous touché les parties intimes pour la première fois, quand
vous-êtes vous embrassés avec la langue, avez-vous pratiqué des
fellations, le coït ? » soient posées. Parmi les décisionnaires belges
la tendance à considérer une relation comme pertinente pour
une demande LGB uniquement si elle inclut des activités sexuelles
(anales ou orales) a été rapportée, ou à considérer la date du premier
rapport sexuel comme la date du début de la relation, même si le
demandeur a précisé une date antérieure comme marquant le début
de la relation.
Certains praticiens irlandais ont rapporté que les demandeurs
homosexuels étaient interrogés sur leur nombre de partenaires
sexuels et sur la fréquence de leurs relations sexuelles ; cela a été
perçu par les praticiens dans certains cas comme sous-entendant
que les décisionnaires s’attendaient à des « mœurs légères » chez les
hommes gays.
En Bulgarie, des questions telles que : « combien de partenaires
aviez-vous ? Etes-vous passif ou actif dans vos rapports sexuels ? »
ont été rapportées.
Au Royaume-Uni, les preuves anecdotiques incluent des questions
à la limite de la pornographie concernant une femme lesbienne, et
il a été demandé à un homme gay quand il avait pratiqué pour la
première fois la sodomie avec son petit-ami.198
197 Rechtbank (Cour régionale) Haarlem 8 décembre 2009, 08/40650 ; l’IND a fait
appel devant le Conseil d’Etat.
198 Affaire non reportée devant le tribunal de première instance (chambre de
l’Upper tribunal en matière d’immigration et de droit d’asile), 2010. Ce cas a
60
En Autriche également, des questions explicites et dégradantes
sur des positions sexuelles ou le nombre de partenaires ont été
rapportées dans des interrogations menées par le Bureau fédéral
d’asile (Bundesasylamt) ainsi que par la cour d’asile. Un jeune homme
originaire de Somalie s’est vu demander par la Bundesasylamt Graz
quand il avait eu son premier rapport homosexuel d’une manière
tout à fait inappropriée (« Bubensex » – sexe entre garçons, un terme
dont les connotations sont principalement pornographiques).
A Chypre, un demandeur gay a dû dire s’il était membre d’un réseau
social gay sur internet. Lorsqu’il a répondu par la positive, il a dû
donner son mot de passe personnel afin que sa déclaration soit
vérifiée. Cette question extrêmement intrusive donne l’impression
que les autorités d’asile ne veulent pas seulement savoir si le
demandeur est membre d’un réseau social gay, mais quelles activités
sexuelles il a eues sur un tel site.
6.5.3 R e f l é t e r l’ h o m o p h o b i e e t l a t r a n s p h o b i e
Les examinateurs du Bureau roumain pour l’immigration ont posé
les questions suivantes : « Que pensez-vous de l’homosexualité ?
S’agit-il d’une relation normale ou d’un problème physique
ou psychologique ? Avez-vous consulté un médecin ? » et :
« Avez-vous reçu l’argent en échange ? » Ces questions peuvent
parfaitement être ressenties par les demandeurs comme une forme
d’homophobie (l’homosexualité est une maladie ou équivaut à la
prostitution) similaire à celles qu’il a fuies. Cela grève lourdement la
confiance requise lors des entretiens d’asile.
D’autre part, on peut imaginer que de telles questions pourraient
être appropriées selon le contexte, qu’un demandeur témoignant
d’avoir compris qu’il était LGBTI, et le juge demande comment
celui-ci a perçu cette prise de conscience. Cela peut étouffer un récit
utile sur la façon dont le demandeur s’identifie et dont leur société
considère l’homosexualité. Le demandeur peut avoir effectivement
consulté un médecin, parce que de nombreuses sociétés
considèrent encore l’orientation homosexuelle comme une maladie.
La partie la plus importante de la demande est le récit du
demandeur, et parfois les questions sont utiles pour faire avancer
le récit, et solliciter des informations supplémentaires. De tels récits
peuvent être détaillés et commencent souvent dans l’enfance,
avant toute prise de conscience quant à des sentiments de nature
sexuelle. Le contexte social pouvant être très différent de celui
été entendu par l’Upper Tribunal (chambre de l’Upper tribunal en matière
d’immigration et de droit d’asile) le 12 juillet 2011. Les juges sénior chargés
de l’immigration ont estimé que l’approche du juge chargé de l’immigration
quant à sa décision négative concernant l’identité sexuelle du demandeur
gay ouzbek était paradoxale, et lui ont accordé l'appel (en appliquant le
précédent de HJ/HT). L’expert national britannique attend des informations
supplémentaires sur un éventuel report de l'affaire.
La crédibilité
européen, poser des questions qui pourraient être insultantes pour
de nombreuses personnes LGBTI occidentales peut en fait se révéler
très pertinent pour des demandeurs originaires d’autres régions du
monde. Il est impossible de travailler avec des instructions standards
sur ce point. Il est crucial que les enquêteurs soient compréhensifs,
et conscients que ce qu’ils considèrent comme une conscience
LGBTI peut-être considéré par le demandeur comme reflétant
l’homophobie ou la transphobie. C’est précisément le propos :
l’entretien d’asile devrait s’articuler autour du point de vue du
demandeur.
6.5.4 L e s b o n n e s p r at i q u e s
Des exemples de bonnes pratiques peuvent également être
proposés sur ce point. Dans certains Etats membres, les enquêteurs
demandent aux demandeurs de raconter l’histoire de leur orientation
sexuelle : quand ils ont pris conscience qu’ils étaient LGBTI, le cas
échéant, quand ils ont eu leur première relation, la réaction de leurs
amis et de leur famille ; quel genre de problème le demandeur et son
partenaire peuvent avoir rencontré en raison de leur orientation. Ces
questions aident les demandeurs à raconter leur histoire, et ne les
dirigent vers aucune direction en particulier. Quelques exemples :
Pour la Hongrie, il a été rapporté qu’il était courant que les autorités
posent des questions sur « l’historique » de l’orientation sexuelle,
les caractéristiques des relations, par exemple quand le demandeur
a pris conscience de son orientation homosexuelle, quand il a eu
sa première relation homosexuelle, comment il a rencontré son
partenaire, combien de temps la relation a duré, si les partenaires ont
vécu ensemble, combien de partenaires le demandeur a eu.
Le vice-directeur du département procédural Slovaque a déclaré
lors de l’entretien mené au cours de nos recherches qu’il était tout
d’abord demandé au demandeur d’asile LGBTI de parler librement de
ses problèmes et de son orientation sexuelle ; puis le décisionnaire
pose des questions supplémentaires concrètes, qui peuvent
inclure des questions explicites concernant son activité sexuelle.
Généralement, les questions sont plus générales et indirectes, et
n’incluent pas par exemple de description de l’acte sexuel. Les
entretiens d’asile des cas étudiés comprenaient des questions telles
que : quand et comment le demandeur s’est rendu compte qu’il
était homosexuel ; si sa famille et sa communauté connaissaient
son orientation sexuelle ; si des partenaires ou amis de celui-ci
avaient été persécutés en raison de cette orientation sexuelle et
comment ; si la police a appris son homosexualité ; quelle a été
l’attitude de sa famille concernant son orientation sexuelle ; s’il a
conservé des contacts personnels avec des personnes de la même
orientation dans son pays d’origine ; s’il a manifesté son orientation
publiquement ; etc.
L’agence des frontières et de l’immigration du Royaume-Uni, dans
son instruction d’asile de juin 2011 sur Les questions liées au genre
dans les demandes d’asile reconnaît que :
« La crédibilité de la demande d’un individu et le degré de
risque en cas de retour devraient être tout d’abord évalués au
moyen d’une enquête sensible sur la réalisation et l’expérience
du demandeur de son identité de genre. Changer son sexe
de naissance ne se fait pas en une seule étape ; il s’agit d’un
processus complexe qui se déroule sur une longue période
de temps. La transition peut comprendre certains ou tous
les ajustements personnels, juridiques et médicaux suivants :
l’annonce à la famille, aux amis et aux collègues, le changement
de nom et/ou de sexe sur les documents juridiques ; la tenue
vestimentaire, le comportement et/ou le mode de vie en tant que
personne de l’autre sexe ; la thérapie hormonale ; et enfin une
éventuelle intervention chirurgicale. Les enquêteurs devraient
poser des questions ouvertes permettant aux demandeurs de
décrire le développement de leur identité et la manière dont cela
a affecté leur identité et leurs expériences dans leur pays d’origine
comme au Royaume-Uni. »199
6.5.5 C o n c lu s i o n
Dans certains Etats membres, des questions sexuellement explicites
sont posées, et les réponses évasives sont interprétées d’une manière
portant atteinte à la crédibilité des demandeurs. Cela est hautement
problématique dans la mesure où ce type de réponses évasives
peuvent être dues au choc de se voir poser des questions sur des
détails sexuels comme à un manque de sincérité. De plus, des
questions aussi intimes constitutent une intrusion dans la vie privée
des demandeurs en l’absence d’une nécessité impérieuse.
D’auttre part, de telles questions – qu’elles soient sexuellement
explicites ou non – peuvent s’appuyer sur des stéréotypes. Parmi
quelques exemples, sur l’idée que l’homosexualité est une maladie,
est plus ou moins équivalente à la prostitution, est une question de
rapports sexuels, ou est en soi imputable à une légèreté de mœurs.
De tels préjugés peuvent être insultants pour les demandeurs, et donc
interférer avec l’entretien d’asile. Cela peut également conduire à des
conclusions aussi erronées que les préjugés, comme par exemple que
si un demandeur a eu des relations avec une seule personne et ne
souhaite pas que cela change, cela n’implique pas que la personne
est L, G, B, T ou I. Les enquêteurs devraient tenter d’établir le point
199 Instruction d’asile de l’Agence des frontières du Royaume-Uni sur Gender
Identity issues in the asylum claim, 13 juin 2011, http://www.ukba.homeoffice.
gov.uk/sitecontent/documents/policyandlaw/asylumpolicyinstructions/apis/
genderissueintheasylum.pdf?view=Binary, consulté le 16 juillet 2011. Pour
une instruction similaire sur l’orientation sexuelle : l’Agence des frontières du
Royaume-Uni, Sexual Orientation issues in the asylum claim (6 octobre 2010,
révisé le 13 juin 2011).
61
La crédibilité
de vue du demandeur, qui peut être influencé par des stéréotypes
que ce premier ne partage pas. Les demandeurs peuvent ressentir
leur orientation sexuelle comme une maladie (mais penser qu’ils ne
devraient pas être punis pour autant) ; ou ils peuvent refuser de se
désigner comme gays car ils pensent que cela implique la légèreté de
mœurs. Inversement, des questions partant d’une bonne intention, telle
que s’ils ont demandé de l’aide lorsqu’ils ont pris conscience de leur
orientation sexuelle, peut heurter les demandeurs ayant été contraints
de demander de « l’aide » pour changer leur orientation sexuelle.
L’interrogation sensible demande une réflexion permanente des
enquêteurs sur l’entretien. Si par exemple un enquêteur trouve
un demandeur évasif, il devrait s’interroger sur les raisons d'une
telle attitude. Si le demandeur invente quelque chose (et le cas
échéant, pourquoi) ; si le demandeur est réticent à partager des faits
douloureux ; s’il s’est senti insulté par quelque chose que l’enquêteur
(ou l’interprète) a dit ? Afin de permettre aux enquêteurs d’engager
une telle réflexion, une formation est nécessaire tant au début de
la carrière qu’en formation continue. Les questions LGBTI devraient
dans la mesure du possible faire l’objet d’une formation spécifique
et s’intégrer à des formations plus générales sur les méthodes
d’interrogation, dans la mesure où cela demande une attention
spécifique et que cette information doit être diffusée. De plus,
les aspects spécifiques aux LGBTI des techniques d’interrogation
sont assez similaires aux questions liées au genre, aux victimes de
discriminations systématiques et aux victimes de torture. Ces aspects
doivent être intégrés au curriculum d’asile européen (modules de
formation pour les fonctionnaires) ainsi qu’à celui du corps judiciaire.
R e c o m m a n d at i o n s
•
Les enquêteurs, les preneurs de décision, le corps judiciaire et
les assistants juridiques doivent être compétents et capables de
prendre en compte les aspects liés à l’orientation sexuelle et à
l’identité de genre des demandes d’asile, y compris le processus
de coming out et les besoins spécifiques des personnes
lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées. A cette
fin, ils devraient recevoir une formation professionnelle, tant
dans un module de formation initiale spécifique qu’au cours des
modules de formation continue généraux.
6 . 6 L e s c o n n a i s s a n c e s e t l e s c o m p o r t e m e n t s
a tt e n d u s
Dans de nombreux cas, les éléments de crédibilité étaient
étroitement liés aux préjugés formulés par l’enquêteur ou le preneur
62
de décision sur la manière dont une personne véritablement
lesbienne, gay, bisexuel, transgenre ou intersexuée se comporte,
ou sur ce que les personnes LGBTI sont censés savoir. Dans ce
paragraphe, nous allons passer en revue les préjugés les plus
communément rencontrés.
6.6.1 Fa m i l i a r i t é av e c l e s m i l i e u x g ay s
Des questions concernant la familiarité avec les milieux gays dans
le pays d’origine et dans le pays d’accueil sont souvent posées. Bien
que certaines autorités étatiques déclarent que ce type de questions
n’intervient que comme preuve supplémentaire, des personnes se
voient fréquemment refuser l’asile lorsqu’elles ne connaissent pas ces
lieux. Cela est problématique car les milieux gays du pays d’origine
peuvent ne pas exister, ou les demandeurs peuvent ne pas vouloir
fréquenter ce type de milieux. Il en va de même pour le milieu gay
dans le pays d’accueil : que les demandeurs soient intéressés ou non
par les quartiers ou les bars LGBTI n’est pas pertinent pour établir
l’orientation sexuelle, en particulier lorsqu’ils n’ont pas les moyens
socio-économiques d’accéder à ces lieux de rencontres.
Dans le cas d’un homosexuel ougandais, un décisionnaire irlandais
a déclaré « qu’il a été opposé au demandeur que sa connaissance
des lieux de rencontres homosexuels, sites, internet, clubs ou des
manifestations de défense de l’homosexualité était très limitée,
ce à quoi il a répondu qu’il ne voulait pas militer pour les droits
des homosexuels, qu’il était très heureux avec [son] partenaire et
n’avait pas besoin de rencontrer d’autres personnes ou de savoir
comment elles vivaient. Le demandeur est une personne instruite
et il n’est pas crédible qu’en tant qu’homosexuel il puisse avoir
aussi peu d’intérêt ou de connaissances pour des questions qui le
concernent. Cela met en doute sa crédibilité. »200
6 . 6 . 1 . 1 L a p r a t i q u e d e s E t a t s
Les questions posées en Belgique sur le milieu gay du pays d’origine
incluent : connaissez-vous des célébrités ayant la réputation d’être
LGBT dans votre pays d’origine ? Comment pourriez-vous reconnaître
une autre personne homosexuelle à son comportement ? Où les
personnes LGBT se retrouvent-elles dans votre ville ? Y a-t-il des lieux
de drague ? Où alliez-vous pour assouvir vos désirs homosexuels ?
Au Royaume-Uni, le tribunal de premier degré n’a pas voulu
reconnaître qu’une une lesbienne ougandaise puisse ne pas
connaître les livres et magazines lesbiens.201 Des exemples
comparables ont été rapportés pour la France et les Pays-Bas.
200 Commissaire aux demandes d’asile, 2009.
201 Chambre de l’Upper tribunal en matière d’immigration et de droit d’asile, 30
janvier 2011, BN (Ouganda), rapporté sur le site concernant le droit d’asile des
personnes LGBT.
La crédibilité
D’autres pays font état d’une situation plus nuancée, et la
connaissance présumée des milieux homosexuels dépend des
déclarations du demandeur. En Finlande, le responsable du service
des migrations finlandais déclare que « ce type de questions peut
être posé dans certains cas, s’il y a une raison de penser que le
demandeur les connaîtrait. Cependant, ce type de connaissances
n’est pas un pré-requis pour une décision positive. »
moyens financiers d’accéder à de tels lieux – il y a de nombreuses
autres raisons qu’un manque de crédibilité. De plus, poser de telles
questions peut contribuer à faire peser une atmosphère d’examen au
cours de l’entretien, ce qui affecte négativement la qualité de celui-ci.
Bien entendu, la connaisssance du milieu gay vient parfois
effectivement appuyer une demande d’asile ; cela ne doit toutefois
pas impliquer qu’un manque de connaissance de ces milieux est un
motif solide de rejet d’une demande. Dans le cas d’un demandeur
albanais en Hongrie, la déclaration de son homosexualité a été
jugée crédible par les autorités et confortée par l’existence de pages
web contenant des informations gay-friendly, qui avaient été créées
et gérées par le demandeur. La demande a été étayée également
par le fait que le demandeur était membre d’une association gay
soutenue par le COC Pays-Bas.
•
Un praticien irlandais a rapporté le cas d’un demandeur d’asile
homosexuel à qui on a demandé s’il connaissait un bar gay célèbre
de Dublin. Un élément de crédibilité négatif a été établi au motif
qu’il ne connaissait pas ce bar ; le décisionnaire ne pouvait pas croire
qu’un homosexuel vivant à Dublin pouvait ne jamais être allé dans ce
bar. Des questions similaires ont été rapportées pour la France et la
Roumanie.
6 . 6 . 1 . 2 L e s b o n n e s p r a t i q u e s
Les lignes directrices suédoises concernant les questions liées
aux personnes LGBT contiennent une bonne pratique : « Le fait
qu’une personne homosexuelle ne soit pas en contact avec des
organisations pour les personnes homosexuelles, en Suède ou dans
son pays d’origine, est rarement un facteur contredisant ses craintes
concernant un retour dans son pays d’origine, et n’affectent donc
pas de manière négative l’évaluation. De plus, de nombreux pays ne
disposent pas de telles organisations. »202
6 . 6 . 1 . 3 C o n c l u s i o n
Lorsqu’une partie des déclarations du demandeur affirment qu’il
a pris part à des organisations ou a fréquenté des lieux LGBTI, cela
peut influencer la crédibilité de ses déclarations. Cependant, le seul
fait qu’un demandeur affirmant appartenir à l’identité LGBTI n’a pas
connaissance d’organisations ou de lieux de rencontres LGBTI en
particulier ne permet pas de tirer des conclusion directes quant à sa
crédibilité. Les demandeurs peuvent ne pas savoir que de tels lieux
existent, ne pas vouloir les fréquenter, ils peuvent ne pas être assez
ouverts sur leur orientation sexuelle pour le faire, ne pas avoir les
202 Migrationsverket, Sexual Orientation Guidelines, 2002.
R e c o m m a n d at i o n
Le fait qu’un demandeur manque de connaissances quant aux
organisations ou lieux de rencontres lesbiens, gays, bisexuels,
transgenres ou intersexués ne peut en soi être considéré comme
une indication que la crainte rapportée par le demandeur d’être
persécuté en raison de son orientation sexuelle ou de son
identité de genre n’est pas crédible.
6.6.2 L e m a r i a g e h é t é r o s e x u e l e t l a pa r e n ta l i t é
Dans de nombreux Etats membres, le fait qu’un demandeur
déclarant être L, G, B, T ou I soit marié – ou le soit dans son pays
de refuge – est considéré comme un élément de non-crédibilité
concernant l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de cette
personne. Cela met de côté un trait important des identités LGBTI,
qui existe toujours, et ce même en Europe : le fait que certaines
personnes LGBTI mènent une « double vie ».
6 . 6 . 2 . 1 L e s n o r m e s i n t e r n a t i o n a l e s
Les lignes directrices du HCR déclarent qu’une « personne ne devrait
pas automatiquement être considérée comme hétérosexuelle
simplement parce qu’elle est ou a été mariée, [ou] a des enfants. »203
6 . 6 . 2 . 2 L a p r a t i q u e d e s E t a t s
Dans le cas d’une demandeuse lesbienne à Chypre, le fait qu’elle
ait été mariée à deux reprises a été considéré comme une raison de
ne pas la croire concernant son orientation sexuelle, bien qu’elle ait
affirmé qu'il s'agissait de deux mariages forcés, que le premier n’a pas
été consommé, et qu’il a par conséquent été annulé, et que le second
a été consommé sous la contrainte et s’est soldé par un divorce. En
Espagne, la demande d’une lesbienne a été refusée parce qu’elle avait
un bébé en Algérie. Aux Pays-Bas, une décision a jugé qu’il « était
bizarre qu’un homme qui a eu auparvant une relation homosexuelle
de quatre ans épouse une femme sans objections. »204
203 HCR, UNHCR Guidance Note on Refugee Claims Relating to Sexual Orientation
and Gender Identity, 21 novembre 2008, par. 36. Comp. Dans l’étude danoise
mentionnée, seuls 19 % des femmes LBT et 29 % des hommes GBT déclaraient
ne pas vouloir d’enfants. La majorité des personnes LGBT voudraient donc en
fait avoir des enfants, Leyla Gransell et Henning Hansen, Equal and unequal?
The living conditions and well being of gay and lesbian people, bisexuals and
transgenders in Denmark, Copenhague : Casa 2009, consultable à l’adresse
www.casa-analyse.dk/default.asp?Action=Details&Item=387.
204 Décision de l’IND du 28 janvier 2011, Burundi, n° 0607-27-04150.
63
La crédibilité
Le fait d’être marié en dehors du pays d’origine est également
considéré comme diminuant la crédibilité concernant l’orientation
sexuelle des demandeurs d’asile. A Malte, le cas d’un libyen qui était
dans une relation stable avec un homme maltais a été rapporté.
Lorsque sa famille en Libye a découvert son homosexualité, il a subi
des menaces et on lui a intimé de quitter le pays. Il est parti pour
Malte et s’est engagé dans un mariage de convenance avec une
femme maltaise, ce qui lui semblait le seul moyen légal de rester à
Malte, car il n’était pas au courant que son homosexualité pouvait
être un motif de protection internationale. Son épouse maltaise a
fini par faire une déclaration à la police admettant qu’il s’agissait d’un
mariage de convenance, sur la base de laquelle la police a lancé
une procédure d’éloignement. A ce stade, le demandeur a fait une
demande d’asile, mais – en raison de l’expiration de la date limite
requise – son cas a été jugé invalide. Dans une dernière tentative
d’éviter son éloignement, le demandeur a lancé une procédure
d’appel contre son éloignement à venir conformément à l’article
3 et 8 de l’ECHR, procédures qui n’ont jamais été finalisées car le
demandeur a été éloigné avant toute audience. Dans la mesure
où aucune audience n’a eu lieu, aucune décision de cour n’est
disponible. Les propositions présentées par le procureur en soutien
à l’éloignement du demandeur sont cependant intéressantes. Elles
rejetaient totalement les déclarations du demandeur concernant
son homosexualité en raison du fait que sa crédibilité a été
irrémédiablement entachée par le mariage de convenance.205
Un demandeur nigérian avait épousé une femme lesbienne (aux
Etats-Unis), car il voulait avoir des enfants. Il a déclaré qu’il était
plus intéressé par les hommes que par les femmes, et qu’il ne
pouvait avoir des relations sexuelles avec une femme qu’après
avoir bu beaucoup d’alcool. Selon les autorités néerlandaises, ces
déclarations ont ajouté au manque de crédibilité concernant ses
déclarations sur son homosexualité. La décision a été maintenue par
la cour régionale.206
Pour la Finlande, le rapport n’indique pas nécessairement que
l’orientation sexuelle perdrait directement de sa crédiblité si
le demandeur a été marié ou a des enfants. Il est plus souvent
rapporté qu’il a été jugé improbable qu’il y ait un danger sérieux de
persécution en raison de l’orientation sexuelle. Du fait de sa relation
hétérosexuelle ou d’avoir des enfants, le demandeur ne serait en
effet pas perçu comme étant homosexuel, et n’aurait donc pas de
crainte d’être persécuté.
205 W. El-H c. Chef des services d’immigration (première chambre, Cour civile),
lancé le 29 juillet 2008.
206 Rechtbank (Cour régionale) Haarlem, 12 janvier 2010, n° 09/48023.
64
En Allemagne, le concept d’orientation sexuelle fondé sur la
sexologie classique apparaît également dans une décision de 2008.
Le fait qu’un demandeur ait été marié aux Pays-Bas et avait un
enfant de ce mariage prouvait, selon la cour administrative, que le
demandeur n’était pas « déterminé par son homosexualité » à un
degré suffisant pour remplir les critères d’appartenance à un groupe
social particulier selon la définition de l’art. 10 (1) de la directive
qualification.207
En Hongrie, le fait d’être marié et d’avoir des enfants semble réduire
considérablement la probabilité que le demandeur soit jugé crédible.
Une demandeuse lesbienne était mariée et avait un enfant né
après qu’elle ait pris conscience de son orientation sexuelle. L’office
de l’immigration et de la nationalité a déclaré qu’elle n’aurait pas
partagé sa vie et ne se serait pas mariée avec un homme si elle était
lesbienne.
Dans plusieurs pays, même des demandeurs ayant déclaré être
bisexuels ont été rejetés car ils étaient mariés et/ou avaient des
enfants.
En Bulgarie, selon l’expert national, tout demandeur ne
correspondant pas aux stéréotypes entourant les personnes LGB est
considéré comme n’étant pas crédible. Le mariage et les enfants sont
considérés comme l’un des indicateurs principaux pour l’évaluation
de l’orientation sexuelle d’une personne. La demande d’un homme
bisexuel originaire du Liban a été rejetée car il avait une femme et
des enfants.
En Finlande, un demandeur a reformulé sa demande, passant
d’homosexuel à bisexuel, immédiatement après avoir épousé
une femme. Bien qu’il ait souligné à plusieurs reprises au cours
de l’entretien qu’il n’était pas homosexuel mais bisexuel, et que
la différence entre ces deux orientations était considérable pour
lui, il ne connaissait pas le mot juste pour désigner la bisexualité
lorsqu’il avait rédigé sa demande. Cela n’a pas été jugé crédible et sa
demande a été rejetée (en 2010).
Un demandeur algérien s’est vu refuser une protection par la
Hongrie car il ne pouvait apporter de preuve suffisante de la
probabilité qu’il soit persécuté en Algérie. Il n’a pas été énoncé
explicitement que la raison de ce rejet était sa bisexualité ; toutefois,
il était marié et avait des enfants.
207 Verwaltungsgericht (Cour administrative) Ansbach, 21 août 2008, AN 18 K
08.30201.
La crédibilité
6 . 6 . 2 . 3 L e s b o n n e s p r a t i q u e s
Dans de nombreux Etats membres, il est reconnu que le mariage
n’implique pas nécessairement que le demandeur ne soit pas LGBTI.
Cela doit être considéré comme une bonne pratique, en accord avec
les lignes directrices du HCR.
En Italie, un marocain gay avait été marié au Maroc et avait un
enfant issu de ce mariage. Il a déclaré s’être marié à l’âge de 28 ans (il
en avait 40 lors de sa demande) car il avait été forcé par sa famille. Il a
déclaré ne pas être sûr d’être le père de l’enfant, mais qu’il se sentait
obligé d’aider sa femme et son enfant financièrement. Il a affirmé
que sa femme n’acceptait pas de divorcer de peur des répercussions
sociales. Il s’est vu accorder le statut de réfugié.208
En Slovaquie, le seul demandeur à avoir obtenu l’asile en raison de
son orientation (bi)sexuelle avait été marié auparavant dans son pays
d’origine et avait quatre enfants.
Au Danemark, il est clair qu’il n’est pas incompatible pour un
demandeur d’être L, G, B, T ou I et d’être marié. Un demandeur a
obtenu le statut de réfugié en raison d’actes homosexuels dans son
pays d’origine, tandis qu’il vivait avec une femme au Danemark. En
France, les autorités compétentes en matière d’asile ainsi que la cour
ne considèrent pas le mariage et la famille comme un élément clé
sur lequel fonder un rejet, mais en cas de doute cet élément peut
être considéré parmi d’autres.
La Suède dispose d’une politique explicite stipulant que : « le fait que
la personne homosexuelle soit mariée et qu’elle ait éventuellement
des enfants avec une personne du sexe opposé n’excluait en aucun
cas qu’elle soit homosexuelle. »209
Une instruction d’asile récente du Royaume-Uni dispose à ce
propos : « Les relations (hétérosexuelles) ou la parentalité (qui
peuvent toutes les deux nécessiter une enquête plus approfondie
lors de l’entretien) ne devraient être considérées automatiquement
comme un manque de crédibilité ».210
L’Autriche, la Belgique et la République tchèque ne rapportent
pas non plus de problème sur ce point.
6 . 6 . 2 . 4 C o n c l u s i o n
Nous pouvons en conclure que dans de nombreux Etats membres,
208 Commissione territoriale per il riconoscimento della protezione internazionale
di Milano (Commission territoriale pour la reconnaissance de la protection
internationale de Milan), décision, 2010.
209 Migrationsverket, Sexual Orientation Guidelines 2002.
210 Ministère de l’Intérieur britannique, Asylum Instruction: Sexual Orientation and
Gender Identity in the Asylum Claim, 6 octobre 2010, révisé le 13 juin 2011.
le mariage et le fait d’avoir des enfants et l’appartenance au groupe
LGBTI sont considérés comme étant incompatibles. Si cette position
est parfaitement intenable en ce qui concerne les demandeurs
bisexuels, elle n’est pas plus sensée concernant les demandeurs
LGTI. Les pressions sociales subies par les demandeurs peuvent être
énormes, et forcer les personnes LGTI à se marier contre leur volonté.
L’idée qu’être marié ou qu’avoir des enfants ait la moindre pertinence
pour la crédibilité de l’orientation sexuelle d’un demandeur semble
être une relique de la conception médicale de l’orientation sexuelle
et l’identité de genre, qui considèrent les identités LGTI comme une
forme de manque ou d’incapacité. L’idée sous-jacente est qu’une
personne n’est LGTI que si elle n’a pas d’autre choix et ne peut s’en
empêcher. Ce n’est que lorsque les identités LGBTI sont vues comme
résultant d’une nécessité (et non un choix) qu’il est logique de
penser que si une personne est mariée ou a un enfant, elle ne peut
réellement être LGTI.
R e c o m m a n d at i o n
•
Le fait qu’un demandeur soit ou ait été marié ou cohabite avec
une personne du sexe opposé dans une relation hétérosexuelle,
et ait éventuellement des enfants issus de cette relation, ne
devrait en aucun cas exclure le fait qu’elle puisse être lesbienne,
gay, bisexuelle, transgenre ou intersexuée.
6.6.3 L a c o n n a i s s a n c e d e s s a n c t i o n s p é n a l e s
Les rapports concernant la Belgique, la France, les Pays-Bas, la
Norvège, et la Suisse ont indiqué que le fait de ne pas connaître
précisément les sanctions pénales ou la formulation exacte des
dispositions pénales contre l’orientation sexuelle dans leur pays
d’origine peut affecter la crédibilité du demandeur.
Cela nie la réalité vécue par de nombreuses personnes LGBTI, pour
qui les sanctions sociales (les pressions ou les menaces de violence
de la part des proches de l’environnement social) peuvent être
bien plus importantes que les sanctions formelles. Le fait que les
demandeurs ne connaissent donc pas les sanctions pénales (exactes)
contre l’orientation sexuelle dans leur pays d’origine ne devrait pas
constituer un motif en soi pour juger que le demandeur n’est pas
crédible.
6.6.4 L e s a c t e s d é c l a r é s j u g é s t r o p r i s q u é s p o u r ê t r e
vrais
Dans de nombreux cas, les demandes d’asile sont rejetées car les
demandeurs ont eu des comportements dangereux pour leur
personne ; ce qui ne semblait pas plausible.
65
La crédibilité
En Allemagne, une cour a résumé une décision négative comme
suit : « La déclaration du demandeur selon laquelle il a commis
des actes homosexuels au Cameroun n’est pas crédible car cela
aurait signifié qu’il se mettait en danger. Sa description de sa vie
en tant qu’homosexuel au Cameroun n’est pas assez précise. » La
cour administrative révisant le cas a déclaré son désaccord sur ces
deux points et a cassé la décision.211
De la même manière, un tribunal allemand a cité une décision de
l’office fédéral pour la migration et les réfugiés comme suit : « La
déclaration du demandeur (un arabe sunnite de Mosul/Irak) n’est
pas plausible : si ses activités homosexuelles avaient effectivement
été connues, et qu’il avait été persécuté, il aurait également été
condamné conformément à la section 400 du code pénal irakien. »
Le tribunal administratif a exprimé son désaccord et a cassé la
décision.212
En Slovénie, un demandeur n’a pas été jugé crédible car il a affirmé
avoir eu des relations sexuelles avec un ami, dont la femme a fini
par l’apprendre, après quoi ils ne lui ont pas caché leur relation. Les
autorités slovènes ont également trouvé étrange que la femme ne
les ait dénoncés à la police qu’au bout de deux ans.
Bien entendu, lorsqu’un demandeur correspond bien aux attentes
dues aux stéréotypes, cela peut être à son avantage : en Hongrie,
dans le cas d’un demandeur tunisien, la décision mentionnait qu’il
s’habillait d’une manière féminine et portait du maquillage.
Au Royaume-Uni, un homme gay originaire du Yémen portait
des t-shirts et des jeans moulants, avait les cheveux longs, ce qu’il
associait avec l’expression de son identité de genre. Il a refusé
d’accepter toute modification à sa manière de s’habiller, de couper
ses cheveux, et d’adopter le style vestimentaire et la coupe de
cheveux des hommes musulmans hétérosexuels. En 2009, le tribunal
a accordé son appel et il a obtenu le statut de réfugié.215
6 . 7 C o n c l u s i o n
Les stéréotypes sur les personnes LGBTI peuvent être classés en trois
groupes principaux qui ne couvrent pas tous les exemples mais
la plupart d’entre eux. Veuillez noter que la plupart des exemples
concernent les hommes homosexuels. Cela est probablement dû à la
prévalence des demandes d’hommes gays.
Les trois principales catégories de stéréotypes sont :
Aux Pays-Bas, les autorités d’asile n’ont pas jugé plausible qu’un
jeune homme pakistanais ait eu des relations sexuelles avec son
petit-ami tandis que d’autres membres de sa famille (musulmans)
étaient présents sous le même toit, ni qu’ils aient omis de verrouiller
la porte correctement, en connaissance de cause des risques
encourus.213
Si l’on pousse ce type de raisonnement à sa conclusion logique, le
récit de chaque demandeur qui a eu, ou essayé d’avoir une relation
homosexuelle dans son pays d’origine, ou qui a exprimé une identité
transgenre, n’est pas plausible vu le risque inhérent impliqué.214
Plus généralement, le fait que le comportement d’un demandeur le
mette en danger est plus susceptible d’être un motif d’octroi d’asile
que de refus. Ce raisonnement devrait être abandonné.
6.6.5 A u t r e s c r i t è r e s f o n d é s s u r d e s s t é r é o t y p e s
Nombre d’autres stéréotypes ont été utilisés de manière abusive
pour conclure qu’un demandeur n’appartenait pas au groupe LGBTI.
Une liste non-exhaustive d'exemples peut être consultée à la page 67.
211 Verwaltungsgericht (Cour administrative) Francfort-sur-l’Oder, 11 novembre
2010, VG 4 K 772/10.A.
212 Verwaltungsgericht (Cour administrative) Sigmaringen, 26 avril 2010, A 1 K
1911/0.
213 Rechtbank (Cour régionale) Haarlem, 29 septembre 2009, n° 09/32801.
214 Jenni Millbank, ‘The Ring of Truth’: A Case Study of Credibility Assessment
in Particular Social Group Refugee Determinations, International Journal of
Refugee Law, 2009-1, p. 22.
66
–– Ne pas être un « vrai homme » ou une « vraie femme » : les
personnes LGB sont considérées comme ayant des troubles de
l’identité de genre : les gays ne sont pas de vrais hommes : ils ne
(veulent pas) faire leur service militaire, ne se marient pas et n’ont
pas d’enfant, ne s’habillent pas d’une manière masculine ; ils n’ont
pas de relation avec un seul homme. Les lesbiennes ne sont pas
de vraies femmes : elles ne se marient pas, n’ont pas d’enfant et
ne s’habillent pas d’une manière féminine.
–– Les idées classiques de la sexologie allemande sont encore
très vives dans de nombreux Etats membres. Par exemple, les
actes homosexuels dans les espaces entièrement féminins ou
masculins telle que la prison, ne sont pas considérés comme une
expression du lesbianisme, de l’homosexualité masculine ou de
la bisexualité, car cela ne reflète pas une attraction « fatidique et
irréversible » envers les personnes du même sexe. Le mariage ou
les enfants établissent qu’une personne n’est pas LGB.
–– Un groupe social : les personnes LGB forment un groupe cohérent,
avec des goûts culturels communs, des médias communs,
ils partagent des espaces sociaux physiques particuliers, des
comportements, des attitudes.
215 Affaire non reportée devant le tribunal pour l’asile et l’immigration.
La crédibilité
Sujet
Etat membre
Exemple
Service militaire
Chypre
Un demandeur gay a été interrogé sur son service militaire. Le fait qu’il n’ait pas essayé d’éviter l’armée, qui est
obligatoire dans son pays, a été jugé comme contradictoire avec les stéréotypes des comportements homosexuels.
Préférences
culturelles
France
Les questions peuvent concerner les habitudes vestimentaires, le temps de loisir, les goûts culturels (musique, films,
télévision) d’une personne, ou sa connaissance et/ou participation à la culture considérée comme homosexuelle.
Vocabulaire
Hongrie
Dans le cas d’une femme nigériane, les autorités d’asile ont jugé peu probable que la demandeuse utilise la « terminologie
latine » (tel que le terme « homosexuelle ») vu son instruction. Les autorités ont pensé qu’elle avait entendu ou inventé
l’histoire de son homosexualité afin d’obtenir le statut de réfugié. Les examens médicaux ont conduit à une évaluation
d’une « sexualité fortement féminine ». Il convient de remarquer que d’autres éléments mettaient en doute la crédibilité
de la demandeuse.
Vocabulaire
Espagne
Un homme homosexuel mauritanien s’est désigné comme étant maricon (« pédé »). Le tribunal a jugé que ce mot était
rarement utilisé par les personnes homosexuelles.216
Comportement
Irlande
Des décisionnaires sont arrivés à une conclusion négative fondée sur leur propre jugement du comportement du
demandeur (c’est-à-dire si, pour le décisionnaire, le demandeur avait l’air d’être homosexuel). Par exemple, pour motiver
le rejet de l’appel d’un demandeur d’asile d’un homosexuel algérien, un membre du tribunal a déclaré que : « vu son
comportement (à l’appel), je n’ai aucun doute que le demandeur a avancé qu’il été homosexuel afin de renforcer sa
demande d’asile. » L’expertise de ce magistrat fondée sur l’orientation sexuelle déterminée en fonction du comportement
n’est pas traitée.217
Comportement
Bulgarie
Un lieu commun veut qu’un homme gay soit nécessairment « féminin » et « affiche » son orientation sexuelle. Il en va
de même pour les lesbiennes.
Travail sexuel
Belgique
Les travailleurs sexuels homosexuels ont été rejetés en raison de leurs « actes homosexuels illégaux motivés par des
raisons économiques et opportunistes ».218
Travail sexuel
Espagne
Une femme transgenre originaire du Costa Rica a subi toutes sortes de discriminations ; le tribunal a jugé que ses
problèmes et la discrimination découlaient de son travail en tant que prostituée, et non de son identité de genre219
Préférences
culturelles
Royaume-Uni
Les stéréotypes et l’ignorance, notamment le fait d’attendre qu’un homme gay connaisse les œuvres d’Oscar Wilde. 220
Absence d’autre
choix
Royaume-Uni
Le comportement sexuel d’une femme en prison a été jugé comme le prolongement de l’expérimentation sexuelle
adolescente ; en prison, elle n’avait « pas d’autre choix que le célibat », et il n’a donc pas été jugé crédible qu’elle soit
lesbienne. Ce jugement a été renversé par la cour d’appel.221
Monogamie
Pays-Bas
Un demandeur irakien a déclaré que bien qu’il ait eu une relation sexuelle avec un homme pendant cinq ans, il n’était pas
sûr qu’il soit réellement homosexuel, car il n’a jamais eu de sentiments pour d’autres hommes. L’IND a jugé que la relation
était crédible, mais que la politique de son pays contre les homosexuels ne s’appliquait pas à lui car il n’était pas homosexuel.
« Dans les pays arabes, les jeunes hommes se tournent souvent vers des hommes pour satisfaire leur désir sexuel, car ils
ne peuvent le faire avec une femme », selon l’IND. La Cour régionale de Groningue n’a pas vu de raison pour laquelle cette
spéculation était applicable dans ce cas. L’appel a été accordé.222
Génétique
Pays-Bas
La bisexualité d’un demandeur jamaïcain n’a pas été jugée crédible car il a déclaré que son orientation homosexuelle
« n’était pas dans ses gènes ».223
216 217 218 219 220
–– Le coming out : les demandeurs LGB sont supposés avoir
découvert et composé avec leur orientation sexuelle d’une
manière particulière : ils sont supposés ressentir de la culpabilité,
avoir une orientation sexuelle stable à propos de laquelle ils sont
très impliqués émotionnellement.
216 Audiencia Nacional (Cour nationale) 19 décembre 2008, dossier nº 1399/2007.
217 Cour d’appel des réfugiés, 2010.
218 Raad voor de Vreemdelingenbetwistingen (Conseil pour les affaires
relatives aux étrangers) 21 octobre 2008, 17.431 ; Raad voor de
Vreemdelingenbetwistingen (Conseil pour les affaires relatives aux étrangers)
22 octobre 2008, 17.471;19.383 ; 19.842; 19.837; 21.996.
219 Audiencia Nacional (Cour nationale) 21 juillet 2008, dossier nº 679/2006.
220 Rapporté dans Nathanael Miles, No Going Back, Lesbian and Gay People and the
Asylum System, Stonewall, mai 2010, www.stonewall.org.uk.
Ces stéréotypes s’appuient sur l’idée que l’orientation sexuelle est
strictement commandée selon un ensemble de catégories dont
l’hétérosexualité est évidemment la catégorie centrale stable.
Cela laisse aux gays et aux lesbiennes des catégories identitaires
périphériques aussi stables ; 221 222 223
les personnes trangenres et intersexuées sont vues comme une
catégorie médicale ; et les bisexuels comme pouvant compter
comme lesbienne ou gay lorsqu’ils auront enfin réussi à faire leur
221 Cour d’appel (Angleterre et Pays de Galles), août 2009, NR (Jamaïque) c. SSHD
[2010] INLR 169.
222 Rechtbank (Cour régionale) Groningue, 3 septembre 2010, n° 10/6506.
223 Rechtbank (Cour régionale) Haarlem, 18 décembre 2007, n° 07/26891, Conseil
d’Etat, 18 avril 2008, 200800353/1.
67
La crédibilité
choix. De cette manière, les lesbiennes et les gays sont formés
à l’image des hétérosexuels – de manière rassurante, de façon
périphérique pour cette catégorisation, et sont confortablement
étiquetés comme des problèmes médicaux. Les bisexuels n’ont pas
de problème car ils peuvent « choisir » entre assumer la position des
lesbiennes/gays, ou celle de la norme hétérosexuelle et cisgenre
dominante.
Cette manière de voir l’orientation sexuelle doit être vue comme au
cœur des questions de crédibilité. Les opinions de l’expert médical
s’appuient sur des catégories qui ont été officiellement réfutées (la
dysphorie de genre, l’inversion, etc.) et cherchent essentiellement à
établir la stabilité de l’orientation sexuelle d’une personne.
L’Allemagne est même explicite dans sa demande d’une identité de
genre stable (Schicksalhaften Festlegung – fixation impérieuse). De
la même manière dans les autres Etats membres, les décisionnaires
et les tribunaux essaient d’établir une distinction entre un
comportement frivole (de simples activités homosexuelles, qui ne
devraient pas aboutir à l’asile, même si cela a eu pour conséquence
des traitements inhumains dans le pays d’origine) et les demandeurs
qui se sentent obligés d’avoir des activités homosexuelles, ou qui
sont réellement transgenres ou intersexués. On a l’impression qu’on
demande aux demandeurs d’être sincères à propos de leur sexualité.
Apparemment, il n’est pas habituel d’être gay sans s’informer sur les
spécificités de la loi pénale ; d’être lesbienne mais de ne pas lire de
médias lesbiens ; d’avoir une relation avec un autre homme mais
de ne pas connaître les lieux de rencontre des parcs de Téhéran.
Tous ces exemples attestent que les jugements de crédibilité
s’appuient sur des attentes très spécifiques, qui traitent l’orientation
sexuelle comme quelque chose lié aux convictions politiques ou
religieuses, avec la participation attendue dans des réunions de
partis, centrés sur la sphère publique formelle des médias publics
et de la législation. De toute évidence, la sexualité est politique
sous bien des points de vue, mais la politique sexuelle, bien qu’elle
puisse se dérouler dans des lieux classiques tels que les médias
et les parlements, est plus souvent (et peut-être principalement)
jouée dans des cadres étiquetés comme privés, tels que la famille, le
voisinage ou le lieu de travail.
On ne peut affirmer que chaque demandeur d’asile déclarant avoir
une crainte fondée d’être persécuté en raison de son orientation
sexuelle ou de son identité LGBTI dit la vérité et peut bénéficier de
l’asile. Cela étant, les exemples des pratiques d’entretiens d’asile
fournissent des preuves de méthodes ne permettant pas d’établir
la crédibilité, criblées de préjugés questionnables sur la manière
dont les « vrais » demandeurs LGBTI se comportent. La principale
conclusion à tirer de cet état de choses est que la crédibilité ne peut
68
être établie que sur la base d’un entretien permettant au demandeur
d’exprimer librement son orientation sexuelle comme il l’a vécue,
d’une manière détaillée et en lieu sûr. Comme l’a établi La Violette,
cela mène à trois grandes lignes d’enquête au cours des entretiens
d’asile : (i) Personnel et familial (ii) contacts gays et lesbiens tant dans
les pays d’origine que d’accueil et (iii) l’expérience/la connaissance
de la discrimination et de la persécution.224 Les lignes directrices du
Royaume-Uni et de la Suède, ainsi que celles du HCR contiennent
une description d’une approche utile. Il est entendu que des
demandes de clarification ou de renseignements supplémentaires
peuvent être faites. Mais tout ce qui mine un examen, comme
demander « la bonne réponse » (quels sont les lieux de rencontre
gays ; quelle est la disposition pénale pour les actes sexuels
lesbiens ; dans quelle position étiez-vous lorsqu’on vous a surpris)
est contreproductif (a) car cela peut affecter la confiance nécessaire
à un entretien d’asile, et (b), parce que cela reflète des préjugés qui
peuvent être inexacts ou ne pas s’appliquer dans le cas particulier en
question.
R e c o m m a n d at i o n
•
Lors de l’entretien personnel tel que prévu par l’article 12 de la
directive procédures, les demandeurs lesbiennes, gays, bisexuels,
transgenres et intersexués devraient avoir la possibilité de décrire
la manière dont s’est construite leur orientation sexuelle ou leur
identité de genre, notamment les réactions de l’entourage ; les
expériences problématiques, le harcèlement, la violence ; et les
sentiments de différence, de stigmatisation, de peur et de honte.
224 Nicole LaViolette, ‘Sexual Orientation and the Refugee Determination Process:
Questioning a Claimant about their Membership in the Particular Social
Group’, préparé pour la Commission canadienne de l’immigration et du statut
de réfugié, 2004.
L a ré vél ation tardive
7 L a r é v é l a t i o n t a r d i v e
De manière générale, les personnes faisant une demande protection
internationale sont censées fournir la raison pour laquelle elles
craignent d’être persécutées, immédiatement et de façon claire,
consistante et cohérente. Mettre sur la table la question de
l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre à un stade ultérieur
(par exemple lors de l’appel ; ou dans une demande successive)
jette souvent le doute sur la crédibilité du demandeur et ce type de
demande tardives peuvent donc aisément être rejeté. Toutefois, il
peut y avoir plusieurs raisons valable pour lesquelles les demandeurs
d’asile LGBTI peuvent ne pas avoir révélé leur orientation sexuelle ou
leur identité de genre lors de leur demande initiale, telles que :
–– Il arrive que les demandeurs d’asile soient des enfants et ne
prennent conscience de leur orientation sexuelle ou de leur
identité de genre que quelques années plus tard.
–– De nombreux demandeurs d’asile LGBTI n’osent pas parler de
leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre en raison
de sentiments de différence, de stigmatisation, de honte ou de
peur. Ces sentiments peuvent s’appuyer sur une homophobie
ou une transphobie intériorisée et peuvent être renforcés par la
nécessité de révéler leur orientation sexuelle ou leur identité de
genre à un agent d’asile, ou par la crainte des conséquences si
leur orientation sexuelle ou leur identité de genre venait à être
connue dans d’autres cadres, tels que les centres d’hébergement.
7 . 1 L e s n o r m e s e u r o p é e n n e s e t i n t e r n a t i o n a l e s
La directive procédures dispose qu’une demande d’asile successive
doit faire l’objet d’un examen préalable visant à déterminer si de
nouveaux éléments ou jugements concernant l’examen Indiquant
que l'individu peut prétendre au statut de réfugié se sont présentés
ou ont été présentés par le demandeur. Si de nouveaux éléments
ou jugements se présentent, ce qui ajoute considérablement à
la probabilité que le demandeur ait droit au statut de réfugié, la
demande devrait être étudiée de manière plus approfondie.226
Dans le cadre de la refonte actuelle de la directive procédures,
la Commission européenne a proposé d’ajouter de façon
explicite l’orientation sexuelle et l’identité de genre à la définition
des « demandeurs nécessitant des garanties procédurales
spécifiques ».227 Elle a également suggéré que les Etats membres
devraient s’assurer que ces demandeurs soient identifiés en temps
utile et que les dispositions correspondantes s’appliquent également
« s’il se révèle à un stade plus avancé de la procédure que le
demandeur nécessite des garanties procédurales spécifiques. » « Les
Etats membres doivent également s’assurer que ces demandeurs
disposent de suffisamment de temps et de soutien pertinent pour
présenter les éléments de leur demande de la manière la plus
complète possible, et avec toutes les preuves disponibles ».228
A ce propos, les lignes directrices du HCR stipulent que :
–– Ils peuvent être en plein processus de coming out : il se peut
qu’ils n’aient pas encore révélé leur orientation sexuelle ou leur
identité de genre aux autres ou à eux-mêmes.
–– Certains demandeurs d’asile LGBTI et leurs conseillers ne savent
pas que leur orientation sexuelle ou leur identité de genre peut
être pertinente pour l’évaluation de leur demande.
Un tribunal allemand a décidé qu’une déclaration faite plus
de trois ans après l’arrivée en Allemagne ne disqualifiait pas un
demandeur irakien pour le statut de réfugié : le demandeur
a expliqué d’une manière crédible qu’il n’avait pu décider
d’admettre son homosexualité publiquement qu’après un long
cheminement et combat intérieur, prenant fin lorsqu’il a trouvé
son identité sexuelle.225
225 Verwaltungsgericht (Cour administrative) Kölln, 8 septembre 2006, 18 K
9030/03.A, Informationsverbund Asyl & Migration M17466.
« Le demandeur ne sait pas toujours que l’orientation sexuelle peut
constituer un motif d’asile ou peut être réticent à parler de questions
aussi personnelles, en particulier lorsque son orientation sexuelle
226 Article 32 de la directive 2005/85/EC du Conseil du 1er décembre 2005 sur les
standards minimums sur les procédures dans les États membres pour l’octroi
et le retrait du statut de réfugié.
227 Proposition de la directive procédures à l’article 2 (d) : « demandeur ayant
besoin de garanties procédurales particulières», un demandeur qui, du fait
de son âge, de son sexe, de son orientation ou de son identité sexuelles, d’un
handicap, d’une affection physique grave, d’une maladie mentale, de troubles
post-traumatiques ou de conséquences de tortures, de viols ou d’autres
formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, a besoin
de garanties particulières pour pouvoir bénéficier des droits et remplir les
obligations prévus par la présente directive ; Proposition modifiée de directive
du Parlement européen et du Conseil sur les sur les procédures normales
dans les États membres pour l’octroi et le retrait du statut de réfugié (refonte),
Bruxelles, 1er juin 2011, COM(2011) 319 final, 2009/0165 (COD).
228 La proposition pour l’article 24 : « Les États membres veillent à ce que les
demandeurs nécessitant des garanties procédurales spéciales soient identifiés
en temps utile. (…) Les États membres veillent à ce que le présent article
s’applique également s’il apparaît, à un stade ultérieur de la procédure, qu’un
demandeur nécessite des garanties procédurales spéciales. Les États membres
prennent les mesures appropriées pour s’assurer que les demandeurs
nécessitant des garanties procédurales spéciales se voient accorder un délai
et un soutien suffisants pour présenter les éléments de leur demande de
manière aussi complète que possible et sur la base de tous les éléments de
preuve disponibles. »
69
L a ré vél ation tardive
est un motif de honte ou un tabou dans son pays d’origine. Il peut
donc au départ ne pas se sentir suffisamment en confiance pour
parler librement ou pour rendre compte de façon précise de son
cas. Même lorsque la demande de départ contient des déclarations
inexactes, ou lorsque celle-ci n’est pas présentée avant qu’un certain
temps ait passé depuis l’arrivée dans le pays d’accueil, le demandeur
peut toujours être en mesure d’établir une demande crédible. »229
Il s’agit d’une situation de réfugié sur place, et si la demande est jugée
crédible, elle mène souvent à une reconnaissance du statut. Des
exemples de ce type de demande, soumise par des demandeurs
étant entrés dans le pays d’accueil lorsqu’ils étaient mineurs, ont
également été rencontrés en Autriche, en France, en Italie, en
Norvège, en Pologne et au Royaume-Uni, tandis que les experts
nationaux pour la République tchèque, l’Allemagne et Malte
pensaient que des personnes dans cette situation auraient de bonne
chance d’obtenir l’asile.
7 . 2 L a p r a t i q u e d e s Et a t s
L’enquête sur la pratique des Etats membres de l’UE concernant
l’asile des personnes LGBTI montre que les cas dans lesquels les
demandeurs d’asile LGBTI ne révèlent leur orientation sexuelle ou
leur identité de genre comme motif d’asile uniquement après ou au
cours de la procédure rencontrent deux types de problèmes :
–– leur coming out n’est absolument pas pris en compte : certains
systèmes d’asile appliquent une certaine forme de la notion
d’autorité de la chose jugée, qui ne permet un nouvel examen que
si les circonstances mentionnées à un stade ultérieur constituent
des faits nouveaux
–– leur coming out est pris en compte mais rencontre la méfiance ;
si les circonstances ne sont mentionnées qu’à un stade ultérieur
de la procédure, elles peuvent être fausses, opportunistes et
uniquement mentionnées dans le but d’augmenter les chances
d’obtenir l’asile.
7.2.1 L e s m i n e u r s
Certains exemples de demandeurs d’asile ayant fui leur pays alors
qu’ils étaient mineurs et n’ayant pris conscience de leur orientation
sexuelle que plusieurs années plus tard ont été rapportés, tel le cas
suivant :
Un demandeur d’asile somalien était arrivé aux Pays-Bas dans son
enfance. Sa mère avait ensuite fait deux demandes d’asile pour
lui. Huit ans après la première demande d’asile, il a pris conscience
de son orientation sexuelle et a fait une demande d’asile par
lui-même, affirmant qu’il aurait des problèmes s’il retournait en
Somalie. Cela a été considéré comme un motif d’asile spécifique
suffisant, éminemment personnel et qui n’avait pas été traité dans les
procédures précédentes. Cela a donc été considéré comme un fait
nouveau justifiant un nouvel examen de sa demande d’asile.230
229 HCR, UNHCR Guidance Note on Refugee Claims Relating to Sexual Orientation and
Gender Identity, 21 novembre 2008, par. 38.
230 Afdeling bestuursrechtspraak van de Raad van State (Division judiciaire du
Conseil d’Etat) 3 octobre 2003, 200305027/1, Jurisprudentie Vreemdelingenrecht
2004/3, Nieuwsbrief Asiel- en Vluchtelingenrecht NAV 2003/310.
70
7.2.2 L’a u t o r i t é d e l a c h o s e j u g é e
Certains pays possèdent un système d’asile selon lequel un cas
d’asile à propos duquel un jugement a été rendu est considéré
comme relevant de l’autorité de la chose jugée (c’est-à-dire un
cas qui a déjà été jugé). La seule chose qui sera jugée lors d’une
demande ultérieure sera si les déclarations tardives représentent
des « faits ou circonstances nouveaux ». Si la réponse est négative,
la demande ne sera pas examinée ; la crédibilité d’une déclaration
concernant l’orientation sexuelle présentée tardivement n’est
même pas évaluée ou prise en compte. L’Autriche et les Pays-Bas
fournissent des exemples clairs de ce type de cas.
Aux Pays-Bas, les cours inférieures ont reconnu que le coming-out
est un processus qui peut être long, et que différents stades de
conscience peuvent être identifiés (conscient mais pas totalement,
encore en cours d’interrogation, ressentant de l’insécurité et apeuré,
incapable d’en parler, encore en phase d’acceptation, réprimant
l’homosexualité, redoutant les conséquences, en lutte intérieure, etc.)
et que les demandeurs ne sont parfois pas en mesure de parler de
leur orientation sexuelle dès leur arrivée.231
Le Conseil d’Etat néerlandais applique cependant un critère plus
strict : un demandeur qui est conscient (même légèrement) de
sentiments homosexuels devrait le mentionner dès son arrivée,
même lorsqu’il ne les a jamais exprimés auparavant.
Un homme somalien avait toujours été conscient qu’il était différent
et ne regardait que les hommes, mais il n’a exprimé son orientation
sexuelle pour la première fois que plusieurs années après être arrivé
aux Pays-Bas. La cour du district d’Assen a jugé que dans la mesure
où il n’avait pris entièrement conscience de son homosexualité et
s’était comporté en fonction qu’après sa première demande, cela
constituait un fait nouveau.232 Le Conseil d’Etat a cassé ce jugement
231 Rechtbank (Cour régionale) Zwolle, 26 septembre 2007, 06/55693
(Afghanistan) ; Voorzieningenrechter (le juge des mesures provisoires)
Rechtbank (Cour régionale) Groningue, 17 novembre 2006, 06/52447 (Irak) ;
Rechtbank (Cour régionale) Haarlem, 7 décembre 2007, 07/44180 (Angola).
232 Voorzieningenrechter (le juge des mesures provisoires) Rechtbank (cour
régionale) Assen, 2 février 2006, n° 06/54668, appel accordé ; l’IND a fait appel
contre ce jugement.
L a ré vél ation tardive
en appel : dans la mesure où il a déclaré qu’il avait toujours été
conscient de son orientation sexuelle, il aurait pu et aurait dû le
mentionner lors de sa première demande. Le fait qu’il n’ait eu des
relations homosexuelles qu’après avoir passé quelques années aux
Pays-Bas ne change rien à cela.233 Une telle approche ne prend pas
en compte le fait que dans ce cas la révélation tardive était due au
fait que le demandeur n’a pu exprimer son identité de genre pour la
première fois qu’aux Pays-Bas.
Cette question de procédure formaliste peut constituer un obstacle
à l’application pratique de politques libérales concrètes. Bien que
les Pays-Bas aient une politque d’octroi d’asile aux personnes LGBT
originaires d’Iran, cette ligne très stricte dans la pratique judiciaire
concernant des faits et circonstances nouveaux ont souvent pour
conséquence des rejets de demandes tardives de personnes LGBT
iraniennes, non parce que leur orientation sexuelle ou identité de
genre était mise en doute, mais parce qu’elle n’était tout simplement
pas prise en compte.234
En Autriche, le cas d’un homme gay originaire d’Iran a été rapporté ;
celui-ci était arrivé en Autriche en 2001 avec ses parents alors qu’il
était mineur. La demande d’asile a fini par être rejetée en 2009.
Quelques mois plus tard il a fait une nouvelle demande d’asile, car il
n’avait pas mentionné son homosexualité auparavant, bien qu’il en
ait été conscient depuis deux ans. Le bureau fédéral d’asile a rejeté sa
demande considérée comme une relevant de l’autorité de la chose
jugée et a refusé de lancer la procédure. La cour d’asile a annulé
cette décision et a déclaré qu’une procédure détaillée devait être
menée concernant la situation en Iran, et que son homosexualité
nouvellement déclarée était une circonstance nouvelle. La cour
d’asile a estimé :
« Que pour déterminer s’il y a un fait nouveau dans le cas
présent, il ne convient pas seulement de prendre en compte
que le demandeur reconnaît qu’il avait déjà conscience de son
orientation homosexuelle alors que la précédente procédure
n’était pas encore formellement close ; il faudrait considérer
233 Afdeling Bestuursrechtspraak van de Raad van State (Division judiciaire du
Conseil d’Etat), 14 avril 2006, 200601113/1, MigratieWeb ve06000557.
234 Cas d’Iraniens dont l’homosexualité n’a pas été considérée comme un
fait nouveau : Voorzieningenrechter (le juge des mesures provisoires)
rechtbank (cour régionale) ‘s-Gravenhage, siégeant à Assen, 12 septembre
2008, AWB 08/30179, Afdeling Bestuursrechtspraak van de Raad van State
(Division judiciaire du Conseil d’Etat), 10 décembre 2008, 200807075/1,
Jurisprudentie Vreemdelingenrecht 2009/85, MigratieWeb ve09000038 ;
rechtbank (cour régionale) Arnhem, 27 novembre 2009, 09/40762, Afdeling
Bestuursrechtspraak van de Raad van State (Division judiciaire du Conseil
d’Etat), 23 décembre 2009, 200909367/1/V2; rechtbank (cour régionale)
Haarlem, 8 décembre 2009, appel accordé ; l’IND a fait appel contre ce
jugement devant le Conseil d’Etat ; rechtbank (cour régionale) Zwolle, 17 juin
2010, 10/18620, Afdeling Bestuursrechtspraak van de Raad van State (Division
judiciaire du Conseil d’Etat) 8 juillet 2010, 201006033/1/V2.
comme plus décisif de déterminer quand le demandeur révélé
son homosexualité aux autres pour la première fois, si et à quel
moment il a commencé à avoir une activité homosexuelle, ou
quand son inclination sexuelle est devenu notoire ; ce que les
autorités d’asile n’ont pas tenté de savoir ou déterminer. »235
Cette décision montre qu’un système d’asile s’appuyant sur la notion
d’autorité de la chose jugée n’est pas nécessairement inflexible. La
définition habituelle d’un fait nouveau est un fait qui s’est produit
après la procédure d’asile précédente. L’Asylgerichtshof a décidé que
le moment où ce fait est survenu n’est pas nécessairement celui où
le demandeur a pris conscience de son homosexualité, mais peutêtre celui où il a révélé son orientation sexuelle à son entourage, ou
lorsqu’il a commencé à avoir une activité sexuelle.
7 . 2 . 2 . 1 C o n c l u s i o n
Dans certains Etats membres, l’exigence que le demandeur d’asile
fournisse tous les faits sur lesquels se base sa demande à la première
occasion possible a pour conséquence le rejet de demandes sur la
base procédurale de l’autorité de la chose jugée. Les raisons pour
lesquelles le demandeur a révélé son orientation sexuelle plus tard
ne sont absolument pas prises en compte. Cela peut conduire à
un éloignement qui serait contraire à la Convention des réfugiés, et
exposerait le demandeur à un risque de persécution en raison de son
orientation sexuelle ou de son identité de genre.
Nous sommes conscients du fait que des procédures efficaces sont
dans l’intérêt non seulement des Etats, mais aussi des demandeurs
d’asile. Mais la capacité des demandeurs LGBTI à faire des
déclarations immédiates concernant leurs expériences peut souvent
avoir été limitée par ces expériences en question. Il peut être difficile
pour eux de parler de questions intimes à de parfaits inconnus ;
ils peuvent avoir appris à attendre de la violence à la première
indication sur leur orientation sexuelle ou leur identité de genre ; ils
peuvent souffrir d’homophobie ou de transphobie intériorisée ; ils
peuvent ne pas avoir eu l’occasion de surmonter la honte que leur
socialisation a instillée en eux. Dans les systèmes d’asile qui exigent
que tous les faits pertinents soient révélés immédiatement, l’asile ne
devrait pas être refusé uniquement au motif de la révélation tardive,
lorsque des raisons pertinentes ont été fournies pour l’expliquer. De
telles raisons devraient toujours être prises en compte et devraient
être considérées lorsque c’est possible comme une explication
acceptable de cette réticence initiale.
235 Asylgerichtshof (Cour d’asile) 10 février 2010, E1 217.905-4/2010.
71
L a ré vél ation tardive
Nous tenons à souligner que même au sein d’un système relevant
strictement de l’autorité de la chose jugée, il y a différentes manières
de le faire, comme par exemple en considérant le moment où le
demandeur a révélé son orientation sexuelle ou son identité de
genre à son entourage comme le moment pertinent, c’est-à-dire
comme le moment où un fait nouveau s’est présenté.
Bien que tout dépende de la manière dont l’autorité de la chose
jugée est appliquée en pratique, l’exemple de l’Autriche montre que
maintenir un tel système n’est pas nécessairement incompatible avec
une procédure d’asile sensée.
7.2.3 L a c r é d i b i l i t é
De nombreux demandeurs d’asile LGBTI ne mentionnent pas leur
orientation sexuelle ou leur identité de genre immédiatement.
Pour certains d’entre eux, cela n’entrave pas la décision d’asile, par
exemple lorsque la révélation tardive est considérée comme une
phase de leur processus de coming out, ou lorsque les raisons pour
lesquelles ils hésitaient au départ sont acceptées et considérées
comme crédibles. Les autres sont soupçonnés de vouloir « renforcer »
leurs motifs d’asile et leur demande est donc rejetée en raison d’un
manque de crédibilité.
Nous avons rencontré ce type de cas de suspicion dans presque tous
les Etats membres. Voici une illustration de cette pratique :
En Irlande, la cour d’appel des réfugiés a rejeté l’appel d’un
homosexuel pakistanais notamment au motif qu’il n’avait pas fait de
demande d’asile dès son arrivée en Irlande, mais qu’il avait occupé
un emploi pendant une période de temps considérable, et que c’est
seulement lorsqu’il a été arrêté et soupçonné d’immigration illégale
qu’il a fait une demande d’asile. La cour n’a pas accepté l’explication
fournie par le demandeur, selon laquelle sa révélation tardive était
due au fait qu’il venait juste d’accepter sa sexualité à son arrivée en
Irlande et après avoir eu sa première relation homosexuelle.236
Au Danemark, il est assez courant que les demandeurs d’asile LGBT
ne mentionnent leur orientation sexuelle que plus tard au cours de
la procédure. Cela pose toujours problème, car il peut être difficile
de distinguer les demandeurs véritablement LGBT de ceux qui
« ajoutent l’homosexualité » à leur demande pour améliorer leurs
chances d’obtenir le statut de réfugié.237
Dans un cas néerlandais, une cour régionale a jugé que le
demandeur aurait dû mentionner son orientation sexuelle lors de
l’entretien, même de façon brièvement, par exemple en indiquant
236 Cour d’appel des réfugiés, 2009.
237 Flygtningenævnet (Commission d’appel pour les réfugiés) 1er juin 2004.
72
qu’il y a quelque chose qu’il ne souhaite pas déclarer. Il avait été
informé du fait qu’il pouvait parler librement et ne devrait pas
omettre d’information.238
En Espagne, un homosexuel cubain n’a révélé ses problèmes liés
à la dictature cubaine que dans sa première demande auprès du
bureau d’asile. Ce n’est qu’après que la cour d’appel eut demandé
son admission à la procédure qu’il a expliqué que la véritable raison
de sa demande était la persécution dont il avait fait l’objet dans son
pays d’origine en raison de son orientation sexuelle. Cependant, sa
demande a été rejetée par le bureau d’asile et par la cour nationale
au motif de non crédiblité. Ils ont jugé qu’il immigrait pour des
raisons économiques et ne méritait pas de protection.239
Dans certains cas, la suspicion est néanmoins écartée :
En Roumanie, un demandeur d’asile afghan a fondé sa demande
sur les conflits avec les talibans et l’insécurité en Afghanistan. Sa
demande a été rejetée par le Bureau d’immigration roumain et la
première cour. Au cours de la procédure devant la seconde cour
(Tribunal), il a eu le courage d’élever sa voix concernant les véritables
raisons pour lesquelles il craignait d’être persécuté, c’est-à-dire le
fait d’être homosexuel et travesti dans une société musulmane
fondamentaliste. Il avait eu peur d’en parler plus tôt par crainte et par
honte envers la communauté afghane du centre d’hébergement.
Lors de l’audience, le juge n’a pas douté de la véracité de ses
déclarations, et a considéré son nouveau motif d’asile comme étant
sérieux. Il a reçu une protection subsidiaire en décembre 2010.
Nous avons également rencontré en Italie le cas d’un homosexuel
ayant fait une première demande en 2007 sur d’autres motifs. Sa
demande a été rejetée. En 2009, il a présenté une nouvelle demande
sur la base de son orientation sexuelle : lors de l’entretien individuel,
il a expliqué qu’il n’en avait pas parlé plus tôt car il avait peur que
les personnes du centre d’accueil le découvrent et qu’il subisse des
violences. Il a obtenu le statut de réfugié.240
Le seul demandeur LGBTI à avoir obtenu l’asile en Slovaquie n’avait
révélé son orientation bisexuelle que dans une seonde procédure
d’asile.
En France, la cour d’asile a remarqué que les révélations tardives
recontraient la diffidence, mais que néanmoins les autorités
238 Rechtbank (Cour régionale) ‘s-Gravenhage 24 juin 2009, 09/5070, appel rejeté
par la Afdeling Bestuursrechtspraak van de Raad van State (Division judiciaire
du Conseil d’Etat) 15 septembre 2009, 200905386/1/V2.
239 Audiencia Nacional (Cour nationale) 28 novembre 2008, dossier nº 5265/2005.
240 Commissione territoriale per il riconoscimento della protezione internazionale
di Crotone (Commission territoriale pour la reconnaissance de la protection
internationale de Crotone) décision 2009.
L a ré vél ation tardive
pouvaient accorder l’asile aux demandeurs ayant révélé et/ou
assumé leur orientation sexuelle seulement après leur arivée en
France, parfois longtemps après celle-ci. Ces décisions sont motivées
par la sincérité et la crédibilité de la crainte de la persécution
exprimée, et par le fait que la situation des personnes LGBTI dans le
pays d’origine est particulièrement mauvaise.
Le document britannique sur les politiques reconnaît également
qu’un jugement négatif ne devrait pas être fait en cas de non
révélation au stade de l’étude.244
Dans un cas irlandais, une demande a fait l’objet d’une procédure
accélérée au motif que le demandeur n’avait pas fait de demande
dès que possible après son arrivée. Lors de l’appel, le tribunal a
inversé son jugement au vu de l’explication du demandeur du motif
de sa révélation tardive, c’est-à-dire l’impact de la persécution subie
dans le pays d’origine (l’Egypte), la crainte d’une arrestation et de
la révélation de son orientation sexuelle en Irlande. Le tribunal a
jugé qu’il avait une crainte fondée d’être persécuté en raison de son
orientation sexuelle et lui a accordé le statut de réfugié.241
Les mineurs ayant pris conscience de leur orientation sexuelle ou
de leur identité de genre à l’âge adulte dans le pays d’accueil ont
de bonnes chances d’obtenir le statut de réfugié. Cependant, nous
estimons que pour les demandeurs arrivés dans le pays d’accueil à
l’âge adulte, il est compréhensible qu’ils n’aient pas mentionné leur
orientation sexuelle ou leur identité de genre avant un certain stade
de la procédure, en raison de sentiments de peur, de stigmatisation
ou de honte les ayant empêchés de s’assumer totalement.
7 . 2 . 3 . 1 L e s b o n n e s p r a t i q u e s
Les lignes directrices suédoises en matière d’orientation sexuelle
reconnaissent qu’il peut être difficile de révéler immédiatement
son orientation.242 Cependant, d’apèrs notre expert national pour
la Suède, les décisionnaires suédois ne suivent pas toujours leurs
propres lignes directrices.
Les documents sur les politiques suédoises sur le sujet
reconnnaissent qu’il est courant que l’orientation sexuelle ne soit
invoquée qu’à un stade ultérieur de la procédure d’asile. Dans de
tels cas, la seule révélation tardive ne saurait affecter la crédibilité
du demandeur. Les informations sur le pays d’origine devraient
être prises en compte dans l’évaluation de la révélation tardive,
ainsi que le fait que le demandeur ait une raison valide de ne pas
avoir mentionné son orientation sexuelle plus tôt. Il faut également
prendre en compte que l’orientation homosexuelle ou bisexuelle
peut être un sujet tabou, même dans des sociétés relativement
libérales.243
241 Cour d’appel des réfugiés, 2005.
242 « Dans certains cas, l’homosexualité est mentionnée comme motif d’asile à
un stade relativement avancé de la procédure. Il peut y avoir plusieurs raisons
pour cela, et cela peut être compréhensible. (…) Un demandeur peut ressentir
un sentiment profond de honte concernant son homosexualité. Il est difficile
pour de nombreux demandeurs originaires de pays très répressifs de parler de
leur homosexualité à des inconnus, en particulier ceux représentant l’autorité.
(…) Les violences sexuelles et les insultes dues à l’homosexualités peuvent
être associées à un traumatisme profond et de sentiments de culpabilité
et de honte. Lors de l’enquête, les personnes homosexuelles présentent
souvent l’image d’individus marqués par ce type de préjudices, et peuvent
choisir, consciemment ou non, de ne pas donner les véritables raisons de
leur demande avant un stade ultérieur de la procédure. » Guidelines for
investigation and evaluation of asylum cases in which persecution based on
given sexual orientations is cited as a ground. Migrationsverket (Conseil des
migrations) 28 janvier 2002.
243 Rättschefens rättsliga ställningstagande om förföljelse på grund av homoeller bisexuell läggning, 12 octobre 2009 (RCI 04/2009), déclaration officielle
7 . 3 C o n c l u s i o n
Dans certains cas, la révélation tardive de l’orientation sexuelle ou
de l’identité de genre mène à un jugement négatif concernant leur
crédibilité, tandis que dans d’autres, les raisons de cette révélation
tardive sont acceptées. Il faut noter que dans certains Etats membres,
la méfiance semble être la pratique la plus courante, tandis que dans
d’autres, nos experts nationaux nous ont rapporté une situation
bien plus nuancée. Il ne faut pas considérer comme déraisonnable
en soi le fait qu’une révélation tardive de l’orientation sexuelle ou de
l’identité de genre suscite la prudence du côté des autorités d’asile,
ou que de tels cas soient traités avec plus d’attention. Mais les motifs
de cette révélation tardive doivent toutefois être scrupuleusement
étudiés.
La contribution d’une révélation tardive de l’orientation sexuelle
ou de l’identité de genre au cours de la procédure d’asile à un
jugement de manque de crédibilité est de toute évidence une
question qui doit être étudiée au cas par cas. Il ne peut être exclu
que les demandeurs d’asile fassent de fausses déclarations à un stade
ultérieur de la procédure ; mais de la même manière, on ne peut
exclure que de telles affirmations soient vraies, et que le fait qu’elles
soient tardives soit lié au « processus d’acceptation du demandeur »,
ou à d’autres facteurs qui n’affectent pas la véracité des déclarations.
Un jugement négatif ne saurait donc s’appuyer uniquement sur
le moment auquel le demandeur a présenté ses motifs de fuite
liés à la question LGBTI. Afin de l’établir, il est nécessaire que les
enquêteurs et les décisionnaires soient formés aux questions liées à
l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, y compris le « processus
d’acceptation ».
du directeur des affaires juridiques du Conseil des migrations suédois (http://
www.migrationsverket.se/include/lifos/dokument/www/091019101.pdf ).
244 Voir l’instruction d’asile de l’Agence des frontières du Royaume-Uni sur ‘Sexual
Orientation issues in the asylum claim’, page 11 (6 octobre 2010, révisé le 13
juin 2011)
73
L a ré vél ation tardive
R e c o m m a n d at i o n s
–– Les raisons de la révélation tardive devraient être considérées
attentivement, avec un intérêt particulier pour les facteurs
pertinents ajouté par le demandeur.
–– Le concept « d’éléments nouveaux » de l’article 32(3) de la
directive procédures ne devrait pas être interprété d’une manière
hautement procédurale, mais au contraire en gardant à l’esprit
l’idée de protection, afin d’éviter une application indument
inflexible du principe d’autorité de la chose jugée.
–– Un jugement de crédibilité négative ne peut s’appuyer
uniquement sur la révélation tardive de l’orientation sexuelle ou
de l’identité de genre.
74
L e s i n f o r m a t i o n s s u r l e p a y s d ’ o r i g i n e
8 L e s i n f o r m a t i o n s s u r l e p a y s d ’ o r i g i n e
Les informations sur le pays d’origine (IPO) sont décisives pour
permettre aux décisionnaires de rapporter une crainte de
persécution déclarée à la situation des droits fondamentaux des
personnes LGBTI dans le pays d’origine. Ainsi, dans les cas où les
demandeurs LGBTI rapportent avoir été persécutés ou poursuivis par
des agents étatiques, de telles informations sont capitales. Il convient
de savoir si l’homosexualité, l’identité transgenre et les autres
orientations sexuelles ou identités de genre non dominantes sont
criminalisées dans le pays d’origine, ou encore quelle est l’attitude
générale des autorités envers les personnes LGBTI, ou si des actes de
persécution sont commis par d’autres citoyens, tels que les proches,
des gangs, les collègues, les voisins ou les camarades de classe.
Dans de tels cas, qui sont nombreux, il est crucial de posséder des
informations sur l’incidence de la persécution par des agents non
étatiques, ainsi que sur l’accessibilité et l’efficacité de la protection
étatique. Des informations sur le pays d’origine indépendantes,
objectives et fiables sont également cruciales lorsque les autorités
compétentes en matière d’asile supposent que le demandeur
pourrait trouver une protection dans une autre région du pays
d’origine (voir chapitre 5). Des informations sur le pays d’origine
concernant la situation juridique et sociale des personnes LGBTI
sont alors nécessaires, ainsi que sur l’accessibilité d’une protection
étatique efficace ou sur la situation dans les différentes régions du
pays.245
En 2004, une femme transgenre roumaine a fait appel à une cour
néerlandaise. Au vu des événements vécus par la demandeuse,
le service d’immigration et de naturalisation (IND) a conclu qu’en
l’absence de données sur la situation des personnes transgenres
en Roumanie, il faut considérer que ce groupe ne rencontre
pas de problèmes. Cependant la cour a montré son désaccord
avec cette idée. Le rapport de Human rights watch de 2002 a
mentionné le fait que les policiers roumains ont souvent recours
à la violence et que les hommes et les femmes homosexuels sont
harcelés par la police. Selon la cour, il n’y avait pas de raison que la
situation des personnes transexuelles soit plus favorable.246
8 . 1 L e s n o r m e s i n t e r n a t i o n a l e s e t e u r o p é e n n e s
La directive qualification de l’UE dispose que l’évaluation devrait tenir
compte de « tous les faits pertinents en lien avec le pays d’origine
245 Voir également N. LaViolette, ‘Independent Human Rights Documentation
and Sexual Minorities: An Ongoing Challenge for the Canadian Refugee
Determination Process’, International Journal of Human Rights 2009-13, p.
437–76.
246 Rechtbank (Cour régionale) Amsterdam, 22 janvier 2004, 02/94109.
lors du jugement de la demande, y compris les lois et règlements du
pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués. »247 La directive
procédures ajoute qu’un examen approprié devrait avoir lieu et qu’à
cette fin « tous les Etats membres devraient s’assurer d’obtenir des
informations précises et actuelles provenant de sources variées, telles
que le HCR, concernant la situation générale des demandeurs d’asile
dans leur pays d’origine. »248
Le Parlement européen a voté en 2011 l’amendement de cet article
comme suit : « Les Etats membres doivent s’assurer que (…) le
personnel examinant les demandes et prenant les décisions soit
conscient et ait la possibilité de demander des conseils si nécessaire
à des experts sur les questions spécifiques, telles que les questions
médicales, culturelles, liées aux enfants, à la religion ou à l’orientation
sexuelle. »249
De plus, les lignes directrices du HCR reconnaissent qu’il est
important de « reconnaître qu’en ce qui concerne les demandes
liées à des questions de genre, le type de preuves habituellement
utilisées dans les autres demandes d’asile peuvent ne pas être
immédiatement disponibles. Les statistiques ou rapports sur
l’incidence de la violence sexuelle peuvent ne pas être disponibles
en raison du faible nombre de cas rapportés, ou du manque
de poursuite. D’autres formes d’information peuvent être utiles,
tels que les témoignages oraux ou écrits d’autres femmes dans
la même situation, d’organisations gouvernementales ou non
gouvernementales ou d’autres recherches indépendantes. »250
8 . 2 L a p r a t i q u e d e s Et a t s
Dans notre questionnaire, nous avons inclus des questions sur la
disponibilité d’informations sur le pays d’origine et sur la manière
dont chaque Etat membre gérait ces informations ou cette absence
d’information.
247 Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes
minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants
des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié
ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection
internationale, et relatives au contenu de ces statuts, article 4(3)(a).
248 Directive 2005/85/EC du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes
minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié
dans les États membres, Article 8(2)(b).
249 Résolution législative du 6 Avril 2011, A7-0085/2011 (amendement de
l’article 9(3)(d). Cependant, dans la proposition de directive modifiée de la
Commission, cette suggestion n’a pas été intégrée, COM (2011) 319 final,
Bruxelles, 1er juin 2011, Article 10(3)(d). La Commission n’a pas expliqué son
refus d’intégrer cette modification, COM (2011) 319 final ANNEX, Bruxelles, 1er
juin 2011.
250 HCR, 2002 Guidelines on International Protection No. 1: Gender-Related
Persecution Within the Context of Article 1A(2) of the 1951 Convention and/or
its 1967 Protocol Relating to the Status of Refugees, para. 37.
75
L e s i n f o r m a t i o n s s u r l e p a y s d ’ o r i g i n e
8.2.1 L e m a n q u e d ’ i n f o r m at i o n s p e r t i n e n t e s s u r l a
s i t u at i o n d e s p e r s o n n e s LGB T I d a n s l e pay s
d ’o r i g i n e
De nombreux exemples de décisions s’appuyant sur l’absence
d’informations précises sur la situation des personnes LGBTI dans
le pays d’origine nous ont été fournis. Le schéma dominant est le
suivant : le manque d’information est considéré comme révélateur
d’une absence de problème pour les personnes LGBTI. Ces exemples
concernent notamment :
En Italie, nous avons eu connaissance du cas d’un homme originaire
du Sierra Leone, dont la demande a été rejetée en première instance
en vertu du raisonnement selon lequel « les circonstances ne sont
pas considérées comme relevant de la persécution, en partie en
raison du manque d’information concernant les homosexuels au
Sierra Leone. »254
Deux hommes homosexuels d’origine vietnamienne ayant fait une
demande d’asile en Roumanie. Ils ont invoqué la persécution des
autorités communistes sur les homosexuels ainsi que les politiques
étatiques contre les homosexuels. Cependant, d’après une enquête
menée par le centre de documentation du Bureau d’immigration
roumain (BITO) sur le site ILGA et le magazine Gay Times en ligne,
aucune information concernant des sanctions pénales en raison d’actes
homosexuels n’était disponible pour le Vietnam. La décision citait un
rapport du département de l’Etat américain de 2008 : « La connaissance
publique de l’homosexualité est faible, et il y a peu de preuves d’une
discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. » La décision concluait :
« Le demandeur a déclaré que les homosexuels étaient persécutés par
la police vietnamienne, alors que d’après Globalgayz.com (consulté en
janvier 2008), la police laisse généralement les homosexuels tranquilles,
au moins à Saïgon. Des informations supplémentaires sur le traitement
par la police vietnamienne n’ont pu être trouvées auprès des sources
consultées. » Les deux demandes ont été rejetées.251
En République tchèque, la cour suprême administrative est arrivée
à la conclusion qu’il n’y a pas de différence entre l’homosexualité
et le transsexualisme dans le cadre de l’évaluation de la demande
d’asile d’un demandeur ukrainien. La décision de la cour s’appuyait
sur les informations sur le pays d’origine, selon lesquelles la société
ukrainienne est tolérante envers l’homosexualité. Il peut donc être
raisonnablement déduit qu’elle est raisonnablement tolérante envers
le transsexualisme ».255
En Espagne, un manque d’information est vite considéré par les
autorités d’asile comme une indication qu’il n’y a pas de problème.
Ainsi, la cour nationale, malgré qu’elle ait reconnu la criminalisation
de l’homosexualité dans le code pénal algérien, a déclaré qu’il n’y
avait pas de persécution car « aucune des sources consultées ne
rapporte de condamnation en Algérie pour sodomie ».252 Par ailleurs,
dans le cas d’un homosexuel cubain, la même cour s’est prévalu
du fait que le bureau d’asile avait présenté un document internet
établissant qu’il n’y avait pas de persécution à Cuba, sans pour autant
la spécifier plus précisément qu’une « source internet ».253
En Allemagne, un manque d’information sur la persécution
débouche parfois sur la conclusion qu’il y a une certaine tolérance
à l’égard du milieu gay et lesbien dans certains pays d’origine,
notamment dans les pays d’Afrique du nord.
251 Décisions du Bureau roumain de l’immigration, février 2010 et juin 2010.
252 Commissione territoriale per il riconoscimento della protezione internazionale
di Milano (Commission territoriale pour la reconnaissance de la protection
internationale de Milan) Décision, juillet 2007. Cependant, le demandeur a
obtenu une protection sur des motifs humanitaires pour des raisons que nous
n’avons pas été en mesure d’identifier.
253 Audiencia Nacional (Cour nationale) 7 novembre 2008, dossier nº 1563/2007.
76
Les quatre exemples suivants illustrent le manque d’information sur
les pays d’origines concernant les demandeurs d’asile transgenres.
En Espagne, les persécutions perpétrées par des agents non
étatiques relèvent uniquement de la « discrimination », et l’asile
n’est pas accordé. C’est ce qui s’est produit dans le cas d’une femme
transgenre originaire du Nicaragua. Elle a subi des discriminations
dans le cadre de l’école, de la santé, du travail et de la famille. Elle est
ensuite devenue prostituée, et a été abusée sexuellement par des
clients et par des policiers. Elle n’avait aucune possiblité d’obtenir
une protection efficace de la part des autorités. Le bureau d’asile
a toutefois déclaré qu’il n’y avait pas persécution, mais seulement
discrimination. La cour nationale est arrivée à la même conclusion,
et a souligné qu’il n’y avait pas de preuve d’une persécution et qu’au
« Nicaragua, il n’y a pas de persécution ou de discrimination en raison
de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. »256
En Suède, des demandes de personnes transgenres originaires d’Iran
ont été rejetées, car en Iran il est possible de subir une opération
de réassignation sexuelle. La situation des personnes transgenres
semble cependant bien plus complexe. Comme indiqué dans le
254 Audiencia Nacional (Cour nationale) 20 mai 2005, dossier nº 414/2003.
255 Cour administrative suprême (République tchèque), 14 novembre 2007,
N° 6 Azs 102/2007. Les cours tchèques ne distinguent généralement pas
suffisamment les différents groupes couverts par le terme LGBTI ; elles ont
tendance à utiliser « gays » comme groupe de référence pertinent pour tous
les cas LGBTI. Dans deux cas concernant des personnes bisexuelles, la SAC
n’a pas tenu compte de la situation particulière des bisexuels et a utilisé les
termes « homosexuel » et « bisexuel » indifféremment (voir la décision de
la SAC du 25 novembre 2008, N° 9 Azs 79/2008 ; et le jugement de la SAC
du 1er avril 2009, N° 2 Azs 5/2009). Il en va de même pour la plupart des
cas de personnes lesbiennes. La SAC a alors tendance à utiliser l’expression
« orientation homosexuelle » afin de regrouper les relations gays et lesbiennes
(voir par exemple le jugement de la SAC du 2 août 2006, N° 3 Azs 268/2005
sur des lesbiennes arméniennes).
256 Audiencia Nacional (Cour nationale) 13 mai 2010, dossier nº 296/2009.
L e s i n f o r m a t i o n s s u r l e p a y s d ’ o r i g i n e
rapport « Unknown people » : les personnes qui transgressent les
normes de genre en Iran ont le choix de vivre de manière criminelle
ou de subir une opération chirurgicale de réassignation sexuelle ».257
Au Royaume-Uni, seuls deux cas de demandes d’asile concernant
des personnes transgenres ont été rapportés. En 2006 dans l’affaire
Rahimi, la cour d’appel a tenu le même raisonnement concernant
les preuves que dans le cas suédois décrétant l’absence de risque en
Iran sur la base de l’existence de procédures chirurgicales :
« Les actes homosexuels sont clairement criminels, mais il y a peu
d’indications qu’une personne d’orientation homosexuelle fasse
l’objet de mauvais traitements ou de persécution sur ce motif.
La situation des transexuels semble très similaire. Ce trouble est
reconnu par l’Etat, qui prévoit un traitement approprié pour ceux
qui souhaitent le suivre. Il y a peu d’indications que le seul fait d’être
transexuel en Iran expose la personne à des mauvais traitements
graves ou à la persécution. »258 En 2007, la cour d’appel a adopté un autre point de vue en accordant
l’appel d’une femme transgenre (désignée de façon erroné par le
pronom « il » par la cour) et renvoyant l’affaire au tribunal, car ses
avocats « avaient démontré l’éventuelle disponibilité de preuves
objectives venant appuyer le cas de la demandeuse, selon lesquelles
les transexuels iraniens risquent le harcèlement ou la persécution
dans leur pays d’origine, y compris de la part de la police. »259
8 . 2 . 1 . 1 L e s b o n n e s p r a t i q u e s
Les cours considèrent parfois qu’une absence d’information ne suffit
pas pour rejeter une demande.
Dans plusieurs cas autrichiens de demandeurs homosexuels
originaires de Gambie, il y avait un sérieux manque d’information
concernant l’homosexualité. Le Bureau fédéral d’asile a émis une
décision négative en raison de ce manque d’information, mais
la cour d’asile a annulé ces décisions et a demandé au bureau
d’asile d’entreprendre des recherches détaillées sur la situation des
homosexuels en Gambie.260
257 Elina Grandin et Anna-Maria Sörberg, Unknown people, The vulnerability of
sexual and gender identity minorities and the Swedish Migration Board’s country
of origin information system (‘Okänt folk, Om förståelse av genusproblematiker
och utsatthet på grunden sexuell läggning och könsidentitet i
Migrationsverkets landinformation’), Migrationsverket, janvier 2010.
258 Rahimi c. Secrétaire d’Etat à l’Intérieur [2006] EWCA Civ 267, para 8, 15 février
2006.
259 AK (Iran) c. Secrétaire d’Etat à l’Intérieur Department [2007] EWCA Civ. 941, 8
juillet 2008, para 28 Appel accordé en renvoi devant le Tribunal pour l’asile et
l’immigration.
260 Asylgerichtshof (Cour d’asile) 9 juin 2010, A2 405.597-2/2010 ; 22 octobre
2009, A2 409.086-1/2009 ; 14 septembre 2009, A2 408.439-1/2009.
Le rapport national néerlandais de 2004 sur l’Azerbaïdjan indique
que le « transsexualisme est un sujet tabou dans la société azerbi. Il
n’a donc pas été possible de trouver des informations sur la situation
des transexuels en Azerbaïan. » A partir de cette information, le
service d’immigration et de naturalisation a conclu qu’il n’y avait
pas d’information disponible sur le transsexualisme dans ce pays.
Cependant, d’après la cour, considérant la formulation du rapport
national, leur position pourrait être considérée comme alarmante. Le
demandeur a obtenu le statut de réfugié.261
Depuis octobre 2010, le ministère de l’Intérieur britannique
reconnaît dans ses instructions sur l’asile : « il est toutefois très
important de noter qu’il peut y avoir très peu de preuves des
mauvais traitements des lesbiennes dans le pays d’origine. Il est
probable que si les hommes homosexuels risquent la persécution,
les lesbiennes, qui sont également un groupe qui ne se conforme
pas à un rôle de genre établi, soient également en danger. »262
Certains pays fournissent des informations spécifiques sur le pays
d’origine concernant les personnes LGBTI.
Au Royaume-Uni, depuis fin 2005, tous les rapports sur les pays
d’origine comportent une section spécifique concernant les dangers
encourus par les personnes LGBTI. Ces rapports sont ensuite utilisés
comme source dans l’approche de la politique du ministère de
l’Intérieur britannique des demandes LGBTI originaires de pays
spécifiques dans des documents intitulés Notes de directives
opériationelles.
Depuis 2001 le tribunal, maintenant l’Upper tribunal (Chambre
d’immigration et d’asile) décide également des cas provenant de
pays spécifiques, nommés orientations importantes par pays.263
Actuellement, la liste concernant les demandes LGB inclut :
l’Afghanistan (hommes gays),264 l’Albanie (lesbiennes),265 l’Erythrée
261 Rechtbank (Cour régionale) Roermond, 4 novembre 2005, n° 02/20771.
262 Ministère de l’Intérieur britannique, Instruction d’asile sur Sexual Orientation
issues in the asylum claim, page 12 (6 octobre 2010, révisé le 13 juin 2011).
263 Les orientations importantes par pays concernent des cas dans lesquels le
tribunal spécialisé sénior au Royaume-Uni entend les preuves concernant
le contexte national du pays d’origine afin de fournir des lignes directrices
sur les risques relatifs à un groupe particulier. De telles lignes directrices
doivent être appliquées à moins qu’une preuve apportée postérieurement à
l’audience permette de s’écarter du jugement du Tribunal. La liste des cas est
exacte à partir du 1er août 2011 <http://www.judiciary.gov.uk/Resources/JCO/
Documents/Tribunals/tribunals-country-guidance-list-updated-130711.pdf>>
264 AJ (risque courus par les homosexuels ) Afghanistan [2009] UKAIT 00001 (appel
accordé à un homme gay après reconnaissance que son compagnon et sa
famille ont été assassinés par les talibans lorsqu’ils ont appris que celui-ci
était homosexuel, que cela viendrait à se savoir à Kaboul s’il s’y installait, que
la capitale ne constituait donc pas une possibilité viable de refuge et que la
discrétion ne serait pas envisageable).
265 MK (lesbiennes) Albanie CG [2009] UKAIT 00036 (appel rejeté d’une lesbienne
albanaise au motif que les preuves du contexte dans le pays d’origine ne
supposaient pas de risque réel. Elle cherche actuellement à faire appel de
77
L e s i n f o r m a t i o n s s u r l e p a y s d ’ o r i g i n e
(hommes gays),266 l’Iran (hommes gays),267 la Jamaïque (hommes
gays 268 et lesbiennes269), le Kenya (hommes gays),270 la Macédoine
(hommes gays),271 la Serbie et le Monténégro (Kosovo) (hommes
gays),272 la Turquie (gay hommes gays),273 l’Ouganda (hommes
gays),274 l’Ukraine (hommes gays).275
En 2006 aux Pays-Bas, le ministère de l’Immigration a déclaré que :
« le ministère des Affaires étrangères essaierait de savoir dans quelle
mesure les autorités offrent aux homosexuels une protection contre
la persécution de la part d’agents non étatiques dans des pays qui
criminalisent l’homosexualité ou qui appliquent des discriminations
ou des peines lourdes. »276 Mais à ce jour, les rapports nationaux
cette décision devant la Cour d’appel.
266 YF (Risque – Apatride – Homosexuel – Clandestin) Erythrée CG [2003] UKIAT 00177
(le demandeur n’a pas attiré l’attention des autorités avant son départ, et ne le
ferait pas a son retour. Il y avait des preuves contradictoires sur les poursuites
et la persécution des hommes gays).
267 RM et BB (Homosexuels) Iran CG [2005] UKIAT 00117 (les hommes gay identifiés
comme tels par les autorités iraniennes courent un risque réel d’arrestation et
de poursuites à leur retour).
268 DW (Hommes homosexuels– Persécution –Protection suffisante) Jamaïque
CG [2005] UKAIT 00168 (appel accordé à un homme gay ayant subi des
persécutions dans le passé. Le Secrétaire d’Etat a reconnu que les autorités en
Jamaïque n’assureraient aucune protection étatique efficace pour les hommes
homosexuels).
269 SW (lesbiennes – demande de HJ et HT) Jamaïque CG [2011] UKUT 00251. Les
lesbiennes (qu’elles le soient réellement ou soient perçues comme telles) font
l’objet de viols correctifs, voire de meurtre, et sont contraintes d’adopter un
schéma de vie hétérosexuel pour échapper aux persécutions (c’est-à-dire avoir
un compagnon, des enfants, ou se marier).
270 JMS (Homosexuel – Comportement – Persécution) Kenya CG [2001] UKAIT 00007
(après avoir reconnu le fait que le demandeur a été détenu et maltraité dans
le passé, la cour a jugé et que les homosexuels discrets ne couraient pas de
risque de poursuites ou de persécution à leur retour).
271 MS (Risque – Homosexualité – Service militaire) Macédoine CG [2002] UKAIT
03308 (la cour a reconnu l’absence de législation pénale prohibant les
actes homosexuels et estimé qu’il n’était pas disproportionné d’éloigner
le demandeur après un an de relation « officielle » avec un ressortissant
britannique. Cependant, l’appel accordé en vertu de l’article 3 de la
Convention européenne des droits de l’homme en s’appuyant sur le fait que
le demandeur serait soumis à une peine de prison d’un an pour avoir déserté
le service militaire et que les conditions d’emprisonnement violaient l’article 3
de ladite Convention.
272 YK et RL (Kosovo – Risques courus par les homosexuels) Serbie et Monténégro CG
[2005] UKIAT 00005 (pas de preuves concernant le contexte national du pays
d’origine en matière de persécution, même émanant de groupes de défense
des droits des lesbiennes et des gays).
273 MS (Risque – Homosexuel) Turquie CG [2002] UKIAT 05654 (le demandeur risque
de faire l’objet de discriminations à son retour, sans pour autant que cela
débouche sur des persécutions, et le fait qu’il ait subi un viol dans le passé
par des policiers ne signifiait aucunement que cela allait nécessairement se
reproduire à l’avenir).
274 JM (Homosexualité : risque) Ouganda CG [2008] UKAIT 00065 (pas de preuve
des arrestations et des poursuites des hommes gays. De plus, le demandeur
se comportera de manière à ne pas enfreindre la loi– approche de la Cour
d’appel dans JM (Ouganda) c. Secrétaire d’Etat à l’Intérieur [2009] EWCA Civ.
1432, mais distinguée par la Cour administrative dans R (sur la demande de SB
(Ouganda)) c. Secrétaire d’Etat à l’Intérieur [2010] EWHC 338 l’Upper Tribunal
(Admin)) détermine actuellement de nouveaux cas relevant de la CG afin
d’analyser le risque actuel en Ouganda.
275 Royaume-Uni (Risque – Homosexuels) Ukraine CG [2003] UKIAT 00005 (pas
de risque réel pour les homosexuels dans les villes du moment qu’ils ne se
« donnent pas en public (sic) »
276 Réponse de la ministre Rita Verdonk du28 novembre 2006 aux questions
78
néerlandais fournissent peu d’informations sur la disponibilité de
la protection étatique pour les personnes LGBT. Aucun rapport ne
donne d’information telle que : « les autorités étatiques sont en
général disposées et/ou capable de protéger les personnes LGBT ».
Les informations rapportées concernent en général les difficultés à
obtenir une protection, comme dans les rapports sur l’Arménie,277 la
Géorgie278 et la Turquie.279
Nous avons également rencontré des cas où les autorités nationales
compétentes en matière d’asile coopéraient avec des ONG LGBT.
Au Royaume-Uni, le groupe britannique pour l’immigration gay
et lesbienne (UKLGIG, une ONG) participe systématiquement aux
réunions avec l’encadrement sur la section « informations sur le
pays d’origine » afin de mettre en évidence les questions liées aux
personnes LGBTI dans les sections dédiées du rapport.
A l’initiative de l’ONG WISH (groupe de travail de solidarité
internationale avec les personnes LGBT),le bureau belge du
Commissariat général pour les réfugiés et les apatrides280 coopère
avec des militantsLGBT de certains pays d’origine africains afin
d’échanger des informations sur la situation spécifique de ces pays.
8.2.2 L’ u t i l i s at i o n d e s i n f o r m at i o n s s u r l e pay s
d ’o r i g i n e
Lorsque des informations sur le pays d’origine sont disponibles,
il est crucial qu’elles soient utilisées de manière appropriée. Nous
avons fait remarquer précédemment que l’absence d’information
ne peut être automatiquement considérée comme signifiant que
les personnes LGBT ne sont pas confrontées à de graves problèmes
dans leur pays d’origine. De la même manière, il a été souligné que
les informations concernant les hommes gays ne peuvent être
parlementaire de Lambrechts du 3 octobre 2006 (Aanhangsel Handelingen II,
2006/07 n° 394).
277 Le rapport national néerlandais sur l’Arménie (août 2010) : Si les homosexuels
demandent l’assistance et la protection de la police, ils n’ont aucune garantie
que celle-ci soit efficace et se tournent donc rarement vers elle. En prenant
contact avec la police ils pourraient se trouver dans une position vulnérable
et courir le risque que les policiers leur fassent du chantage (financier) ou des
menaces de révéler leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Dans
le passé, des rapports ont indiqué que des policiers se sont rendus dans des
lieux de rencontres gays afin de faire du chantage.
278 Le rapport national néerlandais sur la Géorgie (décembre 2009) : Une
personne transexuelle qui se tourne vers la police pour une protection ne
court pas le risque d’être poursuivie uniquement parce qu’elle est transexuelle.
279 Le rapport national néerlandais sur la Turquie (septembre 2010) : La loi et
les autorités turques n’offrent pas de protection suffisante aux personnes
LGBT. En général les personnes LGBT n’osent pas demander de protection.
De nombreuses personnes LGBT ne font pas confiance à la police en raison
des préjugés existants. Même lorsqu’elles dénoncent la discrimination et/ou
les menaces des autorités turques, leurs déclarations ne sont en général pas
prises en considération.
280 Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides (CGRA)/Commissariaat
Generaal voor de Vluchtelingen en de Staatlozen (CGVS).
L e s i n f o r m a t i o n s s u r l e p a y s d ’ o r i g i n e
automatiquement transposées aux situations des demandeurs
lesbiennes, bisexuels, transgenres et intersexués.281
Un autre problème est posé par la tendance à interpréter les
informations disponibles de façon sélective, ou comme indiquant
une absence de danger.
Dans le cas d’un demandeur d’asile originaire du Kazakhstan, le
département des migrations lituanien a émis une décision négative
s’appuyant sur les informations sur le pays d’origine, ignorant les
informations concernant la discrimination envers les homosexuels
au Kazakhstan, les persécutions au travail et à l’école, le fait que les
organisations homosexuelles ne sont pas enregistrées et que la
police ne protège pas les droits des homosexuels.
Dans les cas d’homosexuels iraniens, le code pénal iranien est
souvent cité par exemple dans une négative décision à Chypre en
2009 : « selon la législation iranienne, un délit sexuel ne peut être
prouvé que si quatre témoins étaient présents au cours de l’acte
sexuel, s’il s’est produit dans un espace public et a porté atteinte au
sens de la décence publique. » Cette décision a ignoré que d’après
la législation iranienne, une preuve peut également être obtenue à
partir de la connaissance personnelle du juge de la Charia.
Dans une décision irlandaise rejetant l’appel d’asile d’un
homosexuel kenyan, le tribunal s’est référé aux informations sur
le pays d’origine, selon lesquelles : « Un Article du site internet
« Behind the Mask » mentionne la création récente de Minority
Women in Action (MWIA), une organisation de défense des
droits des lesbiennes et d’autres femmes issues de minorités ou
marginalisées au Kenya, qui a pour « vocation à devenir un refuge
pour de nombreuses lesbiennes », qui font l’objet de discriminations
dans le pays en raison de leur orientation sexuelle. « Cependant,
la pertinence de ce document dans le contexte d’un demandeur
homosexuel de sexe masculin n’a pas été prise en compte ».282
En Espagne, la législation a été modifiée et dispose que dans
les cas de personnes LGBT, les décisions doivent tenir compte
des « circonstances les plus courantes dans le pays d’origine ».
Cependant, les décisionnaires ne tiennent souvent pas compte
des informations sur le pays d’origine, ou les cours accordent plus
281 Comme précisé précédemment, si les informations disponibles ne concernent
que les gays et décrit leur situation comme étant problématique, alors
en l’absence d’informations supplémentaires concernant les personnes
lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexuées, leur situation doit
être considérée comme étant également problématique. Le problème
n’est pas d’utiliser des informations concernant un groupe pour examiner
les demandes de candidats à l’asile d’autres groupes, mais le fait que les
personnes LBTI sont souvent inconsciemment assimilées aux gays.
282 Cour d’appel des réfugiés, 2010.
d’importance aux informations sur le pays d’origine utilisées par le
bureau d’asile qu’à celles présentées par le demandeur d’asile ou
par des ONG soutenant la demande. Par exemple, la cour nationale
a rejeté les informations sur le pays d’origine présentées par un
demandeur, car « elles ne faisaient que rapporter l’intolérance
et la répression générales en Algérie contre les personnes d’une
orientation sexuelle différente, et ne concernent donc pas le
demandeur. »283 Dans d’autres décisions, la même cour a en
revanche accepté les informations générales utilisées par le
gouvernement, malgré le fait que celui-ci ne citait pas ses sources,
et que ces informations étaient très probablement générales et ne
concernaient donc pas le demandeur personnellement.
En dehors des informations sur la criminalisation de l’homosexualité,
des informations fiables sur la situation des personnes LGBTI dans les
pays ayant (récemment) aboli la criminalisation de l’homosexualité
sont nécessaires. Il semble que les autorités compétentes en
matière d’asile n’ont pas toujours suffisamment conscience du
fait que dépénalisation ne rime pas nécessairement avec fin de la
persécution par la société et la police.
Ainsi, en Espagne, le bureau d’asile a attendu le changment du
code pénal nicaraguayen pour refuser toutes les demandes en
provenance de ce pays. Malgré les changements législatifs, la
situation des personnes LGBTI au Nicaragua ne s’était pas améliorée
et l’homophobie et la discrimination/persécution n’ont pas évolué.
Au Danemark, immédiatement après la dépénalisation de
l’homosexualité en Russie au milieu des années 1990, les demandes de
personnes LGBTI ont été rejetées, alors qu’il y avait toujours des preuves
de discrimination et d’agressions de la part d’agents non étatiques et
d’une absence de protection de la part des autorités russes.
8 . 2 . 2 . 1 L e s b o n n e s p r a t i q u e s
En 2003, le secrétaire d’Etat néerlandais pensait que dans la mesure
où des lieux de rencontres pour les homosexuels existaient à Erevan
en Arménie, Erevan constituait une bonne possibilité de protection
pour deux demandeuses lesbiennes. La cour a néanmoins affirmé
son désaccord avec cette position, en jugeant qu’il ne s’agissait pas
d’une indication suffisante pour déduire que la protection était
disponible pour les personnes lesbiennes.284
En Norvège, certains demandeurs d’asile ont obtenu le statut
de réfugié car il y avait un doute sur la situation des personnes
LGBTI dans leur pays d’origine, comme par exemple dans le cas de
demandeurs originaires d’Iran ou du nord de l’Irak.
283 Audiencia Nacional (Cour nationale) 10 décembre 2008, dossier nº 1592/2007.
284 Rechtbank (Cour régionale) Groningue, 18 mars 2003, 02/43135, 02/43145.
79
L e s i n f o r m a t i o n s s u r l e p a y s d ’ o r i g i n e
8 . 3 C o n c l u s i o n
Nous avons rencontré de nombreux exemples indiquant un manque
important d’informations sur le pays d’origine concernant les violations
des droits fondamentaux des personnes LGBTI dans la plupart des pays
que ces personnes fuient. Les informations disponibles concernent
principalement les hommes homosexuels. Les informations sur les
dangers courus par les demandeurs lesbiennes et transgenres sont
très rares, et celles sur les personnes bisexuelles et intersexuées
semblent inexistantes. Afin que les décisionnaires « prennent en
compte tous les éléments pertinents liés au pays d’origine » 285 et pour
obtenir des « informations précises et actuelles »286 sur la situation des
personnes LGBTI dans les pays d’origine les informations sur les pays
d’origine concernant les personnes LGBTI devraient être collectées.
Pour tous les pays dont proviennent les demandeurs d’asile LGBTI, les
informations disponibles sur les organisations de défense des droits
de l’homme, y compris des organisations LGBTI ainsi que des agences
de l’ONU, complétées par les informations recueillies par les postes
diplomatiques des Etats membres, et d’autres formes d’information287
devraient être compilées. Des lignes directrices concernant
l’évaluation des informations provenant de différentes sources (y
compris les limitations inhérentes aux informations collectées par des
représentants diplomatiques) ont été données par la Cour européenne
des droits de l’homme.288 L’une des missions principales du Bureau
européen d’appui en matière d’asile (EASO) étant de collecter des
informations sur les pays d’origine, l’EASO devrait en priorité collecter
ce type d’informations particulièrement problématiques.
•
Les informations sur le pays d’origine doivent s’appuyer sur des
rapports d’organisations de défense des droits de l’homme,
des agences de l’ONU, complétées par des informations
fournies par des postes diplomatiques des Etats membres ainsi
que d’organisations LGBTI locales, lorsqu’elles existent. Ces
informations devraient être complétées par d’autres formes
d’information, tels que les témoignages d’autres lesbiennes, gays,
bisexuels, personnes transgenres ou intersexuées ayant rapporté
à l’oral ou par écrit se trouver dans des situations similaires,
d’organisations gouvernementales ou non gouvernementales ou
de recherches indépendantes.
•
Au regard de l’article 4(3)(a) de la directive qualification,
les informations sur le pays d’origine devraient inclure des
informations sur la criminalisation directe et indirecte de
l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre.
•
Au regard de l’article 4(3)(a) de la directive qualification,
les informations sur le pays d’origine devraient inclure des
informations précises et actuelles sur la situation des personnes
lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées, et en
particulier :
–– l’occurrence de persécution étatique et non étatique
–– l’homophobie et la transphobie au sein des institutions et
agences gouvernementales telles que la police, les prisons et
l’éducation
Tant que les informations sur les pays d’origine concernant les
personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées
seront rares et peu fiables, elles ne devraient pas être considérées
comme une indication qu’il n’y a pas de violation des droits
fondamentaux des personnes LGBTI dans ce pays.
–– l’homophobie et la transphobie dans la vie quotidienne
(dans la rue, au travail, à l’école, à domicile)
–– la disposition et la capacité des autorités à assurer une
protection efficace contre la violence homophobe et
transphobe, et l’accessibilité des personnes lesbiennes, gays,
bisexuelles, transgenres et intersexuées à une telle protection
R e c o m m a n d at i o n s
–– l’accessibilité d’une protection étatique efficace dans
différentes régions du pays, en vue d’une éventuelle
protection interne.
Informations sur le pays d’origine pertinentes
•
Au regard de l’article 4(3)(a) de la directive qualification, des
informations concernant les demandeurs lesbiennes, gays,
bisexuels, transgenres et intersexués doivent être collectées et
diffusées pour tous les pays d’origine.
285 Article 4(3) de la directive qualification, voir ci-dessus.
286 Article 8(2) de la directive procédures voir ci-dessus.
287 Lignes directrices de l’HCR sur la protection internationale : Gender-Related
Persecution within the context of Article 1A(2) of the 1951 Convention and/or its
1967 Protocol relating to the Status of Refugees, 7 mai 2002, par. 37.
288 CEDH 17 juillet 2008, NA c. Royaume-Uni, dem. N° 25904/07, para. 118-122.
80
•
Les informations sur le pays d’origine devraient être spécifiques
à la situation des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles,
transgenres (incluant les femmes et les hommes transgenres et
les travestis) et intersexuées.
L’utilisation appropriée des informations sur le pays d’origine disponibles
L e s i n f o r m a t i o n s s u r l e p a y s d ’ o r i g i n e
•
Tant que les informations sur les pays d’origine disponible sur
la situation des droits fondamentaux des personnes lesbiennes,
gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées seront rares et peu
fiables, elles ne devraient pas être considérées en soi comme
une indication que des violations des droits fondamentaux à
l’encontre de ces groupes ne se produisent pas. Les preneurs de
décisions et les autorités judiciaires devraient garder à l’esprit
que la violence homophobe et transphobe peut être sous
documentée dans certains pays. Le principe du bénéfice du
doute est d’une importance cruciale dans de tels cas.
•
La rareté des informations sur l’application de la criminalisation
de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre ne devrait pas
être interprétée comme une indication que la législation n’est
pas appliquée.
•
Les informations sur le pays d’origine sur la situation des
personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et
intersexuées pertinentes pour un sous-groupe ne peuvent
être considérées comme automatiquement applicables aux
autres sous-groupes, à moins qu’il y ait de bonnes raisons de le
supposer. De la même manière, l’absence d’information sur un
sous-groupe ne doit pas être interprétée comme une preuve
qu’il n’y a pas de danger pour les membres de ce sous- groupe
•
Pour les pays où l’orientation homosexuelle est criminalisée,
tandis que les personnes lesbiennes, bisexuelles, transgenres
et intersexuées ne sont pas mentionnées explicitement dans le
code pénal, il faut supposer qu’elles courent le même risque de
persécution jusqu’à preuve du contraire.
•
Pour les pays où l’orientation sexuelle est criminalisée, tandis
que l’identité de genre n’est pas mentionnée explicitement dans
le code pénal, il faut supposer que les personnes transgenres
et intersexuées courent le même risque de persécution jusqu’à
preuve du contraire.
81
82
L’ac c u e i l
9 L’a c c u e i l
La présente étude s’est concentrée sur le statut de réfugié et de
protection subsidiaire et sur la procédure d’asile, dans le cadre des
questions concernant les personnes LGBTI dans les centres d’accueil, les
centres d’hébergement et les centres de détention. Nous ne pouvons
donc ici qu’attirer l’attention sur certaines questions. Cependant,
nous insistons sur le fait que les rapports nationaux ont clairement
mis en évidence que le harcèlement et la violence homophobe et
transphobe à l’encontre des demandeurs d’asile LGBTI est un problème
grave et largement répandu dans la plupart des pays européens. La
situation des demandeurs d’asile LGBTI dans les centres d’accueil,
d’hébergement et de détention devrait faire l’objet de recherches plus
approfondies et mérite une attention séparée et scrupuleuse.
9 . 1 L e s n o r m e s e u r o p é e n n e s
En ce qui concerne la prévention des incidents violents en centre
d’accueil et d’hébergement, l’article 14 (2) (b) de la directive accueil
actuelle dispose que :
Les Etats membres doivent accorder une attention toute
particulière à la prévention des agressions au sein des locaux et
des centres d’hébergement (…).289
La récente proposition de refonte de la Commission européenne
rend la formulation de ce paragraphe plus explicite concernant la
violence de genre et fondée sur le genre :
Article 18 (3): « Les Etats membres doivent prendre en
considération les aspects liés au genre et à l’âge et la situation
des personnes vulnérables en référence aux demandeurs à
l’intérieur des locaux et des centres d’hébergement (…). » (nous
soulignons)
Article 18 (4): « Les Etats membres doivent prendre les mesures
appropriées pour prévenir les actes d’agression fondés sur le sexe,
y compris les agressions sexuelles, à l’intérieur des locaux et des
centres d’hébergement (…) » (nous soulignons).290
« les États membres tiennent compte de la situation particulière
des personnes vulnérables, telles que les mineurs, les mineurs non
accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes
enceintes, les parents isolés accompagnés de mineurs, les
victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des
maladies physiques graves, des problèmes de santé mentale ou
souffrant de troubles post-traumatiques et les personnes qui ont
subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence
psychologique, physique ou sexuelle. (nous soulignons) »
La dernière version de la Commission européenne propose un
nouvel Article 22 sur l’identification des besoins spéciaux d’accueil
des personnes vulnérables :
« Les États membres instaurent des mécanismes permettant
de déterminer si le demandeur est une personne vulnérable et,
le cas échéant, s’il a des besoins d’accueil particuliers, ainsi que
d’indiquer la nature de ces besoins. Ces mécanismes sont activés
dans un délai raisonnable à compter du dépôt de la demande
de protection internationale. Les États membres veillent à ce
que ces besoins particuliers soient également pris en compte,
conformément aux dispositions de la présente directive, s’ils
deviennent manifestes à une étape ultérieure de la procédure
d’asile. Les États membres font en sorte que les personnes ayant
des besoins particuliers en matière d’accueil bénéficient d’un
soutien adéquat pendant toute la durée de la procédure d’asile et
que leur situation fasse l’objet d’un suivi approprié.»291
Bien que nous ne pensions pas que les demandeurs d’asile LGBTI
sont toujours des personnes vulnérables au sens où l’entend la
directive, nombre d’entre eux devraient être considérés comme
vulnérables en raison de la nature des actes de persécution subis, qui
dans les cas de personnes LGBTI comprennent souvent la torture,
le viol, ou des violences psychologiques, physiques ou sexuelles
graves, pouvant conduire à des troubles post-traumatiques. De plus,
les demandeurs d’asile LGBTI peuvent rencontrer un fort niveau de
discrimination et de tabou dans les centres d’accueil. Pour cette
raison, ils ont souvent des besoins d’accueil spéciaux.
La version actuelle de la directive contient des dispositions pour les
personnes aux besoins spécifiques également désignées comme des
personnes vulnérables. L’article 17 (1) de la directive accueil actuelle
contient une définition ouverte des personnes vulnérables :
Par ailleurs, afin de rendre ces paragraphes plus complets, l’ILGAEurope demande un amendement en vue de mentionner
l’orientation sexuelle ou l’identité de genre explicitement, ainsi que
d’autres formes de violence discriminatoire.292
289 Directive 2003/9/EC du Conseil du 27 janvier 2003 établissant les normes
minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile.
290 Commission européenne, Proposition de directive modifiée du Parlement
européen et du Conseil, établissant les normes minimales pour l’accueil des
demandeurs d’asile (refonte COM (2011)320, 2008/0244 (COD) 1er juin 2011.
291 Commission européenne, proposition modifiée de directive du Parlement
européen et du Conseil établissant des normes pour l’accueil des demandeurs
d’asile (refonte) COM (2011)320, 2008/0244 (COD) 1er juin 2011.
292 Article 18 (3): Lorsque les demandeurs sont logés dans les locaux et centres
d’hébergement mentionnés au paragraphe 1, points a) et b), les États membres
83
L’ac c u e i l
9 . 2 L a p r a t i q u e d e s Et a t s
Les bonnes pratiques rapportées sur ce point sont les suivantes :
Des incidents homophobes et transphobes à l’encontre de
demandeurs d’asile LGBTI dans les centres d’accueil, d’hébergement
et de détention pour étrangers se produisent dans la plupart des
pays européens, comme en témoignent les réponses des experts
nationaux à notre questionnaire.
–– Au bout de six mois au Portugal, les demandeurs d’asile ont
droit aux mêmes prestations sociales que les citoyens portugais.
Ils reçoivent également une aide financière au logement afin de
pouvoir trouver un logement privé et sont autorisés à travailler.
Dans la mesure où le marché du logement n’est pas bloqué
par l’homophobie et la transphobie, cela peut permettre aux
demandeurs LGBTI de se loger dans un lieu où ils se sentent en
sécurité. De la même manière, à Chypre il est possible d’obtenir
une aide financière afin de se loger de façon individuelle.
Il y a souvent exclusion sociale, harcèlement physique et verbal, et
parfois même des abus sexuels, la plupart du temps par d’autres
demandeurs d’asile, en particulier des personnes du même pays
d’origine. En détention, des incidents concernant des membres
du personnel, de la sécurité ou des policiers ont également été
rapportés.
Dans certains pays, les demandeurs d’asile sont hébergés à la
campagne, où les habitants locaux ont une tolérance basse envers
les personnes LGBTI et d’où il n’est pas possible de joindre les ONG
LGBTI de la capitale (cela a été rapporté pour l’Autriche et l’Irlande).
Parfois les demandeurs d’asile LGBTI ont tellement peur des autres
demandeurs qu’ils n’osent pas mentionner leur orientation sexuelle
ou leur identité de genre aux autorités d’asile ; ils ne peuvent
donc pas obtenir le statut de réfugié ou de protection subsidiaire
sur ce motif. Dans certains cas, des personnes transgenres ou
homosexuelles ont été placées dans des chambres individuelles,
ce qui peut fournir un environnement calme et sûr. Dans de
nombreux pays, les demandeurs d’asile peuvent trouver leur propre
hébergement, bien que dans la plupart des pays ils n’ont pas les
moyens financiers nécessaires.
Dans la plupart des pays où il existe un système de plainte, celui-ci
ne fonctionne pas correctement, en partie car les demandeurs d’asile
LGBTI ont souvent peur de révéler leur orientation sexuelle ou leur
identité de genre.
Dans certains pays, il est courant de placer les demandeurs d’asile en
détention pour des périodes de temps variables (Grèce, Hongrie et
Malte). A Malte par exemple, le demandeur ne sera relâché que si
la procédure a duré plus de douze mois. Dans ces pays, la situation
précaire des demandeurs LGBTI en détention est particulièrement
aiguë.
tiennent compte des aspects liés au sexe et à l’âge, ainsi que de la situation des
personnes vulnérables.). Article 18 (4) : Les États membres prennent des mesures
appropriées en vue de la prévention de la violence et des actes d'agression fondés
sur le sexe, y compris les violences sexuelles, à l'intérieur des locaux et centres
d'hébergement mentionnés au paragraphe 1, points a) et b).
ILGA Europe, Policy Paper: The recast of the EU asylum Procedure and Reception
Directives, July 2011. http://www.ilga-europe.org/home/publications/policy_
papers/the_recast_of_the_eu_asylum_procedure_and_reception_directives_
july_2011.
84
–– En Belgique et en Finlande, les personnes coupables de
harcèlement peuvent être déplacées dans un autre centre, au
lieu que ce soit le cas de la victime (ce qui est la « solution »
habituelle).
–– En Italie, un centre d’éloignement possède une section séparée
pour les demandeurs d’asile transgenres (Milan). Dans la mesure
où ils ne risquent pas de subir de harcèlement et de violence,
cela peut contribuer à la sécurité des hommes et des femmes
transexuels.
–– La Finlande possède un centre d’accueil pour mineurs et
pour familles avec enfants, où des réunions d’information sont
organisées sur la sexualité et la diversité sexuelle.
–– En Suède, l’organisation nationale LGBT RFSL distribue des
dépliants d’information dans les centres d’asile y compris sur la
possibilité de prétendre à l’asile au motif de l’orientation sexuelle
et de l’identité de genre.
–– En Belgique, il existe un réseau de demandeurs d’asile LGBT
dans les centres d’accueil qui tiennent des réunions mensuelles
(Rainbows United et Oasis). Les frais de déplacement sont pris en
charge par le gouvernement belge.
9 . 3 R e c o m m a n d a t i o n s
•
Les autorités d’accueil des Etats membres devraient accorder une
attention particulière aux besoins spécifiques des demandeurs
d’asile lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués
dans les centres d’accueil, d’hébergement et de détention, et
devraient créer des procédures, lignes directrices et modules de
formation appropriés, afin de gérer ces besoins spécifiques.
L’ac c u e i l
•
Dans la mesure où de nombreux incidents homophobes
et transphobes sont rapportés dans les centres d’accueil,
d’hébergement et de détention, les besoins spécifiques
correspondants liés à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre
devraient être traités explicitement dans la nouvelle version de la
directive accueil, tandis que la prévention et la protection contre
les agressions homophobes et transphobes devrait être assurée
dans les centres d’accueil.
•
Les Etats membres doivent mettre en place un système de
plainte efficace pour gérer le harcèlement et la violence
à l’encontre des demandeurs lesbiennes, gays, bisexuels,
transgenres et intersexués dans les centres d’accueil,
d’hébergement et de détention.
•
Les demandeurs lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et
intersexués doivent avoir la possibilité d’être placés dans une
chambre individuelle ou dans un autre logement s’ils subissent
du harcèlement ou de la violence dans leur logement initial ;
ou bien les agresseurs doivent être déplacés dans un autre
logement.
•
Les Etats membres devraient faciliter le travail des organisations
lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées dans les
centres d’accueil, d’hébergement et de détention.
85
86
Recommandations
R e c o m m a n d at i o n s
Ce texte regroupe toutes les recommandations énoncées dans les
chapitres précédents.
Générales
Au regard de l’article 3 du règlement 439/2010 établissant un Bureau
européen d’appui en matière d’asile, ledit bureau devrait s’attacher
en priorité à promouvoir et coordonner l’identification et la mise en
commun des bonnes pratiques concernant l’examen des demandes
d’asile de personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et
intersexuées.
L a c r i m i n a l i s at i o n
• L’article 4(3)(a) de la directive qualification devrait être appliqué
de façon à accorder le statut de réfugié aux demandeurs d’asile
lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués originaires
de pays où l’orientation sexuelle ou l’identité de genre sont
criminalisées, ou encore où les dispositions pénales générales
sont utilisées pour poursuivre les personnes en raison de leur
orientation sexuelle ou de leur identité de genre.
•
Les pays d’origine criminalisant l’orientation sexuelle ou l’identité
de genre ne peuvent être considérés comme des « pays
sûrs » pour les demandeurs d’asile lesbiennes, gay, bisexuels,
transgenres et intersexués.
L a p r o t e c t i o n é tat i q u e c o n t r e l e s p e r s é c u t i o n s n o n
é tat i q u e s
• L’article 7 de la directive qualification devrait être appliqué de
sorte que les demandeurs d’asile lesbiennes, gays, bisexuels,
transgenres et intersexués n’aient l’obligation demander
la protection des autorités de leur pays que s’il a été établi
qu’une protection efficace et d’une nature non temporaire est
généralement offerte aux personnes lesbiennes, gay, bisexuelles,
transgenres et intersexuées dans le pays concerné.
•
•
L’article 7 de la directive qualification devrait être appliqué de
sorte que, pour les pays où l’orientation sexuelle ou l’identité de
genre sont criminalisées, les demandeurs d’asile lesbiennes, gays,
bisexuels, transgenres et intersexués n’aient pas d’obligation de
demander la protection des autorités nationales de leur pays.
L’article 7 de la directive qualification devrait être appliqué
de sorte que lorsque des agents de protection potentiels
sont susceptibles d’être homophobes ou transphobes, les
demandeurs d’asile lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et
intersexués ne soient pas soumis à l’obligation d’avoir demandé
la protection des autorités.
L’ e x i g e n c e d e d i s c r é t i o n
• L’élément de la crainte fondée de la définition de réfugié devrait
être appliqué de manière à ce que les demandeurs lesbiennes,
gays, bisexuels, transgenres et intersexués n’aient pas l’obligation
de cacher leur orientation sexuelle ou leur identité de genre ou
ne soient pas censés ou supposés le faire à leur retour dans leur
pays d’origine afin d’éviter la persécution.
•
L’élément du motif de persécution de la définition de réfugié
devrait être appliqué de manière à ce que les demandeurs
lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués n’aient pas
l’obligation d’avoir déjà révélé leur orientation sexuelle ou leur
identité de genre dans leur pays d’origine.
La protection interne
• L’article 8 de la directive qualification devrait appliquer de façon
à ce que la protection interne soit jugée indisponible dans les
cas de demandeurs lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et
intersexués originaires de pays criminalisant l’orientation sexuelle
ou l’identité de genre.
•
Dans tous les autres cas, les autorités décisionnaires devraient
procéder à une évaluation soigneuse de la situation des
personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et
intersexuées dans la région de protection interne proposée, y
compris le fait de savoir si une protection étatique efficace y est
accessible pour eux.
•
Il ne devrait pas être attendu ou supposé que les demandeurs
d’asile cachent leur orientation sexuelle ou leur identité de genre
dans la région de protection interne afin de se protéger de la
persécution.
La crédibilité
• D’une manière générale, la détermination de l’orientation
sexuelle ou l’identité de genre devrait s’appuyer sur l’autoidentification de la part du demandeur.
•
Les opinions des experts médicaux et psychiatriques sont des
méthodes inadéquates et inappropriées pour établir l’orientation
sexuelle ou l’identité de genre du demandeur.
•
Les enquêteurs, les preneurs de décisionnaires, le corps judiciaire
et les assistants juridiques doivent être compétents et capables
de prendre en compte les aspects liés à l’orientation sexuelle
et à l’identité de genre des demandes d’asile, y compris le
processus de coming out et les besoins spécifiques de personnes
87
Recommandations
lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées. A cette
fin, ils devraient recevoir une formation professionnelle, tant
dans un module de formation initiale spécifique qu’au cours des
modules de formation continue généraux.
•
Le fait qu’un demandeur manque de connaissance quant aux
organisations ou lieux de rencontres lesbiens, gays, bisexuels,
transgenres ou intersexués ne peut en soi être considéré comme
une indication que la crainte rapportée par le demandeur d’être
persécuté en raison de son orientation sexuelle ou de son
identité de genre n’est pas crédible.
•
Le fait qu’un demandeur soit ou ait été marié ou cohabite avec
une personne du sexe opposé dans une relation hétérosexuelle,
et ait éventuellement des enfants issus de cette relation, ne
devrait en aucun cas exclure le fait qu’elle puisse être lesbienne,
gay, bisexuelle, transgenre ou intersexuée.
•
Lors de l’entretien personnel tel que prévu par l’article 12 de la
directive procédures, les demandeurs lesbiennes, gays, bisexuels,
transgenres et intersexués devraient avoir la possibilité de décrire
la manière dont s’est construite leur orientation sexuelle ou leur
identité de genre, notamment les réactions de l’entourage ; les
expériences problématiques, le harcèlement, la violence ; et les
sentiments de différence, de stigmatisation, de peur et de honte.
•
Les informations sur le pays d’origine doivent s’appuyer sur des
rapports d’organisations de défense des droits de l’homme,
des agences de l’ONU, complétées par des informations
fournies par des postes diplomatiques des Etats membres ainsi
que d’organisations LGBTI locales, lorsqu’elles existent. Ces
informations devraient être complétées par d’autres formes
d’information, tels que les témoignages d’autres lesbiennes, gays,
bisexuels, personnes transgenres ou intersexuées ayant rapporté
à l’oral ou par écrit se trouver dans des situations similaires,
d’organisations gouvernementales ou non gouvernementales ou
de recherches indépendantes.
•
Au regard de l’article 4(3)(a) de la directive qualification,
les informations sur le pays d’origine devraient inclure des
informations sur la criminalisation directe et indirecte de
l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre.
•
Au regard de l’article 4(3)(a) de la directive qualification,
les informations sur le pays d’origine devraient inclure des
informations précises et actuelles sur la situation des personnes
lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées, et en
particulier :
–– l’occurrence de persécution étatique et non étatique
–– l’homophobie et la transphobie au sein des institutions et
agences gouvernementales telles que la police, les prisons et
l’éducation
L a r é v é l at i o n ta r d i v e
• Les raisons de la révélation tardive devraient être considérées
attentivement, avec un intérêt particulier pour les facteurs
pertinents ajouté par le demandeur.
•
•
Le concept « d’éléments nouveaux » de l’article 32(3) de la
directive procédures ne devrait pas être interprété d’une manière
hautement procédurale, mais au contraire en gardant à l’esprit
l’idée de protection, afin d’éviter une application indument
inflexible du principe d’autorité de la chose jugée.
–– la disposition et la capacité des autorités à assurer une
protection efficace contre la violence homophobe et
transphobe, et l’accessibilité des personnes lesbiennes, gays,
bisexuelles, transgenres et intersexuées à une telle protection
Un jugement de crédibilité négative ne peut s’appuyer
uniquement sur la révélation tardive de l’orientation sexuelle ou
de l’identité de genre.
–– l’accessibilité d’une protection étatique efficace dans
différentes régions du pays, en vue d’une éventuelle
protection interne.
I n f o r m at i o n s s u r l e s pay s d ’o r i g i n e
Informations sur le pays d’origine pertinentes
•
88
–– l’homophobie et la transphobie dans la vie quotidienne
(dans la rue, au travail, à l’école, à domicile)
Au regard de l’article 4(3)(a) de la directive qualification, des
informations concernant les demandeurs lesbiennes, gays,
bisexuels, transgenres et intersexués doivent être collectées et
diffusées pour tous les pays d’origine.
•
Les informations sur le pays d’origine devraient être spécifiques
à la situation des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles,
transgenres (incluant les femmes et les hommes transgenres et
les travestis) et intersexuées.
L’utilisation appropriée des informations sur le pays d’origine disponibles
Recommandations
•
•
•
Tant que les informations sur les pays d’origine disponible sur
la situation des droits fondamentaux des personnes lesbiennes,
gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées seront rares et peu
fiables, elles ne devraient pas être considérées en soi comme
une indication que des violations des droits fondamentaux à
l’encontre de ces groupes ne se produisent pas. Les preneurs de
décisions et les autorités judiciaires devraient garder à l’esprit
que la violence homophobe et transphobe peut être sous
documentée dans certains pays. Le principe du bénéfice du
doute est d’une importance cruciale dans de tels cas.
La rareté des informations sur l’application de la criminalisation
de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre ne devrait pas
être interprétée comme une indication que la législation n’est
pas appliquée.
Les informations sur le pays d’origine concernant sur la situation
des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et
intersexuées pertinentes pour un sous-groupe ne peuvent
être considérées comme automatiquement applicables aux
autres sous-groupes, à moins qu’il y ait de bonnes raisons de le
supposer. De la même manière, l’absence d’information sur un
sous-groupe ne doit pas être interprétée comme une preuve
qu’il n’y a pas de danger pour les membres de ce sous- groupe
•
Pour les pays où l’orientation homosexuelle est criminalisée,
tandis que les personnes lesbiennes, bisexuelles, transgenres
et intersexuées ne sont pas mentionnées explicitement dans le
code pénal, il faut supposer qu’elles courent le même risque de
persécution jusqu’à preuve du contraire.
•
Pour les pays où l’orientation sexuelle est criminalisée, tandis
que l’identité de genre n’est pas mentionnée explicitement dans
le code pénal, il faut supposer que les personnes transgenres
et intersexuées courent le même risque de persécution jusqu’à
preuve du contraire.
correspondants liés à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre
devraient être traités explicitement dans la nouvelle version de la
directive accueil, tandis que la prévention et la protection contre
les agressions homophobes et transphobes devrait être assurée
dans les centres d’accueil.
•
Les Etats membres doivent mettre en place un système de
plainte efficace pour gérer le harcèlement et la violence
à l’encontre des demandeurs lesbiennes, gays, bisexuels,
transgenres et intersexués dans les centres d’accueil,
d’hébergement et de détention.
•
Les demandeurs lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et
intersexués doivent avoir la possibilité d’être placés dans une
chambre individuelle ou dans un autre logement s’ils subissent
du harcèlement ou de la violence dans leur logement initial ;
ou bien les agresseurs doivent être déplacés dans un autre
logement.
•
Les Etats membres devraient faciliter le travail des organisations
lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées dans les
centres d’accueil, d’hébergement et de détention.
Accueil
• Les autorités d’accueil des Etats membres devraient accorder une
attention particulière aux besoins spécifiques des demandeurs
d’asile lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués
dans les centres d’accueil, d’hébergement et de détention, et
devraient créer des procédures, lignes directrices et modules de
formation appropriés, afin de gérer ces besoins spécifiques.
•
Dans la mesure où de nombreux incidents homophobes
et transphobes sont rapportés dans les centres d’accueil,
d’hébergement et de détention, les besoins spécifiques
89
90
Annexe I : Liste des experts nationaux
ANNEXE I L i s t e d e s e x p e r t s n a t i o n a u x
Autriche
Judith Ruderstaller
Directrice du service juridique, Asyl in Not
[email protected]
B e lg i q u e
Jan Beddeleem
Président de WISH, Werkgroep Internationale Solidariteit met
Holebi´s, Groupe de travail de solidarité international avec les
personnes LGBT
[email protected]
B u lg a r i e
Desislava Petrova
Chercheuse, directrice de campagne et de la communication et
formatrice, Comité Helsinki bulgare
[email protected]
Chypre
Corina Drousiotou
Conseillère juridique, Future World’s Center
[email protected]
République tchèque
David Kosař
Chercheur en droit des réfugiés, spécialisé dans les persécutions par
les agents non étatiques et le droit de l’Union européenne
[email protected]
Danemark
Søren Laursen
LBL Danemark – Organisation nationale danoise pour les personnes
LGBT
[email protected]
Finlande
Outi Lepola
Chercheuse en sciences sociales spécialisée dans les discriminations
et l’asile
[email protected]
France
Thomas Fouquet-Lapar
Président de l’Association pour la Reconnaissance des Droits des
personnes Homosexuelles & transsexuelles à l’Immigration et au
Séjour (ARDHIS)
[email protected]
Flor Tercero
Avocat
[email protected]
Allemagne
Michael Kalkmann
Informationsverbund Asyl und Migration (réseau d’information pour
l’asile et les migrations)
[email protected]
Klaudia Dolk
Informationsverbund Asyl und Migration (réseau d’information pour
l’asile et les migrations)
[email protected]
Grèce
Spyros Koulocheris
Chercheur sénior en droit, Conseil grec des réfugiés
[email protected] / [email protected]
Hongrie
Gábor Gyulai
Coordinateur du programme pour les réfugiés, Comité Helsinki
hongrois
[email protected]
Irlande
Patricia Brazil
Avocat, Maître de conférences en droit des réfugiés à Trinity College,
Dublin
[email protected]
Israël
Anat Ben-Dor
Avocat, Clinique pour le droit des réfugiés, Université de Tel Aviv
[email protected]
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Annexe I : Liste des experts nationaux
Ita l i e
Simone Rossi
Avocat, Association des avocats italiens pour les droits LGBT « Rete
Lenford »
[email protected]
Giorgio Dell’Amico
Directeur national du service immigration, Arcigay (organisation
LGBT nationale)
[email protected]
Lituanie
Laurynas Bieksa
Avocat, Département d’asile, Croix rouge lituanienne
[email protected]
Lyra Jakuleviciene
Professeur en droit international et européen Mykolas Romeris
University
[email protected]
M a lt e
Neil Falzon
Avocat, Assistant Maître de conférences (Université de Malte) et
Président d’Aditus (ONG de défense des droits de l’homme)
[email protected]
Pay s - B a s
Sabine Jansen
Avocat, Agent de politique pour les personnes LGBTI et l’asile, COC
Pays-Bas, organisation LGBT nationale
[email protected] ou [email protected]
Portugal
Nuno Ferreira
Maître de conférence en droit, Université de Manchester
[email protected]
Roumanie
Cristina Bucataru
Conseillère juridique, Conseil national roumain pour les réfugiés
[email protected]
S lo v é n i e
Gruša Matevžic
Juriste, Comité Helsinki hongrois
[email protected]
S lo v a q u i e
Katarína Fajnorová
Avocate, The Human Rights League Slovaquie
[email protected]
E s pa g n e
Arsenio García Cores
Avocat, CEAR, Conseil espagnol pour les réfugiés
[email protected]
Elena Muñoz
Avocate, CEAR, Conseil espagnol pour les réfugiés
[email protected]
Suède
Stig-Åke Petersson
Conseiller d’asile, RSFL, organisation nationale suédoise LGBT
[email protected]
Norvège
Jon Ole Martinsen
SEIF (Selvhjelp for innvandrere og flyktninger) ONG soutenant les
migrants et les réfugiés
[email protected]
Suisse
Seraina Nufer
Avocate, Conseil suisse pour les réfugiés
[email protected]
P o lo g n e
Krzysztof Smiszek
Président de la Société polonaise du droit contre les discriminations
[email protected] ou [email protected]
R o ya u m e - U n i
S. Chelvan
Avocat, No5 Chambers
[email protected]
Kazimierz Bem
Chercheur en droit des réfugiés
[email protected]
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A n n e x e II : C o m i t é c o n s u l t a t i f
A n n e x e II C o m i t é c o n s u l t a t i f
S . C h e lv a n
Avocat au Inner Temple, No5 Chambers
Londres, Royaume-Uni
Joël Le Déroff
Agent des politiques & programmes
ILGA-Europe
Maria Hennessy
Juriste sénior
Conseil européen sur les réfugiés et les exilés
Borbála Ivány
Juriste
Comité Helsinki hongrois
Simone Rossi
Avocat
Association d’avocats italiens pour les droits des personnes LGBT
« Rete Lenford »
G i s e l a T h ät e r
Juriste, Division of de la Protection internationale
HCR
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