Gustave Flaubert , Madame Bovary, III, 5 (1857)

Transcription

Gustave Flaubert , Madame Bovary, III, 5 (1857)
ÉPREUVE SUR CORPUS
La ville : un univers hostile ou un lieu d’évasion?
Texte 1 : Montesquieu
RICA A IBBEN
A Smyrne.
Nous sommes à Paris depuis un mois, et nous avons toujours été dans un mouvement continuel. Il
faut bien des affaires avant qu'on soit logé, qu'on ait trouvé les gens à qui on est adressé, et qu'on se
soit pourvu des choses nécessaires, qui manquent toutes à la fois.
Paris est aussi grand qu'Ispahan: les maisons y sont si hautes, qu'on jugerait qu'elles ne sont habitées
que par des astrologues. Tu juges bien qu'une ville bâtie en l'air, qui a six ou sept maisons les unes
sur les autres, est extrêmement peuplée; et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s'y
fait un bel embarras.
Tu ne le croirais pas peut-être, depuis un mois que je suis ici, je n'y ai encore vu marcher personne.
Il n'y a pas de gens au monde qui tirent mieux partie de leur machine que les Français; ils courent,
ils volent: les voitures lentes d'Asie, le pas réglé de nos chameaux, les feraient tomber en syncope.
Pour moi, qui ne suis point fait à ce train, et qui vais souvent à pied sans changer d'allure, j'enrage
quelquefois comme un chrétien: car encore passe qu'on m'éclabousse depuis les pieds jusqu'à la
tête; mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement.
Un homme qui vient après moi et qui me passe me fait faire un demi-tour; et un autre qui me croise
de l'autre côté me remet soudain où le premier m'avait pris; et je n'ai pas fait cent pas, que je suis
plus brisé que si j'avais fait dix lieues. ( ...)
Montesquieu, Les lettres persanes, 1721
Texte 2
Gustave Flaubert , Madame Bovary, III, 5 (1857)
[Emma se rend chez Léon, à Rouen]
Puis, d'un seul coup d’œil, la ville apparaissait.
Descendant tout en amphithéâtre et noyée dans le brouillard, elle s'élargissait au-delà des ponts,
confusément. La pleine campagne remontait ensuite d'un mouvement monotone, jusqu'à toucher au loin la
base indécise du ciel pâle. Ainsi vu d'en haut, le paysage tout entier avait l'air immobile comme une peinture;
les navires à l'ancre se tassaient dans un coin ; le fleuve arrondissait sa courbe au pied des collines vertes,
et les îles, de forme oblongue, semblaient sur l'eau de grands poissons noirs arrêtés. Les cheminées des
usines poussaient d'immenses panaches bruns qui s'envolaient par le bout. On entendait le ronflement des
fonderies avec le carillon clair des églises qui se dressaient dans la brume. Les arbres des boulevards, sans
feuilles, faisaient des broussailles violettes au milieu des maisons, et les toits, tout reluisants de pluie,
miroitaient inégalement, selon la hauteur des quartiers. Parfois un coup de vent emportait les nuages vers la
côte Sainte-Catherine, comme des flots aériens qui se brisaient en silence contre une falaise.
Quelque chose de vertigineux se dégageait pour elle de ces existences amassées, et son cœur s'en gonflait
abondamment, comme si les cent vingt mille âmes qui palpitaient là lui eussent envoyé toutes à la fois la
vapeur des passions qu'elle leur supposait. Son amour s'agrandissait devant l'espace, et s'emplissait de
tumulte aux bourdonnements vagues qui montaient. Elle le reversait au dehors, sur les places, sur les
promenades, sur les rues, et la vieille cité normande s'étalait à ses yeux comme une capitale démesurée,
comme une Babylone où elle entrait. Elle se penchait des deux mains par le vasistas, en humant la brise ;
les trois chevaux galopaient, les pierres grinçaient dans la boue, la diligence se balançait, et Hivert, de loin,
hélait les carrioles sur la route, tandis que les bourgeois qui avaient passé la nuit au bois Guillaume
descendaient la côte tranquillement, dans leur petite voiture de famille.
Texte 3
Charles Baudelaire (1821-1867)
Petits poèmes en prose (Le spleen de Paris),
Épilogue
Le cœur content, je suis monté sur la montagne
D'où l'on peut contempler la ville en son ampleur,
Hôpital, lupanar, purgatoire, enfer, bagne,
Où toute énormité fleurit comme une fleur.
Tu sais bien, ô Satan, patron de ma détresse,
Que je n'allais pas là pour répandre un vain pleur
Mais comme un vieux paillard d'une vieille maîtresse,
Je voulais m'enivrer de l'énorme catin
Dont le charme infernal me rajeunit sans cesse.
Que tu dormes encor dans les draps du matin,
Lourde, obscure, enrhumée, ou que tu te pavanes
Dans les voiles du soir passementés d'or fin,
Je t'aime, ô capitale infâme! Courtisanes
Et bandits, tels souvent vous offrez des plaisirs
Que ne comprennent pas les vulgaires profanes.
Texte 4
Italo Calvino, Le cittainvisibili,1972
Pensai : « Se Adelma è unacittachevedo in segno, dove non s’incontranochemorti, il sogno mi fa
paura. Se Adelma è unacittavera, abitata da vivi, bastera continuare a fissarliperchè le somiglianze
si dissolvanoappaionofacceestreane, apportatrici d’angoscia. In un caso e nell’altro è meglioche
non insista a guadarli.3
(…)
Pensai : « Si arriva a un momentodellavita in cuitra la gente che si è consciutaimorti sono piu dei
vivi . E la mente si rifiuta d’accetarealtrefisionome, altreespressioni : su tutte le faccenuove que
incontra, imprime i vecchicalchi, per ognunatrova la mascherache s’adatta di piu. »
Document iconographique :
 Doisneau, Bistrot à Arcueil
RÉDACTION DE L’ ESSAI BREF
La ville: un univers hostile ou un lieu d'évasion?
"Comme remède à la vie en société, je suggère les grandes villes: c'est le seul désert à notre
portée." (A. Camus). Le thème de la vraie essence de la ville nous est présenté à travers cinq
documents différents: un extrait du roman "Les Lettres Persanes" de Montesquieu (1721); un
passage de "Madame Bovary" écrit en 1857 par Gustave Flaubert; le "Epilogue" des "Petits
poèmes en prose" de Baudelaire; un texte italien tiré par "Le città invisibili" de Italo Calvino
(1972); le document iconographique titré "Bistrot à Arcueil", réalisé par le peintre Doisneau.
L'ensemble proposé nous stimule ainsi une question: on devrait considérer la ville comme un
univers blâmable à éviter, ou bien un lieu plaisant et d'évasion? Tout d'abord, on va aborder le
sujet de la ville comme un lieu hostile pour passer, ensuite, à remarquer son caractère positif.
En pensant à la ville, il nous vient à l'esprit l'image d'un lieu extrêmement tumultueux où le
chaos et la confusion règnent incontrôlés. En particulier, cet aspect hostile et défavorable de la
ville nous est illustré par Montesquieu dans le premier document, c’est-à-dire, la lettre de Rica à
Ibben, dans laquelle l’auteur critique l’excessif surpeuplement et agitation qui font de Paris une
ville frénétique et, conséquemment, invivable. Elle est caractérisée par des “maisons hautes” et
imposantes comme celles des “astrologues”, qui semblent avoir été bâties en posant “six ou sept
maisons les unes sur les autres”. De surcroît, les rues pullulent de “voitures” qui “courent, volent”
d’un côté à l’autre à une vitesse exceptionnelle, et de gens qui se précipitent de façon agitée se
donnant des “coups de coude” les uns les autres à plusieurs reprises. De même, Italo Calvino
dégage le caractère haineux de la ville d’Adelma, concernant notamment les habitants que
l’écrivain définit “morts” puisqu’ils font peur avec leurs étranges visages, porteurs d’angoisse:
“appaionofaccestrane, apportatrici d’angoscia”. Cela veut signifier que les personnes qui habitent
dans la ville paraissent complètement dépourvues de toute force vitale, joie, énergie,
personnalité, en raison des “masques” qui rendent leurs visages et expressions toutes égales et
éteintes.
De l’autre côté, de nombreux artistes et écrivains ont mis en relief les aspects paisibles de la
ville, louant cette dernière comme une appétissante source d’évasion de l’ennui et de la
quotidienneté, au moyen de son aspect charmant, des opportunités, des luxes, vices et
divertissements qu’elle offre. À ce propos, un exemple nous est fourni par le texte du document 2,
dans lequel Madame Bovary se retrouve à contempler le majestueux panorama de la ville de
Rouen, qui "s'étalait à ses yeux (...) comme une Babylone" où elle entrait, ville traditionnellement
glorifiée en tant que pleine de tentations et passions, dont Emma même avait soif. En effet,
devant ce spectacle "son cœur s'en gonflait abondamment", en étant profondément attiré par la
beauté du paysage, "une peinture", où la campagne s'accorde parfaitement avec les éléments
urbains, à savoir, les cheminées des usines, les toits des maisons, le carillon de l'église, dont on
percevait images et sons. La même attitude est reconnaissable dans l'œuvre de Baudelaire qui
chante la prospérité de Paris, "capitale infâme" qui, comme "Satan", offre tout type de plaisir
charnel, d'ivresse, grâce à son "charme infernal" démesuré et irrésistible. Le document
iconographique aussi, vise à mettre en valeur l'image réjouissante de la ville, dans la mesure où le
centre urbain favorise le bien-être grâce à plusieurs endroits, comme les bistrots, où l’on se
rencontre et s'amuse.
Pour conclure, en considérant les différents points de vue des auteurs analysés, on a constaté la
double nature qui constitue la ville et qui la rend désagréable et séduisante à la fois. On pourrait,
enfin, élargir la réflexion sur ce thème évoquant la tendance des poètes du Romantisme à
mépriser la ville et la société urbaine, toute vouée aux tracas de la vie mondaine et pourtant
dramatiquement dépourvue de vertus positives et authentiques.
Graziana Chiloiro 5^G 2015-16
Lycée Linguistique International « Aristosseno »
Docenti : prof. SERGIO MULAS-SABINE SCHECK

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