Les Croix de Feu1

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Les Croix de Feu1
Albert KECHICHIAN
le 27 mars 2007
Les Croix de Feu
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Réflexion sur l'épistémologie de l'histoire
– Comment l'historien peut-il les mettre en oeuvre?
Pour l’historien, l'événement ne peut être conçu comme un fait divers, mais un nœud de
tendance, une intrigue. Le dialogue avec les sciences sociales est toujours fécond, mais il faut
savoir se réapproprier ces concepts pour les mettre dans le contexte.
1. Qu'est-ce que le fascisme?
- Patriotisme = confiance dans son régime institutionnel et dans son peuple pour assurer la
sécurité
Il y a lente osmose entre patriotisme, démocratie et libéralisme. Là où il y a régime fasciste, la
construction nationale est récente, les États ont dû faire à la construction nationale, la
Révolution industrielle, et la colonisation...
- Démocratie = la participation des masses à la souveraineté, le pouvoir de décider de la paix
de la guerre de l'ostracisme. Pour JJ. Rousseau, il faut « choisir entre la démocratie et la
paix ».
- libéralisme: garantie fondamentale des droits de l'individu
Lente symbiose entre démocratie et libéralisme fin XIX°, mais le ciment est le patriotisme.
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Nationalisme : perte de confiance dans les institutions pour garantir la sécurité.
Mais le fasciste lui n'a même plus confiance dans son peuple, d'où l'idée de créer un
homme nouveau. Le totalitarisme fasciste a ici un point commun avec le totalitarisme
soviétique.
Aspire-t-il à mettre en place une inquisition familiale? Élément pertinent pour
déterminer le totalitarisme. On ne le trouve pas chez Franco, ni Salazar... cf. exemple
de Pavel Morozov2. Le lavage de cerveau n'aboutit pas toujours, mais point commun
est cette aspiration
Hitler, Mussolini ont perdu confiance dans leur peuple. Quand Allemagne s'effondre
en 1918, Hitler est persuadé du « coup de poignard dans le dos », mais aussi que le
peuple n'a pas été à la hauteur. Mussolini a le même sentiment après Caporetto. Par
une guerre nationaliste d'extermination, il s'agit de construire un homme nouveau et
de régénérer le peuple, mélange de ce qu'il y a de plus archaïque (guerre contre les
Slaves, extermination des Juifs pour créer une tribu mythique) et de plus moderne
(avec des moyens industriels). Dans le totalitarisme soviétique : il y le même
mélange mais pour un objectif différent.
2. Récit sur les Croix de Feu et quelques évènements clés.
– 1927 : création d'une association d'anciens combattants d'un genre nouveau. C'est
tardif, il en existait déjà de nombreuses. Cette association prétend réunir uniquement
« l'aristocratie » de la bravoure = ceux qui ont reçu la croix de guerre, la légion
d'honneur, qui ont des faits d'armes remarquables. Le fondateur est Maurice Hanot
(dit d'Hartoy): il aurait fait défiler des Allemands au pas ! Se servir de la légitimité des
morts et blessés pour intervenir dans le débat public en contournant la sphère
institutionnelle. François Coty, d’origine corse, milliardaire, patron de presse héberge
l'association.
1 Albert Kéchichian, Les Croix-de-Feu à l’âge des fascismes : travail, famille, patrie, Champ Vallon, 410 pages, 2006
2 Pavel Morozov (1918-1932), jeune pionnier de l'Union soviétique, il dénonça son père pour dissimulation de grains, ce
dernier fut donc déporté. Sa famille se vengea et le tua.
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Autres associations : le Faisceau de Georges Valois, la Solidarité française..
Leur bête noire c'est Aristide Briand. Ce dernier n'est pas naïf, il espère garrotter les
aspirations nationalistes et revanchardes de l'Allemagne.
Association très marginale, doit s'associer avec d'autres comme l'Action Française.
Recrutement d'environ 3000 membres en 2 ans : sur-représentation de l'aristocratie
et bourgeoisie, dans une France urbaine et industrielle (Paris, Nord Pas de Calais,
Lyon), et en Algérie. En 1936, lors de la dissolution des ligues, le Parti Social
Français, une des principales forces politiques françaises. 1936: 500000 adhérents,
1939: 1 million dans le Parti Social Français
Arrivée en 1931 de François de la Roque de Séverac, fils de général d'artillerie de
marine et anti dreyfusard. Pas d'école avant la classe de première, enseignement par
son père, puis St Cyr puis Saumur l'école de cavalerie. Il va ensuite au Maroc, il y vit
comme en plein Moyen Âge, il commande un Goum, s'oppose aux tribus berbères
(les Schleus). En 1916-1918 lors de la Première Guerre mondiale, il découvre la
réalité de la société française. Il pense qu'il doit s'adapter à cette société. Il travaille
dans la Compagnie générale d'électricité, très en avance sur la cartellisation, sur les
conditions de travail ( veiller sur les conditions de travail des ouvrières). Il souhaite
développer tout un ensemble d’œuvres caritatives pour reconquérir la classe
ouvrière. La devise « Travail, famille, patrie » est créée en 1932-34.
Il aspire à faire des croix de feu un mouvement de masse : des jeunes, des femmes.
En 1931-32, il pense en faire des supplétifs aux hommes du pouvoir comme Tardieu
(député de l'alliance démocratique, un libéral ), les Croix de Feu comme service
d'ordre. La défaite des droites modérées aux élections législatives de32 marque une
rupture. Au centre et à droite il n'y a pas de partis organisés, avec des permanents,
une discipline de vote... Un système non partisan, mais une majorité d'idées. De
nombreux députés passent d'un parti à l'autre, ils ont leur propre réseau pour se faire
élire. Croix de feu : force supplétive = service d'ordre, collage d'affiches... R Huard 3 =
fin XIX° , partis sont des nébuleuses
1932 : transformer les Croix de feu en mouvement de masse, d'autant que de la
Rocque ne travaille plus à la Compagnie Générale d'électricité, il a besoin d'un
mouvement qui le rémunère. En 1933: la Rocque s'oriente vers le parti de masses=
les jeunes, les femmes... réintégrer la classe ouvrière dans le mouvement
nationaliste. Il intègre le travail, l'aspiration à la dignité, il s'agit de couper l'herbe sous
le pied des communistes.
6 février 1934 : il tombe au mauvais moment, les ligues nationalistes espèrent profiter
du scandale Stavisky pour faire chuter le gouvernement de centre-gauche, faire
pression (comme ils l'avaient fait contre le cartel des gauches, pour le retour de
Poincaré). La Rocque doit y participer, faire une démonstration de « force tranquille »
(Mitterrand, jeunesse). Ses hommes prennent en tenaille le palais Bourbon, montrer
leur force, intimider. Il devient l'image même du fasciste pour la gauche : brassard
tête de mort, manifestations, un aristocrate, ancien employé d'une grande compagnie
capitaliste. Simulacre verbal et théâtral de la guerre civile, (rassemblement secret,...)
la Rocque devient l'épouvantail de la gauche socialiste.
16 novembre 1935 : réunion des Croix de feu à Limoges, fief de gauche,
rassemblement de gauche devant la mairie pour bouter les Croix de feu, cordon de
police cède, les militants Front Populaire entrent, des coups de feu et blessures à
l'arme blanche. Prétexte pour demander la dissolution des ligues à la Chambre
Autre prétexte : le baiser Lamourette (appel à la réconciliation nationale lors de la
Révolution, 7 juillet 1792)
1935 : députés socialistes demandent la dissolution des ligues. La Rocque a une
3 Huard (R.), Naissance du parti politique en France, Paris, Presses de Sciences Po, 1996
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organisation de repli sorte de partis, mais qui ne présenterait pas de candidats. Il
tente une manœuvre de diversion, demander le désarmement des différents groupes.
L Blum propose la dissolution des milices para militaires qui risquent de remettre en
cause la république, danger pour l'ordre public, dissolution par un décret du
gouvernement et non par la voie judiciaire. Engrenage décisif pour le passage d'une
ligue à un parti politique. Les Croix de feu se convertissent à la forme de la
démocratie libérale (et non à sa substance), pour de la Rocque ce qui dure est digne
de respect. Différence avec le fascisme, pour de la Rocque l'ennemi intérieur est
moins dangereux que l'ennemi extérieur. En France le nationalisme est contaminé
par un patriotisme démocratique. En France le nationalisme est eunuque, la
République a assuré la victoire en 1918, la grandeur par le colonialisme(convergence
entre fierté impériale et mission civilisatrice = estime de soi très grande; beaucoup de
Français ont cru que la France était une puissance, à la différence de l'Allemagne et
de l'Italie, France a gagné la Grande guerre et a agrandi son empire grâce à la SDN)
.Lors des grèves massives de 1936 = capacité de la société française à amortir le
choc de la crise, la situation ne conduit pas à une polarisation et à un embrasement
de la société, le système institutionnel recèle des capacités de renouvellement et
d'alternance. Le Front populaire= concilier respect des formes et progrès social;
consignes aux communistes français : être de bons patriotes ( à la différence de ce
qui s'est passé en Allemagne) consensus patriotique. En 1938, Daladier incarne le
renouveau parlementaire, image d'un homme d'ordre mais qui reste démocrate et
parlementaire. Les réformes administratives sont invisibles dans les années 20 et 30,
mais IIIème République trouve un équilibre instable (pas libéralisme d'avant 1°
Guerre mondiale). En 1939-40, le régime n'est pas moribond, mais en 40,
traumatisme de la débâcle.
Chaque événement doit se mesurer en fonction : origine/ d'où ils viennent, horizon/ où ils vont,
environnement/ part de contrainte, situation/ ce q'ils sont amenés à faire. La Rocque ne
souhaitait pas faire un parti . 500 000 Français ont adhéré à son mouvement, l'équilibre réalisé
entre sens chevaleresque et démocratie par la IIIème République( consensus entre l'esprit
civique hérité de la Révolution et l'esprit d'obéissance des militaires qui acceptent la République
quand la restauration devient impossible), solidarité dans les tranchées (François Cochet
Survivre au front4): ce qui permet aux soldats de tenir, ce sont les solidarités avec les officiers
subalternes.
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Fonction des Croix de feu : ne pas participer aux élections, une rénovation en évitant le
système institutionnel, mais il y a une attente messianique du sauveur, déception de militants
de la Rocque est déporté par les Allemands pour avoir créé un mouvement de résistance : le
réseau Klan (anti gaulliste, il espère que Pétain joue double jeu)
Antisémitisme français baisse avec la Première Guerre mondiale, et dans les années 20. A la
différence en Allemagne, rumeur des juifs planqués, enquête de l'état major, mais les
résultats ne sont pas rendus publics, la rumeur continue.
Pierre Jardin, Aux racines du mal, 1918 le déni de la défaite,Taillandier, 639 p. 2004
A Prost et Jay Winter5 penser la Grande guerre, les démocraties = promesse de progrès et
d'intégration sociale à la différence de l'Allemagne
4 François Cochet, Survivre au front 1914-1918 : Les poilus entre contrainte et consentement , 2005
5 Antoine Prost et Jay Winter, Penser la Grande Guerre essai d'historiographie, Point Seuil, 2004
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