Les Rois Mages

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Les Rois Mages
LES ROIS MAGES
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L’Évangile selon Jean d’Outremeuse (XIVe s.)
Autour de la Naissance du Christ (Myreur, I, p. 307-347 passim)
Chapitre VIII : Les Rois Mages
par
Jacques POUCET
Membre de l’Académie royale de Belgique
Professeur émérite de l’Université de Louvain
<[email protected]>
Mages. Ravenne. Sant'Apollinare Nuovo. Mosaïque. Ve siècle
Source
Folia Electronica Classica, 30 (2015)
LES ROIS MAGES
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Plan
A. Matthieu, II, 1-12 : le point de départ
B. La présentation générale des visiteurs (§ 1-4)
1. Le nombre des mages et leur éventuelle escorte
2. Le nom des mages
3. Le statut des visiteurs
4. Leurs pays d’origine
C. Les relations de voyage et les mages
1. La version de Marco Polo
2. La version d’Odoric de Pordenone
3. La version de Jean de Mandeville
a. Description de la Basilique de la Nativité
b. En Perse, sur la route de l’Inde
c. Un mot sur les deux autres versions
4. Chez Jean d’Outremeuse : Cassath, ville de rencontre et cité-étape (§ 5-7)
D. La rencontre avec Hérode et l’arrivée à Bethléem (§ 8-13)
1. Le motif du chapon cuisiné qui reprend vie (§ 10)
2. Le puits des mages ou l’étoile tombée dans un puits de Bethléem
E. Les mages, les cadeaux et l’enfant Jésus
1. Les cadeaux offerts à Jésus et leur signification (§ 14)
2. Le cas très particulier du cadeau de Melkon-Melchior : des « livres écrits et scellés par
le doigt de Dieu ».
3. Le cadeau offert aux mages chez Marco Polo
4. Le cadeau offert aux mages dans la Vie de Jésus en arabe
5. Autres variantes du même motif
6. Des questions d’âge et d’apparence physique (§ 14-17)
7. Multiplicité d’apparences dans l’Évangile arménien de l’Enfance.
8. Multiplicité d’apparences dans la relation de Marco Polo
9. Multiplicité d’apparences dans la version de Jean d’Outremeuse
10. Le retour des mages dans leur pays
11. Et d’autres points encore…
*
Quelques indications bibliographiques générales
* M. Béaud, Iconographie et art monumental dans l'espace féodal du Xème au XIIème siècle : le
thème des Rois Mages et sa diffusion, Université de Bourgogne, 2013, 458 p.; 182 fig. [Thèse de
doctorat. Art et histoire de l'art. Université de Bourgogne, 2012 ; accessible sur la Toile]
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* N. Bériou, G. Billon [e.a.], Les mages et les bergers, Paris, 2000, 130 p. (Cahiers Évangile.
Supplément, 113).
* Fr. Cardini, I Re Magi. Storia e leggende, Venise, 2000, 159 p.
* M. Elissagaray, La légende des Rois Mages, Paris, 1965, 253 p. [consacré en grande partie à
l’édition de la version française de l’Histoire des Trois Rois (XIVe siècle)].
* M. Félix, Le Livre des Rois Mages,Paris, Desclée de Brouwer, 2000, 239 p.
* U. Monneret de Villard, Le leggende orientali sui Magi evangelici, Cité du Vatican, 1952, 262 p.
* R. C. Trexler, The Journey of the Magi : Meanings in History of a Christian Story, Princeton, 1997,
277 p. Traduction française : Le voyage des mages à travers l'Histoire, Paris, 2009, 304 p.
* J.-M. Vercruysse [Dir.], Les (Rois) Mages, Arras, 2011, 182 p. (Graphè, 20).
*
A. Matthieu, II, 1-12 : le point de départ
Les épisodes de l’étoile et des mages orientaux ne sont évoqués que dans un seul
texte canonique, l’évangile selon Matthieu, sous la forme d’une narration historique :
(1) Jésus étant né à Bethléem de Judée, aux jours du roi Hérode, voici que des mages d’Orient
arrivèrent à Jérusalem, disant (2) « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu
son étoile à l’orient, et nous sommes venus l’adorer. » (3) Ce que le roi Hérode ayant appris, il fut
troublé, et tout Jérusalem avec lui. (4) Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple,
et il s’enquit auprès d’eux où devait naître le Christ. (5) Ils lui dirent : « À Bethléem en Judée, car
ainsi a-t-il été écrit par le prophète : (6) Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es pas la moindre
parmi les principales villes de Juda, car de toi sortira un chef qui paîtra Israël, mon peuple ».
(7) Alors Hérode, ayant fait venir secrètement les mages, s’enquit avec soin auprès d’eux du
temps où l’étoile était apparue. (8) Et il les envoya à Bethléem en disant : « Allez, informez-vous
exactement au sujet de l’enfant, et lorsque vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que moi
aussi j’aille l’adorer. » (9) Ayant entendu ces paroles du roi, ils partirent.
Et voilà que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient allait devant eux jusqu’à ce que, venant au-dessus
du lieu où était l’enfant, elle s’arrêta. (10) À la vue de l’étoile, ils eurent une très grande joie. (11)
Ils entrèrent dans la maison, trouvèrent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils
l’adorèrent ; puis, ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent des présents : de l’or, de l’encens et de la
myrrhe. (12) Et ayant été avertis en songe de ne point retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur
pays par un autre chemin. (traduction A. Crampon)
Ce texte est suivi par les notices sur la Fuite en Égypte, le séjour dans ce pays, le Massacre
des Enfants et le retour dans la terre d’Israël que nous avons examinées ailleurs. Seuls nous
intéresseront les motifs des mages et de l’étoile qui forment l’essentiel de notre chapitre 8I.
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*
Sur ces questions, le récit canonique n’est guère précis. Résumons ce texte bien connu en
l’accompagnant de quelques observations.
Des mages voient un jour apparaître en Orient une étoile : ils savent qu’elle annonce la
naissance du roi des Juifs et ils la suivent. Elle les conduit jusqu’à Jérusalem où elle disparaît,
les obligeant à s’adresser à Hérode pour obtenir de lui des informations complémentaires sur
le lieu de naissance du nouveau roi qu’elle est censée annoncer. Hérode, après avoir consulté
« tous les grands prêtres et les scribes du peuple », les envoie à Bethléem, en leur demandant
de revenir lui faire rapport. Il leur déclare – perfidement – qu’il voudrait lui aussi lui rendre
hommage.
À leur sortie du palais d’Hérode, les mages ont la grande joie de retrouver l’étoile qui les
guide jusqu’à l’endroit « où était l’enfant », une « maison » de Bethléem au-dessus de laquelle
elle s’arrête. Une fois entrés, ils y trouvent Jésus avec Marie, se prosternent, l’adorent et lui
offrent les présents qu’ils ont apportés. Ils ne retourneront toutefois pas à Jérusalem auprès
d’Hérode, comme ce dernier le leur avait demandé. Un ange, apparu en songe, les en a
dissuadés et ils ont regagné leur pays par un autre chemin.
*
En ce qui concerne les mages, le récit de Matthieu n’est pas très riche en détails.
L’évangéliste ne donne aucune information sur le statut exact de ces personnages, pas plus
que sur leur nom, leur nombre, leur lieu d’origine, leur itinéraire aller, leur retour, le lieu de
leur sépulture, la manière dont ils ont pu savoir que l’apparition de l’étoile annonçait la
naissance d’un roi des Juifs. La seule précision porte sur les présents qu’ils offrent : de l’or, de
l’encens et de la myrrhe. L’évangéliste n’est pas davantage prodigue en informations sur
l’étoile elle-même : rien n’est dit par exemple de ses caractéristiques, ni de son trajet, ni de ce
qu’elle devient après avoir rempli sa mission.
Bref, le récit de Matthieu comportait de nombreux vides que l’imagination des rédacteurs
postérieurs se chargera de combler. Des précisions de tout ordre apparaîtront
progressivement, donnant ainsi naissance à une tradition complexe, multiforme, pluriséculaire
et plus ou moins originale.
Il serait trop long de présenter, étape par étape, motif après motif, détail après détail,
l’histoire de cette tradition. Toutefois la connaissance des grandes lignes de cette évolution est
indispensable si l’on veut dégager les particularités de la version de Jean d’Outremeuse : qu’a-
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t-il repris à la tradition qui le précédait ? En quoi a-t-il innové ? Qu’a-t-il omis de traiter, ou tout
simplement oublié ?
B. Présentation générale des visiteurs (§ 1-4) (Myreur, I, p. 345)
Melchior le roy – Jaspar – Baltasar
Le roi Melchior – Jaspar – Balthazar
(1) A cel temps astoit roy de Tharse en Perse uns
valhans hons qui astoit nommeis Melchior en
hebreu ; chu est à dire en grigois Sarachin et en
latin Damasticus.
(1) En ce temps-là, le roi de Tarse en Perse était
un homme valeureux qui s’appelait Melchior en
hébreu, c’est-à-dire Sarachin en grec et
Damasticus en latin.
(2) Si avoit I altre roy en Arabe qui astoit
nommeis Jaspar en hebreu ; ch'est en grigois
Malgalat et en latin Appelliens.
(2) En Arabie Il y avait un autre roi, nommé
Jaspar en hébreu, Malgalat en grec et Appellius en
latin.
(3) Et avoit I aItre roy en la terre de Saba, chis
fut nommeis en hebreu Balthasar ; chu est en
grigois Galgalat, et en latin Amerus.
(4) Ches trois roys astoient si grans clers qu'ilhs
astoient nommeis devineurs, c'est ortant à dire
com philosophe.
(3) Et en terre de Saba régnait un autre roi,
nommé en hébreu Balthazar, en grec Galgalat, et
en latin Amerus.
(4) Ces trois rois étaient si grands clercs, qu’ils
étaient appelés mages, ce qui revient à dire
philosophes.
Les quatre premiers paragraphes présentent les visiteurs, tels en tout cas que se les
imagine le chroniqueur liégeois. Une rapide mise en perspective permettra au lecteur de
réaliser combien chaque élément du récit a en fait évolué au fil de la tradition. On passera
successivement en revue ce qui concerne le nombre des mages et leur éventuelle escorte, leur
nom, leur statut, leurs pays d’origine.
1. Le nombre des mages et leur éventuelle escorte
Leur nombre varie selon qu’on étudie les traditions orientales ou occidentales.
L’évolution dans les Églises d’Orient s’est arrêtée finalement à douze mages, après avoir
connu d’autres chiffres. Ainsi on peut lire dans la Vie de Jésus en arabe (V, 2, EAC I, 1997, p.
213 ; IXe siècle) : « Certains prétendent qu’ils étaient trois comme les offrandes, d’autres qu’ils
étaient douze, fils de leurs rois, et d’autres enfin qu’ils étaient dix fils de rois accompagnés
d’environ mille deux cents serviteurs. » Dans le Livre arménien de l’Enfance, qui va très loin
dans l’amplification, les visiteurs sont trois frères, présentés non comme des « rois mages »,
mais comme les « rois des mages », comme s’ils régnaient sur un peuple de mages (ch. XI, 1Folia Electronica Classica, 30 (2015)
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25, p. 131-150 ; éd. Peeters, 1914). Mais ce qui frappe davantage, c’est qu’ils sont
accompagnés d’une véritable armée (12.000 hommes, 4.000 par roi), qui campe autour de
Jérusalem et effraye d’ailleurs beaucoup le roi Hérode.
La tradition occidentale, que représente sur ce point Jean d’Outremeuse, est beaucoup
plus sobre. Elle ne s’attarde guère sur les accompagnateurs, même si le principe de l’escorte
est connu en Occident. Jacques de Voragine par exemple note dans sa compilation que les
visiteurs « vinrent à Jérusalem avec une grande escorte » (Légende dorée, ch. XIV, p. 109, trad.
Boureau). Quant au nombre des mages, il sera limité à trois à partir du Ve-VIe siècle (saint
Léon, saint Césaire), ce qui n'implique pas qu'ils soient toujours mis tous sur le même pied (cfr
par exemple R.C. Trexler, Les mages à la fin du Moyen Âge : un duo dynamique, dans Les
Cahiers du Centre de Recherches Historiques, t. 5, 1990, mis en ligne en 2009).
Il était en effet tentant de déduire des trois présents canoniques (or, encens ; myrrhe)
l’existence de trois donateurs, mais certains commentateurs, pour justifier ce nombre, feront
aussi intervenir des précédents bibliques. Ainsi, selon le rédacteur de la Glose ordinaire sur le
texte de Matthieu (P.L., t. 114, 1852, col. 73), une œuvre qui n’est pas antérieure au XIIe siècle,
les mages étaient trois « pour préfigurer qu’ils permirent l’accession à la foi des nations issues
des trois fils de Noé ». Ils représenteraient ainsi la terre entière. On évoquait parfois aussi un
passage de la Genèse (XXVI, 26-29), mettant en scène trois personnages (Abimélech, Ochozath
et Phicol) venus rendre visite à Isaac dans un épisode de réconciliation.
2. Le nom des mages
Un mot seulement sur les traditions orientales. Dans les recensions syriaques de la
Caverne des Trésors (XLV, 19, p. 143, éd. Su-Min Ri, 1987), un apocryphe du VIe siècle, où ils
sont trois, les mages sont nommés : Hormo, Azdayr et Porzdân. La version géorgienne du
même traité les appelle Hirmiza, Makrze et Adribeǰan (XLV, 19, p. 85, éd. Mahé, 1992). Dans
une version éthiopienne du Protévangile de Jacques, ils apparaissent sous les noms de
Tanisurām, Malīk et Sisseba [cfr infra, p. 48]. Quand ils sont douze, leurs noms diffèrent
également selon l'origine (syriaque ou arménienne) des listes.
Les noms, devenus traditionnels en Occident, de Melchior, Gaspard et Balthazar
apparaissent pour la première fois dans un manuscrit du VIe siècle intitulé Excerpta Latina
Barbari, sous les formes « Bithisarea, Melichior, Gathaspa ». Des dénominations avec
lesquelles la tradition semble avoir pris plaisir à jouer, en particulier sur le plan linguistique.
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Au XIIe siècle, Pierre le Mangeur (ch. VII : De oblatione et nominibus magorum) donne
leurs noms en trois langues : Appellus, Amerus, Damasius en hébreu ; Galgalat, Magalath,
Sarachim en grec ; Baltassar, Gaspar, Melchior en latin. Travaillant peut-être sur ce texte, le
dominicain Hugues de Saint Cher, un exégète et théologien influent du XIIIe siècle, écrit dans
son Commentaire de Matthieu 2, 11 :
Voici les noms des mages en hébreu : Appellius, dont la traduction est ‘fidèle’ et qui signifie la foi en la
contrition ; Amerus, ‘amer’, qui signifie la confession ; Damasius, ‘miséricordieux’, qui signifie la satisfaction
faite par les œuvres de miséricorde. En grec : Magalaath, ‘messager’ qui signifie la prédication annonciatrice
de Dieu ; Galgalath, ‘dévot’ ; Sarachin, ‘pleine de grâce’. Ou en latin : Gaspar, Balthasar, Melchior. (trad.
Mages et Bergers, 2000, p. 73, n° 104)
poussant la pédanterie jusqu’à tenter d’identifier la langue d’origine de ces mots et à fortiori
d’en rechercher l’étymologie. Jeux érudits et qui seront pourtant repris !
Ainsi, au XIIIe siècle également, Jacques de Voragine (Légende dorée, ch. XIV, p. 108, trad.
Boureau) conserve les noms en en bouleversant la provenance linguistique : Appellius,
Amérius et Damascus viendraient du latin ; Galgalat, Malgalat, Sarachin, de l’hébreu ; Gaspard,
Balthasar et Melchior, du grec.
Au XIVe siècle, un peu avant Jean d’Outremeuse, Jean de Mandeville, décrivant, dans Le
Livre des Merveilles du Monde, l’église de la Nativité à Bethléem, mentionne le puits où tomba
l’étoile qui avait conduit les roys Jaspar, Melcior et Balthazar, reprenant là les noms les plus
courants en Occident. Mais immédiatement après, il éprouvera lui aussi le besoin de
manifester son érudition en reproduisant ce qui est en fait le schéma de Pierre le Mangeur :
Item, les Juyfs appellent les roys en hebrieu Appellius, Amerius et Damasus, et les Grigois les
nomment Algalach, Malgalach et Saraphus (ch. XXXIII, p. 41, éd. Tyssens-Raelet, 2011).
Jean d’Outremeuse, on le sait et on le constatera dans la suite de l’article, a utilisé le livre
de Jean de Mandeville, mais apparemment ce ne fut pas le cas dans le passage qui nous
occupe. Il y mélange en effet les cartes, s’écartant des différents schémas présentés plus haut :
pour lui, les noms Melchior, Jaspar et Balthazar appartiendraient à l’hébreu ; Sarachin,
Malgalat et Galgalat, au grec ; Damasticus, Appellius et Amerus, au latin.
Ces fantaisies linguistiques ne doivent pas nous éloigner de l’essentiel : dans la tradition
occidentale, les visiteurs venus d’Orient sont au nombre de trois et portent très généralement
les noms de Melchior, de Gaspard et de Balthazar.
Dans son Devisement du Monde, Marco Polo (fin du XIIIe siècle) rencontrant trois tombes
monumentales à Sāwah, une ville de la Perse du Nord-Ouest, apprend par les habitants de
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l’endroit qu’elles appartenaient à trois de leurs rois à propos desquels ils ne peuvent pas lui
dire grand-chose. Mais des indices que le voyageur se procure dans la région lui permettent de
conclure que ce sont là les tombes des rois mages. Pour parler d’eux, Marco Polo utilise
probablement les noms de la tradition occidentale qui lui étaient familiers, en l’espèce Jaspar,
Balthasar et Melchion/Melchior (Marco Polo, Devisement, ch. XXX, p. 150, éd. Ménard, 2001).
Cfr infra.
Il pourrait sembler surprenant que L’Évangile arménien de l’Enfance, dans son chapitre
très détaillé traitant des mages (ch. XI, 1-25), ait donné aux visiteurs les noms de Melkon,
Gaspar et Balthasar. En fait cette œuvre dans sa forme primitive remonte au Ve siècle mais elle
a connu de nombreux développements difficiles à dater. Le chapitre XI pourrait faire partie des
sections « retravaillées » : en tout cas, si son rédacteur donne aux trois « rois des mages » des
noms influencés par la tradition occidentale, il a néanmoins conservé, avec leurs noms, les
douze mages de la tradition orientale mais les rétrogradant, si l’on peut dire, au rang des chefs
des armées de Melkon, Gaspar et Balthasar. Mais la question est accessoire.
3. Le statut des visiteurs
Pour désigner les visiteurs orientaux, le récit canonique de Matthieu ne connaît que le
mot « mages ». Mais c’est un terme ambigu.
Chez les Mèdes et les Perses de l’antiquité, les mages formaient « une classe sacerdotale
de savants et de prêtres du mazdéisme » (Jean-Paul Roux, Le mazdéisme, la religion des
mages, Clio, 2000), célèbres pour leurs compétences en matière d’astronomie, d’astrologie et
de divination, trois disciplines qui à l’époque se confondaient. On connaît, par ailleurs, la
réputation d’éminents astronomes qu’avaient les Babyloniens, régulièrement appelés
Chaldéens par les anciens.
Mais en grec et en latin, le mot avait également une connotation négative : il servait à
désigner des magiciens et des sorciers peu recommandables. Pour éviter toute ambiguïté, les
auteurs chrétiens se devaient de préciser que les visiteurs venus d’Orient n’avaient rien à voir
avec cette catégorie de personnes que l’Église condamnait vigoureusement.
De ces mages orientaux, les auteurs chrétiens médiévaux firent rapidement des rois. Déjà
Tertullien (IIe-IIIe siècle), le premier des écrivains chrétiens de langue latine, avait souligné le
rôle très important des mages en Orient : Magos reges habuit fere Oriens « L’Orient fut
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presque toujours gouverné par des mages » (Adversus Marcionem, III, 13, trad. de Genoude,
XIXe siècle).
*
Cette transformation des mages en rois se fit très vraisemblablement sous l’influence de
divers passages de l’Ancien Testament, comme celui du Psaume LXXII :
(10) Les rois de Tharsis et des îles
paieront des tributs ;
les rois de Saba et de Méroé
offriront des présents.
(11) Tous les rois se prosterneront devant lui ;
toutes les nations le serviront. (trad. A. Crampon ; cfr les notes géographiques)
ou encore celui de quelques versets d’Isaïe 60 :
(3) Les nations marchent vers ta lumière,
et les rois vers la clarté de ton lever.
(6) Des multitudes de chameaux te couvriront ;
les dromadaires de Madian et d’Epha ;
tous ceux de Saba viendront,
ils apporteront de l’or et de l’encens,
et publieront les louanges de Yahweh.
(9) Car les îles espèrent en moi,
et les vaisseaux de Tarsis viendront les premiers.
(10) Les rois seront tes serviteurs, etc. (trad. A. Crampon ; cfr les notes géographiques)
La procédure est bien connue : des textes vétérotestamentaires, souvent prophétiques,
servirent à embellir – parfois même à la composer – certains récits, canoniques ou apocryphes,
sur la vie de Jésus. Les passages ainsi utilisés n’avaient au départ rien à voir avec celui-ci : ils
s’appliquaient à toute autre chose.
Ainsi, dans leur contexte original, le passage du Psaume LXXII ne se rapportait pas à
l’épisode de la Nativité mais à l’empire universel du Messie et, de son côté, le texte d’Isaïe
n’exaltait pas la gloire de l’enfant de Bethléem mais celle de la « Nouvelle Jérusalem » attirant
nations et tributs. Il était néanmoins tentant pour les rédacteurs de les utiliser, plus ou moins
directement, et plus ou moins subtilement, afin de « gonfler » le récit canonique de la visite de
ces grands personnages venus d’Orient pour adorer Jésus et lui offrir des cadeaux.
*
Quoique l’identification des mages avec des rois remonte très haut, cela ne signifie pas
qu’elle se soit généralisée. Très souvent dans l’histoire de la tradition, les visiteurs restent
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qualifiés de mages. C’est le cas dans de nombreux textes (Protévangile de Jacques, XXI, 1 ;
pseudo-Matthieu, XVI, 1 ; Vie de Jésus en arabe, V, 1 ; Remi d’Auxerre, Homelia VII, col. 899907) ; pseudo-Chrysostome, Opus imperfectum, Hom. 2, col. 637 ; Jacques de Voragine,
Légende dorée, XIV ; Pierre le Mangeur, Histoire scolastique, ch. VII).
C’est probablement dans l’iconographie que la royauté des visiteurs fut le plus marquée.
On verra sur ce point l’imposante thèse de Matthieu Béaud, présentée en 2012 et publiée en
2013 (Iconographie et art monumental dans l'espace féodal du Xème au XIIème siècle : le
thème des Rois Mages et sa diffusion, Université de Bourgogne, 458 p., 182 fig.; accessible sur
la Toile). On connaît l’énorme influence de l’iconographie sur les croyances populaires au
Moyen Âge.
En tout cas, les rois firent aussi leur apparition dans des textes de diverse nature. La Glose
ordinaire au XIIe siècle (P.L., t. 114, 1852, col. 73), après avoir parlé de magi, précisera que
dans les pays d’Orient d’où ils étaient originaires, « les mages étaient des rois » (ubi reges magi
fuerunt). Les récits des « voyageurs » utiliseront toujours le terme de « rois » : Marco Polo (ch.
XXX-XXXI, éd. Ménard), Odoric de Pordenone (ch. IV : « une cité des trois rois »), Jean de
Mandeville à propos de l’église de la Nativité et de l’itinéraire vers la Perse (p. 41 et 90, éd.
Tyssens-Raelet, 2011).
Au XIVe siècle, l’Historia trium regum de Jean de Hildesheim, comme on peut s’y attendre
d’après le titre, utilise systématiquement l’expression reges. Jean d’Outremeuse, aussi, dans le
long développement qu’il leur consacre, ne parle que de rois. On notera au passage le contenu
du § 4 (Myreur, I, p. 345), où le chroniqueur liégeois précise :
Ches trois roys astoient si grans clercs qu’ilhs astoient nommeis devineurs, c’est ortant à dire
com philosophe.
Ces trois rois étaient si grands clercs qu’ils étaient appelés mages, ce qui revient à dire
philosophes.
On assiste ici à une sorte de « retournement de situation ». Jean parle d’abord des rois,
avant d’évoquer leur statut original qui est celui de mages et qu’il expliquera par une série
d’équivalences du genre « clercs, devineurs, philosophe ». Comme beaucoup d’auteurs
médiévaux, il a donc soin de préciser que le terme de mages n’a rien de péjoratif, il ne l’utilise
d’ailleurs que dans ce § 3, et nulle part ailleurs dans le chapitre VIII.
Faut-il préciser, pour élargir la question, que dans le folklore et dans les appellations
habituelles, c’est l’expression « Rois Mages » qui l’a emporté ?
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4. Leurs pays d’origine
Pas plus qu’il ne donnait le nombre des mages, Matthieu ne précisait leur origine. Son
texte évoquait toutefois explicitement l’Orient et le nom même de « mages » donné aux
visiteurs trahissait une origine qui ne pouvait qu’être orientale.
Pour le reste, la porte était largement ouverte à l’imagination des commentateurs, qui
pouvaient également prendre appui sur les passages vétérotestamentaires (le Psaume LXXII et
Isaïe 60) que nous évoquions à l’instant et qui avaient déjà été utilisés pour transformer les
mages en rois. Relativement riches en termes géographiques, ces passages de l’Ancien
Testament étaient susceptibles d’aider les imaginations. Rappelons simplement quelques-unes
des formules qu’on y trouvait :
Les rois de Tharsis et des îles
paieront des tributs ;
les rois de Saba et de Méroé
offriront des présents. (Psaumes, LXXII, 10)
(6) Des multitudes de chameaux te couvriront ;
les dromadaires de Madian et d’Epha ;
tous ceux de Saba viendront,
ils apporteront de l’or et de l’encens,
et publieront les louanges de Yahweh.
(9) Car les îles espèrent en moi,
et les vaisseaux de Tarsis viendront les premiers. (Isaïe, 60, 6 et 9)
Malheureusement les identifications proposées pour ces noms de lieux ne sont pas
toujours sûres. Quelques exemples suffiront à le montrer.
Tarsis, si on l’identifie à Tartessos en Espagne (par exemple, J. Ratzinger, Enfance de Jésus,
Paris, 2013, p. 136), désignerait l’extrême Occident, mais Tarse était aussi dans une des voies
terrestres conduisant de l’Asie mineure à la Perse. Saba pouvait se rapporter à la capitale du
Yémen dans l’Arabie Heureuse, lieu d’origine, dans la légende, de la reine de Saba, mais Pierre
le Mangeur (Histoire scolastique, Evang., VII, col. 1541) plaçait « près des frontières des Perses
et des Chaldéens » un « fleuve Saba, qui a donné son nom à la Sabée ». Et cette localisation ne
relève pas nécessairement de la pure imagination. « L’appellation ‘Sabéens’ est attestée dans
les écrits d’auteurs musulmans dès le VIIIe siècle, pour désigner des groupes de ‘Baptistes’
vivant le long des cours du Tigre et de l’Euphrate » (La religion racontée à Charlotte, Cahier 2,
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mai 2014, p. 107 ; cfr aussi l’article Wikipédia : <Sabéisme>). Si c’est le cas, on pourrait
effectivement placer les Sabéens de Pierre le Mangeur non loin de la Perse et de la Chaldée.
Méroé, traditionnellement, est une cité antique de Nubie, située « en aval de la sixième
cataracte du Nil, un peu à l'écart du fleuve et au milieu d'une plaine désertique. Appelé Koush
par la Bible, Éthiopie par les Grecs et les Romains, le royaume méroïtique occupa du troisième
siècle av. J.-C. au quatrième siècle de notre ère un immense territoire de Philae à Khartoum »
(cfr La Civilisation de Méroé, par Claude Rilly). Quant aux termes Madian et Epha, ils
renverraient à l’Arabie (http://www.topchretien.com/topbible/dictionnaire/epha/).
N’insistons pas. Le lecteur aura compris que ces termes, qui ne sont pas toujours
localisables avec précision, servent en fait à désigner des terres lointaines, réelles ou
légendaires d’ailleurs. Ils orientent majoritairement vers la Perse, l’Arabie et le Soudan. Les
géographes modernes auraient bien sûr certaines difficultés à placer l’Arabie et la Nubie à
l’Orient de Jérusalem. Mais peu importe : on évolue dans une géographie imaginaire ou
légendaire.
*
Un imaginaire légendaire qu’on ne quitte pas nécessairement lorsqu’on passe rapidement
en revue quelques positions d’auteurs médiévaux.
Bède le Vénérable, à la fin du VIe siècle, proposait une formule très simple, qui relevait
clairement du symbole : « Mystiquement, les trois Mages symbolisent les trois parties du
monde, l’Asie, l’Afrique, l’Europe, c’est-à-dire l’ensemble du genre humain, qui descend des
trois fils de Noé » (Pseudo-Bède, In Matthaei Evangelium Expositio, P.L., t. 92, 1862, col. 13).
Davantage influencé peut-être par l’origine orientale des visiteurs formellement
mentionnée par Matthieu, Pierre le Mangeur (Histoire scolastique. Évang., VII, col. 1541) – on
l’a vu – regardait nettement vers l’Orient de Jérusalem : selon lui, les Mages venaient « des
frontières des Perses et des Chaldéens, là où coule le fleuve Saba, qui a donné son nom à la
Sabée ». Avec les Perses, les Chaldéens et les Sabéens des rives du Tigre et de l’Euphrate, on
restait bien en Orient.
Jacques de Voragine (Légende dorée, XIV, p. 115, trad. Boureau) n’exprime aucune
opinion personnelle, se contenant de reprendre les vues de Pierre le Mangeur.
Selon le rédacteur de l’Évangile arménien de l’Enfance (ch. XI, 1, trad. Peeters, 1914),
Melkon régnait sur les Perses, Balthasar, sur les Indiens, et le troisième, Gaspar sur les Arabes.
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LES ROIS MAGES
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Dans l’Historia Trium Regum de Jean de Hildesheim, écrite très probablement entre 1364
et 1375 (d’après l’éditeur Alfonso M. Di Nola, Giovanni di Hildesheim : La storia dei Re Magi,
Florence, 1966), la distribution des royaumes est peut-être plus large mais le flou général
subsiste, malgré la présence de quelques indications géographiques précises (comme le mont
Sinaï, la Mer Rouge).
Selon cet auteur, contemporain de Jean d’Outremeuse mais sans lien avec lui, les mages
viendraient tous de l’Inde. Mais l’Inde de Jean de Hildesheim ne correspond pas à la nôtre. Au
début de son exposé, l’auteur l’avait bien précisé : « Il faut savoir qu’il y a trois Indes » (est
sciendum quod tres sunt Indie).
Voici la distribution des royaumes « indiens » des mages, telle qu’elle apparaît dans
l’édition C. Horstmann (Londres, 1886) :
In prima ergo India fuit regnum Nubie, in quo regnavit Malchior ; cuius eciam fuit regnum
Arabie, in quo est mons Synay, et mare rubrum, etc. (X, p. 226)
In secunda India fuit regnum Godolie, in quo regnauit Balthazar, qui thus optulit domino ; cuius
eciam fuit regnum Saba, etc. (XI, p. 227)
In tercia India fuit regnum Tharsis, in quo regnauit Jaspar, mirram offerens ; cuius eciam fuit
insula Egriscula, in qua corpus beati Thome quiescit, etc. (XII, p. 227-228)
Ainsi dans la première Inde se trouvait le royaume de Nubie, où régnait Melchior ; il possédait
aussi le royaume d’Arabie, où se trouve le mont Sinaï et la mer Rouge, etc.
Dans la seconde Inde se trouvait le royaume de Godolie, où régnait Balthazar, qui offrit l’encens
au Seigneur ; il possédait aussi le royaume de Saba, etc.
Dans la troisième Inde se trouvait le royaume de Tharsis, où régnait Gaspard, qui offrit la
myrrhe ; il possédait aussi l’île d’Égrisoule, dans laquelle repose le corps de saint Thomas, etc.
Et à la fin de ce chapitre XII, Jean de Hildesheim fait explicitement référence au passage
célèbre du Psaume LXXII, en n’en citant toutefois que quatre mots Reges Tharsis et Insule, etc.,
pour faire immédiatement remarquer que, selon lui, le Psaume avait omis les royaumes les
plus importants des visiteurs, nam quilibet eorum duo regna possedit (« car chacun de ces rois
possédait deux royaumes ») : Malchiar rex Nubie et Arabum, Balthazar rex Godolie et Saba,
Jaspar rex Tharsis et Insule Egriseule.
Reste isolée la curieuse localisation de Jordan Catala de Sévérac dans ses Mirabilia
descripta. Ce voyageur du XIVe siècle place le pays d’origine des Rois Mages « dans la plaine de
‘ Mogan ’ sur les bords occidentaux de la mer Caspienne » : de terra de Mogan venerunt tres
reges adorare Dominum (§ 145 et § 151, éd. Gadrat, Paris, 2005, cfr p. 172-173).
*
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LES ROIS MAGES
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En fait, mieux vaut ne pas trop s’attarder sur ces noms de royaumes et sur les indications
géographiques, généralement vagues et imprécises, qui les désignent. Ni chercher à savoir où
les rédacteurs médiévaux les localisaient.
À part la mystérieuse plaine de Mogan citée en dernier lieu et qui est un unicum, les lieux
cités sont soit des termes un peu « passe-partout », comme l’Inde, la Perse, la Chaldée, la
Nubie, l’Arabie, soit des expressions tirées des passages de l’Ancien Testament présentant les
« rois » venus adorer et offrir des tributs ou des présents, comme « Tharse et les îles » ou la
« terre de Saba ». Des nouveautés parfois apparaissent, comme la Godolie ou l’île d’Égrisoule
chez Jean de Hildesheim, deux termes rares sur lesquels nous ne souhaitons pas nous attarder
ici.
Il y a mieux à faire en effet que de se perdre dans ces terres imaginaires ou fantasmées
issues d’une géographie médiévale fluctuante. La variété même des termes rencontrés montre
qu’aucune solution ne s’est réellement imposée et que chacun a tenté, à sa manière, de
décliner, avec les compétences ou l’imagination dont il disposait, le point de départ
évangélique qui laissait supposer que les mages venaient d’Orient : Vidimus enim stellam eius
in oriente (« nous avons vu son étoile en Orient »).
En tout cas, pour en revenir à Jean d’Outremeuse (§ 13), notre auteur de référence,
Melchior était roy de Tharse en Perse et Jaspar, roi d’Arabie, tandis que Balthazar régnait en la
terre de Saba. La présence conjointe de Tharse et de Saba pourrait faire songer à une influence
du Psaume LXXII.
*
Un point encore doit être souligné. À l’exception de Jordan Catala de Sévérac, les auteurs
que nous venons de passer en revue sont des écrivains de cabinet qui n’ont pas voyagé dans
les régions – orientales ou non – dont ils parlent et qui se bornent à faire travailler leurs
imaginations sur les écrits de leurs prédécesseurs. Nous disposons toutefois de relations de
véritables voyageurs. Sont-elles susceptibles de jeter un éclairage nouveau sur la question des
royaumes des mages ?
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LES ROIS MAGES
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C. Les relations de voyage et les mages
Pour bien comprendre le récit de Jean d’Outremeuse sur le voyage des mages, il est
important de le situer à sa juste place dans l’évolution du motif. C’est la procédure que nous
suivons systématiquement. Dans le cas présent, nous aurons à nous intéresser à trois récits de
voyage, qui sont antérieurs à notre chroniqueur, que nous avons conservés et qui placent tous
l’origine des mages dans la région nord-occidentale de la Perse. Ils sont dus respectivement à
Marco Polo, à Odoric de Pordenone et à Jean de Mandeville.
Bien sûr, le cas de ce dernier est un peu particulier. On se demande en effet comment le
considérer : comme un véritable voyageur ou comme un habile compilateur ? Mais il nous
intéresse parce que nous savons qu’il a influencé Jean d’Outremeuse, qui était son
compatriote à Liège. Cette influence sera d’ailleurs perceptible dans le passage du Myreur que
nous sommes en train d’examiner. Et pour notre travail le statut exact de l’auteur du récit est
relativement secondaire.
1. La version de Marco Polo
Marco Polo (1254-1324) est le plus ancien voyageur à nous apporter des informations
utiles sur les Rois Mages. Ce marchand vénitien quitta sa ville natale en 1271, avec son père et
son oncle, et arriva en 1275 à Pékin où il fut reçu par Kūbīlāy Khān, le grand Khān des Tartares,
au service duquel il restera seize années, comblé d’honneurs et chargé de missions diverses.
Rentré dans son pays après un voyage qui dura quatre ans (1291-1295), il fut fait prisonnier
par les Génois et, dans sa prison, dicta en 1298 la relation de son périple à un de ses
compagnons de cellule, Rusticien de Pise.
a. la transmission du texte
Pour bien comprendre ce qui va suivre, certaines informations sur la transmission du
texte de Marco Polo sont indispensables Elles expliquent notamment une chose qui peut
surprendre un non-spécialiste, à savoir la manière très différente dont les manuscrits
médiévaux et les éditions modernes orthographient les noms propres, et notamment les
toponymes dont il va beaucoup être question dans la suite.
La relation de voyage que Marco Polo dicta à son retour à Rusticien de Pise fut transcrite
dans un mélange de français et de dialecte italien (du pisan ?). Cette rédaction en franco-
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italien fut « habillée à la française » une dizaine d’années plus tard, dans les années 1310-1311
(Ménard, p. 27). Elle donnera naissance à ce qu’on appelle aujourd’hui la « version française ».
L’édition qui en fut faite en 1865 par G. Pauthier – excellente pour l’époque – se basait
seulement sur trois manuscrits ; la dernière édition critique (2001-2009), celle de Philippe
Ménard et de son équipe, en six volumes, porte sur dix-huit manuscrits, y compris les
fragments. Elle l’emporte évidemment de beaucoup sur son vénérable ancêtre pour son texte
(malgré quelques réserves à faire pour sa présentation), pour sa longue introduction, sa
bibliographie, ses notes et son apparat critique. Nous retrouverons ces deux éditions dans la
suite de l’exposé.
Mais pour en revenir à la question de la transmission, le texte de Marco Polo a aussi
connu d’autres recensions : latine, toscane, vénitienne. Pour donner une idée de la complexité
de la tradition de Marco Polo, on dira que le total des manuscrits conservés est d'environ cent
quarante, dont quelque quatre-vingt en latin (Christine Gadrat). La « version française », on
vient de le dire, n’en compte que dix-huit.
En tout cas, après l’habillage à la française du début du XIVe siècle, la transmission du
texte suivit un cours chaotique qui n’a rien fait pour en garantir la fidélité. Au fil des siècles, le
texte de Marco Polo fut transformé et déformé.
Le résultat est qu’on se trouve aujourd’hui, surtout pour les noms propres, en face d’une
multitude de transpositions variées proposées, au moyen âge par les copistes des manuscrits,
ultérieurement par les éditeurs et les traducteurs modernes. On imagine dans ces conditions
combien il est parfois très difficile, voire impossible, de retrouver les toponymes qui figuraient
dans l’« original franco-italien ». Sans compter qu’on peut se poser une question plus
fondamentale et se demander si la dictée de 1298 conservait avec précision les noms de lieux
enregistrés par Marco-Polo. Les toponymes persans qui s’écrivaient en caractères arabes
devaient être difficiles à retenir et il fallait transposer en français de l’époque ce qui restait
dans les mémoires ou dans les notes des voyageurs.
Si telle était la situation de départ, que dire alors du fait, qu’au cours de la transmission du
texte, chaque copiste de manuscrit se heurtait à des toponymes inconnus, difficiles à
déchiffrer et parfois tout simplement illisibles ? Mais avant d’en venir au texte de Marco Polo,
quelques données bibliographiques pourront être utiles.
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b. quelques données bibliographiques
* Marco Polo. Le Devisement du Monde. Édition critique publiée sous la direction de Ph. Ménard,
Tome I. Départ des voyageurs et traversée de la Perse, Genève, 2001, 287 p. (Textes littéraires
français, 533).
* Le Livre de Marco Polo, citoyen de Venise, conseiller privé et commissaire impérial de KhoubilaîKhaân, rédigé en français sous sa dictée en 1298 par Rusticien de Pise, publié [...] par M. G. Pauthier,
Paris, Didot, 2 vol. 1865, 507 et 476 p. [Cette ancienne édition offre d’abondantes notes
géographiques et historiques. D’autre part, en ce qui concerne les toponymes, le texte qu’elle
propose est parfois fort commode. Cette édition est partiellement accessible sur Google Books.]
* Le livre de Marco Polo ou Le devisement du monde. Texte intégral, mis en français moderne,
annoté et commenté par A. t'Serstevens, Paris, 1955, 346 p.
* Le devisement du monde. Le Livre des merveilles. Marco Polo. Texte intégral établi par A.-C. Moule
et P. Pelliot. Version française de L. Hambis. Introduction et notes de S. Yerasimos. Cartes de P.
Simonet, Paris, 1996, 509 p.
* La description du monde. Marco Polo. Texte intégral en français moderne, avec introduction et
notes par L. Hambis, Paris, 1955, 433 p. [Ces trois livres sont plus accessibles, mais moins
approfondis. Ils contiennent une traduction en français moderne et sont pourvus de quelques notes]
* U. Monneret de Villard, Le leggende orientali sui Magi evangelici, Cité du Vatican, 1952 [262 p.], p.
81-90.
* A. Gabriel, Marco Polo in Persien, Vienne, 1963 [235 p.], p. 86-91.
* F. Scorza Barcellona, La notizia di Marco Polo sui Re Magi, dans Studi e Ricerche sull'Oriente
cristiano, t. 15, 1992, p. 87-104.
* Fr. Cardini, I Re Magi. Storia e leggende, Venise, 2000 [159 p.], p. 79-85.
c. les récits des informateurs de Marco Polo
En route vers la Chine, le marchand vénitien quitte donc sa ville natale en 1271. Il
commence son récit par l’Arménie, d’où il passe en Perse, empruntant la route du sud-est qui
descend de Tabriz (Tauris) vers le sud-est, dans la direction de Yazsd. Et c’est là, en Perse, dans
la première province traversée, qu’il recueille des légendes locales sur les Rois Mages.
Ces légendes racontaient l’histoire de trois rois de la région partis adorer un prophète
lointain et lui offrir de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Rentrés au pays, ils y auraient été
enterrés et on y montrait encore leurs tombeaux.
Marco Polo a donné au ch. XXX le nom de la ville où étaient ensevelis ces trois rois et un
peu plus loin, dans le ch. XXXI, les noms des trois centres dont ils étaient originaires. Dans
l’édition Pauthier, il s’agit à chaque fois (p. 61 pour le ch. XXX et p. 65 pour le ch. XXXI) d’une
ville du nom de Saba. La situation est un peu plus complexe dans l’édition Ménard. Au ch. XXX,
une graphie Sarra apparaît dans le texte (p. 150), mais l’apparat critique montre que la
majorité des manuscrits proposent Saba ou Sabba. Au ch. XXXI, pour la ville d’origine d’un des
rois mages, là où apparaît Saba chez Pauthier (p. 65), Ménard (p. 153) propose Sabat mais
avec un apparat critique majoritairement en faveur de Saba ou Sabba.
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Ces variations, en fait très secondaires, sont dues aux intentions des éditeurs. Le texte
retenu par Pauthier tient compte des localisations modernes, tandis que celui de Ménard livre
la graphie attestée dans les manuscrits qu’il a l’habitude de suivre, rejetant dans l’apparat
critique les autres leçons et dans les notes les discussions sur les identifications. Chez Ménard,
il faut dans chaque cas consulter trois pages différentes pour avoir une vue complète de la
situation, ce qui est un peu gênant.
*
Mais revenons à la relation de Marco Polo en utilisant le texte de la vieille édition
Pauthier :
En Perse est la cité qui est apelée Saba, de laquelle se partirent les trois Roys quand il vinrent
aourer Jhesu Crist ; car il sont enseveli en ceste cité, en trois sepulcres moult grant et beaux. Et
dessus chascun sepulcre a une maison quarrée bien enquierée dessus ; et l’une jouste l’autre. Les
corps sont encore tout entier ; et ont cheveus et barbes. L’un avoit nom Jaspar, l’autre Melchior ;
le tiers : Balthazar. Et le dit Messire Marc Pol demanda moult à ceux de cele cité de l’être d’eux
trois roys ; mais il n’en trouva nul qui riens l’en seust dire, mais que il estoient trois roys qui
anciennement y furent seveli. (ch. XXX, p. 61-62, éd. Pauthier, 1865)
En Perse se trouve la cité appelée Saba, d’où partirent les trois rois, quand ils vinrent adorer
Jésus-Christ. Ils sont en effet enterrés dans cette ville, dans trois tombeaux, très grands et très
beaux. Et sur chaque tombe s’élève une maison carrée, bien travaillée dans sa partie supérieure.
Elles sont toutes les trois placées à côté l’une de l’autre. Les corps sont encore bien conservés : ils
ont cheveux et barbes. L’un s’appelait Gaspard, l’autre Melchior et le troisième Balthasar. Marco
Polo interrogea beaucoup les habitants pour savoir qui étaient ces personnages, mais il ne trouva
personne qui pût lui dire autre chose que « c’étaient trois rois qui y avaient été ensevelis à date
ancienne ». (trad. personnelle)
La Saba abritant les tombeaux correspond à la ville actuelle appelée en persan ‫ساوه‬
(Sāwah, Saweh, Saveh, selon les transcriptions). Pour un lecteur médiéval, pareil nom pouvait
facilement évoquer le pays de la reine de Saba ou les royaumes des rois du Psaume LXII. Mais,
on ne s’y trompera pas, à la différence de ces endroits légendaires qui orientent vers l’Arabie,
la Saba dont il est ici question n’a rien à voir avec le Yémen.
Les habitants de Sāwah ne sont manifestement pas des guides très compétents. Mais,
comme le précise la suite du texte, le voyageur vénitien peut compter sur d’autres
informateurs :
Mais à trois journées aprist ce que je vous dirai, que il trouva un chastel qui est apelés Cala
Ataperistan, qui est à dire en françois : « chasteaux qui est des aourours de feu ». Et ce est bien
leur nom, car les gens de ce chastel aourent le feu, et vous dirai pourquoy il l’aourent, si comme il
dient que anciennement leur trois roys de celle contrée alerent aourer un prophete qui estoit
nez, et porterent trois offrandes : or et encens et mirre, « pour cognoistre se celui prophete
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estoit dieu, ou roy terrien, ou mire ». Car il distrent se il prenoit l’or que il seroit roy terrien ; et se
il prenoit l’encens que il seroit dieu ; et se il prenoit le mirre que il seroit mire. (ch. XXXI, p. 62-63
éd. Pauthier, 1865)
Mais à une distance de trois jours, il apprit ce que je vais vous dire. Il trouva un lieu fortifié
appelé Cala Ataperistan, ce qui veut dire en français : « forteresse des adorateurs du feu ». Et ce
nom convient bien, car les gens de cet endroit adorent le feu. Et je vais vous dire pourquoi. Ils
disent en effet qu’anciennement les trois rois de cette contrée allèrent adorer un prophète qui
venait de naître, et leur portèrent trois offrandes : de l’or, de l’encens et de la myrrhe, pour
savoir si ce prophète était dieu, ou roi terrestre, ou médecin. Ils dirent en effet que s’il prenait
l’or, il serait un roi terrestre ; s’il prenait l’encens, un dieu, et s’il prenait la myrrhe, un médecin.
(trad. personnelle).
Marco Polo a donc eu beaucoup de chance. Il a reçu des renseignements plus précis
d’informateurs originaires d’un autre endroit de la région, dont il donne le nom : Cala
Ataperistan, une déformation du mot persan Qal-a-yi Atachparastan, qui veut dire
textuellement « château des adorateurs du feu ». Quelle que soit sa localisation précise (on en
dira un mot dans un instant), ce toponyme conserve clairement le souvenir du Zoroastrisme, la
religion antérieure à l’expansion de l’Islam et dans laquelle le culte du feu jouait un grand rôle.
Un mot de l’édition Ménard à propos du toponyme mentionné au début du paragraphe.
Elle donne Acopensten (p. 151), en proposant toutefois dans l’apparat critique (p. 244) huit
autres graphies (Acopensten, Ataperiscam, Ataperilcam, Atariscam, Ataperistam, Acaperistam,
Ataperiscan, Acapsicam, Ataperistan) et en expliquant, à un autre endroit du livre (p. 204-205),
qu’Ataperistan était la forme la plus satisfaisante.
Les informateurs parlent ensuite à Marco Polo de la rencontre de leurs rois avec l’enfant,
des présents qu’ils lui offrirent, et aussi – détail moins connu – du cadeau que Jésus leur donna
en retour et de ce qu’il en advint. Il était en réalité étroitement lié au culte du feu. Nous ne
transcrirons pas ici ce long récit, que nous retrouverons ailleurs et qui se termine comme suit :
Et ainsi le conterent ceux de cellui chasteau à Messire Marc Pol, et lui affermerent par vérité
que ainsi avoit esté, et que l’un des trois roys avoit esté d’une cité qui a nom Saba, et l’autre de
Ava, et le tiers de cellui chasteau, où il aouroient le feu avec toute celle contrée. (ch. XXXI, p. 65,
éd. Pauthier, 1865)
C’est ce que racontèrent à Marco Polo les habitants de ce lieu fortifié. Ils lui affirmèrent que
tout cela s’était réellement passé ainsi, qu’un des trois rois était originaire d’une cité nommée
Saba, que l’autre provenait de Ava, et le troisième, de ce château où ils adoraient le feu avec
toute la région. (trad. personnelle)
Dans les récits des informateurs de Marco Polo, les rois venaient donc de Saba, d’Ava et
de Cala Ataperistan. Les deux premières localités citées existent toujours aujourd’hui. On a
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parlé plus haut de Sāwah ; l’Ava du texte français correspondrait à la ville actuelle d’Awah, en
persan ‫اوه‬, à une trentaine de kilomètres de la précédente par la route.
La localisation de la troisième (Cala Ataperistan) est plus délicate. On a pensé naguère à
Qaryat al-Majus « le village des Mages » ou à Khalidabad (cfr Ménard, p. 204-205). On aurait
plutôt tendance aujourd’hui à y voir le site de Takht-e Suleiman (cfr Wikipédia et
bible.archeologie), dont les ruines imposantes sont liées au culte du feu et qui conserve le
souvenir de la ville ancienne de Shiz (Chiz). Mais entrer dans les discussions à ce sujet nous
écarterait beaucoup trop loin de notre sujet.
*
Il est plus important de relever que Marco Polo a soigneusement veillé à mettre l’épisode
des mages en évidence. Ainsi, après avoir précisé qu’en quittant Tauris il entrait en Perse (Or
laissons de Tavriz et vous conterons de la grant province de Perse), il consacrait aux mages
deux longs chapitres constituant un développement homogène (XXX et XXXI). Cet ensemble
formait une sorte d’introduction à la description générale sur la Perse. Marco Polo l’avait
même placée avant d’énumérer au chapitre suivant (XXXII) les huit provinces (« royaumes »)
perses et de décrire les villes et régions qu’il allait rencontrer dans la suite (Jasoy, Creman,
Comady, etc.).
Mais la première province, celle qui nous intéresse le plus, puisqu’elle conserve le
souvenir des rois mages, comment s’appelle-t-elle ?
Le texte de Pauthier (p. 65) est le suivant : Le premier royaume c’est au commencement. Si
a nom Casvin. L’éditeur précise toutefois que c’est la leçon d’un seul des trois manuscrits qu’il
a utilise, les deux autres portent Chascun. Ménard (p. 153) pour sa part écrit : Le premier
royaume, c’est au commencement, a a nom Casiun, donnant d’autres variantes dans son
apparat critique : Casum, Chasam, Chascun, Chasium (p. 246) et expliquant dans ses notes (p.
207) qu’à la différence de Pauthier, il lit nettement dans le manuscrit Casiun et non Casvin.
En réalité les deux éditeurs s’accordent sur l’identification de la province, désignée par le
persan Qazvin ‫قزوین‬. C’est encore aujourd’hui une ville importante (quelque 380.000 habitants
en 2011), qui est d’ailleurs toujours la capitale de la province qui porte son nom, bien que la
province iranienne actuelle soit beaucoup moins étendue que celle du XIIIe siècle.
Que conclure de tout cela ?
*
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Il n’est pas question de mettre en doute l’existence de trois tombeaux monumentaux
aperçus par Marco Polo à Sāwah, mais on ne peut évidemment pas en conclure qu’il s’agissait
réellement des tombeaux des Rois Mages. Il peut s’agit simplement de trois tombes de
personnages importants, tombés dans l’oubli et réinterprétés. Une chose toutefois est
certaine, c’est que nous avons conservé, grâce à Marco Polo et à ses informateurs, une forme
de la légende des Rois Mages qui se racontait encore dans la région à la fin du XIIIe siècle.
Indiscutablement cette version mêlait « des vestiges du culte de Zoroastre à des éléments
chrétiens d’origine orientale » (Ménard, p. 204).
Cette légende était riche en précisions topographiques (Saweh, Aweh, Cala Ataperistan)
montrant d’une manière indiscutable qu’on se trouvait dans la province perse de Qazvin, la
première que traversent des voyageurs lorsqu’ils viennent d’Arménie et qu’ils prennent la
route du sud-est vers le centre de la Perse.
Les habitants de Sāwah n’ont pas été très utiles à Marco Polo, qui a, semble-t-il, trouvé
l’essentiel de ses informations chez des gens liés à Cala Atarepistan, une localité dont
l’identification demanderait de trop longs développements. On retiendra surtout que, selon les
informateurs du voyageur, les trois rois provenaient de trois cités de la région, qu’ils ont
voyagé ensemble et qu’ils sont revenus tous les trois dans leur pays d’origine, où ils furent
enterrés l’un à côté de l’autre, dans des sépultures imposantes.
Les noms de Jaspar, Melchior et Balthazar figurent en bonne place dans le récit. Comme il
s’agit d’une légende recueillie en Orient, on peut se demander si ces noms, qui appartiennent
plutôt à la tradition occidentale, ont réellement été donnés par les informateurs de Marco
Polo ou s’ils sont dus à la culture religieuse de ce dernier. C’est un problème relativement
secondaire pour nous, mais on peut faire remarquer que ces noms apparaissent aussi dans
L’Évangile arménien de l’Enfance (cfr plus haut).
Le deuxième voyageur est Odoric de Pordenone, parfois appelé Odoric de Frioul.
2. La version d’Odoric de Pordenone
Sélection bibliographique
* L’original latin de la Relatio ou Itinerarium d’Odoric (le titre du traité varie beaucoup dans les
manuscrits) a été publié par A. Van den Wyngaert dans Sinica Franciscana, t. 1, 1929, p. 379-495.
* Une traduction en ancien français avait été effectuée par Jean le Long vers 1350. Cette traduction
est importante car elle a servi de source à Jean de Mandeville. Il en existe une édition critique
récente due à A. Andreose et Ph. Ménard, Le voyage en Asie d'Odoric de Pordenone, traduit en 1351
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par Jean Le Long, Genève, Droz, 2010, ccv-452 p. ill. (Textes littéraires français, 602). Avant cette
édition de 2010, on avait coutume de citer la traduction française de Jean Le Long en se référant à :
Henri Cordier, Les Voyages en Asie au XIVe siècle du bienheureux frère Odoric de Pordenone,
religieux de Saint-François, publié avec une introduction et des notes, Paris, Ernest Leroux, 1891.
[Recension sur le site Persée]
* N. Guglielmi, Odorico da Pordenone. Relación de viaje. Introducción, traducción y notas, Buenos
Aires, 1987, 156 p. (Colección Historia. Serie mayor, 4). [traduction en espagnol avec des notes]
Odoric de Pordenone (ou de Frioul) est aussi un de ces rares occidentaux à s’être rendus
en Extrême-Orient (Inde et Chine) pendant le Moyen Âge. Ce Franciscain semble être parti de
son couvent d’Udine vers 1316-1318 pour ne revenir qu’à la fin de 1329 ou au début de 1330.
En tout cas, c’est en mai 1330 qu’il aurait raconté l’histoire de ses voyages. Rappelons que
Marco Polo, lui, avait quitté Venise en 1271, regagné l’Italie en 1294 et dicté sa relation de
voyage en 1298. Chronologiquement Odoric aurait donc pu utiliser le Livre de Marco Polo. Il ne
semble pourtant pas l’avoir fait. En ce qui concerne l’épisode des rois mages en tout cas,
aucune influence entre les deux œuvres n’apparaît.
En ce qui concerne la Turquie et l’Iran actuels, les grandes étapes du voyage d’Odoric sont
bien connues. Comme Marco Polo, il a abordé la Perse par le nord-ouest et, à partir de Tabriz
(Thorris chez Odoric), il a suivi, comme lui, la route du sud-est.
Nous n’avons pas donné plus haut le texte de la description de Tauris chez Marco Polo
(ch. XXIX), mais le lecteur peut nous faire confiance. La présentation de la ville chez Odoric (ch.
III) ne correspond pas textuellement à celle de Marco Polo, mais les deux voyageurs ne se
contredisent pas : ils soulignent tous les deux la grandeur et la noblesse de cette ville
marchande très riche, ainsi que le caractère multiethnique et multireligieux de sa population,
dominée, comme l’écrivait Marco Polo, par les hommes qui aourent Mahommet (G. Pauthier,
p. 59) et où, pour reprendre les mots d’Odoric, les sarrasins en ont du tout la seignourie (p. 5).
Certains éléments n’apparaissent que d’un côté seulement. Ainsi il n’est question que chez
Odoric d’une importante montagne de sel qui servait à l’approvisionnement gratuit en sel de
tous les habitants de Thorris. Tout cela ne peut que confirmer – ce que nous avons déjà dit
plus haut – l’indépendance des deux récits.
*
Quoi qu’il en soit, les deux voyageurs sont donc entrés en Perse en venant de Tabriz, une
ville qu’ils décrivent globalement de la même manière. Mais à partir de là, les choses
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LES ROIS MAGES
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changent : leurs récits et leurs itinéraires ne sont plus les mêmes ; leurs optiques aussi sont
très différentes, notamment leur intérêt pour l’épisode des mages.
Contrairement à Marco Polo qui, nous l’avons dit, avait soigneusement veillé à mettre cet
épisode en évidence, Odoric lui accorde très peu d’importance. Il ne lui consacre pas de
développement particulier, se bornant à l’évoquer – c’est bien le mot – dans sa présentation
d’une des cités rencontrées. Mais disons d’abord quelques mots de l’itinéraire qu’il emprunte.
Après avoir quitté Thorris (c’est le nom qu’Odoric donne à Tauris), le moine franciscain
passe par Sodoma, que d’autres, précise-t-il, nomment Sostonia. C’est aujourd’hui Sultānīyeh,
Sultaniya, ou Soltaniyeh, ou Soltanieh selon la transcription utilisée. Il présente dans son
chapitre III cette ville dont Marco Polo n’avait pas parlé. Il signale ensuite Cassan, dont on va
parler dans un instant, puis Geth, qu’il appelle aussi Gest. C’est un parcours de plus de 1200
kilomètres, qui, dans l’édition Andreose-Ménard (2010), occupe 58 lignes : 22 pour Thorris, 14
pour Sodoma, 12 pour Cassan et 10 pour Geth.
Cassan occupe le chapitre IV. Il est important et son titre même (« De la cité de Cassan,
d’où les mages partirent à Jérusalem, aidés par la puissance de Dieu ») montre que nous
sommes au cœur de notre sujet. Le voici :
De ceste cité (il s’agit de Sodoma) m’en alay par une neif vers la Haute Indie. Si vins par
mainte[s] journees a une cité des .III. Roys qui f[i]rent offrande a Christ nouvel ney. Et appelle
on ceste cité Cassan, cité royal et de grant honneur, mais Tartres le ont moult destruite. De
ceste cité [de] Cassan jusques en Jherusalem a plus de .L. journees, dont on puet clerement
appercevoir que les .III. rois, qui de celle cité [de] Cassan vinrent et furent en .XIII. jours
admenés en Jherusalem, que ce fu par vertu divine et non humaine. En ceste cité a grant
habondance de touz biens, de pain, de vin et de toutes autres choses."» (ch. IV, p. 5, éd.
Andreose-Ménard, 2010)
De cette cité, je m’en allai par bateau vers l’Inde Supérieure. J’arrivai après plusieurs jours à
une cité des trois rois qui apportèrent des offrandes à Jésus-Christ qui venait de naître. On
l’appelle Cassan, cité royale et très renommée que les Tatares ont fort détruite. De cette cité
de Cassan jusqu’à Jérusalem, il y a plus de 50 jours de voyage. On peut donc voir clairement
que les trois rois qui, de cette cité de Cassan, vinrent et furent amenés à Jérusalem en 13
jours l’ont été par la puissance divine et non la force humaine. Dans cette ville, il y a grande
abondance de tous biens, pain, vin et autres sortes de choses. (trad. personnelle)
L’expression par une neif surprend, Sodoma-Sultānīyeh n’étant pas un port. C’est une
erreur manifeste que les éditeurs et les traducteurs corrigent généralement en introduisant la
notion de « caravane » : ainsi par exemple, un traducteur espagnol (N. Guglielmi, Odorico da
Pordenone, Buenos Aires, 1987, p. 49) glose : con una caravana, es decir en compania de otras
personas. On ne s’y attardera pas.
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LES ROIS MAGES
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Pas plus qu’on ne s’attardera sur l’expression Haute Indie, une traduction du toponyme
latin India superior qui
désigne « au Moyen Âge le Mangi, Manzi, à savoir les régions
méridionales de la Chine situées au sud du fleuve Huang-He » (Andreose-Ménard, Odoric,
2010, p. 78, n.). On a vu plus haut, à propos des « trois Indes » de Jean Hildesheim le sens très
large que pouvait revêtir le mot « Inde » au Moyen Âge. Cette Haute Indie désigne simplement
la Chine. Ces données sont pour nous secondaires.
D’autres éléments sont beaucoup plus intéressants à relever. Il y a d’abord le fait que
Marco Polo ne soufflait mot de Cassan, une ville qui correspond à l’actuelle ‫( کاشان‬en
transcription Kāchān, Kāshān), une cité de plus de 310.000 habitants en 2006. Les témoignages
des deux voyageurs ne se recouvrent donc pas. Pour Odoric, les trois rois partent de Kāshān ;
pour Marco Polo, ils sont originaires de Sāwah, d’Awah et de Cala Ataperistan. On peut
considérer qu’on reste – globalement – dans la même région, mais Kāshān est nettement plus
au sud.
Ces différences d’ordre géographique entre les deux récits permettraient à elles seules de
conclure à l’indépendance des deux auteurs. Cette conclusion est renforcée par les grandes
différences quantitatives observées dans le développement même du récit : dans l’édition
Andreose-Ménard d’Odoric, 10 lignes seulement parlent des mages, tandis que celle de Marco
Polo par Ménard leur consacre deux chapitres complets totalisant 87 lignes. La comparaison a
toute sa valeur, car ces deux éditions, parues dans la même collection, ont le même format et
le même type de présentation. L’importance qu’Odoric donne aux mages est très faible.
Les préoccupations des deux auteurs également sont très différentes. Sur les mages,
Odoric n’a rien conservé des longs récits des informateurs de Marco Polo. Il met l’accent sur
un point de détail : la distance entre la cité de départ et Jérusalem, une question que ne
soulevait même pas Marco Polo. Manifestement le moine franciscain, davantage intéressé que
le commerçant par le calendrier liturgique, est frappé par le fait que les mages n’auraient pas
pu faire le trajet Cassan-Jérusalem dans l’intervalle de douze jours entre la Noël et l’Épiphanie,
alors qu’un pareil voyage, selon ses calculs, nécessitait plus de 50 jours. Cette considération
l’avait amené à conclure expressis verbis qu’un voyage aussi rapide avait dû nécessiter une
intervention divine. Marco Polo ne s’était posé de question ni sur les distances ni sur
l’éventualité d’un miracle.
Bref, il n’est pas raisonnable de penser qu’Odoric aurait copié – ou même utilisé – Marco
Polo. Il est préférable d’imaginer que, traversant la région à quelques décennies de distance et
Folia Electronica Classica, 30 (2015)
LES ROIS MAGES
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sur des itinéraires voisins, les deux voyageurs ont entendu parler des mages. Mais
apparemment dans des endroits différents (Sāwah et Cala Ataperistan d’un côté ; Kāshān de
l’autre), et leurs informations étaient également très différentes.
Bref, le seul élément commun entre les deux récits est que les mages sont partis du nordouest de la Perse. Il ne serait donc pas exclu de penser que plusieurs villes, avec des arguments
divers, revendiquaient l’honneur d’être le point de départ des mages. L’apport essentiel
d’Odoric est d’avoir introduit dans le dossier des mages, non seulement la ville de Kāshān, sous
la forme francisée de Cassan, mais aussi les questions de distances qui traînaient avec elles le
motif du miracle.
3. La version de Jean de Mandeville
Sélection bibliographique
* Jean de Mandeville. Le Livre des Merveilles du Monde. Édition critique par Chr. Deluz, Paris, 2000,
538 p. (Sources d'Histoire Médiévale, publiées par l'Institut de Recherche et d'Histoire des Textes,
31).
* Chr. Deluz, Le livre de Jehan de Mandeville : une « géographie » au XIVe siècle, Louvain, 1958, 511
p. (Publications de l'Institut d'Études médiévales. Textes, études, congrès, 8).
* M. Tyssens, René Raelet, La version liégeoise du Livre de Mandeville, Bruxelles, 2011, LV-277 p.,
(Collection des Anciens auteurs belges. Nouvelle série, 16).
* Voyage autour de la terre. Jean de Mandeville, traduit et commenté par Chr. Deluz, Paris, 1993,
301 p. (La roue à livres, 20).
* The Book of John Mandeville with related texts. Edited and Translated, with an Introduction, by I.
M. Higgins, Indianapolis, 2011, 320 p.
* Mandeville's travels. Edited by M. C. Seymour, Oxford, 1967, 303 p.
Après les récits de Marco Polo et d’Odoric, voyons celui du Livre des Merveilles du Monde
de Jean de Mandeville. Cet auteur, au statut exact discuté, on l’a dit, est connu pour avoir
utilisé Odoric. Il nous intéresse d’autant plus que des liens particuliers le lient à Jean
d’Outremeuse et à la ville de Liège.
Des recherches approfondies, très récentes, ont jeté sur ce personnage et son œuvre un
éclairage nouveau et beaucoup plus précis. La « Quatrième de couverture » de l’édition M.
Tyssens-R. Raelet (2011) résume fort bien l’état actuel de la question.
« Le Livre de Mandeville apparaît comme un guide touristique détaillé et pittoresque. L'auteur
trace les divers itinéraires qui mènent en Terre Sainte ; il s'attarde d'abord au Caire, où il aurait
servi dans les armées du sultan, puis il visite les lieux qui furent le théâtre des événements
bibliques ; il évoque ensuite les contrées du Moyen-Orient et enfin, dans l'Asie profonde, les
prestigieux empires du Grand Can et du Prêtre Jean. »
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« De sérieux indices conduisent à penser que l'ouvrage a été rédigé à Liège. « Jean de
Mandeville » serait un nom d'emprunt, attribué au voyageur imaginaire qui rapporte son périple.
En réalité, l'œuvre est, pour l'essentiel, une compilation adroite et vivante de textes latins
antérieurs, récits de croisade et de pèlerinage, ou traités savants qui, depuis l'Antiquité,
proposaient des descriptions du monde. »
L’essentiel est dit, mais ceux qui voudraient en savoir davantage trouveront dans les
pages XIII à XXXVI de cette édition une excellente introduction à l’ensemble des problèmes liés
à l’œuvre, à son lieu de rédaction (Liège), à la date de sa parution (1356 ou 1357), à l’identité
de son auteur (Jean de Mandeville et Jean de Bourgogne seraient « un seul et même
personnage »), aux retouches introduites vers 1375 dans le texte original, aux deux grandes
versions de la tradition (la version « insulaire » d’une part, la version « continentale », dans
laquelle prend place la version « liégeoise », de l’autre) et – surtout – aux relations existant
entre l’auteur et Jean d’Outremeuse.
*
Pour en venir aux mages, le Livre de Mandeville évoque leur histoire dans deux passages
différents, d’abord quand le voyageur décrit l’Église de la Nativité à Bethléem, ensuite,
beaucoup plus loin dans le récit, quand il parcourt la région nord-occidentale de la Perse. Seuls
ces textes nous retiendront. De plus, pour ne pas alourdir inutilement la discussion, nous ne
prendrons en compte que la version liégeoise, l’examen des deux autres versions n’apportant
pas d’éléments vraiment nouveaux. Il y sera toutefois fait une allusion rapide in fine.
a. Première mention : la description de la Basilique de la Nativité
Dans la version liégeoise (éd. Tyssens-Raelet, 2011), le chapitre XXIII, intitulé De la cité de
Bethleem et de la cité qu’on nomme Euffrata ou est la plus belle esglise du monde, décrit
l’Église de la Nativité d’une manière qu’on peut considérer comme classique : la descente de
16 marches, l’endroit même de la Naissance, moult noblement ouvrez, la mangeoire de l’âne et
du bœuf, puis le puits où est tombée l’étoile qui avait servi de guide aux rois mages. Cette
dernière évocation va amener le rédacteur à développer quelque peu la question des rois.
Voici le texte :
Item, delez la tour de celle eglise dessus dite, a la dextre partie, en descendant par .xvj.
degrez, est le saint lieu ou Nostre Sire nasqui, qui est moult noblement ouvrez de marbre et
gentement point d'or et d'asur et d'autres coulours ; et delez, a .iij. pas, est la creppe du buef et
de l'asne, et assez prez est le puis ou l'estoille chey qui avoit conduit les roys Jaspar, Melcior et
Balthazar.
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LES ROIS MAGES
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Item, les Juyfs appellent les roys en hebrieu Appellius, Amerius et Damasus, et les Grigois les
nomment Algalach, Malgalach et Saraphus. Et sachiez que ces .iij. roys ne vinrent pas par
journees, maiz par miracle de Dieu, car il se trouverent en Ynde, a une cité qui a nom Cassac,
qui siet a .liij. journees de Bethleem, et ilz vinrent au .xiij. jour de la nativité, et si estoit ja le .iiij.
jour qu'il avoient veu l'estoile quant il se trouverent en celle cité : et ainsy ilz alerent en .ix.
jours les .liij. journees. (XXIII, p. 41, éd. Tyssens-Raelet, 2011)
Près de la tour de cette église, du côté droit, on descend par seize marches au saint lieu où
naquit Notre-Seigneur. Il est noblement orné de marbre et agréablement décoré de peintures
d’or et d’argent et d’autres couleurs. Tout près, à trois pas, est la crèche du bœuf et de l’âne et
assez près est le puits où est tombée l’étoile qui avait conduit les trois rois, Gaspar, Melchior et
Balthazar.
Les Juifs appellent les troIs rois en hébreu Appellius, Amerius et Damasus, et les Grecs les
appellent Algalach, Malgalach et Saraphus. Et sachez que ces trois rois n’arrivèrent pas là au
terme de journées de voyage, mais par un miracle de Dieu. Car ils se trouvèrent en Inde dans
une cité nommée Cassac qui est à cinquante-quatre jours de voyage de Bethléem et ils y
parvinrent au treizième de la Nativité. Et c’était le quatrième jour après avoir vu l’étoile qu’ils se
trouvèrent en cette cité. Et ainsi ils firent en neuf jours les cinquante-quatre jours du voyage.
(trad. personnelle)
Comme on l’a dit plus haut, l’allusion aux visiteurs orientaux à la fin du premier
paragraphe a donc conduit le rédacteur à s’intéresser de plus près au déplacement entrepris
par les rois. Et ce qui, dans son développement, retiendra l’attention, c’est moins le rappel, un
rien pédant, des noms des mages (où l’on retrouve une liste qui remonte à Pierre le Mangeur)
que les données concrètes du voyage : l’endroit du départ, les distances à parcourir, la durée
et l’intervention divine que la rapidité du trajet suppose.
Il est clair que l’on retrouve ici chez Mandeville le problème des distances et des jours de
voyage que se posait Odoric – et pas du tout Marco Polo, on s’en souviendra.
Fondamentalement, Odoric et Mandeville l’exposent dans les mêmes termes et le
solutionnent de la même manière. Trois jours après avoir vu l’étoile (le quatrième jour de son
apparition), les mages sont dans une ville, Cassac ici, Cassan là-bas, qui se situe à plus de 50
jours de voyage de Bethléem. Et le calendrier liturgique pèse de tout son poids dans le
raisonnement. Comme l’Épiphanie tombe douze jours après la Noël (le treizième jour) et qu’ils
sont évidemment arrivés à temps, ce long trajet de plus de 50 jours ne leur en a pris que neuf.
Les rois ne peuvent donc pas s’être déplacés par journees (des journées normales de voyage),
maiz par miracle de Dieu.
Cette identité générale de vues n’a rien d’étonnant. Mandeville est bien connu pour avoir
suivi Odoric, probablement même dans la version française qu’en donna Jean Le Long en 1351.
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LES ROIS MAGES
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On peut toutefois relever entre eux quelques différences, dont certaines ne manquent pas
d’intérêt.
D’abord deux points relativement secondaires. La ville d’où partent les mages pour la
Judée est appelée Cassan chez Odoric, Cassac chez Mandeville. Mais comme les deux cités
remplissent exactement le même rôle et qu’elles sont proches l’une de l’autre
phonétiquement parlant, il ne peut s’agir que d’une simple variante sans importance. Nous en
avons déjà rencontré tellement dans les récits des voyageurs.
Le second point ne mettra pas non plus en question ce qu’on pourrait appeler la
communauté de vues des deux auteurs. Pour Odoric, Cassan est « sur la route de l’Inde », ce
qui est tout à fait correct, alors que Mandeville place Cassac en Ynde, ce qui n’a
géographiquement aucun sens, du point de vue moderne en tout cas. Ce doit être une erreur.
Elle ne se répétera d’ailleurs pas dans l’autre passage de Mandeville sur les Mages (cfr infra).
La troisième observation va mettre en évidence un élément dont l’importance apparaîtra
plus nettement dans la suite. Odoric et Mandeville, qui mentionnent tous les deux la présence
des rois dans la ville de Cassan/Cassac, s’intéressent surtout à leur départ pour la Judée et à la
durée de leur trajet. Mais cela dit, le lecteur est en droit de se poser une question : cette ville
du nord-ouest de la Perse est-elle le lieu d’origine des rois ou constitue-t-elle pour eux un point
de rencontre ? Pour formuler les choses autrement : les rois proviennent-ils de Cassan/Cassac
ou d’ailleurs ?
Pour Marco Polo, on s’en souviendra, ils étaient originaires de la première province
perse (Qazvin, en transcription française), plus précisément même de trois villes de cette
province (Sāwah, Awah et Cala Ataperistan). Ils sont d’ailleurs enterrés à Sāwah. Odoric de
Pordenone, qui est passé par cette région mais dont le texte est indépendant de celui de
Marco Polo, présente Cassan comme la « cité des trois rois qui firent offrande à Jésus-Christ
nouveau-né », précisant même qu’il s’agissait d’« une cité royale très renommée que les
Tatares ont beaucoup détruite ». Bien sûr, les deux versions n’ont pas le même niveau de
précision ; la seconde est moins riche en détails que la première, mais elles se rejoignent sur
un point : les rois proviennent de la même région.
Lu avec attention, le texte de Mandeville va en quelque sorte briser la conception d’une
origine commune des rois en introduisant une information absente chez Odoric, son modèle.
Selon Mandeville, les rois étaient arrivés à Cassac « le quatrième jour de l’apparition de
l’étoile », en d’autres termes ils avaient déjà marché pendant trois jours. La conclusion obvie
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LES ROIS MAGES
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était qu’ils n’étaient pas originaires de Cassac, et que cette ville était pour eux un point de
rencontre, avant leur long voyage vers la Judée. Mandeville toutefois se garde bien d’être plus
précis.
Un peu avant le passage qui nous occupe, il avait égrené les différents noms des rois dans
les trois langues (latin, grec et hébreu). Ce détail montrait à l’évidence qu’il n’utilisait pas
seulement Odoric, lequel, comme Marco Polo, ne donnait que la série Gaspard, Melchior et
Balthazar, à rapprocher, nous l’avons dit, de la liste de Pierre le Mangeur. Mandeville toutefois
ne donnait pas explicitement les noms des pays d’où provenaient les trois rois.
b. Seconde mention : en Perse, sur la route de l’Inde
La seconde allusion aux rois mages dans le Livre des Merveilles se trouve au chapitre XLVI,
intitulé : De la montaigne ou s’aresta l’arche Noé. Elle est très brève.
À cet endroit du récit, le voyageur se trouve très loin des Lieux Saints, en route vers
l’Inde ; il a quitté l’Arménie et le mont Ararat, pour entrer en Perse et suivre l’itinéraire de
Tabriz (Tauris) en direction du sud-est, celui qu’avaient déjà suivi Marco Polo et Odoric.
Sans entrer dans les détails, nous dirons que Jean de Mandeville suit assez étroitement
l’itinéraire et la description d’Odoric : Tabriz, Sadane, qui est la Sodoma d’Odoric, avant
d’atteindre la ville des trois rois, qu’il nomme toutefois Casath, et de continuer vers Geth :
Et puis (de Sadane) vient on le chemin vers Ynde par maintes journees jusques a une cité qui a
nom Casath, qui est noble et plentueuse de vin et d’autres bienz. En celle cité s’encontrerent et
assemblerent les .III. roys par la grace de Dieu pour aller a Bethleem et aorer Nostre Seigneur et
fere a lui present d’or, mirre et encens ; et a, de celle cité jusques a Bethleem, .liij. journees.
Item, de Casath vient on a la cité de Geth, qui est a une journee de la Mer Arenouse, qui est la
meilleur cité que [l’empereur de Persie] ait en toute sa terre. (XLVI, p. 90, éd. Tyssens-Raelet, 2011)
Par rapport aux relations de Marco Polo et d’Odoric, on observe à nouveau des
différences de graphies. Ainsi par exemple la ville des rois mages, qui s’appelait Cassan chez
Odoric, Cassac chez Mandeville décrivant la Basilique de la Nativité, est, par ce même
Mandeville, nommée ici Casath. Ces variations ne sont en rien significatives. Il est plus
important de relever que la ville a retrouvé une situation géographique normale : elle n’est
plus en Ynde, comme plus haut, mais sur le chemin vers Ynde.
Les informations chiffrées que livre ce texte sur le trajet des mages sont moins détaillées
que celles données dans la description des Lieux Saints : ainsi il n’est question que des
journées de voyage entre Casath et Jérusalem (53 d’ailleurs au lieu de 54). On relève toutefois
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LES ROIS MAGES
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quelques éléments nouveaux intéressants : moins l’énumération des offrandes (or, mirre et
encens) qu’une formulation (en celle cité s’encontrerent et assemblerent les .III. roys)
confirmant ce que nous pressentions plus haut : selon ce second passage de Mandeville,
Cassac/Casath était donc une cité de rencontre, une ville-étape. Les trois rois venaient
d’ailleurs. L’auteur ne donne toutefois aucune information sur leurs régions d’origine. Il
n’aurait pourtant eu qu’à puiser dans une tradition (cfr plus haut) qui lui offrait un large choix !
c. Un mot sur les deux autres versions
Les pages qui précèdent n’ont présenté que la version liégeoise de Mandeville, mais nous
avons dit qu’il existait aussi de son texte une version continentale et une version insulaire.
L’examen attentif des deux dernières versions n’est pas susceptible de modifier en profondeur
notre présentation qui se basait uniquement sur la liégeoise. Voici toutefois, en guise
d’exemple, quelques menues différences qui pourraient se révéler intéressantes.
*
Un premier point concerne le statut exact de Cassac/Casath. Est-elle, oui ou non, autre
chose qu’une simple ville de départ ?
Sur cette question – on se souviendra –, l’analyse de la description de l’Église de la
Nativité dans la version liégeoise ne permettait pas de conclure en toute certitude. On y
trouvait écrit :
Et sachiez que ces .iij. roys ne vinrent pas par journees, maiz par miracle de Dieu, car il se
trouverent en Ynde, a une cité qui a nom Cassac, qui siet a .liij. journees de Bethleem, et ilz
vinrent au .xiij. jour de la nativité, et si estoit ja le .iiij. jour qu'il avoient veu l'estoile quant il se
trouverent en celle cité : et ainsy ilz alerent en .ix. jours les .liij. journees. (XXIII, p. 41, éd.
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Le verbe se trover y était employé deux fois. Si on le prenait dans son sens habituel, le
texte disait simplement que les trois rois « se trouvaient » dans la ville. On ne pouvait pas en
inférer qu’ils s’y étaient rencontrés et donc qu’ils étaient venus d’ailleurs.
Avec la version continentale du même passage, les choses sont plus claires. Qu’on en juge
d’après le passage suivant, où il est toujours question des rois :
Et si ne viendrent pas la par jornés, mes par miracle de Dieu, qar ils se entretroeveront en Ynde
en une cité qad a noun Cassak, qe est a LIII jornees de Bethleem, et ils y furent le XIIIme jour, et si
estoit ja le quart jor q’ils avoient veu l’esteille quand ils se entretroeveront en celle cité, et ensy ils
furent en IX jors de celle cité à Bethleem et ceo fust grand miracle. (p. 179-180, ed. Deluz, 2000).
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LES ROIS MAGES
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Ils n’arrivèrent pas là au terme de journées de voyage, mais par un miracle de Dieu. Car ils se
retrouvèrent en Inde dans une cité nommée Cassath qui est à cinquante-trois journées de voyage
de Bethléem où ils parvinrent en treize jours. Et quand ils se rencontrèrent en cette cité de
Cassath, il y avait quatre jours qu’ils avaient vu l’étoile. Ils ne mirent donc que neuf jours de cette
cité à Bethléem, ce qui est un grand miracle. (p. 53, trad. Deluz, 2000)
Au lieu du simple se trover de la version liégeoise, la version continentale utilise – à deux
reprises aussi – le composé s’entretrover, qui, en ce qui concerne le sens, ne laisse pas place au
doute. Selon le Dictionnaire du Français Moyen, s’entretrover signifie toujours « se retrouver,
se rencontrer », tandis que le simple se trover ne prend ce sens que dans certains contextes.
Mandeville faisait se rencontrer les trois rois à Cassac/Cassath, qui devient dès lors une ville de
rencontre.
*
Un second point concerne l’utilisation du miracle pour expliquer la rapidité du voyage des
mages. On rencontrait déjà le motif sous la plume d’Odoric, lequel, dans la version française de
Jean Le Long (1351), parlait de voyage accompli par vertu divine et non humaine (cfr supra). Le
Mandeville de la version liégeoise écrivait, assez sobrement, que les trois rois ne vinrent pas
par journées [des journées de route], maiz par miracle de Dieu (cfr supra). Le mot miracle,
employé une seule fois, semblait porter sur l’ensemble du voyage.
Les versions continentales et insulaires mettront davantage encore l’accent sur ce point,
en faisant intervenir à deux reprises la notion de miracle. C’est très clair dans la version
continentale qui vient d’être citée et que nous reprenons ici :
Et si ne viendrent pas la par jornés, mes par miracle de Dieu, qar ils se entretroeveront en Ynde
en une cité qad a noun Cassak, qe est a LIII jornees de Bethleem, et ils y furent le XIIIme jour, et si
estoit ja le quart jor q’ils avoient veu l’esteille quand ils se entretroeveront en celle cité, et ensy ils
furent en IX jors de celle cité à Bethleem et ceo fust grand miracle. (p. 179-180, ed. Deluz, 2000).
Ils n’arrivèrent pas là au terme de journées de voyage, mais par un miracle de Dieu. Car ils se
retrouvèrent en Inde dans une cité nommée Cassath qui est à cinquante-trois journées de voyage
de Bethléem où ils parvinrent en treize jours. Et quand ils se rencontrèrent en cette cité de
Cassath, il y avait quatre jours qu’ils avaient vu l’étoile. Ils ne mirent donc que neuf jours de cette
cité à Bethléem, ce qui est un grand miracle. (p. 53, trad. Deluz, 2000)
La version insulaire insiste elle aussi en répétant deux fois la formule. Voici par exemple le
texte anglais, dans l’édition M.C. Seymour. Il s’agit de la description de la Basilique de la
Nativité. On ne sera pas surpris par la graphie Cassak et par la localisation de la ville « en Inde »
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LES ROIS MAGES
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(a cytee in Ynde), variantes qui ne peuvent plus étonner le lecteur. L’intérêt du texte est
ailleurs :
And besyde that is the place where the sterre felle that ladde the iii. kynges, Iaspar, Melchior, and
Balthazar ; but men of Greece clepen hem thus, Galgalath, Malgalath, and Saraphie ; and the Iewes
clepen [hem] in this manere in Ebrew, Appelius, Amerrius, and Damasus. Theise iii. kynges offreden
to oure lord gold, ensense, and myrre. And thei metten togedre thorgh myracle of God, for thei
metten togedre in a cytee in Ynde that men clepen Cassak that is liii. iourneyes fro Bethleem. And
thei weren at Bethleem the xiii. day, and that was the iiii. day after that thei hadden seyn the sterre
whan thei metten in that cytee. And thus thei weren in ix. dayes fro that cytee at Bethleem, and that
was gre myracle. (ch. IX, p. 51, éd. M.C. Seymour, Mandeville’s Travels, 1967)
Et à côté [de la mangeoire du bœuf et de l’âne] se trouve l’endroit où tomba l’étoile qui avait guidé
les trois rois, Gaspard, Melchior et Balthazar. Les Grecs les appelaient alors Galgalath, Malgalath et
Saraphie ; les Juifs les appelaient en hébreu Appelius, Amerrius et Damase. Ces trois rois offrirent à
Notre-Seigneur de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Ils s’étaient rencontrés par un miracle de Dieu.
Ils s’étaient rencontrés en effet dans une ville en Inde qui s’appelait Cassak, à 53 jours de voyage de
Bethléem, et ils arrivèrent à Bethléem le 13ème jour. C’était le quatrième jour après avoir vu l’étoile
qu’ils se rencontrèrent dans cette cité. Cela leur avait donc pris 9 jours pour aller de Cassak à
Bethléem, et ce fut là un grand miracle. (trad. personnelle)
Si nous citons ce texte, c’est pour deux raisons. D’une part l’insistance – comme dans la
version continentale – sur le motif de la rencontre : thei metten togedre, répété deux fois ; et
d’autre part sur la répétition du mot myracle, encadrant l’événement raconté. C’est peut-être
un peu forcer la lecture, mais on a l’impression qu’en procédant de la sorte, l’auteur du texte
semble considérer comme relevant du miracle non seulement le déplacement de Cassak à
Jérusalem mais aussi la rencontre des rois à Cassak.
Pour Marco Polo, les trois rois étaient dans un certain sens des voisins, et les distances
parcourues ne le préoccupaient pas. Odoric ne disait rien de l’origine des visiteurs : il les faisait
simplement partir de Cassan ; seul le voyage Cassan-Jérusalem le faisait réfléchir et lui
suggérait la solution du miracle. En d’autres termes, l’« avant-Cassan » ne l’intéressait pas. Le
Mandeville de la version liégeoise (XXIII, p. 41, éd. Tyssens-Raelet, 2011) avait franchi un pas
de plus en imaginant que les rois avaient déjà marché trois ou quatre jours avant de se
rencontrer à Cassac. C’était dire implicitement qu’ils provenaient d’endroits assez éloignés les
uns des autres. L’expression miracle de Dieu – employée une fois – couvrait chez lui l’ensemble
de leur voyage.
En utilisant deux fois la formule, les versions continentales et insulaires auraient-elles
voulu d’une manière plus formelle attribuer au miracle à la fois la rapidité extraordinaire du
Folia Electronica Classica, 30 (2015)
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voyage de Cassak/Cassath à Bethléem et la rencontre à Cassak/Cassath de trois rois venus de
coins différents et qui ne se connaissaient pas.
Sur certaines questions de détail, on voit donc que l’examen des versions non liégeoises
peut fournir matière à réflexion. Ce n’est pas toujours le cas.
Ainsi on ne s’étendra pas sur les hésitations relevées dans la tradition manuscrite sur les
données chiffrées portant sur les distances et les journées de voyage. Selon Odoric, le voyage
Cassan-Bethléem prenait « plus de 50 jours ». Mandeville signalait tantôt 53, tantôt 54 jours.
En ce qui concerne le second extrait, tiré de l’itinéraire en Perse, la version liégeoise (p. 41, éd.
Tyssens-Raelet, 2011) donne 53 jours : et a, de celle cité [Casath] jusques a Bethleem, .liij.
journees. Dans la version continentale par contre (p. 295, éd. Ch. Deluz, 2000), un manuscrit a
corrigé LIII en XIIII, tandis que deux autres omettaient la phrase et qu’un autre encore
considérait que le liii jorneez désignait la distance entre Cassan et la ville suivante Geth. Toutes
ces variations ne présentent pas un grand intérêt pour nous.
Comme on le constate, les différences qu’il serait possible de relever entre la version
liégeoise, la version continentale et la version insulaire de Jean de Mandeville sont mineures et
ne nécessitent pas de longs développements. Elles donnent parfois à réfléchir, mais elles ne
modifient jamais l’essentiel du message.
*
On en a dit assez sur Jean de Mandeville et sur la version liégeoise de son Livre. Le lecteur
a sans doute l’impression que nous nous sommes exagérément attardé sur lui et sur ses deux
prédécesseurs, Marco Polo et Odoric de Pordenone. En fait il se rendra vite compte qu’il eût
été impossible sans passer par eux de commenter correctement le texte du chroniqueur
liégeois.
4. Chez Jean d’Outremeuse : Cassath, ville de rencontre et cité-étape (§ 5-7) (Myreur, I, p.
345)
Nous sommes désormais en mesure de commenter la version du voyage, tel que l’a
imaginé Jean d’Outremeuse. En voici le texte original et sa traduction en français moderne.
[p. 345] (5) Ches trois roys veirent l’estoile qui
s'apparut en Orient, le jour que Dieu fut neis, et le
veirent tous oussitost Iy uns com l'autre. Adont se
mist cascon de ches trois roys al chemyn, pour
aleir où Ii estoile les conduroit, car ilh disoient que
(5) Ces trois rois virent l’étoile apparue en
Orient le jour où Dieu vint au monde ; ils la virent
tous, l’un comme les autres, immédiatement. Tous
les trois se mirent alors en route, pour aller où
l’étoile les conduirait, car ils disaient que Dieu était
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LES ROIS MAGES
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Dieu astoit nasquis de virge qui le monde devoit
rachateir ; se le voloient aleir adoreir à la citeit de
Cassath [Calsach en B] en Ynde.
né d’une vierge et qu’il devait racheter le monde.
Ils voulaient aller l’adorer en la cité de Cassath, en
Inde.
(6) S'y soy trovarent ches trois roys et
s’asemblarent par bonne compangnie, quant ils
soy cognurent et oirent dit li uns à l’autre leurs
opinions, et astoient tous d’onne opinion.
(6) C’est là que les trois rois se retrouvèrent. Ils
se mirent ensemble, en bons compagnons,
lorsqu’ils se furent reconnus et eurent échangé
leurs vues : ils avaient tous la même opinion.
(7) Celle citeit de Cassath siet à LII journéez de
Bethleem, et nunporquant Dieu fist à trois roys
grant myracle, car ils vinrent à Bethleem à XIIIe
journee droite ; car ilh avoient jà aleit III ou IIII
journées, anchois qu’ils s’encontrassent à Cassath.
(7) Cette ville de Cassath se trouve à cinquantedeux jours de Bethléem, et cependant, Dieu fit
pour ces trois rois un grand miracle : ils arrivèrent
à Bethléem le treizième jour exactement. Avant de
se rencontrer à Cassath, ils avaient déjà marché
trois ou quatre jours. (trad. personnelle)
Il suffit de lire ces paragraphes pour comprendre que Ly Myreur des Histors a subi la nette
influence du Livre de Jean de Mandeville. Cela apparaît clairement dans la rencontre des trois
rois à Cassath (nouvelle graphie pour la ville), dans les données chiffrées concernant les
voyages (« trois ou quatre jours avant Cassath » « douze jours de Cassath à Jérusalem ») et
dans la mention – unique – d’une intervention divine (Dieu fist à trois roys grant myracle).
Voilà pour l’essentiel. Cela étant, bien des choses restent à commenter.
Un élément doit d’abord être mis en évidence. À la différence de Mandeville, qui, comme
Odoric, faisait l’impasse sur cette question, le chroniqueur liégeois avait fourni dans les
paragraphes précédents (§ 1-3) des indications relativement précises sur l’origine des trois
rois : Melchior est roi de Tarse en Perse, Gaspard roi d’Arabie et Balthazar, roi en la terre de
Saba.
Jean d’Outremeuse ne ferme donc pas les yeux sur « l’avant-Cassath ». Il assume
pleinement la donnée traditionnelle d’une origine, à la fois lointaine et diverse, des rois, tout
en l’intégrant à deux motifs nouveaux trouvés chez Mandeville : celui d’une ville-étape et celui
d’un voyage miraculeux.
Un point de détail mérite peut-être un commentaire : la localisation en Inde de Cassath, la
ville de rencontre. En fait, il s’agit là, nous le savons maintenant, de la reprise pure et simple
par Jean d’Outremeuse de la grossière erreur géographique commise par Mandeville dans son
premier texte sur les mages (il se trouverent en Ynde, a une cité qui a nom Cassac ; XXIII, p. 41,
éd. Tyssens-Raelet) et qui n’apparaît plus dans le second (le chemin vers Ynde… jusques a une
cité qui a nom Casath ; XLVI, p. 90, éd. Tyssens-Raelet). Il n’empêche que, exagérément fidèle
sur ce point à son modèle, Jean d’Outremeuse n’a vu aucune difficulté à envoyer trois
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personnes, originaires respectivement de Perse, d’Arabie et de la terre de Saba, faire étape en
Inde avant de se rendre à Jérusalem. La géographie n’est manifestement pas son fort.
Pour le reste, il n’a pas trop mal réussi à harmoniser les choses. Ses rois ont vu l’étoile en
même temps, chacun dans son pays, et ils se sont mis immédiatement en route pour se rendre
« où elle les conduirait ». De cette étoile, ils connaissaient la signification. Sans toutefois
mentionner d’où leur venait cette connaissance particulière, le chroniqueur liégeois signale en
effet « que les rois savaient que Dieu Sauveur était né d’une vierge ». La suite immédiate (« ils
voulaient aller l’adorer à Cassath ») a de fortes chances d’être une innovation de Jean
d’Outremeuse. Peut-être croit-il pouvoir ainsi expliquer l’étrange détour vers une ville-étape.
Selon lui, les trois voyageurs, indépendamment l’un de l’autre, auraient pensé que Cassath
était leur destination définitive.
La suite du texte aussi ne se trouve nulle part ailleurs et relève de l’imagination du
chroniqueur liégeois. Les trois rois sont dépeints arrivant, chacun de son côté, à Cassath
croyant adorer le Dieu qu’ils recherchent : ils constatent qu’ils se sont trompés, se
rencontrent, s’interrogent mutuellement, confrontent leurs vues avant de prendre une
décision commune. Ils ont en effet compris que leur but véritable se trouvait en Judée et qu’il
leur faut reprendre la route.
Cassath joue donc pleinement dans la version de Jean d’Outremeuse son rôle de point de
rencontre et de ville-étape. Notre auteur a retravaillé avec un certain succès ce motif que lui
fournissait Mandeville.
Que dire maintenant du miracle ? Le chroniqueur liégeois a-t-il repris ici le motif du
« double miracle » que nous supposions sous-jacent chez Mandeville ? Ce n’est pas clair. Dans
le texte du Myreur, seul le voyage Cassath-Bethléem semble visé, explicitement en tout cas,
mais, tout bien considéré, les déplacements vers Cassath pourraient aussi en avoir bénéficié :
« trois ou quatre journées » pour venir, par exemple du Yémen à Cassath sans aide divine,
c’est difficilement croyable. Mais ce n’est pas explicitement dit.
Quoi qu’il en soit, le groupe, maintenant rassemblé par bonne compangnie, se met en
route en direction de la Judée.
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D. Rencontre avec Hérode et arrivée à Bethléem (§ 8-13) (Myreur I, p. 345-346)
Les III roys vinrent en Judée
Herode parolle à eaux
Miracle à Herode
Les trois rois arrivèrent en Judée
Hérode leur parle
Miracle chez Hérode
(8) Tant alerent ches trois roys que ils entrarent
en Judée ; si ont troveit aux passaiges grans gens
d’armes qui [p. 346] les prisent, et les mynarent
devant Herode, qui leurs demandat cuy ilhs
astoient et qu'ilh queroient.
(9) Promier parlat Jaspar et dest : « Sires, nos
summes rois qui allons querant I jovene
damoiseal, qui est neis novellement, qui
justicherat nos et vos et tous cheaux qui sont et
qui sieront, car ilh est roy de tout le monde. »
(10) Quant Herode entent chu se fut mult
enbahis, et dest-ilh par trahison que chu ne poroitilh croire neis plus que uns cappons ne poroit del
escuel où ilh astoit apparelhiés por mangnier,
salhir de la tauble à la perche chantant. Là
demonstrat Dieu gran myracle, car Iy cappons
salhit en plummes com de promier, et volat à la
perche chantant.
(8) Les trois rois marchèrent jusqu’à leur arrivée
en Judée. Ils rencontrèrent aux frontières de
nombreux hommes en armes qui les arrêtèrent et
les menèrent à Hérode, lequel leur demanda qui
ils étaient et qui ils cherchaient.
(9) Jaspar parla le premier et dit : « Sire, nous
sommes des rois à la recherche d’un jeune
damoiseau, né récemment, et qui nous jugera,
nous, vous et tous ceux qui existent et qui
existeront, car il est le roi du monde entier ».
(10) Quand Hérode entendit cela, il fut très
troublé, et perfidement il dit qu’il ne pourrait pas
croire à cela plus qu’il ne pourrait croire qu’un
chapon, préparé dans une écuelle pour un repas,
puisse sauter de la table sur son perchoir en
chantant. Là Dieu fit un grand miracle, car le
chapon sauta, paré de ses plumes comme avant,
et vola vers son perchoir en chantant.
(11) Adont dest Herode aux trois rois par grant
trahison qu'ilhs alassent tant querant qu'ilh le
trovassent, et quant ilhs l'avoient troveit se
retournassent par là, et ilh l'iroit aoreir.
(12) Et les trois roys Ii oirent en convent ; puis
soy partirent de luy, et soy misent al chemyn droit
où ilh veirent l'estoile flammant, tant com ilh sont
entreis en Bethleem.
(13) Et Ii estoile s'abassat, si les mynat tout droit
sour la maison où Dieu astoit, puis chaiit Ii estoile
en I puiche ; et les trois roys entrarent en la
maison, si ont troveit Marie qui alaitoit Dieu, son
enfant.
(11) Alors Hérode, dans sa grande fourberie, dit
aux trois rois de partir à la recherche de l’enfant
jusqu’à ce qu’ils le trouvent et, qu’une fois l’enfant
trouvé, ils repassent chez lui. Il irait alors l’adorer.
(12) Les trois rois lui donnèrent leur accord ;
puis ils le quittèrent et ils reprirent la route à
l’endroit où ils virent l’étoile flamboyante, jusqu’à
leur entrée dans Bethléem.
(13) Et là, l’étoile s’abaissa et les conduisit
directement vers la maison où Dieu se trouvait,
puis elle tomba dans un puits. Les rois entrèrent
dans la maison, et trouvèrent Marie allaitant Dieu,
son enfant.
On se souviendra qu’à la fin du chapitre précédent (VII, § 8), Hérode, mis au courant par
« la bête de Jérusalem » de ce qui le menaçait, avait juré de tuer l’enfant et donné l’ordre de
surveiller les lieux de passage. Il avait même promis une solide récompense à qui capturerait le
nouveau-né (« une si grande étendue de terre qu’elle l’enrichirait à jamais »).
Rien d’étonnant dès lors que les voyageurs (VIII, § 8) aient été interceptés à la frontière
par les gens d’Hérode et conduits au roi. Sur ce point, on est très loin du récit de Matthieu,
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selon lequel les mages, ayant perdu l’étoile qui les guidait depuis l’Orient, se seraient d’euxmêmes rendus au palais d’Hérode, pour lui demander le lieu de naissance du nouveau roi. Le
dialogue avec Hérode (§ 9) par contre est davantage dans la ligne du récit canonique, encore
qu’ici Jaspar seul soit censé parler et que ce qu’il dit à Hérode ne corresponde pas exactement
aux paroles de l’Évangile.
1. Le motif du chapon cuisiné qui reprend vie (§ 10)
Le § 10, avec en particulier le « miracle du chapon », s’écarte davantage encore de
Matthieu. Jean d’Outremeuse introduit en effet dans son récit une histoire relativement peu
connue, mais attestée ailleurs. Nous croyons utile de fournir quelques attestations de ce motif.
*
La première qui vient à l’esprit se rencontre dans un apocryphe éthiopien de date
incertaine, vraisemblablement traduit de l’arabe, qui est présenté dans EAC II, 2005, p. 153203 et dont il n’existe pas encore de véritable édition critique. C’est précisément le motif du
coq qui a donné son nom à ce traité connu aujourd’hui comme Le Livre du Coq.
Pour le dire en quelques mots, ce livre raconte les trois derniers jours de la vie de Jésus,
en se basant sur les évangiles canoniques et sur des traditions apocryphes ou légendaires. Un
coq cuisiné est au menu du repas pascal que Jésus et ses apôtres prennent à Béthanie. Le
passage suivant se place au moment précis où Judas vient de quitter la table :
Le Seigneur Jésus toucha alors de son doigt le coq qui avait été tué et qui se trouvait placé
devant lui, sur le plateau. Immédiatement, le coq se leva, rendu à la vie comme auparavant, et
il se tint en face de lui, comme si le couteau n’avait jamais effleuré sa tête, comme s’il n’avait
rien perdu de sa chair. Le Seigneur Jésus-Christ lui dit : « C’est moi, qui t’ordonne, ô coq, de
suivre Judas en secret. Va à Jérusalem et tâche de savoir ce que Judas fera chez lui, auprès des
Juifs et au Temple. Après t’être envolé sans crainte, reviens ici. Il te sera donné une langue
comme aux humains, et tu feras aux apôtres de vive voix le récit de tout ce qui s’est passé. » Le
coq s’envola aussitôt et suivit Judas. (IV, 6-8, p. 169, trad. Piovanelli, EAC II, 2005)
Jésus ressuscite donc un coq qu’il charge de suivre Judas, de le surveiller et de revenir
faire rapport à Jésus de ce qu’il aura vu et entendu.
*
Le motif de Jésus mangeant avec ses disciples et ressuscitant un coq cuit qui leur est servi
se retrouve aussi dans un fragment copte attribué au Livre (apocryphe) de la Résurrection de
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Jésus-Christ par l’apôtre Barthélemy (I, 1-3, éd. EAC I, 1977, p. 307-308), mais dans une tout
autre optique.
Un des convives, Matthias, qui avait lui-même tué le coq servi à table, rapporte à Jésus
que les Juifs lui avaient dit que le sang de son maître serait versé comme celui du coq qu’il
venait de tuer. Jésus lui répond en substance : « C’est bien vrai ; mon sang va couler, je vais
mourir mais il m’arrivera après ce qui va arriver au coq ».
Alors Jésus toucha le coq et lui dit : « Je te le dis, à toi, ô coq, tu vivras comme tu vivais
auparavant, des ailes te pousseront et tu prendras ton vol afin d’annoncer le jour où je serai
livré. » Et le coq bondit sur le plat et s’échappa. Jésus dit à Matthias : « Voici, le volatile que tu
avais égorgé il y a trois heures est ressuscité, vivant… [Le texte est incomplet, mais l’idée est :
« Il en sera de même pour moi »].
*
Troisième exemple. « Un miracle analogue, qui a lieu chez Judas dans les instants qui
précèdent son suicide, a été inséré dans la forme secondaire M2 de l’Évangile de Nicodème (I,
3) avant d’être repris par une légende médiévale latine diffusée en Angleterre et en Irlande »
(EAC II, 2005, p. 139-140) ». Ce texte est absent (je crois) des deux volumes des EAC, mais on le
trouvera dans un article de Gianfranco Ravasi, intitulé Pâques selon les textes apocryphes.
Judas, Pilate, Marie, et accessible sur la Toile :
Judas, après avoir trahi Jésus, rentre chez lui, sombre et décidé à se suicider. Sa femme
cherche à le convaincre de ne pas se pendre, sûre que le Christ ne pourra jamais ressusciter.
Comme elle fait rôtir un coq pour le repas, elle parie avec son mari : « Si ce coq rôti peut
chanter, alors Jésus pourra ressusciter ». Mais, tandis qu’elle parlait, le coq écarta les ailes et
chanta trois fois. Alors Judas, pleinement convaincu, fit un nœud coulant avec la corde et alla se
pendre.
*
Les EAC II (2005) signalent également en note (p. 140, n. 1) que « la résurrection
inattendue d’un coq cuisiné joue aussi un rôle déterminant dans une autre légende médiévale,
d’origine scandinave, qui a pour protagoniste saint Étienne ».
Quoi qu’il en soit de ces différentes attestations, on ignore d’où Jean d’Outremeuse a tiré
ce motif de la résurrection d’un coq cuisiné ; on ignore aussi s’il l’a trouvé tel quel, déjà
actualisé dans l’histoire d’une rencontre entre Hérode et les mages, ou s’il a été lui-même en
contact avec le motif brut qu’il aurait ici adapté.
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Cela nous entraînerait trop loin de creuser ces différentes questions et de rechercher le
lien éventuel existant entre l’épisode du coq chantant trois fois lors du reniement de Pierre et
le motif de la résurrection du coq cuisiné.
2. Le puits des mages ou l’étoile tombée dans un puits de Bethléem
À partir du § 11, le récit de Jean d’Outremeuse va suivre d’assez près celui de Matthieu.
On y trouve : la demande fourbe d’Hérode ; l’étoile réapparue qui guide à nouveau les mages
jusqu’à Bethléem pour s’arrêter « au-dessus du lieu où était l’enfant » ; l’entrée des mages
dans la maison « où ils trouvent l’enfant avec Marie, sa mère ». Tout cependant ne provient
pas de l’évangéliste. Par exemple, le détail de Marie « allaitant » son enfant n’est pas dans
l’évangile, mais il va presque de soi.
Plus intéressante est la notice de la disparition de l’étoile dans un puits, une fois sa
mission accomplie. Elle n’apparaît ni chez Matthieu ni, semble-t-il, chez les apocryphes. Il doit
pourtant s’agir d’une antique légende.
À notre connaissance toujours, c’est Grégoire de Tours (540-594) qui en livre l’attestation
la plus ancienne :
Est autem in Bethlem puteus magnus, de qua Maria gloriosa aquam fertur hausisse. Saepius
aspicientibus miraculum inlustre monstratur, id est stella ibi mundis corde, quae apparuit
magis, ostenditur.
Venientibus devotis ac recumbentibus super os putei, operiuntur lenteo capita eorum. Tunc
ille, cuius meritum obtenuerit, videt stellam ab uno pariete putei super aquas transmigrari ad
alium in illo modo, quo solent super caelorum circulo stellae transferri. Et cum multi aspiciant,
ab illis tantum videtur, quibus est mens sanior. Nonnullos vidi, qui eam adserebant se vidisse.
Nuper autem diaconus noster retulit, quod cum quinque viris aspexit, sed duobus tantum
apparuit. (M.G.H., éd. B. Krusch, 1969, p. 38 du vol. 2 : Liber in gloria martyrum = Premier
livre des Miracula, I, 1)
On trouve à Bethléem un grand puits, où la glorieuse Marie, dit-on, avait puisé de l’eau. Il
offre assez souvent à ceux qui y regardent un miracle éclatant : l’étoile, celle qui apparut
vraiment [aux mages], s’y montre à ceux qui ont le cœur pur.
Lorsqu’ils y viennent avec dévotion et se couchent sur l’orifice du puits, on leur couvre la
tête d’un linge. Alors, celui qui le mérite, voit l’étoile passer d'une paroi du puits sur l'autre,
en rasant la surface de l'eau, de la même manière que les étoiles passent sur la voûte céleste.
Beaucoup regardent, mais elle n’est visible qu'à ceux qui ont l’esprit particulièrement sage.
J’en ai vu personnellement plusieurs qui affirmaient l’avoir vue. Récemment notre diacre a
rapporté que cinq hommes ont regardé, mais qu’elle n’est apparue qu’à deux d’entre eux.
(trad. personnelle)
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Grégoire de Tours ne précise pas l’emplacement exact de ce puits miraculeux, mais une
chose est sûre : très tôt on a montré aux pèlerins une cisterna « dans laquelle on disait qu’était
tombée l’étoile qui avait jusque là conduit les mages » et on la leur montrait « près de la
chapelle de la crèche du Christ » :
Inde ad capellam presepis Christi est cisterna, in quam dicitur stilla cecidisse, que magos illuc
duxerat. (Anonymi Descriptio Terrae Sanctae, dans le Cod. Bernensis 46, du XIIe siècle ; cfr
l’éd. de T. Tobler, Topographie von Jerusalem und seinen Umgebungen, II, Berlin, 1854, p.
467. Accessible sur la Toile)
On ne s’étonnera donc pas de voir Jean de Mandeville mentionner ce puits dans sa
description de la Basilique de la Nativité. Nous avons déjà donné le texte plus haut :
Item, delez la tour de celle eglise dessus dite, a la dextre partie, en descendant par .xvj.
degrez, est le saint lieu ou Nostre Sire nasqui, qui est moult noblement ouvrez de marbre et
gentement point d'or et d'asur et d'autres coulours ; et delez, a .iij. pas, est la creppe du buef et
de l'asne, et assez prez est le puis ou l'estoille chey qui avoit conduit les roys Jaspar, Melcior et
Balthazar. (XXIII, p. 41, éd. Tyssens-Raelet, 201)
Rien d’étonnant non plus que la notice apparaisse chez Jean d’Outremeuse. Pour
reprendre les termes de Voltaire, c’était devenu en quelque sorte la communis opinio :
On trouve dans Origène [pas de référence chez Voltaire] que l’étoile s’était arrêtée sur la tête
de l’enfant Jésus. La communis opinio fut que l’étoile se jeta dans un puits ; on prétend que ce
puits est encore montré aux pèlerins […]. Ils devraient [y] descendre car la vérité y est. (Œuvres
complètes de Voltaire. T. VI, Paris, 1837, p. 472 [Sommaire historique des quatre évangiles] [p.
302, dans une autre édition, Paris, 1877, accessible sur la Toile])
Le puits dit des Mages est toujours signalé aujourd’hui sur le site officiel de la grotte de la
Nativité. Le pèlerin s’y voit renvoyé à la tradition et à un texte du XIe siècle :
« Le puits dit des Mages », qui correspond à une grande citerne proche du presbyterium,
suscitait la curiosité des pèlerins. La Tradition rappelle que dans la citerne se reflétait la lumière
de l’étoile qui indiquait aux Mages le lieu exact de la naissance de Jésus. Comme le racontent
divers témoignages, la lumière de l’étoile resta imprimée dans le puits : « …et sur le côté nord
de la Grotte, il y a un puits sans fond, et dans l’eau du puits, on peut voir l’étoile qui
accompagna les Mages » (Épiphane le moine, XIe siècle).
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E. Les mages, les cadeaux et l’enfant Jésus (§ 14-19) (Myreur, I, p. 346)
Reprenons la lecture du texte de Jean d’Outremeuse, en nous intéressant aux cadeaux
offerts et reçus par les Mages.
Les III roys offrirent à Jhesus leurs joweals
La signifianche des III dons
Les trois rois offrirent leurs trésors à Jésus
La signification des trois présents
[p. 346] (14) Atant prist cascons des III roys ses
joweals qu'ilh avoit aporteit, et Iy offrirent ; Iy
anneis Melchior offrit encense, et Jaspar myrre, et
Balthasar oir, et ilh les prist ; lesqueis trois dons
ont trois grandes signifianches : car Iy oir signifie
qu'ilh sierat roy de tout le monde, Iy encense
signifie que ilh feroit la vielhe loy chaioir, et
estaubliroit une novelle, et Ii mirre signifioit que
ilh sieroit mors en la crois por le peuple à
rachateir.
(14) Alors ils prirent chacun les présents qu’ils
avaient apportés et les offrirent ; l’aîné, Melchior,
offrit l’encens, Jaspar la myrrhe, Balthazar l’or, et
Dieu les accepta. Ces trois présents ont trois
grandes significations : car l’or signifie que l’enfant
sera le roi de tout l’univers, l’encens signifie qu’il
fera tomber l’ancienne loi et en établira une
nouvelle, et la myrrhe veut dire qu’il mourra sur la
croix pour racheter le peuple.
(15) Item nos trovons en l'escripture que quant
Melchior ouffrit à Dieu encense, ilh Iy semblat
qu'ilh fust en l'eage de II ans, et ilh semblat à
Balthasar qu'ilh ewist V ans, et ilh semblat à Jaspar
qu'ilh ewist VII ans.
(15) Nous trouvons aussi dans un texte qu’au
moment où Melchior offrit l’encens à Dieu,
l’enfant lui sembla être âgé de deux ans ; et
Balthazar crut qu’il en avait cinq et il sembla à
Jaspar qu’il en avait sept.
Jhesus sengnat les III roys
(16) Apres chu se sont les trois roys partis, et ont
pris hosteit en Bethleem meismes ; et quant ilhs
furent al repouse se dest Melchior aux aultres :
(17) « Bien doit yestre chis enfes roy de tout le
monde, car ilh est mult saige, quant nos sengnat
de sa diestre main qui signifie qu'ilh morat en
crois, et enssi qu'ilh moy semble ilh at bien d'eage
Il ans. » Enssi demoront et se sont aleis cuchiés.
Ly angle s’apparut aux III roys
[p. 347] (18) Mains quant chu vient à meynuit,
se vient uns angle aux trois roys, qui leurs dest :
« Barons, Dieu vos mande que vous n'en raleis
mie par Judée, car Herode vos ochiroit ; mains
raleis-en par aultre voie, et Dieu vos garderat de
tous perilhes. »
(19) Quant les trois roys entendirent chu, ilhs se
Jésus bénit les trois rois
(16) Après cela, les trois rois partirent, et se
rendirent dans une auberge à Bethléem même. Et
lorsqu’ils s’y reposaient, Melchior dit aux autres :
(17) « Cet enfant doit bien être le roi du monde
entier, car il est très sage : quand il nous a bénis de
sa main droite, signifiant qu’il mourrait en croix, il
m’a semblé avoir au moins deux ans ». Ils
restèrent ainsi et allèrent se coucher.
Un ange apparut aux trois rois
(18) Mais quand arriva minuit, un ange vint vers
les trois rois et leur dit :
« Barons, Dieu vous fait savoir de ne pas
retourner par la Judée, car Hérode vous tuerait ;
prenez une autre route pour rentrer, et Dieu vous
gardera de tous les périls. »
(19 Quand les rois entendirent cela, ils se
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LES ROIS MAGES
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sont leveis, puis en ralont par altre voie, et sains
Mychiel les conduisit jusques en leurs paiis.
levèrent et s’en retournèrent par un autre chemin,
et saint Michel les conduisit jusqu’à leur pays.
Les mages sont donc maintenant en présence de l’enfant Jésus à qui ils vont offrir leurs
cadeaux. Dans le récit de Jean d’Outremeuse, la rencontre est entourée de quelques
événements un peu particuliers, assez difficiles à expliquer. Ainsi l’enfant apparaît aux mages
sous divers aspects. Par ailleurs, contrairement à ce qui se lit dans d’autres versions, le
chroniqueur liégeois n’envisage aucun cadeau qui serait donné en retour aux mages. Ils vont
repartir chez eux sans repasser par Hérode.
Mais avant d’aller plus loin, un mot sur l’origine lointaine des cadeaux offerts à Jésus par
les mages lors de leur visite.
Les cadeaux « canoniques » offerts sont l’or, l’encens et la myrrhe (Matthieu, II, 11). Si la
tradition s’est beaucoup interrogée sur la signification de ces présents (cfr ci-dessous), leur
origine lointaine n’a guère intéressé que la littérature apocryphe orientale. Ainsi, par exemple,
dans la Caverne des Trésors (Ve-VIe siècle), il s’agirait là de trois matières précieuses qu’Adam,
après la faute, aurait emportées du paradis et déposées dans cette caverne où il aurait trouvé
refuge avec Ève (V, 17). Les mages, passant par là pour gagner la Judée, les auraient utilisés
pour les offrir en présents à Jésus (XLV, 12, éd. Su-Min Ri, Louvain, 1987). C’est en fait une
question complexe sur laquelle on pourra voir le commentaire de Andreas Su-Min Ri (Louvain,
2000, p. 446-453).
Sur l’histoire primordiale de ces objets dans la caverne, le rédacteur du premier livre du
Combat d’Adam et Ève [trad. française aux éditions Filbluz], un traité postérieur au précédent
(du VII au IXe siècle) et inspiré par lui, s’attardera longuement en leur faisant jouer un grand
rôle.
On se limitera à ces brèves mentions avant de présenter la signification prise par ces trois
matières précieuses.
1. Les cadeaux offerts à Jésus et leur signification (§ 14)
Chez Jean d’Outremeuse, les cadeaux offerts reçoivent le symbolisme devenu courant
dans la tradition depuis Irénée de Lyon à la fin du IIe siècle (Contre les hérésies, III, 9, 2) et que
la compilation de Jacques de Voragine résume de la manière suivante : « l’or convient au
tribut, l’encens au sacrifice, la myrrhe à la sépulture des morts. Par ces trois présents furent
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LES ROIS MAGES
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proclamées, dans le Christ, la puissance royale, la majesté divine et la mortalité humaine. »
(Légende dorée, ch. 14, p. 115, trad. Boureau).
Fondamentalement, Jean d’Outremeuse ne dit pas autre chose :
l’or signifie que l’enfant sera le roi de tout l’univers, l’encens signifie qu’il fera tomber
l’ancienne loi et en établira une nouvelle, et la myrrhe veut dire qu’il mourra sur la croix pour
racheter le peuple.
mais la formulation qu’il adopte lui semble propre ; telle quelle, elle ne se retrouve pas
ailleurs.
En fait, si le chroniqueur liégeois avait eu devant lui l’ensemble du texte de Jacques de
Voragine, il aurait pu proposer d’autres significations. Parmi plusieurs interprétations,
l’archevêque évoquait par exemple celle, très concrète, de saint Bernard au XIIe siècle :
Selon Bernard, ils offrirent de l’or pour soulager la misère de la Vierge, de l’encens pour chasser
la puanteur de l’étable, de la myrrhe pour fortifier les membres de l’enfant et pour chasser la
vermine. (Bernard, Sermones in epiphania Domini, III, 1 ; XIIe siècle)
ou encore cette autre, très banale, due à Remi d’Auxerre (IXe siècle) :
C’était une tradition ancienne que de ne point se présenter les mains vides devant Dieu ou
devant un roi. Les Perses et les Chaldéens avaient précisément l’habitude d’offrir de tels
présents. (Homiliae VII, P.L., t. 131, 1884, col. 90-907)
On a rencontré plus haut dans les légendes recueillies par Marco Polo en Perse, la myrrhe
liée d’une manière spécifique à la médecine. Selon U. Monneret (Leggende orientali, Vatican,
1952, p. 91-95), l’idée d’un Cristo medico (« Le Christ médecin »), assez rare en Occident, est
beaucoup plus fréquente en Orient et pourrait remonter à un vieux concept mésopotamien.
À propos du symbolisme des cadeaux, on se souviendra du récit de Marco Polo, présenté
plus haut, où les trois rois partis aourer un prophete qui estoit nez :
… porterent trois offrandes : or et encens et mirre, « pour cognoistre se celui prophete estoit
dieu, ou roy terrien, ou mire ». Car il distrent se il prenoit l’or que il seroit roy terrien ; et se il
prenoit l’encens que il seroit dieu ; et se il prenoit le mirre que il seroit mire [médecin]. (ch. XXXI,
p. 63, éd. Pauthier, 1865)
*
Dans le texte canonique à l’origine de toute la tradition (Matthieu, II, 11), et longtemps
encore, les trois cadeaux (l’or, l’encens et la myrrhe) sont offerts sans spécification du
donateur, ce qui ne signifie pas nécessairement qu’ils le furent par le groupe en tant que tel.
Pierre le Mangeur utilise le terme singuli (« chacun en particulier ») : obtulerunt puero singuli
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aurum, thus et myrrham (ch. VII intitulé de oblatione et nominibus magorum) et dans La
légende dorée (Ch. XIV) va dans le même sens :
Après être entrés dans la petite demeure et avoir vu l’enfant avec la mère, ils s’agenouillèrent
et, l’un après l’autre, ils lui offrirent leurs présents, l’or, l’encens et la myrrhe (trad. Boureau, p.
114)
Mais l’indifférenciation fut assez vite levée, surtout chez les apocryphes, dont les récits
d’ailleurs s’étofferont. On verra apparaître d’autres cadeaux, voire d’autres bénéficiaires.
Ainsi dans l’Évangile du pseudo-Matthieu (ch. XVI, 2, trad. EAC I, 1997, p. 135-136),
l’enfant a deux ans lorsque les mages arrivent « dans la maison » et le trouvent assis sur les
genoux de Marie :
Alors ils ouvrirent leurs trésors et donnèrent de très riches présents à Marie et à Joseph, mais
à l’enfant lui-même ils offrirent chacun une pièce d’or. Et l’un offrit <en outre> de l’or, le
deuxième de l’encens et le troisième de la myrrhe.
De très riches présents sont ici offerts à Marie et à Joseph, tandis que l’enfant reçoit de
chaque mage une pièce d’or et que la distribution des trois présents canoniques est
individualisée. Mais l’individualisation n’est encore que partielle : aucun nom n’étant cité, le
lecteur ignore auquel des rois attribuer chacun des cadeaux.
Toutefois, lorsque les cadeaux sont expressément liés à un visiteur, il n’y a aucune
unanimité dans la tradition.
Dans l’Évangile arménien de l’Enfance (ch. XI, 2, p. 132-133, trad. Peeters, 1914), où les
mages offrent une pléthore de cadeaux, les trois présents canoniques sont attribués, pour la
myrrhe à Melkon qui tient la place de notre Melchior, pour l’encens à Gaspar, et pour l’or à
Balthasar. Dans un texte, attribué faussement à Bède et très riche en précisions sur les
caractéristiques physiques et l’habillement des mages, Melchior offre l’or, Gaspar l’encens et
Balthasar la myrrhe (Extraits des Pères contenant des sentences, des questions et des
paraboles, référence inconnue). Jean d’Outremeuse pour sa part (§ 14) confie à Melchior
l’encens, à Jaspar la myrrhe et à Balthasar l’or. Trois versions, trois répartitions différentes.
C’était manifestement là pour les rédacteurs une « matière libre », laissée à la fantaisie de
chacun.
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LES ROIS MAGES
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2. Le cas très particulier du cadeau de Melkon-Melchior : des « livres écrits et scellés par le
doigt de Dieu ».
Mais en matière de cadeaux, l’Évangile arménien de l’Enfance se caractérise par une
offrande tout à fait particulière, sur laquelle nous allons maintenant nous étendre quelque
peu. Il signale en effet que Melkon-Melchior offre à l’Enfant Jésus des « livres écrits et scellés
par le doigt de Dieu ». Cela nécessite quelques explications.
Rappelons, à propos de cet Évangile arménien que sa rédaction primitive ne serait pas
postérieure au Ve siècle, mais que son texte a subi au fil des siècles de nombreux
développements dont on a beaucoup de mal à déterminer les étapes. Une de ses
caractéristiques est de ne pas reculer devant l’amplification.
C’est le cas dans le très long chapitre XI qui, sur près de 20 pages de l’édition Peeters (p.
131-150), raconte dans le plus grand détail la visite des Mages. C’est notamment le cas en ce
qui concerne les cadeaux. Dans la tradition, on le sait, les cadeaux offerts à Jésus par les mages
se réduisent généralement à de l‘or, de l’encens et de la myrrhe. Mais le Livre arménien de
l’Enfance va non seulement les multiplier, mais en présenter un de très particulier qui
concerne directement notre sujet. Il figure dans « la hotte » de Melkon, notre Melchior.
Ainsi en XI, 2, celle-ci est censée contenir, à côté de la myrrhe, attendue, divers présents
relativement classiques comme « de l’aloès, de la mousseline, de la pourpre et des rubans de
lin », un cadeau très spécial, en l’espèce des « livres écrits et scellés par le doigt de Dieu ».
Revoici donc des livres, avec toutefois une précision essentielle : « Dieu en est l’auteur ». Le § 2
du chapitre toutefois n’en dit pas plus. Le secret ne sera dévoilé que beaucoup plus loin et
d’une manière progressive.
Une première information substantielle, encore que fort incomplète, se dégage, en XI, 10
et 11, du dialogue des mages avec Hérode. À ce dernier qui leur demande comment ils ont
appris qu’un fils de roi allait naître au pays de Judée (c’est le texte même de Mat., II, 2), les
visiteurs répondent qu’ils sont en possession d’un « témoignage écrit, gardé sous pli scellé et
transmis de génération en génération ». Ils précisent même qu’un ange est apparu pour leur
dire que le message qu’il contenait s’était réalisé et pour leur demander de venir en Judée.
Cette réponse toutefois ne satisfait pas complètement Hérode, qui insiste : « Mais d’où donc
tenez-vous donc ce témoignage connu de vous seuls ? ».
Suit un très long passage. Le début, relativement court, reprend en d’autres mots ce qui
avait déjà été dit : c’est « une lettre écrite, fermée et scellée par le doigt de Dieu », contenant
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LES ROIS MAGES
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« un ordre divin concernant un projet que le Seigneur a promis d’accomplir en faveur des
enfants des hommes » et « Notre peuple est le seul au monde à posséder ce témoignage
écrit ». Le reste du passage, beaucoup plus long, ne dévoile encore rien du contenu du
message. Il ne fait que retracer l’histoire de sa transmission des origines jusqu’aux visiteurs
d’Hérode.
On apprend ainsi (XI, 11) que ce document rédigé par Dieu et donné à Adam avait été
remis par ce dernier à Seth – nous retrouvons Seth – et s’était ensuite transmis de père en fils,
de génération en génération, jusqu’à ce que le peuple des mages « le reçoive de Melchisédech
au temps de Cyrus, roi de Perse ». Alors, continue Melkon, « nos pères le déposèrent en grand
honneur dans une salle et la lettre parvint finalement jusqu’à nous. C’est elle qui nous permit
de connaître à l’avance le nouveau monarque, fils du roi d‘Israël ».
En entendant cela, Hérode, dont l’impatience ne fait que croître, veut s’en emparer par la
force pour la lire, mais son acte violent provoque l’effondrement du bâtiment et de nombreux
morts. Hérode doit laisser partir les Mages, sans en apprendre davantage. Pas plus qu’Hérode,
le lecteur ne retire du récit aucune précision sur le contenu du message.
Pour avoir la révélation de l’ultime secret, le lecteur devra encore patienter une dizaine
de paragraphes (XI, 23). Il y a d’abord le moment où le roi Melkon présente à Jésus, sans
l’ouvrir, la lettre toujours scellée. C’est ce qu’on appellerait en langage postal un « retour à
l’expéditeur ». Le document est en effet remis à celui qui l’avait écrit – Dieu – par les héritiers
lointains de celui à qui, à l’origine, il avait été confié – Adam. Le roi Melkon est très explicite
sur ce point :
Et le roi Melkon, ayant pris le livre du Testament qu'il gardait chez lui (en héritage) des premiers
ancêtres, comme nous l'avons dit, il l’apporta, le présenta à l'enfant et dit : « Voici l'écrit en
forme de lettre, que vous avez donné à garder, après l’avoir scellé et fermé. Prenez et lisez le
document authentique que vous avez écrit. » (XI, 22)
La lettre en question, le mage l’appelle « livre du Testament », mais on ne sait toujours
pas ce qu’elle contient exactement. Le paragraphe suivant (XI, 23) va enfin révéler avec
précision non seulement à quel moment et à qui elle a été donnée, mais surtout son contenu.
Le contexte est bien expliqué par le rédacteur. Adam a été chassé du Paradis, son fils Abel
a été tué par Caïn et le meurtrier est sévèrement puni par Dieu. Adam est tellement attristé et
plongé dans le deuil que, pendant plus de 200 ans, il n’a plus eu de rapports conjugaux avec
Ève.
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Mais Dieu dans sa miséricorde lui envoya son ange et lui dit de s'approcher d'Ève. Et Dieu
donna à Adam, Seth, l'enfant de consolation. Il lui donna aussi ce livre, écrit par le doigt de Dieu,
le pacte d'Adam, portant ce qui suit : « L'an 6000, le sixième jour (de la semaine), à la sixième
heure, j'enverrai mon fils unique le Verbe divin, qui ira prendre chair dans ta race, et mon fils
deviendra le fils de l'homme et te rétablira derechef dans ta dignité première, par les suprêmes
tourments de sa croix. Et alors, Adam, tu seras comme l'un de nous, uni à Dieu d’une âme pure et
d'un corps immortel. » (XI, 23)
Ainsi, le « parchemin écrit par Dieu en lettres d’or et scellé de son propre doigt » du
début, appelé un peu plus haut « livre du Testament », reçoit ici le nom de « pacte d’Adam ».
On connaît désormais le contenu de cette lettre rédigée par Dieu et remise à Adam lors de la
naissance de Seth. Dieu y annonçait qu’il enverrait son fils s’incarner « en l’an 6000, le sixième
jour de la semaine, à la sixième heure », et, par sa mort sur la Croix, rétablir dans sa dignité
première Adam et tous ses frères les hommes.
C’est donc cette promesse solennelle de Dieu qui devait être remise intacte et en mains
propres à Dieu qui venait de naître à Bethléem pour sauver le monde. Le document qui
l’atteste, nous l’appellerons, pour la facilité des choses, « la Lettre de Dieu à Adam ». Il était
ainsi passé de mains en mains pendant des générations pour aboutir finalement dans celles de
Melkon qui, à Bethléem, le remettra à celui qui l’avait rédigé. Les mages sont devenus en
quelque sorte les « héritiers testamentaires d’Adam ». Leur mission accomplie, ils peuvent
désormais retourner chez eux.
*
Il s'agit donc, on le voit, d'un cadeau très particulier, qui tranche totalement sur ce que
rapportent les autres versions et qui méritait un traitement particulier. Il est lié au motif plus
général du « Testament d’Adam » que nous traiterons peut-être ailleurs un jour.
Mais, après ce long développement, il temps maintenant pour nous d’explorer un autre
domaine, celui des cadeaux non pas donnés mais reçus par les Mages.
Quoique la version de Jean d’Outremeuse n’en porte aucune trace, ce motif pourtant
existait. En effet, dans certaines traditions orientales, les mages seraient repartis dans leurs
pays avec des cadeaux qu’ils auraient reçus lors de leur visite à l’enfant Jésus. C’est le cas dans
les récits des informateurs de Marco Polo, également dans la Vie de Jésus en arabe, ainsi que
dans quelques autres textes. C’est ce dont nous voudrions maintenant parler.
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3. Le cadeau offert aux mages chez Marco Polo
On a présenté plus haut la relation de voyage de Marco Polo, son arrivée dans le nordouest de la Perse, où les habitants de la région connaissaient et racontaient encore la légende
de trois de leurs rois partis adorer un prophète lointain et lui offrir de l’or, de l’encens et de la
myrrhe. Des informateurs de Marco Polo, liés à un lieu-dit appelé Cala Ataperistan, lui auraient
même fourni un détail intéressant : les rois en question seraient rentrés de voyage avec un
cadeau bien particulier qui leur aurait été remis par l’enfant.
Dans le Livre de Marco Polo, le texte qui clôture le chapitre XXX (p. 63 de l’édition) est très
clair. Après que les mages lui aient remis leur cadeau, l’enfant prist toutes trois les offrandes ;
et puis leur donna une boiste close. Si s’en partirent les roys pour retourner en leur contrées. La
suite, le chapitre XXXI, raconte le retour des rois dans leur pays. Voici la traduction
française d’A. t’Serstevens (Le livre de Marco Polo, Paris, 1955, p. 86-87) :
Quand ils eurent chevauché plusieurs journées, ils se dirent qu'ils voulaient voir ce que l'enfant leur
avait donné. Ils ouvrirent donc la boîte et trouvèrent dedans une pierre, et ils se demandèrent ce
que cela voulait dire. Cela voulait dire que la foi qu'ils avaient commencée devait rester ferme en eux
comme pierre ferme. C'est pour cette raison et dans ce sens qu'ils avaient reçu la pierre. Mais eux,
qui ne comprirent pas que la pierre portait cette signifiance, la jetèrent dans un puits. Et à l'instant
descendit du ciel un feu ardent qui tomba dans le puits où la pierre avait été jetée.
Et quand les trois rois virent cette merveille, ils furent tout ébahis et se repentirent de ce [p. 87]
qu'ils avaient jeté la pierre, car ils s'aperçurent alors de la signifiance qui était grande et bonne. Ils
prirent donc de ce feu et l’emportèrent dans leur pays, et le mirent dans une église très belle et très
riche. Et quelquefois ils le font brûler et l'adorent comme un dieu, et toutes les choses qu'ils
sacrifient, ils les font cuire avec ce feu. Et s’il arrive que le feu s’éteigne, ils vont aux autres cités
d’alentour, qui gardent la même foi, et se font donner du feu qu’ils portent en leur église. Et c’est la
raison pour laquelle les gens de cette contrée adorent le feu. Et maintes fois, ils font dix jours de
marche pour trouver ce feu. Et ainsi le contèrent ceux du bourg à Messire Marco Polo et lui
affirmèrent, par vérité, qu’il en avait été ainsi.
La forme initiale du cadeau est ici une pierre dure à laquelle les mages n’attachèrent
d’abord aucune valeur. Il faudra qu’ils assistent à sa transformation prodigieuse pour en
percevoir la signification profonde. À la limite, la matière n’a donc pas d’importance, et l’on
comprend que certaines versions parallèles remplacent la pierre par du sable ou même du
cumin, comme on l’explique sur le site Les Rois Mages et la galette des Rois, ou par du pain,
comme on le verra plus loin.
Il est plus important de relever qu’on est clairement dans l’optique du Zoroastrisme.
Pareil récit conserverait-il la trace d’une tentative de « christianisation » de l’ancien culte du
feu ? Ce récit donne en tout cas l’impression que le feu qu’on adore dans le pays proviendrait,
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LES ROIS MAGES
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en dernière analyse, de la crèche de Bethléem ; directement lié à l’enfant Jésus, il aurait en fin
de compte été donné en cadeau aux rois de la région.
Nous n’insisterons pas. Pour commenter savamment pareil texte, il faudrait des
compétences que nous n’avons pas. Le même problème va d’ailleurs se poser dans le second
récit, où un autre cadeau ramené par les mages apparaît lui aussi lié au feu.
4. Le cadeau offert aux mages dans la Vie de Jésus en arabe
Ce récit figure dans la Vie de Jésus en arabe (Ch. V-VI, p. 213-214, trad. EAC I, 1997). Il
contient toutefois, par rapport au premier, une différence importante : c’est Marie, et non
Jésus, qui offre le cadeau. Mais on sait que dans cet écrit apocryphe, « le personnage principal
[…] est Marie plutôt que Jésus » (EAC I, 1997, p. 207) Il s’agit d’un lange de l’enfant, que les
visiteurs rapportent chez eux et qui va apparaît lui aussi – et ce n’est certainement pas une
coïncidence – lié au culte du feu.
Nous sommes dans le chapitre V qui décrit l’arrivée à la grotte. Le nom de Zoroastre
apparaît dès le § 1. Ce serait par une prophétie de celui-ci que les visiteurs auraient appris la
naissance de Jésus. Les visiteurs sont désignés par le mot « mages », mais comme ils déposent
leurs couronnes devant Jésus, on peut supposer qu’ils sont aussi des rois. Mais c’est là un
détail accessoire : on a étudié plus haut le statut mouvant de ces visiteurs. Voyons plutôt le
texte :
(1) Lorsque Jésus naquit à Bethléem de Judas au temps du roi Hérode, les mages vinrent de l’Orient
à Jérusalem – ainsi que l’avait prophétisé Zoroastre –, portant des offrandes d’or, de myrrhe et
d’encens. […]
(3) Lorsqu’ils arrivèrent à la grotte et y entrèrent, ils trouvèrent Joseph, Marie et l’enfant
emmailloté dans les langes et déposé dans la crèche. Ils se prosternèrent devant lui, lui présentèrent
leurs offrandes et s’informèrent de l’histoire de Joseph et Marie.
(4) Ces derniers s’étonnèrent de les voir déposer leurs couronnes devant <Jésus> et se prosterner
devant lui sans s’assurer de qui il était. Ils leur demandèrent : « Qui êtes-vous et d’où venez-vous ? »
(5) Ils répondirent : « Nous sommes des Persans, et nous sommes venus pour celui-ci. » Alors,
Marie, prit un des langes et le leur donna ; ils l’acceptèrent le plus gracieusement du monde.
(6) La nuit du jeudi suivant la naissance, l’ange apparut aux Persans, semblable à l’étoile qui les
avait guidés à l’aller ; ils s’en allèrent, guidés par sa lumière, et retournèrent dans leur pays. (ch. V, p.
213)
Le chapitre suivant (Ch. VI, p. 213-214) raconte l’histoire de ce lange que les mages, de
retour chez eux, montrèrent à leurs rois et à leurs prêtres. On fait une fête ; selon la coutume
on allume un feu devant lequel on se prosterne et on y jette ce lange, que le feu ne touche
Folia Electronica Classica, 30 (2015)
LES ROIS MAGES
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pas. « C’est, disent-ils, une chose divine, puisque le feu n’a pas pu le brûler ni le gâter ». « Et ils
le gardèrent chez eux avec beaucoup de respect. » Voici le texte :
(1) Leurs rois et leurs prêtres se réunirent entre eux et leur dirent : « Qu’avez-vous vu et
fait ? Comment êtes-vous allés et revenus ? Qu’avez-vous rapporté ? »
(2) Ils montrèrent alors le lange que Marie leur avait donné et firent une fête en son honneur ; ils
allumèrent un feu selon leur coutume, se prosternèrent devant lui et y jetèrent ce lange. Le feu le
saisit et se mêla à lui, mais lorsqu’il s’éteignit, ils en retirèrent le lange qui était comme avant : le feu
ne l’avait pas touché.
(3) Ils se mirent à le baiser et le mirent sur leurs têtes et leurs yeux, disant : « Ceci est la Vérité,
sans aucun doute ; c’est une chose divine puisque le feu n’a pas pu le brûler ni le gâter. » Et ils le
gardèrent chez eux avec beaucoup de respect.
Bien qu’il s’agisse de part et d’autre du retour des rois mages dans leurs pays, les deux
textes (le Livre de Marco Polo et la Vie de Jésus en arabe) ne racontent pas exactement la
même chose : les cadeaux ne sont pas les mêmes, leur symbolisme et leur réception non plus,
mais les deux récits semblent avoir un lien avec le Zoroastrisme et avec les « adorateurs du
feu » en Perse.
5. D’autres variantes du même motif
SI l’on fait abstraction des variantes pour aller à l’essentiel, la structure du motif examiné
est simple. Lors de leur visite à Bethléem, les mages reçoivent un cadeau en retour, offert par
Jésus ou par Marie. Dans un premier temps, ils le considèrent comme un objet sans valeur, au
point parfois qu’ils tentent de s’en débarrasser. Sa grande importance n’apparaît que dans la
suite (en cours de trajet ou à la fin du voyage), dans les rapports fondamentaux qu’il
entretient avec le feu et avec son culte.
Les deux exemples détaillés ci-dessus sont probablement les plus significatifs, mais
d’autres attestations existent. On les trouvera, analysées en détail, dans le volumineux dossier
constitué par Ugo Monneret dans son livre (Le leggende orientali sui magi evangelici, Cité du
Vatican, 1952). Le titre de son chapitre II (p. 69-118) est très explicite : I Magi e il dono del
Messia. En voici quelques-unes.
Au Xe siècle, un polygraphe et chroniqueur arabe du nom d’Al-Mas’ūdī, traitant du culte
mazdéen du feu dans Les prairies d’or (t. IV, Paris, 1865, p. 79-80), fait état d’une légende
selon laquelle Jésus donne un pain en cadeau aux Mages. Ceux-ci le cachent sous une pierre
mais le pain disparaît dans les profondeurs de la terre. À cet endroit, on creuse un puits d'où
jaillissent deux jets de feu (Monneret, ibidem, p. 71).
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LES ROIS MAGES
51
Cette forme de la légende apparaît dans le Protévangile de Jacques, mais uniquement
dans une traduction éthiopienne du texte. Les mages y sont appelés Tanisurām, Malīk et
Sisseba (on a vu plus haut combien leurs noms pouvaient varier) et la scène décrite se passe
après leur retour au pays, lors du rapport qu’ils font à « leur roi » sur ce qu’ils ont vu et fait.
Voici la fin du récit (Monneret, ibidem, p. 72) :
Leur roi leur demanda (parlant de l’enfant) : « Que vous-a-t-il donné ? ». Ils répondirent en disant :
« Il nous a donné un petit pain béni, que nous avons caché sous terre ». Alors le roi dit : « Allez le
rechercher et rapportez-le-moi ». Les mages retournèrent là où ils avaient caché le pain, creusèrent
le sol et, du trou, sortit du feu. Et c’est pourquoi les Mages depuis lors adorent le feu.
Des variantes existent. Ainsi, dans la rédaction éthiopienne des Miracles de Jésus (ch. VI,
5, p. 615 ; éd. S. Grébaut, dans Patrologia Orientalis, XII, p. 615), le pain en question est un
pain d’orge, donné comme viatique aux mages par Marie, qui n’avait rien d’autre à offrir.
Mais restons-en là. Tous ces textes nous mettent en présence d’une légende étiologique
sur les origines du culte zoroastrien du feu, due à une plume chrétienne et de date incertaine.
6. Des questions d’âge et d’apparence physique (§ 14-17)
Melchior est le seul à propos duquel Jean d’Outremeuse donne une indication d’âge : il
apparaît comme l’aîné (§ 14). Manifestement cet aspect des choses ne semble pas avoir
beaucoup d’importance pour notre auteur, pas plus d’ailleurs que l’aspect extérieur des
visiteurs (taille, chevelure, barbe, vêtements). C’est généralement le cas d’ailleurs dans la
tradition littéraire sur les mages. La longue compilation de Jacques de Voragine sur l’Épiphanie
(Légende dorée, ch. XIV, p. 107-116, trad. Boureau) par exemple ne fournit aucun détail de cet
ordre.
À vrai dire, le problème de l’apparence physique a surtout dû se poser aux multiples
auteurs de tableaux, de mosaïques ou de dessins. C’est que les représentations
iconographiques des mages sont très nombreuses, les plus anciennes remontant au IIIe siècle
(Wikipédia, art. Rois Mages) ; à partir du XVe siècle, l’Adoration des Mages est même devenue
un thème très prisé par les peintres. Et sur ce plan-là aussi, les représentations des mages ont
connu une évolution multiséculaire que l’angle choisi pour cette étude ne nous permet pas
d’explorer.
Le fait devait toutefois être signalé et, dans cette optique, le lecteur sera peut-être
intéressé par la citation suivante, où Marie-Odile Mergnac a tenté de schématiser cette
évolution sur sa page « Qui sont les rois mages ? » :
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Les tableaux, mosaïques ou dessins les plus anciens représentent les Rois mages en costume
persan, avec des pantalons serrés à la cheville et des bonnets phrygiens ; ils offrent leurs
présents selon le rite de la Perse, en tenant les offrandes dans des mains recouvertes par leurs
manteaux. Ce n’est qu’à partir du IXème siècle qu’on prend l’habitude de les désigner comme
des rois, avec des couronnes sur la tête.
À partir du XIIème siècle, nouvelle évolution qui montre à travers eux les trois âges de la vie :
Gaspard est un adolescent jeune et imberbe, Balthazar un homme mûr portant la barbe et
Melchior un vieillard chauve à barbe blanche. Enfin, à partir du XVème siècle, les Rois mages
évoquent l’humanité tout entière : un asiatique, un blanc, un noir. Les peintres n’ont pas ajouté
de quatrième Mage pour les Indiens après la découverte du Nouveau Monde par Christophe
Colomb. Il n’y a que dans la cathédrale de Viseu au Portugal qu’on voit un chef indien du Brésil
apporter ses présents au nouveau-né de Bethléem.
Mais cela nous entraîne assez loin de la très brève, et d’ailleurs imprécise, allusion de Jean
d’Outremeuse à l’âge de Melchior.
*
En réalité la version du chroniqueur liégeois contient une autre allusion, beaucoup plus
curieuse, à des questions d’âge, mais elle concerne cette fois l’enfant Jésus. Elle semble se
développer en deux phases. On trouve d’abord au § 15 :
Nous trouvons dans un texte qu’au moment où Melchior offrit l’encens à dieu, l’enfant lui
sembla être âgé de deux ans. Balthasar crut qu’il en avait cinq et il sembla à Jaspar qu’il en avait
sept.
Deux paragraphes plus loin, au § 17, Melchior revient sur cette rencontre avec Jésus et
l’impression que ce dernier lui a faite. Il dit à ses compagnons :
« Cet enfant doit bien être le roi du monde entier, car il est très sage ; quand il nous a bénis
de sa main droite, signifiant qu’il mourrait en croix, il m’a semblé avoir au moins deux ans. »
Tout cela laisse perplexe et le commentaire n’est pas facile.
Nous commencerons par le geste de bénédiction de Jésus et la réflexion qu’il suscite chez
Melchior. La bénédiction de la main droite étant un signe de croix, l’allusion à la mort sur la
croix se comprend. Ce qui se comprend moins bien, c’est non seulement la phrase qui
précède : « il doit être le roi du monde entier, car il est très sage », mais aussi le rapport
existant entre cette royauté, la mort en croix et l’âge de deux ans.
Par ailleurs, le chroniqueur liégeois n’attribue à l’enfant aucun geste adressé aux deux
compagnons de Melchior et – plus largement – aucun autre texte, à notre connaissance, ne
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LES ROIS MAGES
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fait état d’une bénédiction ou d’un signe de croix de Jésus à l’intention des mages en général
ou de l’un d’entre eux.
La première impression du lecteur est que Jean d’Outremeuse a abrégé – d’une manière
abrupte et maladroite – un récit qui devait être beaucoup plus long et qui développait un motif
très spécial, celui d’une multiplicité d’apparences sous lesquelles Jésus se serait présenté aux
rois mages. Dans un premier temps (§ 15), chaque visiteur aurait eu sa propre vision de
l’enfant. Dans un second temps (§ 16-17), les trois mages, réunis, auraient confronté ces
images disparates et réfléchi sur le message qu’elles étaient susceptibles de véhiculer.
Effectivement, ce motif de la multiplicité d’apparences est solidement attesté, mais avec
des actualisations très différentes, dans l’Évangile arménien de l’Enfance et dans le Devisement
du monde de Marco Polo. Voyons ces deux témoignages plus en détail.
7. Multiplicité d’apparences dans l’Évangile arménien de l’Enfance.
Cet ouvrage apocryphe, dont l’original syriaque est perdu et que nous avons déjà
rencontré à plusieurs reprises, est connu par une traduction arménienne. Les spécialistes le
voient comme une amplification du Protévangile de Jacques et de l’Évangile de l’enfance par
Thomas. Sa rédaction primitive ne serait pas postérieure au Ve siècle mais le texte dont nous
disposons a subi au fil des siècles de nombreux développements dont on a beaucoup de mal à
déterminer les étapes (Dictionnaire encyclopédique de la Bible).
La visite des mages est racontée en détail au chapitre XI, où elle occupe près de 20 pages
dans l’édition Peeters (p. 131-150). Voici les passages qui nous intéressent.
Au § 17, les trois rois, prosternés devant l’enfant « dans la crèche des animaux », lui
offrent tour à tour leurs présents : l’encens (entre autres) pour Gaspar, roi de l’Inde, puis l’or
(entre autres) pour Balthazar, roi des Arabes, puis la myrrhe (entre autres) pour Melkon, roi
des Perses. Au § 18, quand ils sortent, ils décident de se raconter les uns aux autres « ce qui
leur est apparu ». Ils sont alors surpris et émerveillés par leurs récits, que le narrateur rapporte
aux §§ 19-21 et que nous allons transcrire ci-dessous.
Ces récits racontent que chaque roi a eu une vision différente de l’enfant et que ces
visions ne sont pas seulement complexes mais mouvantes. Elles passent même en quelque
sorte « d’un roi à l’autre ». Le passage est fort long, signe probable qu’on n’est pas en
présence de la rédaction primitive, mais d’un développement relativement récent. Par ailleurs,
on n’est pas sûr de bien le comprendre. Quoi qu’il en soit, voici comment il se présente :
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§ 19. Le roi Gaspar dit : « Lorsque j’eus apporté et présenté l’encens à cet (enfant), je vis en lui
le Fils de Dieu incarné, assis sur un trône de gloire, et l’armée des (anges) incorporels formait sa
cour. ». Balthasar dit : « Tandis que je m’approchais, je le vis siégeant sur un trône sublime et,
devant lui, une armée innombrable l’adorait prosternée. » Melkon dit : « Et moi, je vis qu’après
être mort corporellement dans des supplices, il se levait, revenu à la vie. »
En entendant ces choses les uns des autres, les rois, frappés de stupeur, se dirent avec
étonnement : « Quel est ce nouveau prodige qui se montre à nous : nos témoignages ne
s’accordent pas. Il nous faut (pourtant) croire un fait que nous voyons de nos yeux ».
§ 20. Et le matin, les rois s’étant levés se dirent les uns aux autres : « Venez, allons ensemble à
la grotte ; nous verrons si quelque autre signe se montrera à nous. » Balthasar y alla et ne vit plus
la vision qu’il avait eue d’abord ; mais ce fut le fils d’un homme, d’un roi terrestre qui lui apparut.
Gaspar vit l’enfant assis dans la mangeoire des animaux et il vit la seconde vision. Il en fit le récit
aux autres (en ces termes) : « Ce n’est plus ma première vision que j’ai eue ; c’est la vôtre,
Balthasar, celle que vous nous avez rapportée. » Melkon entra alors et vit Jésus assis sur son
trône. Il ne revit pas sa précédente vision, qui le lui avait montré mort et revenu à la vie ; mais il
vit en lui, comme l’avait vu Gaspar, Dieu fait homme né de la Vierge. Plein de joie, Melkon s’en
fut en hâte prévenir ses frères.
§ 21. Après avoir vu ces choses et s’être retirés chacun à part soi, tous les rois se réunirent et
tinrent séance. Ils commencèrent à se raconter les uns aux autres la vision que (chacun) avait
perçue et comprise. Ils se dirent mutuellement : « Venez, frères, retournons à notre gîte.
(Demain), de bonne heure, nous nous rendrons de nouveau à la caverne et nous nous assurerons
positivement si c’est bien là celui que le Seigneur nous a montré. » Étant donc retournés à leur
habitation, ils demeurèrent dans la joie et l’allégresse jusqu’au matin.
Et de bonne heure, s’étant levés, ils allèrent jusqu’à l’ouverture de la caverne. Après être entrés
un à un, les rois regardèrent et reconnurent l’(enfant). Ils se sentirent au cœur un même
transport d’allégresse ; ils se réjouirent et, pleins de joie et d’amour, ils allèrent annoncer à toute
leur armée en ces termes : « Celui-ci est vraiment Dieu et fils de Dieu, qui s’est montré à chacun
de nous sous une apparence extérieure en rapport avec notre offrande ; il a reçu de nous avec
bonté et douceur notre salut et nos hommages. » Et (tous) eurent foi en (lui) : les rois, les
princes, toute la multitude de l’armée et le peuple qui se trouvait là.
La tradition manuscrite est complexe et certains manuscrits livrent un texte différent ;
nous nous sommes borné à livrer le texte retenu par l’éditeur. Il est déjà suffisamment
complexe, mais il suffit à notre propos, qui est de dégager, sans entrer dans trop de détails, le
motif de la multiplicité d’apparences.
Pour comprendre ce récit, un élément de solution se trouve probablement dans la
dernière partie du texte : « il s’est montré à chacun de nous sous une apparence extérieure en
rapport avec notre offrande ». On a vu plus haut le symbolisme des offrandes. L’encens
qu’offre Gaspar et qui est lié à la sphère religieuse fait en quelque sorte apparaître le fils de
Dieu, assis au Ciel sur un trône de gloire avec, pour courtisans, une armée d’anges. L’or de
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Balthazar, lié à la puissance royale, provoque la vision d’un roi, adoré par une foule
innombrable. Quant à la myrrhe, liée à la mort, à l’ensevelissement dans le tombeau et à la
résurrection, elle fait voir à Melchior un Christ « mort corporellement dans des supplices, se
lever et revenir à la vie. » Lorsque les mages se concertent et réalisent qu’ils ont vu chacun des
choses différentes, ils décident de retourner à la grotte.
Mais les choses apparemment se complexifient car ils n’ont plus la même vision que lors
de leur visite précédente. Le texte retenu par l’éditeur n’est pas très clair et nous n’avons pas
l’intention d’explorer la tradition manuscrite pour l’améliorer. Quoi qu’il en soit, on a
l’impression que Balthasar a vu « le fils d’un homme, d’un roi terrestre » tandis que Malkon et
Gaspar voyaient un « Dieu fait homme né de la Vierge ».
Il semble même qu’il y ait eu une troisième visite à la grotte au cours de laquelle les trois
rois virent un enfant s’offrir à eux.
8. Multiplicité d’apparences dans la relation de Marco Polo
Le motif de la multiplicité d’apparences de l’enfant Jésus se rencontre aussi dans le
Devisement du Monde de Marco Polo. Ses informateurs lui avaient raconté, avec assez bien de
de détails, la rencontre des rois mages avec l’enfant Jésus. Nous donnerons ci-dessous la
traduction proposée par A. t’Serstevens (Le livre de Marco Polo, Paris, 1955, p. 86). Le « ils » du
début désigne les informateurs de Marco Polo :
Ils disent qu'anciennement les trois rois de cette contrée allèrent adorer un prophète qui était né
et lui portèrent trois offrandes, or, encens et myrrhe, pour savoir si ce prophète était dieu, roi
terrestre ou médecin. Car ils disaient que s'il prenait l'or ce serait un roi terrestre, s'il prenait
l'encens, ce serait un dieu, s'il prenait la myrrhe, ce serait un médecin.
Or, il advint que quand ils furent arrivés là où l'enfant était né, le plus jeune des trois rois entra le
premier et trouva l'enfant du même âge que lui. Et après, entra l'autre, qui était d'âge moyen ; et de
même, il lui sembla, comme à l'autre, avoir le même âge que lui. Et il sortit, tout émerveillé. Puis
entra l'autre, de plus grand âge, et il lui arriva la même chose qu'aux deux précédents ; et il sortit
tout pensif.
Et quand ils furent tous trois assemblés, chacun dit ce qu'il avait trouvé et vu ; et ils en eurent
grand-merveille. Ils s'accordèrent alors d'entrer tous trois ensemble, y allèrent et trouvèrent l'enfant
de l'âge qu'il avait, c'est-à-dire de treize jours. Ils l'adorèrent et lui offrirent l'or, l'encens et la
myrrhe. Et l'enfant prit les trois offrandes, et puis leur donna une boîte close. Et s'en repartirent les
rois pour retourner en leur contrée.
On a la nette impression de se trouver devant un texte organisé un peu de la même
manière que dans l’Évangile arménien de l’Enfance mais en modèle réduit. Dans un premier
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temps, lorsque chacun des rois se présente seul, il croit rencontrer quelqu’un du même âge
que lui : un homme jeune, un adulte, un vieillard. En d’autres termes, l’âge de Jésus se modèle
sur celui du visiteur. C’est dans un second temps seulement, lorsqu’ils entrent ensemble qu’ils
ont devant eux la réalité, c’est-à-dire un petit enfant de treize jours.
Ici, il ne semble pas y avoir ici autant de visites que dans l’Évangile arménien, et surtout
pas autant de complexité en ce qui concerne les visions. Par ailleurs, on ne voit pas très bien la
signification des changements chez l’enfant Jésus. Il prend bien sûr l’âge de son visiteur, mais
qu’est-ce que cela veut dire ? Que pour voir la réalité de Dieu, il faut se présenter à lui en
laissant de côté tout ce qu’on a pu imaginer de Lui, en se débarrassant de tous les préjugés
qu’on peut nourrir sur Lui, en étant simplement soi-même ?
En tout cas, avec ce texte du Devisement du Monde, on se trouve devant une autre
actualisation du motif des apparences multiples.
9. Multiplicité d’apparences dans la version de Jean d’Outremeuse
Les deux exemples qui viennent d’être mentionnés ne prouvent qu’une chose, c’est
l’existence d’un motif auquel Jean d’Outremeuse a fait lui aussi appel. Oserait-on l’appeler le
motif de « visions variables » ou celui de la « multiplicité d’apparences » ? Mais cela dit, nous
sommes bien incapable de mettre la main sur le modèle précis qui l’aurait inspiré.
Chronologiquement, il aurait pu utiliser, directement ou indirectement, l’Évangile
arménien de l’Enfance, voire le Devisement du Monde, mais force est de reconnaître que les
correspondances de contenu entre le passage du Myreur et les deux autres textes sont
extrêmement faibles. Peut-être rencontrerons-nous un jour un texte dont aurait pu s’inspirer
le chroniqueur liégeois. Jusqu’ici nous ne l’avons pas trouvé.
10. Le retour des mages
La finale de l’épisode des mages n’offre pas une grande originalité. Elle ne fait que
développer le récit canonique : « Et ayant été avertis en songe de ne point retourner vers
Hérode, ils [les mages] regagnèrent leur pays par un autre chemin. » (Matthieu, II, 12).
Chez le chroniqueur liégeois, l’injonction divine se place vers minuit, elle est présentée en
style direct et est mise dans la bouche d’un ange. L’ange guide, pour ne pas parler d’ange
annonciateur, se rencontre dans plusieurs apocryphes, et dans la compilation de Jacques de
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LES ROIS MAGES
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Voragine (Épiphanie, ch. XIV, p. 16, trad. Boureau), « ils rentrèrent sous la conduite d’un
ange ». Mais la croyance que les mages rentrent chez eux « guidés par saint Michel », à notre
connaissance, est propre à Jean d’Outremeuse.
Pourquoi saint Michel ? Ce dernier a beaucoup de fonctions dans le christianisme et la
culture chrétienne européenne lui fait beaucoup de place. Mais quand il joue le rôle de guide,
c’est plutôt comme psychopompe, pour conduire les âmes vers le Paradis.
Chez Matthieu, les mages rentrent simplement chez eux, « par un autre chemin ». Jacques
de Voragine parle d’un ange. Ce dernier, sous la plume de Jean d’Outremeuse, aurait-il été
l’archange saint Michel ?
*
Ce qu’ont fait les mages après leur retour n’intéresse guère la tradition. Si l’on peut croire
Marco Polo et ses informateurs (cfr supra, p. 17ss), les mages originaires de la première
province perse sont enterrés tous les trois à Sāwah où le voyageur vénitien a encore pu voir
leurs tombeaux. On sait par ailleurs que c’est au cours de leur voyage de retour que ces
mêmes informateurs placent le prodige du cadeau de Jésus – une pierre dure – qui se
transforme en un feu rayonnant. Le rédacteur de la Vie de Jésus en arabe connaît également
un épisode prodigieux qui relie au feu le prodige du lange de Jésus : il résiste au feu, est donc
supérieur à lui, et sera conservé par les mages avec beaucoup de respect. Dans les deux cas, on
devine un lien sous-jacent avec le culte du feu dans le Zoroastrisme.
D’autres versions mettent les mages en rapport avec l’apôtre Thomas. Ainsi le chapitre
XXVI de l’Historia Trium Regum de Jean de Hildesheim raconte que les Mages mirent deux ans
à retourner chez eux et qu’une fois rentrés au pays, ils construisirent une belle chapelle où ils
décidèrent d’être enterrés après leur mort. Ils passèrent le reste de leur vie dans une humilité
et une dévotion telles que tout le monde n’arrêtait pas de louer leurs vertus, « jusqu’à l’arrivée
du bienheureux Thomas l’Apôtre, après l’ascension du Seigneur » (in laudabili vita usque post
ascensionem domini ad adventum beati Thome apostoli). On sait que pour Jean de Hildesheim
les rois mages proviennent de l’Inde, et que par ailleurs la tradition fait de Thomas
l’évangélisateur de l’Inde. Un apocryphe ancien (il remonterait au IIIe siècle), intitulé les Actes
de Thomas, raconte longuement la vie et l’œuvre de l’apôtre au royaume indo-parthe du Taxila
(présentation et édition dans EAC I, 1997, p. 1121-1470).
En fait, le lien de Thomas avec les mages est beaucoup plus ancien que Jean de
Hildesheim, puisque qu’on trouve déjà dans le pseudo-Chrysostome (Opus imperfectum, Hom.
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LES ROIS MAGES
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2, P.G., t. 56, 1859, col. 638) « que Thomas se rendit dans le pays des Mages qui étaient venus
adorer le Christ, qu’il les baptisa et qu’ils l’aidèrent à répandre la foi chrétienne ». Telle est la
phrase par laquelle Jacques de Voragine termine le chapitre V de sa Légende dorée intitulé
« Saint Thomas, apôtre ». Ce paragraphe, ajouté lors de la seconde rédaction du traité, clôture
de manière plutôt abrupte un développement long de quelque huit pages dans l’édition de La
Pléiade (p. 40-48) et qui ne soufflait mot d’un quelconque rapport de l’apôtre avec les mages.
11. Et d’autres points encore…
Il est temps d’en rester là. En voulant mettre la version de Jean d’Outremeuse dans son
contexte, nous en avons déjà beaucoup dit sur les mages. Et il y aurait encore tellement à dire.
Nous aurions voulu parler aussi des reliques des mages (les reliquaires de Cologne et du
Mont Athos), des rapports entre le drame liturgique et l’évolution de la tradition, des
tentatives diverses de la tradition pour rendre compte du fait que les mages connaissaient
parfaitement la signification de la mystérieuse étoile qu’ils avaient vu apparaître en Orient. Ces
points de détails de la tradition mériteraient un examen particulier. Un autre sujet aussi, plus
général et plus délicat, aurait dû être traité : celui de l’historicité du motif des mages et de
l’étoile de Bethléem. Nous nous réservons de revenir sur ces questions dans une série
d’exposés qui seront moins liés à Jean d’Outremeuse.
[Suite]
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