Saisonniers - Agriculture

Transcription

Saisonniers - Agriculture
Lutte contre l’ignorance
EQUAL
et les discriminations
au travail et dans
l’entreprise
RECRUTEMENT ET MOBILITÉ POUR
UNE PRÉVENTION DES DISCRIMINATIONS
DANS L’AGRICULTURE
Analyse de cas dans le secteur fruits et
légumes du département de la Drôme
Une action initiée par :
En partenariatavec :
Mai 2005
Financée par :
Expertise et logistique : ISM-CORUM
32 cours Lafayette 69003 Lyon
Contact : Annie MAGUER
Tél. : 04 72 84 78 90
[email protected]
ISM-CORUM
RECRUTEMENT ET MOBILITE
ANALYSE POUR UNE PREVENTION DES DISCRIMINATIONS
L’AGRICULTURE
Etude de quelques cas dans le secteur des fruits et légumes
du département de la Drôme
Analyse et rédaction :
Jacques BAROU
Avec la collaboration pour les enquêtes de
Sid Ali ZAIR
Mai 2005
ISM-CORUM
Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations
1
SOMMAIRE
Introduction _______________________________________________________________ 3
Rappel de la problématique et de la méthode _______________________________________ 5
C h a p i t r e I : Le point de vue des employeurs ________________________________ 11
1 - Profil des employeurs rencontrés ______________________________________________ 11
2. Le problème de recrutement __________________________________________________ 14
3 – Le profil des salariés vu par les employeurs _____________________________________ 19
4 – La gestion de la main d’œuvre ________________________________________________ 27
5 – L’avenir du travail agricole __________________________________________________ 33
C h a p i t r e II : Le point de vue des salaries___________________________________ 37
1 – Profil des salariés rencontrés _________________________________________________ 37
2 - Embauche et conditions de travail ____________________________________________ 38
3 – Evolution dans le métier _____________________________________________________ 47
4 – Les discriminations _________________________________________________________ 53
Conclusion _______________________________________________________________ 60
ISM-CORUM
Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations
2
INTRODUCTION
Cette étude s‘appuie sur une brève enquête réalisée entre janvier et avril 2005 auprès de
salariés et d’employeurs du secteur des fruits et légumes dans le département de la Drôme.
Elle s’inscrit dans le cadre du programme d’intérêt communautaire européen Equal de lutte
contre les discriminations raciales et sexuelles dans le monde du travail et elle vise à
compléter d’autres investigations entreprises dans le cadre de ce même programme
concernant l’emploi saisonnier dans le secteur du tourisme dans la région Rhône-Alpes.
Si de nombreux travaux ont été conduits sur la question de l’emploi dans le secteur de
l’agriculture, de l’agro-tourisme, de l’emploi rural, de l’emploi des femmes dans le secteur
agricole, la question des discriminations raciales est une question sur laquelle on ne dispose
que de très peu d’informations.
Il était donc impossible de s’appuyer sur de précédents travaux pour mieux définir la
problématique et le champ de la présente investigation. Afin de cibler un champ d’étude
pertinent et surtout praticable dans le cadre d’un projet qui a eu du mal à se mettre en place,
ISM-CORUM a d’abord rencontré différentes structures qui interviennent dans le
département au niveau de l’emploi dans le secteur de l’agriculture, à savoir :
-
L’association AIDER, qui intervient beaucoup dans l’accompagnement à la
création de GE ou de GEIQ,
-
l’Equal ITIVER, qui travaille sur les représentations et les difficultés de
recrutement dans les filières agricoles et mobilise de nombreux partenaires du
monde agricole 1 ,
-
l’ADEFA, instance paritaire dans le secteur agricole, qui développe une mission
autour du travail saisonnier et qui est l’interlocuteur des pouvoirs publics en
matière de politiques locales d’emploi.
Initialement, il était prévu de mener l’enquête dans l’arrondissement de Pierrelatte qui compte
un grand nombre d’exploitations sous serres avec un nombre important de travailleurs
immigrés, des conditions de travail souvent difficiles et des problèmes de recrutement. On
1
Dans un souci de ne pas refaire une analyse qui aurait déjà été réalisée, le Centre Ressources Drôme Ardèche
nous a transmis les entretiens enregistrés qu’il a conduit d dans le cadre du diagnostic conduit dans le cadre du
projet Equal ITIVER, sur la question des représentations et des difficultés de recrutement.
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pouvait a priori se permettre de faire l’hypothèse que dans ce secteur là, la question des
discriminations raciales pouvait être plus sensible qu’ailleurs.
Mais il est apparu que le choix de ce territoire posait un problème à l’ensemble des acteurs
rencontrés :
•
D’une part parce qu’il n’existe à priori aucune dynamique sur ce territoire mobilisant
les acteurs de l’emploi, en particulier les partenaires publics comme cela est le cas sur
la Vallée de la Drôme par exemple.
•
D’autre part, Pierrelatte est à la croisée de plusieurs dynamiques de territoires entre le
Pays du Vaucluse, le Pays de l’Ardèche et est fortement structuré autour de la
présence des centrales nucléaires.
Il apparaît, enfin, que sur le territoire de Pierrelatte, les principaux employeurs (à savoir les
serres) sont très spécifiques par rapport aux autres employeurs du secteur agricole et sont
engagés dans une modification de leurs activités. De plus, il semble qu’il existe de fortes
tensions dans ces entreprises lorsque l’on aborde la question des discriminations raciales, si
l’on se réfère aux conséquences dramatiques pour deux salariés permanents qui se sont vus
licenciés à la suite d’une rencontre organisée par ISM-CORUM avec des travailleurs
saisonniers dans l’agriculture, dans les serres en particulier.
Compte tenu de ces difficultés et suite aux rencontres d’ISM-CORUM avec les partenaires
publics et les acteurs du département intervenant dans le domaine de l’emploi agricole, le
secteur que nous avons retenu finalement est la vallée du Rhône de Pierrelatte à Loriol, où
l’activité principale est constituée par les serres, la viticulture et l’arboriculture.
Cela devait logiquement nous permettre d’avoir des éléments de comparaisons entre ces deux
secteurs d’activités en matière de recrutement et de gestion des personnels.
En fait, nous avons pu obtenir par l’intermédiaire de l’ADEFA des contacts avec six
employeurs qui ont accepté de nous rencontrer. Aucun ne se trouvait dans l’arrondissement de
Pierrelatte. On ne comptait parmi eux qu’un seul exploitant sous serres. Pour les autres, il
s’agissait de trois arboriculteurs, d’un viticulteur et d’un pépiniériste. Du point de vue
juridique, on comptait un GAEC, quatre EARL, une S.A et une exploitation en nom propre.
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Ce très modeste échantillon ne peut bien sûr prétendre à aucune représentativité statistique. Il
a tout de même l’avantage de comporter des situations relativement variées tant au niveau du
type de production que des conditions de travail et du recours à l’emploi saisonnier.
L’objectif étant aussi de rencontrer des salariés, nous avons été mis en contact avec eux par le
biais de l’Union locale de la C.G.T. Nous avons ainsi pu interviewer sept salariés : six
hommes et une femme, six marocains et une portugaise. Là aussi l’échantillon est trop faible
pour que nous puissions en tirer une quelconque dimension représentative. Par ailleurs, le fait
que nous ayons été mis en contact avec les employeurs par le biais d’une organisation
paritaire, l’ADEFA et avec les salariés par le biais d’un syndicat de travailleurs, la C.G.T
n’est pas sans incidences sur le profil des personnes interrogées, ce qui constitue un argument
supplémentaire pour ne pas généraliser les conclusions que nous pourrons tirer de l’analyse
objective des enquêtes réalisées. De surcroît, employeurs et salariés n’étaient pas dans les
mêmes exploitations. 5 salariés sur les 7 interrogés travaillaient ou avaient travaillé dans les
serres alors qu’un seul employeur rencontré dirigeait ce type d’exploitation. Par ailleurs,
plusieurs salariés étaient en conflit ou avaient été en conflit avec leur employeur, ce qui
donnait à leur discours une tonalité très critique. A l’inverse aucun employeur parmi ceux
rencontrés n’a mentionné de conflit avec ses salariés.
Malgré ces facteurs qui limitent la portée de nos enquêtes, nous pensons pouvoir apporter ici
un éclairage sur les représentations que les employeurs se font des diverses catégories de main
d’œuvre, sur les difficultés de recrutement qu’ils rencontrent et sur le vécu du travail agricole
et des conditions de vie dans les exploitations qui sont celles des salariés et en particulier des
salariés immigrés, manifestement très nombreux dans le secteur des emplois agricoles
précaires et faiblement qualifiés.
Rappel de la problématique et de la méthode
La présence de populations immigrées est en effet attestée de longue date dans le secteur
agricole, qu’il s’agisse d’emploi saisonnier ou d’emploi permanent. Le phénomène concerne
aujourd’hui plusieurs pays européens : Allemagne, Espagne, France, Grande-Bretagne, Grèce,
Italie principalement qui emploient une main d’œuvre provenant d’Europe centrale et
orientale, du Maghreb, d’Afrique sub-saharienne, voir même d’Amérique latine et d’Asie.
Dans la plupart de ces pays, il est difficile d’avoir des informations précises sur le nombre réel
d’étrangers employés dans le secteur agricole. Il semble toutefois qu’on observe un certain
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nombre de constantes : recrutement principal par des filières privées impliquant quelquefois la
sous-traitance à des intermédiaires au statut indéterminé, rémunérations en général faibles et
inférieures aux moyennes salariales dans les pays concernés, conditions de travail et de vie
difficiles, faible niveau de protection sociale et présence d’un nombre de travailleurs en
situation irrégulière difficile à évaluer précisément mais manifestement important. Dans tous
ces pays, on fait état de difficultés de recrutement et de baisse régulière des effectifs de
saisonniers, tout au moins de ceux qui sont enregistrés officiellement.
En France, l’appel à la main d’œuvre étrangère dans l’agriculture remonte au XIXe siècle,
avec les saisonniers belges employés à la cueillette du houblon dans le Nord et l’Est. Elle a
pris une dimension structurelle dans certains secteurs, en particulier celui des fruits et
légumes.
Pourtant, les effectifs de travailleurs étrangers venus sous contrat saisonnier par
l’intermédiaire de l’O.M.I sont en baisse régulière. Une première baisse importante a été
constatée en 1993 (13 600 entrées en 1992 contre 10 200 en 1993) en raison du bénéfice de la
libre circulation au sein des pays de l’Union européenne attribuée l’année précédente aux
ressortissants de l’Espagne et du Portugal, traditionnellement très présents dans ce secteur. De
ce fait ceux-ci n’ayant plus besoin d’être introduits par l’O.M.I, ont disparu des statistiques,
sans cesser pour autant de venir pour des activités saisonnières. Mais la baisse s’est poursuivie
après 1993, puisque en 1999, on était à 7 600 entrées. Actuellement seuls trois pays restent
liés à l’O.M.I par des contrats : Maroc (55 % des effectifs ), Pologne (34 %) et Tunisie (11%).
On peut avancer plusieurs hypothèses pour expliquer ces baisses d’entrées de saisonniers.
Tout d’abord, il est possible de recruter de la main d’œuvre saisonnière parmi les travailleurs
résidant en France avec un statut de permanent mais qui sont touchés par l’emploi précaire et
se trouvent disponibles pour des activités temporaires. Pour des périodes courtes, il est
possible de recruter parmi les étudiants, français ou étrangers. Enfin, l’emploi agricole allant
en diminuant, l’emploi saisonnier ne fait que suivre le mouvement.
Pour ce qui est du département de la Drôme, la dernière hypothèse peut être infirmée par un
examen détaillé des chiffres de l’emploi agricole. Il y a eu certes en douze ans une diminution
de près de 20 % de la main d’œuvre mais celle-ci est due essentiellement à la diminution de la
main d’œuvre familiale liée à la disparition de nombreuses exploitations. L’emploi salarié
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« occasionnel » a au contraire sensiblement augmenté, en particulier dans le secteur des fruits
et légumes. L’arboriculture, à elle seule, rassemble plus de la moitié de l’emploi salarié.
Quelle est la part précise des étrangers dans l’emploi agricole dans le département ? Le
rapport remis en 2001 par le cabinet « Plein sens » à la suite d’une commande du ministère de
l’agriculture (Etude sur le travail saisonnier et ses salariés dans le secteur des fruits et
légumes) notait un tarissement des sources traditionnelles de main d’œuvre étrangère lié au
vieillissement de ceux qui venaient habituellement et aux réticences des générations suivantes
à prendre le relais.
Pour ce qui est du recours aux salariés introduits par l’O.M.I, ce rapport notait que les
employeurs trouvaient la procédure trop lourde et aléatoire : nombre de salariés insuffisant,
incertitude quant à la réponse de l’OMI et à ses délais, impossibilité de recourir aux mêmes
salariés étrangers pendant plus de trois ans de suite, obligation d’offrir des conditions de
logement et de travail définies par la procédure.
De fait, le nombre de saisonniers en contrat O.M.I dans le secteur où nous avons mené notre
enquête est de caractère assez marginal : 500 personnes sur près de 40 000 saisonniers.
Pourtant plusieurs indicateurs laissent à penser que le nombre d’étrangers dans le travail
saisonnier est important. Les employeurs n’ont pas de réticence à employer ce type de main
d’œuvre, surtout quand elle est d’origine rurale et partage avec eux un certain nombre de
savoir-faire et valeurs liés à une culture paysanne commune. Les évaluations avancées par les
interlocuteurs rencontrés dans le département estiment la part des nationaux (sans préciser
leurs origines) entre 70 et 75 % de l’emploi saisonnier, ce qui laisse aux étrangers une place
importante, située entre 25 % et 30 % des effectifs, soit nettement plus que le nombre
d’étrangers en contrat O.M.I.
La question des discriminations raciales à l’embauche et dans la gestion de la main d’œuvre
n’a pas été traitée jusque-là.
Dans le cadre du Programme Equal ITIVER, un rapport d’étude a été réalisé sur le thème de
la discrimination à l’embauche dans le département de la Drôme et dans le secteur de
l’agriculture, de l’agro-industrie et de la filière bois. Cette étude menée par le Centre
Ressources Drôme Ardèche, se focalise sur les femmes, les jeunes et les handicapés et dit peu
de choses au sujet des discriminations dues à la race, à l’ethnie et à l’origine réelle ou
supposée des candidats à l’embauche ou des salariés déjà en poste.
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Elle révèle pourtant, même si c’est de manière allusive, la présence de nombreux salariés
immigrés et l’existence de pratiques qui consistent à orienter certains groupes vers le même
type d’activité : (les femmes marocaines vers le travail de conditionnement par exemple).
Cela laisse supposer l’existence d’une forme de gestion «ethnique» de la main d’œuvre qui
peut relever de divers processus discriminatoires dont les acteurs impliqués, les employeurs
comme les salariés, n’ont pas forcément conscience.
Il paraît donc pertinent d’approfondir la question dans le but de mettre au jour ces processus
de catégorisation de la main d’œuvre et d’orientation systématique des catégories identifiées
vers des tâches étroitement définies, correspondant à leurs aptitudes supposées. Cela
permettrait de déterminer du même coup les catégories qui sont d’emblée jugées inaptes à
certains types de travaux pour des raisons liées aussi à leurs appartenances raciales ou à leurs
origines et pour lesquelles, il peut y avoir refus systématique d’embauche.
Le but n’est pas d’aboutir à des dénonciations stériles mais de parvenir à une meilleure
compréhension, par les employeurs et les acteurs sociaux intervenant autour de ces questions,
du fonctionnement des à priori et de leurs effets négatifs sur les possibilités d’embauche et de
fidélisation des salariés agricoles.
Le secteur géographique défini comme lieu de l’enquête est la vallée du Rhône entre Loriol et
Pierrelatte et les secteurs visés sont d’une part les serres qui produisent essentiellement des
tomates industrielles et des roses et d’autre part les exploitations arboricoles.
Au nord de la zone, le canton de Loriol employait en 2001 2 363 salariés agricoles et au sud,
celui de Pierrelatte 1 472. Entre les deux, on recensait 2 882 travailleurs, cela représente un
ensemble de 6 717 travailleurs, sachant qu’un travailleur est ici défini comme un individu qui
est comptabilisé chaque fois qu’il a exercé un emploi salarié au cours de l’année, ce qui
signifie sans doute que les mêmes personnes sont comptabilisées plusieurs fois. Les emplois
offerts sont très majoritairement en C.D.D avec des durées relativement brèves. 2
Le secteur des serres et celui de l’arboriculture sont très différents. Les exploitations sous
serres ont la plupart du temps un statut d’entreprise industrielle et sont dirigés par des gérants
employés de sociétés. C’est un secteur très capitalistique. Dans la Drôme, les serres
2
Sources ITEPSA, donnée dans ITIVER : Observatoire des emplois et compétences agricoles.
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représentent un cinquantaine d’hectares réparties entre une quinzaine de sociétés. Elles
existent depuis vingt ans et ont eu l’occasion d’améliorer sensiblement leurs techniques de
production. Elles produisent essentiellement des tomates et des roses. Cette dernière culture
devient moins rentable depuis quelques années. Mais grâce à des améliorations techniques, les
exploitations qui ont abandonné les roses arrivent à se reconvertir dans la production de
tomates. Grâce à une loi votée en 1980, qui obligeait EDF à fournir gratuitement à
l’agriculture de l’eau provenant des centrales nucléaires, les serres de Pierrelatte, comme
d’autres serres en France situées à proximité de centrales nucléaires peuvent bénéficier d’un
chauffage gratuit grâce à l’eau rejetée par les centrales. Après EDF, c’est aujourd’hui la
COGEMA qui assure cette redistribution d’une eau sortie à 90° et refroidie à 70° pour ne pas
détériorer les canalisations. Cela représente un gain appréciable pour diminuer le coût de
production sous serres. La COGEMA assure aussi de la même manière le chauffage des
logements de la zone de Pierrelatte qui, de retour permet aussi de fournir la ferme des
crocodiles en une eau ayant la température requise pour le confort des sauriens. Malgré une
concurrence accrue de certains pays d’Europe centrale et orientale qui disposent aussi de
centrales nucléaires et qui ont sur place une main d’œuvre beaucoup moins chère, les serres
apparaissent comme l’élément le plus solide du secteur local de production des fruits et
légumes. Cela est dû aux innovations techniques qui simplifient le travail, diminuent les
besoins en main d’œuvre et peuvent aussi à terme améliorer les conditions de travail.
Les exploitations arboricoles sont plus souvent de type familial, même si leur forme juridique
est de type société anonyme, e.a.r.l ou gaec. Les conditions de travail sont différentes. Dans
les serres, il s’agit d’un travail pratiquement permanent, avec plusieurs sous-catégories de
saisonniers, certains restant plusieurs mois dans l’année, d’autres quelques semaines.
Dans les exploitations arboricoles, s’il y a une succession de tâches qui permettent de cumuler
plusieurs périodes d’activité temporaire, les activités de cueillette exigent la venue de
nombreux saisonniers. Les conditions de travail et de vie hors travail ne sont pas les mêmes et
on peut aussi faire l’hypothèse que le recrutement de la main d’œuvre, son profil et sa gestion
au quotidien se ressentent de ces différences.
Malheureusement du fait que nous n’avons pu enquêter que dans une seule serre auprès d’un
seul employeur et que nous n’avons rencontré que deux salariés de « plein air » de plus en
conflit avec leur employeur pour des questions de logement, les entretiens réalisés ne
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permettent pas de cerner de façon très fiable les différences de conditions de travail entre
activités sous serres et activités de plein air.
Nous avons pratiqué une approche qualitative avec des guides d’entretien semi-directifs
conçus pour les employeurs et pour les salariés. Nous avons pu constater que la présence
immigrée était bien une réalité dans le secteur. La plupart des employeurs rencontrés
employaient de la main d’œuvre immigrée ayant différents statuts : travailleurs saisonniers
introduits par l’O.M.I, étrangers résidant en France avec un titre de séjour permanent et
habitant en général la région, travailleurs de l’Union européenne autorisés à travailler
librement en France, étudiants étrangers. Il a été plus difficile de savoir si ces employeurs
avaient recours à des ouvriers français d’origine immigrée. La plupart évoque le recrutement
de main d’œuvre saisonnière locale, venue des villes de la région sans préciser l’origine des
personnes. Quelques éléments d’information fournis dans les entretiens permettent tout de
même de conclure que l’on compte des Français d’origine étrangère parmi cette main d’œuvre
locale qui est diversement appréciée selon qu’il s’agit d’hommes ou de femmes, de jeunes ou
d’adultes, de personnes ayant encore un lien avec le monde du travail ou de chômeurs longue
durée.
Nous avons pu compléter nos informations grâce à des entretiens réalisés avec d’autres
acteurs impliqués de manière plus indirecte dans le secteur : responsable de la formation au
FAFSEA, ingénieur chargé de mission sur le problème des serres, responsable de la D.D.A.
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C H A P I T R E I : LE POINT DE VUE DES EMPLOYEURS
1 - Profil des employeurs rencontrés
Sur les six employeurs rencontrés, on trouve une relative variété de profils. On compte cinq
hommes et une femme. Les âges vont de 32 ans à 65 ans, la moyenne d’âge étant de 42 ans.
A deux exceptions près, ils ont repris une exploitation familiale et étaient donc déjà fils ou
fille d’exploitants agricoles. Plusieurs ont été d’abord salariés de leur père sur l’exploitation
qu’ils dirigent aujourd’hui. Mais ils ont aussi travaillé dans d’autres exploitations pour élargir
leurs connaissances et acquérir une expérience différente. Ils ont donc un regard qui n’est pas
limité à l’exploitation dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui même s’ils n’ont pas connu
une grande variété de situations. Certains ont fait évoluer l’exploitation reprise en s’appuyant
sur un savoir-faire acquis ailleurs.
« ...après mes études, une année, salarié de mon père et ensuite installation dans
une exploitation hors-cadre familial, en 1979. J’étais dans les vignes et arbres
fruitiers. J'employais un demi permanent. Il y a cinq ans, j’ai doublé, en
reprenant l’exploitation de mon père qui est dans le même profil. Je faisais appel
à plus de saisonniers, activité des arbres fruitiers entre 1980 et 1990, avec le
même type de recrutement que maintenant : recrutement de proximité, locale,
jeune et étudiant. Il y a 5 ans, j’ai repris le site de mon père. Réorientation vers
plus de cultures avec des oliviers, des vignes. Évolution de l'exploitation. »
Pour certains l’exploitation reçue du père doit se transmettre au fils selon les mêmes
modalités.
« ..Au début, j’ai succédé à mon père. J’ai débuté comme salarié à la succession.
Puis j’ai pris la direction, comme mon fils qui est resté comme salarié et qui
prend la suite. »
Un seul d’entre eux n’est pas originaire de la région. Il s’agit du seul exploitant sous serre, ce
qui est déjà révélateur du mode particulier de fonctionnement de ce secteur. Un seul d’entre
eux également n’a pas passé toute sa vie professionnelle dans le secteur agricole. Il a été
pendant quelques années militaire de carrière puis postier. Tous ont des diplômes de
l’enseignement agricole qui vont de brevet de technicien agricole à ingénieur agricole en
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passant par des BEP et BTS spécialisés en arboriculture. Ils déclarent aimer leur métier et se
sentir à l’aise dans le monde agricole ce qui contraste avec le discours de plusieurs des
salariés interrogés au cours de cette même enquête qui disent quant à eux n’avoir travaillé
dans ce secteur que faute d’avoir pu trouver autre chose et qui envisage de changer de métier
dès que cela sera possible. Certains employeurs ont au contraire vraiment choisi l’agriculture,
attirés par la vie à la campagne.
« Je suis resté deux ans postier à Paris... ça m’a gonflé, ça manquait de verdure !
Je suis né à Orange. Je suis venu dans la Drôme quand je me suis marié…On est
mieux à la campagne qu’à la ville avec toujours le rendement, le rendement !
Mais je ne suis peut-être pas impartial, moi, j’ai choisi mon métier. »
Pour la plupart d’entre eux, le statut qu’ils ont acquis au fil de leur carrière leur paraît assez
gratifiant, ce qui là aussi contraste avec le discours des salariés rencontrés qui n’ont pas
l’impression d’avoir beaucoup évolué et qui ne pensent pas pouvoir le faire dans l’avenir.
Les exploitations sont de taille et de spécialité différentes. Elles ont aussi des statuts
différents. La seule exploitation sous serres produit exclusivement des tomates. Elle se
compose de deux grandes serres de 11500 m2 et 5000 m2. Elle a un statut d’E.A.R.L. et
appartient à un particulier qui a pris sa retraite. L’exploitant rencontré a un statut de gérant. Il
a travaillé auparavant comme salarié dans les serres du secteur de Pierrelatte. La reprise de
cette exploitation, même s’il n’en est pas propriétaire, correspond donc bien pour lui à une
promotion sur le plan social et professionnel. Son exploitation emploie neuf salariés
permanents et avait deux saisonniers au moment où nous l’avons rencontré.
« Pendant les périodes de récolte, on a recours à des saisonniers pour des temps
très courts : de quinze jours à un mois ou deux. On les distingue des autres en les
appelant les « occasionnels ».
Deux exploitations sont, de manière quasi-exclusive consacrées à l’arboriculture. La première
a une surface de 95 ha et produit surtout des fruits : cerises, abricots, pommes, poires. Elle a
un statut de GAEC, groupement de quatre associés appartenant à la même famille et qui se
sont chacun spécialisé dans une technique différente pour avoir à disposition toute la palette
des compétences nécessaires à la production et à la gestion de l’exploitation. Le chef
d’exploitation a le statut de gérant associé et a repris l’exploitation de ses parents. Il a cinq
salariés permanents et en période de récolte, il emploie jusqu’à 65 saisonniers.
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L’autre grande exploitation arboricole a une surface de 110 ha. Elle produit des fruits :
pommes, poires, abricots, cerises, kiwis et aussi de l’ail de semence. Elle a un statut
d’E.A.R.L et l’exploitante rencontrée en est co-propriétaire avec ses parents. Elle a un statut
de gérante. Le nombre de salariés permanents est de quatre. L’exploitation selon les années
emploie de 40 à 60 saisonniers pour des périodes qui varient d’un mois à quatre ou cinq.
Deux exploitations font principalement de la viticulture. La première a une surface de 50
hectares et un statut d’E.A.R.L. Elle emploie un permanent et cinq saisonniers qui viennent
essentiellement pour la taille et les vendanges. Les évolutions techniques dans le travail de la
vigne ont permis de réduire sérieusement les besoins en main d’œuvre comme le constate
l’exploitant rencontré :
« On a eu des difficultés de recrutement, jusqu'à il y a encore sept ou huit ans et
la machine a enlevé beaucoup de boulot ; s’il n’y avait pas la machine à l’heure
actuelle je ne sais pas ce qu’on ferait. C’est la machine à vendanger qui nous a
sorti d’affaires. C’est 80 % du travail. Les arboriculteurs sont de plus grands
employeurs, les pommes, il n’y a pas de machines, ça se ramasse à la main. Il y a
un tas de boulots qui ont été supprimés, l’épamprage, ça se fait à la machine
maintenant. Le taillage il y a plus de délai. Les vendanges se font sur trois
semaines. »
L’autre exploitation viticole a une surface de 25 ha. Elle aussi emploie un permanent et cinq
saisonniers. En dehors de la vigne, elle produit aussi des olives. Les saisonniers sont employés
pour la récolte, la taille et l’ébourgeonnage. Ils viennent en juin pour une quinzaine de jours,
en septembre un mois pour les vendanges et en décembre un mois pour la récolte des olives.
L’exploitant estime lui aussi que la mécanisation de certaines tâches diminue
considérablement ses besoins en main d’œuvre.
« Je connais pas mal de collègues qui ne sont pas mécanisés et qui ont beaucoup
de soucis pour trouver des personnes compétentes, parce que ramasser du raisin
ce n’est pas la lune, mais des gens volontaires c'est dur à trouver. La difficulté se
situe plus au niveau des saisonniers. »
Cet exploitant est le seul à être propriétaire en son nom propre. Il a repris l’exploitation de son
père quand celui-ci s’est retiré.
La dernière exploitation visitée est une pépinière fruitière. Elle élève des arbres fruitiers pour
les fournir aux arboriculteurs. Elle a une surface de 50 hectares et un statut juridique de
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Société anonyme. L’exploitant a un statut de gérant. Il a repris l’exploitation de son père et est
dans la profession depuis quarante ans. Proche de la retraite, il s’apprête à transmettre
l’exploitation à son fils. Il emploie six permanents et de cinq à sept saisonniers. Il a deux
types de saisonniers. Les premiers viennent cinq mois par an, les autres un à deux mois
pendant l’été. Le travail étant plus qualifié, il déclare ne pas employer de main d’œuvre
étrangère venue directement du pays d’origine mais emploie du personnel local étranger ou
d’origine étrangère.
2. Le problème de recrutement
En dehors des deux entreprises viticoles qui disent ne pas rencontrer trop de difficultés de
recrutement en raison de la mécanisation d’une partie croissante des tâches, les autres
employeurs font état de problèmes pour trouver la main d’œuvre voulue.
La plupart constate que l’ANPE ne peut pas leur fournir la main d’œuvre dont ils ont besoin
surtout pour les salariés permanents.
« A l’ANPE, on demande pour les saisonniers occasionnels…. l’ANPE, ce n’est
pas une source. On ne trouve pas par l’ANPE le personnel qui correspond au
travail qu’on veut donner. »
« Sur mes quatre permanents, il y en a un qui est en longue maladie…ça fait deux
ans que j’ai demandé à l’ANPE et ils ne m’ont toujours pas trouvé la personne
dont j’aurais besoin. »
En fait le recrutement se fait plutôt par relations. Des gens viennent se présenter
spontanément. D’autres sont recommandés par de la famille ou des gens connus de
l’employeur. Les permanents sont souvent d’anciens saisonniers qui ont eu le temps de faire
leurs preuves.
« Les permanents, ce sont tous d’anciens saisonniers qui ont été intéressés par le
travail. Ils sont passés de petits contrats à des contrats à durée indéterminée.
Actuellement, il y a cinq temps complets et un temps partiel à 32 heures par
semaine qui est tracteuriste».
« Le gars (le permanent) est venu s’embaucher pour les vendanges et finalement,
ça l‘intéressait. Il est venu pour les vendanges et je l’ai embauché».
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La polyvalence et l’expérience qui sont requises pour les salariés permanents fait qu’on ne
peut les recruter que par connaissance.
« Vous savez, comme j’ai une faible rotation, je recrute directement dans
l’environnement ; je recrute par relations. Je demande à mes ouvriers s'ils
connaissent quelqu’un, mais enfin on n’embauche pas souvent. Par relation, le
dernier que j’ai recruté c’est le fils d’un agriculteur du secteur quoi. Pour les
permanents, non, je ne n’ai pas de recours particulier. Très honnêtement, je ne
saurais pas à qui m’adresser».
Du fait de la difficulté de recruter des salariés permanents, ceux-ci ont souvent une grande
ancienneté dans l’entreprise. Les jeunes exploitants ont souvent repris les mêmes permanents
qui travaillaient déjà dans l’exploitation avant qu’ils n’y soient eux-mêmes.
« M.P (le précédent gérant) avait déjà repris les salariés permanents de
l’ancienne entreprise. Le chef de culture est là depuis 18 ans. Les autres, ça fait
14 ans, 12 ans et 32 ans qu’ils sont là. »
« Le permanent je l’ai depuis toujours, il a le même âge que moi, on a commencé
ensemble. Il est de nationalité marocaine. C’est un salarié qui était sur
l’exploitation familiale avant que je ne reprenne l’exploitation. Il est passé de
saisonnier à permanent. Il était venu par un de ses cousins ou frère qui travaillait
dans la région et qui nous la fait connaître. »
Du fait de leur ancienneté, ces salariés permanents sont relativement âgés, ce qui, selon les
employeurs interrogés, va sans doute créer des problèmes de recrutement quand ils auront pris
leurs retraites.
« Les permanents sont assez âgés. Ils ont tous plus de cinquante ans. On aura du
mal pour le renouvellement des générations surtout pour des activités qualifiées
comme la taille. »
En ce qui concerne les saisonniers, la méthode de recrutement la plus utilisée reste l’appel aux
connaissances et le «laisser venir» :
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« …ça marche de bouche à oreille, ça passe par les réseaux familiaux. Il y a des
jeunes qui viennent se présenter spontanément, des étudiants qui viennent pour
les vacances. Hier un Marocain a été embauché pour huit mois, c’est le gendre
d’un permanent».
Moins les besoins en main d’œuvre sont importants et plus il est facile de trouver par relations
les saisonniers dont on a besoin comme l’explique ce viticulteur qui a une exploitation de
taille assez moyenne.
« J’ai deux styles de travailleurs saisonniers. Une partie de main d’œuvre
familiale, j’ai mes parents qui me donnent un coup de main pour les récoltes, c'est
un premier type de saisonnier. Et puis la deuxième partie c’est soit des personnes
que je recrute dans la proximité qui habite le village soit qui travaille chez un
voisin et qui ne travaille pas à ce moment-là et j’embauche de manière
occasionnelle. Ils sont occasionnels dans plusieurs exploitations. J’ai aussi la
femme et la fille (18 ans) de mon employé, comme occasionnelles. Pour les
vendanges, j’ai aussi des étudiants et une autre année j’ai un retraité. L’ANPE
m’a fait des propositions pour les récoltes et je leur ai répondu que j’avais déjà
mon équipe et une machine à vendanger ».
Les grandes exploitations arboricoles qui ont besoin de beaucoup plus de saisonniers disent
par contre recourir à l’ANPE.
Une exploitante qui emploie jusqu’à soixante saisonniers pendant la période des récoltes dit
recourir à l’ANPE, à l’ADEFA et même aux missions locales et aux entreprises d’intérim.
Un autre arboriculteur qui a un volume de besoins assez semblable chiffre ainsi son mode de
recrutement des saisonniers : un tiers par relation, un tiers par l’ANPE, un tiers qui reviennent
d’eux-mêmes d’une année sur l’autre.
Ces deux employeurs sont les seuls à recourir aux services de l’O.M.I. La première a reçu la
saison précédente quatre travailleurs polonais introduits par l’OMI et le second fonctionne
régulièrement avec sept Marocains en contrat OMI.
Ils se déclarent satisfaits de ce type de main d’œuvre et souhaiteraient même pouvoir y
recourir davantage. Selon eux, c’est l’OMI lui-même qui refuserait d’augmenter le nombre de
contrats saisonniers en raison de l’existence dans la région d’un nombre élevé de demandeurs
d’emplois non satisfaits. Qu’elle soit fournie par l’ANPE ou qu’elle vienne se présenter elleISM-CORUM
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même de façon spontanée, la main d’œuvre locale a une réputation plutôt négative auprès des
employeurs. On lui reproche surtout son faible niveau de motivation, ce qui entraîne un turnover élevé.
Le seul exploitant sous serres fait le constat d’un important turn-over chez cette main d’œuvre
qu’il n’a pas de difficultés à trouver mais qu’il n’arrive pas à garder. Il reconnaît aussi que la
pénibilité du travail et le très faible niveau de rémunération n’arrangent rien auprès d’un
public déjà peu motivé.
« Les saisonniers, ça va de 18 à 45 ou 50 ans. Les plus âgés, c’est plutôt dans le
transport. Ils ont du mal à travailler dans les serres en raison de l’humidité. Il y a
beaucoup de jeunes. Ils ont une faible formation générale. Quelques uns ont le
bac. Il y a beaucoup de jeunes d’origine maghrébine de la région. Le turn-over
est important. La rémunération est faible par rapport à la pénibilité du travail. »
Les propos tenus par les salariés interrogés par ailleurs confirment que les jeunes de la région
et en particulier les enfants d’immigrés savent qu’il y a toujours des possibilités d’embauche
dans les serres pendant les activités saisonnières mais qu’en même temps, ils ne s’attendent
pas à trouver des conditions de travail très intéressantes. Le travail en serres est la solution la
plus facile pour travailler un peu mais n’incite pas à revenir d’une année sur l’autre ni même à
rester toute une saison.
En tout cas dans le secteur des serres, proche de petites villes où l’on trouve des populations
immigrées installées en nombre important il semble que le recours à l’ANPE ne soit pas
nécessaire pour le recrutement de la main d’œuvre saisonnière. Ce n’est que chez les
arboriculteurs installés dans des zones un peu plus isolées que l’on trouve un recours
systématique à l’ANPE et encore ce n’est que pour combler les besoins que l’on n’arrive pas à
satisfaire par les recrutements spontanés et le retour régulier des saisonniers un peu plus
fidélisés. Pour certains employeurs l’ANPE envoie parfois des chômeurs de longue durée qui
n’acceptent une embauche que pour ne pas courir le risque de se voir rayer de la liste des
demandeurs d’emploi. Ce sont en général des gens qui ne font pas l’affaire et qui s’arrêtent au
bout de quelques jours voire au bout d’une seule journée de travail.
On parle aussi de recrutement par le biais d’intermédiaires. Les exploitants rencontrés disent
n’y avoir jamais eu recours mais plusieurs en ont entendu parler et se sont même vu proposer
directement de la main d’œuvre par des démarcheurs.
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« Maintenant, ça s’est un peu calmé. Mais à une époque, il y avait énormément
d’intermédiaires qui venaient nous proposer de la main d’œuvre. Il y avait des
Maghrébins qui étaient résidents en France et qui faisaient venir des
compatriotes du pays non déclarés. C’était des maffias. Plus graves, il y a des
entreprises intérimaires installées dans un autre pays de l’Union européenne qui
agissent légalement et qui vous proposent de la main d’œuvre en situation légale
mais payée sur la base d’un salaire étranger. Des entreprises d’intérim
espagnoles sont venues nous proposer de la main d’œuvre originaire d’Amérique
latine. Moi, je ne veux pas aller dans ce sens. Il vaudrait mieux que l’OMI
augmente les quotas. »
Les petits employeurs ont été aussi approchés par les intermédiaires même si leurs besoins en
emplois saisonniers sont faibles et peuvent être comblés par le recrutement spontané.
« Il y en a qui téléphone, mais ce n’est pas clair leur truc, et je n’ai pas donné
suite. Ça existe, mais ce n’est pas clair et moi tant que j’ai des gars qui viennent
travailler, c'est bon. L’idéal pour l’employeur pour faire des taches ponctuelles
ça serait de faire l’intérim. Ça commence, mais peu l’intérim. Moi j’estime que
les gens qui ont envie de travailler ils n’ont qu’à venir. »
D’autres employeurs rencontrés expriment la même méfiance par rapport à ce type
d’intermédiaires mais disent que certains de leurs collègues y recourent.
« J’ai des collègues viticulteurs qui font appel à des prestataires de services et qui
s’occupent de la gestion de la main d'œuvre. Ça leur évite de chercher eux-mêmes
des salariés, de faire des factures. Il y a eu des dérapages, parce que ces
prestataires venaient avec des gens non déclarés, même pas régularisés. Et la
question à ce moment-là, c’est qui est le responsable ? Le prestataire de services
ou l'exploitant qui a fait appel à leurs services et qui est de bonne foi? Certains se
disaient prestataires des services mais seulement de nom. Toujours est-il que ça
existe et ça se pratique pas mal dans la région, surtout chez les viticulteurs, pour
la taille et l’ébourgeonnage, surtout la plantation de piquets de vignes. On me
l’avait proposé et comme j’ai un ouvrier permanent, on le fait nous-mêmes. »
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De manière générale, étant donné la taille des exploitations étudiées ici et étant donné la
proximité d’un réseau de villes petites et moyennes comptant une importante population en
quête d’emplois, la question du recrutement parvient toujours à être résolue tout au moins sur
le plan quantitatif. Le problème qui agite surtout les exploitants interviewés dans le cadre de
cette étude est plutôt celui de la bonne adaptation de la main d’œuvre recrutée au travail
demandé et celui de la fidélisation de cette main d’œuvre. C’est dans les discours qu’ils
tiennent à propos de ces questions que l’on peut entrevoir les modes de catégorisation de la
main d’œuvre qu’ils mettent en place, à travers les qualités ou les défauts qu’ils constatent
chez les uns ou les autres, les compatibilités et les incompatibilités qu’ils constatent entre les
uns ou les autres. C’est à ce niveau là que l’on peut aussi percevoir la vision qu’ils ont de la
main d’œuvre immigrée.
3 – Le profil des salariés vu par les employeurs
A l’exception d’un seul, les exploitants rencontrés emploient de la main d’œuvre étrangère,
que ce soit parmi leur personnel permanent, les saisonniers ou les « occasionnels ». Les
Marocains sont les plus souvent cités, que ce soit dans les serres, l’arboriculture ou la
viticulture. Certains d’entre eux sont employés dans la même exploitation depuis très
longtemps. En fonction des tâches à effectuer, de la taille de l’entreprise et de l’organisation
du travail, certains ont pu connaître une certaine évolution de carrière, suivre une formation et
exercer des responsabilités. C’est le cas d’une exploitation sous serres qui emploie neuf
« permanents ». Le « chef de culture » est un Marocain de 38 ans, venu à l’âge de vingt ans
dans l’entreprise et qui y a fait toute sa carrière. Après avoir été ouvrier saisonnier puis
permanent, il a pu suivre une formation organisée pour le travail de maraîchage. Il a ainsi
acquis des compétences dans l’organisation générale du travail et le monitorat auprès des
personnes récemment embauchées. Son employeur estime qu’il serait tout à fait capable de
gérer une exploitation. Les autres étrangers rencontrés parmi les ouvriers permanents n’ont
pas de formation spécifique mais leur ancienneté dans l’exploitation, leur expérience et leur
savoir-faire en font de véritables piliers de l’entreprise.
Un viticulteur décrit ainsi le rôle du permanent marocain qui travaille avec lui depuis vingtcinq ans.
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« Il est là depuis 1980. Son principal rôle : tout ce qui est taille, récolte et à la
limite, il fait l’encadrement des saisonniers pour les récoltes et l’ébourgeonnage.
Et il va de temps en temps me suppléer pour le travail de tracteur que je fais moi
en principe. »
Il reconnaît aussi que cet employé pourrait diriger une exploitation. Pour autant, il ne lui a
jamais proposé de suivre une formation, pensant que les connaissances nécessaires peuvent
s’acquérir par mimétisme.
« Mon employé permanent peut sans problèmes diriger une exploitation. Il prend
déjà des initiatives sans me le dire. Il faudrait qu’il ait des connaissances plus
pointues dans le traitement, mais en deux ou trois jours, je peux l’initier moimême sans passer par le centre de formation. »
Dans les entreprises où nous avons enquêté, les permanents étrangers représentent au total un
tiers des effectifs. Ce sont en grande majorité des Marocains. Un arboriculteur mentionne un
Portugais parmi son équipe de permanents.
Les employeurs rencontrés ont conscience du rôle structurel des étrangers dans l’emploi
agricole. Ils ont vu se succéder Espagnols, Portugais et aujourd’hui Marocains. Pour
beaucoup, ces successions s’expliquent par l’enrichissement progressif des pays d’origine. Ils
craignent que, si un jour les Marocains n’ont plus besoin de venir, ils ne trouvent pas de main
d’œuvre de substitution accusant les Français de refuser ce type d’emploi de caractère trop
pénible.
« Depuis que j’ai commencé. J’ai commencé il y a 30 ans. Il y a eu les Espagnols
ensuite les Maghrébins. Le profil, ça a changé. Il y a eu des changements
politiques, des changements économiques et ça a changé la voie de recrutement.
Le jour où on n'aura plus de Marocains pour travailler dans les terres on sera
très mal, il faudra faire appel aux Russes parce que le Français moyen ne vient
pas travailler dans la terre. Les politiques depuis 30 ans veulent faire que des
ingénieurs. Le métier a été dévalorisé, mais il n’y a personne pour payer les
bureaucrates. On a beaucoup moins d’Espagnols, parce que leur niveau de vie
s’est élevé en Espagne, quand ils venaient, il y a 30 ans, ils n’avaient rien à
bouffer. Il en vient beaucoup moins. »
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Pour d’autres, le désintérêt des Espagnols et des Portugais pour le travail agricole est lié à la
modification des horaires. Certains accusent la loi sur les trente cinq heures d’avoir eu des
effets répulsifs en particulier pour les saisonniers portugais qui venaient dans les exploitations
arboricoles pour faire un maximum d’heures et gagner le plus d’argent possible dans le
minimum de temps.
« Les Portugais ne viennent plus en saison à cause de l’impossibilité de faire des
heures supplémentaires. J’en avais huit il y a quelques années. Maintenant, il n’y
a plus qu’un couple. »
Un autre arboriculteur confirme ce désintérêt récent des Portugais pour le travail saisonnier en
l’attribuant aussi aux effets de la loi sur les trente-cinq heures mais en introduisant aussi des
considérations sur les effets de l’amélioration de la vie au Portugal.
« Les Portugais ne viennent plus depuis deux ans à cause des 35 heures. Ils
préfèrent la Suisse. Pendant longtemps, j’ai eu les mêmes. Maintenant, ils ont un
bon niveau de vie au Portugal. »
Dans l’ensemble, les employeurs font le constat que le travail agricole ne convient qu’aux
gens qui n’ont pas le choix. Le fait de venir d’un pays pauvre rend plus apte à supporter la
pénibilité du travail et à se contenter du salaire gagné.
« Les plus courageux, ce sont les Marocains qui viennent directement du Maroc
parce que là-bas, ils ont connu plus dur. »
Ces critères négatifs ne sont pas les seules explications à la présence des Marocains dans les
emplois agricoles locaux. Il y a aussi chez eux une accoutumance à des conditions de travail
du type de celles rencontrées dans la Drôme car ils viennent aussi d’un pays méditerranéen et
sont habitués à travailler sous un climat chaud et sec tout en ayant déjà l’expérience de
certaines cultures semblables à celles qui se pratiquent localement. Cela amène les
employeurs à les apprécier particulièrement.
« Les méditerranéens ont une prédisposition pour ce travail. Ils ont l’habitude de
la chaleur, du travail un peu pénible. » constate un producteur de vignes et
d’oliviers.
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D’où viennent en fait les Marocains ? Les permanents sont bien sûr résidents en France et
habitent la région, en général pas dans l’exploitation même mais dans une ville ou une zone
rurale proche. Quant aux saisonniers, il semble qu’il s’agisse aussi de résidents dans la région.
Un seul exploitant emploie des Marocains en contrat O.M.I qui viennent directement de leur
pays d’origine. Pour les autres, les choses sont moins claires. Mais il semble que, dans
l’ensemble, ce soit des personnes, hommes et femmes de tous âges, installés de façon
régulière dans les villes du département.
C’est surtout dans les serres que cette main d’œuvre immigrée locale intervient lors des
travaux saisonniers mais les arboriculteurs la mentionnent aussi. Les viticulteurs interrogés
qui dirigent des exploitations plus modestes et plus mécanisées y recourent aussi dans une
moindre mesure.
Ce sont surtout les femmes qui sont mentionnées comme des travailleuses saisonnières
donnant satisfaction.
« On fidélise plus les femmes sans qualification. Les femmes marocaines, turques,
portugaises reviennent plus souvent. Ce sont des mères de famille qui habitent la
région. Elles sont assez bosseuses. Pour certaines, c’est le revenu principal. »
Cette appréciation positive vis-à-vis des femmes immigrées installées dans la région se
retrouve chez un autre exploitant dans un secteur différent.
« Les femmes turques sont efficaces. Elles ont des enfants et ont besoin de
travailler. Elles sont issues du monde rural. Elles sont plus dynamiques. »
Il s’agit là de femmes de la « première génération » souvent venues par regroupement familial
et effectivement originaires des campagnes du Maroc ou de Turquie. Habituées à certains
travaux agricoles et à la vie en milieu rural, elles ont plus de chances de se trouver à l’aise
dans une activité agricole que des gens qui n’ont jamais eu le même type d’expérience.
L’origine rurale des immigrés, quelle que soit leur nationalité est un critère positif pour les
employeurs.
« …ça ne me dérange pas de recruter des personnes d’origine étrangère mais il
faut qu’ils soient intéressés par le travail et l’agriculture….Les Turcs qui sont
d’origine rurale, ils ont le sens du rural. A partir de ce moment là, ils ne feront
plus de grosses bêtises et les gens qui n’ont pas ce sens du rural vous feront plus
facilement de grosses bêtises. »
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Les immigrés de l’est sont peu mentionnés. Certains disent qu’ils hésitent à embaucher des
Polonais qui se présentent spontanément car ils les soupçonnent d’être en situation irrégulière.
Un arboriculteur a fait une expérience positive avec des Polonais en contrat O.M.I. Là aussi,
l’origine rurale des personnes est un critère d’appréciation supplémentaire.
« Ils ne parlent pas français mais ils sont actifs. Ils viennent du monde rural. A la
fin, on arrivait à se comprendre bien quand même. »
Il ne semble pas qu’il y ait de filière régionale de recrutement. Les exploitants constatent que
leurs employés turcs ou marocains viennent de régions diverses. Ils embauchent souvent
quelqu’un sur la recommandation d’un de ses parents mais il n’y a pas pour autant de filière
familiale ou villageoise qui monopoliserait les embauches. Parmi les salariés immigrés
interrogés, nous avons rencontré plusieurs marocains originaires du nord de leur pays, en
particulier de la région d’Al Hoceima. Les employeurs interrogés ne se posent pas toujours la
question du lieu d’origine précis de leurs salariés immigrés mais certains notent qu’il y a tout
de même beaucoup de gens de provenance différente. Les liens de parenté existent entre les
salariés immigrés mais ne sont pas systématiques.
Si ceux qui viennent directement du pays sont les plus appréciés et si les femmes adultes,
encore imprégnées de leur culture d’origine sont considérées comme efficaces et motivées, les
jeunes nés en France ont beaucoup moins la cote. Les employeurs en parlent rarement. Quand
ils mentionnent des expériences avec ce type de public, c’est toujours assorti de
considérations négatives. Toutefois, ils indiquent que les défauts trouvés à ce type de main
d’œuvre n’ont pas à voir avec leurs origines mais plutôt avec une certaine « mentalité », reflet
de l’univers social dans lequel ils ont été élevés. C’est une fois de plus l’image du « jeune des
cités » qui s’impose comme susceptible de caractériser ce type de main d’œuvre.
« Les jeunes sont la catégorie qui nous pose le plus de problèmes dans le travail.
Quand il y en a qui bossent et qui voient les autres qui ne foutent rien, ça fait
problème. Beaucoup de jeunes sont peu motivés. Ils n’ont plus la notion d’effort.
Ce sont des jeunes qui ont manqué d’encadrement. Qu’ils soient français ou
d’origine marocaine, ils sont déphasés. Ce sont surtout les jeunes hommes. Il y a
des gens qui veulent gagner leur vie sans rien faire. »
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Un autre exploitant mentionne des difficultés liées à cette catégorie de main d’œuvre qu’il
situe moins au niveau du rendement qu’au niveau de l’acceptation de la hiérarchie.
« Les jeunes Maghrébins sont très difficiles. Ils refusent l’encadrement. Les chefs
d’équipes ont des problèmes avec eux. Il n’en faut pas plus de un ou deux par
équipe. »
Cette image négative de ce type de population n’amène pas pour autant à refuser
systématiquement sa candidature.
« Vu les gros soucis de recrutement qu’on a, on ne peut pas se permettre de
refuser qui que ce soit ! »
« L’origine ou la nationalité, ce n’est pas vraiment un critère de sélection. »
Seules les petites exploitations qui n’ont pas de gros besoins en main d’œuvre saisonnière
établissent un vague ordre de priorité dans les embauches. Là aussi, on retrouve des
hésitations par rapport à l’emploi des jeunes mais qui sont surtout fondées sur un reproche de
manque de maturité.
« Parfois, je rencontre des difficultés sur des très jeunes. Là, il y a un risque. Ils
ont un manque d’expérience dans le travail. Dans les 16 ou 18 ans, il y en a qui
n’ont jamais travaillé….Il y a une meilleure constance chez les filles, plus
résistantes que les garçons qui sont un peu fous-fous , la tête en l’air. »
D’autres mentionnent des difficultés avec des hommes adultes recrutés par le biais de l’ANPE
qui sont chômeurs longue durée et n’acceptent de prendre un emploi saisonnier que par
obligation.
« Ils viennent des petites villes de la région. Ce sont des demandeurs d’emploi,
peu motivés. Ce sont des hommes surtout. Les femmes viennent dans l’esprit de
travailler trois ou quatre mois, les hommes viennent parce qu’ils ne peuvent pas
faire autrement. »
Les gens qui sont sortis du marché du travail depuis trop longtemps apparaissent comme
rapidement inaptes à assurer les tâches qui leur sont demandées.
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« …Je vais peut-être dur, mais certains érémistes qui sont chroniques et qui ont
déconnecté avec le travail. Il ne faut pas que ce soit des chômeurs de très longue
durée ; je ne vais pas faire de ségrégation, mais il n’y a pas le rendement qu’on
demande mais on voit qu’ils ont décroché et je ne crois pas que je tenterais….
Certaines personnes, j’ai fait l’effort de les garder la saison, et d’autres j’ai du
me séparer d’elles parce que pas de vivacité, molles, et des autres complètement
déconnectés, rêveurs, plutôt des hommes, assez jeunes, de la région, d’origine
française. »
Le rythme intense du travail saisonnier fait qu’un certain nombre de personnes âgées,
fatiguées ou incapables d’entrer dans une logique de recherche du rendement s’avèrent assez
vite insatisfaisantes par rapport aux attentes de l’employeur. Le turn over élevé que l’on
observe dans ce type d’emploi est en partie dû à des séparations rapides d’avec les salariés qui
ne peuvent ou ne veulent tenir le rythme exigé.
Les étudiants sont diversement appréciés. Pour un arboriculteur qui a réussi à en fidéliser
quelques uns qui reviennent d’une année sur l’autre et chez qui ils représentent régulièrement
de 20 à 30 % des saisonniers, ils constituent la meilleure main d’œuvre tout de suite après les
étrangers de milieu rural.
« Les étudiants viennent deux ou trois ans de suite. On est satisfait avec eux. Ils
comprennent bien. »
Cet employeur reçoit chaque année un groupe important d’étudiants originaires du nord de la
France et il parvient à attirer ainsi les mêmes d’une saison sur l’autre avec une certaine
continuité, ce qui facilite les relations et la compréhension des consignes de travail.
D’autres sont plus réservés quant au bon rendement des étudiants. Il faut que ce ne soit pas
des gens trop jeunes.
« Parmi les étudiants, des jeunes qui sont en première ou en terminale….Ils n’ont
pas de tradition agricole. Certains pensent que c’est un peu les vacances à la
ferme. Ils sont issus de tous les milieux sociaux, mais au niveau des origines, c’est
plutôt français. »
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D’autres employeurs choisissent de recruter des étudiants en fonction de la possibilité de les
fidéliser. Malgré cela, ils constatent qu’il y a une déperdition importante dans les premiers
jours.
« …moi j’essaie de prendre des étudiants qui font des études longues, parce que
je suis sûr qu’ils reviendront pendant quelques années. Il y a aussi des jeunes que
j’aime bien changer, ils viennent chez nous et le travail ne leur plait pas, ils ne
restent pas. Tous les ans, on va avoir 20 ou 30 qui viennent deux ou trois jours et
qui disent c’est fini. Les autres acceptent le travail. »
Certains font référence à des étudiants étrangers. On mentionne des gens de nationalité
européenne : anglais, danois, tchèque…Mais il semble que ce soit des cas individuels venus
se présenter par hasard pour une saison de récolte. D’autres employeurs mentionnent des
étudiants chinois qui viendraient en groupes relativement importants et cohérents. Aucun des
exploitants que nous avons rencontrés n’avait fait l’expérience de ce type de recrutement mais
certains connaissaient des collèges qui l’avaient fait et en avaient été très satisfaits. Pour les
étudiants, les recrutements peuvent se faire sur une échelle territoriale plus large. Les
employeurs rencontrés disent en effet recruter de plus en plus par internet.
Dans l’ensemble les représentations que les employeurs se font des salariés sont assez
homogènes. Les travailleurs étrangers d’origine rurale sont plébiscités. Les femmes
immigrées résidant localement sont aussi très appréciées de même que les étudiants qui ne
sont pas trop jeunes.
Les catégories les moins appréciées restent toujours les jeunes de la région et les chômeurs
longue durée. Les premiers, parmi lesquels certains employeurs voient surtout les jeunes
hommes d’origine maghrébine poseraient surtout des problèmes de comportement. Les autres,
trop déconnectés du monde du travail ne parviendraient plus à satisfaire les exigences de
rendement imposées par des travaux saisonniers qui se font toujours à un rythme intense. A ce
niveau, les agriculteurs ne se singularisent pas particulièrement par rapport aux autres
employeurs rencontrés dans le cadre du programme Equal. Les difficultés de recrutement
qu’ils connaissent les obligent toutefois à accepter l’embauche de ces catégories très
stigmatisées mais la carrière de ces personnes dans leur exploitation a toutes les chances de
tourner très vite au plus court.
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4 – La gestion de la main d’œuvre
A ce niveau là, les problèmes diffèrent entre les exploitations qui ont peu de personnel,
souvent un seul permanent et une demie douzaine de saisonniers tout au plus et les
exploitations qui fonctionnent avec plusieurs dizaines de saisonniers. Les responsables ont
d’abord à gérer un personnel de provenance diverse, d’âge et de sexe différents qui peut
connaître quelques difficultés d’entente. Dans le cas des petites exploitations, les choses se
règlent assez simplement du fait de la proximité entre l’employeur et les salariés. Dans les
plus grandes, il faut parfois imaginer des stratégies qui permettent de faire travailler
séparément des catégories qui ont du mal à se supporter. Toutes les exploitations étudiées ont
une main d’œuvre féminine qui représente entre un cinquième et une moitié des effectifs. La
mixité dans le travail ne va pas toujours de soi. Certains employeurs disent avoir rencontré
des problèmes à ce niveau là.
Pour certains, ce sont de classiques « histoires » entre hommes à propos des femmes et qui
débouchent sur des jalousies et des conflits. C’est ce qu’évoque un arboriculteur qui doit faire
appel à une main d’œuvre saisonnière nombreuse composée de manière quasi-équivalente
d’hommes et de femmes.
« La mixité, c’est difficile. Certaines années, il y en avait qui se piquaient les
femmes entre eux, ça faisait des histoires. »
Il a finalement résolu le problème en constituant des équipes non mixtes qui n’ont pas les
mêmes emplois du temps et ne font pas le même type de travail. Beaucoup d’exploitants
interrogés mentionnent des aptitudes différentes entre hommes et femmes pour divers types
de travaux. Dans l’arboriculture, les femmes sont plutôt employées au conditionnement et les
hommes à la cueillette. Dans les serres, les femmes font la récolte et l’emballage, les hommes
font le transport des plantes et le « bout de chaîne ». Dans la viticulture et l’arboriculture, la
taille est l’affaire des hommes.
Les employeurs interrogés sur ce type de dichotomie entre hommes et femmes la justifient par
des « idées préconçues » sur les aptitudes des uns et des autres. Pour la plupart, les femmes
seraient plus soigneuses, plus attentives et donc plus disposées à des travaux de précision et
de minutie comme le tri, l’emballage et le conditionnement. Les hommes seraient quant à eux
plus disposés à des travaux impliquant plus de résistance et de force physique. La plupart sont
d’accord sur cette distinction. Certains n’en font pas forcément une généralité.
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« Les femmes sont plus méticuleuses pour le tri sur le tapis mais ce n’est pas une
règle absolue. Pour certains travaux, je mets plus souvent du personnel féminin
mais il m’arrive de mélanger. »
Il n’empêche que l’on retrouve toujours le même type de répartition des tâches entre hommes
et femmes en fonction de certaines aptitudes féminines soit-disant plus affirmées pour certains
types de travaux. On attribue aux femmes tout ce qui exige du soin et de l’attention et on
laisse aux hommes ce qui relève de la force physique.
« La taille chez les hommes et l’ébourgeonnage pour les femmes parce que c’est
plus minutieux. La taille, c’est déjà plus rude. Les filles aussi dans la cueillette
des fruits, la partie calibrage où ça demande la dextérité à appréhender, à choisir
le fruit qui est abîmé, qui est bon, les filles arrivent plus dans le calibrage, mais
ce n’est pas des généralités. »
Pour d’autres, la séparation entre équipes d’hommes et équipes de femmes permet de faire des
horaires différents et de garantir ainsi une durée de travail plus fixe aux femmes qui sont
censées avoir des contraintes temporelles plus rigides pour rentrer chez elles et récupérer leurs
enfants. Le travail d’emballage et de conditionnement, moins dépendants des conditions
météorologiques que les travaux de plein air comme la taille ou la cueillette conviendraient
ainsi mieux aux femmes devant toujours assumer en dehors du travail des tâches domestiques
plus contraignantes.
Il n’en reste pas moins que les tâches les plus qualifiées, la taille, la conduite du tracteur et des
camions de livraison sont presque toujours confiées aux hommes.
L’incompatibilité hommes/femmes peut avoir parfois une dimension culturelle. C’est ce qu’a
pu observer un viticulteur qui employait des hommes et des femmes de même origine mais de
génération différente dans les mêmes tâches de vendange.
« Il y a des hommes et des femmes, surtout pour les vendanges. 5, c’est la
moyenne, deux tiers de femmes et un tiers d’homme. Quand il y a des hommes ça
crée des tensions, mais je ne comprends pas l’Arabe, mais les vieux dont je vous
ai parlé, ils sont sympas mais ils sont bornés, une femme c’est à la maison ! Les
femmes, des Maghrébines, qui sont là ont 30 ou 35 ans et elles n’aiment pas
qu’on leur casse les pieds, elles sont libérées et ça ne leur plait pas aux vieux, ils
se croient au Maroc. Les vieux en mobylette sont restés comme ils sont arrivés.
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Les jeunes se sont intégrés et les anciens n’apprécient pas que les jeunes et
notamment les femmes ne suivent pas comme ils voudraient. Quand je suis là, ça
va, je les calme. »
Lui aussi est amené à séparer hommes et femmes pour éviter ce type de conflit et conserver
ses vieux ouvriers marocains qu’il apprécie beaucoup pour leur ardeur au travail malgré leur
fermeture d’esprit.
« Même aux vendanges, je mets d’un côté les femmes et de l’autre les hommes. Je
fais deux lignes. Il y a une année c’était terrible, ils ne voulaient pas de femmes,
ils voulaient les faire partir. Ils allaient très vite, les femmes ne pouvaient plus
suivre, j’ai dû arrêter les femmes l’après midi. Maintenant, je me méfie
davantage, parce qu’il y a des coups terribles, mais ça ne va jamais bien loin. Il
y en des Maghrébines parmi mes saisonniers qui viennent habillées comme des
Françaises, d’autres avec le foulard, moi je m’en fous mais les femmes ne sont
pas tranquilles avec des types comme ça. Alors, dès que je peux, je sépare. Je
pense que ça va passer d’ici quelques années. »
La seule femme que nous avons rencontrée parmi les exploitants ne mentionne quant à elle
aucun problème d’entente entre hommes et femmes.
« Il n’y a jamais eu de problèmes à cause de la mixité. C’est peut-être parce que
je suis une femme. Mais ça se passe bien. Il n’y a jamais eu de manque de
respect. »
Ces quelques difficultés ne semblent pourtant pas devoir remettre en cause le recrutement
féminin tout simplement parce que sans les femmes beaucoup de tâches ne trouveraient pas
preneurs. Les employeurs ont intégré la mixité dans leur gestion du personnel et ils s’en
accommodent en fonction des diverses opportunités que leur offrent la taille de l’exploitation,
la répartition des tâches et l’organisation du temps de travail.
Les différences d’origines sont plus rarement évoquées comme facteurs de tension. Un
employeur mentionne toutefois qu’une présence trop importante d’une nationalité donnée
rend pratiquement impossible le recrutement de personnel d’une autre origine.
« S’il y a une majorité de Marocains, on a du mal à faire rentrer des Portugais. »
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La plupart du temps, les employeurs estiment qu’il n’y a pas de conflits entre les divers
groupes nationaux mais que les facteurs de mésentente sont plutôt d’ordre individuel.
« Il y a des jalousies entre un Turc et un Algérien mais c’est une affaire
d’individus. Les histoires qu’il peut y avoir ne sont pas liées à la nationalité. »
Les conditions de travail provoquent pourtant des tensions comme le reconnaissent plusieurs
employeurs.
« Mettez des hommes ensemble et voyez ce que ça fait. Moi c’est ce que je leur
dis. Ils trouveront toujours des moyens de s'engueuler. …ce qui m’aura demandé
le plus d’énergie c’est de faire s’entendre des hommes entre eux. C’est normal.
Les gens ont un caractère trempé, on leur demande d’avoir du caractère, d’être
endurants, ils ont une personnalité et il se frotte à la personnalité d’à coté. À
partir du moment où il y a un groupe ça peut générer des situations conflictuelles.
Ce sont souvent des oppositions de caractère. Quelquefois les conflits de
génération qui se posent mais il peut y avoir aussi des rapprochements parce que
les plus anciens sont contents qu’il y ait des jeunes. Ça peut jouer dans les deux
sens. »
Il estime que la taille modeste de son exploitation lui permet de résoudre ce type de problème
par la discussion.
« …on est petit donc on se parle. Voilà. Il est certain que quand deux employés
qui ne vont pas avoir la même façon d’aborder le travail on ne va pas les mettre
dans la même équipe, il peut y avoir différentes façons d’aborder son travail.
L’origine n’est pas une source de conflit. Vous allez dans une exploitation de
main d’œuvre plus importante surtout étrangère, ils ne vont pas vous parler des
mêmes choses que moi. Moi, petite entreprise, il y a plus de liens personnels et il
n’y a pas de groupe qui se constitue en fonction des origines. »
Sur les six exploitations étudiées, il n’y a pas de groupe national archi-dominant même si on
trouve de partout une importante présence de Marocains. Ce qui ressort, c’est qu’il y a surtout
une faible présence de Français.
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« C’est plus un problème de génération. Moi je ne regarde pas s'il est Espagnol,
Français ou Marocain, tant qu’il fait son boulot, moi je m’en fous du reste. Des
Français de souche il y en a vraiment peu. Il y a eu des fils de harki pas mal, un
moment. »
Du fait qu’il y a rarement des groupes de nationalités dominants et prêts à s’opposer, les
conflits gardent une dimension individuelle et sont surtout alimentés par des rythmes de
travail différents.
« Ce qui compte c’est la motivation. S'il y en a qui foutent la merde entre eux, je
ne les prends pas. Je ne suis pas là pour les embêter. J’ai eu des problèmes avec
des gens qui veulent travailler et des tire-au-cul et ça finit mal, ça se terminait
mal. Il y a des gens qui travaillent plus vite que d’autres et ils n’apprécient pas.
C’est rare. Deux Marocains entre eux, ils allaient s’entretuer. Quand je marque
un gars au fer rouge, je le note dans le fichier personnel et quand un gars se
pointe, je regarde les contrats et je ne le prends plus. »
En dehors des questions liées au travail lui-même, il peut y avoir des conflits liés aux
conditions de vie sur l’exploitation. C’est un thème qui a été beaucoup évoqué par les salariés
interrogés. Les employeurs ont à ce niveau là des soucis différents selon qu’ils reçoivent
principalement de la main d’œuvre locale ou de la main d’œuvre venue d’ailleurs pour la
saison des récoltes.
Les travailleurs permanents ont tous leur propre logement en dehors de l’exploitation. Qu’ils
soient Français ou étrangers, ils sont installés avec leur famille dans les environs proches de
leur lieu de travail. Un seul employeur dit héberger un salarié permanent sur les quatre
employés.
Dans le cas des saisonniers, il y a ceux qui sont recrutés localement et qui rentrent tous les
jours chez eux. Les horaires réduits facilitent les aller-retours domicile/travail.
« Ils sont tous logés chez eux. Il ne se passe rien chez nous. Comme amplitude
horaire on fait trente-huit heures et demi par semaine. Ce sont des journées avec
de la récupération. »
Ces situations sont surtout le fait des petites exploitations mécanisées et de l’exploitation sous
serres qui dispose dans la région de possibilités de recruter facilement des saisonniers et des
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occasionnels qui habitent dans les villes alentour. Pour ceux-là, le problème qui se pose est
parfois celui du transport. Les salariés qui ne sont pas motorisés ne trouvent pas toujours des
services de transport en commun leur permettant de se déplacer entre leur domicile et
l’exploitation.
« Les saisonniers, il y en a qui viennent de Valence. On est vite confrontés aux
problèmes de transports. S’il n’y a pas de transports on est obligé de les loger.
Les transports spéciaux, du genre cars de ramassage sont lourds à gérer. »
Les arboriculteurs qui ont besoin de plusieurs dizaines de saisonniers pour les périodes de
cueillette sont les seuls à rencontrer vraiment la question de l’hébergement. Ils reconnaissent
que leur équipement actuel n’est pas des plus satisfaisants.
« Les étudiants logent sous la tente et vont aux douches dans l’exploitation. On
n’est pas bien équipés en camping. J’ai investi dans la construction de bungalows
mais c’est lourd comme coût ! On aurait besoin d’un coup de pouce. J’ai
aménagé un réfectoire. Certaines personnes ne viennent pas à cause du logement.
On est obligé de les mettre deux par chambre. »
Un autre arboriculteur cherche une solution du côté des bâtiments abandonnés qui sont assez
nombreux dans les alentours de son exploitation mais ça exige aussi un investissement lourd
en matière de réhabilitation.
« On loue des corps de ferme vides et on y aménage des logements pour les
saisonniers. On a des studios pour deux personnes et des appartements collectifs
avec une cuisine collective. Les logements individuels sont plus faciles à gérer.
Pour les couples, c’est mieux. Les personnes d’origine différente ne peuvent pas
habiter ensemble. L’idéal ce serait de pouvoir fournir plus de logements
individuels mais c’est un investissement trop lourd. »
Le problème du logement des saisonniers semble se poser avec une acuité moindre dans ce
secteur du travail agricole que dans le secteur des stations de sports d’hiver mais les
employeurs sont seuls pour y faire face et n’ont pas d’appui des collectivités locales ou du
secteur associatif. La question des transports pourrait aussi se régler mieux avec plus de
collaboration avec les pouvoirs publics.
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5 – L’avenir du travail agricole
Les employeurs interrogés ne sont pas très optimistes quant à l’avenir de leur activité. La
question de la main d’œuvre reste importante dans cette perspective. Certains s’inquiètent
surtout pour la main d’œuvre permanente qui vieillit et qu’il sera difficile de renouveler. Ils
ont peu investi dans le formation et sont septiques quant à l’utilité de celle-ci. L’expérience
leur paraît une donnée irremplaçable. Leurs salariés permanents, qu’ils soient français ou
étrangers, ont peu de formation mais beaucoup d’expérience. Ils constatent toutefois qu’ils
sont usés par le travail et qu’il faut songer à une relève.
« Les anciens ont plus d’expérience mais les jeunes sont en capacité, il faut qu’ils
s’y mettent et les anciens sont tous fatigués maintenant. Travailler trente ans dans
la terre ça marque un homme. Il y a quelques années vous reconnaissiez un
agriculteur parmi des milliers, il était tout tordu le mec ; le travail a bien changé
il est moins pénible qu’avant, le travail pénible a été remplacé par la
mécanisation. »
Les exploitants qui ont des activités de plein air pensent que le métier pourrait avoir un certain
attrait auprès des jeunes s’il y avait une bonne communication.
« En deux mots notre métier c’est fabriquer un arbre qui puisse donner de beaux
fruits. Après l’élevage de cet arbre. On met des liens on doit le pincer. Tout ça
fait appel à un sens rural et à une intelligence. C’est pour ça que je dis c'est
dommage qu'on ne communique pas plus, parce que c’est plus valorisant que de
travailler à la chaîne. »
Plusieurs déplorent que le public ait une image dépassée du travail agricole. Mais en même
temps, ils reconnaissent que c’est mal payé et que ça n’offre pas beaucoup de possibilités de
mobilité en termes de carrière.
Dans les serres où les salariés ne peuvent même pas trouver l’intérêt du travail en plein air et
de la « saine vie » des champs, l’employeur rencontré constate qu’il est difficile de motiver
les salariés par la rémunération qui reste modeste et par les possibilités de promotion qui
restent très limitées. En dehors de la possibilité de devenir chauffeur ou chef de culture, les
salariés n’ont pas beaucoup de perspectives. L’employeur rencontré essaye tout de même de
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les motiver en leur expliquant le fonctionnement de l’entreprise et en les intéressant aux
bénéfices. Il constate qu’en définissant bien les tâches et en témoignant un minimum de
reconnaissance aux salariés, il est possible de les fidéliser d’une année sur l’autre. Néanmoins
il ne se fait guère d’illusions sur la possibilité d’attirer des salariés qualifiés qui ont des
possibilités de choix professionnel plus large.
D’autres pensent qu’on peut fidéliser le personnel simplement en créant une bonne ambiance.
« C’est la bonne entente et la sympathie qu’on peut créer. Je pense que, si les
gens viennent plus chez un employeur que chez un autre, c’est parce qu’ils
s’entendent bien avec lui. »
Dans les secteurs où on ne travaille pas en flux trop tendus, on laisse aux salariés une certaine
liberté dans la gestion de leur temps de travail. C’est le cas des exploitations viticoles où le
recours aux machines rend moins indispensable le travail manuel. La loi sur les 35 heures,
souvent vilipendée par les employeurs apparaît ici au contraire comme un facteur
d’amélioration de l’ambiance de travail et indirectement du rendement.
« Les saisonniers ont des demandes sur les horaires. Pour partir un peu avant, on
les laisse organiser leur journée sans que ça soit en libre-service. Une personne
qui veut finir à 17 heures au lieu de 17h30, on s’arrange, on a affaire souvent à
des étudiants, donc ils s’arrangent. C’est pareil pour le permanent, je le laisse
assez libre, on est assez souple. On finit toujours par s’y retrouver. Et du coup ça
met une ambiance meilleure, le fait de leur faire confiance, ils se gèrent, si on
serre trop, on arrive vite à une tension et au conflit. Là on était souple, c’est
apprécié, le travail est fait, bien fait dans une bonne ambiance. La loi sur les 35
heures prévoyait en fonction de notre activité de faire des mois à 32 heures et
d’autres en période plus intense de faire 40 heures, on arrive à 35 heures, et les
salariés gèrent bien ça. »
Par rapport à la formation, les employeurs rencontrés ont parfois des attitudes contradictoires.
D’un côté, ils seraient favorables à des formations très pratiques et très limitées qui leur
permettent simplement d’améliorer le rendement de leurs travailleurs saisonniers. Ils disent
envoyer peu de monde en formation et ne pas être beaucoup sollicités par les salariés pour ce
type de demandes. Certains pensent cotiser à fonds perdus aux organismes paritaires de
formation. Ils préféreraient pouvoir bénéficier de « chèques formation » qui leur permettrait
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de former en dehors du temps de travail quelques saisonniers rémunérés pour cet
apprentissage. Ils préfèrent la formation « sur le tas » qui consiste en une sorte de monitorat
où les nouveaux embauchés apprennent sous la conduite de gens plus expérimentés les
techniques de base de leur travail. Ce type de formation qui avait été mis en place autrefois
par le FAFSEA a été supprimée en 2005. A court terme, elle peut apparaître intéressante pour
les saisonniers mais elle risque de ne pas déboucher sur des perspectives professionnelles
valorisantes pour ceux qu’elle intéresserait, restant trop ciblée sur les travaux saisonniers.
D’un autre côté, plusieurs employeurs pensent que le métier va exiger des compétences plus
pointues et plus variées et dans l’avenir ils pensent qu’ils seront amenés à se montrer plus
exigeants sur la formation des permanents.
« En dehors des saisonniers, il faut quelqu’un qui soit capable de faire les
traitements, de conduire un tracteur, des gens qui sont plus pointus que ceux
qu'on a maintenant. Sans parler des seuls Marocains, c’est Français compris.
Maintenant si j’embauche quelqu’un en permanent c’est au moins niveau BTS.
Jusqu'à maintenant je n’ai jamais demandé leur formation. Pour le taillage, les
vendanges, c’est l’expérience. Et si vous voulez on ne demande même pas parce
qu'on sait qu’ils n’en ont pas des diplômes. Pour le moment je n’ai pas trouvé
quelqu'un que ça intéresse d'être permanent et qualifié comme je le
souhaiterais. »
La question des compétences leur paraît indispensable pour assurer la réussite des
exploitations dans le futur et ce, d’autant plus que le réservoir des travailleurs d’origine rurale
tend à s’épuiser. Les gens qui possèdent des compétences par expérience étant de moins en
moins nombreux même parmi la main d’œuvre étrangère, il faudra bien les remplacer par des
gens ayant acquis leurs compétences par le biais de la formation.
Un viticulteur fait le constat que les exploitations créées par des gens qui ne sont pas issus du
monde rural peuvent très bien réussir si elles sont dirigées par des personnes qui se sont
données les moyens d’acquérir des compétences.
« Le mec qui va à l'école et qui apprend il fait ce qu’il veut. Il faudra qu’il se
penche plus sur la chose agricole qu’un fils de paysan. Et je vais vous dire, il y a
de plus en plus d’exploitations qui sont créées hors famille, des citadins, sans
aucune aide et qui s’en sortent. Non, moi je crois que ce qui compte le plus c’est
la motivation. »
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Malgré cette conscience de l’utilité des compétences obtenues par la formation pour
remplacer l’expérience acquise sur le tas, les exploitants rencontrés reconnaissent envoyer peu
de salariés en formation.
« Il m’arrive de proposer une formation quand je vois que la personne est
intéressée. Ce sont des formations faites par l’intermédiaire de l’ADEFA, ce sont
des formations sur le tas faites par une structure qui intervient sur l’exploitation
même. »
D’autres constatent qu’il n’y a pas de demande de formation de la part des salariés, surtout
chez le personnel immigré déjà âgé.
« …même si je leur propose ils ne veulent pas, même le père M, un marocain il
n’a jamais voulu une promotion, il n’a jamais voulu évoluer, il n’a jamais voulu
bouger, alors que moi ça m’intéressait. Il était travailleur et honnête, il aurait
mérité d’être sur le tracteur. Il avait la cinquantaine, il aurait été mieux sur le
tracteur que d’être sur terre, avec un travail manuel toute la journée, mais ça ne
l’a pas intéressé. »
En fait les promotions qui peuvent être offertes au personnel immigré se limitent surtout à des
fonctions d’encadrement intermédiaire, ce qui, comme nous le verrons dans le chapitre
suivant, ne les rend pas toujours très populaires auprès de leurs compatriotes.
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C H A P I T R E II : LE POINT DE VUE DES SALARIES
1 – Profil des salariés rencontrés
Sept salariés ont été rencontrés. Deux ont été interviewés individuellement, les autres en
groupes de trois et de deux. Tous ont été rencontrés par le biais de la CGT et plusieurs d’entre
eux étaient ou avaient été en conflit avec leur employeur au point d’avoir demandé l’appui du
syndicat. Cela donne donc un profil de salarié qui est sans doute très représentatif du
mécontentement rencontré dans le travail mais pas forcément représentatif de l’ensemble de la
main d’œuvre. Tous étaient des travailleurs permanents.
La majorité est de nationalité marocaine. Ils se disent originaires d’Al Hoceima ou de la
région d’Oujda. Deux d’entre eux ont le profil des travailleurs immigrés « classiques ». Agés
de 56 et 58 ans, ils sont originaires du monde rural. Ils sont analphabètes en français. Leurs
familles sont restées au pays. Présents en France depuis 1973, au moment où ils ont été
rencontrés, ils avaient été licenciés de l’exploitation viticole dans laquelle ils travaillaient
depuis dix-huit ans.
Les quatre autres travaillaient dans les serres. On trouve des profils différents. L’un d’entre
eux est venu en France comme étudiant avec l’ambition de poursuivre ses études mais a dû
accepter de travailler dans l’agriculture pour s’en sortir. Deux sont venus en France de façon
irrégulière et ont été régularisés en 1990 après quelques années de clandestinité. Un est venu à
l’âge de quatorze ans dans le cadre du regroupement familial demandé par son père. Les
autres sont venus entre 1989 et 1994 et ont été régularisés par la suite. Tous quatre vivent en
France avec leur famille et habitent à Bollène. Leurs situations au moment de l’interview sont
assez différentes. L’un d’entre eux occupe un emploi permanent. Un autre était au chômage
depuis plus d’un an après avoir été licencié d’un emploi de permanent en C.D.I qu’il occupait
dans la même entreprise depuis douze ans. Le troisième occupait un emploi saisonnier en
C.D.D après avoir été auparavant en C.D.I. Le quatrième, en France depuis 1971 est venu de
façon régulière. Il travaille dans les serres depuis 1994. Agé de 63 ans, il était en pré-retraite
au moment de l’entretien. C’est le seul qui, dans son pays, travaillait déjà dans l’agriculture et
qui dit avoir vraiment choisi ce secteur en France.
La dernière personne interrogée est une portugaise âgée de 42 ans, née dans une petite ville
des environs de Porto. Elle est veuve et élève seule son fils de quinze ans. Elle travaille aussi
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dans les serres comme permanente. Scolarisée en France jusqu’au niveau troisième, elle
travaille dans la même exploitation depuis quatorze ans. Elle aussi a été en conflit avec son
employeur dans le passé et envisageait de changer d’emploi au moment où nous l’avons
rencontrée.
Les âges de ce groupe de salariés vont de 33 ans à 63 ans avec une moyenne de 48 ans. Il faut
noter que trois d’entre eux s’exprimaient très mal en français et n’avaient pas bénéficié du
tout de scolarité dans leur pays d’origine. A l’exception d’un seul qui a un niveau bac + deux,
aucun n’avait de formation générale très poussée ni de formation spécifique dans un domaine
professionnel précis. Trois avaient une expérience du travail agricole dans leur pays, les autres
déclarent qu’ils n’ont cherché du travail dans les serres que parce qu’ils savaient que c’était
un des rares secteurs où ils pourraient être embauchés. Tous voudraient trouver du travail dans
un autre secteur.
2 - Embauche et conditions de travail
Pour tous, l’embauche s’est faite de façon spontanée, sans passer par l’ANPE. Ce processus
d’embauche spontanée a fonctionné, chez les salariés interrogés ici, dans les serres comme
dans les exploitations de plein air. Cela semble d’ailleurs toujours avoir être le moyen de se
faire embaucher si l’on en croit les plus anciens des salariés rencontrés dans le cadre de cette
enquête.
« .. J’ai été embauché il y a 18 ans. Je suis allé voir directement l'employeur. Ici
dans la Drôme à la Baume de transit. Je recherchais du travail, je suis tombé sur
lui. Il y a 18 ans c’est plus facile que maintenant. On fait le tour des patrons. On
pouvait choisir son patron, dans le domaine viticole. Avant c’était une petite
entreprise familiale qui a été rachetée maintenant il y a un an par des gens qui
veulent faire de l’argent sur le dos des salariés. »
On pouvait aussi facilement se faire embaucher sur recommandation d’un compatriote comme
l’atteste l’exemple ci-dessous :
« Il y avait un Français qui travaillait avec nous. Il est parti et l’employeur m’a
dit "je recherche quelqu’un" je lui ai présenté mon ami A. Ensuite, on était moi,
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mon collègue et le patron. J’ai été embauché à durée indéterminée et lui aussi.
C’est un camarade. Depuis qu’on est en France, on a travaillé dans les mêmes
entreprises au même moment. On vient du Maroc. On vient de la même ville au
Maroc, Hoceima.
J’ai travaillé neuf ans dans le Gard à Nîmes. J’ai travaillé dans le secteur
agricole dans l'arboriculture fruitière. Et mon collègue pareil, on a commencé
ensemble le même jour. On a commencé en 1973, on venait d’arriver en
France. »
Dans les serres, type d’exploitation qui n’est pourtant pas de type familial, le processus de
recherche d’emploi et d’embauche ne semble pas être bien différent.
Je faisais la tournée des exploitations. Le premier qui m’a dit oui, je suis resté. Il
y avait ce jour-là le n° 1 et le n° 2 du groupe. Je suis bien tombé. On m’a regardé
les mains, pour voir si j’avais les mains d’un paysan. Ce n’était pas la tête, les
dents ou les pieds mais les mains. On était deux. C’est un ami, on avait bossé six
mois auparavant dans une autre société, où là aussi j’ai été recruté en direct. On
était demandeur d’emploi, on avait le choix soit de commencer le jour même soit
de revenir le lendemain. On a préféré commencer le lendemain. On a passé un
entretien sur nos expériences, nos compétences, nos capacités, etc. »
Là aussi, les recommandations et l’information qui circule par le bouche à oreilles jouent un
rôle dans les embauches, comme l’atteste le cas de ce permanent marocain, embauché au
départ grâce à son père qui travaillait dans une serre voisine :
« J’ai été embauché en fin d'année 1989, en septembre j’avais l’âge de 17 ans. Je
n’ai pas bougé d’entreprise jusqu’à aujourd’hui. C’est une entreprise qui produit
des tomates. Comme il y avait mon père qui travaillait dans l’entreprise à côté, il
savait qu’il y avait des recrutements. Il m’a inscrit dans l’entreprise. Je ne suis
jamais passé par l’ANPE. Deux jours après, parce qu’il manquait beaucoup de
personnel, ils m’ont contacté. Je suis venu et le lendemain, j’ai commencé, pas
d’entretien. J’ai signé d’un CDD d’un mois. »
Les personnes interrogées ont souvent commencé à travailler en CDD et sont ensuite passées
en C.D.I.
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« Je suis allé m’inscrire, ils m’ont appelé. Je savais qu’ils recherchaient du
personnel par le bouche à oreille par des personnes, des connaissances qui
travaillaient à l’intérieur de la boîte. C’était un CDD, de huit mois la première
année et pareil la deuxième année. Ensuite j’ai été embauché en C.D.I. Je suis
toujours dans cette boîte, malheureusement, comme je suis obligé de travailler, je
suis obligé de rester. »
Comme dans le cas de cette salariée, beaucoup disent ne pas avoir choisi l’agriculture par
inclination personnelle mais par nécessité.
« Je ne cherchais pas spécialement à travailler dans l’agriculture, mais je n’avais
pas le choix. La jeunesse ! j’étais con et je n’ai pas bossé à l'école. Avec la
pression des parents, je n’avais pas le choix, il fallait que je travaille.
L’agriculture c’est la solution la plus rapide ici ; à ce moment-là c’était le truc le
plus donné aux étrangers. Moi je suis entré du Maroc à 14 ans, problèmes de
langage, de formation, je ne suis pas allé à l’école. C’était la seule voie.
Maintenant, si je trouve ailleurs, je partirais de l’agriculture et même si je perds
mon emploi dans l’agriculture je n’y retourne pas »
Certains avaient déjà une petite expérience du travail agricole en tant que saisonnier lorsqu’ils
étaient étudiants mais ils n’ont pas pour autant choisi par la suite de travailler dans ce secteur.
« Quand j’étais étudiant, je venais en France, je bossais dans le milieu agricole,
je faisais les saisons. Je travaillais un mois. J’ai de la famille ici sur Bourg,
Bollène qui me faisait entrer ici pendant la saison, pendant les vacances. Avant ce
n’était pas pareil, les étudiants venaient ici bosser, il n’y avait pas besoin de visa
avant 1987. C’était une grande possibilité pour nous. Au Maroc, j’ai travaillé
dans le bâtiment toujours l’été, pendant les vacances. Je faisais des études en
biologie–géologie…. Je suis venu en France en 1987. J’ai été régularisé en 1990.
Je cherchais un peu partout. C’était un peu difficile le site industriel. Le premier
boulot qu’on m’a offert j’ai dit oui. Ce n’était pas un choix mais une nécessité.
C’était ça, ou poursuivre les études, sans bourses, c’était impossible, j’habitais
Bollène commune où il n’y a rien. Alors c’était le boulot ou déménager. »
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Seuls les Marocains qui étaient déjà dans le secteur agricole dans leur pays disent avoir choisi
l’agriculture par intérêt personnel. C’est le cas des plus âgés des salariés interrogés ici qui ont
pu parfois travailler dans d’autres secteurs mais déclarent préférer l’agriculture.
« Au Maroc, je travaillais chez mon père, j’étais agriculteur. J’ai travaillé ici à
l'usine, dans le bâtiment, à Lille, à Montpellier, bricolage à Toulouse. Je savais
comment ça se passait l’agriculture ici. L’agriculture, c’est un secteur que j’ai
choisi parce que j’aime bien. »
Ceux qui sont originaires du monde paysan avaient aussi au départ quelques idées sur les
conditions de travail qu’ils allaient trouver dans l’agriculture en France.
« Au Maroc ou en France, c’est la même chose. On connaissait les conditions de
travail. Les gens à l’époque ne s'inquiètent pas de la pénibilité, on est habitué à
travailler dans des conditions encore plus difficiles, mais ici au moins on gagnait
bien sa vie. Un SMIC ici ça a beaucoup de valeur par rapport au Maroc. Dans le
pays on travaillait dans le secteur agricole. On faisait toutes les activités…. Au
Maroc tous ceux qui tenaient les fermes étaient Français, et lorsqu’ils sont
repartis en France, ils ont amené leurs ouvriers et donc on savait comment
fonctionnait le système de travail des agriculteurs Français, c’est la même
politique. »
Contrairement à leurs compatriotes plus jeunes qui ont cherché de l’emploi spontanément et
ne sont arrivés dans l’agriculture que par défaut, les immigrés de cette génération sont venus
d’abord en contrat O.M.I avec l’intention de travailler dans l’agriculture.
«… on est venu pour travailler dans l’agriculture. On est passé par l’office des
migrations. L’employeur a demandé notre venue, on n’est pas venu au hasard. On
est venu avec notre patron. On a fait un contrat de six mois ensuite un autre
contrat de six mois. Et ensuite on a fait les papiers. Et on est venu dans la Drôme.
De Casablanca on est arrivé avec un contrat OMI à Nîmes. Quand, il n’y a plus
eu de travail dans le Gard, mon beau-frère qui est ici à Bollène et qui travaille ici
m’a dit de venir. »
Ceux qui n’avaient pas l’expérience du travail agricole dans leur pays disent avoir été surpris
des conditions de travail qu’ils ont rencontrées, surtout dans les serres.
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« Moi j’ai été surpris par l’agriculture ici. Je ne peux pas comparer deux
systèmes Français et Marocain. Quand tu vois le salaire d’un ouvrier agricole ce
n’est pas comparable mais les cadences et les exigences patronales, j’ai été très
surpris. On avait la pointeuse, si tu viens une minute en retard t’as un quart
d’heure qui saute. Interdiction de parler. C’était vraiment surprenant, c’est le
mot…. j’ai travaillé dans les serres. Ça n’a rien à voir avec le travail de la terre,
c’est de l’industrie ce sont des cultures conditionnées. C’est un groupe, un grand
patron moi je l’ai vu dans "envoyé spécial" ».
Ce qui est mis en avant comme facteur de mécontentement au niveau des conditions de
travail, c’est surtout le rythme et la pression que les chefs mettent sur les salariés. Selon
certains, c’est cela qui renforce la pénibilité de conditions de travail qui sont déjà
naturellement assez difficiles à supporter surtout l’été dans les serres en raison de la chaleur et
de l’humidité.
« Au départ, les relations avec l’employeur, c’était bien mais à la fin c’était la
bagarre tous les matins. Quand on dit oui à tout même à l’impossible ça va. Au
mois de juillet, je travaillais dans le chariot, j’étais à 20 centimètres du plafond
en vitre, il faisait 50 degrés. j’étouffais je lui ai demandé de m’ouvrir la porte. Je
lui ai dit "je ne peux pas" il m’a dit "si tu descends tu restes chez toi". C’est
Guantanamo. On était puni. »
Un autre salarié exprime aussi son rejet de la pression mise par le « chef » qui empêcherait
selon lui certains ouvriers de bénéficier de « roue de secours » c’est-à-dire d’aide de la part
d’un collègue qui a déjà fini sa tâche.
« Difficile et pénible. Si au moins on n’a pas de pression et si on n’est pas
emmerdé ça va. En juin il faut tenir le coup avec 40 ° et avec la pression derrière.
La pression, c’est tactique. Dans un secteur, 4 équipes, on va donner un coup de
main à une équipe ou deux et toi tu es dans la merde tu es en retard. Et toi le chef
te saute dessus. Même si tu lui dis qu’eux ont eu des roues de secours il s’en fout
il te dit tu es en retard. Donc, la pression c’est comme ça. Alors qu’il note tous les
jours les roues de secours. »
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Pour beaucoup, le chef est le personnage négatif par excellence. Certains les accusent de se
comporter comme des «fascistes», d’avoir des idées racistes et réactionnaires, de privilégier
certains ouvriers pour en faire des « balances ». On trouve dans les entretiens enregistrés un
impressionnant florilège de descriptions des méfaits des chefs, de leurs tempéraments
autoritaires, de leurs stratégies perverses pour faire «plier» les gens.
« L’ambiance n’était pas du tout bonne. C’est clair. Interdit de parler, d’aller aux
chiottes, on avait un chef c’est une misère. C’est un vrai facho ! »
« Avec l’employeur, les relations
ne sont pas mal. C’est plutôt le chef qui
déconne, il est fou. Attention, il y a eu deux employeurs. Le premier, il est très
direct, s’il a quelque chose à te dire, il te le dit direct. Une fois pour la fête de
l’Aïd, on a demandé au patron de travailler un dimanche, pour récupérer, le chef
ne voulait pas, il nous a dit "on ne peut ramasser les tomates le dimanche". On a
eu une réunion, le patron a dit "ils veulent leur journée pour leur fête, ils auront
leur journée". Et le chef a fermé sa gueule. Mais ce chef est capable de tout. Il est
capable de saboter des plaintes derrière ton dos.»
De manière générale, l’employeur qui est plus loin des ouvriers est plus facilement exonéré de
responsabilités quant à la mauvaise ambiance et aux mauvaises conditions de travail. Le
« chef » qui est plus présent concentre sur sa personne l’agressivité accumulée en raison du
rythme pénible et des diverses frustrations enregistrées dans ce milieu très particulier qu’est la
serre. On retrouve là une constante mise de longue date en lumière par la sociologie du travail
à propos des usines à encadrement autoritaire et à rythme de travail intense. Certains salariés
font une analyse plus subtile de la chose et ne tombent pas dans la fixation sur la personne du
chef. Il apparaît lui aussi comme une victime du système.
« Par rapport à mon expérience de 15 ans, il n’y a que de l’exploitation et même
ceux qui sont soi-disant chefs, ils sont exploités ».
Le rôle du chef comme intermédiaire négatif entre l’employeur et les salariés permet aussi
d’utiliser certains ouvriers immigrés promus dans cette fonction pour neutraliser l’agressivité
de leurs compatriotes. Parmi les salariés rencontrés, certains disent avoir vu des chefs
marocains ou algériens qui étaient encore plus durs que les Français.
« Les Arabes qui sont chefs, les rares, ce sont des mouchards et ils sont durs avec
les compatriotes ».
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L’ambiance créée par les diverses contraintes existant dans ce secteur peut parfois se
répercuter au niveau de l’ensemble du personnel. Un salarié qui s’est beaucoup investi dans
l’entreprise où il travaille et a beaucoup milité au niveau syndical se déclare « dégoûté »
autant par l’attitude de la direction que par celle de ses collègues, selon lui, passifs et même
lâches et vénaux.
« Mon patron est faux, la plupart des ouvriers sont des faux jetons. Ils n’ont rien
dans la tête, les ouvriers disent amen à l’exploitation. Moi maintenant je m’en
fous, je fais mes 7 h et je m'en vais. On me dit bonjour, on ne me dit pas bonjour,
je m’en fous. Ils n’ont qu'à se démerder. J’ai assez donné. J’ai été militant CGT
depuis 5 ans. Et maintenant je n’ai plus envie de me battre parce qu’il y a
beaucoup de faux jetons. Maintenant je me bats pour moi, ils se démerdent. Il y a
eu un évènement. On avait un syndicat, un DP, le patron les a achetés. Il leur a
donné une somme d’argent, ils sont partis et on s’est retrouvé tout seuls à se
battre et petit à petit le groupe est parti en vrille. Certains avaient peur, ils sont
allés dans le sens du patron, j’ai été isolé, et, grâce au syndicat, j’ai appelé
l'inspecteur du travail qui est venu constater le harcèlement. »
Les serres sont un milieu de travail très spécial, avec des conditions de travail très dures qui
peuvent provoquer ce type de mécontentement, si la gestion du personnel ne parvient pas à
rendre l’ambiance meilleure. Qu’en est-il des salariés qui ont l’expérience du travail dans des
exploitations de plein air ? Dans notre échantillon, nous n’avons que deux cas de ce type,
deux Marocains âgés qui ont travaillé d’abord neuf ans dans l’arboriculture dans le Gard et
ensuite dix-huit ans dans une petite exploitation viticole de la Drôme. Pour eux, le problème
était plutôt lié à l’isolement et à l’inconfort des conditions de logement. Ils se sont
accommodés de tout cela pendant longtemps. Au fil du temps, ils sont devenus moins
performants dans leur travail, fatigués par l’âge, usés par le travail et pour l’un d’entre eux
atteint de maladie. Leurs conditions de logement étant particulièrement précaires, ils ont
obtenu une visite de l’inspection du travail. A la suite de cela, l’employeur a lancé une
procédure de licenciement contre eux pour lenteur excessive dans le travail.
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« Avant on s’entendait bien. On travaillait, le patron ne nous disait rien. 18 ans
d’expérience et au bout de 18 ans du jour au lendemain on ne sait plus travailler,
on est fatigué. Maintenant on a tous les défauts alors qu’avant le patron nous
disait qu’on travaillait très bien, qu’il était très content de nous. C’est moi qui
traitais les vignes, je conduisais le tracteur, quand moi je m’arrête le patron
s’arrête parce qu’il ne savait pas faire. »
Dans leur cas, ce n’est ni l’ambiance, ni les conditions de travail qui sont à l’origine du
mécontentement. Ils n’étaient que deux à travailler avec leur employeur et ils
s’accommodaient assez bien de leurs conditions de travail, même si elles présentaient toujours
les inconvénients des activités agricoles.
« Ce n’était pas trop difficile. C’est le travail à l’extérieur, on s’y fait. Mais si on
ne travaille pas on ne touche pas d’argent, zéro. Quand il pleut, pour récupérer
les heures non travaillées, on travaille 12 ou 13 heures quand il fait beau. »
Leurs conditions de travailleurs loin de leurs familles leur pesaient beaucoup au fil du temps.
Ils se sentaient encore plus isolés dans cette exploitation située en pleine campagne et de
surcroît leurs conditions de logement ne leur permettaient aucun véritable repos ni loisir et
leur coûtaient même relativement cher.
Ils évoquent tour à tour l’éloignement de la famille qui est encore le lot de nombreux
immigrés venus dans les dernières années où les frontières étaient encore ouvertes aux
travailleurs.
« On vivait comme des célibataires alors qu’on est des hommes mariés avec
enfants. On revenait fatigués, il fallait se faire à manger. On était obligé. On
n’avait pas la famille. La famille manquait beaucoup. Ma famille était comme en
prison et moi aussi. On attendait les vacances pour se voir. »
Ils mentionnent ensuite l’isolement et l’inconfort dans lequel ils vivaient au quotidien.
« On dormait comme les poulets. On était au milieu de la forêt, pas de TV. On
devait dormir avec le travail qu’on faisait et l’humidité. Il n’y a que la forêt
autour, que du bois. Moi j’avais une mobylette, je sortais avec A. On ne faisait
rien pendant nos temps de repos. Les loisirs c’est la mosquée parce que ça
chauffe bien, et parce qu’on y voyait du monde. On se repose les muscles. On
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travaillait 11 mois sur douze, pendant ce mois de congé, on partait au bled. On
allait voir nos femmes et nos enfants. Je ne leur disais pas la vérité sur nos
conditions de vie. »
Selon eux, leur tort principal est essentiellement d’avoir refusé des conditions de logement qui
ne faisaient qu’aggraver encore leur malaise affectif et leur fatigue physique.
« Le logement, on a fait des photos. Une petite chambre, il y a le lit, le gaz à côté
de la tête, les WC en face des pieds et la douche à côté. Tout est dans le même
périmètre. Le toit c’est de la tôle, quand il pleut il n’y a plus qu’à mettre le
parapluie, parce qu’il y a des fuites. À côté de la cave, là où il y a les citernes ils
ont fait comme une baraque, une niche de chien. Le courant il le coupait
régulièrement. Quand on a une famille à nourrir, on supporte tout, on ferme notre
gueule, on travaille, on cherche à gagner notre vie pour faire vivre la famille, on
n’est pas là pour le confort. On payait 40 euros chacun par mois. On a été
licencié à cause de ça, pas de chauffage et d’électricité».
Nous avons reproduit en annexe les photos de ce logement qui est sans doute à l’origine du
problème de nos enquêtés. Mais il est probable aussi que leur âge et leur usure physique les
rendaient moins efficaces au travail et que l’employeur a profité du conflit autour du logement
pour se débarrasser d’eux. Ce sont bien des questions de manque de rendement qu’il a mis en
avant dans la procédure.
Les conditions de logement des autres salariés interrogés sont satisfaisantes. Aucun n’habite
chez l’employeur. Tous sont installés en famille dans une ville proche de leur lieu d’emploi et
ils rentrent tous les jours chez eux. Dans les serres, certains salariés mentionnent une époque
où les ouvriers étaient logés dans l’exploitation même et dans des conditions encore moins
enviables que celles décrites ci-dessus.
« Depuis le début, je suis logé chez moi. Avant il y en avait certains qui étaient
logés dans les serres, mais maintenant, semble-t-il, il n’y a plus de logés dans les
serres. Ceux qui étaient logés dans les serres c’est les anciens. Qui pourrait
habiter dans une serre ? C’est la merde tout simplement. »
Ceux qui s’accommodaient de ces conditions de logement dans les serres étaient les vieux
Maghrébins ayant laissé la famille au pays et qui avaient du mal à trouver ailleurs.
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« Moi j’étais logé chez moi à Bollène et d’autres étaient logés dans les serres. Ils
étaient logés à l’intérieur de la serre. Il y avait des bureaux transformés en
chambres. C’était des gens mariés mais leur famille était au pays, ça les
arrangeait un peu de rester dans les serres, sauf que le logement était cher par
rapport aux normes. C’était 400 francs environ. Quand on a monté notre section
syndicale ça a baissé à 100. Ils ne voulaient pas aller en procès, ils ne savaient ni
lire ni écrire, et pas de famille donc pour trouver un logement ce n’était pas
facile. »
Si de tels types d’hébergement semblent avoir disparu aujourd’hui, les conditions dans
lesquelles les salariés des serres prennent leurs repas pendant la pause de midi restent parfois
très précaires.
« Là où tu manges, le réfectoire, il y avait les toilettes. Au mois de juin avec la
chaleur tu ne peux pas manger, avec les odeurs ; des fosses septiques en
plastique. Et c’est de pire en pire l’ambiance. L’eau des douches stagnait, il y
avait des risques de maladie. »
La situation de logement des deux salariés cités plus haut semble aujourd’hui être
heureusement devenue plutôt rare, surtout pour les permanents. Le discours des employeurs et
des salariés se rejoignent pour conclure qu’aujourd’hui la plupart des ouvriers ont un
logement autonome.
3 – Evolution dans le métier
Les salariés interrogés dans le cadre de cette enquête sont tous en conflit avec leur employeur
et sont aussi déterminés à quitter le secteur de l’agriculture. Ce sont dans l’ensemble des
déçus de la profession. En termes de carrière et d’évolution dans le métier ils tirent un bilan
essentiellement négatif.
Même ceux qui sont venus volontairement dans l’agriculture ont le sentiment de ne pas avoir
évolué en termes de carrière bien qu’ils pensent avoir progressé en termes de compétences.
C’est essentiellement le cas des travailleurs marocains qui ont travaillé dans la viticulture. Au
bout de vingt-sept ans de travail en France et de dix-huit ans passés chez le même employeur,
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ils constatent que leur progression en termes de reconnaissance professionnelle et de niveau
de salaire aura été somme toute très limitée.
« On est toujours resté au niveau ouvrier, niveau 1 échelon 1. Sur notre bulletin
de paye c’est marqué permanent saisonnier. On a été permanent saisonnier
pendant 18 ans. »
En fait, comme l’attestent les bulletins de salaire fournis par ces deux ouvriers, l’un d’entre
eux est à l’échelon 3 niveau 1 tandis que l’autre est resté au niveau 1, échelon 1. La différence
de salaire entre les deux reste toutefois minime. 1 318,35 € brut pour l’ouvrier de niveau 3
contre 1 259,39 € brut pour l’ouvrier de niveau 1. La différence se fait sur la base de la prime
d’ancienneté, supérieure de 28 centimes d’euro l’heure pour le premier, ce qu’ils ont du mal à
comprendre, étant entrés en même temps dans l’exploitation.
« On est rentrés en même temps dans la même entreprise. Moi je suis niveau 3
échelon 1 et je gagne 28 centimes de plus que A, en net ça fait 1025 euros. Ce
n’est pas beaucoup et en plus il ne payait aucune heure supplémentaire. »
Cet ouvrier estime pourtant avoir acquis une bonne palette de compétences au fil du temps et
occuper ainsi une fonction très polyvalente qu’il estime très mal reconnue au niveau salarial.
« Je faisais tout dans l'exploitation et je sais tout faire : conduire un tracteur,
l’arrachage, la replante, la taille, le traitement, suivre les bourgeons, travail à la
cave avec la bouteille, désherbage. Et ça me rapporte 28 centimes de plus alors
que moi je sais tout faire. »
Il dit n’avoir jamais bénéficié de la moindre formation pendant tout le temps passé dans le
secteur :
« Non jamais de formation, aucun stage. Les formations c’est la bagarre avec
l’employeur. L’employeur veut des personnes polyvalentes mais sans être
formées. »
Il précise toutefois n’avoir jamais demandé de formation non plus sans dire si c’est par
manque d’intérêt ou par crainte de se la voir refuser systématiquement.
Les deux personnes sont actuellement au chômage et disent en profiter pour se reposer. Ils ne
sont guère optimistes sur leurs chances de retrouver un emploi, n’ayant pas de compétences
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en dehors du secteur agricole. Bien qu’étant eux-mêmes d’origine paysanne et ayant choisi en
connaissance de cause de travailler en France dans l’agriculture, ils font un bilan très négatif
de leur expérience.
«L'agriculture, être paysan on ne connaît que ce métier, on ne sait rien faire
d’autre et on a jamais voulu faire autre chose. »
« Conseilleriez-vous à vos enfants d’y travailler ? Je ne leur conseillerais pas
parce que c’est dur et c’est difficile. Les métiers de l’agriculture même en France
c’est dur. Au moins au Maroc quand on travaille la terre, on la travaille en
famille. Ici tu es seul, je ne leur conseillerais pas. »
Dans le secteur des serres, les points de vue sur la carrière sont encore plus critiques. Les
salariés interrogés disent ne pas avoir choisi ce secteur par intérêt personnel mais seulement
par impossibilité de trouver mieux. Comme ils sont tous résidents en France, ils n’ont même
pas l’intérêt de la différence avantageuse de salaire par rapport au pays d’origine.
Certains disent avoir bénéficié de formations qu’ils estiment de peu efficaces, conçues selon
eux juste dans l’intérêt de l’entreprise et non pour permettre aux salariés de connaître une
progression dans la carrière.
« … une formation bidon, juste à côté de la serre pour leur intérêt. Là où ils
commercialisent, ils ont une sorte de bureau. Ils nous ont envoyé une technicienne
qui fait de la lutte biologique pour traiter mais entre la théorie et la pratique il y
avait un fossé. Elle disait il fallait un masque, alors que ça n’existait pas. C’était
un jour pour éviter les risques pour le traitement. Quand je suis arrivé, j’ai
demandé des protections on m’a dit il y en a d’autres qui attendent. Il n’y avait
pas de matériel ; à l’époque il n’y avait pas de bottes de sécurité taille 43, que des
petites bottes pour les chefs. »
Le même ouvrier, qui a un niveau d’études de bac + 2 dit avoir demandé une formation pour
passer chef de culture et avoir vu sa demande refusée.
« J’ai demandé une formation à M. pour devenir chef de culture grâce à mon
expérience et à mes études il m’a dit direct non, il n’en est pas question. Alors que
c’est nous qui formions les chefs quand ils arrivaient. Il m’a dit pas question,
comme ça, ça m’est resté en travers de la gorge. C’est là que je me suis dit il n’y
a pas d’espoir »
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D’autres disent n’avoir jamais rien demandé car ils étaient sûrs par avance de voir rejeter leur
demande.
« Non, je ne me suis jamais intéressé à ça. Il y avait un collègue, un marocain qui
avait demandé à passer chef d’équipe et on lui a dit direct non. J’ai dit ce n’est
même pas la peine d’essayer. Je ne voulais pas avoir la honte d’aller demander
ou supplier et de me faire envoyer balader. »
Pour d’autres, il n’y a ni propositions de formation de la part de l’employeur ni demande de la
part des salariés. C’est ce que dit une personne qui travaille pourtant depuis quatorze ans dans
la même entreprise.
« Jamais. Ça ne se fait jamais chez nous. Personne n’a jamais bénéficié de
formations, à ma connaissance. En avez-vous demandées ? Non, moi je ne
demande rien. Personne ne demande rien d’ailleurs, ils disent oui à tout à part
moi qui dit non. »
Devant cette absence de possibilité d’évolution, il y a deux types d’attitudes. Les plus âgés et
ceux qui n’ont pas de formation initiale très poussée s’accrochent tout de même au secteur car
ils reconnaissent ne pas pouvoir faire autre chose.
« Maintenant que j’ai commencé à travailler dans l’agriculture, je ne vais pas
changer. Je ne sais rien faire d'autre moi. S’ils me laissent c’est jusqu'à la
retraite. Moi je n’ai que ça, j’ai pas autre chose, je sais faire que ça. Quand tu
passes 10 ou 15 ans dans la même société et tu n’évolues pas tu t’habitues et le
peu que tu as, tu veux le garder. »
« Moi j’ai 63 ans, je suis en préretraite, je ne vais pas me former maintenant. Je
suis venu le 28 mars 1971 en France. »
Les autres voudraient partir, quitter un secteur dont ils n’espèrent plus rien. Ce sont les
difficultés de trouver du travail ailleurs qui les retiennent mais certains ont des projets
personnels de reconversion qui sont parfois relativement avancés.
« Moi je ne pars pas, parce que j’ai des crédits sur le dos. Moi j’ai demandé au
patron de me muter ou alors de me licencier parce que c’est intenable. Ça fait
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déjà longtemps, trop longtemps que j’y suis. Je sais que la vie est dure que c’est
difficile de trouver du travail mais je me débrouillerais. »
Ce salarié pense pouvoir trouver du travail dans le bâtiment, autre secteur où il constate une
présence importante d’immigrés. Il a des frères qui ont créé une entreprise de carrelage et
compte sur eux pour quitter le secteur des serres.
« Sinon, dans quel domaine voudriez-vous travailler ? Le bâtiment. Je pense
qu’il y a plus de possibilités. Moi j’ai un avantage, il y a une chose d’ouvert pour
moi et c’est la seule, c’est mes frères et c’est une grande possibilité. Il y a des
Arabes qui travaillent dans le bâtiment mais ça ne veut pas dire que c’est facile
de travailler dans ce secteur. »
Un autre, licencié au bout de douze ans d’ancienneté dans la même serre envisage une
formation de plombier-chauffagiste car il constate que la situation dans les serres se dégrade
de plus en plus.
« C’est de pire en pire. Moi quand je vois les exploitations il n’y a plus de
salariés permanents, je ne sais pas comment ils font, ou c’est du black ou je ne
sais pas comment ils se débrouillent. »
Un salarié, extrêmement critique par rapport à l’univers des serres s’est engagée à ses frais
dans une formation qui devrait lui permettre de quitter un secteur où il a passé quatorze ans
sans en tirer quoi que ce soit de positif.
« J’ai fait une formation de taxi ambulancier, et je l’ai réussie. J’aimerais
énormément partir de là où je suis, je ne me vois pas finir là-dedans jusqu'à la
retraite, ou alors on m’amène à Montfavet chez les fous dans le Vaucluse. J’ai fait
cette formation en dehors de mon temps de travail et le patron et même les
ouvriers ne le savent pas, ils auront la surprise. Je prouve que je sais faire
d’autres choses, et pas seulement être exploité. C’est moi-même qui ai trouvé
cette formation, j’ai payé et puis voilà. Mais comme ça fait longtemps que je n’ai
pas fait de démarches pour trouver du travail, j'étais sorti du circuit, on m’a dit
"il faut faire des CV, des lettres de motivation. J’étais complètement déconnecté
et là je suis en train de taper des C.V. ».
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Tous ces salariés, si négatifs soient-ils par rapport au bilan de leur expérience dans les serres
sont pour la plupart des permanents et ils estiment au moins que de ce point de vue là, leur
sort est meilleur que celui de leurs camarades saisonniers.
« Moi je suis permanent. Être saisonnier, je ne vois pas trop d’avantages. Un
saisonnier tu es obligé de baisser la tête, tu signes un contrat d’un ou deux mois,
tu risques de te retrouver à la porte du jour au lendemain. C’est précaire. Quand
on est permanent, on peut ouvrir sa bouche un peu plus. »
« C’est l’instabilité. Quand tu fais 8 ou 9 heures tu aimes manger dans un lieu
propre et quand tu es saisonnier tu n’as pas ce confort. Tu ne peux rien faire, tu
ne peux pas évoluer dans la vie. Il n’y a franchement aucun avantage. Tu fais 5
ou 6 mois et tu vas au chômage. Mais franchement tu préfères travailler. »
« Je vois beaucoup d’inconvénients à être saisonnier, mais je ne le suis pas. Le
salaire n’est pas régulier, c’est l’ instabilité. »
Aucune des personnes interrogées dans les serres ne souhaiterait voir ses enfants travailler
dans le même secteur :
« Je lui dirais de ne surtout pas aller là-dedans, par rapport à l’exploitation qui y
règne. Mais il le sait, il n’ira jamais là-dedans. Il sait que j’en bave trop. »
« Pas question, j’essayerais de les amener loin du travail agricole. C’est
l’exploitation des salariés, c’est mal payé, très pénible et on est maltraités. »
« Travailler dans l’agriculture, c’est dur, c’est de l’exploitation, tu ne gagnes pas
bien ta vie. Oui je leur conseillerais s'ils deviennent des patrons. Nous on leur
conseille de bien travailler à l’école et ici ils ont la chance de pouvoir y aller. »
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4 – Les discriminations
Pour les salariés interrogés, il n’y a pas de racisme ouvert dans le secteur du travail agricole.
Aucun ne se plaint d’attitude raciste explicite mais se sent cependant fortement discriminé en
raison de ses origines que ce soit au niveau de l’embauche, des conditions de travail et des
possibilités d’évolution professionnelle.
Implicitement, ils distinguent le racisme et la discrimination. Ils ne sont pas victimes d’injures
racistes, tout au moins de façon directe mais ils pensent que leurs origines les amènent à subir
un traitement plus défavorable que les autres dans le domaine du travail. Certains mentionnent
parfois aussi des facteurs de handicap non liés à leurs origines comme leur faible niveau de
formation initiale.
Si aucun n’a fait l’expérience du racisme direct, ils pensent néanmoins que cela peut exister et
que d’autres qu’eux, en particulier les anciens qui ne parlaient pas français ont pu en être
victimes.
« Il y a ceux qui le font en plaisantant : bougnoule, macaque. Mais c’est un gars
qui le dit aux anciens qui ne comprennent pas. Il est contre le regroupement
familial. Pour lui la mission d’un étranger c’est de travailler et de rentrer chez
lui. Il a des idées FN, il a sa carte, un jour elle est tombée de son portefeuille. Un
jour on a parlé de l’islam. C’est un gars, il est grave, d’origine corse. Mais c’est
un peureux, il n’insulte pas. Quand j’ai été élu délégué, des jeunes français qui
étaient avec moi, il est allé les voir et leur dire "comment vous votez pour un
arabe ?" Il leur mettait la pression. La direction n’a jamais eu directement de
propos racistes. La direction c'est "il y a des problèmes, mais je ne vais pas vous
donner raison à vous". Il m’a dit "dans ce cas, je suis de l’autre côté ". Comme
ça. »
Dans un certain nombre de cas, l’idéologie Front National qui est très présente dans la région
alimente les soupçons de racisme larvé de la part de l’encadrement mais personne ne fait état
d’agressions verbales exprimant des propos racistes dans le cadre du travail ni même de la vie
quotidienne.
Si ce genre d’incident survenait, les salariés interrogés estiment qu’ils auraient les moyens de
se défendre. Certains mettent en avant leur nombre et la peur des réactions de violence que
pourraient déclencher des propos racistes à leur égard.
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« On est nombreux aussi. Directement, moi je ne résiste pas, moi je lui rentre
dedans. Jamais de la vie. C’est sur les murs qu’on voit ça. Mais pas au boulot. »
D’autres, militants syndicaux bien informés sur leurs droits, se déclarent armés pour
combattre ce type d’injure sur un plan légal. Le seul obstacle pour certains serait la peur de
perdre son emploi mais ce n’est pas une crainte suffisante pour ne pas réagir.
« Moi oui. Moi je me sens la force de combattre ça, j’utiliserais bien sûr le
syndicat, l’Inspection du Travail. Tout le monde a peur de perdre son travail,
donc ils se la ferment, moi je n’ai pas peur de perdre mon travail, je n’attendais
que ça. Pour moi ça aurait été quelque chose de positif d’être licencié parce que
je me serais forcé à faire autre chose plus rapidement. »
Malgré les manœuvres prêtées aux employeurs pour tenter d’entraver le fonctionnement de la
représentation salariale et malgré la peur ou le désintérêt constaté chez les salariés d’arrivée
récente, le syndicat reste la protection la plus efficace.
« Je ne vais pas voir la direction. On entend à la TV "SOS racisme", mais moi je
crois que je vais voir la CGT. J’y suis adhérent depuis 10 ans, et j’étais DP 2 ans
de 1997à 1999. La boîte a été rachetée et coupée en deux. Comme il y avait moins
de 10 personnes dans la boîte, le patron ne fait plus de syndicat et donc plus de
C.G.T. Les anciens qui étaient militants sont partis en retraite, ceux qui sont
entrés, les nouveaux n’étaient pas intéressés, on l’a vite compris, ils avaient peur
de se syndiquer, et le patron n’a pas proposé d’élections. Mais je reste adhérent
parce que seule la CGT peut nous défendre. »
Si le racisme n’est pas constaté de façon directe et si les gens se sentent armés contre cela,
leurs propos révèlent une certaine conscience de subir des discriminations en raison de leur
origine tout au long de leur carrière. Cela commence au niveau de l’embauche. Le secteur
agricole n’est pas accusé de pratiquer la discrimination raciale à l’embauche mais au
contraire, il apparaît comme d’une grande accessibilité aux immigrés.
« Normalement, l’agriculture c’est là où on a le plus de chances de trouver du
travail mais au plus bas niveau. L’agriculture pour les maghrébins, c’est la
première issue pour trouver du travail, la première voie, on commence tous par
là. »
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Certains expriment l’idée que du fait de sa mauvaise image auprès de l’opinion, le travail
agricole serait de fait réservé aux immigrés alors que les emplois plus intéressants leur
seraient plus difficilement accessibles.
« Quand tu t’appelles Saïd ou Mohamed, tu ne pars pas avec de bonnes cartes.
Pour tailler les vignes tu peux, mais dès que tu demandes un poste plus évolué, on
te dit c’est déjà pris, il n’y a pas. Tu ne peux avoir une carrière normale comme
tu voudrais. Il faut peut-être changer son nom. »
La plupart des salariés interrogés constate que la majorité des gens qui travaillent dans le
secteur des serres sont des immigrés.
« Je ne sais pas le nombre. Il y a des hommes et des femmes, à part égale, de
toutes les origines. Il y a des Marocains, des Tunisiens, des Algériens, des
Chinois et très peu de Français. La grosse majorité des ouvriers ce sont des
Maghrébins. »
Quand il y a des Français, les salariés interrogés constatent qu’ils bénéficient d’un traitement
plus favorable que leurs collègues maghrébins.
« Et la discrimination. Il faut dire la vérité pour les Français, il y a moins de
pression, c’est sûr et certain. Pour les "roues de secours" quand tu as du retard,
c’est réservé pour certains et pas pour les maghrébins. Si t'es un maghrébin, t’es
mal barré. »
La question des « roues de secours », c’est-à-dire des ouvriers qui viennent aider leurs
collègues qui ont du mal à tenir le rythme exigé et à finir leur travail dans les temps voulus est
souvent évoquée. C’est à ce niveau là que les salariés interrogés disent percevoir le plus la
différence de traitement entre Français et immigrés. D’après eux, ce sont les chefs de culture
qui entretiennent cette inégalité de traitement.
« Des fois, (le chef) il donne un coup de main à qui il veut sauf aux maghrébins,
attention jamais. C’est réservé aux Français et à ceux qui lui amènent des infos,
on va dire les choses comme ça. Moi, je lui ai déjà dit que c’était un con. Il fait de
la discrimination, il y a des exemples : un Maghrébin qui arrive dans la boîte, il
n'a aucune aide, aucune info, aucune formation, on le laisse se démerder, et
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puisqu’il n’y arrive pas on le vire. À l’inverse un Français qui arrive, il est pris
en charge et même s’il ne fout rien il est gardé quand même. Ça c’est grave. »
Pour ce salarié, c’est surtout au niveau de la pression mise par le chef que les différences de
traitement entre immigrés et français seraient les plus flagrantes.
« Une fois moi j’ai fini sans aide, il est venu vers moi, il m’a dit "tu vas aider les
autres", j’ai dit non. Mais ce n’était pas pour un maghrébin, je lui ai dit "tu me
demandes d’aller l’aider parce qu’il s’appelle Francis, et Yacine là-bas il est
aussi dans la merde". Il faut seulement que le Français ne soit pas dans la merde
quand le patron passe, mais l’Arabe, ce n’est pas grave. Mais c’est ça la
discrimination : on fait son travail correctement, on finit dans les délais et ce
n’est jamais assez. Il faut toujours faire plus. »
Un autre salarié fait le constat que les immigrés sont bien informés sur le travail et se voient
systématiquement attribuer les tâches les plus pénibles.
« Les discriminations, c’est flagrant. Un Arabe qui se présente et il est renvoyé du
portail déjà d’entrée alors que quand tu vois des Français, ils entrent, le chef leur
explique comment fonctionne le boulot. Dans la distribution des taches aussi,
c’est vraiment flagrant. Les taches dures et difficiles, c’était pour les Marocains.
Les taches dures c’était le traitement ou le débarrassage et le travail en hauteur
sur les chariots. Ça c’était les Marocains».
Les salariés interrogés ne font pas mention de différences de traitement entre immigrés
d’origines différentes. Les Portugais qui sont les plus représentés dans les serres avec les
Marocains seraient victimes des mêmes inégalités de traitement.
« Mais quand tu vois des mecs qui foutent rien et d’autres qui sont traités comme
des esclaves, toujours les mêmes, les Arabes et les Portugais. On est ensemble
dans la même merde, il faut dire ce qui est, les Portugais, même s’ils sont des
Européens ils sont dans la même merde que nous, attention il faut dire la vérité ce
n’est pas que les Marocains. »
Il n’y a pas non plus mention de conflits entre les salariés d’origine différente. Ce sont les
chefs qui sont seuls rendus responsables des différences de traitement. Un salarié précise
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même que les Français récemment arrivés s’indignent parfois de voir leurs collègues
immigrés se retrouver toujours à faire les tâches les plus pénibles et les plus dévalorisées.
« Il y a des Français qui passent dans la boîte, ils voient la pression qu’ils mettent
sur les gars, qui sont presque toujours des Arabes, ils disent "attends mais c'est
n’importe quoi". Ils ouvrent leur gueule, il faut dire la vérité, ils ne trouvent pas
ça normal et certains vont le dire. Mais mon chef s'il existe 10 personnes comme
lui dans ce pays, la France éclate, explose. »
Si les salariés interrogés ne se sentent pas victimes de discrimination à l’embauche, l’un
d’entre eux constate que les employeurs sont réticents à employer des gens de telle ou telle
nationalité ou de telle origine.
« Quand un gars arrive la direction lui demande s’il est Algérien ou Marocain.
Parce que les Algériens ne se laissent pas faire. Ils ne recrutent pas d’algérien
parce qu'ils ont une mauvaise réputation, ils ne se laissent pas emmerder. Un
jour, le seul Algérien qui est venu dans la boîte, le chef lui a dit de faire ça en lui
parlant mal, l’Algérien il l’a attrapé par le cou, il allait le tuer. Nous, on a tous
fermé notre gueule. Il a tout cassé dans l’entreprise, ils ont appelé les flics. Dès
qu’un gars, un Arabe, arrive, il lui demande sa nationalité, et ils ne recrutent que
des Marocains et des Portugais. Les Algériens non, ils sont agressifs, ils se
battent, ils ne se laissent pas faire. Et maintenant, c’est aussi les jeunes Arabes,
quelque soit la nationalité, Marocain ou Algérien, mais les Algériens, c’est le
pire, ceux qu’il faut éviter. »
Le cas rapporté ici a bien sûr une dimension anecdotique. La rareté des ressortissants
algériens dans le secteur agricole s’explique plutôt par les réseaux de recrutement qui ont
fonctionné au départ par le bais de contrats O.M.I pour l’emploi saisonnier, contrats signés
avec le Maroc et la Tunisie mais pas avec l’Algérie. De plus, dans le sud-est de la France,
l’immigration algérienne, plus ancienne, s’était orientée principalement vers l’industrie et le
bâtiment, délaissant l’agriculture, considérée comme un secteur moins intéressant. Quant aux
jeunes d’origine maghrébine qui, selon cet enquêté, éveilleraient la méfiance des recruteurs,
ils sont aussi mentionnés par les employeurs rencontrés parallèlement comme une main
d’œuvre souvent problématique.
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Mais l’ensemble des discours des personnes enquêtées reflète surtout une conscience de
discrimination s’exerçant beaucoup moins à l’embauche qu’au niveau des conditions de
travail et des possibilités d’évolution dans la carrière. Ce sont surtout la pénibilité du travail et
la faiblesse des espoirs de promotion qui amènent les gens interrogés à se sentir discriminés.
Le secteur qui leur est localement le plus facilement accessible est le moins intéressant. Pour
beaucoup le sentiment d’avoir été exploités toute leur vie professionnelle rejoint le sentiment
d’être victimes de discriminations raciales.
« Mais dans l’agriculture, il y a beaucoup d’exploitation et l’exploitation c’est
encore pire que le racisme. Pour exploiter un mec il faut déjà être raciste. Entre
l’exploitation et le racisme, il y a un rapport. »
Le lien entre exploitation et origine ethnique est plus fortement ressenti dans le secteur des
serres où les salariés sont en contact avec des gens différents. Les salariés marocains qui ont
été licenciés de l’entreprise viticole après dix-huit ans de travail ne ressentent pas leurs
origines comme étant la cause de leur problème. Ils incriminent leur âge et le déclin
concomitant de leur rendement au travail. Il faut observer qu’ils ont toujours travaillé seuls
dans une exploitation excentrée et qu’ils avaient peu d’éléments de comparaison pour juger de
leur situation propre.
« Je ne pense pas que nos origines soient la source du problème. Il y a l’âge, on
ne sait plus travailler. On coûte cher avec l’ancienneté. »
Leur ancienneté ne leur a pourtant pas rapporté grand chose puisque au bout de nombreuses
années de travail dans le secteur agricole, ils n’ont que faiblement progressé en niveau et en
salaire. Ils mettent plutôt cela sur les conditions générales de travail et de rémunération dans
l’agriculture plus que sur une discrimination qui les toucherait eux, en tant qu’immigrés.
« Avant on travaillait 39 heures, et maintenant on était aux 35 heures. Mais on
n’a jamais fait attention aux heures de travail, on travaillait beaucoup plus, mais
lui mettait toujours 39 h ou 35 h. Chez eux ça n’existe pas les heures
supplémentaires. Chez les agriculteurs ça n’existe pas. »
Les difficultés d’évolution de carrière, si elles sont mises principalement sur le compte des
particularités du secteur agricole et des discriminations liées à l’origine sont aussi chez
certains rapportées au faible niveau de formation.
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« J’ai arrêté l’école à 16 ans. On regrette quand on a 30 ans, on se dit c’est trop
tard. Et c’est un frein bien sûr. Dans l’école, même dans l’agriculture, ils
demandent de plus en plus des diplômes maintenant, il vont peut-être demander
des bacs pour travailler dans les serres. »
Ceux qui ont un niveau de formation plus élevé sont plus portés à expliquer essentiellement
leurs difficultés d’emploi et de carrière par l’existence de discriminations ethniques diffuses,
comme ce salarié qui avait engagé des études supérieures en biologie et géologie et qui s’est
retrouvé ouvrier permanent dans les serres pour pouvoir vivre.
« Moi je ne vais pas chercher un boulot de technicien alors que je n’ai pas la
formation. Mais là où on a les moyens d’avoir un travail, on a des difficultés quoi.
Mais quand tu vois que des gens ont le niveau et des diplômes et qu’ils n’y
arrivent pas, là tu te poses des questions. Au niveau des mairies, dans les
administrations, les banques, on ne les voit pas. Avec toute la population
maghrébine sur Bollène où il y a 4 000 marocains pour 14 000 habitants il y en a
qu'un ou deux dans la mairie, dans des travaux manuels. Moi je crois que c’est
institutionnalisé en France la discrimination…. Le problème, c’est que les
employeurs sont gentils mais dès que tu cherches tes droits ou tu veux
revendiquer 2 ou 3 trucs là ça change».
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CONCLUSION
Le secteur agricole a longtemps vécu sur l’utilisation d’une main d’œuvre bon marché où la
part des immigrés était devenue importante. Les différences avantageuses de pouvoir d’achat
que permettait l’obtention d’un salaire en France par rapport au coût de la vie dans le pays
d’origine ont longtemps incité ces immigrés à se contenter de niveaux de rémunération faibles
et peu évolutives et de conditions de travail pénibles et usantes, avec très peu d’espoir de
mobilité et de qualification professionnelles. Aujourd’hui, beaucoup d’immigrés sont
résidents permanents en France et se montrent plus exigeants à ce niveau là. Il est difficile de
fidéliser la main d’œuvre, même si certaines catégories comme les femmes immigrées vivant
dans la région trouvent un intérêt dans le travail saisonnier. Les générations nées en France
sont moins attirées par ce type de travail qui évoque la condition sociale défavorable de leurs
parents. Le sentiment de subir des discriminations liées à l’origine est assez vif dans certains
secteurs réputés difficiles comme les serres même si la question se pose beaucoup moins par
rapport à l’embauche que par rapport aux conditions de travail et à l’évolution de carrières.
Selon la D.D.A, il n’y a que très rarement des discriminations avérées, qu’elles soient d’ordre
syndical ou racial. Ce qui explique le sentiment de discrimination exprimé par plusieurs
salariés interrogés, c’est surtout le fait qu’ils constatent qu’ils ont une faible marge de choix
par rapport au secteur de travail et une faible marge d’évolution professionnelle. Le fait de se
voir sur-représentés dans un secteur peu attractif leur renvoie l’image d’une main d’œuvre
dévalorisée. L’agriculture peine en effet à attirer de la main d’œuvre française surtout dans le
secteur des emplois permanents. Les saisonniers français sont surtout des étudiants ou des
enfants d’agriculteurs de la région qui voient cette activité comme un travail d’appoint auquel
ils ne se sentent pas voués toute leur vie.
Il y a biensûr un travail à faire sur l’image du travail agricole qui pâtit encore de clichés
négatifs et parfois dépassés mais la réalité des conditions de travail et de la rémunération
restent des obstacles autrement plus importants. Est-il possible de les faire évoluer dans un
sens plus attractif ? Des soutiens peuvent être apportés aux employeurs de l’agriculture pour
améliorer les conditions de transport et de logement qu’ils offrent aux salariés saisonniers.
Pour mieux attirer la main d’œuvre saisonnière locale, il faut mettre des services de transport
à la disposition des salariés habitant les villes de la région. Pour attirer les saisonniers de plus
lointaine provenance, il faut améliorer le confort des logements offerts.
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Pour ce qui est du travail lui-même, deux perspectives semblent se dessiner. Il est possible de
parier encore sur le recours à une main d’œuvre bon marché dans une perspective de
dérégulation du travail et d’internationalisation des services. Des fournisseurs étrangers de
main d’œuvre pas chère sont déjà à pied d’œuvre dans le secteur même si les employeurs que
nous avons rencontrés se déclarent très réticents à entrer dans ce système. Il n’est pas sûr que
s’ils s’y engageaient, ils en tireraient à long terme les bénéfices les plus avantageux. D’autres
pays de l’espace européen seront toujours mieux placés par rapport au coût de la main
d’œuvre.
L’autre perspective passe plutôt par l’amélioration des conditions de travail pour attirer une
main d’œuvre plus expérimentée et mieux formée.
Il y a d’abord la question des conditions de travail. Dans la viticulture, le recours aux
machines a permis de diminuer les besoins en main d’œuvre en faisant disparaître les emplois
les plus pénibles. Dans le secteur des serres, des innovations techniques ont déjà été réalisées
et devraient pouvoir se généraliser. L’orientation à l’horizontale des plants de tomates facilite
leur ramassage. Grâce à l’énergie disponible, on peut déjà offrir en hiver de bonnes conditions
de chauffage. Il est possible de climatiser pour diminuer en été la pénibilité du travail sous
grosse chaleur. Tout cela exige des investissements mais peut contribuer à moyen terme à
fidéliser la main d’œuvre en lui offrant de meilleures conditions de travail à défaut de pouvoir
lui offrir des rémunérations plus élevées. La mise en valeur des innovations techniques dans le
secteur agricole peut aussi améliorer son image auprès du public.
Si les agriculteurs français veulent continuer à produire des fruits et légumes de qualité pour
résister à la concurrence des pays du sud comme ils l’ont fait jusque là, il leur faudra aussi un
minimum de main d’œuvre qualifiée. Dans cette enquête, nous avons été frappés par le
manque d’intérêt des employeurs par rapport à la formation. Ils ne voient la formation que
comme un moyen d’ajuster régulièrement les compétences de la main d’œuvre à leurs besoins
à court terme. Les travailleurs saisonniers ne peuvent espérer bénéficier que d’un peu de
« monitoring » qui leur permet d’être plus efficaces sur certaines tâches assez étroitement
définies. Les travailleurs permanents continuent d’être formés « sur le tas ». Beaucoup sont
âgés et la question de leur renouvellement se pose déjà de façon cruciale. La D.D.A fait aussi
le constat d’un faible intérêt des salariés pour la formation. Il reste à savoir si cela est dû à une
offre inappropriée ou à une difficulté à prendre la formation au sérieux, difficulté inhérente à
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la mentalité de salariés qui pensent encore que le travail s’apprend uniquement par
expérience.
Les employeurs reconnaissent qu’ils seront obligés d’embaucher des diplômés pour certains
postes. Il leur faudra à ce niveau là se montrer plus attractifs au niveau du salaire, des
conditions de travail et des possibilités de mobilité. De même, ils devront davantage prendre
en compte la question des discriminations, un diplômé étranger ou d’origine étrangère devant
pouvoir bénéficier des mêmes possibilités qu’un national et aucun traitement moins favorable
ne pouvant s’appuyer sur la faiblesse du niveau de formation initiale ou professionnelle.
Au niveau des saisonniers, il n’y a pas actuellement d’offre de formation en dehors de la
saison. Le FAFSEA fonctionne à partir des cotisations des employeurs et ne peut financer de
formation que pour leurs employés. Les personnes en demande d’emploi devraient pouvoir se
former pour des activités saisonnières sous conditions d’acceptation de travailler dans
l’agriculture pendant une ou plusieurs saisons. Le statut des saisonniers devrait aussi pouvoir
faire l’objet d’améliorations leur permettant de vivre du cumul de diverses activités
temporaires. Cela ne concerne pas seulement l’agriculture mais l’ensemble du secteur de plus
en plus vaste des emplois précaires.
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