La détente ( 1963 – 1975 )
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La détente ( 1963 – 1975 )
Chapitre n°2 : Les relations internationales de 1947 à 1991 Cours n°2 : La détente (1963-1975) 1 La détente représente t-elle une rupture dans les relations entre soviétiques et états-uniens durant la guerre froide ? I : Les origines de la détente : A : Un nouveau climat international : La crise de Cuba en 1962 s’est achevée par une réelle prise de conscience qu’en l’absence de dialogue entre les deux blocs, est / ouest, une guerre mondiale nucléaire est possible. De plus, le contexte diplomatique est favorable à cette reprise du dialogue ; dès 1956 Khrouchtchev l’homme de la déstalinisation soviétique propose une « coexistence pacifique » et le président états-unien substitue « aux représailles massives », la doctrine de la « riposte graduée », désormais le nucléaire n’apparaît qu’en dernier recours. Symbole de ce rapprochement suite à la crise de Cuba, la mise en place quelques mois après en 1963 d’une ligne de communication entre les deux leaders des deux blocs, le téléphone rouge. B : Contestations au sein de chaque bloc : Ce rapprochement entre les deux superpuissances est donc à l’origine d’une période de détente dans cet ordre international bipolaire. La détente apparaît comme un besoin de répit partagé par les deux superpuissances pour régler des problèmes intérieurs, mais correspond aussi à des stratégies distinctes. Au lieu de la société d’abondance promise par Khrouchtchev, l’URSS connaît une grave situation économique l’obligeant d’ailleurs à négocier avec les EtatsUnis, en particulier des importations de céréales et des transferts de technologies pour moderniser l’appareil de production. L’autorité de l’URSS est de plus affaiblie au sein du bloc communiste. La Chine critique ouvertement la politique extérieure de Moscou depuis la mise en place de la « coexistence pacifique » de Khrouchtchev. Les tensions augmentent au 2 cours des années 1960 ; Pékin exploite la « reculade » soviétique à Cuba en 1962, envoie une lettre accusant Moscou d’avoir « trahi la révolution mondiale ». L’URSS suspend son aide financière et technique à la Chine ; enfin des affrontements sanglants ont lieu en 1969 à la frontière sino-soviétique à propos d’îles le long de l’Oussouri. En Europe, les contestations sont nombreuses dans le bloc de l’Est si bien que Brejnev, leader soviétique de 1964 à 1982, impose la doctrine de la « souveraineté limitée », considérant les intérêts du modèle soviétique supérieurs aux intérêts nationaux, afin de rétablir l’ordre de Moscou dans les démocraties populaires. La première application de cette doctrine fut la répression soviétique avec l’intervention du pacte de Varsovie contre le « printemps de Prague » en 1968, contre cette tentative de libéralisation, de mise en place d’un « socialisme à visage humain. » En parallèle,la Roumanie dirigée par Ceaucescu refuse de participer à l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968, et multiplie les signes d’une relative autonomie à l’égard de Moscou. L’Albanie se retire du pacte de Varsovie durant l’année 1968. Pour l’URSS, la détente est donc le moyen de rétablir son autorité au sein du bloc Est, d’établir de véritables relations avec les Etats-Unis et le bloc Ouest, d’obtenir de Washington un équilibre stratégique et la reconnaissance des frontières de l’après-guerre en particulier en Europe. Les contestations sont aussi nombreuses au sein du bloc Ouest. Le continent américain, chasse gardée des Etats-Unis, connaît une diffusion du modèle révolutionnaire cubain en particulier avec Che Gevara (Bolivie, Colombie, Pérou, Chili….) d’où le soutien états-unien à de nombreuses dictatures anticommunistes. Autre contestation dans le bloc Ouest, la volonté d’autonomie de la France dirigée par De Gaulle, rejetant l’atlantisme et le système de Bretton Woods au nom de l’indépendance de la France. En juillet 1966, la France se retire du commandement intégré de l’OTAN, elle obtient l’arme nucléaire en 1960, puis les vecteurs de celle-ci, sous-marin nucléaire, avion mirage IV et missiles balistiques sur le plateau d’Albion, pilier de la dissuasion permettant une plus grande indépendance y compris à l’égard de l’allié états-unien. De Gaulle critique la suprématie du dollar proposant le retour à l’étalon-or existant avant les accords de Bretton Woods ; ce système est selon le leader français l’instrument de la puissance états-unienne, car en instituant le dollar comme unique monnaie mondiale des échanges, Washington peut selon De Gaulle « s’endetter gratuitement. » De Gaulle multiplie aussi les voyages, notamment en Amérique latine, Afrique et Asie où il prononce en 1966 un discours à Phnom-Penh très critique à l’égard de l’intervention états-unienne au Vietnam. Ainsi, la politique gaullienne d’affirmation du rang de la France dans le monde représente pour Washington une sérieuse contestation. 3 Les Etats-Unis connaissent aussi des difficultés intérieures : crise intérieure avec des émeutes raciales surtout après l’assassinat de Martin Luther King le 04 avril 1968, avec la remise en cause de « l’américan way of life », la société de consommation et le puritanisme par la jeunesse de 1968 et, surtout par l’opposition grandissante dans l’opinion à la guerre du Vietnam (nombreuses manifestations, révélations de massacres, image des effets du napalm, coût humain…). Les Etats-Unis recherchent un désengagement progressif du Vietnam et, donc, ont besoin d’un répit avec l’URSS. Au-delà des problèmes intérieurs aux deux blocs, on assiste à l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène internationale : la Chine communiste qui possède l’arme nucléaire dès 1964 et les pays décolonisés qui s’affirment avec le mouvement des non-alignés. Les deux superpuissances entendent donc mettre à profit cette période de détente pour rétablir l’ordre bipolaire en établissant un duopole renforcé, un véritable condominium (« dominer avec »), où elles sont associées pour défendre leur monopole nucléaire et considérant que chacune est souveraine dans son aire d’influence. II : La détente entre les deux blocs : A : La mise en place d’un vrai dialogue est/ouest : Les rencontres entre dirigeants soviétiques et états-uniens se multiplient, nombreux voyages des présidents Nixon ou Ford en URSS ou de Khrouchtchev puis de Brejnev dans le bloc Ouest. Le développement des échanges est/ouest symbolise cette détente. Si, pour l’URSS, il y a nécessité d’importer des produits agricoles et industriels, cela représente de nouveaux débouchés pour les EtatsUnis. Ce dialogue va peu à peu s’étendre à d’autres domaines. B : Les accords sur le nucléaire, un arrêt à la course aux armements ? Dans un contexte post-crise cubaine de peur de cataclysme nucléaire, de volonté de protéger leur monopole nucléaire ( au nom de la non prolifération et certainement aussi expression du condominium) enfin compte tenu des dépenses considérables, Etats-Unis et URSS s’entendent sur « la maîtrise des armements ». Dès 1963, le traité de Moscou interdit les expériences nucléaires dans l’atmosphère, en 1967 signature du traité sur la dénucléarisation des fonds marins et de l’espace cosmique. 4 Le traité le plus important est signé en 1968 portant sur la « non prolifération des armes nucléaires ». Ainsi le monde se partage entre la majorité des états s’engageant à ne pas faire de recherches en vue d’obtenir la bombe A et H et une minorité d’états, le « club nucléaire » qui se voit interdire toute exportation de ce type d’armements. La volonté de maîtriser la production d’armements se traduit par la création en 1969 de négociations entre Etats-Unis et URSS, nommées les SALT (Strategic Armements Limitation Talks) qui se concrétisent avec la signature en 1972 des accords SALT1. Il s’agit d’un traité sur la limitation des missiles anti-balistiques, missiles capables de détruire en plein vol les missiles de l’ennemi, et sur la limitation des armes offensives stratégiques. Les Soviétiques peuvent garder davantage de vecteurs que les Etats-uniens (fusées et sous-marins) car le traité SALT1 reconnaît une avance technologique certaine des Etats-Unis dans le « mirvage » ( de MIRV, multiple independantly reentry vehicules), technique permettant d’intégrer plusieurs têtes nucléaires dans un seul missile. En raison de l’apparition de nouvelles armes (engins sol-sol, armes chimiques, bombes à neutrons…) de nouvelles négociations débutent en 1973 et aboutissent à la signature des accords SALT2 en 1979. Toutefois le sénat états-unien refuse de ratifier SALT2 en raison de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS (voir cours suivant). C : L’Europe, symbole de la détente : L’Europe symbole de la guerre froide depuis 1947 avec ce « rideau de fer » qui sépare l’Europe du bloc Est et celle du bloc Ouest, devient aussi au début des années 1970 le reflet de la détente. En 1969, le nouveau chancelier de la RFA, le social-démocrate Willy Brandt met en place une politique « de changement par le rapprochement », c’est l’Ostpolitik, la politique à l’Est. Pour rapprocher les deux Allemagne, le chancelier Willy Brandt tente de normaliser dans un premier temps ses relations avec l’URSS : adhésion de la RFA au traité de non prolifération nucléaire pour rassurer les soviétiques puis signature du traité de Moscou le 12 août 1970 où RFA et URSS reconnaissent l’inviolabilité des frontières en Europe. Signature ensuite le 3 décembre 1970 d’un traité avec la Pologne sur l’inviolabilité des frontières : comme à Moscou, Brandt reconnaît la ligne OderNeisse comme « frontière occidentale de la République populaire de Pologne ». Lors de son voyage à Varsovie, le chancelier Brandt s’agenouille devant le monument qui commémore le soulèvement du ghetto durant la seconde guerre mondiale, acte symbolique et essentiel de devoir de mémoire en particulier pour la nouvelle génération allemande et européenne. 5 Enfin après deux rencontres historiques, à Erfurt puis à Kassel, les leaders de la RFA (Brandt) et de la RDA (Stroph) signent le traité fondamental le 21 décembre 1972 qui marque la reconnaissance mutuelle des deux Allemagne. Dès lors la RFA et la RDA sont admis à l’ONU. Cette politique de détente du chancelier de la RFA en particulier avec la RDA est donc un succès. Dans ce contexte de rapprochement est/ouest, de détente, d’Ostpolitik, les EtatsUnis acceptent la proposition soviétique d’une vaste conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE). Ces rencontres (de 1973 à 1975) aboutissent à la signature par une trentaine de pays européens et les deux superpuissances de l’acte final d’Helsinki le 1er août 1975. D’un côté l’URSS obtient « la reconnaissance et l’inviolabilité des frontières » de 1945, de l’autre le bloc Ouest obtient l’adhésion de tous les signataires au respect des droits de l’homme. Les accords d’Helsinki représentent l’apogée de la détente mais les résultats sont à relativiser tant les deux blocs ont des perceptions différentes du texte. Les dissidents dans le bloc Est qui s’opposent au régime totalitaire soviétique tel Andreï Sakharov rappelleront sans cesse cette signature officielle de l’URSS à Helsinki pour appuyer leurs revendications en matière de libertés individuelles et de démocratie. III : Les limites de la détente : A : Les accords SALT et d’Helsinki ne sont que partiellement respectés : D’une part on peut constater le maintien d’une course aux armements, par la recherche de nouvelles armes, ou en contournant les textes : le nombre de missiles étant limité par les accords SALT1, les grandes puissances développent la technologie mirvage permettant de multiplier le nombre de têtes nucléaires dans un seul missile. D’autre part, il y a absence de progrès au quotidien dans le bloc Est : « le respect des droits de l’homme et les libertés fondamentales, y compris la liberté de la presse, de conscience, de religion et de conviction » affirmé à Helsinki demeure inappliqué en URSS et dans les démocraties populaires. Le parti unique, la répression de toute opposition, une presse limitée à la propagande en faveur du régime (la « pravda », la vérité est le quotidien principal), la censure omniprésente dans l’information, la culture et l’éducation, des libertés limitées y compris la liberté de déplacement caractérisent le bloc Est à la fin des années 1970. Quant aux dissidents, ils sont pourchassés, expulsés ou emprisonnés. Le physicien et inventeur de la bombe à hydrogène soviétique 6 Sakharov est à l’origine d’un comité de défense des droits de l’homme pour demander l’application des accords d’Helsinki ; il est condamné à l’exil intérieur. L’auteur de l’Archipel du Goulag, Soljenitsyne est arrêté et expulsé d’URSS en 1974. Le fondateur de la charte 77 en Tchécoslovaquie qui dénonce les excès, la répression, la corruption du régime, Havel, est incarcéré de 1978 à 1983. La contestation grandissante au sein du bloc Est témoigne de la volonté de démocratisation du régime. B : De nombreux affrontements périphériques : Malgré cette période de rapprochement diplomatique, les affrontements ne disparaissent pas, et même les protagonistes de la détente s’engagent parfois militairement. - L’engagement états-unien au Vietnam : Suite à la décolonisation de l’Indochine française officialisée par les accords de Genève en 1954, le Vietnam reste divisé en deux : au nord la république démocratique du Vietnam, régime totalitaire communiste dirigé par Ho Chi Minh, le Vietnam du sud est une dictature soutenue par les Etats-Unis et dirigée par Diem. Le nord entend réunifier le pays en s’appuyant sur l’opposition communiste au régime de Diem, les Vietcongs qui multiplient les opérations de guérilla dès 1959. Le Vietcong se nomme à partir de 1960 front national de libération, s’organise et bénéficie de livraisons d’armes fournies par les soviétiques via le Vietnam du nord. Les Etats-Unis se lancent dans une escalade militaire d’une décennie ; après une série de bombardements massifs mais incapables de faire plier le nord, les renforts au sol se multiplient, plus de 500 000 GI’s sont au combat en 1965. A la suite des accords de Paris signés en janvier 1973, les Etats-Unis doivent laisser la péninsule indochinoise à des gouvernements communistes. Les Vietnamiens du nord entrent à Saïgon rebaptisée Hô Chi Minh-ville. Le pays est alors unifié et nommé république socialiste du Vietnam. Les révolutionnaires communistes triomphent aussi dans les pays voisins, avec Pathet Lao au Laos et les Khmers rouges au Cambodge. Il en résulte une perte de prestige et un retrait relatif des Etats-Unis de la scène internationale. Au-delà de la chronologie de cette guerre, le syndrome vietnamien est important aux Etats-Unis : échec militaire, coût humain (un million de vietnamiens sont morts, 56 000 états-uniens) et économique (hausse de l’inflation compte tenu d’énormes dépenses militaires), opinion défavorable en particulier à la vue des conséquences d’utilisation d’armes destructrices comme les défoliants, le napalm ou les bombes anti-personnelles (les Etats-Unis ont largué 8 millions de tonnes de bombes c’est à dire davantage que le tonnage largué durant la seconde guerre mondiale). Cette crise intérieure états-unienne est renforcée par la 7 contestation de la jeunesse, symbolisée par quelques personnalités Joan Baez, Bob Dylan ou encore Jimmy Hendricks, mais aussi par le scandale politique du Watergate qui contraint à la démission le président Nixon en 1974. - L’Amérique latine reste malgré la détente un terrain d’opposition entre les deux blocs. Le gouvernement cubain tente de développer des guérillas dans un certain nombre de pays d’Amérique latine, Che Guevara est d’ailleurs tué en Bolivie en 1967. Les Etats-Unis multiplient interventions et soutiens à des dictatures afin de stopper les guérillas révolutionnaires. Exemple : en 1965 où les états-uniens interviennent à Saint-Domingue en faveur du général Wessin auteur d’un coup d’Etat contre Juan Bosch dont la réforme agraire menaçait les grands propriétaires ou la participation de la CIA en 1973 au coup d’Etat de Pinochet contre le président Allende pourtant démocratiquement élu. - La guerre de Kippour en 1973 est déclenchée sur l’initiative du président égyptien Anouar el-Sadate elle a pour but de faire oublier l’humiliation de la précédente guerre israélo-arabe, la guerre des six jours (5-10 juin 1967) durant laquelle Israël s’empare du Sinaï (Egypte), du plateau de Golan (Syrie) et occupe une partie des territoires palestiniens. Cette nouvelle guerre se termine par un statu quo après la pression des deux superpuissances pour stopper la guerre. A noter que ce conflit voit l’apparition de l’arme « pétrolière ». Les pays arabes exportateurs de pétrole décident en effet le quadruplement du prix du pétrole, et menacent de diminuer leur production de 5% par mois « jusqu’à ce que les Israéliens se soient complètement retirés des territoires occupés et que les droits légitimes du peuple palestinien aient été restaurés » (déclaration lors de la conférence de l’OPEP de décembre 1973). Le monde arabe entend montrer sa solidarité avec le peuple palestinien qui revendique un état indépendant. Alors que le plan de partage onusien de 1947 ( un état pour les Juifs et un état pour les Palestiniens) et la résolution 242 de 1967 ( évacuation israélienne des territoires occupés, reconnaissance arabe d’Israël) ne sont toujours pas respectés, le peuple palestinien s’organise autour de Yasser Arafat et de l’OLP (organisation de libération de la Palestine). 8 La détente signifie donc un dialogue entre les Etats-Unis et l’URSS, rendu nécessaire face au risque de guerre nucléaire et aux crises internes des blocs. La détente permet la signature de nombreux accords en particulier sur la nonprolifération du nucléaire et sur l’Europe. Lorsque le président états-unien Richard Nixon en visite à Moscou en 1972 dit à la télévision soviétique : « faisons tout ce que nous pouvons, afin que tous les enfants du monde puissent vivre leur vie entière ensemble dans l’amitié et dans la paix », le condominium c’est à dire l’entente des deux superpuissances pour diriger le monde, semble à son apogée. En réalité la détente n’a pas mis fin à l’antagonisme entre les deux blocs, entre Washington et Moscou. Les accords de désarmement sont contournés, les conflits sont nombreux. Au milieu des années 1970, cette période de la détente n’apparaît plus que comme une parenthèse dans la guerre froide. 9 10