Emergence du Neuromarketing DM
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Emergence du Neuromarketing DM
« EMERGENCE DU NEUROMARKETING : APPORTS ET PERSPECTIVES POUR LES PRATICIENS ET LES CHERCHEURS » Olivier Droulers Professeur des Universités CREM UMR CNRS C 6211 Université de Bretagne Sud e-mail : [email protected] Bernard Roullet Maître de Conférences PRISM Université de Paris 1 Panthéon – Sorbonne e-mail : [email protected] à paraître dans Décisions Marketing * Les auteurs ont contribué de façon équivalente à cet article. 1 « EMERGENCE DU NEUROMARKETING : APPORTS ET PERSPECTIVES POUR LES PRATICIENS ET LES CHERCHEURS » RESUME : Les progrès accomplis récemment par les neurosciences ont permis une révision complète de la compréhension du fonctionnement cérébral. Une révolution est en marche, bouleversant les paradigmes établis en sciences humaines. Le marketing, après avoir assimilé successivement les concepts de psychologie générale puis de psychologie cognitive, doit aujourd’hui s’approprier les notions et concepts des neurosciences pour garder sa place au sein des sciences sociales et humaines. MOTS-CLES : neurosciences, neuromarketing, imagerie cérébrale, épistémologie. ABSTRACT: Recent breakthroughs in neuroscience entailed a complete revision of our understanding of brain functioning. A revolution is under way, reshuffling established paradigms and tenets in social sciences. After having integrated successive concepts in general and cognitive psychology, marketing research must embrace notions and concepts of cognitive and affective neuroscience, so as to maintain its position and stance in social sciences. KEY WORDS: neuroscience, neuromarketing, brain imaging, epistemology. 2 « EMERGENCE DU NEUROMARKETING : APPORTS ET PERSPECTIVES POUR LES PRATICIENS ET LES CHERCHEURS » 1 L’objectif de ce travail est de faire le point sur une pratique émergente en marketing : le neuromarketing. Les auteurs proposent une définition, puis présentent les méthodes d’imagerie cérébrale. En s’appuyant sur les premiers travaux scientifiques réalisés, les premières applications managériales sont envisagées après examen des critères éthiques, méthodologiques, financiers et consuméristes nécessaires à leur implémentation. Introduction En 2004, la plupart des grands quotidiens ou hebdomadaires américains se sont fait l’écho d’une étude réalisée par l’équipe du Pr. Montague (15), parue dans Neuron, un journal scientifique renommé. L’information devait être ensuite relayée par quelques quotidiens français. La teneur générale des articles oscillait entre une vague curiosité et une hostilité affichée. La publication en question démontrait à l’aide de techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle que la notoriété et l’image d’une marque de cola influaient fortement sur l’appréciation de la perception gustative réelle. Pour la première fois, on pouvait objectivement montrer grâce à des techniques médicales et neuroscientifiques2, l’influence du capital de marque sur les jugements de préférence, une problématique purement marketing. Rapidement, des cabinets conseils spécialisés – parfois émanant de départements universitaires – ont été créés afin de proposer leurs services aux grands groupes mondiaux (Cf. Tableau 1). Tout aussi rapidement, des associations consuméristes américaines se sont emparées de cette information pour lancer un signal d’alarme public et même exiger une enquête sénatoriale sur les pratiques du neuromarketing et sur ses dangers présumés. Dans l’ouvrage intitulé « Le cerveau en action », Stanislas Dehaene se demandait en 1997 « s’il sera possible à un grand laboratoire, dans 10 ou 20 ans, de pratiquer la 1 Les auteurs tiennent à remercier les lecteurs anonymes ainsi que les rédacteurs en chef pour leurs remarques et suggestions qui ont contribué à l’amélioration de l’article. 2 Les neurosciences cognitives intègrent les champs d’étude relatifs à la mémoire, l’attention, la perception, l’émotion et au langage. Les neurosciences affectives s’intéressent spécifiquement aux émotions, à leurs précurseurs et à leurs effets. La neuro-imagerie étudie chacun de ces thèmes qui ont naturellement une résonance en marketing. 3 psychologie sans avoir accès aux méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle » (5). Le nombre chaque année croissant de publications mobilisant ces méthodes (plus de 6.600 études IRM recensées à juillet 2006 ; voir Schéma 1) indique la réponse. Les chercheurs marketing seront bientôt confrontés à une question similaire : pourra-t-on étudier le consommateur sans avoir accès aux méthodes d’imagerie ? « Insérer Tableau 1 ici » « Insérer Schéma 1 ici » Définition du neuromarketing Devançant les gestionnaires de quelques années dans l’expérimentation neuroscientifique (13), les économistes ont été les premiers à avancer le terme (et créer le champ disciplinaire) de « neuroéconomie », dont la raison d’être était de mieux comprendre les processus de décision des agents économiques à l’aide des approches de la psychologie cognitive et des neurosciences. L’économie étant moins suspecte de « sombres desseins mercantiles » que le marketing, la « neuroéconomie » apparaît alors plus respectable dans les milieux de l’information. Une définition avancée par Zak est la suivante : « La neuroéconomie est un champ interdisciplinaire émergent, qui recourt aux techniques de neuro-imagerie pour identifier les substrats neuraux associés aux décisions économiques » (22). On pourrait facilement transposer le propos dans un contexte marketing, en posant que « le neuromarketing est un champ interdisciplinaire émergent, qui recourt aux techniques de neuro-imagerie pour identifier les substrats neuraux associés aux décisions et aux comportements du consommateur ». Il s’agirait donc d’un nouvel outil destiné à éclairer de manière plus objective les processus cognitifs et intentionnels du consommateur face à des offres marchandes. Cependant, remarquant le caractère réducteur de cette approche nous préconisons une autre définition : « Le neuromarketing est l’étude des processus mentaux, explicites et implicites, et des comportements du consommateur, dans divers contextes marketing concernant aussi bien des activités d’évaluation, de prise de décision, de mémorisation ou de consommation, qui s’appuie sur les paradigmes et les connaissances des neurosciences ». 4 Cela signifie que nous ne souscrivons pas à une version réductrice du neuromarketing qui consisterait en une simple appropriation de méthodologies et de techniques objectives visant à quantifier et visualiser des phénomènes cognitifs, mais bien au contraire, nous adhérons à une version paradigmatique, selon laquelle c’est le cadre de pensée des neurosciences qui devrait s’appliquer à des contextes particuliers et circonscrits de l’activité humaine, objets d’étude du marketing. En ce sens, le neuromarketing contribuerait in fine – à l’instar de la neuropsychologie cognitive ou de la sociobiologie – à l’élargissement et à l’accumulation des connaissances relatives aux relations esprit / cerveau, tout en conservant parallèlement une finalité pratique dans la vie des affaires. Pour simplifier, nous serions enclin à dire : les chercheurs en comportement du consommateur ne doivent pas seulement emprunter sporadiquement des techniques d’imagerie, mais se convertir en ‘neuropsychologues de la consommation’, passant incidemment d’une vision comportementaliste à une vision cognitiviste. Pour ce faire, la connaissance sinon la maîtrise des nouvelles techniques d’études neuroscientifiques apparaît nécessaire. Dans la section suivante, nous énumérerons succinctement les principales techniques mobilisées. Encadré 1 : Glossaire Amygdales cérébrales : noyaux du lobe temporal interne faisant partie du système limbique ; ses fonctions principales concernent les activités végétatives, émotionnelles et sexuelles. Cartographie EEG : le traitement mathématique du signal EEG, permet de tracer un spectre de puissance qui précise la puissance de chacune des fréquences composant ce spectre. La représentation de la distribution topographique de ces puissances sur le scalp est appelée cartographie EEG. Cortex préfrontal (dorsolatéral ventromédian, orbitofrontal) : région corticale du lobe frontal située en avant des aires corticales motrices ; il intervient dans la planification des comportements cognitifs complexes ainsi que dans l’expression de la personnalité et des comportements sociaux adaptés. Cortex : substance grise des hémisphères cérébraux et du cervelet comprenant la majeure partie des neurones de l’encéphale. Cyclotron : accélérateur de particules circulaire permettant la production de radioéléments tels que l’oxygène 15 (15O), le carbone 11 (11C), ou le Fluor 18 (18F). Electromyographie (EMG) : technique d'exploration des muscles basée sur l'étude et le recueil (électromyogramme) des potentiels électriques de repos et d'action. Gyrus fusiforme (ou gyrus occipito-temporal) : circonvolution médiane du lobe temporal qui est activée lors des traitements visuels de la couleur, de la reconnaissance des visages et du traitement visuel d’objets d’expertise. Hémisphère : les hémisphères cérébraux sont les parties droite et gauche du cerveau, reliées par le corps calleux. Hippocampe : structure corticale bilatérale et symétrique, repliée sur elle-même, située dans la face médiane du lobe temporal et faisant partie du système limbique. Il joue un rôle dans la mémoire spatiale ainsi que dans la consolidation de la mémoire. Imagerie cérébrale fonctionnelle : s’oppose à imagerie structurale. Cette dernière donne des images statiques, fixes ; la première donne des images dynamiques (voir neuro-imagerie). 5 Isotope instable : corps simple dont le noyau atomique a le même nombre de protons qu'un autre mais dont le nombre de neutrons est différent : par exemple l’oxygène 18 (18O) et l’oxygène 15 (15O). La proportion de neutrons dans le noyau peut rendre l'atome instable : il peut être radioactif. Neuro-économie : tentatives d’appliquer des méthodes neuroscientifiques à des questions relevant de la recherche en économie ou en gestion. Neuro-imagerie : toutes les techniques qui permettent de visualiser la structure et/ou le fonctionnement du système nerveux central au cours de l’accomplissement de certaines tâches ou lors de certains états. Elles incluent les mesures d’activité électriques, magnétiques et métaboliques. En plus des techniques précisées dans l’article, notons les stimulations transcraniennes (TMS), l’imagerie dans le proche infrarouge (NIR imaging) et l’imagerie par diffusion (DTI). Neurosciences : ensemble des disciplines qui ont pour objet d’établir la nature des relations entre la cognition et le cerveau. Paradigme des neurosciences : il existe des présupposés implicites dans cette discipline : (a) le cerveau humain est le produit de l’évolution, (b) l’être humain appartient à une espèce qui n’est pas fondamentalement différente des autres, (c) il existe une identité entre des événements mentaux et des événements neuronaux (la même chose), (d) tout comportement humain explicite est la résultante d’un fonctionnement du système nerveux central. Potentiels évoqués : mesure de l’activité EEG en réponse à un événement survenu. En répétant une même stimulation un grand nombre de fois, il est possible de mettre en évidence des ondes positives et négatives caractéristiques des différentes étapes du processus traitement de l'information. Psychologie cognitive : étudie les grandes fonctions psychologiques de l'être humain que sont la mémoire, le langage, l’intelligence, la perception ou l’attention. Scanner : appareil appelé aussi tomographe qui, comme son étymologie l’indique, permet d’obtenir des clichés (structuraux ou fonctionnels) sous forme de « tranches » contiguës. Substrats neuraux : à chaque processus cognitif ou affectif, correspond un ensemble complexe d’activations cérébrales (successives ou simultanées) qui mobilisent une ou plusieurs modules cérébraux. Le substrat neural représente la partie biologique d’un phénomène cognitif. Système limbique : groupe de structures cérébrales jouant un rôle très important dans le comportement et en particulier, dans diverses émotions comme l’agressivité, le plaisir, la peur, ainsi que la formation de la mémoire. Thalamus : structure cérébrale profonde, généralement divisée en une vingtaine de noyaux, qui constituent l'un des principaux relais des voies sensitives allant vers le cortex cérébral. Tronc cérébral : structure du système nerveux central situé dans la fosse postérieure du crâne, sous les hémisphères cérébraux. Méthodes neuroscientifiques d’imagerie applicables au neuromarketing Il existe deux classes de méthodes qui relèvent de l’imagerie cérébrale : la première, représentée par l’électro- et la magnétoencéphalographie, sous-tend une mesure directe de l’activité cérébrale, tandis que la seconde, représentée par la tomographie par émission de positons et l’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique, réalise des mesures indirectes, par le truchement des variations de débit sanguin. La tomographie par émission de positons (TEP) Cette méthode requiert l’injection de traceurs radioactifs injectés au sujet testé lors de l’expérimentation. L’accumulation de radioactivité dans les aires cérébrales actives, plus consommatrices de glucose et d’oxygène que les aires au repos, sera détectée par le 6 scanner. L’injection d’une dose de radioactivité interdit la répétition de l’expérimentation chez un même sujet. Elle permet de disposer d’une bonne résolution spatiale (4 millimètres environ) mais d’une très faible résolution temporelle (tout « point chaud » qui dure moins de 30 secondes ne sera pas détecté). Ces limites ne plaident pas pour une utilisation de la TEP dans un contexte commercial. L’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRMf) Elle repose sur le fait que l’hémoglobine a une signature magnétique légèrement différente selon qu’elle contient plus ou moins d’oxygène. La méthode la plus employée vise à détecter les variations de concentration locale en désoxyhémoglobine (méthode BOLD ; Blood Oxygen-Level Dependant). Elle ne nécessite pas l’utilisation de traceurs radioactifs et donc permet la répétition des observations chez un même individu. La résolution spatiale de l’imagerie par résonance magnétique est considérée comme bonne (quelques millimètres). En revanche, première limite, sa résolution temporelle est faible : l’obtention d’une série de clichés couvrant l’ensemble de l’encéphale nécessite environ 6 secondes. Or, l’unité de temps pour étudier les modifications de l’activité cérébrale consécutives à un processus cognitif en cours est de l’ordre de la dizaine ou centaine de millisecondes. Cette méthode présente d’autres limites. La seconde est liée au nombre restreint de scanners IRM en France. Il semble donc difficile de réaliser des observations à but commercial, à moins que les appareils, comme aux Etats-Unis, soient exploités quasiment de manière permanente, le jour pour la clinique et la nuit pour la recherche. La troisième limite concerne les contraintes logistiques de l’examen (confinement du sujet, niveau de bruit élevé, absence de mouvement). Ces contraintes visent néanmoins à réduire les sources de biais ou d’artefacts. Dans un avenir proche, le nombre de scanners augmentant et les nouveaux appareils étant beaucoup moins imposants, ces deux limites seront levées. La limite relative à la faible résolution temporelle sera supprimée quand les méthodes d’imagerie pourront être couplées, dans l’idéal IRMf avec MEG ou EEG. Il sera ainsi possible de répondre simultanément à deux questions « où ? », c’est à dire : « quel réseau de neurones est activé ? » et « quand ? », c’est à dire : « à quel moment suivant l’apparition d’un stimulus ? ». 7 Electroencéphalographie (EEG) et cartographie électro-encéphalographique Cette méthode, présentée en 1929, est basée sur le fait que l’activité des neurones du cortex cérébral entraîne des variations de champ électrique enregistrable au niveau du scalp. Depuis les années 1980, l’utilisation des ressources informatiques et l’augmentation du nombre de capteurs utilisés ont permis son intégration dans les méthodes d’imagerie cérébrale ; on parle alors de cartographie EEG et de potentiels évoqués. Cette méthode non invasive est connue pour son excellente résolution temporelle de l’ordre de la demi-milliseconde. En revanche, sa précision spatiale est très faible (quelques millimètres à plusieurs centimètres) et il est difficile d’enregistrer des signaux électriques au delà des quelques millimètres corticaux de profondeur. Compte tenu de la faible sensibilité de cette méthode, la tâche cognitive doit être répétée plusieurs fois. L’utilisation de cette méthode dans un contexte commercial présente cependant de nombreux avantages. Tout d’abord, compte tenu du nombre important d’appareils et d’une plus faible utilisation que par le passé, l’accès pour des raisons non médicales à cette méthode ne pose pas de problème (Cf. Tableau 3). Ensuite, il s’agit de matériel d’un coût d’achat et d’exploitation très inférieur à celui d’un scanner pour IRMf ou d’une MEG, ce qui permet de réaliser des expérimentations auprès d’un échantillon suffisant de sujets pour un coût relativement raisonnable (Cf. Tableau 2). Enfin, cette méthode totalement non invasive est peu stressante pour le sujet et peut être employée in vivo, c’est à dire utilisée en situation réelle, à domicile ou en magasin. Il suffit au sujet d’enfiler un casque souple et de porter un enregistreur à la taille. On peut aujourd’hui considérer que c’est la méthode d’imagerie cérébrale qui détient le meilleur rapport qualité/coût. La technique a été employée en publicité et en design principalement (17). La Magnétoencéphalographie (MEG) La magnétoencéphalographie détecte les minuscules champs magnétiques générés par l’activité électrique des neurones synchronisés. Afin de réduire tout risque de « bruit » parasite, l’équipement MEG est isolé dans une « cage de Faraday ». Cette technique permet de suivre des processus cérébraux milliseconde par milliseconde, mais avec une résolution spatiale médiocre, de l’ordre de plusieurs millimètres. En France, la rareté et 8 le coût d’entretien de ce type de matériel obèrent sérieusement son emploi marketing pour la décennie à venir. De plus, les champs mesurés sont si ténus qu’ils nécessitent des protections et des appareillages spéciaux. Il s’agit enfin d’une méthode onéreuse (Cf. Tableau 2). Toutes ces caractéristiques ne placent pas aujourd’hui, en France, la MEG comme une méthode facilement utilisable dans un contexte marketing. Cependant, les nouveaux appareils sont susceptibles d’être couplés avec la méthode EEG, ce qui permet d’obtenir à la fois de bonnes résolutions spatiale et temporelle et ce qui constitue un avantage déterminant pour l’étude des processus cognitifs. Ces récents progrès technologiques pourraient inciter à une généralisation de ce matériel. De manière plus générale, il convient d’indiquer que de tels appareils (TEP, IRMf, MEG) ne peuvent fonctionner « en libre-service » (hormis l’EEG portable) et que leur utilisation requiert une équipe de professionnels aguerris (biotechniciens, médecins, statisticiens, ingénieurs systèmes etc.). « Insérer Tableau 2 ici » Nous verrons dans la section suivante que les techniques évoquées ci-dessus, lorsqu’elles sont appliquées au champ du neuromarketing, présentent des avantages certains en regard d’autres techniques d’investigation : (a) la mesure est objective et non contrôlable par le sujet, (b) le biais cognitif est supprimé, (c) des processus non verbalisables sont accessibles, (d) les phénomènes affectifs, même ténus sont discernables et (e) des phénomènes implicites sont abordables. « Insérer Tableau 3 ici » Premières expérimentations neuromarketing Le neuromarketing est aujourd’hui présenté par de nombreuses sociétés spécialisées dans le conseil en entreprise et par certaines universités aux USA, comme un argument commercial susceptible de « faire la différence ». De nombreuses firmes seraient déjà intéressées. On cite, par exemple, les noms de Coca-Cola, Lévi-Strauss, Ford, Delta Airlines, DaimlerChrysler. L’Europe n’échappe pas à ce mouvement. Pour preuve, on notera les créations récentes de plusieurs cabinets tels que ShopConsult en Autriche ou Neurosense et Neuroco en Grande Bretagne. 9 Il est aujourd’hui nécessaire d’établir une distinction entre les travaux révélés dans des revues grand public de ceux rapportés dans des revues scientifiques à comité de lecture. Les travaux relatés dans les magazines sont souvent présentés sous la forme d’une interview qui développe peu les aspects méthodologiques ou protocolaires. De récents ouvrages commerciaux rapportent des résultats sans présentation de la méthodologie voire, sous couvert de confidentialité des résultats commandités par des entreprises privées, aucun résultat du tout. Notre présentation se limitera aux travaux ayant fait l’objet d’une publication dans des revues scientifiques reconnues, qu’ils soient conduits explicitement ou non dans un contexte marketing. Perception subliminale et traitements implicites Le sujet de la perception subliminale est récurrent en marketing, comme en témoignent trois articles publiés au cours des dernières années dans une revue française de référence (8), (11), (20). Si l’accumulation des travaux sur le sujet dans plusieurs disciplines permet aujourd’hui de conclure à réalité d’une perception subliminale, son mode d’action reste encore mal compris. Un des premiers travaux (6) utilisant les techniques d’imagerie cérébrale en dehors d’une application médicale, visait à mieux comprendre le processus de traitement des stimuli subliminaux. Les sujets étaient exposés à un premier stimulus subliminal (un chiffre) puis à un second stimulus supraliminaire (un chiffre). La consigne donnée aux sujets (qui ne détectaient donc qu’un stimulus : le second) était de décider le plus rapidement possible si ce stimulus était plus grand ou moins grand que 5. Sur le plan comportemental, les auteurs observèrent un effet facilitateur se traduisant par un raccourcissement du temps de décision, lorsque le stimulus amorce et le stimulus cible étaient congruents c’est à dire ici inférieur ou supérieur tous les deux à 5. L’effet facilitateur d’un stimulus amorce subliminal avait déjà été observé en psychologie (10) et dans un contexte marketing en présentant une marque de façon subliminale (8). La mobilisation des techniques d’imageries (IRMf et EEG) a pour la première fois permis d’observer que le traitement par le sujet d’un stimulus subliminal était accompagné d’une modification du flux sanguin cérébral (IRMf) et de l’activité électrique (EEG) dans plusieurs zones du cerveau. Les chercheurs montrèrent en particulier que ce traitement n’était pas confiné aux zones sensorielles correspondant au stimulus (par exemple, le cortex cérébral visuel pour un 10 stimulus visuel) mais que les zones cérébrales motrices impliquées dans la réponse du sujet étaient également activées. Ceci implique qu’un stimulus subliminal reçoit non seulement un traitement dit parfois de « bas niveau » mais également un traitement de « haut niveau » c’est à dire qu’il est catégorisé non seulement sur le plan de ses traits élémentaires (forme, couleur) mais également sur le plan sémantique (plus grand ou plus petit que 5). Grâce aux techniques d’imagerie cérébrale, ces chercheurs montrèrent qu’un stimulus subliminal est traité dans des zones cérébrales impliquées à la fois dans les tâches de traitement perceptuel, de catégorisation sémantique et d’exécution motrice. La différence observée entre la verbalisation du sujet qui déclare ne pas (perce)voir de stimulus et la réalité des traitements cognitifs effectués comme le montre aujourd’hui l’imagerie cérébrale, soulignent une nouvelle fois que le cerveau ne nous instruit aucunement sur la façon dont il fonctionne. En marketing, ces résultats permettent de mieux comprendre les limites d’un outil d’investigation du consommateur pourtant très répandu dans la discipline : le questionnement. Rôle des souvenirs et des croyances sur la préférence McClure et al. (15) étudièrent les corrélats cérébraux de préférences lors de tests de dégustation de deux sodas de marque différente (Coke®, C ou Pepsi®, P). Les sujets étaient invités à faire des tests de préférence en dehors du scanner puis dans un second temps l’activité de leur cerveau était examinée lors d’un test de dégustation (IRMf). Deux situations étaient examinées. Dans la première, les sujets ne connaissaient pas la marque, dans la seconde les sujets étaient informés de la marque d’un seul échantillon. Les chercheurs remarquèrent que, lorsque les sujets ne connaissaient pas la marque testée, les jugements de préférence entre les deux échantillons étaient répartis équitablement entre les marques et que dans cette situation, le niveau d’activation d’une zone cérébrale spécifique, le cortex préfrontal ventromédian (VMPFC), était un excellent indicateur de la réponse du sujet (Cf. glossaire). Cependant, lorsque les sujets étaient informés du nom de l’une des deux marques dégustées, les sujets déclaraient préférer de façon significativement plus fréquente l’échantillon C. Dans cette situation précise, les chercheurs décelèrent le recrutement d’autres régions cérébrales comme l’hippocampe (médiateur de la mémorisation), la région parahippocampique, le tronc cérébral et le cortex frontal dorsolatéral (DLPFC). En revanche, ils constatèrent que la 11 présence affichée de la marque P sur l’un des échantillons n’entraînait pas de « biais » de réponse en sa faveur et que dans ce cas de figure, il n’existait pas d’activation significative de l’hippocampe, de la région parahippocampique, du tronc cérébral ni du cortex frontal dorsolatéral (DLPFC). De facto, on met en évidence deux systèmes neuronaux distincts qui génèrent des préférences chez l’individu : quand les jugements de préférence reposent seulement sur des informations sensorielles (préférer un goût, une odeur etc.), l’activité relative du cortex préfrontal ventromédial - connu pour représenter des valences hédoniques ou appétitives – permet de prédire la préférence (15 ; p.385). Par contre, quand une des deux marques est annoncée avant test (et tout particulièrement C) la connaissance de cette marque biaise la préférence résultante, en recrutant d’autres structures cérébrales (hippocampe, cortex préfrontal dorsolatéral, tronc cérébral). Et les « préférences cérébrales » (i.e. mesurées objectivement) sont alors distinctes des préférences gustatives (déclarées), généralement en faveur de la marque C. En d’autres termes, un individu peut préférer de bonne foi des colas différents, selon que leur marque est révélée ou non. L’hippocampe (structure nécessaire à l’encodage en mémoire épisodique) et le cortex préfrontal dorsolatéral sont impliqués dans des changements comportementaux dus aux affects ; ce dernier est aussi impliqué dans le contrôle cognitif incluant la mémoire de travail. Les chercheurs en concluent que l’information «culturelle» influe sur les décisions de préférence, par l’intermédiaire de la région dorsolatérale du cortex préfrontal, et de l’hippocampe qui est mobilisé pour rappeler l’information associée. Ceci confirme par des mesures objectives la conviction marketing selon laquelle le capital de marque (brand equity) est un déterminant des préférences explicites. Il représente à juste titre pour les gestionnaires, un actif réel de l’entreprise. Mémorisation des publicités Rossiter et al. (18) utilisèrent la méthode des potentiels évoqués et enregistrèrent l’activité électrique des lobes frontaux droit et gauche de sujets occupés à regarder un programme télévisuel entrecoupé de deux écrans publicitaires. Le traitement informatique permit d’identifier les stimuli visuels qui généraient une activité électrique rapide ou lente. Ils remarquèrent une corrélation significative entre les maxima d’activité électrique dans le lobe frontal de l’hémisphère gauche suscités par les 12 publicités et le score de reconnaissance de ces mêmes publicités, mesuré une semaine après la phase d’exposition. Sur le plan managérial, les chercheurs soulignèrent le caractère pleinement opérationnel de cette méthode qui, selon eux, permettait de prédire les passages publicitaires qui seraient les mieux mémorisés. Deux remarques peuvent être avancées : (1) on ne dispose d’aucune information sur le nombre d’essais réalisés avant d’obtenir les résultats (cette méthode nécessite de répéter l’enregistrement des dizaines de fois); (2) les méthodes EEG sont réputées pour leur très mauvaise précision topographique. La conclusion des auteurs selon laquelle ils auraient mis en évidence le lieu précis de transfert de l’information détenue dans la mémoire de travail vers la mémoire à long terme, est encore peut-être prématurée. Personnalité de la marque Plusieurs chercheurs en marketing proposent que l’étude de la marque s’enrichirait de descriptions relevant de la psychologie humaine, en particulier des traits de personnalité humains. Il serait ainsi possible de s’appuyer sur les études de la personnalité humaine pour développer un nouveau construit : « la personnalité de la marque ». Aaker (1) développa la première une échelle de la personnalité de la marque validée dans un contexte marketing, les précédentes étant des transpositions directes des échelles de personnalité humaine. Elle identifia cinq dimensions constitutives du concept de personnalité de la marque : la sincérité (sincerity), le dynamisme (excitement), la compétence (competence), la sophistication (d°) et la rudesse (ruggedness). Comme un être humain, la marque pourrait être ainsi évaluée sur des items comme « saine » (sincérité), « audacieuse » (dynamisme), « intelligente » (compétence), « charmante » (sophistication), ou « solide » (rudesse). De récentes recherches, à la fois en neuropsychologie et en neuro-imagerie semblent démontrer par ailleurs que les traitements perceptuels et catégoriels relatifs à une personne ou à un objet concernent des zones cérébrales proches mais différentes. Les chercheurs observent que la perception d’un être humain (d’un visage en particulier) entraîne une activation préférentielle du cortex préfrontal médian et du gyrus fusiforme dans le lobe temporal ventral, alors que la perception d’un objet (naturel ou manufacturé) entraîne une activation préférentielle du cortex préfrontal inférieur gauche et du lobe temporal médian. 13 Yoon et al. (21), voulant comparer les personnalités d’êtres humains et de marques, ont demandé à des sujets de générer une succession de jugements à l’aide d’adjectifs, concernant (a) eux-mêmes, (b) des personnes connues, (c) des marques dénotatives (Mr Propre) et (d) des marques des marques non dénotatives (Danone). Confirmant les résultats indiqués supra, ils observèrent que les jugements concernant des marques et des personnes sont traités dans des zones cérébrales différenciées, les marques se rapprochant plus des représentations mentales d’objets que de celles d’êtres vivants. Par conséquent, le construit de personnalité de marque apparaît au mieux comme une analogie ou une métaphore, utile toutefois au raisonnement marketing (4) mais qui n’explique pas tout le capital de marque (3). Encadré 2 : Une typologie inconcevable sans l’imagerie cérébrale Une étude menée en 2005 par le laboratoire du « CalTech » (Institut Technologique de Californie), a consisté à présenter à 22 sujets, 10 catégories de produits signifiants (automobiles, montres, parfums etc.). Pour chaque catégorie, 5 marques à forte image étaient présentées de même que 5 marques dotées d’une image médiocre. Après imagerie en IRMf, toutes les marques étaient évaluées sur une échelle de 1 à 5, indiquant si la marque était « cool » ou non. Les résultats verbaux ne permettaient aucune différentiation entre les sujets. L’imagerie a cependant révélé 2 groupes bien distincts de sujets. Le premier groupe, qualifié « d’optimiste », réagissait significativement à la présentation de marques à forte image et très peu aux autres marques. Etaient activées l’aire frontopolaire du cortex préfrontal (traitement de l’information en rapport avec le « soi ») et l’aire prémotrice (planification de mouvements coordonnés). Ces réponses indiquent une tendance générale d’approche, avec une mobilisation de schèmes moteurs. Autrement dit, les « optimistes » s’intéressent davantage aux stimuli positifs, susceptibles de renforcer le statut social du soi et manifestent une forte identification avec les marques jugées « cools » et aucune avec les produits « nuls ». Par contre, chez le groupe qualifié de « pessimiste », les chercheurs observent une activation en miroir par rapport à l’autre groupe : peu d’activité constatée face aux marques « cools » mais de fortes réactions négatives envers les marques jugées « nulles ». Etaient activées l’aire orbitofrontale droite (dénotant une valence hédonique négative) et l’aire prémotrice. Ces réponses indiquent une tendance générale d’évitement. Les « pessimistes » sont davantage sensibles aux stimuli négatifs, susceptibles de dévaluer leur statut social du « soi » et ils manifestent une forte répulsion envers les marques jugées « nulles » mais peu de réaction envers les autres. Cette étude montre que l’imagerie peut déceler des typologies non détectables classiquement. Des consommateurs apparemment homogènes peuvent abriter des motivations opposées. Les sujets étudiés réagissent soit aux marques qui les valorisent, soit à celles qui pourraient les déclasser (16). 14 Les voies de recherche en marketing La revue de la littérature semble nous démontrer l’utilité et probablement l’influence grandissante du neuromarketing dans le cadre de la recherche en comportement du consommateur. Les économistes, peut être plus récemment sensibles aux méthodes expérimentales, se sont pleinement emparés des méthodes de neuro-imagerie et travaillent sur des problématiques complexes comme, par exemple, la prise de décision, y compris dans des contextes incertains (dilemme du prisonnier ; jeu de l’ultimatum). En marketing, il semble très probable qu’à l’avenir, l’utilisation des techniques d’imagerie sera requise pour des sujets de recherche aussi importants que l’étude des processus de perception, de mémorisation ou d’attention. Nous pensons que les revues académiques de référence dans le domaine du marketing, qui privilégient les méthodes expérimentales (e.g. Journal of Marketing Research, Journal of Consumer Research), donneront une place croissante à des travaux faisant appel aux potentiels évoqués cérébraux pour leur précision temporelle et à l’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique pour sa précision topographique. Parmi les nombreuses voies de recherche envisageables dans notre discipline, quatre thèmes de recherche – parmi bien d’autres – pourraient être utilement revisités, par les techniques d’imagerie et d’enregistrement du fonctionnement cérébral. Le rôle des stimuli environnementaux sur les prédispositions à l’achat Depuis quelques années, les chercheurs et praticiens en marketing de la distribution (physique ou virtuelle) se sont convaincus de l’intérêt qu’il y avait d’élaborer et de façonner une ambiance sensorielle propre au point de vente, afin de rendre l’acte d’achat plus agréable – en le transformant en expérience hédoniste – grâce à une amélioration de l’humeur du chaland, une captation de son attention et une optimisation des déclencheurs d’achat environnementaux (19). Désormais, la quasi-totalité des cinq sens communs sont intégrés dans une offre de détail globale : couleurs et intensité lumineuse, musique et bruits d’ambiance, senteurs et flaveurs, textures et matériaux sont choisis pour leur adéquation à l’offre et à son positionnement. Or, à notre connaissance, la présentation d’ambiances d’un point de vente de manière holistique n’a pas fait l’objet de mesures cérébrales objectives, ne serait-ce que par la mesure de 15 potentiels évoqués. Dans ce cadre, le recours à des techniques de potentiels évoqués semblerait judicieux, puisqu’elles ont le mérite d’autoriser des comportements normaux dans des sites « naturels », tout en consignant les activations / désactivations corticales associées à une valence hédonique et à des propensions à l’approche ou d’évitement. L’étude plus poussée des impacts sensoriels spécifiques impliquerait cependant l’usage de techniques plus lourdes d’imagerie fonctionnelle. Le rôle de l’esthétique dans le choix d’un design ou d’un packaging A l’heure des pays émergents producteurs de masse, des transferts de technologie et des délocalisations « off shore », les produits industriels grand public se démarquent plus par leur design et leur ergonomie que par leurs caractéristiques purement techniques (pour un même segment de marché, s’entend). Le choix judicieux de matériaux, de formes, de courbes et de couleurs idoines conditionne alors le succès ou l’échec de nouveaux produits ou de nouvelles gammes. Il devient alors important de prétester des prototypes auprès du cœur de cible, en s’efforçant de contourner les biais inhérents à la verbalisation, à la rationalisation, à la conformité sociale et au diktat de la mode, tout en tenant compte des différences individuelles. Des études neuropsychologiques récentes ont utilisé les ressources de l’imagerie cérébrale pour appréhender biologiquement les composantes phénoménologiques du jugement esthétique à l’égard d’œuvres picturales (12). Des chercheurs ont esquissé les grandes lignes des « lois » gouvernant l’expérience esthétique et certains ont même proposé le terme de « psycho-esthétique », devenant une discipline définie comme « l’étude des processus selon lesquels l’esprit perçoit la beauté et développe des goûts correspondant à cette perception » (2). Pour leur part, Erk et al. ont mesuré à l’aide de l’IRMf les réponses à des styles et des carrosseries automobiles pour un grand constructeur germano-américain (9). Il semble probable que les grands choix esthétiques en matière de design pour des produits industriels fabriqués en masse (automobiles, portables…) seront validés à terme par des études de neuromarketing, indiquant les préférences spontanées les plus manifestes. Le rôle des émotions dans les mécanismes de préférence et de choix 16 Plusieurs chercheurs ont souligné l’importance de la prise en compte des émotions en marketing et plaident pour une plus large prise en compte de l’émotion dans l’étude du comportement du consommateur. Les publicitaires ont compris depuis de nombreuses années l’importance du rôle des émotions pour accroître l’influence des publicités. Une très large majorité des publicités sont conçues pour provoquer chez le sujet exposé une réaction affective et parfois même une succession de réactions affectives (par exemple, la crainte puis l’amusement). En dépit des nombreuses mesures des réactions affectives proposées, verbales ou comportementales, explicites ou implicites, les chercheurs en sciences sociales déplorent souvent la difficulté de mesure des émotions (14). Or de récents travaux d’imagerie cérébrale ont permis d’identifier le rôle essentiel du système limbique (en particulier des amygdales cérébrales et du cortex orbitofrontal) dans la gestion des émotions et l’implication plus marquée de l’hémisphère droit dans la gestion des émotions négatives. D’un point de vue méthodologique, il sera certainement utile aux chercheurs marketing d’étalonner les différentes échelles verbales à l’aune des mesures objectives citées plus haut, ou bien de recourir directement à terme aux méthodes d’imagerie cérébrale pour approcher la réalité des affects ressentis, qui constitueraient bien alors le «Graal » qui fait aujourd’hui défaut en recherche marketing (7). La mémorisation des messages publicitaires et les modifications de croyances Il ne fait aucun doute que les importants budgets de communication visent au moins en partie à améliorer la mémorisation par le consommateur des marques présentées dans les publicités. Un débat existe cependant qui concerne le lien entre la mémorisation des marques et l’intention d’achat. Remarquons toutefois que toute question posée à un consommateur – souvent notoriété mais aussi opinion, motivation, intention – fait par définition appel à sa mémoire. Un thème de recherche relève donc de la mesure de la mémoire. Deux classes de méthodes sont proposées. De nombreux auteurs soulignent que les méthodes de recueil explicite (rappel et reconnaissance) ne restituent pas l’ensemble des éléments mémorisés. Quant aux méthodes de recueil implicite, elles ne reposent pas sur une tâche de remémoration du sujet mais sur la mise en évidence d’un effet de facilitation. Cet effet est le plus souvent mesuré à l’aide d’une épreuve 17 chronométrique. Ces méthodes sont intéressantes sur le plan théorique mais il n’est pas certain que le gain de quelques millisecondes dans la réalisation d’une tâche de catégorisation sémantique ou dans une tâche d’identification perceptive, témoigne d’une réelle efficacité publicitaire. En revanche, il est probable que la neuro-imagerie permettra de prédire à terme le niveau de mémorisation d’une publicité. Deux approches peuvent être envisagées dans ce cadre. La première serait spatiale : sous peu, les méthodes d’imagerie permettront de quantifier le nombre et la localisation des neurones activés. Il sera peut être alors possible de relier l’étendue de l’activation (nombre de neurones et/ou nombre de réseaux activés) à la mémorisation d’une publicité. La seconde approche serait temporelle : il est déjà possible (imagerie par diffusion) d’identifier les séquences chronologiques d’activation de zones cérébrales précises, activation nécessaire à une mémorisation à long terme. On peut imaginer l’intérêt de l’observation de l’activité de ces zones lors de la présentation de la marque dans la publicité. Ces perspectives, toutes prometteuses qu’elles apparaissent, ne seront pleinement concrétisées dans la pratique marketing, que lorsque certaines limites seront surmontées. Les limites du neuromarketing Limites légales et éthiques La loi Huriet-Sérusclat du 20 décembre 1988, abondée par la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, impose certaines procédures, dès lors qu’un sujet volontaire est soumis à des instrumentations biomédicales. Par exemple, les promoteurs d’une expérimentation financée par un établissement public doivent s’assurer au préalable (1) de l’aval d’un comité d’éthique (un comité de protection des personnes [CPP]3 délivre une autorisation explicite d’expérimentation), (2) que le consentement de chaque sujet est libre et éclairé et (3) qu’un médecin supervise les procédures. En matière d’éthique stricto sensu, le nombre restreint de machines d’imagerie en France, entraînant leur affectation prioritaire aux patients nécessitant un diagnostic et une 3 Depuis le 28 août 2006, les Comités de protection des personnes (CPP) remplacent les Comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale (CCPPRB). Le décret 2006-477 du 26 avril 2006 précise les modalités d’application de la loi et décrit les modalités de fonctionnement du 18 thérapeutique, dissuaderait un usage à visée académique ou marchande. L’étude de phénomènes cérébraux liés à des actes d’achat ou de consommation peut paraître déplacée, mais pourtant des neuroscientifiques considèrent que toute avancée quant à l’appréhension des substrats neuronaux de processus cognitifs mérite le titre de ‘scientifique’. Par ailleurs, l’application des techniques de neuro-imagerie à des thèmes d’étude jugés délicats peut indirectement porter préjudice à la recherche marketing qui emploierait les mêmes moyens d’investigation (exemple du marketing politique aux USA). Faut-il craindre les « manipulations cérébrales » comme le laissent entendre certains journalistes ? Le fait d’observer (au niveau macroscopique) n’a jamais influé ou modifié le sujet de l’observation. Affirmer que la découverte de certaines activations cérébrales sous l’effet de stimuli commerciaux est le premier pas vers une manipulation mentale, relève de l’affabulation ou de l’ignorance. L’imagerie cérébrale ne peut rien contraindre ou susciter chez le sujet et encore moins déceler un « bouton-poussoir achat » (« buy button ») sur lequel appuyer. Au total, une éthique neuromarketing consisterait à s’interroger sur (a) la légitimité de l’usage non médical de la technique, (b) la nature des risques expérimentaux (consentement éclairé), (c) la position à tenir en cas de découverte incidente d’anomalie cérébrale (tumeur, malformation etc.) et (d) la nature juridique des clichés obtenus (propriété et droit d’usage). Limites méthodologiques Un protocole expérimental en neurosciences est plus délicat qu’en recherche traditionnelle en comportement du consommateur. Les stimuli doivent tenir compte des contraintes techniques et physiques de la mesure employée. L’élaboration et la programmation des stimuli eux-mêmes peuvent être longues et délicates. Il est important d’avoir pour les traitements statistiques ultérieurs, plusieurs centaines de réponses de la part d’une dizaine de sujets étudiés (enregistrées au cours de sessions d’une vingtaine de minutes). Les choix techniques assumés par les expérimentateurs (dépendant de la puissance du scanner) dictent également la nature du cliché d’imagerie et le niveau de résolution de l’image. Du point de vue du sujet testé, l’expérimentation, CPP, composé de 14 membres qui votent l’autorisation de mener l’expérimentation proposée par un laboratoire. 19 bien que non invasive, n’est pas toujours très agréable ou confortable (position allongée et exiguë, immobilité absolue, niveau sonore élevé, contexte hospitalier…). Limites financières L’utilisation des instruments hospitaliers d’imagerie pour des applications non médicales constitue un facteur positif de rentabilité du matériel existant, souvent sousutilisé pour des raisons de coûts d’exploitation. En outre, l’acquisition de scanners dédiés à la recherche ou au conseil d’entreprise, tant par des universités que par des cabinets d’étude, implique une exigence accrue de rentabilité qui passe par des durées étendues d’utilisation et des locations à des entreprises tierces, à des prix attractifs. Ces facteurs concourent de manière générale à une baisse continue des coûts moyens et conduiront à moyen terme à une « démocratisation » des techniques, devenant accessibles aux PME/PMI. Dans l’intervalle, des solutions de financement existent d’ores et déjà, qui mutualisent les coûts sous forme d’études en souscription et de partenariats sectoriels. Il est malaisé de chiffrer précisément les coûts effectifs d’une expérimentation de neuromarketing. Sur la base de 10 à 12 personnes étudiées chacune durant une heure, on peut estimer un coût direct de l’ordre de 25 à 30.000 € (Cf. Tableau 2), qui tient également compte des frais accessoires d’étude. Tout en étant d’un coût équivalent à une dizaine de réunions de groupe traditionnelles, un groupe de sujets étudiés en IRM fonctionnelle révèlera sans doute davantage d’informations objectives et originales. Des entreprises multinationales apparaissent déjà, sinon conquises, du moins fermement décidées à ne pas écarter ces technologies sans les avoir éprouvées au préalable. Limites managériales La question principale que le manager peut légitimement se poser est : le neuromarketing sert-il à quelque chose ? Les techniques recensées ici apportent-elles réellement un saut qualitatif et explicatif suffisant ? Par exemple, l’étude de McClure et alii (15) présentée supra, aide-t-elle les fabricants de cola concernés ? Selon nous, pour répondre, deux aspects sont à considérer : le premier est d’ordre purement scientifique, le second est davantage opérationnel, en terme de marketing management. Du point de 20 vue scientifique, il est indéniable que ces techniques neuroscientifiques apportent et apporteront des nouvelles perspectives, incomparablement plus riches que celles suscitées par des approches conventionnelles. De nouvelles connaissances, des confirmations ou des infirmations de postulats ou de dogmes marketing solidement établis se manifesteront tôt ou tard. Des recherches marketing de ce type contribuent selon nous, à l’avancée générale des neurosciences cognitives, au même titre que la neuroéconomie qui étudie des processus de décision sous contrainte, dans un contexte d’information limitée. Elles permettent dès à présent de changer notre image du psychisme du consommateur. Du point de vue managérial (i.e. opérationnel), l’apport des neurosciences se situe soit en amont de la réflexion marketing et de l’élaboration de l’offre dans ses composantes techniques et sémantiques (design, ergonomie, champ sémantique etc.), soit en aval de la stratégie (techniques nouvelles permettant de prétester et de valider des axes opérationnels en matière de communication, de promotion des ventes ou de marchandisage). Elles peuvent apporter des réponses nettes et claires à des interrogations qui n’obtiennent parfois que des réponses partielles, évasives ou contradictoires, tant en approches qualitatives que quantitatives. Ainsi, des visuels publicitaires ou des bandes-annonces réellement préférés seront-ils rejetés ou dénigrés verbalement pour se conformer à une opinion commune ou à une pression sociale. Par contre, ils apparaîtront en imagerie comme les seules options efficaces possibles dans le cadre d’un projet de campagne internationale. Une grande entreprise de la photo numérique reconnaît ainsi avoir réussi sa campagne internationale grâce au choix du visuel publicitaire optimal, largement déterminé par les techniques d’imagerie. Par conséquent, le recours éventuel au neuromarketing dans l’entreprise aujourd’hui nécessite de détenir préalablement des (bonnes) questions, précises et circonscrites à une problématique cadrée, formulée dans un paradigme neuroscientifique (Cf. glossaire). Mais l’obtention de clés de compréhension des mécanismes cognitifs s’inscrivant dans un contexte de consommation peut aussi s’avérer inestimable. Conclusion Le neuromarketing est un concept nouveau en marketing, qui n’a pas encore fait l’objet de développements particuliers dans les revues académiques concernées. Cet article avait par conséquent un caractère volontairement exploratoire. Toutefois, nous estimons 21 avoir avancé une définition du neuromarketing (ou neuropsychologie du consommateur), objectivé le cadre conceptuel de discussion, à savoir : s’agit-il d’un simple outil méthodologique conjoncturel ou bien d’un changement paradigmatique majeur (nous penchons pour la seconde proposition) et enfin, proposé des voies possibles de recherche pour le marketing, en tenant compte néanmoins des limites notables, susceptibles de freiner ou d’entraver l’essor d’une discipline prometteuse. Si Yoon et al. (21) indiquent dans une étude récente – première du genre dans Journal of Consumer Research –, que « la neuro-imagerie est simplement un nouvel outil applicable à n’importe quel scénario expérimental destiné à élucider la nature d’une activité ou d’un processus mental sous-jacent. Clairement, l’étendue de telles voies de recherche est extraordinairement vaste », nous pensons pour notre part que la neuropsychologie du consommateur ne pourra pleinement se développer que si ses partisans et pratiquants s’approprient également les cadres théoriques (évolutionnistes, biologiques et physiologiques) des neurosciences. Les auteurs poursuivaient : « l’avènement de l’IRM fonctionnelle est susceptible de transcender la distinction traditionnelle [entre le déclaratif ou l’observé du chercheur marketing et ‘ce qui se passe réellement dans la tête’] et en tant que telle, préfigure un grand potentiel à la fois pour les théoriciens, les expérimentateurs et les praticiens ». Nous ne pouvons que faire nôtre cette affirmation, à condition toutefois que les chercheurs et praticiens concernés corrigent les interprétations erronées des média qui risquent d’ostraciser cette nouvelle approche des consommateurs, jusqu’au stade où toute tentative serait déjugée. En termes profanes et simples, l’interrogation éthique principale peut se formuler ainsi : « est-il plus néfaste ou préjudiciable d’enregistrer l’activité du cerveau à l’aide d’un tracé ou d’une image informatique plutôt qu’à l’aide de la sophrologie, de l’hypnose, des entretiens individuels en profondeur ou de groupes ou encore du classique questionnaire papier/crayon ? » Les auteurs s’accordent pour répondre négativement à cette question. Observer n’est pas influencer, comprendre n’est pas corrompre ou circonvenir. Pour mieux concevoir et proposer des offres, pour mieux satisfaire et fidéliser, nous devons faire progresser nos connaissances sur les cognitions et les affects du consommateur ; quant à lui, il conserve son libre-arbitre, ses envies et son bon sens. 22 Références (1) Aaker J. L. (1997), Dimensions of brand personality, Journal of Marketing Research, 34, 3, 347-356. (2) Aghion J.D. 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Michael Brammer Oxford Royaume Uni PHD MEDIA CANADA Fred Auchterlonie Toronto Canada FKF APPLIED RESEARCH Joshua Freedman NEUROINSIGHTS Zack Lynch NEURO INSIGHT Richard Silberstein SALESBRAIN, LLC Patrick Renvoisé SHOP CONSULT Roland Jenny COMAO Jean-Paul Catherine Weybridge Pays Royaume Uni NEUROSTRATEGIES Washington DC USA San Francisco USA Melbourne San Francisco, Paris Amstetten Sartrouville Australie USA / France Autriche France Tableau 2 : Les coûts indicatifs des différentes techniques d’imagerie (2006) : Imagerie Source TEP4 IRMf EEG/PE MEG métabolique métabolique électrique magnétique Coût investissement matériel (k euros) 1.200-2.500 1.000-2.000 80-100 1.000-1.600 Coûts maintenance annuelle (k euros) 120-180 100-130 1-2 90-110 Coûts horaires (hors RH) (euros) 320-650 € 260-400 € 40-50 € 200-300 € 4 Les coûts varient selon l’affectation comptable des investissements et des coûts de fonctionnement propres au cyclotron qui, en plus de l’imagerie, sert également à la médecine radioactive (traitements des cancers etc.). 25 Tableau 3 : Les principales caractéristiques des méthodes d’imagerie cérébrale Accessibilité Cherté Précision spatiale Précision temporelle Innocuité TEP + ++ ++ -- - IRMf -- + ++ - + EEG/PE ++ -- -- ++ ++ MEG -- ++ ++ -- + 1600 1400 1400 1119 1200 1017 1000 893 800 711 616 600 480 355 400 252 161 200 0 2 8 1992 1993 1994 63 92 1995 1996 0 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 Schéma 1 : Publications d’articles académiques comportant des études d’imagerie en IRM fonctionnelle (source : PubMed ; estimation 2006). 26