Les cheminots refusent la journée de 24 heures

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Les cheminots refusent la journée de 24 heures
L’HUMANITE DIMANCHE, 04/05/2016
Les cheminots refusent la journée de 24 heures
Par Pierre-Henri LAB
Gare de Lyon, à Paris, le 26 avril. Une grève reconductible n'est pas écartée à partir de la mi-mai à la SNCF.
Photo : AFP
Après plusieurs journées de grèves, les cheminots du public et du privé seront dans la rue le 10 mai prochain. À
l’appel des syndicats CGT, FO, SUD rail, CFDT, CFTC, CFE-CGC et UNSA, ils revendiquent un accord de branche
sur le temps de travail qui améliore les conditions de travail dans le privé sans dégrader celles de la SNCF. Et qui
assure la sécurité.
Ce jeudi 29 avril, des salariés des entreprises ferroviaires privées étaient réunis au siège de la fédération CGT
des cheminots. Conducteurs de train de fret ou agents de service commercial à bord de trains de voyageurs sont
venus s’informer sur l’état des négociations entre les organisations syndicales de la branche (CGT, CFDT, SUD
rail, FO, UNSA, CFTC et CFE-CGC), l’État et la fédération patronale de l’Union des transports publics (UTP) sur le
temps de travail.
En 2014, en prévision de la poursuite de l’ouverture à la concurrence du rail entamée en 2006 avec le fret, la
réforme ferroviaire a prévu une harmonisation des conditions de travail, qui restent aujourd’hui différentes
selon l’entreprise, le métier ou l’activité.
Travailler près de 10 heures par jour
À compter du 1er juillet prochain, un décret gouvernemental et un accord de branche doivent offrir un cadre
commun en matière de temps de travail aux 158 900 salariés concernés (INSEE 2014) que doivent compléter des
accords d’entreprise.
David et Dominique sont conducteurs de train chez ECR, la filiale de fret de la Deutsche Bahn, Jonathan chez CFL
Cargo France, la filiale de la compagnie ferroviaire luxembourgeoise, Philippe chez VFLI, filiale de droit privé de
la SNCF, Marine et Maria, agentes de service commercial à bord du Thello, filiale de Tranitalia et de Transdev.
Tous étaient en grève le 26 avril dernier et tous manifesteront le 10 mai prochain à Paris. « Nous voulons que la
négociation débouche sur l’amélioration de nos conditions de travail, pas leur dégradation », insistent ces
cheminots du privé. Exemples à l’appui, ils dénoncent des projets de décret et d’accord qui font « la part belle
aux patrons ». David cite ainsi les délais de prévenance ramenés à 1 heure pour un changement d’horaire et à
24 heures pour une modification du calendrier de travail. « Aujourd’hui, chez ECR, la direction nous donne nos
plannings le vendredi pour la semaine suivante. C’est déjà court pour organiser sa vie », précise Dominique.
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David aussi s’inquiète de la durée du temps de travail : « Les 35 heures sont annualisées. Du coup, la durée de
la journée de travail dépasse souvent les 7 heures et flirte avec la limite légale de 10 heures si bien que travailler
près de 10 heures par jour devient la règle. »
Les conducteurs dénoncent également la disposition qui doit permettre de porter exceptionnellement la durée
de la journée de travail jusqu’à 24 heures. « Le flou » autour des conditions qui permettront cet allongement
leur fait craindre aussi que les directions puissent en user à leur guise.
Le temps de repos entre 2 voyages non respecté
Marine et Maria se battent pour « un bon accord », mais aussi pour le droit d’en bénéficier. Jusqu’à présent,
leur statut de cheminote n’est pas reconnu. « Notre convention collective, c’est celle des hôtels, cafés et
restaurants. Pourtant à bord des trains, nous effectuons des tâches de contrôle ou de sécurité que seuls des
cheminots ont le droit d’effectuer », explique Marine. Les deux jeunes femmes, qui encadrent les voyageurs au
départ de Paris et à destination de Venise, ne sont pas salariées de Thello, la société exploitante du train, mais
d’une entreprise sous-traitante, LSG France. Effectif à bord du train inférieur au minimum légal, réarmement du
signal d’alarme effectué par des personnels non habilités, absence à bord du train de gilets réfléchissants pour
effectuer les transbordements souvent nocturnes… Leur récit est une énumération sans fin d’infractions au Code
du travail ou aux règles de sécurité. À bord du Thello, les journées de travail font au minimum 16 heures, soit
bien plus que le seuil légal de 10 heures. « La durée de travail, c’est le temps du trajet, et comme le train a
souvent du retard… Ce peut même être 17 ou 18 heures », raconte Maria. Le temps de repos obligatoire de 9
heures entre 2 voyages n’est jamais respecté. « À Venise, l’aller-retour entre la gare et notre hôtel réduit
systématiquement le temps de repos de 1 h 30. Et chaque heure de retard à l’arrivée à Venise l’ampute d’autant.
Il est arrivé parfois qu’on ait juste eu le temps de prendre une douche avant de repartir », poursuit Marine. La
jeune femme pointe l’état de fatigue de ces collègues, les conséquences sur leur vie privée et aussi sur la sécurité
des voyageurs. « C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu jusqu’à présent d’accident », explique-t-elle. Convaincue
comme les autres cheminots du lien entre conditions de travail et sécurité des voyageurs, Marine explique que
son syndicat a interpellé à plusieurs reprises l’inspection du travail et l’Établissement public de sécurité
ferroviaire. Une démarche qui est restée jusqu’à présent sans réponse.
Allonger la durée de conduite de 5 à 7 heures
Améliorer les conditions de travail des cheminots du privé et empêcher la dégradation de ceux de la SNCF, tel
est l’objectif que poursuit la CGT cheminots. La réduction des délais de prévenance ou la possibilité de porter à
24 heures la durée de la journée de travail concernent aussi les agents de l’entreprise publique, explique Thierry
Durand, membre du secrétariat fédéral. Le syndicaliste pointe également la tentative d’allonger la durée du
temps de conduite de 5 à 7 heures ou celle encore de porter la fin de service au-delà de 19 heures la veille d’un
repos hebdomadaire et d’avancer la prise de service avant 6 heures du matin. « Réduire le temps de repos
hebdomadaire se fera au détriment de la vie privée ou du repos du cheminot. Un agent de conduite qui
débuterait par exemple un lundi à 3 heures du matin serait censé se coucher vers 17 heures le dimanche d’avant.
Est-ce réaliste ? » interroge-t-il, en s’inquiétant des conséquences sur la sécurité.
Cheminots de la SNCF et du privé ont donc rendez-vous dans la rue le 10 mai prochain à l’occasion de la
manifestation nationale unitaire à l’appel de la CGT, FO, CFDT, SUD rail, CFTC, UNSA et CFE-CGC. Une grève
reconductible n’est pas écartée à partir de la mi-mai à la SNCF. Principal employeur du secteur avec
150 000 cheminots sur les 158 900 de la branche, l’entreprise publique réalise aussi 98 % du chiffre d’affaires.
Autant dire que sa position est déterminante dans l’attitude de l’UTP, contrairement aux affirmations de sa
direction, qui prétend qu’elle ne compte que pour un au sein de la fédération patronale. Et Thierry Durand de
préciser : « Le groupe ferroviaire publique, c’est 95 % de l’UTP. Qui peut croire qu’une décision puisse être prise
sans son aval ? »
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