changer de métier - l`Association des Sciences-Po
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RSG n° 166 - 58/78 - Carrie?res:Mise en page 1 17/04/12 10:47 Page 61 CONFÉRENCE Reconversion Carrières CHANGER DE MÉTIER : UN DÉFI POUR LES CADRES Le groupe Ressources humaines et le pôle Carrières de l’Association des Sciences-Po ont organisé le 15 mars 2012 à Paris une conférence sur un thème emblématique de la gestion des ressources humaines : « Changer de métier : mythe ou réalité ? Un défi pour les cadres comme pour les DRH. » Par Sophie Marchand-Prado (PES 83) Francis Binoche, Olivier Paradis, Jean-Luc Valenta et Antoine Pams. gement, tous responsables très expérimentés, issus de la fonction ressources humaines, sont venus apporter leur témoignage lors de cette conférence animée par Antoine Pams (SP 81), DRH de Solvay France. Même si des virages plus “calmes” peuvent être envisagés dans une carrière, les organisateurs ont choisi d’illustrer ce thème par deux témoignages de réorientation professionnelle radicale. L’assistance très nombreuse a témoigné de l’intérêt de ce sujet que Francis Binoche, fort de plus de 15 ans d’accompagnement de cadres, a décrypté en prodiguant une série de conseils pour chacune des phases : la phase de bilan, la phase de campagne et, enfin, la phase d’ajustement. ‘ Je me suis fixé une direction. Je n’hésiterai pas, je n’abandonnerai pas et l’on m’entendra. Winston Churchill ‘ C’ est bien connu : les entreprises et les recruteurs privilégient souvent les parcours professionnels rectilignes, consacrés à une seule fonction ou à un seul métier. Et pourtant, de nombreux cadres ont envie – ou se trouvent dans l’obligation –, passé 30, 40, voire 50 ans, de changer de voie ou de vie professionnelle. À l’heure où tout le monde parle de la nécessité d’une plus grande flexibilité du travail, on oblige aussi les cadres à faire preuve d’une très forte adaptabilité. Changer de métier, le fruit d’une envie ou d’une nécessité. Francis Binoche (SP 71), directeur de Right Management Dirigeants, Olivier Paradis (SP 83), directeur des ressources humaines de Aigle Azur, et Jean-Luc Valenta (SI 94), consultant dirigeant de Right Mana- La phase de bilan Essentielle, la phase de bilan permet d’identifier des scénarios possibles et réalistes en se posant trois questions : quelles sont mes motivations profondes ? Quelles compétences spécifiques puis-je offrir ? Quels sont les besoins exprimés par le marché ? Pour une parfaite efficacité, le réalisme des évolutions professionnelles envisagées par le candidat doit être challengé ; idéalement par un accompagnement personnalisé. Surtout, ne jamais s’embarquer dans une telle aventure en solitaire, les rêves l’emportent toujours sur la raison. Avant toute chose, l’évolution sera crédible et aura du sens si les motivations, les compétences et les besoins du marché sont en cohérence. En termes de motivations, soit le candidat est déterminé à changer d’orientation professionnelle – « c’est mon initiative et mon choix ! » –, soit il ne peut pas faire autrement – « mon métier a disparu en interne, ma société est en forte restructuration, un PSE est en cours ». Dans les deux cas, la source d’énergie doit être positive, et sera l’une des conditions majeures d’un repositionnement réussi. Il est aussi primordial de réfléchir de RUE SAINT-GUILLAUME N° 166 > AVRIL 2012 61 RSG n° 166 - 58/78 - Carrie?res:Mise en page 1 Carrières 10:47 Page 62 CONFÉRENCE Reconversion manière très approfondie à la spécificité des compétences que l’on peut proposer au marché – « quel mouton à cinq pattes suisje ? ». Francis Binoche insiste beaucoup sur l’importance de ne pas se présenter comme un cadre généraliste dans ce genre de démarche. La spécificité ou la spécialisation – voire l’hyper spécialisation – que le candidat à l’évolution mettra en avant sera son principal atout vis-à-vis du marché. ‘ Vous signerez avec une entreprise dont vous ignorez aujourd’hui l’existence, pour une fonction qui restera à définir, par le plus grand des hasards que vous aurez su provoquer. Francis Binoche ‘ 62 17/04/12 Enfin, une réflexion sur les marchés cibles ou les marchés de prédilection est tout à fait nécessaire : les premiers marchés potentiels sont les marchés des « confrères-concurrents » ; ensuite, les marchés des clients et fournisseurs du secteur d’activité d’origine ; et, de façon plus ultime, les marchés dont les “business models” sont proches ou identiques : banque de détail versus distribution retail / services tertiaires versus services à l’industrie… La phase de campagne La phase de campagne doit être élaborée en exploitant à la fois son réseau primaire et son réseau secondaire, sans se censurer. Exploiter le plus activement possible ses propres réseaux personnels et professionnels est le B-A-BA de tout candidat à une évolution, surtout si celle-ci apparaît risquée aux yeux des décideurs ! Attaquer son réseau de liens forts sera plus facile, et les contacts seront bienveillants, mais le risque est que le candidat soit enfermé dans son image d’origine et ne puisse être projeté « hors de ses sentiers déjà battus ». Exploiter très finement son RUE SAINT-GUILLAUME N° 166 > AVRIL 2012 réseau de liens faibles peut être plus ardu au départ, mais se révélera plus porteur d’ouverture et d’originalité dans la durée. La phase d’ajustement C’est la preuve in vivo de la capacité d’adaptation du candidat et de son dynamisme. La réussite d’un projet de ce type sur le long terme passe avant tout par les ressorts personnels d’ajustement et d’adaptation. Ce qu’il faut, c’est savoir adapter son propre projet professionnel à la réalité du ou des Francis Binoche Après avoir occupé des postes de directeur de département au sein de banques françaises et internationales, Francis Binoche est devenu en 1998 consultant senior en management des carrières de dirigeants chez Right Management. Il a rejoint le service Right Executives à Paris en 2002. Ses missions majeures concernent le conseil en carrière et outplacement pour des cadres clés d’entreprises, l’aide à la mobilité interne et nationale, le management du changement, le mentoring pour des projets d’acquisition, l’accompagnement de dirigeants. Domaines d’expertise : secteurs de la Finance et des TIC plus particulièrement. marchés ; même si le projet professionnel est bien défini, on doit accepter de le modifier et de l’enrichir selon l’évolution du marché et des problématiques business. Il faut aussi s’ajuster à titre personnel et prouver sa capacité d’adaptation et sa valeur ajoutée sur un métier ou un secteur potentiellement nouveau. Il faut savoir se convaincre soi-même du bien-fondé de sa démarche, notamment si les projets ou les offres tardent à venir ! Paradoxalement, le cadre peut se révéler être son meilleur ennemi ! Le « prix à payer à court terme » devient généralement « un gain à moyen et long terme » : il n’est pas rare que, dans un projet de ce type, l’on doive faire un effort en matière de rémunération. Le facteur temps est également précieux : la patience est une vertu pour celui qui souhaite changer radicalement d’orientation professionnelle. Enfin, son capital d’énergie vitale doit également être maintenu dans le temps, pour éviter un épuisement contre-productif. Dernière recommandation de Francis Binoche, pendant la période d’intégration, « montrez-vous vigilant et sachez dépasser le complexe d’imposture ». En conclusion, réussir à changer de métier, c’est souvent démontrer que l’on va faire le même métier mais autrement. Ce sont des compétences qui seront exploitées sur une base d’expérience et d’expertise capitalisées tout au long de sa carrière. RSG n° 166 - 58/78 - Carrie?res:Mise en page 1 17/04/12 10:47 Page 63 CONFÉRENCE Reconversion Carrières >> Deux témoignages de réorientation radicale Pour illustrer le sujet du changement de métier, Olivier Paradis et Jean-Luc Valenta ont témoigné durant la conférence de leur propre évolution professionnelle, toutes les deux très radicales. Olivier Paradis de France Télécom à Aigle Azur Jean-Luc Valenta d’Altran Paris à consultant RH au Québec Quelle a été votre réflexion de départ ? Après une formation mixte Sciences Po et ENSPTT et vingt années passées chez France Télécom, dans différents postes de gestion de projet, d’animation commerciale et de responsable SIRH, j’ai eu envie d’évoluer dans un univers nouveau. Ma motivation était forte, j’envisageais une mobilité innovante ! Quelle méthode avez-vous employée pour arriver à votre objectif ? Ce repositionnement a été long, car j’ai quitté France Télécom début 2009, et j’ai intégré le poste de DRH de Aigle Azur en février 2011. Ma démarche a été de développer prioritairement trois axes d’action : « Lisibilité, crédibilité et visibilité. » J’ai exploité et développé mes réseaux (ce que je n’avais jamais fait chez France Télécom !), j’ai créé un blog pour parler des problématiques de SIRH , j’ai, notamment, écrit un article sur la « dématérialisation de la fiche de paie ». C’est finalement via mes entretiens réseaux, par l’intermédiaire d’un manager de transition qui avait tenu la fonction en intérim, que l’on m’a proposé le poste de DRH d’Aigle Azur, alors que je n’avais jamais été DRH ! Quels sont les principaux obstacles que vous avez rencontrés dans votre démarche d’évolution ? Le regard des autres est toujours assez critique et méfiant : j’étais trop « fonctionnaire » pour le privé, trop « mono-employeur » pour le marché externe, trop « cher » pour débuter un nouveau métier, trop « commercial » pour retourner dans la fonction publique… La réalité est que, à titre personnel, j’étais extrêmement motivé pour aboutir dans mon projet et je souhaitais mettre en valeur des compétences transversales acquises chez France Télécom et dans mes activités plus personnelles, en particulier comme trésorier des Glénans : animation d’équipe, projet de transformation RH, développement des organisations, négociation sociale. Pensez-vous qu’il y a un coût à payer dans un projet d’évolution de rupture ? Quelle a été votre réflexion de départ ? Après onze années passées chez Altran, dans différents postes de gestion de projet et d’animation de forces de vente et de fonction de direction générale adjointe, j’ai ardemment souhaité faire une expérience longue à l’étranger. Je voulais réellement découvrir une autre culture ! J’ai compliqué la donne car je souhaitais changer à la fois de secteur, de métier et de pays ! C’est ainsi que je suis parti au Canada. Quelle méthode avez-vous employée pour arriver à votre objectif ? C’est essentiellement ma réflexion sur mes compétences transversales et sur leur mise en valeur qui m’a guidé : capacités managériales, recrutement de force de vente cadre, compétences en mobilisation du personnel. Quels sont les principaux obstacles que vous avez rencontrés dans votre démarche d’évolution ? Le plus dur pour moi a été d’exploiter avec efficacité mes réseaux personnels et professionnels, et de les convaincre de mon projet ! J’ai fait un travail exhaustif pour animer mes différents réseaux ; il n’était pas rare que j’aie dix entretiens par semaine ! Il a fallu aussi que je décode les pratiques culturelles et professionnelles au Québec, qui ne sont pas les mêmes qu’en France. Pensez-vous qu’il y a un coût à payer dans un projet d’évolution de rupture ? J’ai dû accepter de baisser ma rémunération globale de plus de 40 %, mais j’ai rebondi comme je le souhaitais dans un cabinet de consulting, qui aidait principalement les entreprises à communiquer sur leur marque employeur – « Employer Branding ». Au terme de cette expérience que je considérais comme réussie, je suis revenu en France et occupe aujourd’hui un poste chez Right Management, en parfaite continuité avec le virage que j’ai pris au Canada. J’ai dû accepter de baisser ma rémunération globale de plus de 30 %, ce qui peut paraitre considérable, mais c’était pour moi le prix à payer. En revanche, je suis très confiant pour l’avenir, car cette nouvelle compétence m’ouvrira nécessairement de nouvelles perspectives ! RUE SAINT-GUILLAUME N° 166 > AVRIL 2012 63