changer de métier - l`Association des Sciences-Po

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CONFÉRENCE
Reconversion
Carrières
CHANGER DE MÉTIER :
UN DÉFI POUR LES CADRES
Le groupe Ressources humaines et le pôle Carrières de l’Association des Sciences-Po ont organisé
le 15 mars 2012 à Paris une conférence sur un thème emblématique de la gestion des ressources humaines :
« Changer de métier : mythe ou réalité ? Un défi pour les cadres comme pour les DRH. »
Par Sophie Marchand-Prado (PES 83)
Francis Binoche, Olivier Paradis,
Jean-Luc Valenta et Antoine Pams.
gement, tous responsables très expérimentés, issus de la fonction ressources
humaines, sont venus apporter leur témoignage lors de cette conférence animée par
Antoine Pams (SP 81), DRH de Solvay France.
Même si des virages plus “calmes” peuvent
être envisagés dans une carrière, les organisateurs ont choisi d’illustrer ce thème par
deux témoignages de réorientation professionnelle radicale. L’assistance très nombreuse a témoigné de l’intérêt de ce sujet
que Francis Binoche, fort de plus de 15 ans
d’accompagnement de cadres, a décrypté
en prodiguant une série de conseils pour
chacune des phases : la phase de bilan, la
phase de campagne et, enfin, la phase
d’ajustement.
‘
Je me suis fixé une
direction. Je n’hésiterai pas,
je n’abandonnerai pas
et l’on m’entendra.
Winston Churchill
‘
C’
est bien connu : les entreprises et
les recruteurs privilégient souvent
les parcours professionnels rectilignes,
consacrés à une seule fonction ou à un seul
métier. Et pourtant, de nombreux cadres ont
envie – ou se trouvent dans l’obligation –,
passé 30, 40, voire 50 ans, de changer de
voie ou de vie professionnelle. À l’heure où
tout le monde parle de la nécessité d’une
plus grande flexibilité du travail, on oblige
aussi les cadres à faire preuve d’une très
forte adaptabilité. Changer de métier, le
fruit d’une envie ou d’une nécessité.
Francis Binoche (SP 71), directeur de
Right Management Dirigeants, Olivier Paradis (SP 83), directeur des ressources
humaines de Aigle Azur, et Jean-Luc Valenta
(SI 94), consultant dirigeant de Right Mana-
La phase de bilan
Essentielle, la phase de bilan permet
d’identifier des scénarios possibles et réalistes en se posant trois questions : quelles
sont mes motivations profondes ? Quelles
compétences spécifiques puis-je offrir ?
Quels sont les besoins exprimés par le marché ?
Pour une parfaite efficacité, le réalisme des
évolutions professionnelles envisagées par
le candidat doit être challengé ; idéalement
par un accompagnement personnalisé. Surtout, ne jamais s’embarquer dans une telle
aventure en solitaire, les rêves l’emportent
toujours sur la raison. Avant toute chose,
l’évolution sera crédible et aura du sens si
les motivations, les compétences et les
besoins du marché sont en cohérence.
En termes de motivations, soit le candidat
est déterminé à changer d’orientation professionnelle – « c’est mon initiative et mon
choix ! » –, soit il ne peut pas faire autrement – « mon métier a disparu en interne,
ma société est en forte restructuration, un
PSE est en cours ». Dans les deux cas, la
source d’énergie doit être positive, et sera
l’une des conditions majeures d’un repositionnement réussi.
Il est aussi primordial de réfléchir de
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manière très approfondie à la spécificité
des compétences que l’on peut proposer au
marché – « quel mouton à cinq pattes suisje ? ». Francis Binoche insiste beaucoup sur
l’importance de ne pas se présenter comme
un cadre généraliste dans ce genre de
démarche. La spécificité ou la spécialisation
– voire l’hyper spécialisation – que le candidat à l’évolution mettra en avant sera son
principal atout vis-à-vis du marché.
‘
Vous signerez avec
une entreprise dont vous
ignorez aujourd’hui l’existence,
pour une fonction qui restera
à définir, par le plus grand
des hasards que vous aurez
su provoquer.
Francis Binoche
‘
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Enfin, une réflexion sur les marchés cibles
ou les marchés de prédilection est tout à
fait nécessaire : les premiers marchés
potentiels sont les marchés des
« confrères-concurrents » ; ensuite, les
marchés des clients et fournisseurs du secteur d’activité d’origine ; et, de façon plus
ultime, les marchés dont les “business
models” sont proches ou identiques :
banque de détail versus distribution retail /
services tertiaires versus services à l’industrie…
La phase de campagne
La phase de campagne doit être élaborée
en exploitant à la fois son réseau primaire
et son réseau secondaire, sans se censurer.
Exploiter le plus activement possible ses
propres réseaux personnels et professionnels est le B-A-BA de tout candidat à une
évolution, surtout si celle-ci apparaît risquée aux yeux des décideurs !
Attaquer son réseau de liens forts sera plus
facile, et les contacts seront bienveillants,
mais le risque est que le candidat soit
enfermé dans son image d’origine et ne
puisse être projeté « hors de ses sentiers
déjà battus ». Exploiter très finement son
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réseau de liens faibles peut être plus ardu
au départ, mais se révélera plus porteur
d’ouverture et d’originalité dans la durée.
La phase d’ajustement
C’est la preuve in vivo de la capacité d’adaptation du candidat et de son dynamisme.
La réussite d’un projet de ce type sur le long
terme passe avant tout par les ressorts personnels d’ajustement et d’adaptation. Ce
qu’il faut, c’est savoir adapter son propre
projet professionnel à la réalité du ou des
Francis Binoche
Après avoir occupé
des postes de
directeur de
département au sein
de banques françaises
et internationales,
Francis Binoche est
devenu en 1998
consultant senior en
management des carrières de dirigeants chez
Right Management. Il a rejoint le service Right
Executives à Paris en 2002.
Ses missions majeures concernent le conseil
en carrière et outplacement pour des cadres
clés d’entreprises, l’aide à la mobilité interne
et nationale, le management du changement,
le mentoring pour des projets d’acquisition,
l’accompagnement de dirigeants.
Domaines d’expertise : secteurs de la Finance
et des TIC plus particulièrement.
marchés ; même si le projet professionnel
est bien défini, on doit accepter de le modifier et de l’enrichir selon l’évolution du marché et des problématiques business. Il faut
aussi s’ajuster à titre personnel et prouver
sa capacité d’adaptation et sa valeur ajoutée sur un métier ou un secteur potentiellement nouveau. Il faut savoir se convaincre soi-même du bien-fondé de sa
démarche, notamment si les projets ou les
offres tardent à venir ! Paradoxalement, le
cadre peut se révéler être son meilleur
ennemi !
Le « prix à payer à court terme » devient
généralement « un gain à moyen et long
terme » : il n’est pas rare que, dans un projet de ce type, l’on doive faire un effort en
matière de rémunération. Le facteur temps
est également précieux : la patience est une
vertu pour celui qui souhaite changer radicalement d’orientation professionnelle.
Enfin, son capital d’énergie vitale doit également être maintenu dans le temps, pour
éviter un épuisement contre-productif.
Dernière recommandation de Francis
Binoche, pendant la période d’intégration,
« montrez-vous vigilant et sachez dépasser
le complexe d’imposture ».
En conclusion, réussir à changer de métier,
c’est souvent démontrer que l’on va faire le
même métier mais autrement. Ce sont des
compétences qui seront exploitées sur une
base d’expérience et d’expertise capitalisées tout au long de sa carrière. RSG n° 166 - 58/78 - Carrie?res:Mise en page 1
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>> Deux témoignages de réorientation radicale
Pour illustrer le sujet du changement de métier, Olivier Paradis et Jean-Luc Valenta ont témoigné durant la conférence
de leur propre évolution professionnelle, toutes les deux très radicales.
Olivier Paradis
de France Télécom à Aigle Azur
Jean-Luc Valenta
d’Altran Paris à consultant RH
au Québec
Quelle a été votre réflexion de départ ?
Après une formation mixte Sciences Po et
ENSPTT et vingt années passées chez France
Télécom, dans différents postes de gestion de
projet, d’animation commerciale et de responsable SIRH, j’ai eu envie d’évoluer dans un univers nouveau. Ma
motivation était forte, j’envisageais une mobilité innovante !
Quelle méthode avez-vous employée pour arriver
à votre objectif ?
Ce repositionnement a été long, car j’ai quitté France Télécom début
2009, et j’ai intégré le poste de DRH de Aigle Azur en février 2011.
Ma démarche a été de développer prioritairement trois axes d’action : « Lisibilité, crédibilité et visibilité. » J’ai exploité et développé
mes réseaux (ce que je n’avais jamais fait chez France Télécom !),
j’ai créé un blog pour parler des problématiques de SIRH , j’ai,
notamment, écrit un article sur la « dématérialisation de la fiche de
paie ». C’est finalement via mes entretiens réseaux, par l’intermédiaire d’un manager de transition qui avait tenu la fonction en intérim, que l’on m’a proposé le poste de DRH d’Aigle Azur, alors que je
n’avais jamais été DRH !
Quels sont les principaux obstacles que vous avez
rencontrés dans votre démarche d’évolution ?
Le regard des autres est toujours assez critique et méfiant : j’étais
trop « fonctionnaire » pour le privé, trop « mono-employeur » pour
le marché externe, trop « cher » pour débuter un nouveau métier,
trop « commercial » pour retourner dans la fonction publique…
La réalité est que, à titre personnel, j’étais extrêmement motivé pour
aboutir dans mon projet et je souhaitais mettre en valeur des compétences transversales acquises chez France Télécom et dans mes
activités plus personnelles, en particulier comme trésorier des Glénans : animation d’équipe, projet de transformation RH, développement des organisations, négociation sociale.
Pensez-vous qu’il y a un coût à payer dans
un projet d’évolution de rupture ?
Quelle a été votre réflexion de départ ?
Après onze années passées chez Altran, dans
différents postes de gestion de projet et
d’animation de forces de vente et de fonction
de direction générale adjointe, j’ai ardemment souhaité faire une
expérience longue à l’étranger. Je voulais réellement découvrir une
autre culture ! J’ai compliqué la donne car je souhaitais changer à
la fois de secteur, de métier et de pays ! C’est ainsi que je suis parti
au Canada.
Quelle méthode avez-vous employée pour arriver
à votre objectif ?
C’est essentiellement ma réflexion sur mes compétences transversales et sur leur mise en valeur qui m’a guidé : capacités managériales, recrutement de force de vente cadre, compétences en
mobilisation du personnel.
Quels sont les principaux obstacles que vous avez
rencontrés dans votre démarche d’évolution ?
Le plus dur pour moi a été d’exploiter avec efficacité mes réseaux
personnels et professionnels, et de les convaincre de mon projet !
J’ai fait un travail exhaustif pour animer mes différents réseaux ;
il n’était pas rare que j’aie dix entretiens par semaine !
Il a fallu aussi que je décode les pratiques culturelles et professionnelles au Québec, qui ne sont pas les mêmes qu’en France.
Pensez-vous qu’il y a un coût à payer dans
un projet d’évolution de rupture ?
J’ai dû accepter de baisser ma rémunération globale de plus de
40 %, mais j’ai rebondi comme je le souhaitais dans un cabinet de
consulting, qui aidait principalement les entreprises à communiquer sur leur marque employeur – « Employer Branding ».
Au terme de cette expérience que je considérais comme réussie,
je suis revenu en France et occupe aujourd’hui un poste chez Right
Management, en parfaite continuité avec le virage que j’ai pris au
Canada.
J’ai dû accepter de baisser ma rémunération globale de plus de 30 %,
ce qui peut paraitre considérable, mais c’était pour moi le prix à payer.
En revanche, je suis très confiant pour l’avenir, car cette nouvelle compétence m’ouvrira nécessairement de nouvelles perspectives !
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